Le français dans le monde 378

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REVUE DE LA FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES PROFESSEURS DE FRANÇAIS

le français dans le monde

// MÉTIER //

Méthode de français

N° 378 NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2011

Les Olympiades du plurilinguisme en Suède // ÉPOQUE //

Pour se connecter à l'espace francophone ! Pour l'adolescent L'audio et la vidéo inclus dans le livre de l'élève

Et pour rester connecté avec la méthode, le site internet compagnon avec 36 activités interactives, des entraînements au DELF junior, des portfolios et des fiches pédagogiques

Les exercices à deux vitesses pour s’exercer à son rythme dans le cahier d'activités La version numérique individuelle interactive

Yasmina Reza, du théâtre au cinéma // MÉMO //

À bicyclette avec les frères Dardenne Jeux d’identités pour Kebir-Mustapha Ammi

// DOSSIER //

NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2011

Le guide pédagogique avec des fiches d'évaluation sur 2 niveaux La méthode complète en version numérique enrichie : karaokés, projets, évaluations...

Cnac : à l’école du nouveau cirque

DOSSIER Tintin, de Bruxelles à la conquête du monde

Pour l’enseignant

L’éditeur du français langue étrangère 9 bis rue Abel Hovelacque – 75013 Paris Tél : +33(0)1 45 87 44 00 – Fax : +33(0)1 45 87 44 10

FIPF

13 €

-

ISSN 0015-9395 ISBN 978-2-090-370690

N°378

www.cle-inter.com

www.fdlm.org

États-Unis : Green Connection, l’écologie pour échanger

Tintin, de Bruxelles à la conquête du monde


Crédits photos : EastWest Imaging - Poco_bw - Yuri Arcurs - YellowCrest Paylessimages / Fotolia.com - Bill Noll / iStockphoto - GettyImages.

www.tv5monde.com/languefrancaise

LA LANGUE FRANÇAISE, SIGNATURE DE TV5MONDE


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Le français dans le monde sur Internet : http://www.fdlm.org

numéro 378

Sommaire

Métier / Reportage

Les fiches pédagogiques à télécharger ● Graphe : Blanc ● Économie :

L’économie française au miroir des statistiques ● Clés : La notion de style

d’apprentissage ● Nouvelle :

ÉPOQUE 4. Regard « Patriotisme ne sera plus un mot radioactif »

6. Tendance La vie sans télé

7. Sport Le handball, sport des champions

8. Économie L’économie française au miroir des statistiques

10. Portrait Yasmina Reza « C’est quoi moi-même ? »

12. Évènement En piste pour le nouveau cirque

« La fête de l’indépendance »

« Green Connexion », l’écologie pour échanger 32

● Dossier :

Le Bruxelles de Tintin

fiches pédagogiques à télécharger sur : www.fdlm.org

Hergé graphiste, Hergé artiste ● Tests et jeux

Dossier

Tintin De Bruxelles à la conquête du monde Adapter Tintin au cinéma .................................................................48 Le Bruxelles de Tintin .......................................................................50 Toutes et tous tintinophiles ..............................................................52 Hergé graphiste, Hergé artiste .........................................................54

13. Festival

28. Savoir-faire

Un automne à Paris

Canal Académie : à l’écoute active d’une webradio

Créer un roman en partenariat

MÉTIER 18. L’actu

MÉMO 58. À voir 60. À lire 64. À écouter 66. À jouer

32. Reportage

INTERLUDES

FIPF : un nouveau partenariat Congrès de Prague : le rendez-vous Est-Ouest

« Green Connexion », l’écologie pour échanger

2. Graphe

20. Entretien

34. Concours

« J’écris en français comme si je sculptais »

Les « Olympiades » du plurilinguisme

22. Mot à mot

36. Initiative

Dites-moi Professeur

Cultiver la corde sensible

24. Clés

38. Focus

La notion de style d’apprentissage

« Le français, langue-horizon pour les migrants »

56. BD

40. Ressources

68. Jeux

Un jeu d’enfant !

La Belgique en fête

14. Une journée dans la vie de… Johan, basketteur professionnel

● Dossier :

30. Expérience

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Blanc

16. Poésie Jacques Réda : « Lente approche du ciel »

42. Nouvelle Marie Depleschin : « La fête de l’indépendance »

Brahim Raïs : « Le chaos »

26. Zoom

Couverture : © 2010 Columbia Pictures Industries, Inc. and Paramount Pictures. All rights reserved.

Un français pour rugbymen sur objectifs très spécifiques

Le français dans le monde, revue de la Fédération internationale des Professeurs de français - www.fipf.org, éditée par CLE International – 9 bis, rue Abel Hovelacque – 75 013 Paris Tél. : 33 (0) 1 72 36 30 67 – Fax. 33 (0) 1 45 87 43 18 – Service abonnements : 33 (0) 1 40 94 22 22 – Fax. 33 (0) 1 40 94 22 32 – Directeur de la publication Jean-Pierre Cuq (FIPF) Rédacteur en chef Sébastien Langevin Conseiller de la rédaction Jacques Pécheur (Institut français) Relecture/correction Marie-Lou Morin Relations commerciales Sophie Ferrand Conception graphique miz’enpage - www.mizenpage.com – Commission paritaire : 0412T81661. 51e année. Comité de rédaction Dominique Abry, Isabelle Gruca, Valérie Drake, Pascale de Schuyter Hualpa, Sébastien Langevin, Chantal Parpette, Manuela Pinto, Nathalie Spanghero-Gaillard. Conseil d’orientation sous la présidence d’honneur de M. Abdou Diouf, secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie : Jean-Marc Berthon (MAEE), Jean-Pierre Cuq (FIPF), Pascale de Schuyter Hualpa (Alliance française), Raymond Gevaert (FIPF), Michèle Jacobs-Hermès (TV5), Xavier North (DGLFLF), Soungalo Ouedraogo (OIF), Jacques Pécheur (Institut français), Nadine Prost (MEN), Madeleine Rolle-Boumlic (FIPF), Vicky Sommet (RFI), Jean-Luc Wollensack (CLE International).

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interlude //

« Il pleut, il pleut, Bergère, Presse tes blancs moutons, Allons sous ma chaumière, Bergère, vite, allons. » Fabre d'Églantine, Il pleut, il pleut, Bergère

«Ô rage! Ô désespoir! Ô vieillesse ennemie! N'ai-je donc tant vécu que pour cette infamie? Et ne suis-je blanchi dans les travaux guerriers Que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers? » Corneille, Le Cid

Le “plus” audio sur www.fdlm.org espace abonnés

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La fiche pédagogique à télécharger sur : www.fdlm.org

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« La mort expire dans une blanche mare de silence. » Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal

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« Que nous répondions présents à la renaissance du monde, tel le levain nécessaire à la farine blanche. » Léopold Sédar Senghor, Chants d'ombre

« N'avez-vous jamais pleuré d'amour, pour ces blanches étoiles qui sèment les voiles bleus de la nuit ? »

«Le passé a  des blancs  qui sont noirs.» Elsa Triolet, Écoutez-voir

« Paris n'est rien, ni la France, ni l'Europe, ni les Blancs... une seule chose compte, envers et contre tous les particularismes, c'est l'engrenage magnifique qui s'appelle le monde. »

George Sand, Lélia

Ella Maillart, Oasis interdites

« Le ciel est blanc comme l’intérieur d’un nuage, et les étoiles noires comme des trous d’encre. » Mathias Malzieu, Maintenant qu’il fait tout le temps nuit sur toi

« La blancheur de son teint et ses cheveux blonds lui donnaient un éclat que l'on n'a jamais vu qu'à elle. » Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves Le français dans le monde // n° 378 // novembre-décembre 2011

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époque // regard

© FORGET Patrick/SAGAPHOTO.COM

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Qu’est-ce que le patriotisme vécu de l’intérieur ? Quelles sont les spécificités du patriotisme français ? C’est à ces questions, à la frontière entre philosophie politique et psychologie collective, que s’intéresse Michel Lacroix dans son dernier ouvrage.

« Patriotismenesera

© DR

Propos recueillis par Alice Tillier

Michel Lacroix, maître de conférence en philosophie à l’université de Cergy-Pontoise, est spécialiste de phénoménologie, discipline à la frontière entre la psychologie et la philosophie.

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Votre ouvrage porte sur le sentiment patriotique dont vous faites « l’éloge ». Pourtant, le patriotisme n’a pas toujours très bonne presse en France… Michel Lacroix : J’ai voulu combattre deux préjugés qui sont fortement ancrés dans les esprits : d’une part, le patriotisme serait impur et dangereux – on voit déjà s’agiter derrière lui le spectre du nationalisme ; d’autre part, il serait démodé, à la fois au niveau infranational à cause de la montée en puissance des communautarismes, et au niveau supranational, du fait de la création d’un sentiment européen et d’une citoyenneté planétaire. N’y a-t-il pas, avec la mondialisation, un effacement de l’appartenance nationale, comme il y a eu, au

XIXe

siècle, un effacement du sentiment d’appartenance à son village au profit de la Nation ? M. L. : Je m’oppose fondamentalement à cette idée d’un dépassement continuel de la particularité. Nous ne pouvons pas être des atomes libres, sans port d’attache ! La citoyenneté cosmopolite et mondiale a besoin d’un ancrage local. Je suis convaincu que le grand défi du XXIe siècle sera justement de réconcilier le particularisme et l’universalisme. Les deux ne sont pas incompatibles : la construction européenne n’impose pas de renoncer à sa particularité nationale. Vous évoquez pourtant dans votre ouvrage une crise du patriotisme français… M. L. : Cette idée de crise est à nuancer. Certes, il y a en France des peurs, des blocages : pendant trente ans, le

patriotisme a été revendiqué par un seul parti, d’extrême droite, le Front national. Mais je pense que les choses sont en train de changer. Plusieurs facteurs vont dans le sens d’un renforcement du patriotisme : les inquié-

Le grand défi du XXIe siècle sera de réconcilier le particuralisme et l’universalisme. tudes concernant l’indépendance de la souveraineté des États dans le contexte de la crise économique ; les réactions à la montée des communautarismes qui, par un phénomène de vases communicants, enlèvent à la Nation un potentiel de ferveur ; le besoin de retrouver des repères historiques, dont témoigne par exemple le succès des Journées du Patrimoine. On assiste à l’heure actuelle à

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© Shutterstock

compte rendu Un sentiment discret à caractère « vocationnel » La patrie française, un jardin cultivé silencieux que déclamatoire, qui et aussi un phare qui éclaire le s’extériorise généralement dans monde de ses lumières : cette mé- des situations de crise ; un sentitaphore, présente en couverture ment fait d’amour et de fierté, de l’ouvrage, Michel Lacroix la file appuyé sur le passé, mais qui a betout au long de son Éloge du patrio- soin d’un projet politique, tourné tisme. Le philosophe cherche à cer- vers l’avenir ; un patriotisme « voner le sentiment patriotique en cationnel » tant il est fondé sur la général et à voir les spécificités du volonté de répandre les idées hors patriotisme français aujourd’hui. des frontières. Contre l’indifféPas à pas, court chapitre après rence à son pays, Michel Lacroix court chapitre, de façon très péda- insiste sur l’importance de la transgogique, Michel Lacroix décor- mission et donc sur la responsabitique les composantes d’un senti- lité des enseignants, passeurs de la ment discret, plus souvent langue et de l’histoire. n A. T.

plus un mot radioactif » une demande de réconciliation avec l’idée de patrie. Voyez cet été l’incompréhension suscitée par la proposition d’Eva Joly de supprimer le défilé militaire du 14 juillet ! Mais le patriotisme peut-il se fonder uniquement sur des symboles du passé ? M. L. : Je vois quatre points d’ancrage majeurs pour un patriotisme renouvelé : la langue française, qui a une valeur intégratrice ; l’histoire de France – on peut s’inscrire symboliquement dans la paternité de ses ancêtres français, même lorsqu’on est immigré ; la conception française de la nation fondée sur une adhésion volontaire, sur un contrat ; enfin, le rappel de nos valeurs universalistes. La France n’a certes plus le monopole des valeurs qu’elle s’est employée à répandre, comme les droits

de l’homme, la démocratie… Mais elle peut encore faire entendre sa voix dans la gouvernance mondiale et être force de proposition dans la gestion des ressources de la planète, pour le règlement des conflits, et garder ainsi le flambeau de l’universalisme. Si le patriotisme n’est pas dépassé, le terme lui-même ne l’est-il pas malgré tout ? M. L. : Pensez au terme « autorité », qui cristallisait les représentations négatives il y a encore quelque temps. Le mot a retrouvé sa place, avec un sens renouvelé : il s’agit désormais d’une autorité consentie. Il en ira de même avec « patriotisme », qui ne sera plus un mot radioactif : il sera reconnu comme un sentiment naturel, respectable et vital pour la cohésion sociale. n

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extrait « Le patriote français se sent convoqué à un double devoir : envers son pays, qu’il faut aimer, faire connaître, protéger, et envers l’humanité, qu’il faut émanciper et faire progresser. […] Cette dimension vocationnelle de notre patriotisme explique l’importance que nous attachons à notre “grandeur”, notion typiquement française, malaisée à traduire dans les autres langues. La grandeur telle que nous la concevons ne désigne pas la puissance économique ou militaire, mais la puissance du rayonnement. Les Français rêvent d’un prestige fondé non pas sur la puissance matérielle (encore moins sur la crainte qu’inspire la force), mais sur le rayonnement

émanant de l’universel, c’est-àdire le prosélytisme des idées, l’exercice d’un leadership dans la pensée philosophique, la spéculation politique et juridique, la morale, la littérature, l’art. Inévitablement, ce désir de grandeur nous expose à la tentation d’un certain égocentrisme, auquel nous ne parvenons pas toujours à résister. Nous avons tendance à nous aimer nous-mêmes, à nous autoglorifier dans le rôle de guide de l’humanité… et nous nous attendons, par suite, à ce que les autres nations nous louent et nous aiment dans l’exercice de ce rôle. » Michel Lacroix, Éloge du patriotisme, Robert Laffont, 2011, p. 94-95.

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époque // tendance

Thomas Jorion © plainpicture/Millennium/

© plainpicture/Cultura

Les plus nombreux des « sans-télé » ont profité d’un départ, d’un déménagement ou d’un divorce pour se débarasser de leur petit écran.

Un jour, ils ont dit « stop » et ils sont passés de l’autre côté du miroir, là où commence la vie sans télé.

La vie sans télé I Par Jacques Pécheur

l y a le sommeil, la télé et le travail… Non, ce n’est pas une chanson sur un air des années 1960, « Il y a le ciel, le soleil et la mer »,c’est tout simplement, sur toute une vie, la place qu’occupe la télévision. Et cette deuxième position vaut pour 97% des ménages français, qui regardent la télévision en moyenne trois heures par jour. Restent les 3%, camp retranché, irréductibles Gaulois à leur manière, ultimes habitants de la planète sans télé. Mais qui sont-ils ? Des enseignants en majorité, des professionnels de la culture, du travail social, de la santé… En fait, selon le sociologue Bertrand Bergier, auteur de Pas très cathodique(Érès), « une population très variée, de tout âge, de tous les milieux sociaux, même si 75% d’entre eux ont un diplôme d’enseignement supérieur ». Ce qui est sûr, c’est que ce ne sont pas des idéologues, tenants d’un discours

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anti-télé, encore moins des militants qui, façon Bourvil, inimitable dans La Grande Lessive (1968) de Jean-Pierre Mocky, iraient chasser l’antenne sur les toits de Paris. Non, ils ont chacun leur histoire qui les a conduits à devenir des « sans-télés ». Certains sont des « héritiers »comme les appelle Bertrand Bergier : dans leur enfance, chez leurs parents, il n’y avait pas de télé et ils n’ont jamais éprouvé le besoin d’en posséder une, alors ils ont continué la vie sans.

Mais ça ressemble à quoi la vie sans télé ? Davantage de temps consacré pêle-mêle aux amis, à la famille, aux enfants… D’autres, les plus nombreux, l’ont mise au ban : disons que la fascination pour le petit écran a mal tourné et ils s’en sont dessaisis souvent à l’occasion d’un départ, d’un déménagement ou d’un divorce. Enfin, il y a ceux qui passent

par des phases sans, Bergier les appelle « les intermittents » : ceux-là jouent à « Je t’aime, moi non plus ».

Se retrouver soi-même et retrouver les autres Mais alors, ça ressemble à quoi la vie sans télé ? Plus de lecture, de la cinéphilie en DVD, parfois la redécouverte d’un instrument qu’on avait abandonné, davantage de temps consacré pêle-mêle aux amis, à la famille et surtout aux enfants, sans parler des petits câlins amoureux jusqu’alors sacrifiés – c’est un comble ! – pour un épisode de Sex in the City ! Et comment vit-on, coupé de cette source essentielle d’informations ? « Très bien, merci ! » répondent les intéressés, qui rappellent l’existence d’une presse quotidienne dans laquelle la télé puise 90% de ses sujets, l’apport en images d’Internet, souvent bien plus riches que celles produites par la télé, enfin la possibilité d’aller plus loin grâce aux livres sur

ces sujets d’information que l’on a enfin le temps de lire ! Ah ! J’allais oublier : les enfants dans tout ça ? Ah ! Les enfants… Les enfants, répondent les parents, on régule : droit de regarder un ou deux DVD ici, temps limité devant la console là, et ailleurs distribution d’un temps de télé qu’on ne saurait transgresser. Avec bien sûr, la conscience du risque de couper les enfants (et de se couper aussi soimême) d’une certaine culture télévisuelle partagée qui meuble les conversations avant, pendant et après l’école, où chacun joue à son héros préféré et où les répliques cultes scellent les complicités. Risque majeur ? Pas tant que ça, répondent Serge Tisseron et Bernard Stiegler dans Faut-il interdire les écrans aux enfants ? (Mordicus Éditeur), puisque « l’enfant trouvera toujours l’occasion de regarder la télévision ailleurs ». Alors oui, pour eux, il y a bien une vie après la télé : la télé. ■

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© Rex-Liewig / For Picture / Corbis

époque // sport

Sport collectif le plus couronné de succès lors de la dernière décennie, le handball français peine encore à trouver son public. Enquête.

Le pivot Bertrand Gille et l’ailier Michaël Guigou lors d’un match contre la Russie.

Le handball,

sport de champions © Shutterstock

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e « Bronzés », « Barjots » et « Costauds », ils sont passés à « Experts » et même à « Invincibles » en janvier dernier. À l’issue d’un Mondial suédois géré à la perfection, les Bleus ont confirmé leur statut de meilleure nation du monde en handball. Et ont attiré le regard de téléspectateurs admiratifs d’un sport qu’ils n’entr’aperçoivent qu’à quelques reprises dans l’année. Pourtant, sitôt les médailles rangées dans le placard, voilà le handball aux oubliettes. Malgré le succès de l’équipe nationale, comment expliquer que ce sport ne suscite pas plus d’engouement ? « J’ai

« Quand un sport est aussi jeune dans la tête des gens, pour qu’il fasse partie des coutumes, ça prend du temps. Plus que le foot ! »

© Corbis

Par Pierre Godfrin

Dates - clés du handball en France 1941 : Fondation de la Fédération française de Handball à Metz. 1992 : L’équipe de France masculine remporte la médaille de bronze aux jeux Olympiques de Barcelone. Les « Bronzés » sont nés. 1994 : Fondation de la Ligue nationale de Handball. 1995 : Le « Barjots » sont sacrés champions du Monde en Islande. 2001 : Les « Costauds » remportent le Mondial en France. 2003 : L’équipe de France féminine est championne du Monde en Croatie. 2008 : Les « Experts » deviennent champions olympiques à Pékin, avant de remporter deux Mondiaux en 2009 et 2011 et un Euro en 2010.

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l’impression que les gens ne connaissent le handball que depuis 1992. C’est tout jeune, affirme Michaël Guigou, l’ailier gauche vedette de la sélection nationale et de Montpellier. Quand un sport est aussi jeune dans la tête des gens, pour qu’il fasse partie des coutumes, ça prend du temps. Plus que le foot ! » Selon lui, en France, le problème principal de ce sport très pratiqué dans les cours d’école est avant tout d’ordre structurel. « Le premier investissement doit être réalisé au niveau des salles. C’est en train de se faire, comme à Chambéry. Avec de belles salles, ça sera plus facile pour demander de l’argent et pour les retransmissions télévisuelles ! » Un constat que partage Laurie Delhostal, journaliste spécialiste du handball à Canal+. « C’est parfois très dur de poser une dizaine de caméras. Il y a des salles où l’on ne peut pas aller pour l’instant… » Un impact télévisuel décisif Pourtant, l’arrivée de Canal+ risque de changer beaucoup de choses. La

chaîne payante a en effet acheté les droits pour les quatre prochaines saisons de D1. « C’est une très bonne nouvelle pour nous, se réjouit Michaël Guigou. Notre championnat va prendre beaucoup de valeur. » Pourtant, Laurie Delhostal rappelle que les clubs français toucheront moins d’argent qu’auparavant, mais « l’exposition des clubs français sera plus importante et lui permettra de faire rentrer de l’argent de manière différente ». Sans licenciés, un sport ne peut vivre et là encore, les signes sont encourageants. Selon les chiffres fournis par la Fédération française, le nombre de licenciés a augmenté de plus de 7% entre 2009 et 2011 et ils sont désormais 441 942 « convertis ». Si Mika ne s’attend pas à un succès fulgurant de la D1 dès cette année, il espère bien la voir devenir le deuxième plus grand championnat au monde derrière l’Allemagne ; les clubs espagnols, pris dans la crise financière, étant au plus mal. Les amateurs d’un soir ou d’une vie ne demandent que ça… ■

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époque // économie © Corbis

En 2030, les villes en développement abriteront 81% de la population urbaine de la planète.

L’Insee (Institut national de la statistique) vient de publier ses tableaux sur l’économie française. Couvrant la période 2008-2010, l’Institut souligne les difficultés économiques et sociales engendrées par la crise de 2008, dans un contexte global d’urbanisation, d’accroissement démographique et de réchauffement climatique.

L’économie française au miroir des statistiques

L

Par Marie-Christine Simonet a France se peuple. Avec 65,8 millions d’habitants, elle occupe la deuxième position, derrière l’Allemagne (81,8 millions d’habitants) au sein de l’Union européenne, laquelle représente 7% du total mondial avec son demi-milliard d’individus. Face aux 6,8 milliards de personnes qui fréquentent la planète, elle ne pèse pas lourd. Mais, consolation légère, sa densité de population n’est que de 1 750 ha-

La France doit miser sur les énergies renouvelables pour sauvegarder sa faune et sa flore.

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© Corbis

La fiche pédagogique à télécharger sur : www.fdlm.org

bitants par commune en France, contre 4 100 dans le reste de l’UE. Selon l’ONU, la Terre abritera plus de 9 milliards de personnes en 2050, dont une forte majorité (7,9 mil-

En un siècle, la température moyenne globale s’est accrue d’environ 1°C. En restant raisonnable, l’Insee estime une hausse moyenne de 2,8°C d’ici 2099.

liards) vivra dans les pays aujourd’hui en développement (contre 5,6 milliards en 2009). En d’autres termes, dans les pays les plus développés, la population vieillira beaucoup, s’étoffera peu : 1,23 milliard en 2008 ; 1,28 milliard en 2050. Sans le solde migratoire positif provenant des pays pauvres (attendu annuellement à 2,4 millions de migrants entre 2009 et 2050), les pays développés tomberaient à 1,15 milliard de personnes. Mais qu’on ne s’y trompe pas : les populations des pays en développement, encore jeunes et

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en bref © Corbis

Économiquement parlant, l’UE tire son épingle du jeu mondial. Avec un PIB de 12 500 milliards d’euros, l’Union représente, en 2008, 30% du PIB mondial. donc nécessaire de miser sur les énergies renouvelables : agro-carburants, éolien, pompes à chaleur et solaire ont déjà le vent en poupe. Et sur la préservation des espaces naturels. La France a, dans ce domaine, du grain à moudre. Entre 1998 et 2008, les surfaces protégées se sont agrandies outre-mer ; moins en métropole, malgré la création de réserves naturelles et de parcs régionaux. Quant au réseau Natura 2000, il couvre 12,5% du territoire métropolitain. dynamiques, commencent à vieillir à leur tour. En 2007, les immigrés représentent 8,3% de la population vivant en France. Un nouveau Français sur sept est originaire d’Europe, un sur neuf d’Asie. Économiquement parlant, l’UE tire (encore) son épingle du jeu mondial. Avec un produit intérieur brut (PIB) de 12 500 milliards d’euros, l’Union représente, en 2008, 30% du PIB mondial, contre 23% pour les ÉtatsUnis, 8% pour le Japon et 7% pour la Chine. Avec de fortes variations entre pays européens : sept ont, en 2009, un PIB par habitant situé entre 30% et 60% sous la moyenne, le plus faible niveau étant relevé en Roumanie et en Bulgarie. Les villes grossissent… Si la population mondiale s’accroît, le mouvement d’urbanisation planétaire s’accélère. En 2008, les urbains étaient 3,3 milliards. En 2030, les villes du monde en développement, grandes et petites, abriteront 81% de la population urbaine de la planète. Mais cette perspective pèse sur les

ressources naturelles… En un siècle, la température moyenne globale s’est accrue d’environ 1°C. En restant raisonnable, l’Insee estime une hausse moyenne de 2,8°C d’ici 2099. Mais à quoi est dû ce réchauffement climatique ? Essentiellement de l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre générées par les activités humaines. À noter que la France est, avec l’Allemagne, l’un des rares pays industrialisés à respecter ses engagements internationaux. Ses émissions de gaz sont inférieures de 6,4% au plafond fixé par le Protocole de Kyoto pour la période 2008-2012. Dans l’ensemble de l’UE, les émissions de gaz à effet de serre ont reculé de 11,3% entre 1990 et 2008. La situation n’en reste pas moins préoccupante, tant pour la faune, la flore que la conservation des habitats. Les amphibiens sont menacés. De même pour les papillons et les libellules. En vingt ans, les effectifs d’oiseaux ont diminué de 10% en métropole. Rien ne va plus pour les crustacés et les mollusques. Il est

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… les campagnes disparaissent En 2009, les économies avancées ont traversé la plus forte récession de l’après-guerre, relève l’Insee. Cependant, dès le deuxième semestre 2009, l’activité reprend, bien que de façon hétérogène, entre les différentes économies. Cette année-là, l’investissement des entreprises non financières se resserre et elles déstockent massivement. Les flux d’échanges extérieurs se contractent par conséquent. Au sortir de l’été, le moral des ménages a plongé (-5% en septembre) et se situe à son plus bas niveau depuis février 2009. Les familles sont à la fois pessimistes sur leur situation financière future (-6%) et sur le niveau de vie passé et futur. Les agriculteurs, eux, n’ont de cesse de voir leurs revenus se dégrader. Entre 1980 et 2007, la population active agricole est passée de 8% à 3,4% de la population active totale. Un bilan très mitigé qui aura du mal à s’améliorer dans les mois à venir, crise oblige. ■

Les compagnies aériennes s’allient au TGV : onze compagnies long-courriers ont adopté la formule Tgvair qui a déjà séduit 170 000 passagers. Un exemple : Vous arrivez d’Inde à Bruxelles, vous prenez le TGV et avec le même billet, une heure trente plus tard, vous êtes à Paris. À Moissac (France), une centrale de melons va fournir de l’électricité verte. Le melon produit spontanément du méthane qui, grâce à une centrale de biométhanisation, produira 100 kW en épargnant 50 tonnes de CO2 dans l’atmosphère.

© Shutterstock

De plus en plus de Sud-Africains se mettent au français, soit pour communiquer avec d’autres Africains francophones, soit pour lire Rimbaud dans le texte ou pour lire le menu dans les restaurants pendant leurs vacances en France. On recense 5 600 adultes apprenant le français dans le pays. 383 000. C’est le nombre d’autoentrepreneurs en activité : ils ont atteint un chiffre d’affaires de 3,2 milliards par an, soit 8 310 euros par an et par personne. La formule lancée en 2009 continue de séduire ceux qui désirent se lancer dans une entreprise individuelle avec une gestion a minima.

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époque // portrait © Joel Ryan/AP/SIPA

Alexandre Desplat (musicien), Yasmina Reza, John C. Reilly, Kate Winslet et Christoh Waltz lors de la présentation de Carnage, à la Mostra de Venise.

Après son triomphe au théâtre, Le Dieu du Carnage devient, sous le titre Carnage, un film de Roman Polanski. Une consécration de plus pour Yasmina Reza. Retour sur un parcours artistique excepionnel.

Yasmina Reza

« C’est quoi moi-même ? »

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Art © Pascal Victor/ArtCom

Yasmina Reza a commencé sa carrière de dramaturge en 1983. En 2001, l’une de ses pièces, L’homme du hasard, réunit Philippe Noiret et Catherine Rich (ci-dessus).

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od of Carnage, Der Gott des Geschmetzels, Le Dieu du Carnage, c’est ainsi que Yasmina Reza triomphe dans toutes les langues et sur toutes les scènes. Sa dernière pièce a en effet été créée le 2 décembre 2006 à Zurich dans sa traduction allemande. Puis l’auteure a assuré ellemême la création française en 2008 avec comme actrice principale Isabelle Huppert ; et c’est en juin 2009 que Yasmina Reza a reçu, pour la deuxième fois, les récompenses suprêmes du théâtre anglo-saxon, le prix Laurence-Olivier, et du théâtre américain, le Tony Award de la meilleure pièce de l’année. Et ce tout juste dix ans après Art (1998), traduite en 40 langues, qui avait fait le tour du monde et assuré à Yasmina Reza une notoriété, finalement consacrée par Ben Bentley, critique

© Pascal Victor/ArtCom Art

Par Jean-Jacques Paubel

Yasmina Reza, ROMANCIÈRE 1997 : Hammerklavier 2005 : Dans la luge d’Arthur Schopenhauer 2011 : Comment vous racontez la partie DRAMATURGE 1986 : Conversations après un enterrement 1994 : Art 2001 : Trois versions de la vie 2004 : Une pièce espagnole 2006 : Le Dieu du carnage SCÉNARISTE, RÉALISATRICE 2010 : Chicas (Yasmina Reza) 2011 : Carnage (Roman Polanski)

du New York Times, qui avait salué « ces moments inspirés du théâtre qu’on garde en mémoire comme des classiques ». Aujourd’hui, c’est le cinéma qui s’empare du théâtre de Yasmina Reza : une entrée dans le septième art par la très grande porte puisque c’est l’immense Roman Polanski qui vient de porter à l’écran ce Dieu du Carnage devenu Carnage. Pourquoi Polanski ? « Parce que Roman Polanski, répond la dramaturge, est un génie du huis clos. Il a un sens puissant de la montée dramatique et une veine humoristique unique. » Résultat : standing ovation à la dernière Mostra de Venise. Il est vrai que le réalisateur a choisi une distribution en or massif : Jodie Foster, Kate Winslet, Christoph Waltz et John C. Reilly. Comédienne, scénariste, auteur dramatique Pareille consécration internationale réjouit ceux qui ont fait confiance à Yasmina Reza dès 1987, date à la-

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© Pascal Victor/ArtComArt

© Pascal Victor/ArtComArt

Trois versions de la vie avec Stéphane Freiss et Catherine Frot.

Isabelle Hupert, Valérie Bonneton et André Marcon dans Le Dieu du carnage.

© Pascal Victor/ArtComArt

Jean-Louis Trintignant et Jean Rochefort dans Art, en 1998.

quelle Daniel Darès, producteur, et Gabriel Garran, fondateur du Théâtre international de langue française, lui ont permis de créer sa première pièce : Conversations après un enterrement. « Avec Gabriel Garran, se souvenait Daniel Darès, aujourd’hui décédé, nous lui avons remis un prix qui lui a permis de monter sa pièce à ParisVillette, alors qu’elle était encore comédienne. Je suis heureux de voir que nous ne nous sommes pas trompés. Elle est une auteure de notre temps avec une écriture, une sensibilité, une intelligence et un humour rares, elle a un regard juste sur le monde qui évolue. » Mais ce n’est pourtant pas par l’écriture que Yasmina Reza a débuté sa carrière. Cette fille d’un père ingénieur juif mi-russe, mi-iranien et d’une mère violoniste juive de Hongrie qui ont fui la dictature soviétique d’alors a commencé par étudier le théâtre et la sociologie à l’université de Nanterre en même temps qu’elle suivait l’enseignement de la fameuse École interna-

Acteurs et actrices pour Yasmina Reza La fine fleur du théâtre et du cinéma français a prêté son talent à l’œuvre de Yasmina Reza : Isabelle Huppert, Fabrice Lucchini, Emmanuelle Seignier, Éric Elmosnino, Catherine Frot, Richard Berry, Stéphane Freiss, Pierre Arditi, Françoise Fabian, Jean-Louis Trintignant, Carole Bouquet, Philippe Noiret, Bulle Ogier, Jean Rochefort, André Marcon…

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tionale de théâtre Jacques-Lecoq. Et c’est comme actrice qu’elle aborde la scène et l’écran : le cinéma d’abord, avec des rôles mineurs dans des comédies sociales « à la française » comme Que les gros salaires lèvent le doigt ! (1982). Et la scène ensuite, sous le signe de Sacha Guitry et du Veilleur de nuit (1986), fréquentation dont il restera traces dans son théâtre comme on pourrait déceler également des traces de Jean Anouilh. Quelque chose de très français : un pessimisme voilé d’humour. Mais très vite elle touche à l’écriture : scénariste d’abord de Jusqu’à la nuit (1983) de Didier Martiny (où elle joue également) et à partir de 1986, auteure dramatique. C’est là qu’elle trouve son évidence : l’écriture dramatique. Scruter les formes invisibles Mais qu’est-ce qui fait courir acteurs, metteurs en scène, réalisateurs, directeurs de théâtre après l’œuvre dramatique de Yasmina Reza ? Luc Bondy,

Une auteure de notre temps avec une écriture, une sensibilité, une intelligence et un humour rares qui a beaucoup contribué à faire prendre conscience du sérieux du théâtre de Yasmina Reza en mettant en scène Art (Berlin), Trois versions de la vie (Vienne) et Une pièce espagnole (Paris), tente une explication : « Si Dieu m’avait donné le talent de dramaturge, ce sont bien ces pièces-là que j’aurais aimées écrire ; on dit aux êtres que l’on rencontre qu’on a l’impression de les avoir toujours connus, hé bien, j’avais l’impression d’avoir toujours connu cette œuvre. »Et il poursuit : « Dans son univers, les choses dont parlent les personnages émergent de l’inconscient de chacun, en forme de bribes, en musique, sans paroles, en phrases toutes faites (ces phrases qui révèlent les gens quand ils voudraient se cacher), ces phrases pour se rendre importants ou même s’autodétruire, bref ces phrases que produit la vie sociale et culturelle que nous vivons. » Yasmina Reza ne procède pas autrement dans L’Aube, le Soir ou la Nuit, (2007). Cette chronique de la campagne électorale en 2006 du candidat Nicolas Sarkozy, incursion de l’écrivain dans un univers où on ne l’attendait pas. Yasmina Reza fait partie des embedded, ces journalistes politiques de proximité embarqués dans le premier cercle des grands leaders politiques à qui ces derniers distillent bons mots, analyses et confidences. Pendant un an de campagne électorale, elle suit donc Nicolas Sarkozy. Tapie dans un coin, elle observe, note et finalement raconte : des choses vues, entendues, de brèves conversations, des instants de méditation, des descriptions de corps, des paysages, des ambiances. Sarkozy ou pas, personnage de fiction ou personnage d’actualité, la méthode de Yasmina Reza ne change pas : toujours, son « regard scrute les formes invisibles, guette les dévoilements d’une matière secrète ». On pense alors à cette scène de L’Arrangement d’Elia Kazan où l’on voit la totalité du visage de Kirk Douglas dans chaque éclat du miroir. C’est peut-être ça l’art de Yasmina Reza. ■

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© Philippe Cibille

époque // évènement

En piste pour

le nouveau cirque

© Philippe Cibille

Le Centre national des arts du cirque de Châlons-enChampagne, dans l’est de la France, célèbre vingt-cinq ans d'enseignement d'un cirque contemporain et renouvelé, nourri des disciplines du spectacle vivant.

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Par Christophe Riedel

A

rtistes : 290. Nationalités : 20. Cette réussite cosmopolite, qui ne manque pas de ressorts, revient à Jack Lang. C’est en 1985 que le ministre français de la Culture créa le Centre national des arts du cirque (Cnac). Pour le danseur Jean-Baptiste André, ancien élève de la 14e promotion, reconnu pour ses talents d’équilibriste, le Cnac « est une des rares écoles artistiques à donner les outils pour favoriser la transversalité des arts vivants. Il faut repousser les frontières, je suis un artiste de cirque évoluant sur les scènes de danse contemporaine ». Pour son 25e anniversaire, la première école supérieure publique des arts circassiens a retrouvé en avril dernier son siège historique après un an de travaux. Mais qu’est-ce qui a vraiment changé en vingt-cinq ans ? Réponse de Gwénola David, directrice adjointe de l’école : « Désormais, le spectacle n’est plus une succession de

numéros indépendants, orchestrés par un Monsieur Loyal. Il est conçu comme une histoire, portée par une dramaturgie. Par ailleurs, l’exploit physique dans les arènes n’est plus une fin en soi. Les nouveaux artistes de cirque s’appuient sur la danse, la musique, le théâtre, les techniques de la scène, le jeu d’acteur... Et travaillent en collectif. » Ainsi, scénographie et styles sont d’autant plus diversifiés. Dans les années 1980, les pionniers comme le Cirque Plume ou Archaos ont ouvert la voie en proposant dans leurs spectacles une dramaturgie. Tournée internationale Chaque année, sur la centaine de candidats à présenter un dossier d’admission, environ 15 élèves sont retenus pour les deux années d’études à Châlons. Les étudiants ont tous leur spécialité qu’ils perfectionnent ici. Selon une étude de 2007, sur les 17 promotions sorties depuis 1989, 90% des étudiants travaillaient encore dans le spectacle vivant. En fin de formation, un beau compa-

gnonnage les attend : six mois de tournée internationale avant l’entrée dans la vie professionnelle. Nelly Mailliard, chargée de communication de l’école, confirme : « La phase de création du spectacle de fin d’études qui s’enchaîne avec la tournée est une expérience très riche pour nos étudiants sortants, en perpétuelle adaptation à des lieux et des conditions de travail très différents, sans parler des contraintes de vie en communauté. Cette phase correspond à l’année d’insertion professionnelle qui suit les deux années du cursus. » Avec le spectacle Âm, la tournée actuelle de la 22e promotion est passée cet été par Paris, La Seyne-sur-Mer et Auch. Puis en novembre, ce sera le Burkina Faso pour une carte blanche avec de jeunes artistes burkinabés. Quant au spectacle de fin d’études à venir de la 23e promotion, This is the end, mis en piste par David Bobée, il est créé du 8 au 15 décembre dans le cirque rénové, arène-laboratoire toujours bouillonnante de nouveautés. ■ www.cnac.fr (contenus artistiques et pédagogiques), www.cnac.tv (vidéos)

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époque // festival

Une classe d’école primaire devant l’installation de Raqs Media Collective.

à Paris

© Nicolas Dambre

Un automne

« Nous avons non pas un mais des publics, quelques propositions aventureuses ou expérimentales touchent un public plus restreint, mais nous occupons par exemple le Théâtre de la Ville, qui affiche régulièrement complet. »

Depuis près de quarante ans, le Festival d’Automne à Paris donne à voir la création contemporaine d’ailleurs. Tour d’horizon de l’édition 2011.

’est un festival qui n’a pas son pareil : il dure de septembre à décembre, il est pluridisciplinaire, avec près de 60 propositions (danse, théâtre, musique, cinéma et arts plastiques), et se déroule dans une trentaine de lieux (Théâtre de la Bastille, Centre Pompidou, Maison des Arts de Créteil…). « Le Festival d’Automne à Paris ressemble à la saison d’un théâtre, mais sur trois mois, dans une ville qui est un festival permanent. Le festival agit comme un aiguillon, en donnant à des artistes la place qu’ils méritent », explique Marie Collin, l’une des deux directrices artistiques qui assurent la programmation de la manifestation. Ce festival défend depuis sa première édition, en 1972, la création, l’expérimentation et les cultures extra-occidentales. À l’époque, les grandes institutions culturelles prenaient peu de risques. « En somme, le Festival d’Automne est né du vide ambiant », confiait son fondateur, Michel Guy (dans Festival d’Automne à Paris

1972-1982, Éditions Temps Actuels). Lors de cette 40e édition, le public a pu par exemple découvrir des metteurs en scène et comédiens argentins, comme Daniel Veronese. Celuici revisite les classiques du théâtre. Sa version de La Mouette de Tchekhov, plus courte et plus nerveuse, souligne la réflexion si actuelle du dramaturge russe sur la condition humaine. Groenland, Mexique, Inde… Autre Argentin, Rodrigo García – un ancien publicitaire – dénonce toujours le consumérisme et les idéologies, dans un nouveau spectacle autour d’un Jésus marchant au milieu des hamburgers. Le Suisse Christoph Marthaler a passé sept semaines au Groenland pour y créer le spectacle +/- 0, pièce mélancolique où se succèdent saynètes et chant choral. En danse, la compagnie du chorégraphe américain Merce Cunningham est de retour une dernière fois au Festival d’Automne. Parmi d’autres habitués, on compte Bob Wilson, Boris Charmatz ou Claude Régy. Élitiste le Festival d’Automne à Paris ? Marie Collin observe : « Nous avons

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« Le festival agit comme un aiguillon, en donnant à des artistes la place qu’ils méritent »

© Tony Dougherti

C

Par Nicolas Dambre

Nearly 90 2, le nouveau spectacle de Merce Cunningham

non pas un mais des publics, quelques propositions aventureuses ou expérimentales touchent un public plus restreint, mais nous occupons par exemple le Théâtre de la Ville, qui affiche régulièrement complet. » Outre le théâtre argentin, de nombreux musiciens mexicains ont été également conviés lors de cette édition 2011, ainsi que quelques artistes indiens. Parmi ces derniers, Raqs Media Collective propose une installation, intitulée Reading Light, dans le bâtiment du Parti communiste français, dans le 19e arrondissement de Paris, conçu par l’architecte Oscar Niemeyer. Le collectif d’artistes s’amuse avec les mots et les symboles : un point d’exclamation et un point d’interrogation forment une gigantesque faucille. En face, des lettres lumineuses s’allument et s’éteignent à partir d’un mot inventé (Re-voltage), qui évoque à la fois l’électricité et la rébellion. Une classe d’école primaire est confrontée à ces installations qui semblent la captiver. La création des quatre coins de la planète vient à la rencontre de tous les curieux. ■

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époque// Une journée dans la vie de… (5/6) Devenu basketteur professionnel presque par hasard, Johan Passave-Ducteil va découvrir, en même temps que le club de Nanterre, l’élite du basket français. Sa semaine est calibrée : deux entraînements par jour et un match le week-end. Une routine qu’il accepte avec grand plaisir.

avec

Johan

Par Pierre Godfrin

10 heures. Johan arrive au palais des sports de Nanterre. Une salle en vert et blanc encore en travaux pour préparer la première saison de Pro A du club francilien. En ce mercredi de septembre, le jeune homme de 26 ans est tout sourire lorsqu’il voit débarquer au compte-gouttes ses coéquipiers pour l’entraînement matinal. Il est déjà sur le parquet, assis sur une civière. Victime d’une petite entorse à la cheville, il se fait strapper de longues minutes par le coach assistant, Franck. « Arrête, Messi n’est même pas arrivé à marquer », lance-til alors à l’un de ses partenaires encore ébahi par les exploits de la veille du prodige du football argentin. L’entraîneur, Pascal Donnadieu, arrive ensuite et demande à ses protégés de se mettre en action.

10h30.

« Nanterre, ensemble », hurlent à l’unisson tous les joueurs réunis au centre du terrain. Le bruit des ballons qui frappent le sol et le crissement des chaussures sur le parquet deviennent ensuite rapidement assourdissants. Après la préparation physique, qui a duré plusieurs semaines, place au jeu et à la mise en pratique des « systèmes », terme qui désigne les combinaisons tactiques. Le programme de ce mercredi est exceptionnel car, au lieu d’un deuxième entraînement prévu l’après-midi, un match amical a

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© Ridet

basketteur professionnel © Ridet

À 10h, les coéquipiers de Johan, blessé à la cheville, arrivent à l’entraînement matinal.

été organisé le soir même face à Orléans, dans le stade de Montargis. En attendant, Johan est à pied d’œuvre pour prouver qu’il a assimilé les combinaisons et les mouvements concoctés par le coach. « Faites en sorte qu’on avance », clame ce dernier, mettant ainsi la pression à ses hommes. « Les gars, on est ridicules défensivement. C’est tragique », affirme de son côté l’assistant. Johan, lui, est stoïque face à des remontrances qu’il entend tous les jours. Pourtant, durant l’heure d’entraînement, il lui arrive parfois de protester lorsque les deux entraîneurs cherchent « la petite bête ». Opposé tous les jours à l’entraîne-

© Ridet

Après quelques minutes de jeu, place aux remontrances du coach.

11h05. La pause est la bienvenue. « Faites en sorte qu’on silence qui règne en ce moment de avance » […] « Les gars, on Le repos est d’ailleurs impressionnant… est ridicules défensivement. C’est tragique. » 11h30. Le coach fait le point et ment à un colosse américain, Ryvon Covile, qui joue au même poste que lui et qu’il a gentiment rebaptisé « Raymond, car cela fait plus français », Jo tente au mieux de faciliter son adaptation. « C’est un bon gars, affirme-t-il. La concurrence est saine. Je trouve ça agréable. On se respecte mutuellement. Ce n’est pas parce qu’on doit se battre pour nos minutes passées sur le parquet que ça doit être malsain. »

met ainsi un terme à l’entraînement. Direction les douches.

12 heures. Chez le traiteur chinois, Johan achète des portions gargantuesques. Ce pivot de 2 mètres peut en profiter : sa femme et sa fille en bas âge sont actuellement en vacances à Lyon. « Je dors mieux, mais la maison est vide », reconnaît celui qui a bien failli ne jamais jouer au basket de sa vie… En effet, son parcours est pour le moins atypique car

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© Ridet

À 12h, Johan rentre manger dans sa grande maison près de Nanterre.

Il en profite pour se détendre en jouant aux jeux vidéo.

© Ridet

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jusqu’à ses 17 ans, Johan a rêvé d’embrasser une carrière de footballeur ! « C’est parce que j’ai été refoulé du centre de formation de football de Paris (CFFP) que j’ai tenté ma chance dans le basket grâce à un surveillant de mon lycée. J’étais peu intéressé par ce sport, que je ne connaissais que par les exploits de Michael Jordan à Chicago ; j’ai pourtant décidé, sans grande conviction, de me présenter à une détection du Paris Basket Racing, club aujourd’hui disparu. » Durant ce test, Johan ne touche pas une seule fois le ballon et ne fait que courir d’un panier à l’autre. Ses qualités athlétiques sont néanmoins remarquées. Quelques jours plus tard, alors qu’il doit

20h, le match amical contre Orléans peut commencer. Jo marquera 8 points, permettant la victoire de son club.

choisir un camp de vacances pour le mois d’août, il met le basket en cinquième choix. Peine perdue… Il est rapidement considéré comme le plus fort de la colonie et se fait même repérer par un agent marseillais. Celuici prend ensuite les devants et convainc la mère de Johan de le laisser partir. Il vient d’avoir 18 ans. « J’ai commencé alors un tour de

Son parcours est pour le moins atypique car jusqu’à ses 17 ans, Johan a rêvé d’embrasser une carrière de footballeur !

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© Ridet

© Ridet

Il est l’heure de mettre en pratique les « systèmes », combinaisons tactiques concotées par l’entraîneur.

France, mentalement très dur pour moi, qui suis d’origine antillaise. J’ai été refoulé par tous les clubs dans lesquels je me suis présenté, sauf à SaintÉtienne où j’ai signé un premier contrat en 2003 avec un salaire mensuel de 400 euros. Quelques mois plus tard, je suis devenu professionnel et je suis entré dans un milieu où se faire des ennemis est très facile… » En 2008, il est recruté par le CSP Limoges, club historique du basket français. Sa première saison est une réussite, mais, en 2009, un nouvel entraîneur est nommé. Ce dernier lui met « des bâtons dans les roues » et fait tout pour qu’il se sente « mentalement plus bas que terre ». Il ne débute qu’un seul

match dans le cinq de départ durant toute la saison et migre presque contraint et forcé en 2010 à Nanterre. Après une saison en Pro B couronnée de succès, Johan rêve désormais de s’imposer en première division avant de partir pour l’étranger afin de « faire un peu de net d’impôts », déclare-t-il avec un sourire. En attendant, il a vu son contrat à la hausse (entre 5 000 et 6 000 euros mensuels) et s’est installé dans une grande maison très calme à Chatou, juste à côté de Nanterre. Entre deux entraînements, il en profite pour manger devant la télévision et jouer à la console. L’absence de sa femme, ancien mannequin qui espère prochainement créer une société de boutiques en ligne de créateurs de mode, se fait également sentir pour la vie au quotidien. En quête d’une pastille pour le lave-vaisselle, Johan en profite pour appeler sa belle au milieu d’un salon où trônent une télévision géante et de nombreuses installations pour la petite.

14h30. Le temps est compté. Johan accélère pour préparer ses sacs et monte dans sa petite Suzuki afin de retrouver ses coéquipiers dans le bus menant à Montargis. Auteur de huit points lors de la victoire de la JSF Nanterre face à Orléans, Jo rentre dans la soirée chez lui, la tête pleine d’espoir, et avec la certitude que le public répondra bientôt présent. « Nous, on a besoin de notre sixième homme, confirme-til avec aplomb. En Pro A, ils savent qu’on va avoir en plus besoin d’eux. Il y aura beaucoup de monde car la ville a été médiatisée de belle manière. Je les invite donc à venir nous encourager. Tous ceux qui veulent voir du beau basket dans une ambiance sympa. » 23 heures. Extinction des feux. Johan s’endort plein de paniers en tête après une journée rythmée par son métier hors du commun. Un métier qu’il n’aurait jamais pensé exercer il y a dix ans. ■

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