Hayao Miyazaki, Architecte de l'animation. Dess(e)in architectural au service de la fiction.

HAYAO MIYAZAKI : ARCHITECTE DE L’ANIMATION DESS(E)IN ARCHITECTURAL AU SERVICE DE LA FICTION

CAMILLE FERRY 2019 MÉMOIRE DE MASTER 2 - R9 - SÉMINAIRE THP GÉNÉALOGIE DU PROJET CONTEMPORAIN ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE D’ARCHITECTURE DE PARIS-MALAQUAIS DOMINIQUE ROUILLARD, PROFESSEUR RESPONSABLE ET DIRECTRICE DE MÉMOIRE

HAYAO MIYAZAKI : ARCHITECTE DE L’ANIMATION

DESS(E)IN ARCHITECTURAL AU SERVICE DE LA FICTION CAMILLE FERRY

Remerciements Je remercie Dominique Rouillard pour ses conseils avisés lors des séances d’encadrement, ainsi que Bérénice Gaussuin et Nathalie Chabiland pour l’attention qu’elles ont porté à mon mémoire et pour la dynamique du séminaire. Merci à Laura Lièvre, de m’avoir convaincue d’écrire sur ce sujet, et à Louise Tanant, pour son soutien et ses conseils. Merci à mes parents, pour leur relecture soignée et attentive. Enfin, merci à Nicolas Dol, pour son accompagnement permanent et sa relecture.

Image de couverture Image détourée personnellement et tirée du film de MIYAZAKI Hayao, Le château

ambulant, Studio Ghibli, 2004, 1h59.

Ce château, totalement imaginé, met en avant la liberté prise par Miyazaki pour le dessin de son architecture. La composition d’éléments tirés du réel forme un tout unique qui s’inscrit dans la fiction. Cet édifice est alors vu comme une machine volante, qui ne respecte en aucun cas les codes traditionnels du château.

Sommaire Sommaire détaillé

7

Introduction

11

I. HAYAO MIYAZAKI, DESSINATEUR SINGULIER ET INSPIRÉ

33

A. Existe-t-il un « style Miyazaki » ?

33

33

A.1. L’architecture fictionnelle d’animation : définir l’objet d’étude

A.2. Éclectisme et hybridation, l’art de la composition

B. Un « Walt Disney japonais » ?

43

B.1. Anachronisme et intemporalité des décors pour mieux servir la fiction

43

B.2. Un dessin précis de l’architecture, l’art du détail

51

B.3. Livrer la vérité aux enfants, l’architecture du tabou

57

35

II. DESSINER L’ARCHITECTURE FICTIONNELLE D’ANIMATION

65

A. Korico, une Europe idéalisée

65

A.1. Paradoxes historiques et conséquences architecturales

65

A.2. Miyazaki urbaniste et cartographe, dessiner la ville idéale

71

A.3. Voyager grâce à l’architecture

77

B. Mettre en scène l’architecture, l’art de la représentation à différentes échelles

87

B.1. L’acte de voler comme prétexte à la découverte du contexte architectural

87

B.2. L’animal comme outil de perception du détail architectural

91

B.3. Les personnages comme médiateurs de l’architecture

95

Conclusion

103

Bibliographie

107

Table des figures

113

5

6

Sommaire détaillé

Introduction

Présentation du sujet État de l’art

Problématique et hypothèses

Corpus et méthodologie

Plan du mémoire

11 11 17 21 23 29

I. HAYAO MIYAZAKI, DESSINATEUR SINGULIER ET INSPIRÉ

33

A. Existe-t-il un « style Miyazaki » ?

33

A.1. L’architecture fictionnelle d’animation : définir l’objet d’étude

33

A.2. Éclectisme et hybridation, l’art de la composition

L’éclectisme à la japonaise

Hybridation architecturale et animale, l’animal comme objet d’architecture

B. Un « Walt Disney japonais » ?

35 35 41 43

B.1. Anachronisme et intemporalité des décors pour mieux servir la fiction Disney, l’héritage des années trente face à Miyazaki, cinéaste novateur Le décor, simple image contextuelle Un décor précis qui participe au récit

43 43 45 47

B.2. Un dessin précis de l’architecture, l’art du détail Penser le décor fictionnel comme une architecture habitable Le décor comme lieu de vie de personnages fictifs

51 51 53

B.3. Livrer la vérité aux enfants, l’architecture du tabou La maladie expliquée aux enfants La maison de retraite, un lieu chaleureux ?

57 57 59

II. DESSINER L’ARCHITECTURE FICTIONNELLE D’ANIMATION

65

A. Korico, une Europe idéalisée

A.1. Paradoxes historiques et conséquences architecturales

L’Europe féérique de l’esprit japonais

Une Europe sans guerre, quelles répercussions sur la ville ?

65 65 65 67

A.2. Miyazaki urbaniste et cartographe, dessiner la ville idéale 71 Dessiner le territoire pour s’assurer de la cohérence spatiale des éléments du récit 71 75 Cartographier la ville étrangère fictionnelle, c’est aussi jouer avec les mots

A.3. Voyager grâce à l’architecture Une ville flottante à la française La Suède à l’honneur Visiter l’Europe en quelques rues

77 77 79 85

7

8

B. Mettre en scène l’architecture, l’art de la représentation à différentes échelles

87

B.1. L’acte de voler comme prétexte à la découverte du contexte architectural L’architecture vue du ciel Filmer une action pour dévoiler le décor

87 87 89

B.2. L’animal comme outil de perception du détail architectural

91

B.3. Les personnages comme médiateurs de l’architecture Les enfants, guides extraordinaires d’une architecture ordinaire Verticalité du parcours architectural, bien cadrer pour mieux comprendre

95 95 97

Conclusion

103

Bibliographie

107

Table des figures

113

9

10

Introduction Présentation du sujet Le rôle de l’architecture dans le cinéma, et particulièrement dans celui de fiction n’est plus à prouver. Elle fait partie intégrante du récit de chaque film, et vient renforcer visuellement une histoire et son contexte. On ne saurait oublier l’Hôtel Overlook du film Shining1 de Stanley Kubrick, sans lequel l’angoisse et l’effroi véhiculés n’auraient pas eu le même effet sur le spectateur. Comment ne pas mentionner également les villes mises en scènes par George Lucas dans la saga Star Wars2 ?

Toutes plus différentes les unes que les autres, ces villes à l’apparence futuriste ne peuvent que plonger le spectateur dans un univers que l’on sait totalement fictif. Que le décor architectural soit imaginé ou basé sur des édifices qui nous sont familiers, l’architecture renforce dans tous les cas la fiction. Soit elle relève d’entrée de jeu du jamais vu, soit c’est le fait d’avoir une histoire improbable, dans un contexte tout à fait familier, qui appuie la fiction du récit. Consciemment ou inconsciemment, l’architecture apparaît alors aux yeux des spectateurs comme un élément à part entière de l’histoire qui leur est contée. Les films d’animation n’échappent pas à la règle. En tant qu’occidentaux, nous sommes bercés depuis notre enfance par les films du studio américain Walt Disney. Ces histoires mettent en scène de nombreux personnages adaptés de recueils de contes ou de romans, qui évoluent, à l’instar d’acteurs réels, dans un contexte architectural qui ne peut être dissocié de l’histoire principale. Ainsi, chaque princesse a son château, les chats ou chiens vivent dans la ville avec les humains, les animaux sauvages dans la savane, la forêt ou la jungle. À chacun l’habitat qui lui correspond et l’architecture reste conforme à l’époque et l’endroit où se passe le récit.

En 2002, ce monde du cinéma d’animation occidental bascule grâce à la sortie du film Le Voyage de Chihiro3, qui remporte l’Ours d’or au Festival du film de Berlin et l’Oscar du meilleur film d’animation en 2003. C’est toute l’Europe qui découvre alors ce qui s’impose comme une alternative aux longs métrages d’animation américains ou européens. Hayao Miyazaki, réalisateur japonais, gagne ainsi peu à peu le cœur des amateurs d’animation en Occident. Considéré comme un maître dans son art au Japon depuis les années 1980, il débute sa carrière en 1963 dans le studio Toei Doga, avec en tête les images de longs métrages comme La Bergère et le Ramoneur4 de Paul Grimault. Dès ses débuts, il travaille sur des adaptations libres de contes occidentaux, notamment ceux de Charles Perrault, comme Le Chat Botté5 de Kimio Yabuki. Au poste 1

KUBRICK Stanley, Shining, 1980, 2h26.

2

LUCAS Georges, Star Wars, films en deux trilogies sortis entre 1977 et 2005.

3

MIYAZAKI Hayao, Le voyage de Chihiro, Studio Ghibli, 2001, 2h05.

4

GRIMAULT Paul, La Bergère et le Ramoneur, 1953, 1h27.

5

YABUKI Kimio, Le chat botté, 1969, 1h20.

11

FIGURE 1 - Photographie d’un village dans la Vallée du Rhondda au Pays de Galles Les maisons mitoyennes colorées alignées sur le flan de la colline sont typiques des villages miniers du Pays de Galles. Miyazaki s’inspire de cette architecture en y faisant un voyage de repérage pour son film Le château dans le ciel.

Photographe et date inconnus.

Source : https://britishheritage.com/when-coal-was-king-in-wales-rhondda-valley-2/

FIGURE 2 - Le village minier sous la brume matinale Ce village, aux maisons mitoyennes et aux toits colorés inspirés des villages de la vallée du Rhondda au Pays de Galles, diffère de la réalité par son emplacement en bord de falaise et par les maisons ancrées dans la roche qui lui font face. Miyazaki s’inspire du réel tout en imaginant un contexte de fiction.

Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Le château dans le ciel, Studio Ghibli, 1986, 2h04.

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d’animateur-clé, il démontre sa capacité à penser l’espace et l’architecture. C’est ainsi qu’en travaillant sur un projet d’adaptation de Fifi Brindacier au début des années 70, il se rend pour la première fois en Europe, plus précisément en Suède, afin d’obtenir les droits d’adaptation auprès de Astrid Lindgren, la créatrice du personnage de Fifi.

La démarche n’aboutie pas, mais Miyazaki revient au Japon avec de nombreux croquis de repérage et de recherches effectués sur place. L’architecture suédoise a fasciné le réalisateur, ce qui le poussera à s’en servir plus tard dans ses films pour la création des décors. Les voyages en Europe s’enchainent ensuite : en Suisse pour s’inspirer des paysages à l’occasion de l’adaptation en série télé de Heidi6, en Italie pour Marco7, et également pour une coproduction avec une chaine de télévision italienne sur la série

Sherlock Holmes8. Au poste de concepteur scénique, il est en charge de la mise en scène dans l’espace des personnages.

En 1985, il fonde avec Isao Takahata le studio Ghibli dans la banlieue verte de Tokyo. Avec son équipe, il se rend au Pays de Galles, dans la région minière de la vallée du Rhondda, pour préparer un de ses premiers longs métrages : Le château

dans le ciel9 sorti en 1986. Il s’est fortement inspiré de la communauté de mineurs et des villages miniers rencontrés pour réaliser son film. En comparant les figures 1 et 2, on constate l’influence du réel sur le dessin. Les mêmes maisons en R+1 mitoyennes alignées le long d’une route sont dessinées, parfois en décalage les unes des autres afin du suivre le dénivelé du terrain. Les cheminées sur chaque toit sont de couleurs différentes avec de nombreuses petites fenêtres en façade, tandis que la verdure entoure le village. Cependant, Miyazaki vient ajouter des éléments nouveaux dans son film. Le village, à défaut de se trouver dans une vallée, a pris place ici au bord d’une falaise, faisant face à deux autres falaises encore plus hautes. Le réalisateur plonge ces maisons fidèles à la réalité dans un décor mystérieux, où le village semble être entouré d’une brume étrange. Un deuxième élément attire ensuite l’œil du spectateur : des bâtiments semblent accrochés aux falaises faisant face au village, et créent en arrière-plan un mur de pierre aux allures de cathédrale percée de multiples ouvertures. On discerne à peine la forme de ces bâtisses, et l’on comprend de quoi il s’agit grâce à celle en second plan en haut à gauche de l’image. Par la brume mystérieuse qui disparait petit à petit, laissant découvrir ces édifices accrochés sur leur falaise, Miyazaki réussi à plonger le spectateur dans un univers fictionnel qui mélange habilement éléments réels et imaginaires.

6 TAKAHATA Isao, Prod. Zuiyo Eizo, Heidi, série télévisée, Fuji Television, Japon, Janvier 1974 - Décembre 1974, 52 épisodes de 24min. Miyazaki est ici en charge des layout, c’est-à-dire de dessiner la composition des images dans le film.

7

TAKAHATA Isao, Prod. Nippon Animation, Marco, série télévisée, Fuji TV, Japon, Janvier 1976 - Décembre 1976, 52 épisodes de 23min.

8

MIYAZAKI Hayao MIKURIYA Kyousuke, Coprod. RAI et TMS, Sherlock Holmes, série télévisée, TV Asashi et Rai 1, Novembre 1984 – Mai 1985, 26 épisodes de 26min.

9

MIYAZAKI Hayao, Le château dans le ciel, Studio Ghibli, 1986, 2h04.

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FIGURE 3 - Croquis en plan et axonométrie de l’intérieur du Palais des bains Ce croquis met en avant la relation entre les bains et l’entrée dans la salle. Miyazaki porte un grand intérêt à la logique de circulation des espaces qu’il imagine.

Image extraite du livre de MIYAZAKI Hayao, ONIKI Yuji, The Art of Miyazaki’s Spirited Away (2001), San Francisco, VIZ Media, 2002, p. 31.

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Au début des années 1990, le studio peut enfin s’autofinancer grâce à la sortie du long métrage Kiki la Petite Sorcière10. A l’instar du village du Château dans le ciel décrit précédemment, c’est cette fois-ci une ville entière inspirée de multiples villes et villages européens que Miyazaki dessine. Toujours entre imaginaire et réalité, il représente la ville européenne idéale à ses yeux, dans un contexte où la guerre n’a jamais existé. Grâce au succès du film, il supervise la construction d’un nouveau bâtiment pour le studio, et dessine lui-même les plans du Musée Ghibli qui ouvre ses portes en 2001 dans le parc Inokashira de Tokyo : Miyazaki se dévoile ainsi architecte.

La diffusion des films du Studio Ghibli dans le monde a sans conteste apporté un nouveau souffle, non seulement sur l’ère de l’animation japonaise, mais également occidentale11. Son approche de l’animation diffère incontestablement de celui de ses confrères. Il tient à conserver autant que possible l’art du dessin à la main, en n’utilisant que très peu l’outil informatique qu’il avoue ne pas maitriser12. Ce qui le démarque reste son approche et son dessin de l’architecture. S’inspirant fortement de sa culture japonaise et de ses valeurs animistes, il reste très attaché à son pays malgré sa fascination pour l’occident, et principalement l’Europe, ce qui l’amène à mélanger les styles architecturaux du passé, tel un architecte éclectique du XIXe siècle. Il dessine ainsi une nouvelle architecture, créant un univers unique. Souvent anachronique et hors du temps, chaque espace dessiné par le réalisateur reste très détaillé. Son perfectionnisme l’amène à travailler visuellement chacun de ses décors.

C’est dans les livres d’art du Studio Ghibli13 que l’on découvre les dessins préparatoires de l’équipe pour chacun des films de Hayao Miyazaki. Sur la figure 3, le travail en amont très précis de l’architecture et de l’espace imaginé est évident. Grâce à des croquis réalisés en coupe, axonométrie et plan, il s’assure que chaque bâtiment ait sa propre logique de circulation et de construction. Sa précision ne s’arrête pas à la logique spatiale, puisqu’il va jusqu’à dessiner la texture des matériaux qu’il utilise. Utilisant l’animal ou l’enfant comme outil pour cadrer de manière spécifique ses décors, il se sert également de ses personnages pour faire découvrir, selon un parcours précis, la 10

MIYAZAKI Hayao, Kiki la petite sorcière, Studio Ghibli, 1989, 1h42.

11

SUNADA Mami, The Kingdom of Dreams and Madness, documentaire, 16 Novembre 2013, 1h58min.

Dans ce documentaire, l’équipe de tournage suit Miyazaki et son équipe dans son atelier lors de la réalisation de son dernier film. Miyazaki parle alors du choix porté au nom du Studio Ghibli. Ce terme, désignant un vent chaud du désert, était utilisé par les pilotes italiens de la seconde Guerre Mondiale afin de désigner leurs avions de reconnaissance. Passionné d’aviation, Miyazaki explique le nom du studio par sa volonté d’imposer « un nouveau souffle à l’animation japonaise ».

12 ARAKAWA Kaku, Never-Ending Man : Hayao Miyazaki, Documentaire NHK, 2016, 70min.

Dans ce documentaire, Miyazaki se dévoile de nouveau durant la réalisation d’un court-métrage de 12 minutes, Boro la petite chenille. Il dessine une fois de plus les layout à la main, supervisant ensuite son équipe qui se charge de dessiner par ordinateur chaque scène du film. On peut alors voir le réalisateur tentant d’apprivoiser les logiciels de dessin en 3D, lui qui ne connait que le papier et le crayon depuis plus de 50 ans.

13

MIYAZAKI Hayao, ONIKI Yuji, The Art of Howl’s Moving Castle (2004), San Francisco, VIZ Media, 2005.

MIYAZAKI Hayao, ONIKI Yuji, The Art of Miyazaki’s Spirited Away (2001), San Francisco, VIZ Media, 2002.

MIYAZAKI Hayao, ONIKI Yuji, The Art of Kiki’s Delivery Service (1989), San Francisco, VIZ Media, 2006.

MIYAZAKI Hayao, L’art de Mon voisin Totoro (1988), Grenoble, tr. fr., Glénat, 2013.

15

16

logique de circulation des espaces.

L’objectif de ce mémoire est de comprendre cette attention portée à l’architecture et de définir par quels moyens Miyazaki arrive à la représenter et la mettre en valeur par rapport au récit. En effet, là est tout le talent du dessinateur et réalisateur : rendre le décor architectural aussi important pour l’histoire que les personnages qui effectuent l’action.

État de l’art Les films de Hayao Miyazaki ont été distribués en Occident très tardivement après leur sortie au Japon et ne sont devenus populaires à l’international que depuis un peu moins de vingt ans. De ce fait, il n’existe que peu d’écrits en français et en anglais sur le sujet. La plupart des ouvrages ou mémoires existants sont en japonais, et ne sont malheureusement pas tous traduits dans leur intégralité. Lors de ces recherches, beaucoup d’articles ou de thèses concernant les films du réalisateur ont été trouvés, dont seul le titre est traduit en anglais14. Peu semblent évoquer l’architecture dans ses films. Ne lisant pas le japonais, ce mémoire est donc basé uniquement sur des documents traduits du japonais ou écrits par des auteurs occidentaux.

Depuis une vingtaine d’année donc, Hayao Miyazaki et ses films ont fait l’objet d’ouvrages et de documentaires autour de diverses thématiques. En 2003, Nicolas Bernard, professeur de français vivant au Japon près du Studio Ghibli, signe une biographie sur le cinéaste intitulée Hayao Miyazaki, souffleur de rêve, pour retracer son parcours personnel et professionnel sous forme romancée. Finalement, suite à un courrier de Miyazaki lui-même, les éditions Presse-Temps annoncent en janvier 2004 que la publication n’aura pas lieu. En effet, le réalisateur n’apprécie guère que l’on interprète à sa place le point de vue qu’il porte sur son travail. Lors d’une interview pour le magazine Animeland en 200015, Miyazaki disait d’ailleurs : « […] Cela vous semblera peut-être bizarre, mais dès lors qu’on leur applique des mots, les choses me semblent se transformer instantanément en une boue informe… C’est pourquoi, quand je fais un film, je ne le « mets pas en mots », je ne cherche pas à coucher par écrit le film que je réalise, et ma façon de voir les choses est de m’opposer à ce qu’on le fasse […] Ce que je veux réaliser, je n’ai pas envie de l’exprimer par des mots… En tant que cinéaste, je ne m’intéresse pas aux lectures et interprétations appliquées à ce que racontent mes films. Et en même temps, je pense que ceux qui tentent ainsi de voir ces films dans l’optique d’en retranscrire quelque chose, à l’oral ou à l’écrit, 14

La base de donnée bibliographique en ligne Cinii est notamment la plus complète de son genre, regroupant les ouvrages se trouvant dans les bibliothèques académiques japonaises. Disponible sur : https://ci.nii. ac.jp/.

15

Interview de Hayao Miyazaki dans Animeland, hors-série n°3, Janvier 2000.

17

18

sont condamnés à une vision incomplète du film. Et il n’y a rien à faire… Or la plupart des critiques de cinéma perçoivent le cinéma d’un point de vue limité au langage… ».

Seul maître de sa vision des choses, il publie en 1996 un ouvrage intitulé Shuppatsu-

ten16. Traduisible par « point de départ », il s’agit d’un recueil d’articles, d’entretiens et de travaux graphiques personnels résumant sa carrière depuis 1979. Il retranscrit ici son avis et ses pensées sur le monde de l’animation, mais également sur sa vie et son travail, ainsi que sur tous les domaines qu’il aborde dans ses films comme la société moderne, l’humain et la nature, l’architecture ou encore l’écologie. Il fait de même dans un deuxième ouvrage intitulé Orikaeshi-ten 1997-200817, (pouvant être difficilement traduit par « point de patinage »18) qui vient compléter le premier.

En dehors des ouvrages du réalisateur lui-même, d’autres chercheurs ou spécialistes du monde du cinéma ont tout de même tenté d’expliquer ses films d’un point de vue autre que celui des problèmes de société ou de destruction de la planète par l’humain qu’il évoque explicitement dans ses œuvres. Emmanuel Trouillard, doctorant en géographie, apporte en 2013 une nouvelle approche de ces films en abordant la question de la spatialité. Dans Le poids de l’espace dans l’œuvre de

Hayao Miyazaki19, il tente de définir la nature des espaces fictionnels dessinés par le réalisateur en étudiant géographiquement les divisions territoriales et la mobilité des personnages présents dans le récit. En ce sens, cet article constitue un premier lien avec notre sujet, sans toutefois parler directement d’architecture. En 2013 également, Raphaël Colson et Gaël Regner, dans leur livre intitulé Hayao Miyazaki, cartographie

d’un univers20, approfondissent cette notion d’espace et de géographie. Ils évoquent très clairement, mais dans de courts paragraphes répartis dans l’ouvrage, l’influence de l’Europe et du Japon sur les paysages et l’architecture des films. Abordant de nombreux exemples concrets de bâtiments dont Miyazaki et son équipe ont pu s’inspirer pour leurs décors, le sujet n’est cependant jamais approfondi sur le plan architectural. Ils préfèrent réaliser une analyse partielle du rôle de la ville ou de la maison dans leur généralité en utilisant un vocabulaire de sociologue plutôt que d’architecte. Se rapprochant d’autant plus de notre sujet d’étude, Emilie Gransard termine en 2015 l’écriture de son mémoire de Master en architecture : Hayao Miyazaki :

un dessin de l’architecture. Spatialité et architecture dans l’œuvre de Miyazaki, entre

16

MIYAZAKI Hayao, Shuppatsu-ten 1979-1996, Tokuma Shoten, Nibariki, 1996.

17

MIYAZAKI Hayao, Orikaeshi-ten 1997-2008, Iwanami Shoten, Tokyo, 2008.

18

Pour ces traductions du japonais, je me base sur la note de bas de page 219 de la publication de LE ROUX Stéphane, Hayao Miyazaki, cinéaste en animation : poésie de l’insolite, thèse en cinéma, sous la direction de Jean-Pierre Berthomé et Gilles Mouëllic, Université de Rennes II, L’Harmattan, Paris, 2011, p. 152.

19

TROUILLARD Emmanuel, « Le poids de l’espace dans l’œuvre de Hayao Miyazaki », in Géographie et cultures, n°88, L’Harmattan, 2013, pp. 233-247.

20

COLSON Raphaël, REGNER Gaël, Hayao Mizayaki, cartographie d’un univers, Lyon, Les moutons électriques, Bibliothèque des miroirs BD, Octobre 2013.

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20

Europe et Japon21. Celle-ci procède par des descriptions film par film, où là encore, les références à l’architecture européenne ou japonaise ne font qu’être évoquées, sans analyse poussée. Sans jamais citer ses sources, l’auteure se contente d’énumérer quelques éléments d’architecture japonaise et européenne présents dans chaque film, images à l’appui, ne mettant que rarement des éléments du réel et de la fiction en confrontation. Il en va de même pour sa mise en lien avec les dessins animés de Walt Disney, où la comparaison n’est faite que brièvement, sans jamais parler d’architecture.

Ce document sert donc de base pour la recherche d’éléments architecturaux réels réinterprétés par Miyazaki ou encore la notion de parcours présente dans ses films, mais ne peut être considéré comme une analyse développée de l’architecture dans la fiction d’animation de Hayao Miyazaki. Taos Merad, dans son article pour la revue MEI intitulé « La maison chez Miyazaki : rêve et quotidien »22, est celui qui se rapproche le plus du sujet de ce mémoire. Analysant et comparant la représentation de la maison dans les œuvres du maître, il aborde les questions de seuil et de franchissement, mais aussi la conception de l’habitat par sa matérialité et son usage dans un univers imaginé de toutes pièces. Cette analyse se limite cependant à la figure seule de la maison, et non à la représentation et au rôle de l’architecture en général dans le cinéma d’animation fictionnel de Miyazaki.

Le manque de documents abordant précisément la question de l’architecture fictionnelle d’animation dans les œuvres de Miyazaki amène à s’intéresser aux influences architecturales du réalisateur et à la manière dont il la représente et la met en scène par le dessin, se démarquant du cinéma d’animation que nous connaissons tous.

Problématique et hypothèses L’aperçu des diverses thématiques liées à l’humain et à la nature dans les films de Miyazaki, faisant référence à la société moderne et à sa façon de vivre sur le territoire actuel, invite à s’interroger sur la manière dont il conçoit l’architecture pour les personnages de ses films. Comme mentionné au début de cette introduction, Miyazaki a beaucoup voyagé et ne cache pas sa fascination pour l’architecture occidentale et européenne, très différente des traditions japonaises. Il s’amuse ainsi à créer de nouveaux codes architecturaux jamais vus auparavant dans les films d’animation.

Loin d’avoir inventé cette technique visant à concilier les styles architecturaux, on ne peut cependant que saluer l’attention et la précision portée sur les décors. Nous 21 GRANSARD Emilie, Hayao Miyazaki : un dessin de l’architecture. Spatialité et architecture dans l’œuvre de Miyazaki, entre Europe et Japon, Mémoire en Architecture, sous la direction de Henry Pouillon, Tournai, Saint Luc UCL-LOCI, janvier 2015.

22

MERAD Taos, « La maison chez Miyazaki : rêve et quotidien », Médiation Et Information, n°27, 2007.

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nous demandons donc comment Miyazaki, par le dessin et la mise en scène de son architecture, crée un univers fictionnel unique en son genre.

Le lien entre le cinéaste et l’architecte ne semble pas être une évidence.

Pourtant, pour chacun de ses films, Hayao Miyazaki réalise des voyages et recherches préparatoires, visant à s’informer sur les styles architecturaux qui l’inspirent pour la création de ses décors. Ne cherchant pas à reproduire fidèlement l’existant, il mélange, à la manière des architectes éclectiques occidentaux du XIXe siècle, les éléments traditionnels de l’architecture japonaise et ceux de l’Occident. De cet éclectisme surgit deux hypothèses. La première serait que, pour des films destinés initialement à un public japonais ancré dans ses traditions, l’ajout d’une architecture occidentale au centre d’un récit basé sur une culture et des usages japonais relèverait instantanément de la fiction. Même si les histoires contées par le réalisateur s’inscrivent dans un univers de fiction et de mythes étrangers à ce que nous connaissons en Occident, nous émettons la seconde hypothèse que grâce à cet éclectisme poussé à son paroxysme, Miyazaki se détache ainsi d’autres réalisateurs de films d’animation. Dans les films de Walt Disney23 par exemple, les décors sont très proches du réel, et donc fidèles à l’époque et au lieu où se déroule l’action. Au contraire, le contexte architectural de Miyazaki, à mi-chemin entre l’imaginaire et le réel, est généralement anachronique et hors du temps.

Corpus et méthodologie Ces recherches ont débutées avec le visionnage de la totalité de l’œuvre de Miyazaki, et en particulier six films : Le château dans le ciel24, Mon voisin Totoro25,

Kiki la petite sorcière26, Le voyage de Chihiro27, Le château ambulant28 et Ponyo sur la falaise29. Le simple visionnage de ces films permet d’entrer dans les différentes thématiques abordées par le réalisateur et d’avoir une approche directe sur le monde unique qu’il crée. Afin de mieux connaitre le réalisateur, des sites internet comme Buta-connection30 ou Nausicaa.net31 sont des points de référence quant à sa

23 Nous parlons ici des longs-métrages des studios Disney depuis les années 1940, et non des nombreux courts-métrages réalisés qui ne sont pas pris en compte dans ce mémoire.

24

MIYAZAKI Hayao, Le château dans le ciel, Studio Ghibli, 1986, 2h04.

25

MIYAZAKI Hayao, Mon voisin Totoro, Studio Ghibli, 1988, 1h40.

26

MIYAZAKI Hayao, Kiki la petite sorcière, Studio Ghibli, 1989, 1h42.

27

MIYAZAKI Hayao, Le voyage de Chihiro, Studio Ghibli, 2001, 2h05.

28

MIYAZAKI Hayao, Le château ambulant, Studio Ghibli, 2004, 1h59.

29

MIYAZAKI Hayao, Ponyo sur la Falaise, Studio Ghibli, 2008, 1h43.

30

MICHAUT Xavier (admin.), Buta-connection.net, Paris, 2000. Site francophone de référence sur tout ce qui touche au studio Ghibli.

31

JOHNSON Michael S. (dir.), Nausicaa.net, Etats-Unis. Site en anglais, qui recense notamment les publications à l’international autour des films et des réalisateurs du studio Ghibli.

23

24

biographie et son travail, ainsi que le magazine AnimeLand32, qui publie régulièrement des entretiens et articles sur le maître de l’animation ainsi que des analyses de films.

Les deux ouvrages Shuppastu-ten33 et Orikaeshi-ten34 mentionnés dans l’état de l’art et écris par Miyazaki lui-même forment cependant une source sûre quant à sa manière de penser son travail et le monde qui l’entoure. De manière plus générale, l’ouvrage

Hommage au Studio Ghibli, Les artisans du rêve35, regroupe de nombreux articles retraçant chronologiquement le parcours du studio Ghibli et de la sortie de chacun des films, mettant en avant l’influence européenne, sorte de « pointe d’exotisme pour le public japonais »36.

Une fois les connaissances acquises à propos de la vie du réalisateur et de son parcours professionnel, la lecture d’ouvrages de recherches sur son travail a été d’une aide précieuse. Parmi l’un des premiers publiés en Occident, l’ouvrage d’Helen McCarthy, Hayao Miyazaki, Master of Japanese Animation37, constitue une première approche occidentale sur sa production cinématographique de la fin du XXe siècle.

Destiné à un public américain ancré dans une tradition Disneyenne, l’auteure révèle un Miyazaki méticuleux de son travail, qui voit son art de l’animation comme un moyen de mettre en exergue ses préoccupations humanistes et environnementales.

En 2008, Vincent-Paul Toccoli et Gersende Bollut publient également un essai sur le maître de l’animation japonaise autour de deux axes principaux qui sont la quête de spiritualité et la sensibilité écologique38. Se basant sur trois de ses films majeurs (Nausicaä de la vallée du vent, Mon voisin Totoro et Princesse Mononoké), ils tentent d’expliquer les choix de mise en scène et les thèmes récurrents liés à la nature et l’animal dans son œuvre. Un troisième ouvrage nous servira de référence quant à la technique de cinéaste utilisée par le maître. Stéphane Le Roux publie sous forme de livre sa thèse en cinéma en 2011 intitulée Hayao Miyazaki, Cinéaste en animation :

poésie de l’insolite39 et centre son étude sur des questions de mise en scène en dessins animés, ainsi que sur la recherche d’un certain réalisme dans ces œuvres à priori vouées à l’imaginaire. A l’instar de ce que nous tentons de faire dans ce mémoire

32 Notamment AnimeLand, hors-série n°3, spécial Ghibli, Janvier 2000, considéré longtemps comme l’ouvrage francophone de référence sur les cinéastes de Ghibli.

33

MIYAZAKI Hayao, Starting Point 1979-1996, VIZ Media, San Francisco, 2009. Traduction en anglais de Shuppatsu-ten (1996) par CARY Beth et L. SCHODT Frederik.

34

MIYAZAKI Hayao, Turning Point 1997-2008, VIZ Media, San Francisco, 2014. Traduction en anglais de Orikaeshi-ten (2008) par CARY Beth et L. SCHODT Frederik.

35

JOLLOIS Emilie (dir.), Hommage au Studio Ghibli, les artisans du rêve, Paris, YNNIS Editions, 2017.

36

SUVILAY Bounthavy, « Existe-t-il un style Ghibli ? », in JOLLOIS Emilie (dir.), Hommage au Studio Ghibli, les artisans du rêve, Paris, YNNIS Editions, 2017, pp. 90-97.

37

MCCARTHY Helen, Hayao Miyazaki : Master of Japanese Animation (1999), Stone Bridge Press, Berkeley, 2002.

38

TOCCOLI Vincent-Paul, BOLLUT Gersende, Miyazaki l’enchanteur, Amalthée, Collection Japon d’hier, d’aujourd’hui et de demain, Nantes, France, 2008.

39 LE ROUX Stéphane, Hayao Miyazaki, cinéaste en animation : poésie de l’insolite, thèse en cinéma, sous la direction de Jean-Pierre Berthomé et Gilles Mouëllic, Université de Rennes II, L’Harmattan, Paris, 2011.

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en parlant de l’architecture dessinée par Miyazaki, il met en avant le lien ambigu entre l’univers fantastique qu’il crée et les situations ou objets du quotidien, relevant à la fois du concret et du réel. Enfin, en Juillet 2018, Gaël Berton publie un livre intitulé

L’œuvre de Hayao Miyazaki, le maître de l’animation japonaise40, dans lequel il s’attache à analyser l’intégralité de l’œuvre du réalisateur, souvent réduite à une poignée de longs-métrages. Il met en avant la difficulté pour les occidentaux d’appréhender les éléments culturels japonais très présents, et décrypte les thématiques et les lectures transversales possibles pour chacun de ses films.

Afin de comprendre en quoi Hayao Miyazaki diffère des autres réalisateurs de films d’animation, il a été inévitable de se renseigner davantage sur le cinéma d’animation en général comme avec Les Âmes dessinées, du Cartoon au Manga41, de Luca Raffaelli, qui analyse les productions de Disney et d’autres productions américaines ainsi que japonaises, ou encore Masters of Animation, McCay, Disney,

Henson, Miyazaki42 de John Grant. La lecture d’ouvrages comme Génération Manga : Petit guide du manga et de l’animation43 de Jérôme Schmidt ou encore The Complete Anime Guide : Japanese animation directory and ressource guide44 de Trish Ledoux et Doug Ranney a servi de base quant à la compréhension du monde du manga et de l’animation japonaise. Enfin, afin de documenter l’analyse des productions du studio Walt Disney dans le but des les comparer à celui de Ghibli, l’ouvrage de Robert Benayoun intitulé Le Dessin animé après Walt Disney45, ou encore celui de Christopher Finch, L’Art de Walt Disney : de Mickey à Mulan46 ont également été étudiés.

Plus généralement, puisque le sujet de ce mémoire, au-delà du cinéma de Hayao Miyazaki, concerne bien l’architecture, il a été nécessaire de se concentrer sur des ouvrages plus spécifiques à propos de l’histoire de l’architecture japonaise, mais également occidentale. Pour ce faire, le livre de Junichirô Tanizaki, Éloge de l’ombre47, a été une bonne entrée en matière quant à l’analyse du mélange entre culture japonaise et occidentale au Japon. Plus spécifiquement, l’article intitulé « Le tatami et la spatialité japonaise »48 de Mizuki Saito Cruz, Masatsugu Nishida et Philippe Bonnin 40

BERTON Gaël, L’œuvre de Hayao Miyazaki, le maître de l’animation japonaise, Toulouse, Third Editions, 2018.

41

RAFFAELLI Luca, Les Âmes dessinées, du Cartoon au Manga (1996), Paris, tr.fr. de FOURNIER Marie-Dominique, Dreamland, 1997.

42

GRANT John, Masters of Animation, McCay, Disney, Henson, Miyazaki, New York, Watson-Guptill, 2001.

43

SCHMIDT Jérôme, Génération Manga : Petit guide du manga et de l’animation, J’ai lu, Librio, Paris, 2004.

44

LEDOUX Trish et RANNEY Doug, The Complete Anime Guide : Japanese animation directory and ressource guide, Washington, Tiger Moutain, 1997.

45

BENAYOUN Robert, Le Dessin animé après Walt Disney, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1961.

46

FINCH Christopher, L’Art de Walt Disney : de Mickey à Mulan, Paris, La Martinière, 1999 (traduit de l’anglais par Christian Jeanmougin).

47

TANIZAKI Junichirô, Éloge de l’ombre (1933), Lagrasse, tr.fr., Ed. Verdier, 2011.

48

SAITO CRUZ Mizuki, NISHIDA Masatsugu et BONNIN Philippe, « Le tatami et la spatialité japonaise », in Ebisu, n°38, 2007, pp. 55-82.

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explique très clairement les principes de l’architecture traditionnelle japonaise liée à la mesure du tatami. Côté Occident, les recherches se sont portées principalement sur l’architecture éclectique du XIXe siècle, avec la lecture de la note de synthèse de Lorenzo Paredes Aristeiguieta intitulée L’éclectisme en architecture49, mais surtout le livre Jean-Pierre Epron, Comprendre l’éclectisme50, publié en 1997.

Enfin, en ce qui concerne les illustrations sur le studio Ghibli ou Walt Disney présentées dans ce mémoire, la plupart proviennent de captures d’écran personnelles des films étudiés, permettant de choisir l’image d’une scène illustrant le mieux notre propos. Les autres sont extraites principalement des livres d’arts mentionnés au début de cette introduction.

Plan du mémoire Ce mémoire est articulé en deux temps. Afin de mieux comprendre ce que pourrait être le « style Miyazaki », la première partie s’applique à définir davantage le terme d’architecture fictionnelle d’animation en général. Miyazaki n’étant pas architecte, c’est d’abord l’architecture du rêve et de son propre idéal qu’il dessine dans ses films. L’animation permet cette grande liberté d’imagination et n’impose aucune limite liée à la construction de décors ou à la logique de la réalité, puisqu’il suffit d’un crayon et d’une feuille pour représenter et mettre en scène les images qu’il a en tête. Cela se traduit par un éclectisme architectural évident dans la composition de ses décors, mais aussi par une hybridation animale. L’animal devient alors objet architectural, conçu comme le serait un édifice, jouant avec les proportions et l’assemblage de ce que l’on connait déjà. La comparaison avec un autre studio maître dans l’animation comme Walt Disney fait ensuite l’objet d’une analyse dans l’objectif de mettre en avant la singularité du cinéaste dans sa manière d’utiliser l’architecture.

L’anachronisme et l’intemporalité des décors appuient la fiction tandis que ceux de Walt Disney s’intègrent dans une temporalité et un espace connu en concordance avec le récit, qui lui seul est imaginé. Le dessin précis de l’architecture par rapport au dessin des personnages, mais également les thématiques abordées dans ces films destinés aux enfants contrastent avec le studio américain, bien que l’on reconnaisse certaines similitudes évidentes.

Le deuxième temps s’attache à étudier la façon dont Miyazaki dessine cette architecture fictionnelle d’animation. En créant une ville entière à l’image de son idéal 49

PAREDES ARISTEIGUIETA Lorenzo, L’éclectisme en architecture, note de synthèse pour le Diplôme Supérieur de Bibliothécaire, sous la direction de Michel Paulin et Bernard Duprat, professeurs à l’École d’Architecture de Lyon, Université Claude Bernard Lyon I, 1991.

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EPRON Jean-Pierre, Comprendre l’éclectisme, Paris, Norma Editions, Institut Français d’Architecture, 1997.

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architectural européen, il dévoile également ses talents d’urbaniste et de cartographe.

Grâce à cette ville tirée du film Kiki la petite sorcière, il fait voyager le spectateur dans un univers unique mêlant tous les codes urbains occidentaux. C’est ce mélange qui, une fois de plus, participe à la fiction du récit. Enfin, la manière dont il met en scène cette architecture par le jeu des échelles, utilisant des cadrages et prises de vues propres au cinéma, lui permet de faire découvrir au spectateur tous les aspects de ses décors. Points de vue aériens ou très près du sol, les personnages humains comme animaux lui servent alors de médiateurs de son architecture.

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FIGURE 4 - « Cities Moving », Ron Herron Structures complexes composées d’éléments divers, ce sont des villes entières qui se déplacent, traversant les océans. Leurs pieds téléscopiques et leur image d’architecture-machine rappelle celle du château ambulant de Hayao Miyazaki ci-dessous.

Collage, 1964, photo archives Archigram, MoMa. Source : https://www.thedailybeast.com/imagine-a-world-of-walking-cities-ron-herron-did-3?ref=scroll

FIGURE 5 - Le château ambulant se déplaçant dans les landes

Ce château rappelle la walking city de Ron Herron, de par son aspect de machine mouvante.

Les tubes semblables à des canons ou des cheminées sortant de la structure font échos aux pieds téléscopiques des walking cities. Composé d’un amas de différentes choses hétéroclites, il forme cependant un tout unique.

Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Le château ambulant, Studio Ghibli, 2004, 1h59.

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I. HAYAO MIYAZAKI, DESSINATEUR SINGULIER ET INSPIRÉ A. Existe-t-il un « style Miyazaki » ?

A.1. L’architecture fictionnelle d’animation : définir l’objet d’étude

L’architecture fictionnelle, c’est d’abord l’architecture du rêve et de

l’imagination. Appuyant un récit fantastique ou s’intégrant dans un récit tout à fait réaliste afin d’interloquer le spectateur, l’architecture fictionnelle nous fait rêver, penser, voyager, nous questionner. D’une certaine façon, elle permet de dénoncer l’architecture et le courant de pensée existants d’une époque, de les critiquer et de les remettre en question. À l’image de Superstudio, Archizoom, Archigram ou encore Yona Friedman, qui ont tous tenté par une approche différente de l’architecture et de sa représentation de remettre en question la société, Hayao Miyazaki, lui aussi, par son dessin de l’architecture aspire au même but. Dessiner une architecture nouvelle, la représenter par des codes différents, comme les bandes dessinées de Peter Cook ou les nombreux collages de Yona Friedman et de Superstudio. Bien sûr, Miyazaki n’est ni architecte, ni sociologue. Sa démarche du dessin d’architecture s’inscrit uniquement dans un but de divertir les spectateurs par les films qu’il réalise. Il se contente de dessiner l’architecture qui le fait rêver, celle dans laquelle il aimerait vivre, celle du passé aujourd’hui disparue, ou au contraire celle du futur encore jamais vue. Il n’est dit nulle part que Miyazaki connaisse ces groupes d’architectes cités plus haut, étant bien éloignés de la culture nippone. Cependant, on ne peut que faire un lien visuel entre certains éléments dessinés par le réalisateur japonais et ceux d’Archigram51 par exemple. Prenons la Walking City imaginée par Ron Herron en 1964. Ses collages et dessins, représentant des énormes structures, villes mobiles, se déplaçant tels des insectes géants sur des piliers télescopiques, ne peuvent que nous rappeler le château du film Le Château Ambulant52. En comparant les figures 4 et 5, on retrouve des similarités dans la forme et la manière de se mouvoir. Structures complexes composées de multiples éléments, on observe les cheminées et autres tubes faisant penser à des canons militaires. Architectures imposantes et intimidantes, les deux se veulent parées à toutes épreuves, l’une traversant la mer et les déserts et transportant une cité entière, tandis que l’autre parcours sans fin les montagnes escarpées, se cachant de la ville telle qu’on la connait. Avec ces machines mouvantes artificielles au milieu de paysages naturels, l’architecture fictionnelle est ici à son apogée.

Cette notion d’architecture mobile pour les habitants a été théorisée et diffusée par Yona Friedman dans les années 1950, puis développée par Archigram 51

Architecte britannique connu pour avoir fondé en 1961 avec d’autres le mouvement Archigram, revue avant-gardiste architecturale qui vise principalement à remettre en question la société de consommation et de communication.

52

MIYAZAKI Hayao, Le château ambulant, Studio Ghibli, 1h59, 2004.

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comme nous venons de le voir. Ces théories, jugées utopistes voire contre-utopistes, sont également reprises par Miyazaki. L’image du château tel qu’on se l’imagine, ce n’est certainement pas le château ambulant aux apparences rouillées que l’on peut voir dans le film. C’est une image contre-utopiste du château de princesse que nous dévoile Miyazaki, imaginant morceau par morceau cette architecture mouvante aux allures futuristes. Pourtant, lors de la visite du château par les personnages, il semblerait que l’on puisse y vivre agréablement, l’espace intérieur ne reflétant absolument pas la façade extérieure. Le fait est que ce château a été conçu pour des personnages particuliers, en l’occurrence des sorciers. Il se déplace donc au gré de ses envies, loin de la civilisation humaine, afin de ne pas attirer l’attention malgré son allure peu commune. Déplacer son lieu de vie, c’est aller où l’on veut, tout en gardant son confort et ses habitudes liées à la notion de foyer, comme le suggérait la Walking

City.

Dessiner une architecture pour une œuvre d’animation, c’est également l’opportunité d’avoir une totale liberté de créativité. Grâce au dessin, rien n’est impossible. On peut créer des structures nouvelles, ne pas se soucier des détails d’assemblage et de statique. L’absurdité de l’architecture parait alors tout à fait cohérente au sein de l’univers fictionnel du cinéma d’animation. Comme son nom l’indique, le dessin-animé permet d’animer des images fixes et de leur donner vie.

De dessin d’architecture, on passe à une architecture vivante, qui peut être à la fois réaliste et improbable, statique et mobile. Dans la fiction d’animation, l’architecture est ainsi libre d’être comme on le souhaite, sans soucis techniques, ce qui est également le cas dans tous les films dont les décors sont aujourd’hui dessinés par ordinateur.

Cependant, pour ces derniers, la présence d’acteurs réels oblige une certaine fidélité à la réalité, aux matériaux, à la couleur, qui n’a pas lieu d’être dans les films d’animation, puisque les personnages sont eux aussi dessinés. La liberté architecturale est donc plus grande et plus facile en animation qu’ailleurs, et permet notamment de créer des styles architecturaux jamais vus auparavant.

A.2. Éclectisme et hybridation, l’art de la composition

L’éclectisme à la japonaise Le « style Miyazaki » peut s’apparenter à celui d’un architecte éclectique du XIX siècle. Concevoir « le beau, le vrai, l’utile », cette expression empruntée à e

Victor Cousin, inventeur de l’éclectisme en philosophie et reprise par César Daly pour définir l’éclectisme en architecture53, s’applique parfaitement aux décors des films de Miyazaki. À l’image de ces architectes, qui, privés d’une théorie de l’architecture 53

EPRON Jean-Pierre, Comprendre l’éclectisme, Paris, Norma Editions, Institut Français d’Architecture, 1997, p.11-12.

35

FIGURE 6 - « Mise en page éclatée complète des pièces » par Mitsunori Kataama Tous les éléments du château ont été dessinés au préalable à la main, puis assemblés par ordinateur dans une logique précise et réfléchie selon un plan polygonal.

Image extraite du livre de MIYAZAKI Hayao, ONIKI Yuji, The Art of Howl’s Moving Castle (2004), San Francisco, VIZ Media, 2005, p. 77.

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autrefois imposée par l’Académie Royale, se retrouvent à discuter librement du projet de leur société, Miyazaki, lui aussi, cherche à discuter de la société actuelle à travers ses œuvres. Loin d’apporter un point de vue manichéen ou négatif sur les problèmes de notre temps, il s’attache simplement à constater des faits réels et à les exprimer à travers des histoires fictionnelles. Sans prétendre à une quelconque solution, il décrit à la fois les éléments du passé et ceux à venir, en les composant harmonieusement.

Cette composition se fait d’ailleurs à la fois sur le plan du récit et sur le plan architectural. Tout comme les édifices des architectes éclectiques de l’époque, les films de Miyazaki sont des témoignages et des sources de débats compris dans une démarche de transition entre le passé, le présent et le futur. Ne pas rompre avec les traditions, et donc l’histoire du Japon, voilà le maître-mot du réalisateur. Cela ne l’empêche pas d’ajouter dans ses films de nombreux éléments purement occidentaux.

Ce lien entre art, progrès, traditions et valeurs nouvelles54 est propre à l’éclectisme architectural du XIXe siècle en France et en Europe. Le principal est que l’objet créé, composé d’éléments divers et variés tirés d’un corpus de références en constante transformation, forme un tout unique. Ça ne doit en aucun cas être un simple collage d’éléments hétéroclites assemblés au hasard, mais plutôt le fruit d’une réflexion sur les besoins du siècle en cours et sur l’utilité de continuer à faire de l’architecture.

L’unité dans l’hétéroclite a été beaucoup critiquée, notamment par Violletle-Duc, qui dénonçait un « mauvais éclectisme », celui du « vague » : « Ces artistes affirment que, de cet amas de documents, il sortira l’architecture de l’avenir. Peutêtre, mais en attendant, celle du présent n’exprime le plus souvent que le désordre et la confusion dans les idées »55. Désordre et confusion sont des mots que l’on pourrait appliquer également à l’architecture dessinée par Miyazaki. Prenons le château du film Le Château Ambulant56, exposé précédemment en figure 5. Ce dernier semble être composé d’un amas de différentes choses : des cheminées, un mât de bateau, beaucoup de métal, mais également de petites maisons aux tuiles rouges, une chapelle en bois, et bien d’autres éléments difficiles à cerner aux premiers abords.

Miyazaki, afin de créer ce château, a eu recours cette fois-ci à l’outil informatique.

C’est Mitsunori Kataama, le Directeur de l’Animation Digitale pour le film, qui a été chargé de composer avec chaque élément distinct dessiné du château, et de les coller un par un, dans une logique réfléchie et précise, formant un tout unique. La figure 6 nous montre une planche éclatée de toutes les parties du château, qui ont ensuite été assemblées par ordinateur selon un plan polygonal. Ainsi, d’une certaine 54

Ibid., p. 171.

55

VIOLLET-LE-DUC Eugène, Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, tome 9, article « Unité », Edition Bance-Morel, Paris, 1854-1868.

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MIYAZAKI Hayao, Le château ambulant, Studio Ghibli, 1h59, 2004.

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FIGURE 7 - Le château ambulant, épuisé de sa déambulation dans les Landes Imaginé comme un personnage vivant du récit, le château exprime ses sentiments. Dans cette scène, celui-ci marche depuis des heures et semble exténué. Tel un animal, il tire la langue et tel une machine sur le point de céder, de la fumée noire sort de ses cheminées.

Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Le château ambulant, Studio Ghibli, 2004, 1h59.

FIGURE 8 - Le château ambulant se repose au bord du lac Après un long périple, le château se repose au bord de l’eau, les jambes repliées sur le côté.

Ses cheminées en éventail, la fumée noire disparait peu à peu. Il ouvre la bouche, exprimant ce qui pourrai être interprété par un soupir de soulagement. La machine devient animal, avec ses propres sentiments et expressions.

Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Le château ambulant, Studio Ghibli, 2004, 1h59.

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manière, en composant ces éléments à la fois techniques et décoratifs, Miyazaki annonce la possibilité d’une nouvelle architecture. Un château doit-il ressembler à ce que nous connaissons tous et respecter les codes architecturaux qui lui sont propres ? Ne peut-on pas dire de cette énorme machine composée d’éléments divers et variés qu’il s’agît d’un château ? Miyazaki en tous cas ne se gêne pas pour le faire, et casse les règles admises jusque-là en architecture. S’il dit que c’est un château, c’en est un, peu importe qu’il s’agisse en apparence d’un monticule fumant de métal se déplaçant difficilement sur ses pattes telles celles d’un oiseau.

Il crée ses propres règles, invente et compose, afin d’imaginer en quelques sortes l’architecture de demain, ou du moins l’architecture qui lui est utile pour appuyer son récit. Mélanger les styles, les époques et les techniques architecturales ne semble déranger personne, imposant aux yeux du public une architecture nouvelle, entre passé et futur, mais aussi entre rêve et réalité. Inscrits dans un univers fictionnel, ses bâtiments prennent vie, et font intégralement partie du récit. C’est pourquoi il porte une importance considérable au travail de la façade et de la matérialité.

Le château ambulant a été dessiné comme un vrai personnage, qui pense et se déplace par lui-même. Il est tantôt épuisé de sa déambulation dans les Landes, tirant la langue et relâchant sa fumée noire, tantôt couché, se reposant au bord d’un lac, comme le montrent les figures 7 et 8. Son corps articulé réagit à son environnement et semble se transformer en fonction de l’action en cours. De monticule rouillé, le château offre toute sa composition de matériaux et de formes lorsque l’on s’approche un peu plus près. Sur la figure 9, on découvre un balcon en bois et métal, avec son auvent en tissus rouge et blanc, qui se juxtapose, au troisième plan de l’image, à un édifice tout à fait inattendu. Ce dernier en effet comporte une façade de pierres rouge, des cadres de fenêtres en bois peints en vert et un toit aux tuiles rouges. On remarque également des volets en bois, qui contrastent avec le premier plan de l’image, carcasse métallique rouillée qui semble constituer la majorité du château.

Miyazaki nous montre ici une image non classique du château rencontré dans les dessins animés pour enfants. Loin de l’image caricaturale du superbe château de princesse qui éblouit par sa grandeur et sa magistralité, l’objet-architecture devient objet-vivant. Il se transforme et se déforme, à l’image d’un animal se déplaçant lentement sur son territoire, supportant à lui seul le poids de la technologie humaine polluant des paysages pourtant magnifiques.

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FIGURE 9 - Sophie regarde par le balcon du château Le balcon, en bois et métal, contraste avec le bâtiment de briques au troisième plan et la caracasse métallique rouillée au premier plan de l’image. Le château offre alors au spectateur toute la complexité de sa composition.

Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Le château ambulant, Studio Ghibli, 2004, 1h59.

FIGURE 10 - Totoro, Satsuki et le chat-bus en haut du camphrier Totoro, emblème de la jeunesse japonaise, est un mélange de multiples animaux connus afin d’en créer un nouveau. Le chat-bus quant à lui s’inspire d’un mythe connu au Japon, le bakeneko, et n’est pas sans rappeler dans son sourire le chat du Cheshire d’Alice au Pays des merveilles.

Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Mon voisin Totoro, Studio Ghibli, 1988, 1h40.

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Hybridation architecturale et animale, l’animal comme objet d’architecture Cet objet architectural vivant se rapproche alors de la figure de l’animal très présente dans les œuvres de Miyazaki. À l’image de l’architecture, il compose de nouvelles espèces vivantes, imaginées de toutes pièces. S’inspirant des animaux que l’on connait, il regroupe en un seul être différentes parties animales. Il crée des êtres hybrides, aux proportions nouvelles. Ce jeu des proportions se retrouve d’ailleurs chez les architectes éclectiques du XIXe. Modifier les dimensions d’éléments de référence servant habituellement d’échelle, afin de tromper l’œil du spectateur sur les proportions réelles du bâtiment, Miyazaki fait de même avec ses animaux.

Totoro, sur la figure 10, est l’emblème du Studio Ghibli et véritable mascotte pour tous les enfants japonais depuis la sortie du film Mon voisin Totoro57. Mélange entre un hamster et un tanuki58, aux yeux et oreilles de chouette, qui pourtant a la dimension d’un ours marchant sur ses pattes arrière, Miyazaki compose cet animal comme le ferait l’architecte d’un bâtiment éclectique. Il mélange des éléments connus pour créer quelque chose de nouveau, qui devient alors le symbole de toute une génération. Manipulant la perception que l’on a des choses, c’est l’art de la composition avec toutes ses combinaisons possibles qui permet la notion du jamais vu pour le spectateur. Totoro, c’est également la fabrication d’un mythe qui jusque-là n’existait pas, et qui entre ainsi dans les mœurs religieuses de tout un pays, déjà très ancré dans une tradition Shinto.

Il fait de même avec le chat-bus du même film, bien que celui-ci soit tiré d’une légende bien connue au Japon, le bakeneko (littéralement monstre-chat). La légende dit que certains chats, arrivés à l’âge de treize ans, pesant plus de 3,5 kilos et possédant une très longue queue, peuvent acquérir le pouvoir de changer de forme.

Cette légende terrorisait à l’époque les japonais, car le bakeneko était connu entre autres pour dévorer son maitre et prendre son apparence afin de le remplacer dans le foyer. Ainsi, la tradition de couper la queue de son chat a perduré pendant longtemps au Japon, afin d’éviter une transformation en ce chat-démon. Loin de cette image terrifiante, le chat-bus de Miyazaki est au contraire très amical et serviable, aidant à plusieurs reprises les deux petites filles dans le récit.

Le réalisateur pousse ici à son extrême la notion d’hybridation. Ne se contentant plus seulement de mélanger différentes parties animales pour créer un nouvel individu, on assiste à la fusion d’un être vivant avec un objet. L’animal-objet, 57

MIYAZAKI Hayao, Mon voisin Totoro, Studio Ghibli, 1h40, 1988.

58

Le tanuki ou chien-viverrin en français, est une sous-espèce de canidés souvent confondu avec le raton laveur. Au Japon, le tanuki est très populaire car il a inspiré le bake danuki, un des yôkai (esprit) de la forêt, auquel les japonais attribuent des pouvoirs tel la capacité de changer de forme à volonté (à l’image des Barbapapa que nous connaissons tous en Occident). Symbole de chance et de prospérité, ils sont très présents dans les contes et dans l’art japonais depuis le Moyen-âge.

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ou encore l’animal-machine dans ce cas, est alors pensé comme une structure à l’apparence animale. La particularité de ce chat est sa forme de bus : fenêtres, sièges et panneau indiquent la destination désirée. Chat hybridé d’abord avec un millepattes, même si sa fourrure recouvre la structure et qu’il possède une queue, ses yeux qui servent de phares dans la nuit nous indiquent que ce chat s’est bel et bien transformé en machine. Peut-être peut-on y voir une certaine critique de Miyazaki sur l’utilisation de l’animal en tant qu’objet utile, notamment le chat qui était autrefois très utilisé comme simple chasseur de souris plus que comme animal de compagnie.

N’interprétons pas trop les volontés et idées du maitre, qui répète sans cesse qu’à chercher les explications de tout, on passe à côté du but principal de ses films : se divertir. Ce qui est certain, c’est que le chat-bus intègre le bestiaire varié imaginé par Miyazaki, parmi les nombreux autres animaux au rôle aussi important que les personnages humains et l’architecture dans ses récits.

B. Un « Walt Disney japonais » ?

B.1. Anachronisme et intemporalité des décors pour mieux servir la fiction

Disney, l’héritage des années trente, face à Miyazaki, cinéaste novateur Sans s’éloigner de notre problématique principale, il est important avant tout d’expliquer en quoi le réalisateur japonais se détache de ses confrères. Walt Disney est l’un des studios les plus connus dans le domaine à l’international, nous le prenons donc comme point de comparaison quant à la représentation de l’architecture dans les films d’animation. Miyazaki est malgré lui bien souvent désigné en Occident comme le « Walt Disney japonais ». Pourtant, les valeurs transmises dans ses films et sa représentation des personnages et de leur environnement diffèrent grandement.

Le manichéisme présent dans chaque film d’animation des studios Disney est au contraire totalement absent dans les œuvres de Miyazaki. Celui-ci s’attache fortement à l’idée qu’aucun être vivant n’est profondément mauvais ou bon, et que s’il est considéré « méchant », c’est que quelque chose le pousse à agir ainsi pour défendre son intérêt.

Miyazaki met l’humain et l’animal sur le même pied d’égalité, mettant en scène de nombreux animaux dotés de la parole ainsi que de la capacité à raisonner et à échanger avec les humains. Pour autant, il n’essaie pas de faire ressembler l’animal à l’humain, ni physiquement, ni dans sa manière de vivre et d’habiter le territoire. Une première différence vient du fait que les dessins animés des studios américains se basent essentiellement sur des légendes, contes et romans du passé. Ils changent ainsi quelque peu l’histoire pour l’adapter à un public d’enfants, sans toucher cependant au 43

Fronton

Tympan Acrotère

Entablement

Frise Architrave Chapiteau ionique

Fût

Colonne

Base Podium

FIGURE 11 - Dessin légendé d’un temple dans la Cité mythique de Thèbes Les codes de l’architecture du temple antique grec restent fidèles au réel malgré l’apparence disproportionnée. La Cité de Thèbes dans sa globalité est totalement imaginée par les réalisateurs du film.

Document personnel réalisé à partir d’images extraites de MUSKER John, CLEMENTS Ron, Hercule, Walt Disney Pictures, 1997, 1h29min.

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contexte dans lequel les personnages évoluent. Bien sûr, certains films de Miyazaki sont également des adaptations d’ouvrages littéraires, comme Le Château ambulant qui s’inspire du roman de Diana Wynne Jones, Le Château de Hurle59 ou encore Ponyo sur la Falaise, reprenant le personnage de Sôsuke, petit garçon habitant au pied d’une falaise dans le roman La porte60, de Natsume Sôseki. Ce dernier n’est d’ailleurs pas sans nous rappeler La petite sirène61, film produit par Walt Disney Pictures et sorti en salle en 1989. Même dans ce cas cependant, il remanie l’intrigue et dessine au gré de son imagination un contexte architectural unique.

Il est intéressant de rappeler que Walt Disney Pictures est un studio composé d’une multitude de réalisateurs tentant de perpétuer l’héritage laissé par Walt Disney lui-même, en respectant son langage initial. Au studio Ghibli, les deux réalisateurs que sont Miyazaki et Takahata sont en totale opposition quant au récit de leurs films : le premier est pleinement dans le mythe et la fiction tandis que le second s’attache à réaliser des films de vie quotidienne au Japon.

Le décor, simple image contextuelle

Prenons par exemple le film des studios Disney Hercule62. Pour les besoins

de l’histoire, c’est toute la mythologie grecque dont s’inspirent les personnages qui est remaniée. L’impasse est faite sur l’adultère de Zeus envers sa femme Héra, jugé peu convenable pour un dessin animé destiné aux enfants. Une nouvelle excuse est alors trouvée pour justifier le fait qu’Hercule ne soit pas immortel. L’environnement reste cependant très fidèle à l’architecture de la Grèce Antique durant laquelle se déroule le récit63. Avec ses temples et statues grecques, la ville antique de Thèbes est reconstituée par les réalisateurs, qui dessinent alors une cité accrochée à une colline entourée par la mer. Si la réinterprétation de la ville est clairement libre, tous les codes liés à l’architecture de l’Antiquité sont présents, comme on peut le voir sur la figure 11 : frontons, entablement, colonnes doriques et ioniques. Par son allure cependant disproportionnée, on constate que l’imagination a tout de même sa place au milieu d’un décor inspiré du réel.

L’objectif ici est d’insister sur l’imposante ville que découvre Hercule et sur la

hauteur démesurée de ses bâtiments, qui représentent la puissance d’une capitale.

L’architecture n’est pas dessinée dans le but d’être crédible aux yeux du spectateur, mais plutôt d’inscrire l’action dans un contexte accompagnant les sentiments des 59

WYNNES JONES Diana, Le Château de Hurle (1986), tr.fr., Pocket Jeunesse, Paris, 2005.

60

SÔSEKI Natsume, La Porte (1910), tr.fr., Ed. Philippe Picquier, 1998.

61

MUSKER John, CLEMENTS Ron, La petite sirène, Walt Disney Pictures, 1989, 1h23min.

62

MUSKER John, CLEMENTS Ron, Hercule, Walt Disney Pictures, 1997, 1h29min.

63

Il est intéressant de noter que tous les personnages du film ont conservé leur nom lié à la mythologie grecque, excepté Hercule, qui aurait dû s’appeler Héraclès. Pour une raison inconnue, les réalisateurs ont préféré lui donner le nom lié à la mythologie romaine, autre écart donc au récit mythologique grec dont s’inspire le récit.

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FIGURE 12 - Façade du bâtiment bloquant la route à Chihiro et ses parents La façade à la peinture rouge écaillée donne l’impression d’un bâtiment ancien. La statue shinto au visage souriant mais inquiétant semble garder l’entrée du tunnel derrière lui. On reconnait l’influence japonaise de par le balcon en bois devant les shôji en verre, surmontés d’un panneau aux inscriptions japonaises.

Image extraite de MIYAZAKI Hayao, ONIKI Yuji, The Art of Miyazaki’s Spirited Away (2001), San Francisco, VIZ Media, 2002, p. 61.

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personnages au moment où l’on découvre l’image. Malgré un dessin peu réaliste dans ses proportions, les décors dessinés et mis en scène restent en accord avec l’architecture de l’époque où se déroule l’action, comme dans la majorité des films d’animation de Disney.

À chaque film des studios Disney correspond donc l’architecture d’une époque

ou d’une ville précise. Dans Les Aristochats64, c’est le Paris des années 1910 qui est formidablement redessiné, de même pour le Londres du début du XXe siècle dans

Peter Pan65, adaptation de la pièce homonyme de J.M. Barrie créée en 1904. Ainsi, dans ces films d’animation de fiction, l’architecture au dessin imprécis et exagéré pose le contexte imaginaire, au même titre que l’histoire et les personnages. Le décor ne fait qu’accompagner visuellement le récit, sans y prendre part directement.

Un décor précis qui participe au récit Paradoxalement, Miyazaki, par un dessin très précis et fidèle aux codes existants dans l’architecture, arrive lui aussi à nous emporter dans la fiction. Dans le film Mon voisin Totoro, même s’il reproduit fidèlement les campagnes japonaises des années 1950, il ne peut s’empêcher d’y ajouter une dimension intemporelle, portant une attention toute particulière au décor. La maison de la famille Kusakabe dans le film, imaginée de toute pièce, mêle architecture traditionnelle japonaise et éléments occidentaux. À l’inverse de Disney, il copie dans des proportions exactes le village rural japonais de l’époque afin de recréer l’ambiance voulue. Une fois entré dans les détails, il est cependant légèrement moins fidèle.

Hormis quelques exceptions comme Porco Rosso66 se déroulant dans l’Italie des années 1920 ou Princesse Mononoké67 à l’ère Muromachi (1333-1573), les films de Miyazaki sont généralement hors époque et lieu précis, ce qui lui permet une liberté plus grande pour le dessin des décors. Ainsi, Le voyage de Chihiro, même si l’on comprend que le film se déroule dans le Japon de l’époque où il a été réalisé, ne semble pas, dès le début, être ancré dans une ville précise. Dès la première minute du film, on peut voir un panneau sur la route indiquant les directions des villes de Nakaoka, ville qui n’existe pas, et de Tochinoki68, qui correspond à une petite ville dans les montagnes au Sud du Japon. Elle est située juste à côté d’un sanctuaire shinto, à l’instar de celle où comptent s’installer Chihiro et ses parents dans le film.

64

REITHERMAN Wolfgang, Les Aristochats, Walt Disney Productions, 1970, 1h18min.

65

GEROMINI Clyde, JACKSON Wilfred, LUSKE Hamilton, Peter Pan, Walt Disney Pictures, 1953, 1h16min.

66

MIYAZAKI Hayao, Porco Rosso, Studio Ghibli, 1h33, 1992.

67

MIYAZAKI Hayao, Princesse Mononoké, Studio Ghibli, 1997, 2h14.

68

En japonais, Tochinoki désigne également un marronnier endémique du Japon, Aesculus turbinata, dont le fruit, à la différence de celui que l’on trouve en France, peut être consommé. Si ce n’est la ville existante qui a inspiré Miyazaki, peut-être est-ce simplement une allusion à cet arbre ?

Source : http://plantes-du-japon.fr/%E6%A0%83%E3%81%AE%E6%9C%A8-TOCHINOKI.html

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FIGURE 13 - Dessin de l’arrière-plan de la salle où arrivent Chihiro et ses parents après la traversée du tunnel Cette salle, aux allures d’église avec son plafond voûté et ses colonnes, provoque un sentiment étrange chez le spectateur. La source de lumière venant d’une petite fenêtre à gauche créé une ambiance mystérieuse, laissant la partie droite de l’image dans l’ombre. Le faisceau lumineux, très prononcé et presque irréaliste, semble avertir par avance les personnages du monde extérieur venant d’ailleurs et qu’ils s’apprêtent à découvrir.

Image extraite du livre de MIYAZAKI Hayao, ONIKI Yuji, The Art of Miyazaki’s Spirited Away (2001), San Francisco, VIZ Media, 2002, p.64.

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Rien ne nous permet d’affirmer que Miyazaki s’est bel et bien inspiré de cette ville, la ressemblance entre les maisons qu’il dessine et la réalité étant peu évidente.

Quoi qu’il en soit, après avoir instauré un contexte plus ou moins vague de lieu et d’époque, l’action se déplace rapidement vers un autre monde, après seulement cinq minutes de film. Ce monde, c’est celui des esprits, dans lequel Chihiro et sa famille s’aventurent malencontreusement. Il n’inclue pas directement dans l’intrigue des éléments relevant de la fiction comme de la magie ou des animaux dotés de la parole. On comprend pourtant, dès la scène du tunnel au bout de la troisième minute du film, que l’édifice qui vient d’être traversé a quelque chose d’inhabituel, de dérangeant. Miyazaki réussi alors, par son dessin de l’architecture et sa mise en scène, à instaurer un climat fictionnel, où l’on ne peut que s’attendre à quelque chose relevant du surnaturel.

L‘entrée du tunnel en question, sur la figure 12, apparaît subitement devant les personnages traversant la forêt en voiture. Le père de Chihiro semble être le seul à ne pas être inquiet de la présence soudaine de cet élément architectural d’apparence ancien et abandonné. Il sort de sa voiture, s’avance vers ce dernier, et s’exprime tout haut : « On dirait que c’est un portail », puis ajoute : « Oh c’est bizarre. Mais, on dirait que c’est du ciment ! Ce bâtiment est moins vieux que je ne pensais ». Dans la scène suivante, Chihiro rejoint son père à l’entrée du tunnel et ajoute à son tour : « Le vent s’engouffre dedans… ». En l’espace de dix secondes, grâce à l’air inquiet de la petite fille à laquelle nous nous identifions immédiatement, ajouté à cette pierre taillée aux deux visages assez troublants et semblant protéger l’entrée du tunnel69, le bâtiment inspire de suite quelque chose de peu rassurant. Les feuilles s’engouffrent étrangement dans le tunnel comme le constate Chihiro, et la remarque du père sur le fait que le bâtiment ne soit finalement pas si ancien qu’il n’y parait ajoute à la scène quelque chose de surnaturel. Le spectateur est plongé dans une ambiance mystérieuse. Par curiosité du père, toute la famille traverse alors ce long couloir sombre pour arriver dans une salle au plafond voûté, telle la nef d’une église. De multiples colonnes rythment la salle, et l’on remarque, en observant la figure 13, qu’il y a trois couloirs menant à cette dernière.

Il ne semblait pourtant n’y avoir qu’une seule entrée sur la façade extérieure, dont l’architecture ne laissait en rien présager cet intérieur. Miyazaki réussit à accentuer encore plus le mystère grâce aux jeux de lumière qu’il dessine. Sur cette figure 13, on remarque qu’une seule fenêtre éclaire l’intérieur de la pièce par un faisceau lumineux intense, laissant la partie droite de l’image dans l’obscurité.

69 Il s’agît en fait d’un Jizô, statue de pierre très courante au Japon, représentant un être protecteur des enfants et des voyageurs ayant choisi de retarder son entrée dans le nirvâna (la paix intérieure) par compassion pour les humains. Cela explique sa présence au bord des routes ou dans les temples, symbolisant le passage entre le monde réel et spirituel. Sa place devant le tunnel menant au monde des esprits est donc tout à fait justifiée.

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FIGURE 14 - Concept art de la maison de la famille Kusakabe

Cette maison comporte une partie traditionnelle japonaise et une partie occidentale. La pergola en bois et la façade peintes en blanc, avec un toit à double pente recouvert de tuiles rouges est ainsi en opposition avec la partie arrière de la maison.

Image extraite du livre de MIYAZAKI Hayao, L’art de Mon voisin Totoro (1988), Grenoble, tr. fr., Glénat, 2013, p. 42.

FIGURE 15 - Reconstitution de la maison du film Mon voisin Totoro

Maison construite en 2005 pour l’exposition universelle d’Aichi dans le Morikoro Park au Japon.

Même le palmier est à sa place comme dans le film.

Photographe : Martinhsu, date inconnue.

Source : moricoro-park.com

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Miyazaki a donc la particularité de dessiner l’architecture là où on ne l’attend

pas. Il ne prétend pas imaginer un nouveau style architectural, puisqu’il copie ce qui existe déjà. C’est le mélange peu commun d’éléments familiers qui crée la fiction. Ce bâtiment à la façade en ciment dont la peinture rouge est écaillée, ce balcon en bois dont on semble accéder depuis l’intérieur par des shôji70 en verre, ce tunnel sombre menant à une salle voûtée parsemée de colonnes, tous ces éléments, une fois rassemblés, créent bel et bien quelque chose d’unique et d’étrange, qui ne semble appartenir à aucune époque ou lieu précis.

B.2. Un dessin précis de l’architecture, l’art du détail Penser le décor fictionnel comme une architecture habitable Dans la continuité de ce qui vient d’être développé, il s’agit ici de mettre en avant cet « art du détail », ou plutôt la manière dont Miyazaki dessine précisément l’architecture. Disney, au contraire, dévoile un dessin bien souvent plus schématique.

En effet, les décors dans les films des Studios américains semblent être là pour poser un contexte et appuyer les sentiments des personnages plutôt que pour servir réellement d’acteur dans le récit. L’architecture telle qu’elle est dessinée dans ces films, c’est-à-dire imprécise et disproportionnée, ne pourrait pas être reproduite dans la réalité. À l’inverse, chacun des édifices dessinés par Miyazaki sont réfléchis comme de vrais bâtiments, de leurs fondations jusqu’aux matériaux. Ils ont d’ailleurs fait l’objet de reproductions en maquettes lors de plusieurs expositions, notamment celle de 2015 au musée d’architecture en plein-air de Tokyo-Edo. Intitulée « Studio Ghibli : Architecture in Animation », elle regroupait plus de 400 objets ou créations venant de tous les films du studio71.

La preuve la plus concrète de ce que nous avançons ici reste la construction à échelle 1 de la maison du film Mon Voisin Totoro en 2005 pour l’exposition universelle d’Aichi dans le Morikoro Park au Japon. C’est Goro Miyazaki, le fils du maître, qui s’improvise concepteur de la maison, en s’aidant des plans et des croquis réalisés pendant la conception du film. En comparant les figures 14 et 15, on retrouve cette façade très occidentale, avec son étage, sa pergola en bois peinte en blanc et son toit de tuiles rouges. La partie arrière de la maison est traditionnelle du Japon, avec ses shôji de papier, son bois apparent laissé naturel et son toit gris aux tuiles de terre cuite. Cette maison de campagne aux allures peu communes pour un Japon des années cinquante, Miyazaki l’explique lui-même comme cela : « Au départ, nous 70

Le shôji est une porte coulissante typique des habitations japonaises. Le cadre en bois suit une trame, qui est traditionnellement recouverte de papier de riz translucide laissant passer une lumière tamisée à l’intérieur de l’habitation. Par soucis d’économie et pour des raisons pratique, ce papier est de plus en plus remplacé par des carreaux de verre.

71

Source : http://www.nipponconnection.fr/exposition-sur-larchitecture-de-lunivers-ghibli-a-koganei/

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FIGURE 16 - « Plan de Matsugo vers 1955 » Miyazaki dessine les alentours du village afin de situer la maison des petites filles dans un contexte et sur un site précis, tel un architecte.

Image extraite du livre de MIYAZAKI Hayao, L’art de Mon voisin Totoro (1988), Grenoble, tr. fr., Glénat, 2013, p. 34.

FIGURE 17 - « Plan de la maison des Kusakabe », dessiné par Kazuo Oga La partie japonaise est basée sur le système de dimensions des tatamis, tandis que la pièce occidentale au sud est une pièce simple au plan carré.

Image extraite du livre de MIYAZAKI Hayao, L’art de Mon voisin Totoro (1988), Grenoble, tr. fr., Glénat, 2013, p. 63.

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avons imaginé une maison que nous aimerions habiter, et l’équipe a concrétisé cette idée. Quand on a regardé les rushes72, au lieu de commenter l’animation de Satsuki ou de Mei, on s’est tous exclamés : « C’est là que je voudrais vivre ! » Personne n’a envie de voir son confort diminuer mais, si c’est pour habiter dans ce genre de maison, on veut bien »73. « Imaginer la maison que nous aimerions habiter », voilà une indication très claire sur la manière dont sont pensés les décors au studio Ghibli. En dessinant cette maison dans ses moindres détails, en réfléchissant le matériau, la couleur, la circulation intérieure et extérieure, l’exposition au soleil, mais également la nature du terrain dans lequel est censée se situer la maison, Miyazaki nous dévoile une démarche digne d’un architecte.

Il choisit d’abord son site, ici, la région du Kantô au Japon, et plus précisément Mastugo, village et ses alentours qu’il imagine et esquisse en plan comme on peut le voir sur la figure 16. Il réalise ensuite un plan détaillé de la maison et de ses environs.

Sur le plan figure 17, nous pouvons distinctement reconnaitre la partie traditionnelle japonaise, basée sur les dimensions des tatamis, et la pièce occidentale au plan carré avec sa pergola. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’il est légendé « portes vitrées coulissantes » en bas de cette pièce, alors que l’on voit bien dans le film qu’il s’agit de portes s’ouvrant sur l’extérieur, « à l’occidentale ». Peut-être est-ce simplement une erreur de traduction du japonais, ou alors l’intention principale de Miyazaki de mélanger davantage les codes architecturaux dans cette partie de la maison avant de se raviser. Il réfléchit ensuite à la position de la maison par rapport au soleil de Mai à Août, durée de l’action du film. Sur la figure 18, on peut voir qu’il dessine cette maison à diverses périodes, mettant en évidence les jeux de lumière se répercutant sur la façade, de jour comme de nuit. En tous les cas, cette maison a été plus que réfléchie dans sa conception alors même qu’elle n’était destinée qu’à apparaître en images animées, et non à être construite réellement.

Le décor comme lieu de vie de personnages fictifs Bien sûr, de tels exemples existent du côté de Disney. Depuis 2015, la plateforme Archionline74 propose gratuitement des plans de maisons dessinés par des architectes et provenant de dessins animés connus de tous. On peut ainsi s’offrir la cabane dans les bois de Tarzan75, la chaumière des nains dans Blanche-Neige et les

sept nains76, ou encore la maison du film Là-haut77, qui a d’ailleurs été construite à Herriman, une petite ville située dans l’Utah aux États-Unis. Ces plans ont cependant 72

Le terme rushes dans le cinéma désigne l’ensemble des prises de vue faites par la caméra avant le montage d’un film.

73

Citation tirée de MIYAZAKI Hayao, L’art de Mon voisin Totoro (1988), Grenoble, tr. fr., Glénat, 2013, p.40.

74

Source : https://www.archionline.com

75

BUCK Chris, LIMA Kevin, Tarzan, Walt Disney Pictures, 1999, 1h28min.

76

HAND David, MOREY Larry [et al.], Blanche-Neige et les sept nains, Walt Disney Productions, 1937, 1h23min.

77

DOCTER Pete, PETERSON Bob, Là-Haut, Walt Disney Pictures, Pixar Animation Studios, 2009, 1h36min.

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FIGURE 18 - La maison à différentes périodes de l’été En haut à gauche, la maison en Août en fin d’après-midi.

En haut à droite, la maison en Mai. En bas à gauche, la maison de nuit en Juillet.

Images extraites du livre MIYAZAKI Hayao, L’art de Mon voisin Totoro (1988), Grenoble, tr. fr., Glénat, 2013, pp. 124-125.

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été confectionnés après coup, par des architectes qui ont totalement interprété les volumes et les dimensions après un visionnage rigoureux des films. Les habitations en tant que telles n’ont pas été pensées comme des édifices à construire, mais comme le cadre de vie de personnages fictifs. L’attention portée à la structure ou aux matériaux n’est pas précise, et les architectes de Archionline sont ainsi très clairs sur le sujet. Les maisons ne comportent pas de chauffage, de toilettes ou de salle de bain pour la plupart, puisque ce sont des pièces ou objets techniques qui n’apparaissent pas dans les dessins animés. Ce sont donc des maisons qui peuvent être construites, avec leurs proportions peu communes et leur originalité, mais qui ne sont pas pour autant habitables aujourd’hui si l’on souhaite un confort de vie digne du XXIe siècle.

Notre propos ici est donc bien de démontrer que les studios Disney dessinent l’architecture comme simple décor d’un récit, sans chercher à la rendre crédible et réalisable. Peu importe, puisqu’elle est présente seulement pour appuyer une action ou un sentiment. Lorsque la maison du film Là-haut s’envole, à l’exception d’un petit robinet d’eau qui explose et de deux ou trois étincelles sorties du compteur électrique, on ne voit aucune gaine technique s’arracher du sol avec la maison. Le spectateur s’en préoccupe peu, puisque l’action importante est cette maison qui s’envole de manière incroyable avec ses ballons gonflés à l’hélium. Dans Blanche-

Neige et les sept nains, on ne comprend pas tout à fait la disposition de la cuisine et de la salle à manger, et les dimensions des meubles paraissent une fois à taille humaine, une autre fois à taille de nain. La chaumière elle-même, dessinée toute en rondeurs, comporte des murs qui ne pourraient tenir la maison dans la réalité. Ce qui importe les réalisateurs ici est de montrer que la maison est digne d’une « maison de poupée » comme le dit Blanche-Neige, mais aussi très sale, justifiant la scène du ménage et une nouvelle chanson en chœur avec les animaux de la forêt.

Dans cet univers de conte et d’histoires pour enfants, rester fidèle à la réalité importe peu, et l’architecture participe ainsi à créer la fiction dans l’improbable. Chez Miyazaki, l’architecture est généralement fidèle à une réalité constructive, et s’attache à respecter les codes de l’architecture de tout temps, qu’elle soit occidentale ou japonaise. Cela ne l’empêche pas de créer pour autant un univers fictionnel. Lorsque Disney fait fi de toute logique constructive, ce qui appuie ainsi la fiction d’une action, Miyazaki lui, crée la fiction par une opposition entre précision d’une réalité architecturale et éléments relevant de l’imaginaire ou de l’étrange.

Chacun à leur manière, les dessinateurs des studios d’animation américains et le dessinateur japonais arrivent à emmener le spectateur dans un univers fictionnel où l’architecture joue un rôle primordial. Par la précision du dessin et la fidélité aux techniques constructives, Miyazaki joue sur le contraste entre réalité et imaginaire

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FIGURE 19 - L’hôpital de Shichikokuyama vu depuis les hauteurs

À première vue, l’hopital ressemblerait plus à une église occidentale qu’à un lieu de repos pour les malades. Il contraste avec le paysage et l’architecture japonaise rencontrés dans les scènes précédentes Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Mon voisin Totoro, Studio Ghibli, 1988, 1h40.

FIGURE 20 (à gauche) - Schloss Elmau en Allemagne Hôtel de luxe situé au pied des montagnes du Wetterstein dans une réserve naturelle. Construit en 1916 initialement pour y accueillir des artistes en vacances. La ressemblance avec l’hôpital du film se fait surtout par rapport à la forme du corps du bâti.

Photographe et date inconnus.

Source image : https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Schloss_Elmau_Sommer_2005.JPG

FIGURE 21 (à droite) - Église Saint-Pierre de Lugy, Pas-de-Calais, XVIIIe siècle Le clocher situé au milieu du toit en ardoise grise fait écho à l’hôpital du film.

Photographe et date inconnus.

Source image : http://www.wikipasdecalais.fr/index.php?title=%C3%89glise_Saint-Pierre_de_Lugy).

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pour interloquer le spectateur quant à une action hors du commun se déroulant dans un cadre familier. De l’autre côté, Disney assume pleinement ses incohérences architecturales et spatiales dans son dessin afin de rendre une scène improbable presque normale aux yeux des spectateurs.

B.3. Livrer la vérité aux enfants, l’architecture du tabou La maladie expliquée aux enfants Même s’il crée des films pour enfants, Miyazaki ne dissimule par pour autant des sujets de la vie d’adulte comme la maladie, la mort ou la solitude. Beaucoup de ses personnages sont des enfants ou adolescents. Il met en avant l’autonomie et l’ingéniosité de ces derniers, qui, tout en ayant besoin de leurs parents, apprennent à grandir seuls, se faisant leurs propres expériences. Dans Mon voisin Totoro, on apprend rapidement que la maman des deux petites filles est très malade78 et séjourne dans un hôpital de campagne, raison de leur déménagement dans cet univers plus sain pour elle que la ville. L’arrivée de Totoro dans la vie des deux enfants n’est pas vue comme un miracle qui soignera leur mère, clôturant le film par une fin heureuse comme dans tous les films de Disney. Chez Miyazaki, pas de fin heureuse, ce qui ne signifie pas pour autant malheureuse. Il expose dans son récit la vie telle qu’elle est.

Si la mère des deux sœurs n’est pas complètement guérie à la fin, Totoro leur aura permis de surmonter la peur de la mort et de les rendre plus autonomes face à cette situation.

Bien que la maison de famille Kusakabe soit l’élément architectural principal du film, l’hôpital dans lequel séjourne Yasuko, la maman, joue un rôle très important dans le récit. Sorte de maison de repos plus qu’hôpital, il est vu sous trois angles dans le film. Nous le découvrons une première fois à 22 minutes et 33 secondes, lorsque les deux petites filles, accompagnées de leur père Tatsuo, traversent à vélo le village de Mastugo et ses champs. Après un long périple de trois heures, les deux petites filles arrivent par un chemin surplombant le bâtiment et le montrent alors du doigt à leur père. Ce premier aperçu de l’édifice questionne par rapport au paysage architectural traversé jusque-là. De maisons de campagne traditionnelles du Japon, on observe tout à coup une grande bâtisse aux murs blancs comme de la pierre. La façade, aux fenêtres d’apparence occidentale et ses pans de toit couverts de tuiles grises comme de l’ardoise, sont reconnaissables sur la figure 19 extraite du film. Au centre du toit du bâtiment, un clocher donne à ce lieu une dimension religieuse.

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Beaucoup voient ici une part autobiographique du réalisateur. En effet, sa mère, atteinte de tuberculose, a passé beaucoup de temps à l’hôpital pendant la jeunesse de Miyazaki. Ce dernier en a beaucoup souffert et ce film serait dédié à tous les enfants qui pourraient connaitre la même chose, afin de leur donner du courage face à cette situation difficile. Mais il ne s’agit là que d’une interprétation personnelle, Hayao Miyazaki ne s’exprimant que rarement sur sa vie personnelle ainsi que sur le sens de ses films.

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FIGURE 22 - L’hôpital comporte les éléments architecturaux traditionnels japonais Lorsque l’on se rapproche, la façade se dévoile finalement traditionnelle du Japon, avec ses fenêtres coulissantes en bois et ses tuiles en terre cuite appelées kawara.

Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Mon voisin Totoro, Studio Ghibli, 1988, 1h40.

FIGURE 23 - Les deux petites filles rendent visite à leur mère

Là encore, les fenêtres coulissantes d’inspiration shôji ainsi que les portes en bois coulissantes à poignée appelées fusuma sont présentes, le lit en métal avec sommier représentant le seul élément occidental de la pièce.

Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Mon voisin Totoro, Studio Ghibli, 1988, 1h40.

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On pourrait presque se croire en campagne française, observant le clocher sur le toit d’une église, telles les figures 20 et 21. On y reconnait dans la forme du bâti et l’environnement du Schloss Elmau en Allemagne, hôtel de luxe situé au pied des montagnes du Wetterstein dans une réserve naturelle. Il a été construit en 1916 comme lieu de vacances d’artistes, plutôt que comme château ou palais comme le désigne son nom Schloss. La seconde d’après, la scène change pour nous dévoiler de plus près ce bâtiment hospitalier, qui redevient alors pure tradition japonaise comme le montre la figure 22. Il s’avère en effet comporter une façade traditionnelle, avec ses fenêtres en bois et verre coulissantes de style shôji. Le toit est en tuiles de terre cuite, appelées kawara et fabriquées depuis la fin du VIe siècle au Japon. Les personnages féminins qui discutent dehors sont habillés en kimono traditionnel. L’intérieur de la chambre de Yasuko en figure 23 est à l’image de l’extérieur : portes traditionnelles coulissantes en bois et à poignée appelées fusuma et de nouveau des fenêtres de style shôji. Seuls les lits sont occidentaux et ont une structure métal avec sommier, ce qui est déjà répandu dans les villes du Japon des années 1950.

On en vient à se demander pourquoi cet hôpital semble si différent vu de loin et de près. Pour les deux petites filles, rendre visite à leur mère est quelque chose d’important qui peut faire peur. Elles se rendent dans un lieu inconnu, où d’autres personnes séjournent aux côtés de leur mère malade. Il est alors probable que Miyazaki ait décidé d’un décor qui semble étranger vu de loin, en utilisant des codes architecturaux occidentaux peu répandus dans les campagnes japonaises à cette époque, dont l’œil japonais n’est que peu habitué. L’architecture occidentale représenterait alors l’inconnu, tandis que l’architecture nippone serait plus rassurante aux yeux du spectateur japonais, car familière. C’est ainsi que lorsque l’on se rapproche de Yasuko, tout redevient plus rassurant. Les deux petites filles retrouvent leur mère en bonne santé assise sur son lit, elles sont alors en confiance, et l’ambiance architecturale redevient rassurante également. Le lit, seul élément occidental, représenterait la part d’angoisse et l’inconnu dans l’esprit des jeunes héroïnes, qui ne savent pas quand leur mère pourra retourner vivre avec elles.

La maison de retraite, un lieu chaleureux ?

Dans Ponyo sur la falaise, c’est une maison de retraite qui est cette fois dessinée. Les personnages âgés sont représentés tels qu’ils sont dans la réalité, avec ces grands-mères aigries et tendres à la fois. Toujours à la recherche d’une information pour égayer leur journée, elles discutent longuement dans leur fauteuil roulant. Miyazaki met en confrontation à ces grand-mères le très jeune Sôsuke, 5 ans, qui fait preuve d’une grande maturité face à ces vieilles dames. Une fois encore, il s’attache à dessiner l’architecture du réel et du quotidien dans un récit de pure fiction.

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FIGURE 24 - La maison de retraite dans Ponyo sur la falaise Le dessin est relativement simpliste par rapport aux autres films du réalisateur. Les traits sont arrondis, les textures peu réalistes dans un univers très coloré à l’aquarelle et au crayon de couleur. Le dessin enfantin permet de dédramatiser le récit.

Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Ponyo sur la Falaise, Studio Ghibli, 2008, 1h43.

FIGURE 25 - L’entrée de la maison de retraite Le bâtiment s’inscrit dans un contexte de Japon contemporain, où l’architecture occidentale a pris place. L’entrée comporte donc un porche soutenu par deux colonnes, menant à des portes automatiques en verre.

Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Ponyo sur la Falaise, Studio Ghibli, 2008, 1h43.

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Ces bâtiments médicaux en lien plus ou moins direct avec la maladie et la vieillesse sont des éléments architecturaux que les Studios Disney préfèrent censurer face à des enfants jugés trop jeunes pour comprendre. Ces thèmes ne correspondent pas aux thématiques américaines : un film pour enfants doit être joyeux et porteur d’une morale. La question de la mort, de la vieillesse ou de la maladie ne doit pas être récurrente pendant tout le film, et si c’est le cas, cela doit bien se terminer. Dans la majorité des films d’animations des studios américains, les personnages principaux ont vus mourir ou n’ont plus qu’un seul de leurs parents. Simba dans Le Roi Lion79 voit ainsi mourir son père sous ses yeux, de même que dans Bambi80, où sa mère se fait abattre par un chasseur. Les parents de Tarzan sont dévorés par Sabor, un léopard vivant dans la jungle. Supprimer les parents de l’histoire dès le départ, c’est permettre aux héros du film, souvent des enfants ou adolescents, de s’émanciper et de partir à l’aventure, sans autorité parentale bloquant ce désir d’expédition. À chaque fois, la mort de ces personnages se déroule au début du récit, laissant alors place à l’histoire principale, beaucoup plus légère et enjouée. L’évènement malheureux est rapidement oublié. Miyazaki lui, prend le parti de raconter aux enfants la vie telle qu’elle est. Il nous rappelle régulièrement la possibilité pour l’être humain de mourir, de tomber gravement malade ou tout simplement de vieillir, ce qui ne l’empêche pas de rendre ses films joyeux et plongés dans un monde imaginaire merveilleux.

La maison de retraite de Ponyo sur la falaise est donc un des bâtiments phare du film, après la maison du petit garçon en haut d’une colline. Au dessin relativement simpliste par rapport au reste de ses films, les traits sont arrondis, les textures des matériaux peu réalistes et imprécises, dans un univers très coloré à l’aquarelle et aux crayons de couleur, comme on le voit sur la figure 24. Dans un climat de tempête, qui rappelle les tsunamis dont est fréquemment confronté le Japon, les décors plus enfantins et arrondis permettent de dédramatiser le récit.

Il n’est d’ailleurs plus ici question d’architecture japonaise traditionnelle. Sorti en salles en 2008, le film s’inscrit dans un contexte de Japon contemporain, où le style architectural occidental a bel et bien pris sa place. Comme on le voit sur la figure 25, le porche d’entrée, soutenu par deux colonnes, mène à des portes automatiques en verre. On retrouve sur le toit de l’édifice un clocher avec une horloge, qui rappelle celui du toit de l’hôpital où se repose la maman de Mei et Satsuki dans Mon Voisin

Totoro. À l’intérieur, des baies vitrées en verre donnent sur le jardin, et le mobilier en bois évoque les buffets et vaisseliers imposants de chez nos propres grand-mères, comme en témoigne la figure 26. Le décor est juché d’objets dignes de nos grands-

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ALLERS Roger, MINKOFF Rob, Le Roi Lion, Walt Disney Pictures, 1994, 1h29min.

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D. HAND David, Bambi, Walt Disney Pictures, 1942, 1h08min.

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FIGURE 26 - L’intérieur de la maison est à l’image de la décoration de nos grandsmères et se veut rassurant, même pour un spectateur japonais Le vaisselier en second plan rappelle le mobilier classique en bois que l’on retrouve souvent chez les personnes âgées en Occident. Le décor est bien éloigné d’un décor traditionnel japonais.

Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Ponyo sur la Falaise, Studio Ghibli, 2008, 1h43.

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parents, comme des napperons blancs au crochet ou des rideaux aux motifs floraux démodés, qui inspirent un sentiment de confiance. Lieu adapté à ces grands-mères qui passent leurs journées à observer la mer depuis leurs fauteuils, le spectateur se sent rassuré non pas par l’architecture traditionnelle japonaise qu’il connait si bien, mais par ce coup de crayon curviligne et ce bâtiment coloré. La maison de retraite n’apparait pas comme un lieu sinistre dans lequel on vient passer ses derniers jours, mais plutôt comme un lieu chaleureux, rappelant les goûters du dimanche chez nos grands-parents, ouvert sur un magnifique jardin côtoyant la mer.

Le décor pour Miyazaki est ainsi dessiné comme une scène de théâtre conçue pour des personnages participant à la narration. Il n’est pas uniquement présent pour situer l’histoire comme dans beaucoup de films d’animation. Chaque détail du décor a une signification que l’on peut interpréter en tant que lien direct avec l’action du récit, en accord avec les personnages.

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II. DESSINER L’ARCHITECTURE FICTIONNELLE D’ANIMATION A. Korico, une Europe idéalisée A.1. Paradoxes historiques et conséquences architecturales L’Europe féérique de l’esprit japonais L’architecture européenne, telle que se l’imagine la plupart des japonais, s’apparenterait presque à des décors de contes de fées. Très éloignées des codes architecturaux nippons, la fascination pour certaines grandes villes, telles que Paris, engendre une imagination qui donne à nos pays occidentaux une dimension fictionnelle dans l’esprit japonais et asiatique en général. C’est dans cette idée d’apporter davantage de fiction par l’architecture que Miyazaki s’est attaché à reproduire une Europe idéalisée dans plusieurs de ses films. Kiki la petite sorcière81, sorti en 1989 au Japon, est le parfait exemple de cette Europe séduisante et féérique. La ville de Korico, dans laquelle vient s’installer pour un an la jeune sorcière de treize ans et son chat Jiji, est une version alternative et mythifiée de l’Europe des années 1950, où les deux guerres mondiales n’auraient jamais eu lieu. L’histoire du film, tirée du livre de Eiko Kadono publié en 198582 au Japon, est en fait totalement réinterprétée par Miyazaki.

C’est ce dernier qui imagine le décor, décrit comme simplement « étranger » dans le livre, qui situe le récit dans les années 1950, et qui ajoute de nombreux évènements qui n’apparaissent pas dans la version manuscrite. Seul le scénario principal autour de cette jeune sorcière, qui gagne son indépendance financière en faisant des livraisons sur son balai, reste fidèle.

Cette prise de liberté permet au réalisateur de dessiner la ville européenne qui le fascine, dans laquelle il aimerait vivre. Cette engouement pour l’Europe, tel que mentionné en introduction, l’a poussé à effectuer un second voyage d’étude préalable en Suède. Usant plus de 80 pellicules photographiques, Stockholm ainsi que Visby sur l’île de Gotland ont été ses inspirations principales. Il avoue lui-même cependant, dans le livre The Art of Kiki’s Delivery Service, avoir mélangé des villes européennes, mais aussi occidentales en général : « C’est comme ça que les japonais imaginent une vieille ville européenne. Il y a des éléments de Naples, Lisbonne, Stockholm, Paris et San Francisco, tous mélangés, donc un côté fait face à la Méditerranée tandis que l’autre fait face à la mer Baltique [rires] » 83.

Ces villes font partie d’une liste qui est allongée davantage dans la suite de ce mémoire. Les références architecturales sont nombreuses, et l’on reconnait à 81

MIYAZAKI Hayao, Kiki la petite sorcière, Studio Ghibli, 1989, 1h42.

82

KADONO Eiko, Majo no takkyūbin (Le service de livraison de Kiki), Fukuinkan Shoten, Japon, 1985.

83

Citation tirée de MIYAZAKI Hayao, ONIKI Yuji, The Art of Kiki’s Delivery Service (1989), San Francisco, VIZ Media, 2006, p.67, traduction personnelle de l’anglais.

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FIGURE 27 - Kiki survole un grand ensemble de la banlieue de Korico Pour ce grand ensemble, Miyazaki reprend les codes de l’architecture française d’après-guerre.

De grandes tours sont traversées par une autoroute longeant un grand parking, au milieu d’une végétation très présente. Des maisons individuelles semblent s’insérer au milieu de ce paysage urbain qui crée une fracture visuelle et physique avec la campagne environnante.

Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Kiki la petite sorcière, Studio Ghibli, 1989, 1h42.

FIGURE 28 - Le Grand Ensemble de Massy-Opéra et le Parc de la Corneille Construit dans les années 1960, ce grand ensemble situé entre Massy et Antony est caractéristique de l’architecture d’après-guerre des années 1950 à 1970. Au pied des tours, de nombreux commerces sont présents, ainsi qu’un grand parking aujourd’hui remplacé par des logements plus bas. Le parc aménagé fait également partie de la construction, au milieu des maisons individuelles déjà présentes.

Photographie de la Direction Régionale de l’Équipement Ile-de-France (DREIF), 1er Juin 1987.

Source : http://inventaire.iledefrance.fr/illustration/ivr1120109100142nuc2ab/8dcb3c7e-8dff-4b07-93e9373fa1961a6b.

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chaque coin de rue que traverse Kiki des éléments qui nous sont familiers en tant qu’occidentaux. Malgré tout, l’ensemble crée quelque chose d’unique voire d’irréel, qui doit paraître encore plus improbable aux yeux d’un spectateur japonais.

Une Europe sans guerre, quelles répercussions sur la ville ?

Ce contexte européen des années 1950, Miyazaki a su particulièrement bien le retranscrire. Un certain paradoxe entre son Europe qui n’a pas connu la guerre et l’architecture du film est cependant présent. On y retrouve entre autres les tours des grands ensembles français, construits pourtant dans l’après Seconde Guerre mondiale afin de répondre à une crise du logement certaine suite à une population urbaine croissante. Sur la figure 27, Kiki survole un de ces grands ensembles en périphérie de la ville. En la comparant à la figure 28, photographie du Grand ensemble de MassyAntony appelé aussi Massy-Opéra et construit dans les années 1960, les similitudes sont nombreuses. Premièrement, ces grandes tours blanches alignées sont traversées par des grands axes routiers et entourées de végétation. Dans la photographie datant de 1987, la végétation est l’œuvre de l’humain, puisqu’il s’agit du parc de la Corneille, aménagé parallèlement aux tours. Dans l’image du film, elle semble plus sauvage, aucun parc ne se laisse entrevoir, puisque la base des tours n’est pas visible.

Une autoroute suspendue traverse le grand ensemble et longe un grand parking au centre des édifices. Présent également sur la photographie de Massy-Opéra, il est aujourd’hui remplacé par d’autres tours de logement plus basses. Dans les deux cas, des maisons individuelles, aux toits de tuiles rouges ou grises, sont dispersées autour des édifices. Sur la figure 27, le grand ensemble est situé directement en bordure de ville, créant une fracture visuelle et physique entre la ville et la campagne environnante parsemée de champs. La forme arrondie sur une façade de chaque tour adoucit l’image des grands ensembles classiques rectangulaires et imposants.

Elle peut aussi rappeler d’autres grands ensembles aux façades courbées comme les tours Nuage de l’architecte Emile Aillaud à Nanterre ou encore les Choux de Créteil, dessinés par Gérard Grandval.

Miyazaki dessine ces grands ensembles sans se préoccuper de leur contexte d’apparition dans l’histoire. Sans Seconde Guerre mondiale, aurions-nous vraiment vus pousser de tels édifices dans nos paysages français et européens ? Peu importe pour le réalisateur, qui s’attache simplement à dessiner ce qu’il a pu observer lors de ses voyages et qui représente bel et bien la plupart des villes européennes depuis les années 1950, même si cela témoigne d’un paradoxe certain par rapport au contexte du récit.

Imaginer une Europe sans guerre dans un film de fiction, c’est imaginer une Europe à son image, telle qu’on aurait aimé la voir. Alors que le réalisateur laisse en 67

FIGURE 29 - Le dirigeable s’écrase contre la tour horloge de la ville Cette scène présente le dirigeable écrasé contre la tour horloge de la ville de Korico suite à une rafale de vent. Ce dirigeable ressemble fortement à l’USS Los Angeles ci-dessous et permet ainsi de mesurer l’échelle du ballon mais également celle des bâtiments qu’il survole.

Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Kiki la petite sorcière, Studio Ghibli, 1989, 1h42.

FIGURE 30 - Le dirigeable USS Los Angeles se retrouve en position verticale sur son mât d’accrochage de Lakehurst suite à une rafale de vent en 1927 Ce dirigeable ainsi que cette scène impressionnante a très probablement inspiré Miyazaki pour le dessin de son propre dirigeable. Le USS Los Angeles, très similaire au dirigeable du film dans ses formes et ses proportions, ne connait heureusement pas la même fin tragique quand dans le récit de fiction, où le ballon se dégonfle petit à petit, menaçant de s’écraser sur les habitants.

Photographie de l’U.S Narval Historical Center Photograph, 25 août 1927.

Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:USS_Los_Angeles_(ZR-3)_NH_84569.jpg

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place les grands ensembles qui n’auraient peut-être pas été construits dans d’autres circonstances, il se permet au contraire d’ajouter un élément disparu au début de la Seconde Guerre mondiale : le ballon dirigeable. Cet élément, qui prend une place importante dans le récit, a en effet été stoppé dans sa production après la catastrophe de Hindenburg en 1937. Un dirigeable allemand gonflé à l’hydrogène avait pris feu à son atterrissage dans le New Jersey aux Etats-Unis, faisant 35 morts. Cet énième accident de dirigeable a signé la fin progressive des vols commerciaux et militaires, devenus inutiles pendant la guerre puisque remplacés par des avions de plus en plus avancés technologiquement.

Grand passionné d’aviation, aucun film de Miyazaki ne peut se passer d’objets volants imaginés ou tirés du réel. Le dirigeable est alors un moyen pour le réalisateur de continuer à faire vivre à l’image cet incroyable objet qu’il a confié prendre grand plaisir à dessiner. Dans ce contexte pacifique, le dirigeable évoque les simples idées de voyage et de plaisir plus que son utilité militaire. Tel est l’objectif de Miyazaki : montrer au spectateur qu’avant d’équiper ces machines d’armes destructrices, l’aviation est avant tout un art technologique magnifique qui permet aux humains de réaliser un de leur plus grand rêve, celui de voler. Malgré tout, l’accident que l’on peut voir sur la figure 29 et qui constitue un évènement primordial du récit, rappelle la dangerosité de telles structures gonflables. Sur cette image, le ballon dirigeable, emporté par une bourrasque violente, se retrouve à errer au dessus de Korico, pour aller finalement s’écraser contre la tour horloge dominant la ville.

En détruisant le toit de plusieurs édifices, le ballon sert d’échelle face aux décors dessinés et permet de porter un regard plus attentif aux éléments architecturaux qui composent la ville. Sa forte ressemblance avec le dirigeable USS Los Angeles (ZR-3) sur la figure 30 et l’incident de Lakehurst84 en 1927 peut laisser supposer que Miyazaki s’est inspiré de l’existant pour dessiner celui du film. En sachant que le ballon réel mesurait 200 mètres de long par presque 28 mètres de diamètre, les proportions de la tour horloge et des bâtiments alentours apparaissent plus clairement. Encore une fois cependant, le réalisateur reste dans un anachronisme évident, puisque l’USS Los Angeles a été définitivement radié et démantelé en 1939.

84 Le 25 Août 1927, le dirigeable USS Los Angeles s’était retrouvé en position verticale suite à une rafale de vent lors d’une opération d’accrochage sur son mât de Lakehurst. L’évènement semble alors très similaire avec ce qui se passe dans le film.

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Maison où Kiki doit livrer le chat en peluche

Forêt et rizières

Cabane d’Ursula Logements de banlieue (Grands ensembles)

Plage

Banlieue résidentielle

Dirigeable

Remparts

le Rue principa

Maison des grands-mères

Gare

Trajet d’arrivée de Kiki à Korico Port

Tour horloge

Boulangerie

Ville

Maison de Tombo

FIGURE 31 - Carte schématique de la ville de Korico par Takesato Oaza et Hayao Miyazaki Afin d’être certains de la logique spatiale des éléments importants du récit, une carte schématique de la ville et de ses alentours est dessinée.

Traduction du japonais par Lisa Humbert.

Image extraite du livre de MIYAZAKI Hayao, ONIKI Yuji, The Art of Kiki’s Delivery Service (1989), San Francisco, VIZ Media, 2006, p.102.

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A.2. Miyazaki, urbaniste et cartographe, dessiner la ville idéale Dessiner le territoire pour s’assurer de la cohérence spatiale des éléments du récit Pour tout décor architectural qu’il imagine, Miyazaki s’impose un contexte géographique. La ville de Korico ne fait pas exception. Il commence d’abord par dessiner la ville et ses alentours en une carte schématique, afin d’être certain de situer tous les éléments importants du film dans une logique spatiale précise et réfléchie. En observant la figure 31, le centre-ville de Korico semble être situé sur une île reliée au continent par cinq ponts. La vieille ville, au sud du territoire, est alors caractérisée par sa tour horloge dominant le paysage. Une place au pied de la tour constitue l’espace de distribution des routes importantes de la ville, dont l’axe principal crée une véritable travée au milieu des immeubles jusqu’à un des ponts, comme le montre plus clairement la figure 32. Non-loin de cette tour, au Sud-Est, se situe la boulangerie où Kiki s’installe, et tout au Sud, la maison de Tombo, son ami. À l’ouest de l’île, des remparts longent un parc et une grande plage, au nord de laquelle le dirigeable cité plus haut est amarré comme indiqué sur la figure 31. Sur la côte opposée se situe le port industriel ainsi que la gare, la ligne de chemin de fer passant sur le pont le plus à l’est.

Avant la traversée vers le continent, le centre ville juché sur sa colline avec ses immeubles d’habitations et ses boutiques, se transforme en une banlieue résidentielle verdoyante où les pavillons individuels se côtoient, comme le montre l’illustration de la figure 33. Une fois sur le continent, la banlieue résidentielle s’étend encore pour venir se mélanger peu à peu avec les immeubles plus récents des grands ensembles.

Le territoire de Korico semble ensuite être parsemé de quelques maisons le long de la côte ouest, dont celle tout au nord de la figure 31 qui représente le lieu de première livraison de Kiki dans le film. A l’est, un nouveau port ainsi qu’une petite agglomération sont dessinés sur la figure 33, même s’ils sont absents de la carte schématique. Le nord de la carte est constitué principalement d’une forêt que survole Kiki dans le film, où elle rencontre Ursula, peintre vivant dans une cabane au milieu des arbres.

Enfin, le reste du paysage est commun aux agglomérations rurales des petites villes européennes. Il regroupe villages et hameaux au milieu de champs, bien que Miyazaki précise sur sa carte la présence de rizières, typiques des paysages japonais.

Korico est donc une ville particulière, regroupant une multitude d’éléments caractéristiques des villes européennes. Son centre historique se situe sur une île, reliée par pas moins de cinq ponts au continent. Cela rappelle avec évidence l’île de Ré ou d’Oléron que nous connaissons bien en France, mais dont la typologie est inversée : la grande ville, le port industriel ainsi que la gare se situent sur la côte du

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Le port industriel

La gare

L’axe principal de Korico, véritable travée vers un des ponts reliant l’île au continent

Le pont ferroviaire

Plage

Grands ensembles

Banlieue résidentielle

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Forêt

Pont ferroviaire

Hameau au milieu des champs

Port de plaisance et petite agglomération

La tour horloge

Le port de Les remparts plaisance

La plage et son parc aménagé

FIGURE 32 (ci-dessus) - « Panorama de Korico » dessiné par Hayao Miyazaki

Cette image d'arrière-plan (background art en anglais) détaille la vue de Korico depuis le continent. Entourée par la mer, l’île contient tous les éléments de la ville côtière européenne, du port industriel au port de plaisance, en passant par la plage, les parcs et les banlieues dites « verdoyantes ».

Image extraite du livre de MIYAZAKI Hayao, ONIKI Yuji, The Art of Kiki’s Delivery Service (1989), San Francisco, VIZ Media, 2006, pp.148-149.

FIGURE 33 (ci-contre) - L’agglomération de Korico dessinée par Hayao Miyazaki

Ce background art représente les alentours de Korico. Une fois les ponts traversés, les maisons individuelles laissent peu à peu place aux grands ensembles, puis à une forêt et des champs. Quelques maisons parsèment la côte Ouest tandis que l’on observe un autre port et une petite agglomération cotière au Sud-Est, qui n’apparait pas sur la figure 28. Un grand bâtiment au toit bleu derrière ce port pourrait être une ferme ou un centre commercial avec son parking, que l’on retrouve régulièrement à l’extérieur des villes européennes. La ligne de chemin de fer quant à elle se dissoue dans le paysage, traversant les champs et les hameaux.

Image extraite du livre de MIYAZAKI Hayao, ONIKI Yuji, The Art of Kiki’s Delivery Service (1989), San Francisco, VIZ Media, 2006, pp.102-103.

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FIGURE 34 - Kiki survole la banlieue de Korico pour aller livrer un colis sur le continent En regardant cette image où l’on voit deux des ponts reliant l’île au continent, on pourrait simplement croire à un fleuve séparant la ville en deux. Pourtant, c’est bien la mer qui sépare les deux territoires, les ponts enjambant donc un détroit. Ces derniers, comportant quatre travées au maximum, montrent l’étroitesse du détroit et donc la proximité de l’île avec son territoire continental.

Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Kiki la petite sorcière, Studio Ghibli, 1989, 1h42.

FIGURE 35 - Kiki regarde la carte de la région afin de connaitre la destination à prendre pour livrer son colis Les inscriptions sur la carte dans la main de Kiki sont tirées de noms de villes hawaïennes pour la plupart, et plus précisément de l’ile de Maui. On remarque d’ailleurs les lettres « ui » écrits en blanc au milieu de la mer, qui confirment cette pensée. Ce mélange entre noms à consonnances hawaïennes et paysage très européen crée un mélange unique, qui représente tout ce qu’il y a de plus étranger pour le public japonais et déconcertant pour le public occidental.

Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Kiki la petite sorcière, Studio Ghibli, 1989, 1h42.

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continent, reliée par un seul pont à l’île où sont installés villages et fermes agricoles.

Miyazaki lui, dessine cinq ponts, sans que nous ne sachions vraiment pourquoi.

Le pont central, relié à l’avenue principale allant de la tour horloge sur le point culminant de Korico jusqu’aux grands ensembles, semble être finalement suffisant pour traverser la mer en voiture. Celui le plus à l’est s’explique par la présence de la gare et donc d’un pont ferroviaire. Les trois autres ponts cependant, très proches les uns des autres si l’on regarde les figures 32 et 33, ne semblent pas indispensables.

Cette multiplicité de ponts se retrouve généralement pour la traversée d’un fleuve au sein d’une ville, comme à Paris par exemple, où les ponts au-dessus de la Seine se succèdent afin de relier la rive nord et sud. La figure 34 laisse d’ailleurs penser à un fleuve séparant la ville en deux, au dessus duquel sont construits ces ponts ne comportant pas plus de quatre travées. Hors, c’est bel et bien la mer qui passe ici, l’île de Koriko est donc séparée de son agglomération continentale par un détroit, à l’image de beaucoup d’îles de Suède, pays dont s’inspire principalement Miyazaki.

Cartographier la ville étrangère fictionnelle, c’est aussi jouer avec les mots Korico est à première vue bel et bien influencée par les paysages urbains et ruraux côtiers européens. On y retrouve comme dit précédemment les grandes avenues structurant la ville, les plages, les parcs et banlieues bourgeoises, les grands ensembles ainsi que les ports industriels et de plaisance. Cette ville laisse peu à peu place à une campagne parsemée de champs et de forêts, où des petits hameaux de maisons et de fermes remplacent les immeubles et magasins du centre-ville.

La carte que Kiki consulte, afin de repérer l’itinéraire qu’elle doit prendre pour livrer son premier colis, étonne de par les noms qui y sont inscrits. Sur la figure 35 sont indiqués des noms tels que Kahului, Hana, Wailuku et Lahaina, qui sont des census-

designated places85 (CDP) situés sur l’île de Maui, dans l’État d’Hawaï. Miyazaki aurait alors volontairement dessiné une ville d’influence européenne très forte, tout en usant de noms propres à l’île de Maui, en plein Océan Pacifique. Ces informations laissent à penser qu’il ne s’agit en fait peut-être pas d’une seule île reliée à un continent, mais de deux îles reliées entre elles par des ponts, qu’une ligne de train traverse. Aucun document ne permet cependant d’en être certain, le réalisateur préférant laisser une part de mystère quant au paysage qu’il imagine.

En comparant la ville, les villages et quartiers dessinés par Miyazaki avec les 85

Pouvant être traduit par « endroit désigné du recensement » ou encore « secteur statistique », ces lieux sont des zones délimitées par le Bureau du recensement des États-Unis. L’objectif est de fournir des données démographiques pour des concentrations de populations identifiables par un nom, mais qui ne sont pas encore légalement incorporées à l’État dont elles font partie. Cela crée des frontières qui n’ont pas de réelle valeur légale, mais qui permettent d’établir des statistiques pour l’État en charge de ces lieux qui n’ont pas d’administrations publiques qui leurs sont propres.

Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Census-designated_place.

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FIGURE 36 - Aquarelle de Korico par Hiroshi Ono

Ce concept art comporte de nombreux points communs avec le Mont Saint-Michel. On reconnait ces grandes maisons sur plusieurs niveaux entremêlées les unes à côtés des autres, au milieu desquelles la végétation vient se glisser. La ville semble accrochée à une falaise rocheuse, se laissant dominer sur sa hauteur par une tour horloge rappelant le clocher de l’abbaye réelle.

Cependant, Korico est bien plus dense architecturalement et est loin de ressembler à une cité médiévale. De plus, le port et le phare au premier plan n’existent pas dans la réalité. On reconnait cependant que Miyazaki s’est probablement inspiré du Mont pour dessiner cette vue de Korico.

Image extraite du livre de MIYAZAKI Hayao, ONIKI Yuji, The Art of Kiki’s Delivery Service (1989), San Francisco, VIZ Media, 2006, p.66.

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CDP réels, il n’y a aucune ressemblance évidente. Wailuku, situé en pleine terre au nord de la carte sur la figure 35, est en fait un CDP côtier de Maui. Haleakala, inscrit au niveau de la zone d’habitations pavillonnaires au Sud de la carte, est en réalité un volcan situé au sein du parc national portant son nom. Kahului, qui est le CDP le plus peuplé de Maui, limitrophe à Wailuku, se situe pour Miyazaki à trente-sept miles, soit environ soixante kilomètres à l’ouest de Korico. Lahaina enfin, qui veut dire « soleil cruel » en hawaïen, est placé en bord de mer aussi bien dans la réalité que sur la figure 35, au nord-ouest de la carte. Cependant, ce CDP porte son nom de par les sécheresses fréquentes que le lieu subit durant l’année, contrairement au film, puisque la forêt et la végétation sont très présentes. Hana quand à lui, est inscrit à deux reprises sur la carte. La première comme ville côtière, et la deuxième comme lieu situé dans les terres.

L’autre phénomène étonnant de cette carte, ce sont les noms que Miyazaki transforme et imagine, comme Kamuela, devenu Kamulla, mais encore Sand Hills et Happy Valley, quartiers de Wailuku, devenus respectivement Sand Hillds et Happy Valie, et situés de manière qui semble totalement aléatoire sur la carte. Tous les autres noms sont certainement tous droits sortis de l’imagination du maître japonais, qui leur donne toujours cette consonance hawaïenne.

Bien qu’il ne s’agisse évidemment pas d’un paysage inspiré de l’archipel composé de falaises, de chutes d’eau et de forêts tropicales, Miyazaki s’amuse à coup sûr à mélanger tout ce qu’il y a de plus étranger à la culture japonaise. Paysage européen aux noms d’origines hawaïennes, voilà un mélange qui ne peut être plus exotique. En utilisant l’alphabet latin très éloigné de l’écriture japonaise et en transformant et imaginant des noms de villes hawaïennes dans un décor européen, le réalisateur interprète à sa manière la description de Korico dans le livre. Il respecte ainsi le récit initial d’une ville qui n’est ni occidentale, ni japonaise, mais simplement étrangère.

A.3. Voyager grâce à l’architecture Une ville flottante à la française Miyazaki travaille à toutes les échelles afin de dessiner les décors de ses films. Pour Korico, il est parti de l’échelle du territoire, en dessinant les cartes et les paysages étudiés précédemment. L’Europe y est bel est bien à l’honneur, et les références architecturales se précisent encore lorsque l’on atteint l’échelle de la ville.

Dès l’arrivée de Kiki aux alentours de la cité, celle-ci s’exclame, en parlant à son chat Jiji : « Regarde ! Une ville qui flotte sur la mer ! ». Cette réflexion de la petite sorcière, ainsi que le paysage que l’on aperçoit ensuite sur la figure 36, fait écho à une réflexion que beaucoup d’entre nous ont dû se faire enfant, face au Mont Saint-Michel. Cette 77

FIGURE 37 - « Le Mont Saint Michel », Christian Guinet Cette peinture comporte des ressemblances certaines avec l’aquarelle de Hiroshi Ono. Les couleurs d’abord, nuances de blanc, d’ocre, de gris et de vert pour la ville sont similaires, bien que plus vives sur cette peinture. La mer semble plus agitée ici, rappelant les grandes marées dont est témoin le Mont Saint-Michel et que Korico semble ne pas connaitre. Le clocher de l’abbaye située au sommet du Mont ne comporte pas d’horloge comme la tour de Korico, mais sa pointe dominant la ville donne le même effet d’une cité s’étirant vers le ciel. Enfin, la végétation est bien plus présente sur cette peinture, mettant en avant le fait que Korico soit une ville bien plus dense que le Mont Saint-Michel, même si l’inspiration puisée dans ce lieu par Miyazaki ne fait aucun doute.

Huile sur toile, 38x46 cm, date inconnue.

Source : http://www.peintre-couleur.com/peinture-du-mont-saint-michel-oil-painting-mont-saint-michel/

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ville, entourée par la mer, se laisse dominer par son clocher sur les hauteurs, qui rappelle la tour horloge de Korico.

En comparant l’aquarelle de Hiroshi Ono avec la figure 37 ci-contre, peinture du Mont Saint-Michel par Christian Guinet, les similitudes sont nombreuses. D’abord, la ville construite sur un îlot rocheux de 92 mètres de hauteur par 960 mètres de circonférence lui donne cette forme de petite montagne si particulière, dominée par son abbaye qui culmine à plus de 150 mètres de hauteur. Lorsque Kiki arrive à Korico, la vue nous donne cette même impression de ville construite sur un massif rocheux, où une tour horloge, rappelant le clocher de l’abbaye, semble veiller sur la ville. Les maisons en contrebas dessinées pour le décor du film font également écho à celles observées sur la peinture. De grandes maisons sur plusieurs étages sont disposées côtes à côtes sur le flanc rocheux, avec de petites fenêtres alignées, entre lesquelles vient se glisser la végétation. Les couleurs de ces maisons, principalement des nuances de blanc, d’ocre, de gris et de vert sont semblables sur les deux figures. La ville de Kiki cependant, est d’une échelle bien plus importante. Le Mont Saint-Michel ne compte en effet que trente-trois habitants, alors que Korico est définie comme une très grande ville. L’aquarelle comporte d’ailleurs beaucoup plus de maisons que sur la peinture, sans parler du port et du phare en premier plan, qui n’existent pas dans la réalité.

Le paysage dessiné sur la figure 36 est étonnant si l’on regarde de nouveau la figure 32. La tour horloge ne semble en effet pas être sur une telle hauteur, et le dénivelé de la ville parait beaucoup plus important que sur la vue aérienne. Miyazaki a sans doutes voulu marquer les esprits des spectateurs quant à l’arrivée de Kiki dans cette grande ville au milieu de la mer. Volant sur son balais, elle a alors une vue complète de la côte est de la ville. Cette image rend Korico très impressionnante, avec ses grands bâtiments et ses clochers dépassant des toits des maisons, qui donnent l’image d’une cité s’étirant vers le ciel.

La Suède à l’honneur Le premier élément de la ville dont s’approche Kiki est la tour horloge. Miyazaki et son équipe font, une fois de plus, preuve de leurs talents d’architectes éclectiques.

L’inspiration d’influence suédoise est mise en évidence. On reconnait la forme principale et la brique utilisées pour l’hôtel de ville de Stockholm. Ce bâtiment construit entre 1911 et 1923 et conçu par l’architecte Ragnar Östberg, tire son apparence des hôtels de ville médiévaux de style gothique très répandus en Suède. Bâtiment constitué de huit millions de briques rouges, Miyazaki s’est a priori inspiré de ce dernier afin de dessiner son édifice. En comparant les figures 38 et 39, on reconnait d’abord cette grande tour

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FIGURE 38 - La tour horloge et la place du marché de Korico La tour horloge de Korico est surmontée d’une lanterne en cuivre et d’une flèche dorée, à l’image de la tour de l’hôtel de ville de Stockholm ci-dessous. Le bâtiment plus bas au toit de cuivre vert-de-gris, comme le sont beaucoup d’édifices anciens en Europe, voit sa façade percée par une arche où les voitures s’engouffrent ainsi que d’arcades de colonnes blanches qui contrastent avec les briques rouges.

Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Kiki la petite sorcière, Studio Ghibli, 1989, 1h42.

FIGURE 39 - Hôtel de ville de Stockholm, Ragnar Östberg architecte, 1911-1923 Cet hôtel de ville a certainement inspiré Miyazaki pour sa tour horloge et le bâtiment contre laquelle elle est adossée. Les matériaux et les proportions semblent être similaires, bien que la tour de Stockholm ne comporte pas d’horloge. La situation géographique est également différente puisque l’hôtel de ville se trouve au bord du lac Mälar, alors que le bâtiment de Korico est situé en plein centre-ville, au pied duquel un grand marché a lieu.

Photographie, 2016, auteur inconnu.

Source : https://voyagerenphotos.com/2016/09/incontournables-visite-stockholm/

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FIGURE 40 - L’horloge de la tour de Korico et son gardien La présence du gardien permet d’établir une échelle quant au diamètre du cadran de l’horloge, qui serait alors d’environ douze mètres. Ce cadran aux chiffres romain semble fonctionner de manière ordinaire, avec une petite aiguille indiquant les heures et une grande aiguille indiquant les minutes. Le décor, peint à même les briques puisque l’on en voit les traces, représente un soleil à seize rayons, rappelant certaines horloges astronomiques comme celle d’Auxerre cidessous.

Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Kiki la petite sorcière, Studio Ghibli, 1989, 1h42.

FIGURE 41 - Un des cadrans de la tour horloge d’Auxerre Cette tour horloge, construite en 1483 et classée aux monuments historiques en 1862, a la particularité d’annoncer à la fois l’heure solaire et lunaire. On y retrouve ce soleil doré à douze rayons dont certains sont ondulés comme sur l’horloge de Korico, ainsi que les chiffres romains inscrits en noir. L’échelle du cadran est cependant bien moins importante, puisque celui-ci mesure aux alentours de deux mètres.

Source : http://michel.lalos.free.fr/cadrans_solaires/autres_depts/yonne/ha_auxerre/ha_auxerre.html

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FIGURE 42 - Les remparts entourant Korico au niveau du parc et de la plage Seul moment du film où l’on aperçoit les remparts de la ville, cette scène où Tombo court après Kiki le long de la plage permet d’établir une relation certaine avec les remparts de Visby, sur l’île suédoise de Gotland. Bien que les maisons situées à l’extérieur de l’enceinte n’existent pas dans la réalité, les tours carrées à créneaux entourées par la végétation sont clairement reconnaissables. Les proportions du mur sont cependant bien plus importantes que dans la réalité, le mur ici allant presque jusqu’en haut des tours contrairement à celui de Visby.

Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Kiki la petite sorcière, Studio Ghibli, 1989, 1h42.

FIGURE 43 - Les remparts de Visby Construits entre 1250 et 1288, ils comportaient à l’origine 29 tours à créneaux et meurtrières afin de protéger la ville des assaillants venus à la fois du reste de l’île et de la mer. Les grandes maisons de Visby qui sont reconnaissables par leur toit rouge typique et la promenade verte créée le long des remparts font écho au parc entre la plage et les remparts de Korico dans le film.

Source : www.alamyimages.fr

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carrée en briques parsemée de petites ouvertures. Semblable à un campanile, elle est surmontée dans les deux cas d’une lanterne en cuivre et d’une flèche dorée. Le corps des deux bâtiments, dont le toit est également en cuivre, reconnaissable de par sa couleur vert-de-gris, comporte à sa base des arcades dont les colonnes blanches contrastent avec la façade de briques rouges. Les petites ouvertures vitrées situées en haut de la façade sont également similaires sur les deux figures.

Le bâtiment du film se voit cependant traversé à sa droite par une route créant une arche dans sa façade. La tour, qui n’est pas du même côté que sur le bâtiment de Stockholm, devient porteuse d’une gigantesque horloge peinte à même la brique comme le montre la figure 40. La présence du gardien dans l’ouverture permet d’estimer le diamètre du cadran à environ douze mètre, et le dessin en forme de soleil doré rappelle les nombreuses horloges à cadran solaire ou astronomiques que l’on trouve en Europe. La tour horloge d’Auxerre par exemple en figure 41, comporte une horloge astronomique à double cadran, sur lesquels on retrouve ce même soleil doré à seize rayons. Cette horloge comporte deux aiguilles, dont l’une donne l’heure ordinaire, avec des chiffres romains, tandis que l’autre indique l’heure lunaire. L’horloge de Miyazaki semble donner l’heure et les minutes de manière classique avec ses deux grandes aiguilles dorées. L’environnement direct de cette tour horloge est également différent de l’hôtel de ville dont elle s’inspire, puisque ce dernier se situe en bordure du lac Mälar sur l’île de Kungsholmen. L’édifice de Korico se positionne en plein cœur du centre-ville, entouré d’immeubles et surplombant la place du marché.

Le centre-ville de Korico est ainsi inspiré en grande partie par la Suède, et principalement par Gamla Stan, la vieille ville de Stockholm, mais également par Visby, située sur l’île de Gotland. On reconnait Gamla Stan de par les immeubles très colorés qui entourent la place de la tour horloge par exemple, mais surtout Visby, avec ses maisons au toit rouge entourées par des remparts. En comparant les figures 42 et 43, le mur de Visby est clairement reconnaissable sur l’image du film. Érigé entre 1250 et 1288 pour protéger le port mais aussi la ville des assaillants du reste de l’île, le mur possédait 29 tours dont 27 subsistent aujourd’hui. Ces tours à créneaux percées de meurtrières sont reliées entre elles par un mur en pierre encerclant les maisons au toit rouge de la cité médiévale, renvoyant à la typologie de Korico. Les deux villes sont en effet situées sur une île, encerclées en partie par des remparts longeant un espace vert et la mer. Miyazaki se laisse de nouveau une part d’interprétation. Il ajoute des meurtrières en forme de croix sur les tours ainsi que sur le mur, et dessine des maisons au toit rouge au pied des remparts, qui ne sont pas présentes sur la figure 42. Les proportions diffèrent également de celles de Visby, puisque le mur paraît bien plus haut autour de Korico et va presque jusqu’en haut des tours.

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FIGURE 44 (à gauche) - Brasserie Le Dôme et glacier Berthillon Pour ce décor aux accents très parisiens, Miyazaki pousse le détail référentiel à son maximum, en redessinant notamment la devanture du célèbre glacier Berthillon sur l’île Saint-Louis à Paris. On y reconnait la typographie de l’enseigne au dessus des portes, ainsi que la fenêtre à trois volets à gauche de la devanture, bien que certains éléments comme le hauvent coloré n’existent pas dans la réalité.

Image extraite du livre de MIYAZAKI Hayao, ONIKI Yuji, The Art of Kiki’s Delivery Service (1989), San Francisco, VIZ Media, 2006, p.71.

FIGURE 45 (à droite) - Devanture du glacier Berthillon sur l’île Saint-Louis à Paris Bien que la devanture réelle soit en bois et non de couleur dorée comme sur la figure 44, Miyazaki a respecté la typographie du nom de la boutique ainsi que son emplacement juste avant un angle de rue. La porte d’entrée n’est pas la même que sur le concept art mais l’on reconnait sans hésitations l’influence de ce glacier pour dessiner celui de Korico.

Source : Google Maps, 2018.

FIGURE 46 - La boulangerie d’Osono Cette boulangerie dans laquelle Kiki s’installe, accueillie par Osono la boulangère, est le seul édifice de la ville à comporter une structure à colombages. La « cheminée qui tourne » ayant fasciné Hiroshi Ono est bien représentée sur le toit de la maison. C’est un lieu important du récit, où de nombreuses scènes de la vie de Kiki s’y déroule, d’où l’importance de la différencier du reste de la ville. La façade est colorée à l’image du reste de Korico, et le nom de la boutique « Gütiokipänjä », bien qu’en réalité un jeu de mot en japonais, rappelle l’influence suédoise avec les trémas sur les lettres.

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Image extraite du livre de MIYAZAKI Hayao, ONIKI Yuji, The Art of Kiki’s Delivery Service (1989), San Francisco, VIZ Media, 2006, p.86.

Visiter l’Europe en quelques rues En continuant la visite de Korico dans son vieux quartier, un défilé de villes européennes s’offre au spectateur. Le voyage commence par des terrasses parisiennes avec des noms de restaurants écrits en français. On reconnait même la devanture du glacier Berthillon situé sur l’île Saint-Louis à Paris, comme le montre les figures 44 et 45. La route continue ensuite vers la Piazza del Campo de Sienne pour la forme de la place du marché de Korico, Lisbonne et Naples pour les façades colorées en bord de mer, Prague et Venise pour les ruelles et leurs magasins en rez-de-chaussée, San Francisco, Istanbul et de nouveau Lisbonne pour le tramway traversant la ville. De manière tout à fait consciente, l’équipe du film mélange les éléments architecturaux et les décors qu’ils ont découverts et appréciés lors de leurs voyages. Ils ne recherchent pas pour autant la ressemblance parfaite. Habilement, ils composent une nouvelle architecture avec ce qu’ils connaissent déjà et ce qu’ils découvrent.

La boulangerie où Kiki s’installe par exemple, en figure 46, est inspirée des maisons à colombages allemandes ou alsaciennes. Ils ne se sont pourtant pas rendus dans ces régions pour préparer le film, comme l’explique Hiroshi Ono, dessinateur des images de concept art : « La boulangerie a été basée d’après le décor, mais nous n’avons pas vraiment rencontré de structures en bois pendant notre voyage de recherches. J’ai été impressionné par les cheminées qui tournent selon la direction du vent donc j’ai utilisé cela pour la cheminée de la boulangerie »86. Cette « cheminée qui tourne » est en fait un chapeau de toit dit « girouette », qui se tourne dos au vent et permet un tirage plus efficace de la cheminée. Seul édifice du film à comporter une structure à colombages, il est probable que Miyazaki ait voulu le différencier du reste de la ville afin d’appuyer son importance dans le récit. Situé sur les hauteurs, il donne une vue imparable sur la mer et la ville basse. La façade colorée et son toit rouge restent cependant à l’image de l’ensemble de Korico, et le nom de la boutique « Gütiokipänjä », bien qu’en réalité un jeu de mot en japonais87, rappelle l’influence suédoise avec ses trémas sur les lettres.

Korico est finalement la vitrine de tout ce que Miyazaki et son équipe ont retenu et apprécié de l’architecture européenne et occidentale. Chaque petit détail les ayant marqués durant leurs voyages viennent se glisser dans les décors, sans chercher une quelconque cohérence architecturale, contextuelle ou historique. L’idée est de composer un tout convaincant en utilisant de multiples éléments, dans un objectif de dessiner la ville idéale à leurs yeux.

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MIYAZAKI Hayao, ONIKI Yuji, The Art of Kiki’s Delivery Service (1989), San Francisco, VIZ Media, 2006, p.89, traduction personnelle de l’anglais.

87 Prononcé « guchokipanya », le nom de la boutique est composé de « guchokipa », le nom japonais du jeu « pierre-feuille-ciseau » et de « panya », qui veut dire boulangerie.

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FIGURE 47 - Kiki vole de plus en plus haut au-dessus de Korico Ces points de vue aériens de la ville sont justifiés par l’action en train de se dérouler. Kiki, sorcière volant sur son balais, survole Korico. Le personnage effectuant l’action est au premier plan de l’image, laissant apparaitre le décor au second plan. L’objectif de Miyazaki est d’appuyer l’action en cours : s’élever de plus en plus haut dans le ciel. Pour cela, il utilise le décor comme point de référence visuel, et seul le personnage bouge, se rapprochant progressivement de la caméra. Le décor sert ainsi d’élément participant à la compréhension de l’action réalisée par le personnage.

Images extraites du film de MIYAZAKI Hayao, Kiki la petite sorcière, Studio Ghibli, 1989, 1h42.

FIGURE 48 - Hercule arrive à Thèbes sur Pégase, son cheval ailé Le décor architectural vu en plongée est ici dissimulé en grande partie par les personnages qui réalisent l’action de voler. Contrairement à la scène en figure 47, le décor ne participe pas réellement à l’action et reste peu détaillé. L’important est de d’appuyer les sentiments des personnages, impressionés par l’immensité de la ville qu’ils découvrent en volant. Le spectateur est invité à se remettre presque exclusivement au discours des personnages plus qu’à son impression personnelle sur le décor mis en place.

Images extraites du film de MUSKER John, CLEMENTS Ron, Hercule, Walt Disney Pictures, 1997, 1h29min.

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B. Mettre en scène l’architecture, l’art de la représentation à différentes échelles

B.1. L’acte de voler comme prétexte à la découverte du contexte

architectural L’architecture vue du ciel

Hayao Miyazaki est passionné depuis l’enfance par l’aviation et les objets

volants en tout genre. De ce fait, il ne peut s’empêcher, dans chacun de ses films, d’inclure des éléments permettant à ses personnages de voler. Travailler le récit de fiction permet alors de présenter un point de vue inédit de son architecture. Grâce à des cadrages en plongée et des points de vue aériens, il montre aux spectateurs une autre facette de ses décors. Nous l’avons vu, dans Kiki la petite sorcière, la caméra qui suit la jeune fille volant sur son balai montre des paysages très précis de la ville dans son ensemble.

L’avantage du récit de fiction, et d’autant plus dans l’animation, est de pouvoir

justifier n’importe quel point de vue des décors par une action relevant de l’imaginaire.

Dans un récit réaliste88, les points de vue aériens sont effectués afin de prendre du recul sur l’action qui se déroule au sol, ou pour révéler au spectateur le décor dans sa globalité, sans action particulière. Les personnages qui réalisent l’action ne sont alors jamais le sujet au premier plan de la scène, à moins qu’il s’agisse d’un animal volant.

Le film d’animation de fiction permet donc de cadrer une action tout en mettant en avant le paysage dessiné, puisque la logique liée au réel n’a pas à être respectée. Sur la figure 47, la séquence d’images présentées montre Kiki s’élevant de plus en plus haut dans le ciel au-dessus de la ville. La jeune sorcière est alors au premier plan, puisque c’est elle qui fait l’action. En second plan, le décor architectural reste fixe et sert de référence d’échelle par rapport à Kiki se rapprochant de plus en plus de la caméra, ce qui donne l’effet voulu. Le décor est alors utilisé comme un élément participant à la compréhension de l’action de fiction qui se déroule sous les yeux du spectateur.

Miyazaki n’est pas le seul à utiliser ses personnages volants comme prétexte à la mise en valeur d’un décor. Dans Hercule, ce dernier arrive à la ville de Thèbes par les airs grâce à son cheval ailé Pégase. La scène nous fait également découvrir le décor de la ville vue du ciel. Les personnages prennent cependant tellement de place en premier plan durant toute la durée de l’action, comme le montre la figure 48, que le décor reste en second plan, à la fois visuellement et dans le récit. L’important n’est pas l’action en cours, soit l’arrivée d’Hercule à Thèbes, mais le fait que ce dernier soit impressionné par l’immensité de la ville. La précision du décor n’est alors pas primordiale, celui-ci devant juste témoigner de ce que disent et ressentent les personnages à ce moment donné. Le spectateur observe vue du ciel de nombreux 88

J’entends par « récit réaliste » tout récit basé sur le réel, qui n’inclut aucun élément de fiction.

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FIGURE 49 - « Plan de Matsugo vers 1955 », tracé du trajet de Totoro Ce plan dessiné par Hayao Miyazaki exprime le travail préalable effectué afin de s’assurer de la logique spatiale du décor du film. Chaque action réalisée par les personnages s’inscrit dans ce décor précis. Les numéros et flèches en noir ont été rajouté pour ce mémoire afin de retracer le trajet de Totoro lorsqu’il survole Matsugo. Chaque numéro correspond au lieu des scènes ci-dessous.

Plan extrait du livre de MIYAZAKI Hayao, L’art de Mon voisin Totoro (1988), Grenoble, tr. fr., Glénat, 2013, p. 34.

Flèches et numéros : production personnelle.

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FIGURE 50 - Les différentes étapes du trajet de Totoro survolant Matsugo Chaque image ci-dessus correspond à un lieu présent sur le plan de la figure 49, à l’exception de l’image 2, qui se déroule hors-plan. Cette dernière donne un aperçu beaucoup plus large des alentours de Matsugo, Miyazaki travaillant à l’échelle du territoire mais aussi à celle de la maison, comme sur l’image 3.

Images extraites du film de MIYAZAKI Hayao, Mon voisin Totoro, Studio Ghibli, 1988, 1h40.

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bâtis les uns sur les autres, prouvant la densité de la ville.

La scène, qui dure moins de cinq secondes, ne permet pas d’observer des détails importants et de repérer une logique spatiale pour la suite du récit. La scène avec Kiki au contraire, permet de découvrir d’abord le décor. Le spectateur a le temps de repérer le port, les grandes maisons au toit rouge et la végétation qui se glisse entre les bâtis. Plus Kiki se rapproche de la caméra, plus les éléments du décor se précisent. Le port par exemple, en haut à gauche de l’image 1, semble au départ être un port de plaisance. Lorsque Kiki prend une place de plus en plus importante au premier plan (image 3), on observe ce qui ressemble à des containers sur le quai, et les bateaux se précisent dans leur forme, l’angle de vue de la caméra changeant légèrement. Même avec un décor fixe et inanimé, Miyazaki joue avec la caméra et les angles de vues afin de faire vivre le décor au même titre que le personnage en train d’effectuer l’action. Il réussit à créer l’émerveillement sur les deux plans, à la fois sur la sorcière qui vole au premier plan et sur la découverte du décor architectural au second plan. La scène d’Hercule au contraire met en avant les personnages en train de voler et leurs ressentis plus que la découverte de la ville par le spectateur luimême.

Filmer une action pour dévoiler le décor Pour Miyazaki, chaque scène a son importance et sa logique liée à une action en cours. On ne verra que très rarement un point de vue aérien de son architecture sans action particulière se déroulant au premier plan. Le décor a autant d’importance à ses yeux que les personnages, et la fiction lui sert à le mettre en valeur. Pour Mon voisin

Totoro, un travail préalable précis et minutieux a été mis en œuvre afin de dessiner Matsugo, commune dans laquelle s’installent les deux petites filles du récit. Le plan établit en figure 49 est dessiné dans une logique précise afin d’accueillir spatialement les différentes actions du film. Pour permettre au spectateur de comprendre cette logique spatiale, Miyazaki utilise de nouveau la vue aérienne sous prétexte de suivre l’action des personnages.

Dans la scène où Totoro s’envole sur une toupie magique, les deux petites filles accrochées à son ventre, le paysage imaginé par l’équipe du film est ainsi survolé. Le trajet effectué par Totoro, dessiné également sur la figure 49, fait découvrir Matsugo et ses environs aux spectateurs. On reconnait ainsi différents lieux présents sur le plan et répertoriés en figure 50. Le trajet débute donc autour de la maison de Satsuki et de Mei (image 1), Totoro s’envolant vers le sud-est pour se retrouver en dehors du plan.

L’échelle du territoire dessiné s’agrandit et laisse découvrir les environs de Matsugo, campagne composée de petits villages, de rizières, de la rivière Matsuigawa en bas à droite comme sur le plan et d’un grand lac que l’on aperçoit en haut à droite de 89

FIGURE 51 - Personnage simplifié et décor travaillé Le travail de la texture du bois ainsi que de l’usure de l’encadrement de porte contraste avec le dessin simpliste et naïf du chat. Le décor fixe prend alors une importance tout aussi remarquable que le personnage qui fait l’action de la scène.

Images extraites du film de MIYAZAKI Hayao, Kiki la petite sorcière, Studio Ghibli, 1989, 1h42.

FIGURE 52 - Personnage réaliste et décor schématique Une fois de plus, les studios Walt Disney mettent en avant les personnages par rapport au décor, qui passe en second plan à la fois visuellement et dans le récit. Le chat est ici bien plus précis et réaliste dans son dessin que le décor, qui lui reste très schématique.

Images extraites du film de REITHERMAN Wolfgang, Les aristochats, Walt Disney Productions, 1970, 1h18.

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l’image 2. Le trajet entre les images 2 et 3 n’est pas montré dans le film. La scène suivante montre Totoro au-dessus du village, qui survole une maison et une cabane de jardin (image 3), que l’on retrouve dessinées sur le plan. Il s’engouffre ensuite au milieu des arbres vers la route nationale (image 4), pour faire demi-tour et se retrouver au dessus des rizières (image 5). Il traverse enfin la rivière Matsuigawa, où l’on aperçoit le pont sur la droite de l’image 6, pour retourner à la maison des petites filles (image 7).

Le cadrage, presque exclusivement en plongées sur Totoro, permet de comprendre la nature du paysage dans lequel se déroule le récit du film. L’action surréaliste de ce hamster géant volant sur sa toupie, un parapluie à la main tel Mary

Poppins89, permet à la caméra les multiples prises de vue du paysage, de l’échelle du territoire à celle de la maison. L’action qui se déroule au premier plan met ainsi en valeur le décor en second plan, qui devient un élément du récit à part entière. Les feuilles des arbres bougent au passage de Totoro, les plants de riz dansent sous sa toupie, la rivière reflète la lueur de la lune. Il ne s’agit pas d’un décor à simple objectif contextuel. Il accompagne véritablement l’action, et justifie l’importance apportée au dessin des éléments paysagers et architecturaux qui composent le film.

B.2. L’animal comme outil de perception du détail architectural

La précision du dessin architectural chez Miyazaki ne s’arrête pas à l’échelle

du territoire. Chaque architecture est travaillée jusqu’au détail des matériaux qui la compose. L’animal est alors pour cela un outil que n’hésite pas à utiliser le réalisateur. À l’instar des astuces imaginées pour faire voler ses personnages, et ainsi avoir un argument pour dévoiler au spectateur ses décors vus de haut, l’animal sert de prétexte pour justifier des plans près du sol. Jouant avec les perspectives, il utilise des prises de vue en plongée et en contre-plongée afin de donner l’effet souhaité. Sur la figure 51, une prise de vue en plongée sur le chat de Kiki dévoile les détails du parquet et de l’encadrement de porte dans lequel il se tient. La texture du bois y est très travaillée et les petits détails d’usure de la matière rendent le décor particulièrement réaliste.

Le réalisateur aurait pu, à l’image du chat, rester dans un dessin très simple voire naïf, mais préfère miser toute la précision sur le décor, ce qui le met en valeur.

Lorsque l’on regarde le chat Jiji, sa forme n’est que peu réaliste. Celui-ci a une tête très ronde avec de grands yeux ronds et une gueule sans dents, un point rose en guise de museau, deux traits pour ses moustaches et aucune texture de poils. Ce contraste de précision du dessin fait alors ressortir davantage le travail effectué sur le décor. De nouveau, l’image fixe au second plan devient aussi importante, voire plus importante que le personnage qui effectue l’action de la scène. En comparant avec la figure 52, 89

STEVENSON Robert, Mary Poppins, Walt Disney Productions, 1965, 2h14.

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FIGURE 53 - Les fondations sous la maison de la famille Kusakabe Les plots en bétons soutenant les poteaux du plancher paraissent démesurés. La prise de vue en contre-plongée déforme la perspective et surdimensionne le décor.

Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Mon voisin Totoro, Studio Ghibli, 1988, 1h40.

FIGURE 54 - « Plan de la maison des Kusakabe », dessiné par Kazuo Oga Le parcours des petites filles permet au spectateur de découvrir toutes les pièces de la maison et d’en comprendre la logique spatiale. Chaque numéro dessiné sur le plan correspond aux images en figure 55.

Image extraite du livre de MIYAZAKI Hayao, L’art de Mon voisin Totoro (1988), Grenoble, tr. fr., Glénat, 2013, p. 63.

Flèches et numéros : production personnelle.

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image similaire du film Les aristochats90 du studio Walt Disney, l’effet inverse est observé. Bien que le dessin dans son ensemble ait un style plus crayonné et moins lisse, puisque ce film est sorti vingt ans avant Kiki la petite sorcière, le chaton reste plus fidèle à la réalité. La proportion des yeux par rapport au visage est plus réaliste.

Il a de vraies babines, des canines, et la texture du poil est beaucoup plus travaillée.

Walt Disney a presque toujours utilisé l’animal comme personnage humanisé.

Ce chat se retrouve donc avec des sourcils dignes d’un humain, ce qui n’enlève rien au dessin plutôt réaliste de l’animal. Lorsque l’œil regarde le second plan de l’image cependant, le décor semble bien moins précis que le personnage. Le tapis sur lequel est assis le chat n’est pas détaillé dans ses motifs ou sa texture, on devine un parquet en bois par la couleur mais son relief reste symbolisé par de simples traits schématiques. Le mur quant à lui, comporte une frise dont tous les motifs ne sont pas achevés d’être colorés, et se termine à droite de l’image par un amas de traits, comme si le dessin n’était encore qu’au stade de l’esquisse. Le cadrage, bien plus proche du personnage que sur la figure 51, met en avant l’action effectuée par le personnage, le décor ne servant une fois de plus que de contexte visuel.

Au-delà des effets de texture et d’usure de la vie des matériaux qu’utilise

Miyazaki pour ses décors, celui-ci tient également à montrer au spectateur ce qui n’est que rarement détaillé dans des films d’animation. Dessinant son architecture comme si cette dernière allait être réellement construite, il en va même à dessiner les détails techniques et constructifs de ses bâtiments. La maison du film Mon voisin

Totoro évoquée en première partie de ce mémoire en est le parfait exemple. Lorsque la petite Mei, poursuivant les totoros dans le jardin, se retrouve à glisser sa tête sous le plancher de la maison, on découvre alors les fondations. La prise de vue en contreplongée exprime alors parfaitement ce que voit sous ses yeux la fillette de quatre ans.

Selon le point de vue d’un enfant, tout parait plus grand. C’est le cas sur la figure 53, où les plots en bétons soutenant les poteaux du plancher paraissent démesurés, leur forme depuis cet angle de vue allant presque à rappeler celle d’un temple Maya.

Jouer sur la perception de son architecture afin d’en exposer les détails et le travail de précision du dessin, voilà tout le talent de Miyazaki. Une fois encore, il se sert du prétexte de l’animal pour justifier une scène mettant en valeur son décor et faisant découvrir les parties cachées de son architecture. Sans les petits totoros venant se réfugier sous la maison, Mei n’aurait jamais eu l’idée d’aller explorer cette partie de l’édifice. Les détails constructifs imaginés par Miyazaki lors de la conception de la maison n’auraient alors pas été exposés au spectateur.

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REITHERMAN Wolfgang, Les aristochats, Walt Disney Productions, 1970, 1h18.

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FIGURE 55 - Mei et Satsuki parcourent la maison et son jardin afin de trouver la porte menant au grenier Miyazaki se sert de l’émerveillement de l’enfant pour justifier que les petites filles courent dans toutes les pièces de la maison afin de trouver le grenier et par conséquent de faire découvrir cette maison aux spectateurs. Dans L’art de Mon voisin Totoro, à la page du plan figure 51, Hayao Miyazaki s’exprime sur cette excitation de l’enfance que l’on perd en devenant adulte : « Elles courent partout, ouvrent une porte, hurlent : « Pas par là ! », claquent la porte, en ouvrent une autre, « Oh ! Les toilettes ! ». Elles s’excitent et se mettent à rire. C’est ça, le monde des enfants.

Seulement, quand on en a devant soi en vrai, on ne s’entend plus. » (rires).

Images extraites du film de MIYAZAKI Hayao, Mon voisin Totoro, Studio Ghibli, 1988, 1h40.

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B.3. Les personnages comme médiateurs de l’architecture Les enfants, guides extraordinaires d’une architecture ordinaire Afin de faire découvrir toutes les parties de l’architecture qu’il dessine, Miyazaki utilise ses personnages comme guides. Le spectateur découvre alors en même temps que les personnages la logique spatiale et constructive des bâtiments.

Une fois de plus, la maison de Mon voisin Totoro est exemplaire. La scène où Satsuki et Mei découvrent leur nouvelle maison en courant à travers toutes les pièces permet dès le début du film de comprendre la logique de distribution de chaque espace intérieur et extérieur. En se référant au plan exposé de nouveau en figure 54, on peut retracer le parcours des petites filles qui nous font visiter la maison. Les images de la figure 55 correspondent aux numéros sur le plan et dessinent un chemin passant par toutes les pièces.

Les petites filles commencent ainsi leur découverte par la pergola de la partie occidentale de la maison, amusées par le poteau qui menace de s’effondrer (image 1). Ensuite, elles se dirigent vers la marre asséchée et montent sur les rochers qui l’entoure (image 2), puis regardent leur père qui ouvre les portes vitrées coulissantes de la véranda (image 3). À la demande de ce dernier, elles contournent la maison vers le Nord et passent à côté du puits (image 4), pour aller ouvrir la porte de la cuisine donnant sur l’extérieur (image 5). Elles s’avancent donc dans la cuisine (image 6) et observent sous la porte la salle de bain qui se situe dans la prolongation (image 7).

Leur père leur demande ensuite de chercher la porte menant au grenier, et c’est alors qu’elles parcourent en courant le reste de la maison, ouvrant toutes les portes sur leur passage. Elles passent d’abord par le séjour juxtaposé à la cuisine (image 8), puis ouvrent la porte des toilettes (image 9), pour se retrouver dans la véranda (image 10).

Satsuki ouvre alors un shôji donnant sur la pièce principale (image 10), et le referme aussitôt pour se diriger vers la pièce occidentale. Ne comprenant pas où se trouve l’escalier, on la voit sur l’image 11 regarder la fenêtre de l’étage sur la façade extérieure.

Les fillettes reprennent leur chemin, et repartent en courant dans la véranda (image 12), puis traversent la pièce principale divisée en deux par des fusuma, qui leur sert de chambre pour la nuit (image 13). Enfin, Satsuki s’arrête devant une porte dissimulée dans le mur. Elle l’ouvre et découvre l’escalier (image 14). La scène se termine avec les personnages qui observent le grenier plongé dans le noir (image 15). À l’image des animaux, Hayao Miyazaki se sert de l’enfant afin de justifier des scènes comme celle-ci. La naïveté, mais aussi l’excitation et la curiosité des enfants lui permettent de réaliser cette découverte de la maison de manière dynamique. Ce moment banal pour les adultes devient alors une grande aventure palpitante lorsqu’il est réalisé par des enfants. De cette façon, il arrive une fois de plus à mettre en avant

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Appartements de Yubaba

Dortoirs des employés

Appartements des clients

Espace de loisirs et de bains pour les clients

Entrée principale du Palais

Cuisines Espace ascenseurs et escaliers de service Chaufferie

FIGURE 56 - « Coupe du Palais des bains », dessiné par Hayao Miyazaki

Un croquis préparatoire en coupe de la circulation au sein du palais et des différents espace est réalisé.

Chaque espace est ainsi défini dans une logique précise avant de dessiner l’édifice dans les détails. La verticalité est mise en avant par cette cage d’escaliers de service et d’ascenseur au coeur du bâtiment.

Image extraite du livre de MIYAZAKI Hayao, ONIKI Yuji, The Art of Miyazaki’s Spirited Away (2001), San Francisco, VIZ Media, 2002, p. 31.

Notes en français ajoutées personnellement.

FIGURE 57 (à gauche) - Chihiro, terrorisée avant d’emprunter la descente de l’escalier

La vue en plongée accentue l’effet de hauteur et de vertige que ressent Chihiro. Le train passant en contrebas permet d’établir un repère visuel et d’echelle afin de comprendre à quelle hauteur se trouve la petite fille.

Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Le voyage de Chihiro, Studio Ghibli, 2001, 2h05.

FIGURE 58 (à droite) - Chihiro descend les escaliers en courant

Miyazaki utilise cette fois-ci la prise de vue en contre-plongée pour donner également une impression de hauteur et de verticalité. La petite fille se rapproche de plus en plus vite de la caméra, laissant voir le reste de l’escalier derrière elle dans une perspective fuyante.

Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Le voyage de Chihiro, Studio Ghibli, 2001, 2h05.

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le décor en parallèle de l’action réalisée par les personnages.

Verticalité du parcours architectural, bien cadrer pour mieux comprendre Dans Le voyage de Chihiro91, l’architecture du palais des bains est également remarquablement précise et réfléchie. Bâtiment basé sur une verticalité certaine, les escaliers et ascenseurs prennent un rôle important pour comprendre l’agencement des différents étages par rapport aux autres. Les parcours architecturaux sont nombreux, et c’est Chihiro, jeune fille de douze ans, qui nous fait découvrir l’édifice au fur et à mesure de l’histoire. Tout comme la maison de Mei et Satsuke, l’équipe du film pense au préalable les différents espaces, à l’aide de croquis et de coupes.

Sur la figure 56, la coupe du palais des bains dessinée par Miyazaki dévoile les pièces composant l’édifice. Au niveau le plus bas se trouve ainsi la chaufferie, au dessus de laquelle se situent les cuisines et les dortoirs des employés. L’entrée à droite, à laquelle on accède par un pont, donne directement sur un grand espace avec coursives sur plusieurs niveaux, où des salles de loisirs et des bains accueillent les visiteurs. Audessus de cette grande salle se trouvent les appartements des clients, tandis que la partie gauche et toute la partie sous les toits regroupent les appartements de la la sorcière Yubaba, directrice du palais des bains. Enfin, tous ces espaces sont distribués par une cage d’escaliers et d’ascenseurs, colonne vertébrale de l’édifice.

La première partie du parcours vertical engendré par l’aventure de Chihiro débute à la vingtième minute du film, lorsque celle-ci doit emprunter un escalier en bois longeant la façade ouest du palais. Sur la figure 57, Miyazaki utilise magistralement la vue en plongée afin d’accentuer l’effet de hauteur et de vertige que ressent la jeune fille. Terrorisée à l’idée de descendre cet immense escalier en bois qui semble suspendu dans le vide, la vue en plongée et la perspective fuyante accentuent l’effet de verticalité. Le train qui passe en contrebas permet d’établir un repère visuel afin de se rendre compte de la hauteur approximative à laquelle se situe Chihiro. La figure 58, prise en contre-plongée cette fois-ci, permet également, grâce à sa perspective fuyante et sa prise de vue, d’accentuer la verticalité de l’objet architectural qu’est l’escalier. La petite fille, les bras en l’air et le visage crispé, court sur les marches vers la caméra, et se rapproche de plus en plus vite du spectateur. En second plan, on aperçoit le reste de l’escalier qui monte le long de la façade, ce qui ajoute encore une impression de grandeur au trajet parcouru.

La suite du chemin continue à la trentième minute, lorsque Chihiro est guidée vers le dernier étage du palais où la sorcière Yubaba se trouve. Elle traverse d’abord horizontalement plusieurs espaces en enfilade, mais là encore Miyazaki arrive à glisser des points de vue en contre-plongée afin de montrer la verticalité de son 91

MIYAZAKI Hayao, Le voyage de Chihiro, Studio Ghibli, 2h05, 2001.

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FIGURE 59 - Vue en contre-plongée de la cage d’escalier

Dans cette scène, Chihiro regarde au-dessus d’elle et observe les contrepoids des ascenseurs monter et descendre au milieu des escaliers de service. Des passerelles traversent l’espace, et l’on aperçoit en arrière plan une succession de niveaux dans la lumière, la cage d’escalier traversant différents étages.

Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Le voyage de Chihiro, Studio Ghibli, 2001, 2h05.

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FIGURE 60 - L’ascenseur vu du dessus se rapproche de la caméra

La vue en plongée permet de nouveau de suivre l’ascension des personnages, en observant depuis l’extérieur l’ascenseur se rapprochant de plus en plus près de la caméra.

Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Le voyage de Chihiro, Studio Ghibli, 2001, 2h05.

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architecture. La jeune fille observe alors la cage d’escaliers de service au centre de laquelle les contrepoids des ascenseurs montent et descendent (figure 59). En arrière-plan, l’espace traverse une succession de niveaux dans la lumière, annonçant la hauteur de ce dernier. Chihiro emprunte ensuite l’ascenseur et la caméra réalise un travelling vertical92, suivant l’ascension des personnages. Puisqu’il s’agît d’une scène en mouvement, il est difficile d’exprimer ici cette séquence par des images fixes. Utilisant de nouveau la prise de vue en plongée, c’est cette fois d’un point de vue extérieur que le spectateur est invité à vivre l’ascension vers le dernier étage du palais. Sur la figure 60, on observe alors l’ascenseur du dessus, qui se rapproche de la caméra pour arriver au premier plan de l’image. L’ascenseur, l’objet de la scène, en arrière-plan sur l’image 1, devient de plus en plus gros et cache au fur et à mesure le décor et les faisceaux de lumière traversant les murs. Sur l’image 6, on ne voit plus qu’un gros plan de la poulie du mécanisme, et tout le décor disparait, comme si l’ascenseur fonçait droit sur le spectateur.

Les scènes exprimant la verticalité dans Le voyage de Chihiro sont nombreuses. Il est impossible de compter précisément tous les escaliers présents dans le bâtiment, mais chaque scène d’ascension ou de descente a son importance, et participe à la fiction du récit. Ces escaliers donnent une échelle surdimensionnée à l’édifice, accentuant l’impression première d’un bâtiment très haut et imposant. À l’image du royaume de Takicardie du film Le Roi et l’Oiseau93, qui surprend de par sa verticalité et sa hauteur sans limite, on reconnait dans certaines scènes la fascination du réalisateur japonais pour ce chef-d’œuvre d’animation française.

Sur la figure 61 tirée du Voyage de Chihiro, Haku gravit les escaliers de la tour du Palais afin de rejoindre les appartements de Yubaba. Tout dans cette image exprime la verticalité. D’abord, les sacs suspendus par des cordes au premier plan créent deux lignes verticales au centre de l’image, et la forme en goutte d’eau des sacs lestés attestent de la gravité faisant effet sur eux. Ensuite, la lumière provenant de l’angle en bas à droite projette l’ombre du personnage sur le mur. Cette ombre très allongée occupe les deux tiers de la hauteur de l’image et participe à l’effet de verticalité. Enfin, l’escalier en colimaçon semble sans fin, l’angle en haut à gauche de l’image étant plongé dans la pénombre, en opposition avec l’angle d’où provient la lumière. La perspective fait se redresser presque à la verticale le haut de l’escalier, donnant l’impression d’une ascension interminable, puisque l’on ne voit pas non plus le début des marches en bas de l’image.

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Un travelling vertical en cinéma consiste à un mouvement faisant descendre ou monter la caméra suivant un sujet ou une action. Il est souvent utilisé pour révéler progressivement un lieu au spectateur.

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GRIMAULT Paul, PRÉVERT Jacques, Le Roi et l’Oiseau, 1980, 1h27.

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FIGURE 61 - Haku monte les escaliers de la tour du Palais

Les effets d’ombre et de lumière ainsi que la perspective déformée de l’image accentuent l’effet de verticalité, mais créent également une ambiance mystérieuse relevant de la fiction.

De nouveau, Miyazaki utilise la contre-plongée qui permet de justifier la forme longiligne et verticale de l’ombre du personnage.

Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Le voyage de Chihiro, Studio Ghibli, 2001, 2h05.

FIGURE 62 - La Bergère et le Ramoneur s’enfuient par les escaliers d’une tour du château

Les personnages vus en plongée ainsi que les jeux d’ombre et de lumière créent une ambiance étrange. Les marches semblent disproportionnées par rapport aux personnages qui dévalent cet escalier sans fin.

Image extraite du film de GRIMAUL Paul, PRÉVERT Jacques, Le Roi et l’Oiseau, 1980, 1h27.

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Par des jeux d’ombres et de lumière, mais aussi par une prise de vue en plongée et une perspective déformée, Miyazaki réussit à créer une atmosphère fictionnelle, qui donne une dimension mystérieuse à cette montée d’escalier. La figure 62 tirée du Roi et l’Oiseau rappelle la scène de la figure 61. Cette fois-ci, la prise de vue se fait en contre-plongée sur les personnages, où le spectateur suit des yeux la Bergère et le Ramoneur descendant à toute vitesse les escaliers d’une tour du château. Là encore, l’escalier en colimaçon semble sans fin, une partie plongée dans l’obscurité.

Le spectateur ne connait ni le point de départ ni le point d’arrivée des marches. Seule la partie centrale de l’image est éclairée, tandis que le reste du décor à gauche et à droite reste très sombre, ce qui crée une colonne de lumière. On observe en haut à droite de l’escalier l’ombre d’un policier chauve-souris poursuivant le couple, tandis que l’échelle disproportionnée des marches et des ouvertures par rapport à la taille des personnages accentue l’impression d’immensité de la tour. L’atmosphère créée par la lumière, l’ombre et les proportions démesurées relève ainsi de l’étrange, voire du fantastique.

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CONCLUSION

Hayao Miyazaki est donc bien plus qu’un simple réalisateur de films

d’animation. Véritable autodidacte, il est à la fois dessinateur, cadreur, cinéaste, concepteur, architecte, urbaniste et géographe. Il s’approprie différentes techniques liées au cinéma et à l’architecture, et porte une attention particulière au récit autant qu’au décor. Il inclue dans ses histoires des éléments ou personnages fictifs, ce qui lui permet de composer ses films à sa manière, tel un architecte éclectique du XIXe siècle. En mélangeant les styles architecturaux du monde entier et en créant de nouvelles espèces animales, le réalisateur ne semble avoir aucune limite si ce n’est son imagination.

Le maître de l’animation ne s’impose pas une logique liée au réel. Il prend au contraire la liberté de jouer sur l’anachronisme et l’intemporalité de son architecture.

Bien souvent, le décor en animation fictionnelle est à l’image du récit, ce qui rend alors une action improbable presque normale aux yeux des spectateurs. L’architecture précise de Miyazaki au contraire, à l’opposé de celle des studios Walt Disney par exemple, contraste avec le récit imaginaire, renforçant alors l’effet de fiction. Il aborde des thématiques souvent mises de côté dans les dessins animés pour enfants, et n’hésite pas à raconter la vie telle qu’elle est. L’architecture transmet ainsi un sentiment particulier allant de pair avec celui ressenti par les personnages.

Dessiner l’architecture fictionnelle d’animation pour Miyazaki, c’est d’abord

dessiner ce qu’il y a de plus étranger à la culture nippone. Films destinés d’abord aux japonais, l’Europe se voit idéalisée et romancée dans plusieurs de ses œuvres. La ville de Korico dans le film Kiki la petite sorcière est l’exemple parfait de l’idéal de la ville pour Miyazaki et son équipe. Jouant de nouveau sur un anachronisme certain, ce film dévoile aux spectateurs les talents multiples et le travail de recherches acharné déployé par le cinéaste avant la réalisation de chacun de ses films. Il nous fait voyager à travers tout l’Occident, multiplie les références architecturales et arrive ainsi à créer une ville nouvelle aux allures fantastiques, composée presque uniquement d’éléments existants.

Enfin, la façon dont il met en scène ses décors tout en jouant avec les échelles

est remarquable. Grâce à des stratagèmes permettant à ses personnages de voler, on découvre ses paysages par de magnifiques points de vue aériens. Au contraire, la figure de l’animal ou celle de l’enfant lui permettent de montrer aux spectateurs des détails de texture et de matériaux d’une rare précision dans les films d’animation.

Ne montrant aucune scène inutile, chaque cadrage de son architecture est justifié par l’action d’un personnage, qui joue ainsi le rôle de médiateur. Par ces différentes

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techniques et astuces propres au cinéma, l’architecture de Miyazaki réussit bel et bien à appuyer la fiction et à créer un univers fictionnel unique en son genre.

Dans le cadre de ce séminaire, l’analyse de ces films d’animation a permis de mettre en avant l’importance des décors architecturaux pour un récit de fiction.

L’action d’un personnage se justifie par ce qu’il voit et ce qu’il ressent, et c’est bien l’espace architectural pensé et conçu qui permet cette action. L’animal quant à lui prend une place importante dans les récits, bien qu’il soit utilisé principalement comme outil permettant à Miyazaki de mettre en avant ses décors. Pensés comme des êtres doués d’intelligence et de réflexion sur le monde, ceux-ci sont considérés comme des personnages à part entière, tout comme les humains. L’utilisation de la figure animale vis-à-vis de l’architecture pourrait être davantage développée, afin d’enrichir notre propos de points de vues et de détails architecturaux dont Miyazaki fait preuve dans ses œuvres.

La comparaison avec d’autres réalisateurs de films d’animation s’est limitée principalement aux studios Walt Disney. Il aurait été intéressant de mentionner d’autres réalisateur afin d’appuyer davantage en quoi Hayao Miyazaki se démarque réellement du reste de ses confrères. Il aurait fallu pour cela approfondir la recherche sur l’histoire de l’animation depuis ses débuts et à l’international, mais ce n’était pas la problématique initiale de ce mémoire.

L’analyse de la ville de Korico aurait pu faire l’objet d’un mémoire entier.

La sous-partie la concernant n’est alors que partielle et toutes les références architecturales présentes n’ont pas été montrées et analysées par un souci d’équilibre des parties. D’autres thématiques, plus urbanistiques et territoriales, pourraient alors être développées afin d’enrichir cette recherche et ouvrir à d’autres questionnements.

Finalement, il a été regrettable et frustrant de ne pas savoir lire le japonais. Il est certain que de nombreux documents traitent des œuvres de Hayao Miyazaki d’un point de vue autre que ceux des occidentaux. Il aurait été intéressant de connaitre l’avis et l’analyse d’un japonais sur l’architecture qu’il dessine et met en scène. Cela aurait permis de confirmer totalement l’hypothèse que le maître utilise de nombreux décors occidentaux mélangés à des décors traditionnels japonais afin de renforcer la fiction de ces films dédiés avant tout à un spectateur nippon.

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SCHMIDT Jérôme, Génération Manga : Petit guide du manga et de l’animation, Paris, J’ai lu, Librio, 2004.

VRIELYNCK Robert, Le Cinéma d’animation avant et après Walt Disney, Bruxelles, Meddens, 1981.

Emission radio SIGRIST Frederick, ILLA Céline, « L’Empire de Walt Disney », Blockbuster, chronique, France Inter, France, 20 Juillet 2017, 11h, 54 min.

ANALYSE DE LA PLACE DE L’ANIMAL CHANVALLON Stéphanie, « Les relations humains/animaux, de l’espace protégé à l’espace partagé, une géographie physique et sensible », Carnets de géographes, n°5, 1er janvier 2013.

ESTEBANEZ Jean, GOUABAULT Emmanuel, MICHALON Jérôme, « Où sont les animaux ?

Vers une géographie humanimale », in Carnets de géographes, n°5, 1er janvier 2013.

ESTEBANEZ Jean, « Penser les communautés hybrides, entretien avec Dominique Lestel, Maître de conférences à l’ENS-Ulm », in Carnets de géographes, n°5, 1er janvier 2013.

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ROUILLARD Dominique, « L’autre animal de l’architecture », in Cahiers thématiques, n°11, Décembre 2011.

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TABLE DES FIGURES FIGURE 1 - Photographie d’un village dans la Vallée du Rhondda au Pays de Galles Photographe et date inconnus.

Source : https://britishheritage.com/when-coal-was-king-in-wales-rhondda-valley-2/ FIGURE 2 - Le village minier sous la brume matinale Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Le château dans le ciel, Studio Ghibli, 1986, 2h04.

FIGURE 3 - Croquis en plan et axonométrie de l’intérieur du Palais des bains Image extraite du livre de MIYAZAKI Hayao, ONIKI Yuji, The Art of Miyazaki’s Spirited Away (2001), San Francisco, VIZ Media, 2002, p. 31.

FIGURE 4 - « Cities Moving », Ron Herron Collage, 1964, photo archives Archigram, MoMa. Source : https://www.thedailybeast.com/imagine-a-world-of-walking-cities-ron-herron-did-3?ref=scroll FIGURE 5 - Le château ambulant se déplaçant dans les landes Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Le château ambulant, Studio Ghibli, 2004, 1h59.

FIGURE 6 - « Mise en page éclatée complète des pièces » par Mitsunori Kataama Image extraite du livre de MIYAZAKI Hayao, ONIKI Yuji, The Art of Howl’s Moving Castle (2004), San Francisco, VIZ Media, 2005, p. 77.

FIGURE 7 - Le château ambulant, épuisé de sa déambulation dans les Landes Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Le château ambulant, Studio Ghibli, 2004, 1h59.

FIGURE 8 - Le château ambulant se repose au bord du lac Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Le château ambulant, Studio Ghibli, 2004, 1h59.

FIGURE 9 - Sophie regarde par le balcon du château Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Le château ambulant, Studio Ghibli, 2004, 1h59.

FIGURE 10 - Totoro, Satsuki et le chat-bus en haut du camphrier Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Mon voisin Totoro, Studio Ghibli, 1988, 1h40.

FIGURE 11 - Dessin légendé d’un temple dans la Cité mythique de Thèbes Document personnel réalisé à partir d’images extraites de MUSKER John, CLEMENTS Ron, Hercule, Walt Disney Pictures, 1997, 1h29min.

FIGURE 12 - Façade du bâtiment bloquant la route à Chihiro et ses parents Image extraite de MIYAZAKI Hayao, ONIKI Yuji, The Art of Miyazaki’s Spirited Away (2001), San Francisco, VIZ Media, 2002, p. 61.

FIGURE 13 - Dessin de l’arrière-plan de la salle où arrivent Chihiro et ses parents après la traversée du tunnel Image extraite du livre de MIYAZAKI Hayao, ONIKI Yuji, The Art of Miyazaki’s Spirited Away (2001), San Francisco, VIZ Media, 2002, p.64.

FIGURE 14 - Concept art de la maison de la famille Kusakabe Image extraite du livre de MIYAZAKI Hayao, L’art de Mon voisin Totoro (1988), Grenoble, tr. fr., Glénat, 2013, p. 42.

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FIGURE 15 - Reconstitution de la maison du film Mon voisin Totoro Photographe : Martinhsu, date inconnue.

Source : moricoro-park.com FIGURE 16 - « Plan de Matsugo vers 1955 » Image extraite du livre de MIYAZAKI Hayao, L’art de Mon voisin Totoro (1988), Grenoble, tr. fr., Glénat, 2013, p. 34.

FIGURE 17 - « Plan de la maison des Kusakabe », dessiné par Kazuo Oga Image extraite du livre de MIYAZAKI Hayao, L’art de Mon voisin Totoro (1988), Grenoble, tr. fr., Glénat, 2013, p. 63.

FIGURE 18 - La maison à différentes périodes de l’été Images extraites du livre MIYAZAKI Hayao, L’art de Mon voisin Totoro (1988), Grenoble, tr. fr., Glénat, 2013, pp. 124-125.

FIGURE 19 - L’hôpital de Shichikokuyama vu depuis les hauteurs Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Mon voisin Totoro, Studio Ghibli, 1988, 1h40.

FIGURE 20 - Schloss Elmau en Allemagne Photographe et date inconnus.

Source image : https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Schloss_Elmau_Sommer_2005.

JPG FIGURE 21 - Église Saint-Pierre de Lugy, Pas-de-Calais, XVIIIe siècle Photographe et date inconnus.

Source image : http://www.wikipasdecalais.fr/index.php?title=%C3%89glise_SaintPierre_de_Lugy).

FIGURE 22 - L’hôpital comporte les éléments architecturaux traditionnels japonais Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Mon voisin Totoro, Studio Ghibli, 1988, 1h40.

FIGURE 23 - Les deux petites filles rendent visite à leur mère Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Mon voisin Totoro, Studio Ghibli, 1988, 1h40.

FIGURE 24 - La maison de retraite dans Ponyo sur la falaise Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Ponyo sur la Falaise, Studio Ghibli, 2008, 1h43.

FIGURE 25 - L’entrée de la maison de retraite Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Ponyo sur la Falaise, Studio Ghibli, 2008, 1h43.

FIGURE 26 - L’intérieur de la maison est à l’image de la décoration de nos grandsmères et se veut rassurant, même pour un spectateur japonais Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Ponyo sur la Falaise, Studio Ghibli, 2008, 1h43.

FIGURE 27 - Kiki survole un grand ensemble de la banlieue de Korico Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Kiki la petite sorcière, Studio Ghibli, 1989, 1h42.

FIGURE 28 - Le Grand Ensemble de Massy-Opéra et le Parc de la Corneille Photographie de la Direction Régionale de l’Équipement Ile-de-France (DREIF), 1er Juin 1987.

Source : http://inventaire.iledefrance.fr/illustration/ivr1120109100142nuc2ab/8dcb3c7e-8dff-4b07-93e9-373fa1961a6b.

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FIGURE 29 - Le dirigeable s’écrase contre la tour horloge de la ville Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Kiki la petite sorcière, Studio Ghibli, 1989, 1h42.

FIGURE 30 - Le dirigeable USS Los Angeles se retrouve en position verticale sur son mât d’accrochage de Lakehurst suite à une rafale de vent en 1927 Photographie de l’U.S Narval Historical Center Photograph, 25 août 1927.

Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:USS_Los_Angeles_(ZR-3)_ NH_84569.jpg FIGURE 31 - Carte schématique de la ville de Korico par Takesato Oaza et Hayao Miyazaki Traduction du japonais par Lisa Humbert.

Image extraite du livre de MIYAZAKI Hayao, ONIKI Yuji, The Art of Kiki’s Delivery Service (1989), San Francisco, VIZ Media, 2006, p.102.

FIGURE 32 - « Panorama de Korico » dessiné par Hayao Miyazaki Image extraite du livre de MIYAZAKI Hayao, ONIKI Yuji, The Art of Kiki’s Delivery Service (1989), San Francisco, VIZ Media, 2006, pp.148-149.

FIGURE 33 - L’agglomération de Korico dessinée par Hayao Miyazaki Image extraite du livre de MIYAZAKI Hayao, ONIKI Yuji, The Art of Kiki’s Delivery Service (1989), San Francisco, VIZ Media, 2006, pp.102-103.

FIGURE 34 - Kiki survole la banlieue de Korico pour aller livrer un colis sur le continent Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Kiki la petite sorcière, Studio Ghibli, 1989, 1h42.

FIGURE 35 - Kiki regarde la carte de la région afin de connaitre la destination à prendre pour livrer son colis Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Kiki la petite sorcière, Studio Ghibli, 1989, 1h42.

FIGURE 36 - Aquarelle de Korico par Hiroshi Ono Image extraite du livre de MIYAZAKI Hayao, ONIKI Yuji, The Art of Kiki’s Delivery Service (1989), San Francisco, VIZ Media, 2006, p.66.

FIGURE 37 - « Le Mont Saint Michel », Christian Guinet Huile sur toile, 38x46 cm, date inconnue.

Source : http://www.peintre-couleur.com/peinture-du-mont-saint-michel-oilpainting-mont-saint-michel/ FIGURE 38 - La tour horloge et la place du marché de Korico Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Kiki la petite sorcière, Studio Ghibli, 1989, 1h42.

FIGURE 39 - Hôtel de ville de Stockholm, Ragnar Östberg architecte, 1911-1923 Photographie, 2016, auteur inconnu.

Source : https://voyagerenphotos.com/2016/09/incontournables-visite-stockholm/ FIGURE 40 - L’horloge de la tour de Korico et son gardien Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Kiki la petite sorcière, Studio Ghibli, 1989, 1h42.

FIGURE 41 - Un des cadrans de la tour horloge d’Auxerre Source : http://michel.lalos.free.fr/cadrans_solaires/autres_depts/yonne/ha_auxerre/ ha_auxerre.html 115

FIGURE 42 - Les remparts entourant Korico au niveau du parc et de la plage Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Kiki la petite sorcière, Studio Ghibli, 1989, 1h42.

FIGURE 43 - Les remparts de Visby Source : www.alamyimages.fr FIGURE 44 - Brasserie Le Dôme et glacier Berthillon Image extraite du livre de MIYAZAKI Hayao, ONIKI Yuji, The Art of Kiki’s Delivery Service (1989), San Francisco, VIZ Media, 2006, p.71.

FIGURE 45 - Devanture du glacier Berthillon sur l’île Saint-Louis à Paris Source : Google Maps, 2018.

FIGURE 46 - La boulangerie d’Osono Image extraite du livre de MIYAZAKI Hayao, ONIKI Yuji, The Art of Kiki’s Delivery Service (1989), San Francisco, VIZ Media, 2006, p.86.

FIGURE 47 - Kiki vole de plus en plus haut au-dessus de Korico Images extraites du film de MIYAZAKI Hayao, Kiki la petite sorcière, Studio Ghibli, 1989, 1h42.

FIGURE 48 - Hercule arrive à Thèbes sur Pégase, son cheval ailé Images extraites du film de MUSKER John, CLEMENTS Ron, Hercule, Walt Disney Pictures, 1997, 1h29min.

FIGURE 49 - « Plan de Matsugo vers 1955 », tracé du trajet de Totoro Plan extrait du livre de MIYAZAKI Hayao, L’art de Mon voisin Totoro (1988), Grenoble, tr. fr., Glénat, 2013, p. 34.

Flèches et numéros : production personnelle.

FIGURE 50 - Les différentes étapes du trajet de Totoro survolant Matsugo Images extraites du film de MIYAZAKI Hayao, Mon voisin Totoro, Studio Ghibli, 1988, 1h40.

FIGURE 51 - Personnage simplifié et décor travaillé Images extraites du film de MIYAZAKI Hayao, Kiki la petite sorcière, Studio Ghibli, 1989, 1h42.

FIGURE 52 - Personnage réaliste et décor schématique Images extraites du film de REITHERMAN Wolfgang, Les aristochats, Walt Disney Productions, 1970, 1h18.

FIGURE 53 - Les fondations sous la maison de la famille Kusakabe Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Mon voisin Totoro, Studio Ghibli, 1988, 1h40.

FIGURE 54 - « Plan de la maison des Kusakabe », dessiné par Kazuo Oga Image extraite du livre de MIYAZAKI Hayao, L’art de Mon voisin Totoro (1988), Grenoble, tr. fr., Glénat, 2013, p. 63.

Flèches et numéros : production personnelle.

FIGURE 55 - Mei et Satsuki parcourent la maison et son jardin afin de trouver la porte menant au grenier Images extraites du film de MIYAZAKI Hayao, Mon voisin Totoro, Studio Ghibli, 1988, 1h40.

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FIGURE 56 - « Coupe du Palais des bains », dessiné par Hayao Miyazaki Image extraite du livre de MIYAZAKI Hayao, ONIKI Yuji, The Art of Miyazaki’s Spirited Away (2001), San Francisco, VIZ Media, 2002, p. 31.

Notes en français ajoutées personnellement.

FIGURE 57 - Chihiro, terrorisée avant d’emprunter la descente de l’escalier Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Le voyage de Chihiro, Studio Ghibli, 2001, 2h05.

FIGURE 58 - Chihiro descend les escaliers en courant Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Le voyage de Chihiro, Studio Ghibli, 2001, 2h05.

FIGURE 59 - Vue en contre-plongée de la cage d’escalier Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Le voyage de Chihiro, Studio Ghibli, 2001, 2h05.

FIGURE 60 - L’ascenseur vu du dessus se rapproche de la caméra Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Le voyage de Chihiro, Studio Ghibli, 2001, 2h05.

FIGURE 61 - Haku monte les escaliers de la tour du Palais Image extraite du film de MIYAZAKI Hayao, Le voyage de Chihiro, Studio Ghibli, 2001, 2h05.

FIGURE 62 - La Bergère et le Ramoneur s’enfuient par les escaliers d’une tour du château Image extraite du film de GRIMAUL Paul, PRÉVERT Jacques, Le Roi et l’Oiseau, 1980, 1h27.

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