La dernière sorcière

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Design de couverture : SKGD-Création Illustration de couverture (personnages) et illustrations intérieures : Shiilia Crédits autres illustrations de couverture : Cavité et végétation : © Estevez/Shutterstock. Château sur une falaise : © herryfaizal/Shutterstock. Pleine lune nocturne : © MidoSemsem/ Shutterstock. Silhouette de hibou : © DianaFinch/Shutterstock.

Direction : Guillaume Arnaud Direction éditoriale : Sarah Malherbe Édition : Estelle Mialon Composition : SKGD-Création Correction : Catherine Rigal Direction de fabrication : Thierry Dubus Fabrication : Gwendoline da Rocha © Fleurus, Paris, 2020, pour l’ensemble de l’ouvrage. www.fleuruseditions.com ISBN : 978-2-2151-6424-1 MDS : FS64241 Tous droits réservés pour tous pays. « Loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse, modifiée par la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011. »


Johan Heliot



Chapitre 1 Un réveil brutal Ils surgirent au milieu de la nuit, en armure et montés sur des chevaux de guerre. Les claquements des sabots sur le pavé de la rue tirèrent Anya du sommeil, l’arrachant à un rêve paisible. Et lorsqu’ils frappèrent violemment à la porte, la jeune fille prit peur. On ne réveille pas les gens de cette manière pour leur apporter de bonnes nouvelles ! La mère d’Anya se glissa dans la mansarde qui lui servait de chambre, sous la pente inclinée du toit. L’index plaqué sur les lèvres, Elmira chuchota :

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–  Pas un mot, ma chérie. Surtout, ne fais aucun bruit. Elle n’avait pas allumé de chandelle. Seule la lueur d’une pleine lune roussie éclairait sa silhouette à travers les carreaux de la fenêtre. Anya distinguait mal son visage. Mais elle devinait sans peine l’inquiétude, et même l’angoisse, qui crispait les traits d’ordinaire si doux d’Elmira. – Le moment est arrivé, souffla cette dernière. Il faut nous séparer. Anya étouffa un gémissement. Elle redoutait d’entendre ces mots depuis plusieurs saisons. Des cris éclatèrent au rez-de-chaussée. Des grondements furieux, des appels lancés depuis la rue. Une voix basse et lourde comme une enclume résonna entre les murs de pierre : –  Ouvre, sorcière ! Ne nous oblige pas à enfoncer ta porte ou tu le regretteras ! La menace était claire. Le mot, « sorcière », sonnait comme la pire des injures dans la bouche de celui qui l’avait prononcé. –  Habille-toi vite, reprit Elmira dans un murmure.

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Anya obéit à sa mère sans oser discuter. La peur faisait trembler ses mains, mais elle parvint à enfiler son pantalon, ses bottes et un pourpoint par-dessus sa chemise. Elmira l’aida à nouer sa tignasse blonde et indisciplinée et à la dissimuler sous un chapeau de cuir. Puis elle serra sa fille entre ses bras. –  Ne m’oublie pas, surtout. Je serai toujours là. Elle posa ses lèvres sur le front d’Anya. –  Et là, aussi, ajouta-t-elle en effleurant son cœur du bout des doigts. –  Fuis avec moi, je t’en prie, supplia Anya, sentant venir les sanglots. Elmira secoua la tête, l’air résolu. – Non, ils nous traqueraient sans répit. Seule, tu seras moins en danger. Ne perds plus un instant. Reste bien cachée jusqu’à ce qu’ils s’en aillent. Et souvienstoi de tout ce que je t’ai appris. Le cœur d’Anya se brisa en même temps que leur étreinte. Sa mère la hissa jusqu’à la fenêtre avant de la refermer derrière elle et d’en tirer le rideau. La fraîcheur de la nuit enveloppa la jeune fille comme un manteau humide. Elle jeta à la ronde un regard désespéré.

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Aucune lumière ne brillait dans les maisons voisines. Pourtant, avec tout ce vacarme, les gens ne dormaient sûrement plus. Mais ils devaient faire semblant, faute de courage. Comment leur en vouloir ? Les cavaliers hurlaient maintenant des menaces. Le premier qui s’interposerait le paierait de sa vie, aucun doute à ce sujet ! Un fracas de bois brisé s’éleva soudain d’en bas. Ils étaient entrés de force, comprit Anya, terrorisée. Bientôt, ils s’empareraient de sa mère, et alors… Non, mieux valait ne pas penser à ça ! Rassemblant son courage, Anya s’aplatit sur le toit, rendu glissant par la mousse qui le recouvrait. Sous l’œil rond de la lune, elle se faufila à gestes prudents jusqu’à la cheminée, derrière laquelle elle trouva refuge. Là, secouée de frissons, elle laissa ses larmes couler tandis que les intrus mettaient à sac le logis, renversant tous les meubles, détruisant les maigres possessions de sa mère. Anya les entendit pousser des grognements, se moquer d’Elmira, lui cracher leur mépris au visage. À aucun moment, la jeune femme ne répliqua. Elle avait toujours

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su que ça se passerait ainsi. Elle y avait préparé sa fille unique, jour après jour, saison après saison. « Quand ils viendront me chercher, lui avait-elle souvent répété, tu devras être brave. Et ne jamais montrer à personne que tu es en réalité une fille sous tes habits de jouvenceau. Car, s’ils apprennent que tu n’es pas un garçon, ton sort sera scellé aussi sûrement que le mien. » Ces paroles prenaient maintenant tout leur sens pour Anya. Hélas, les prédictions de sa mère s’étaient réalisées. Au Möhrland, personne ne pouvait se soustraire à la volonté du Lord de la Nuit.



Chapitre 2 Une entrée en scène difficile –  Faquin, maraud, bandit ! Prends garde au Lord de la Nuit ! La réplique avait jailli avec force de la gorge d’Orsen, costumé en vieillard à la longue barbe blanche. Son partenaire de jeu se roula sur la scène en faisant semblant de trembler. Un frisson parcourut l’assistance. Les femmes et les enfants lâchèrent de petits cris. Certains hommes aussi. Petits et grands, tous craignaient celui qui régnait sur le Möhrland. 11


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Ravi de l’effet produit, Orsen improvisa la suite en lorgnant les coulisses d’un air inquiet : –  Il viendra te punir dans ton sommeil ! D’ailleurs, n’est-ce pas lui que j’entends approcher ? Ah, il me semble que si… Tremble, misérable vermine ! Le public retint son souffle. –  Alors, il arrive ou pas, ce Lord ? murmura Orsen, en maudissant intérieurement le troisième acteur qui tardait à entrer en scène. Remue-toi un peu, Errol, bougre d’empoté ! Caché par le décor, le garçon était plongé dans la malle à costumes. Où était donc passé ce fichu déguisement ? Ça y est, il venait de mettre la main dessus ! Errol enfila à la hâte le grand manteau noir au col redressé qui lui masquait la moitié du visage. Puis il se coiffa d’une perruque tissée de laine blanche, censée imiter la toison légendaire du Lord. Enfin, il attrapa la fausse épée de papier mâché, légère et facile à manier malgré sa taille imposante, et bondit sur la scène. Son apparition provoqua autant de huées que d’acclamations. Errol avait l’habitude de ces réactions. Dans

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les contrées du Möhrland où se produisait la troupe, on craignait le Lord et on l’admirait en même temps. – Pas trop tôt…, bougonna Orsen à mi-voix en foudroyant le garçon du regard. Puis il pointa l’index sur son partenaire au sol, toujours tremblant, et s’exclama bien fort : –  Ton heure a sonné, maudit ! Que s’abatte sur toi le courroux du Lord de la Nuit ! Errol brandit l’épée à bout de bras d’un geste fier. Une simple épée pesait moins qu’une plume pour le Lord de la Nuit ! Le garçon abattit la lame de papier mâché sur la nuque de l’homme agenouillé sur le devant de la scène, les mains jointes en prière. La tête de chiffons peints se détacha du cou tandis que des rubans rouges jaillissaient de la blessure imaginaire, comme autant de giclées de sang. Cette fois, les hurlements poussés par les spectateurs étaient tous d’effroi. Le trucage de la décapitation remportait partout un franc succès. Errol se tourna vers la petite foule pour la menacer de la pointe de son épée, imposant le silence. Puis il sortit de scène d’un pas tranquille, toujours sans prononcer un mot.

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Le rôle était muet, car personne n’avait jamais entendu résonner la voix du véritable Lord. Ce qui convenait parfaitement à Errol, car il bégayait de trac chaque fois qu’il devait prendre la parole en public – un comble, pour un apprenti comédien ! Le garçon se débarrassa de son accoutrement pendant qu’Orsen et son partenaire saluaient le public, sous les applaudissements. Jabot vint alors se percher sur son épaule dans un froissement d’ailes. L’œil du corbeau brillait d’une lueur malicieuse. Du bec, il lissa les plumes blanches de sa poitrine, qui évoquaient le jabot d’une chemise et lui avaient valu son nom. Puis il lâcha un croassement mi-interrogatif, mi-plaintif. –  Je sais, murmura Errol. Tu ne trouves pas juste qu’Orsen s’attribue toute la gloire et m’oblige à rester en coulisses au moment de recevoir la reconnaissance du public. Mais je m’en fiche. L’oiseau secoua la tête, comme pour manifester son mécontentement. Parfois, Errol avait l’impression qu’il comprenait le langage des hommes. Mais ce n’était bien sûr pas possible !

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À ce moment-là, les deux autres comédiens déboulèrent. Orsen pestait sous sa fausse barbe : –  Tu as bien failli ruiner la pièce ! Si je n’étais pas doué pour l’improvisation, on aurait couru au désastre, ce soir ! – Désolé, mais la malle à costumes était en désordre… –  Ne te cherche pas d’excuses, coupa Orsen. Tu aurais dû être prêt avant que je ne lance la réplique qui signale ton entrée. Je suis obligé de te sanctionner. Errol étouffa un soupir. Il n’allait pas recommencer ? Jabot émit un cri aigu de contestation. –  Sale bestiole…, maugréa Orsen. Je retiens cinq sols sur ta paie, jeune homme. Inutile de protester, ma décision est prise. Je ne reviendrai pas dessus. Et il tourna les talons, sans attendre la réaction du garçon. – Il ne faut pas lui en vouloir, fit alors Isembard, le faux décapité, jusque-là resté muet. Il est dur avec toi parce qu’il tient à ce que tu deviennes un bon comédien. La voix du petit homme s’échappait du col sans tête de son costume, produisant un drôle d’effet.

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–  Et si je n’ai pas envie, moi, de devenir comme lui ? demanda Errol. –  Chut, pas si fort… Orsen pourrait t’entendre ! Inutile de lui faire de la peine ou de le mettre encore plus en colère. Malgré ce que tu penses, il tient à toi et il t’aime… Comme un père le doit ! Errol savait qu’Isembard disait vrai. N’empêche, son père avait une façon plutôt rude de lui prouver son amour ! Isembard se trémoussa jusqu’à se dégager de la couche de tissus qui le grandissait et le grossissait exagérément. Débarrassé de son déguisement, il ne mesurait pas plus de trois pieds et son front arrivait tout juste à hauteur du nombril d’Errol. Mais on lisait tant de résolution sur ses traits et de sagesse dans sa barbe soigneusement entretenue que bien peu s’aventuraient à se moquer de sa taille. – Viens, dit-il, allons ranger le décor et atteler le chariot pendant qu’Orsen compte la recette. Avec un peu de chance, les gens du coin se sont montrés assez généreux pour l’apaiser.

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Toutefois, la grimace du nain montrait qu’il pensait le contraire !


Un univers sombre et envoûtant saupoudré de magie et de créatures ensorcelées… Réveillée au beau milieu de la nuit, Anya doit fuir. Fuir pour sauver sa vie. Fuir en laissant derrière elle sa mère, arrêtée par les soldats du Lord de la Nuit, qui fait régner la terreur sur le Möhrland. Mais Anya n’a pas l’intention de suivre les conseils de sa mère et de l’abandonner à son triste sort. Même si cela signifie se jeter dans la gueule du loup... Aidée d’Errol, un jeune comédien, et de son rusé corbeau, avec lequel Anya parvient à communiquer, la jeune fille entame une course contre la mort pour arracher sa mère aux griffes du Lord de la Nuit... et pour découvrir, enfin, le secret de ses origines.

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