La police et les animaux

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Les acteurs d’autrefois : la police rurale

port hiérarchique. Officier de police judiciaire, le garde champêtre correspond directement avec le parquet pour la poursuite des criminels. Mais au niveau administratif, il est soumis à l’autorité du bourgmestre, ce qui l’oblige entre autres à passer par lui avant tout contact avec la gendarmerie, qui est pourtant son principal partenaire en matière de police rurale. On se sert aussi du faible nombre de PV rédigés par les gardes champêtres comme argument pour dénoncer leur inaction. Réticence de l’autorité à verbaliser ses électeurs ou simplement conséquence d’une stratégie privilégiant la discussion au détriment de la répression ? Les avis sont partagés. En 1911, le procureur général Georges Terlinden dénonce dans son discours solennel la collusion presque naturelle entre le bourgmestre et le garde champêtre, avec le risque qui en résulte pour l’indépendance de la justice. Le magistrat soutient l’initiative de certains responsables politiques qui tentent de réformer la police rurale pour en faire une sorte de gendarmerie auxiliaire. Il faut dire qu’avec l’essor de la gendarmerie, le rapport de forces tend à s’inverser : ses effectifs atteignent en 1900 le double de celui des gardes champêtres, alors que c’était l’inverse en 1830. En 1902, une commission d’étude est même mise sur pied entre les départements de la Justice, l’Intérieur, l’Agriculture et la Guerre afin de résoudre les carences de la police des campagnes.

Une police rurale de proximité Les velléités de centralisation de la police des campagnes n’aboutissent pas, mais la fonction de garde champêtre est néanmoins reprise en mains au niveau du gouverneur de province. Des efforts sont réalisés tant pour améliorer le niveau des gardes que leur situation pécuniaire et leurs conditions de travail. Un lien direct est établi entre le garde au niveau local et la province, par la création de la fonction de brigadier champêtre, compétent pour un territoire couvrant plusieurs communes. A telle enseigne qu’à partir des années 1920, la police rurale acquiert enfin un statut de

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profession à part entière aux côtés de ses partenaires directs, gendarmes ou gardes forestiers. Une meilleure répartition des tâches s’opère avec la gendarmerie, à mesure que celleci se développe. Le garde devient plutôt un fonctionnaire communal, chargé par exemple de distribuer les convocations électorales ou même la soupe populaire. Il en gagne une grande proximité avec la population. En 1928, la province du Brabant autorise le champêtre de Virginal à cumuler la fonction d’indicateur du cadastre et de surveillant de la voirie « et, le cas échéant, les fonctions de porteur de contraintes, de surveillant des cours d’eau et de sonneur de la cloche de retraite ». Proche des gens, en permanence sur le terrain, il s’adresse à la gendarmerie lorsque la prévention ne suffit plus ou si la violence menace. Luc Serlet, un policier de la zone Aalter-Knesselare, en donne des exemples dans son livre Driehonderd jaar landelijke politie te Knesselare. En 1921, Victor Strobbe apprend que le chef d’une bande de voleurs de bétail a trouvé refuge chez sa sœur et court prévenir la gendarmerie ; le bandit tire 13 coups de feu avant d’être arrêté. Le commandant de brigade ne manque pas de signaler dans un rapport au bourgmestre l’héroïsme et le sang-froid de son employé. En 1949, son successeur, Richard Van Ryckeghem, accompagne lui aussi les gendarmes, cette fois pour identifier la dépouille d’un soi-disant braconnier abattu par un garde-chasse – en fait une tragique méprise.

L’instruction demeure sa principale faiblesse. « Le garde-champêtre est un cultivateur ou un ouvrier quelconque ; proposé et nommé, le voilà du jour au lendemain officier de police judiciaire, sans la moindre notion de ses nouvelles fonctions, sans quelqu’un pour les lui apprendre », lit-on dans un manuel du début des années 1920, Services de la Gendarmerie Nationale et Police rurale. La formation pratique pose elle aussi problème. En 1947, le brigadier d’Alost se rend compte que plusieurs des gardes de sa juridiction se promènent avec une arme rouillée à force de n’avoir jamais été sortie de son étui ; il décide alors de les obliger à s’exercer en organisant des concours de tir ; plusieurs seront remportés par Cyriel Van Herzele, garde-champêtre à Zandbergen de 1947 à 1977. Le drame de Mussy en 1989 montre que ces efforts tardent à porter leurs fruits : lorsqu’un garde champêtre se rend chez des particuliers pour abattre un chien errant, il tue la mère de famille qu’il a confondu avec l’animal. « Cette tragique méprise repose le problème de l’armement, de la compétence et de la formation des polices rurales », titre Le Soir du 6 décembre. La presse révèle que le même garde avait précédemment tiré sept fois sur une vache malade de la rage sans parvenir à la tuer, ou, dans le cas du chien, qu’il avait demandé au bourgmestre l’autorisation de l’abattre, mais sans préciser qu’il comptait utiliser un riot-gun, arme réservée aux interventions contre les criminels les plus dangereux.


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