La quête des opales - Tome 2 - Blizzard

Page 1


1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 10

19/07/19 09:37


1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 1

19/07/19 09:36


P

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 2

19/07/19 09:36


Page Faux-titre

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 3

19/07/19 09:37


P

Livre original paru en langue anglaise pour la première fois en 2017 sous le titre The Huntress: Sky aux éditions Egmont UK Limited Copyright du texte : © Sarah Driver 2017 Copyright des illustrations : © Joe McLaren 2017 Illustrations intérieures additionnelles par Janene Spencer Sarah Driver et Joe McLaren ont exercé leur droit moral. Tous droits réservés.

Direction : Guillaume Arnaud Direction éditoriale : Sarah Malherbe Édition : Estelle Mialon Mise en pages : Text’Oh Relecture et correction : Catherine Rigal Direction de fabrication : Thierry Dubus Fabrication : Marie Guibert Adaptation de la couverture : Cédric Ramadier © Fleurus, Paris, 2019, pour l’ensemble de l’ouvrage. www.fleuruseditions.com ISBN : 978-2-2151-7190-4 MDS : FL0022 Tous droits réservés pour tous pays. « Loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse, modifiée par la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011. »

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 4

19/07/19 09:37

Fleu_


Page Titre

Traduction de l’anglais par L. Williams

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 5 Fleu_Opales_Blizzard_titre.indd 2

19/07/19 09:37 07/06/2019 17:10


pêche sous glace

Trianukka

Chefs des clans de pierre Chantier naval Salage de hareng Mise en tonneau

Forêt d’Icebergs

Crépuscule : la Grande Ville du Brouillard

Lac

Trocville

Quais

défenses de morse

Iceberg de Yapok

Forteresse de la tribu des Collines

t an

Les Qu ais du Co uc h

chiens polaires

Forêt de Crépuscule Tribus des Arbres

Château du Cauchemar

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 6

e ag

Pl

L’Île aux Os

ages hou Éc s de

it ud ma

pu its

terrodyls

Cr M

19/07/19 09:37


grandgousier Les Déserts de Glace traîneaux

rse

O

Campement du chef des Longues-Dents Mer Sauvage

g de Yapok

Fleuve

S

E

Baie du Tonnerre

geysers

Passes des Monts Orientaux

N

cercle de pierres Pic de la Mâchoire

Pierre-de-Foyer

Nid tourbière des calmarmous

Lac

Marais Gelés

Cap du R oc

canoës Ans e de sN aufr ageu rs

Gro ttes du T répa ssé

Crique du Mystère

Repère des Pêcheurs

Foyer des Orphelins

Mer du Néant

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 7

19/07/19 09:37


6

Nid 1

2

8 7 9

4

3

5 1. la grande salle 2. le trône ailÊ de la Protectrice de la Montagne 3. la forge 4. l’armurerie

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 8

5. blocs de glace 6. cellules 7. le nichoir des chirurgiens 8. vers les grottes des draglons 9. le garde-manger

19/07/19 09:37


l e i c o i l Bib

2

1

4

5

3

6

7

8

9

1. le dortoir en mezzanine 2. hamacs 3. rampe glissante

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 9

4. cage et manivelle 5. bibliothèques 6. le Documencieliste assoupi

7. vieux fauteuils grinçants 8. foyer 9. thé des vœux

19/07/19 09:37


1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 10

19/07/19 09:37


PARTIE 1

Le Grand Large

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 11

19/07/19 09:37


1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 12

19/07/19 09:37


1 Oursins Je me tiens sur le pont de la Chasseresse et cligne des yeux pour me débarrasser des flocons de neige tombés sur mes cils. Une pierre précieuse verte repose dans la paume de ma main. Quand je la scrute, elle me renvoie mon propre regard gris. De violents frissons secouent ma poitrine, en rythme avec le tambour des rameurs. La pierre devient froide, mouillée et visqueuse. Une peau tachetée comme celle d’un requin-baleine commence à recouvrir le joyau. À sa surface, des branchies s’ouvrent en sifflant, libérant de l’écume. Je sais, aussi sûrement que le sang de la tribu de la Mer coule dans mes veines, que je tiens l’Opale de Tempête de la Mer. Et je sais que je dois la protéger de toute mon âme, mais ce fardeau pèse sur mes épaules, plus lourd qu’un navire marchand aux cales remplies. La pierre crachote. Un peu d’eau de mer vient me chatouiller les lèvres. Elle a besoin de l’océan. 13

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 13

19/07/19 09:37


La Quête des Opales

Nous avons besoin de l’océan. Je lève le bras afin de jeter l’Opale par-dessus bord tandis que, contre ma paume, ses branchies luttent pour respirer. Je me fige lorsqu’une voix pressante pénètre mon esprit comme de la brume. « Garde cela bien caché, Petit Os. Un grand danger m’empêche de rentrer. Pars à la recherche des Opales de Tempête de la Mer, du Ciel et de la Terre qui ont été séparées, avant qu’un ennemi ne les trouve et ne s’en serve pour s’emparer du pouvoir noir. Réunis-les à la Couronne d’or avant que tout Trianukka ne se transforme en glace et ne piège les baleines sous une mer gelée. Te souviens-tu de la vieille chanson ? Elle te servira de carte. Garde toujours ton frère auprès de toi, et sache que tu ne seras jamais seule. Je te retrouverai dès que je le pourrai. Pa. » Le son d’une respiration irrégulière me fait soudain frémir. J’en ai la chair de poule, comme si des araignées galopaient le long de mon échine. Alors que je tourne la tête en direction du bruit, mon navire commence à se transformer… bientôt le pont est recouvert de sang et de gros canons cracheurs de feu arment ses flancs. Un visage apparaît, tout à coup. Il a des yeux sombres et emplis de rage, les sourcils froncés et noirs. Ses lèvres fines se tordent en un sourire méprisant. Ce visage appartient à un capitaine meurtrier et trompeur, à l’homme à la cape rouge et aux bottes surmontées de boucles de cuivre, au marin qui a volé notre navire. Celui qui nous a enlevé Grand-Ma. Stag. 14

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 14

19/07/19 09:37


Blizzard

Même si je suis en pleine valse-songe, mes muscles se raidissent, prêts à m’emporter loin de lui. Un homme voûté à la cape de foudre violette apparaît au côté de Stag. Il lui murmure quelque chose à l’oreille. Puis ils lèvent tous les deux leurs bras, lentement, pour pointer du doigt l’Opale que je tiens toujours. Je replie mes doigts autour de la pierre et la presse fort contre mon cœur. J’ai l’impression de bouillir de l’intérieur. J’aurais aimé que leurs yeux cupides ne se soient jamais posés sur l’Opale. Après un instant de chaos, je lève les yeux et découvre que Stag pointe une arme vers une planche qui dépasse du bastingage. Je suis son regard, j’aperçois un tas de vêtements déchiquetés, comme un corps recroquevillé sur lui-même. Grand-Ma. Avant que je ne puisse bouger ou même crier, du feu jaillit du pistolet. Du rouge vif éclabousse soudain mon univers jusqu’alors en nuances de gris. Dans le ciel, la lumière du soleil vacille. Les contours de la valse-songe ondulent comme l’air au-dessus d’une flamme. Puis je sens que ma main est vide. Je chancelle. La pierre s’éloigne en tournoyant pour reprendre sa place dans l’orbite de Grand-Ma. Mais celle-ci chute. Elle s’écrase dans l’eau, et mon cœur se déchire tandis que le sien se noie. Mouse ! Je m’efforce de la rejoindre, en vain : j’ai l’impression d’être tirée en arrière. Je me sens vide. Glacée et engourdie. Je suis trop petite. Ma voix 15

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 15

19/07/19 09:37


La Quête des Opales

est piégée sous des couches de glace. Je suis morte de peur. Incapable de rejoindre Grand-Ma. Elle a disparu. Les mains me relâchent et je m’étale contre le pont. Je cours, si lentement que j’en ai mal, puis m’élance à toute vitesse sur la planche et plonge dans la mer. Je tâtonne dans l’eau obscure. Elle aurait dû être là. Où est-elle ? Grand-Ma ! Pour la première fois, les flots sont comme un cimetière où plus rien ne vit. Au-dessus de ma tête, une couche de glace empêche la lumière de passer. Une voix monte jusqu’à moi. Te souviens-tu, Lorsque la mer, Calme, m’attendait ? Ne te souviens-tu pas ? Je me débats pour revenir à la surface. Le songe me fait mal à la tête. Je lutte, aux prises avec cette mer imaginaire, frappant et griffant l’eau jusqu’à ce que mes muscles me brûlent… Je m’élève ensuite, encore et encore, en traversant la glace qui s’épaissit toujours plus à chacun de mes battements de cœur. Avec un bruit sourd, mon esprit retourne dans mon corps et je me réveille en sursaut, haletante, la nuque raide et endolorie. Je suis avachie sur le dos d’une créature, mes jambes pendent dans le vide. En essayant de me rattraper à quelque chose de dur, j’effleure une peau écailleuse… je me souviens alors où je suis. 16

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 16

19/07/19 09:37


Blizzard

Le jeune terrodyl file dans un ciel gorgé de neige. –  Plus vite, plus vite, plus vite, baragouine-t-il. Plus rapide des bêtes ! J’enfonce mes genoux dans ses poils pour ne pas glisser. Mon petit frère Sparrow a les bras enroulés autour de ma taille et la tête pressée contre mon dos. Crow est penché derrière lui ; c’est le naufrageur dont j’ai longtemps douté, même s’il m’a aidée à sauver Sparrow au Château du Cauchemar. Nous avons volé toute la journée, planant au-dessus de la mer, d’une forêt, puis d’une ville perdue dans le brouillard. Après ça, j’ai dû m’assoupir. Et, maintenant, le soleil entame sa plongée vers l’horizon. Des fragments de mon rêve continuent de tambouriner contre les parois de mon crâne, comme des follets de lune emprisonnés. L’Opale de Mer ! Je tapote mes poches, pousse un soupir de soulagement lorsque je sens la bosse du joyau à travers le tissu. La valse-songe m’a vidée de toutes mes forces. Je me rappelle pour la millième fois que Grand-Ma est morte et je sens cette douleur si familière m’étreindre le cœur à m’en rendre malade, avant que la culpabilité ne fasse surface, car je n’ai toujours rien dit à mon frère… je ne sais pas comment m’y prendre. –  C’est pas trop tôt, le Rat se réveille ! lâche Crow. Tu saurais pas où on est ? Il renifle bruyamment avant de cracher dans le vide. Je me retourne pour répondre et grimace, car le bandage sur 17

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 17

19/07/19 09:37


La Quête des Opales

mon visage tire sur la plaie qui court le long de ma pommette droite jusqu’au coin de ma bouche. Alors qu’une nouvelle vague de douleur me submerge, je lui crie : –  Aucune idée ! Le monde est si vaste… même pour une fille de la tribu de la Mer ! –  Ça, c’est sûr ! beugle Crow. Le terrodyl secoue la tête de droite à gauche. –  Où va, où va maintenant ? grince-t-il. Je lui rabâche ce que je lui dis depuis que nous avons pris le large : –  La priorité, c’est de s’éloigner aussi vite et aussi loin que possible du Château du Cauchemar. Ma langue roule quand je prononce ces mots purs et bruts, comme si elle goûtait au caractère sauvage de l’animalangue. –  Né dans Château. Pas mauvais endroit ! J’inspire profondément. –  Stag contrôlait tes amis, dans votre nid, il les a lancés à notre poursuite. Et les Mystiks voulaient faire du mal à mon frère, là-bas ! –  Où va ? répète le terrodyl en claquant des dents. Je me prends l’horrible puanteur de son haleine en pleine face. Je refoule une vague d’exaspération. –  Une minute. J’ai besoin de réfléchir. Je me mordille l’intérieur de la joue, essayant de débarrasser mon esprit des derniers fragments de valse-songe. La bête a raison : nous devons trouver un point de chute, nous ne 18

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 18

19/07/19 09:37


Blizzard

pouvons pas nous contenter de voler comme ça indéfiniment. Sauf qu’il est impossible de retourner sur mon navire, il est devenu aussi hostile que le Château. Le message de Pa me revient en tête. « Pars à la recherche des Opales de Tempête de la Mer, du Ciel et de la Terre qui ont été séparées… Te souviens-tu de la vieille chanson ? » La fois où mon frère a chanté la vieille chanson, les notes ont transformé le message en une carte fantasmagique qui m’a montré les trois Opales de Tempête. À l’heure actuelle, l’une d’elles est en sécurité dans ma poche. Je regrette de ne plus pouvoir consulter la carte, qui est maintenant entre les sales pattes de Stag. Il me reste à espérer qu’il ne parviendra pas à libérer la magie des Opales. Tout ce que je sais, c’est que l’une d’entre elles repose quelque part dans le royaume du Ciel… va-t-on réussir à l’atteindre ? –  J’ai besoin de faire pipi, se plaint Sparrow en reniflant, ce qui brise le fil de mes pensées. –  Bon sang ! Qu’est-ce que je ne donnerais pas pour me dégourdir les jambes ! grommelle Crow. –  Vous pourriez baisser d’un ton ? je crie. J’essaie de réfléchir. –  On ne devrait pas échafauder un plan ? Tu n’es pas obligée de faire ça toute seule dans ton coin, tu sais, me reproche Crow. Est-ce que cette chose sait au moins où elle va ? Je me colle au dos du terrodyl, qui fait rempart contre le 19

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 19

19/07/19 09:37


La Quête des Opales

vent. Est-ce que c’est une bonne idée de parler des Opales à Crow ? Avant que j’aie eu le temps de lui répondre, il claque sa langue avec désapprobation et je ressens des vagues de colère émaner de lui. Il attaque : –  Tu ne me fais toujours pas confiance, pas vrai ? Ce garçon est encore plus susceptible que moi. –  Bien sûr que si, c’est juste que… –  Oui, bon ! Fais seulement en sorte de rester loin de ton navire, pour le moment. Bref, poursuit-il, maintenant que tu es réveillée, c’est à mon tour de faire un petit somme. Il se tait, baîlle. Sa respiration devient rapidement lente et profonde. Nous filons de plus en plus vite et de plus en plus loin dans le ciel. Des morceaux de morve froids comme la glace sont collés à mes lèvres. Je les essuie sans cesse pour les empêcher de congeler. –  Je m’appelle Mouse, je murmure. J’ai treize lunes. Je claque des dents. – La Chasseresse est notre navire. Le foyer de notre Tribu. Nous l’arracherons aux griffes de Stag. Ma balbuzarde, Flamme Ardente, roupille dans le creux entre mon ventre et l’une des épines dorsales du terrodyl. C’est une boule de plumes brillantes toute chaude. Elle a encore grandi, mais n’en est toujours pas au stade où elle se pose sur moi avec délicatesse… Mon épaule endolorie se souvient encore de la 20

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 20

19/07/19 09:37


Blizzard

dernière fois que ses énormes serres se sont refermées sur elle. Je lui gratte la tête, sentant l’os fragile de son crâne sous ses plumes. Je retire ma main quand une décharge électrique vient me piquer les doigts : dans la poche de mon pantalon, l’Opale a fait gonfler les plumes de Flamme. Cette dernière ressemble à une boule crépitante de chaleur et dégage cette odeur typique que l’on peut sentir juste avant une tempête. Je scrute l’horizon. Sur le rivage qui s’étend d’est en ouest, une plage de sable noir est couverte d’une pellicule de glace. Juste devant elle, une mer sombre siffle et crachote des jets d’eau, qui luttent pour ne pas geler. Je fredonne dans ma barbe : Tu dois te souvenir De ce qui repose ici, Tu le trouveras au plus haut de l’air. Puis je m’arrête, car la chanson fait remonter ma valse-songe, comme une vague prête à se briser sur moi. Flamme s’agite et étend l’aile marron et blanche qui lui cachait les yeux pour s’intéresser à moi. Mon souffle retrouvé, je lui demande : –  Tu te souviens de ces vers qui nous ont donné l’idée d’aller chercher au Pic de la Mâchoire, Flamme ? C’est à l’est d’ici, on peut y trouver une grande colonne d’eau, comme le jet d’une baleine qui respire. 21

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 21

19/07/19 09:37


La Quête des Opales

–  Ceux qui respirent mer, pépie-t-elle, les yeux brillants. Je donne un petit coup de talon dans le flanc droit du terrodyl. –  Dirige-toi vers l’est ! je lui ordonne. J’ai un haut-le-cœur lorsque la créature vrille dans l’air pour changer de cap. Elle glousse. –  Fait moment que moi ai demandé à Rampant où aller. Lui répondre quand presque bout du monde ! Je souris devant l’espièglerie de la bête et reporte mon attention sur Flamme. –  Je crois qu’on ferait mieux d’y arriver rapidement, je lui dis. Parce que si je ne rapporte pas les trois Opales à la Couronne d’or, l’univers lui-même nous avalera pour nous broyer les os avant de nous recracher. Ma balbuzarde cligne lentement des yeux. Une vague de frissons fait trembler son plumage. –  Rappelle-toi foyer, gazouille-t-elle. Rappelle-toi nom. Raconter à Flamme au cœur de plume honnête, humaine au cœur d’os sincère. L’ardeur dans son regard me donne la force de puiser la vérité au plus profond de moi. –  Je m’appelle Mouse. J’ai treize lunes, je murmure tout en claquant des dents. Parfois, ma Tribu me surnomme Petit Os. J’aime pousser des hurlements féroces, plonger pour dénicher des perles et tirer des flèches avec mon arc. Grand-Ma m’a toujours dit qu’une flamme brûlait en moi. Qu’une flamme brûle dans le 22

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 22

19/07/19 09:37


Blizzard

cœur de toute ma Tribu. C’est comme un brasier qui gronde en nous. Flamme gazouille un petit cri de guerre et fait gonfler ses plumes. –  On a volé ma maison et je suis maintenant perdue dans la nature. Ma Tribu est en danger. J’ai plus que jamais besoin de cette flamme. Parce que la guerre ne fait que commencer.

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 23

19/07/19 09:37


2 Fanfaronnades Nous volons vers l’est. À notre gauche, la mer s’étale encore et encore jusque dans le lointain. Le vent bringuebale le terrodyl et nous cingle la peau. Je ne peux pas m’empêcher de chercher la Chasseresse des yeux. Mon cœur se serre chaque fois que j’aperçois du mouvement, en bas. J’imagine mon ami, Bear, le chef des rameurs, luttant contre les vagues et frissonnant à son poste. Stag l’a forcé à devenir l’un de ses esclaves-rameurs. Il l’a enchaîné et le garde à moitié affamé. Je dois absolument intervenir et récupérer notre navire. Il n’y a pas de temps à perdre ! –  Tu peux garder un œil sur les geysers… ceux qui respirent la mer ? je demande à Flamme. Nous survolons un paysage de terre brune et craquelée, de maisons à l’abandon, d’arbres éventrés et couchés, leurs racines tendues vers le ciel. Mon ventre se tord : on dirait que le chaos a ravagé le monde. 24

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 24

19/07/19 09:37


Blizzard

Flamme Ardente ouvre un œil jaune clair. –  Flamme surveille ! Elle se dégage de mon emprise et sautille jusqu’à la tête du terrodyl, avant de déployer ses ailes rayées pour les secouer et les débarrasser du givre. Elle se ramasse ensuite sur elle-même, pivote la tête de droite à gauche, guettant le moindre signe de la présence d’un geyser. –  Merci beaucoup, Flamme, je lance. Puis je tousse, parce que l’animalangue est une langue très gutturale, et que ma gorge est totalement sèche. De longues stalactites pendouillent aux ailes du terrodyl. Je me demande si je ne pourrais pas en casser une pour boire de l’eau... Je tends mon bras, lorgnant un pic de glace, quand un éclair grésillant s’abat sur le sable noir, en bas, et que des gerbes sombres fusent dans l’air. Le terrodyl siffle et dévie de sa trajectoire pour s’éloigner de l’endroit où la foudre est tombée. Un éclat attire ensuite mon attention : lorsque mon regard revient sur les environs, nous survolons le rivage et une forêt étincelante se déroule sous nos pieds. Une forêt de formes aux contours singuliers. Des dizaines de gigantesques icebergs bleus se dressent vers le ciel. Des boules lumineuses de la même couleur zigzaguent entre eux. Je plisse les yeux. Soudain, mon cœur s’emballe. –  Des chouettes des glaces ! Les boules de plumes s’enfoncent dans les cavités qu’elles ont creusées dans les rochers blancs. 25

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 25

19/07/19 09:37


La Quête des Opales

– Nous survolons l’immense Forêt d’Icebergs de la Mer Sauvage ! Quand je me retourne pour sourire aux autres, un fragment d’éclat de lune se glisse hors de la poche de la tunique de Sparrow et laisse des traces de pas argentées sur son cou, puis sur son oreille, jusque sur mon épaule. –  Où, où, quoi… euh, quoi, tu dire quoi, Cheveux-Noirs ? babille Étincelle avec enthousiasme. Le follet de lune s’agrippe de sa poigne froide à mon lobe d’oreille et se balance. Je glousse. –  Des icebergs. Tu ne peux pas les manquer. Ça veut dire qu’on s’approche de la frontière de la Mer Sauvage ! Maintenant, tout ce qu’on a à faire, c’est suivre les icebergs vers l’est jusqu’à la Baie du Tonnerre. De là, je saurai comment nous rendre au Pic de la Mâchoire. Elle émet un petit pépiement d’approbation avant de se remettre à zigzaguer jusqu’à Sparrow. Il n’y a pas si longtemps, le follet et moi ne pouvions pas nous supporter, maintenant ça me fait vraiment plaisir qu’elle veuille toujours être amie avec moi. – Qu’est-ce que tu en dis, Sparrow ? Ces icebergs, c’est quelque chose, hein ? Puis je me souviens qu’il ne peut pas voir grand-chose, à cause de cet affreux voile blanc qui lui recouvre les yeux, et je me mords la langue. –  Je meurs de soif. 26

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 26

19/07/19 09:37


Blizzard

C’est tout ce qu’il répond avant de se murer dans le silence. –  Ne t’inquiète pas, on est sur le bon chemin, on n’en a plus pour très longtemps. Et puis, j’ai une idée ! j’ajoute, sans perdre de vue les stalactites qui pendouillent aux ailes du terrodyl.   – Tu peux me raconter une histoire, aussi ? gémit-il. Mes cauchemars sont de pire en pire. J’ai tout le temps mal à la tête à cause d’eux. Je lui presse la main. –  Ça va aller, tu n’en auras bientôt plus, maintenant qu’on s’est éloignés du Château. – Mais j’ai l’impression que quelque chose d’horrible va arriver, insiste-t-il en me cognant le dos de la tête. J’ai rêvé qu’un éclair doré nous foudroyait. –  Trop-Tôt, je lui dis d’une voix douce, tout ça, c’est derrière nous. Pourtant, intérieurement, je suis paniquée à l’idée de ne pas savoir comment réagir s’il refait une crise de tremblements. –  Et alors, cette histoire ? Je m’éclaircis la gorge. Les récits changent avec le temps, en particulier si on les raconte sans s’appuyer sur les illustrations gravées dans les os. Toutefois, je me souviens si bien de l’une d’entre elles que les mots sont sur le bout de ma langue, prêts à jaillir. C’est une histoire que tout le monde connaît, mais que je ne pensais pas être réelle quand je la racontais, avant. Maintenant, la véracité de ce récit me fait trembler de la tête aux pieds. 27

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 27

19/07/19 09:37


La Quête des Opales

–  Il y a cent lunes et cent soleils, bien longtemps après que le premier rameur a frappé sur son tambour, le dernier roi de Trianukka possédait une antique couronne d’or et trois puissantes Opales de Tempête. (à l’évocation de cette histoire, je sens Sparrow se détendre un tout petit peu contre moi.) Les Opales devaient être montées sur cette couronne pour mettre un terme aux guerres entre toutes les tribus de la Mer, du Ciel et de la Terre, et leur permettre de vivre ensemble dans la paix. La première Opale contenait de l’écume de mer, la deuxième un fragment de ciel, et la troisième un bout de terre. Mais avant qu’on puisse sertir la Couronne du roi, elle a été avalée tout rond par une grande baleine. Comme il fallait mettre les Opales en sécurité, les vieux mollusques ridés… –  Tu veux dire les Mystiks, murmure Sparrow. –  C’est pareil ! Les Mystiks de l’Île aux Os les ont gardées, bien cachées entre les murs du Château du Cauchemar, où vivait le dernier roi. Celui-ci a accusé le capitaine de la tribu de la Mer, Cliquetis-Squelette, d’avoir caché la Couronne dans le ventre de la baleine, ce qui a marqué le début de cent années de guerre, en accordant tout le pouvoir à la Terre. C’est normalement ici que l’histoire se termine, or, maintenant, j’ai de quoi la continuer. –  Sparrow, on peut apporter notre propre pierre à l’édifice, non ? Qu’est-ce que tu en penses ? (Je renifle pour me débarrasser du givre poisseux qui s’est formé dans mon nez.) écoute ça ! On ne sait pas comment, mais des lunes et des 28

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 28

19/07/19 09:37


Blizzard

lunes plus tard, les trois Opales ont été dérobées et éparpillées hors du Château, mettant le monde en grand danger. Avant même l’arrivée de l’hiver, une glace étrange est apparue, menaçant de geler les océans et d’y emprisonner les baleines. Tout Trianukka risquait de partir en lambeaux. Mais la chance, sous les traits d’une jeune fille, s’apprêtait à venir à sa rescousse. Lors d’une lune de Chasseresse, cette fille, qui était la meilleure des archères, entre autres… –  Arrête de fanfaronner, frimeuse ! s’exclame Sparrow. – D’accord. Vu la situation, elle est donc partie avec ses nombreux talents sous le coude. Enfin, elle a surtout trouvé un message qui lui disait de partir à la recherche des Opales séparées et de les rapporter à la Couronne d’or, avant que le monde ne soit piégé sous la glace. Et… tiens-toi bien, cette fille a découvert que l’Opale de la Mer se trouvait juste sous son nez. – Fanfaronner, c’était peut-être un euphémisme, en fait, bafouille Crow. Je sens mon cœur faire une embardée et le rouge me monter aux joues. Je pensais qu’il dormait. Je ne suis pas sûre de vouloir lui révéler tout ça maintenant. Grand-Ma m’a toujours dit que ma grande bouche m’attirerait des ennuis. – Tais-toi. –  C’est fou de voir à quel point tout doit toujours tourner autour de toi, hein ? Tu réalises, au moins que, tout ça, c’est juste une histoire du soir pour les enfants ? –  Tu te trompes ! intervient Sparrow. 29

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 29

19/07/19 09:37


La Quête des Opales

Crow se moque de nous. Je resserre les pans de ma cape autour de moi et prie pour que Sparrow ne dise plus un mot. Si le naufrageur pense que ce n’est qu’une histoire, je ne le détromperai pas pour l’instant. Sauf que mon frère me secoue mollement le bras. – Quand est-ce que tu vas raconter la partie qui me concerne ? croasse-t-il. –  Moi, moi, moi, pépie Flamme Ardente. Elle a tellement envie que je l’inclue à l’histoire, elle aussi, que ses plumes en tremblent. Soudain, l’un des icebergs surgit à travers la brume et le terrodyl l’esquive avant de remonter dans le ciel. Certains de ces blocs de glace sont si hauts que leur sommet perce les nuages. –  Tenez-vous bien ! je crie. J’attrape les mains de Sparrow et je resserre son emprise autour de ma taille. Quand la bête termine son ascension, ses ailes reprennent un rythme de battements si régulier que le vent siffle sur leur passage. L’air est plus pur là-haut, alors je l’inspire goulûment. Nous continuons de voler en direction de l’est, nous relayant pour faire la sieste, jusqu’à ce qu’une nouvelle aurore hivernale vienne diluer le noir du ciel, le faisant d’abord passer au gris, puis au blanc. Je fixe le dernier iceberg, à la lisière de la forêt. Nous laissons 30

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 30

19/07/19 09:37


Blizzard

celle-ci derrière nous et il ne reste plus que le gris-blanc de la mer et du ciel alentour, juste avant que les nuages nous avalent. Mon estomac gargouille bruyamment. Crow et moi n’avons rien avalé ni bu depuis que nous avons quitté l’Île aux Os pour sauver Sparrow. Les dieux seuls savent quand lui a mangé pour la dernière fois. Un grondement sourd se propage soudain dans tout le corps du terrodyl. –  Faim, faim, faiiiim, estomac vide, se plaint-il en claquant des dents. Peut-être que nous pourrions atterrir, pour que Flamme et le terrodyl nous attrapent du poisson ? –  Bête féroce, Flamme Ardente, ça vous dit qu’on se pose pour manger ? je leur demande. Flamme hulule pour exprimer son approbation. –  Première fois Rampant dit pas bêtises de mollusque. L’épine dorsale de la créature frémit d’aise tandis qu’elle commence à redescendre. À travers un trou dans les nuages, j’aperçois un bout de terre sombre et rocheuse. –  Je ne pourrai pas supporter longtemps ces étranges sons qui sortent de ta gorge quand tu parles à cette chose, me lance Crow. Vous vous dites quoi, toutes les deux ? Je lève les yeux au ciel. – C’est un mâle, je rétorque. Du moins, je crois. Ce n’est pas une chose, en tout cas. Il va aller pêcher un peu de poisson pour manger. – Pourquoi est-ce qu’il s’embêterait à faire ça, alors qu’il 31

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 31

19/07/19 09:37


La Quête des Opales

pourrait simplement nous dévorer et recracher nos os ? s’exclame-t-il. Je me retourne pour le regarder en riant. –  Arrête d’avoir la trouille, c’est juste un bébé terrodyl. Crow me toise avec une telle animosité que je suis prise d’un frisson. Les mains de Sparrow sont froides et recouvertes de sueur. Tout en les maintenant jointes dans l’une des miennes, je me penche à droite, le long de l’aile poilue du terrodyl. Je tends lentement ma main en direction des stalactites qui pendouillent juste en dessous, y posant le bout de mes doigts. –  Mais tu fais quoi, exactement ? beugle Crow. Je l’ignore et m’incline encore un peu plus. J’enroule mes deux premiers doigts autour de la stalactite… quand soudain le sang se glace dans mes veines : les mains de Sparrow commencent à glisser hors de ma poigne. –  Sparrow ! Je me rejette en arrière, obligeant le terrodyl à tanguer et à battre des ailes pour retrouver son équilibre, et j’attrape les bras de mon frère à deux mains. –  Non, non, non, non ! T’as pas intérêt à tomber. Ses yeux voilés se révulsent lorsqu’il s’effondre sur le flanc de la créature. Je me balance de l’autre côté, trop rapidement, et j’attrape l’épine dorsale devant moi juste avant de basculer dans le vide. Presque à la renverse tout à coup, le sang me monte à la tête. 32

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 32

19/07/19 09:37


Blizzard

–  Tu vas finir par te briser tous les os ! me crie Crow. –  Ferme-la donc et attrape Sparrow ! Il me fusille du regard, mais se penche pour attraper mon frère. –  Ne le laisse pas glisser hors de sa cape ! –  Je sais ! Les bras de Sparrow relâchent ma taille. Je lui attrape les mains, mais il glisse encore plus, ses yeux sombres enfoncés dans leurs orbites. –  Non ! couine Étincelle en lui empoignant des mèches de cheveux. Nous pesons de tout notre poids sur le flanc du terrodyl. La main de Sparrow chauffe dans la mienne. Une odeur de brûlé se fraie un chemin jusqu’à mes narines. –  Remonte-le au milieu ! me hurle Crow. –  Qu’est-ce que tu crois que j’essaie de faire ? je siffle entre mes dents serrées. Je lutte pour ne pas lâcher mon frère alors même que de douloureuses décharges électriques m’attaquent les paumes. Je serre les genoux autour du terrodyl et contracte mes muscles abdominaux pour rester sur son dos. Un éclair violet brille au bout des doigts de Sparrow. La dernière fois que j’en ai vu un, il faisait une crise de tremblements. Par toutes les dents de l’enfer ! S’il vous plaît, faites qu’il n’en fasse pas une maintenant ! La bête panique et se met à voler en cercle. 33

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 33

19/07/19 09:37


La Quête des Opales

–  Étincelle crépitante, descends, descends, dois rentrer à maison-nid ! –  Doucement, doucement, courageuse bête ! je lui crie. L’éclair me foudroie le poignet et je lâche un juron. Je déplace ma prise, lui empoigne le bras plutôt que la main. C’est celui qu’il garde tout contre lui depuis que nous l’avons sauvé. Son membre se relâche soudain et émet un immonde craquement lorsqu’il se déboîte. Sparrow chute lourdement du dos du terrodyl… j’essaie d’attraper son autre main, en vain. Le sang me bat aux tempes. J’en veux au monde entier de laisser une chose pareille arriver alors que j’avais presque réussi à mettre mon frère en sécurité. J’ai juré à Ma que je le protégerai toujours, et ce n’est pas aujourd’hui que je briserai ma promesse ! Le terrodyl se débat sauvagement alors qu’il descend en piqué. Je tire Sparrow aussi fort que possible. Crow réussit à caler une main sous son aisselle et commence doucement à le remonter. Sparrow est presque de retour à sa place. Le terrodyl retrouve son équilibre en grognant. Tout ira bien. Tout va bien se passer. Je viens à peine de relâcher mon souffle qu’un rayon doré fend les cieux et se fiche violemment dans l’une des immenses ailes de la bête. Elle se replie dans un bruit de craquement écœurant. Bientôt, nous tombons. Nous ne sommes plus qu’une masse hurlante et floue de bras, d’ailes, de dents et de jambes. 34

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 34

19/07/19 09:37


Blizzard

La bête chute. Et chute. Le monde s’efface.

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 35

19/07/19 09:37


3 Les redoutables Un éclair violet jaillit des doigts de Sparrow et fuse vers le ciel. Il se réveille en sursaut. J’essaie de l’attraper, mais je suis contre le vent. Impossible de nous ramener sur le dos du terrodyl, dont l’aile cassée claque dans l’air comme la voile d’un navire. De la bile me remonte dans la gorge. Des ongles m’éraflent le poignet. Flamme Ardente pousse un cri perçant, les serres accrochées à mes cheveux. Ses mots sont happés par notre chute et je n’arrive pas à les distinguer. Le cri du terrodyl déchire le monde. Ses griffes aiguisées comme des poignards fouettent l’air. C’était une lance. Cette évidence m’anéantit. On nous a tiré dessus. Et, maintenant, nous tombons droit vers une mort certaine, abolissant absolument tout ce qui s’est passé avant. Autour de moi, le monde tourne à la fois lentement et rapidement, comme si le paysage se précipitait vers l’avant puis vers 36

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 36

19/07/19 09:37


Blizzard

l’arrière dans un fouillis chaotique, avec nous pris au milieu de tout ça. Un épais brouillard argenté apparaît et une nuée d’oiseaux effrayés le traverse en se ruant dans notre direction. –  Chercheurs de sang, dents tranchantes, chasseurs, chasseurs, s’enfuir, s’enfuir vite ! piaillent-ils. Dû faire nid, nid, nid ! J’essaie de bouger, mais c’est comme si j’étais en plein cauchemar et que mes muscles refusaient de fonctionner. Crow avance le bout des doigts dans l’air et me caresse la joue. Je vois ses lèvres s’agiter et former des mots, mais le vent siffle trop fort à mes oreilles pour que je puisse les entendre. –  Mère ! crie le terrodyl en animalangue. Frères. Maison-nid. Aile douloureuse, pas abandonner, ramène maison ! Lorsqu’il prononce le mot « maison », tous les sons s’estompent le temps d’un battement de cœur, comme si le vide luimême implosait. Sommes-nous morts ? Le brouillard argenté s’assombrit en une masse mouvante. Une volute de fumée monte en sinuant jusqu’au ciel. Puis tout recommence brusquement à s’accélérer et notre terrodyl traverse le nuage de brume. Nous plongeons à sa suite. Un cri s’échappe de ma gorge, le vent m’écorche les paupières, j’agite mes jambes dans le vide et… BAM. Je m’écrase dans ce qui semble être un tas de lanières collantes. L’impact brutal me fait rebondir. Je fais un saut périlleux… 37

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 37

19/07/19 09:37


La Quête des Opales

Une fois. Deux fois. Je m’étale enfin de tout mon long, tête la première, dans la brume obscure. Je m’agenouille tandis que Sparrow et Crow tombent du ciel en hurlant. J’attrape mon frère et l’immobilise alors que le brouillard épais fait rebondir le naufrageur, qui se met en boule et roule avant de s’arrêter. L’ombre masque entièrement le ciel au-dessus de nos têtes. De violents frissons me traversent de part en part. Mon regard se perd dans un monde sombre, froid et humide qui palpite et dont les bords se referment sur nous. Nous sommes piégés dans une espèce de filet élastique. J’en touche une paroi, puis je retire brusquement ma main. On dirait qu’il est fait de boules dures et visqueuses composées de perles humides qui tournoient sur place. Mon cœur bondit dans ma poitrine. Le filet est tissé avec des gouttes de pluie. Les parois nous enserrent jusqu’à ce que nous soyons suspendus dans le vide, enchevêtrés les uns sur les autres au fond du filet, les gouttes de pluie pressées contre nos visages. Crow jure, s’agite et me heurte avec ses coudes. –  Que… comment… ce sont des gouttes de pluie ! je lâche dans un souffle. –  Il y a de la fantasmagie dangereuse là-dessous, n’y touche pas…, bredouille Crow. –  Comment je pourrais ne pas y toucher, cervelle molle ? 38

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 38

19/07/19 09:37


Blizzard

Nous tournoyons comme des pierres de mer. Je garde Sparrow tout près de moi, mes pieds glissant presque à travers les trous au fond du filet. L’Opale tombe de ma poche. J’ai l’impression que mon cœur s’arrête de battre, mais Flamme l’attrape dans son bec et la repose dans ma main. Elle se roule en boule dans ma cape. –  Beuuuuuurk ! horreur, pépie-t-elle, les plumes tremblantes. Je suis saisie d’effroi. Où sommes-nous tombés ? Un bruit sourd suivi d’un craquement assourdissant s’élève de tout en bas. Je regarde à travers les gouttes de pluie tournoyantes pour découvrir notre terrodyl étendu de tout son long sur un rocher, où il gémit de douleur en animalangue. Un filet de sang noir s’écoule de son aile froissée, creuse des trous dans la neige en crépitant. La culpabilité s’abat sur moi comme un tsunami, car la bête n’était qu’un bébé, et c’est moi qui l’ai attirée hors de son nid pour nous aider à nous échapper. Sparrow pleure, recroquevillé sur lui-même, tremblant. Son follet de lune gazouille dans sa poche. J’en suis malade. Si je n’avais pas lâché l’une de ses mains, il n’aurait pas glissé et nous aurions peut-être été assez rapides pour éviter cette lance. Il s’est passé quelque chose de grave, et c’est encore ma faute. J’ai cru que je pouvais attraper une de ces stalactites, je pensais que c’était la meilleure chose à faire… pourtant non. Tout à coup, le filet se met à bouger. Crow me fixe. 39

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 39

19/07/19 09:37


La Quête des Opales

–  C’est quoi, cette chose  ? Qu’est-ce qui se passe  ? ­souffle-t-il. –  Je n’en sais rien, je lui réponds en secouant la tête. Je ferme un œil et regarde à travers un petit trou entre les gouttes d’eau. Le filet s’approche d’une tache brune qui grossit à vue d’œil. Je regarde mieux, et mon ventre se tord. Ce n’est pas une tache… c’est un attroupement. Un troupeau. –  Sparrow, je murmure. Crow. J’essaie de déglutir, mais ma gorge est trop serrée. –  Regardez ! Crow jette un œil à travers la paroi. – Qu’est-ce que c’est ? demande-t-il d’une voix à moitié étouffée. –  Comment je pourrais le savoir ? J’empoigne le filet. Les gouttes de pluie s’agitent contre mes paumes. – Et si on arrêtait de papoter et qu’on se préparait à se battre ? je reprends. Mais mon esprit combatif perd de sa vaillance au fur et à mesure que les taches se font plus nettes dans le ciel et continuent de se rapprocher. Elles emplissent tout l’espace jusqu’à se matérialiser devant nous en un troupeau de bêtes géantes et touffues. Un guerrier à l’allure fière est assis entre les ailes de chacune d’elles. Ils brandissent des arcs, des épées et des lances dorés. Je me détourne d’eux pour poser mon regard sur les cheveux blonds et emmêlés de Sparrow. Un cri d’horreur et de tristesse couve dans ma poitrine. 40

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 40

19/07/19 09:37


Blizzard

–  On dirait d’énormes renards ailés, fait remarquer Crow en plissant les yeux. Puis il se tortille vers moi. Je me force à mieux les observer. Ça ressemble plus à… des chauves-souris, mais à la fourrure orangée et aux longs museaux vulpins. –  Peu importe ce que c’est, ils sont vraiment effrayants. Le grincement de leurs rouages de peau et d’os se mélange à celui du vent qui claque dans leurs ailes, comme un tambour de guerre. –  Chasser, sel, sang, poisson ? Attirer, attraper, dévorer, goûter. Chasser, chasser, chasser… MORDRE ! Langue, racler, glisser, déchirer. Leur animalangue traduit leur appétit vorace. Leurs dents cognent contre les bouts de métal qu’ils ont dans la bouche. Des lanternes se balancent sur des embouts fixés à leur tête. La guerrière en première ligne tient une lance dans une main. Dans l’autre se trouve un sceptre où s’enroule un bout du filet de pluie. Tous les guerriers ont le visage couvert d’un heaume de mailles étincelantes. À mesure que le filet nous rapproche d’eux, je me rends compte que leurs armures sont elles aussi forgées en gouttes de pluie. –  Les tribus du Ciel sont pourtant mortes ! je bégaie. – Tu trouves qu’ils ont l’air morts ? murmure Crow en serrant puis desserrant les poings. Dès que nous sommes à portée de lance, le filet s’arrête de 41

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 41

19/07/19 09:37


La Quête des Opales

bouger et s’affaisse. Nous titubons. C’est grâce au sceptre que tient la meneuse que nous sommes suspendus dans les airs… et si elle nous laissait tomber ? Je tâtonne pour attraper l’amulette d’ambre qui pend autour de mon cou, celle que Bear m’a offerte pour me protéger. Des dizaines d’yeux accusateurs percent à travers les mailles de pluie. J’ai l’impression que ma voix est emprisonnée au plus profond de mon être. J’éloigne mon visage de la paroi de gouttes et fixe mes mains : elles tremblent. Je jure, me mords un ongle, puis j’approche de nouveau l’œil d’un trou. La meneuse se tient debout, les pieds bien plantés sur le dos nu de sa chauve-souris. Elle pointe son sceptre vers le filet, puis effectue un mouvement brusque. Nous nous mettons alors à tournoyer. Pris de vertige, nous essayons de nous attraper par la main. Quand le filet s’immobilise une deuxième fois, son sommet se défait et rejoint le filament de pluie enroulé autour du sceptre. Dix cavaliers se pressent sur le filet béant sans nous quitter du regard. Les ailes de leurs chauves-souris sifflent dans l’obscurité, saturant l’air d’une odeur de chair poisseuse et d’excréments. –  Les oiseaux vous fuyaient, je souffle. Un frisson d’effroi court le long de mon échine. La meneuse plisse les yeux. Elle défait sa coiffe de pluie. Celle-ci se relâche en un capuchon qui tombe autour de son cou, révélant le visage d’une jeune fille aux cheveux blancs 42

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 42

19/07/19 09:37


Blizzard

d’une quinzaine de lunes. Elle a l’air froid et méchant, le nez percé d’un anneau d’or, comme les taureaux. Du maquillage noir part de ses sourcils et descend jusqu’à sa mâchoire. Elle lève son menton en pointe. –  Beaucoup nous craignent. Son accent épais et rocailleux exprime tout son dégoût. Je lutte pour me mettre debout et me tiens aussi droite que possible. Flamme sort la tête de ma cape, agitant furieusement ses ailes givrées. Avant qu’elle ne puisse s’enfuir, j’en resserre les pans, ce qui étouffe ses protestations. Je refuse qu’ils posent leurs sales pattes sur mon oiselle. Un deuxième cavalier défait son heaume de pluie. C’est une fille aux cheveux roux foncé, au large menton et aux yeux marron très écartés. –  Ces créatures puent l’algue et les tripes de poisson, dit-elle en fronçant les sourcils. Mon draglon a été le premier à les flairer dans le vent. Elle se penche pour caresser l’oreille de sa monture, qui se met à ronronner doucement. Je peux sentir le triomphe dans sa voix et je donnerais cher pour pouvoir l’envoyer valser. – Bien joué, Numbat, la félicite la fille aux cheveux blancs. Elle me scrute comme si je n’étais qu’un grain de poussière. –  La Protectrice de la Montagne te récompensera. L’autre lui fait un sourire, découvrant des dents de travers. –  Merci, Lunda. 43

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 43

19/07/19 09:37


La Quête des Opales

–  Et vous êtes qui, au juste ? demande Crow en leur lançant un regard noir à travers une touffe de cheveux emmêlés. La cavalière nommée Lunda fait tournoyer sa lance. Les bagues sur ses doigts étincellent. Elle le fixe du regard et un petit sourire étire ses lèvres, pourtant aucune émotion ne monte jusqu’à ses yeux. – C’est moi qui pose les questions. Qu’est-ce que vous faites ici ? Vous a-t-on envoyés pour faire de la sorcellerie ? Les autres cavaliers tressaillent et dessinent du bout des doigts des symboles au niveau de leur poitrine. Crow et moi échangeons un regard. De la sorcellerie ? Elle soupire, puis aboie un ordre : –  Emmenez-les au Nid. La Protectrice les condamnera pour leurs crimes, qu’ils parlent ou non. Les ailes de sa monture fendent l’air lorsqu’elle s’éloigne de nous en tourbillonnant. –  Quels crimes ? je hurle. Et c’est quoi le N… Crow tend la main, il tire sur ma cape. Je trébuche, pose les yeux sur lui, puis sur mon frère. Le sang se glace dans mes veines. –  Sparrow ! Il est étendu par terre, aussi flasque qu’un poisson éviscéré. Crow lui frotte le bras. –  Réveille-toi, petit ! Sa respiration est irrégulière. Quand je le secoue et l’appelle par son prénom, il n’a aucune réaction. Un cri étouffé 44

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 44

19/07/19 09:37


Blizzard

passe la barrière de mes lèvres avant même que je m’en rende compte. –  Vous devez nous aider ! Je ne retire pas mes mains des épaules de Sparrow. Je serre là où c’est mou, comme Grand-Ma me l’a montré, pour lui faire mal et le réveiller. Rien ne se produit, cependant. Je lève les yeux vers l’attroupement de cavaliers mais ma vision se trouble, car mes larmes coulent à flots. Quand je reviens à Sparrow, ses lèvres sont bleues. C’est à ce moment-là que je remarque la façon dont son bras repose par terre, l’angle que forme son coude tout tordu. Des gouttes de sueur perlent sur sa peau. Son front est brûlant sous mes doigts. Il doit avoir subi ce que Grand-Ma appelait une « rupture osseuse ». Ce relâchement que j’ai ressenti, c’était son bras qui se cassait net. –  Cavaliers ! j’appelle. Venez ici et aidez-moi. Mon frère ne se réveille pas ! Mes larmes salées me piquent la langue. Je lève le menton et pousse un hurlement, comme si j’avertissais ma Tribu du danger. Quelque part, au loin, une créature me répond.

1906_171_MepHuntress_JU_Final_Corrige.indd 45

19/07/19 09:37


Après avoir libéré son frère Sparrow du Château du Cauchemar, Mouse se retrouve prisonnière de la forteresse du Nid. Mais elle garde l’espoir de retrouver l’Opale du Ciel, cette pierre mythique qui lui permettra de compléter la Couronne d’or du dernier roi de Trianukka. Malheureusement, la guerre fait rage entre les différentes Tribus. Les cauchemars de Sparrow deviennent de plus en plus violents, les glaces continuent de s’étendre sur la mer, et toujours aucune trace de leur père à l’horizon. Les obstacles ne cessent de se dresser devant Mouse et ses amis, qui devront faire face à de nouvelles créatures terrifiantes… Mouse parviendra-t-elle au bout de sa quête ? Réussira-t-elle à empêcher Stag, l’imposteur qui a déjà pris le contrôle de la Chasseresse, d’asservir les tribus de Trianukka ?

La quête des Opales de Tempête continue.

Retrouvez Mouse et son équipage dans le premier volet de La Quête des Opales : Écume.

Retrouvez toute l’actualité des romans Fleurus

fleuruseditions.com

15,90 € TTC France

Adaptation couverture : Cédric Ramadier Illustration © Joe McLaren

La bataille pour Trianukka ne fait que commencer…


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.