Le français dans le monde N°394

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REVUE DE LA FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES PROFESSEURS DE FRANÇAIS

le français dans le monde

// MÉMO //

N° 394 juillet-août 2014

Kebir M. Ammi et le roman d’un imposteur algérien

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// ÉPOQUE //

Nawell Madani, l’humoriste qui aime se faire belge En Ontario, des monuments pour le français

FIPF

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9 782090 370874

15 €

ISSN 0015-9395 ISBN 978-2-090-37087-4

N° 394

juillet-août 2014

DOSSIER : Enseigner autrement

// MÉTIER //

Éloge de l’hétérogénéité en classe en Slovénie Espagne, Royaume-Uni, Allemagne et Italie ensemble pour un MOOC de FLE

// DOSSIER //

Enseigner autrement



Le français dans le monde sur Internet : http://www.fdlm.org

numéro 394 Métier / Reportage

Les fiches pédagogiques à télécharger Graphe : Jouer Économie : La « marque France », le nouveau récit économique Poésie : « Note » Clés : La notion d’intercompréhension Test et jeux : Les chats

ÉPOQUE 6. Portrait

Nawell Madani, le rire en liberté

8. Sport

La voix du foot

10. Tendance

Échanger pour changer

11. Patrimoine

Les vendredis après-midi à l’école Pestalozzi

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Des monuments pour le français

12. Économie

Dossier

La « marque France » : le nouveau récit économique

14. Regard

« La citoyenneté mondiale devient bien réelle »

fiches pédagogiques à télécharger sur : www.fdlm.org

Enseigner autrement « S’interroger sur certaines évidences des pratiques pédagogiques »........................................ 52 Faire du théâtre une véritable pratique d’enseignement............................................................... 54 Je joue donc j’apprends.................................................. 56 Silent Way, subordonner l’enseignement à l’apprentissage............................................................. 58

16. Exposition

Il était une fois l’Orient express

17. Un Québécois à Paris Les mots clés du quotidien

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MÉTIER 20. L’actu 22. Focus

« Les acquisitions langagières ne sont pas séparées les unes des autres »

24. Mot à mot

34. Zoom

Éloge de l’hétérogénéité

36. Expérience

Dites-moi Professeur

Chanson francophone : un apprentissage de la diversité culturelle et linguistique

26. Clés

38. Savoir-faire

28. Reportage

40. Récapitulatif des documents sonores

La notion d’intercompréhension Les vendredis après-midi à l’école Pestalozzi

30. Point de vue

Traduire pour relier les cultures

32. Initiative

Usito, un autre « bon usage »

Faire ses gammes avec des « si »

MÉMO 62. À voir 64. À lire 68. À écouter INTERLUDES 2. Graphe Jouer

18. Poésie

Jean Amrouche : « Note »

42. Innovation

46. Nouvelle

44. Ressources

60. BD

Travailler en français : un MOOC de FLE

FICHES PÉDAGOGIQUES PAGES 73 À 78

Clément Reychman : « Un nègre en eau douce » Hurluberlu

70. Test et jeux

Couverture : © miz’enpage -shutterstock

Les chats

Le français dans le monde, revue de la Fédération internationale des professeurs de français - www.fipf.org, éditée par CLE International – 9 bis, rue Abel–Hovelacque – 75013 Paris Tél. : 33 (0) 1 72 36 30 67 – Fax. 33 (0) 1 45 87 43 18 – Service abonnements : 33 (0) 1 40 94 22 22 – Fax. 33 (0) 1 40 94 22 32 – Directeur de la publication Jean-Pierre Cuq (FIPF) Rédacteur en chef Sébastien Langevin Conseiller de la rédaction Jacques Pécheur Secrétaire de rédaction Clément Balta – Relations commerciales Sophie Ferrand Conception graphique miz’enpage - www.mizenpage.com – Commission paritaire : 0417T81661. 54e année. Imprimé par IME, Baume-les-Dames (25110). Comité de rédaction Dominique Abry, Isabelle Gruca, Valérie Drake, Pascale de Schuyter Hualpa, Sébastien Langevin, Chantal Parpette, Manuela Pinto, Nathalie Spanghero-Gaillard. Conseil d’orientation sous la présidence d’honneur de M. Abdou Diouf, secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie : Maguelone Orliange (MAE), Jean-Pierre Cuq (FIPF), Pascale de Schuyter Hualpa (Alliance française), Raymond Gevaert (FIPF), Michèle Jacobs-Hermès (TV5MONDE), Xavier North (DGLFLF), Imma Tor (OIF), Nadine Prost (MEN), Fabienne Lallement (FIPF), Lidwien Van Dixhoorn (RFI), Jean-Luc Wollensack (CLE International).

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Les reportages audio des mois de juillet-aôut 2014 à télécharger : Société : l’enquête « Génération quoi » (audio et transcription) Micro-trottoir : « jouer » (audio et transcription) Patrimoine : la numérisation des œuvres d’art (audio et transcription) Technologie : la valise de vacances du geek (audio et transcription)

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tendance Accepter que des inconnus vivent chez vous, accepter d’aller vivre chez des inconnus… Et si les échangeurs étaient les nouveaux vrais aventuriers ?

Échanger

© lassedesignen - Fotolia.com

pour changer

U

Par Jean-Jacques Paubel

ne super expérience et un moyen de voyager moins cher » : c’est Antonia59 qui le dit. Et elle n’est pas la seule à le penser puisqu’ils sont 300 000 à faire cette expérience chaque année dans le monde. Internet oblige, le phénomène va s’amplifiant. La preuve par les sites qui se multiplient et se spécialisent : de Homelink, le plus ancien, à Trocmaison, en passant par HomeChicHome, qui propose des maisons branchées et insolites, ou Profvac qui, lui, ne s’adresse qu’aux enseignants, Le Guide du Routard, jamais avare de conseils et de bons plans, en a sélectionné une quinzaine qui correspondent tous à des attentes spécifiques. Au-delà de l’aspect économique, non négligeable, une manière de sortir du tourisme balisé, de s’imprégner davantage des modes de vie, de vivre

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de vraies histoires autant que de passer des vacances. Le phénomène n’est cependant pas nouveau : tout a commencé aux États-Unis dans les années 50 : des professeurs d’universités américaines ont eu l’idée de créer une bourse du voyage où chacun mettait à disposition sa maison, le temps des vacances d’été. Bientôt, le réseau s’élargit, des agences se créent, des catalogues sont édités, tout ça avant qu’Internet ne vienne s’en mêler. Paris et la France n’ont pas échappé au phénomène : aujourd’hui 20 000 Franciliens participent à ce mode d’échange d’appartements ou de maisons. Il est vrai que Paris demeure la principale demande des

Et l’on devient tout à coup liés à des êtres que l’on ne connaît pas, tout simplement parce que l’on est entré dans leur intimité

échangeurs étrangers : quatre demandes étrangères pour une offre française, « des demandes principalement du Canada, des États-Unis mais aussi d’Australie ou de NouvelleZélande », précise Christelle Mistrot de Trocmaison, qui constate que « les pays proches, Espagne ou Italie, sont forcément moins demandeurs. » Quatre conditions pour réussir un échange Le succès de la formule ne va pourtant pas de soi, surtout dans un pays comme la France, réputé pour son sens de la propriété et de l’intimité. Combien de fois Pascale Senk et son compagnon Martin Rubio, tous deux auteurs d’Échanger sa maison, le nouvel esprit du voyage (Éditions des Équateurs), n’ont-ils pas entendu cette réflexion : « Ah, moi, je ne pourrais jamais laisser ma maison à un inconnu ! » Passées les questions/préventions relatives à la taille, au confort et à l’équipement

de l’appartement ou de la maison, la réussite de l’échange repose sur d’autres conditions ; Brigitte Valotto dans Échanger ou louer sa maison (Fleurus, 2011) en recense au moins quatre : « Du savoir-vivre, une large ouverture d’esprit, un peu de courtoisie, de la générosité. » Découvrir la maison de l’autre, c’est aussi le rencontrer. Patrick Estrade explique dans La Maison sur le divan (Robert Laffont) que « la maison est aujourd’hui à notre image, elle est l’expression de notre personnalité ». « Vivre dans l’intérieur des autres, c’est aussi apprendre à les connaître, analyse Pascale Senk. Quand on regarde les livres et les disques sur les étagères, cela raconte des choses. Et l’on devient tout à coup liés à des êtres que l’on ne connaît pas, tout simplement parce que l’on est entré dans leur intimité. » Et d’ajouter : « Découvrir l’univers des autres, c’est aussi s’apercevoir que l’on se ressemble, même si des milliers de kilomètres nous séparent. » n

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époque //patrimoine

Des monuments pour le français Et les projets de ce type se multiplient. En Ontario, province la plus peuplée du Canada, 510 000 citoyens se réclament du français pour langue maternelle. Un chiffre conséquent – les Franco-Ontariens constituent en nombre absolu la deuxième communauté francophone du Canada, après le Québec – mais vite nuancé par un autre : cela ne représente que 4,2 % de la population totale… à mettre en

« Un rappel à la mémoire » Différents dans leur architecture, les quinze édifices obéissent cependant tous à la même structure globale : une aire commémorative au centre de laquelle se dresse

8e monument de la Francophonie, élevé à la Cité de Clarence-Rockland, le 25 septembre 2008.

A

Par Guillaume Willecoq

Une aire commémorative au centre de laquelle se dresse un gigantesque drapeau francoontarien, vert et blanc et orné d’une fleur de lys et d’une fleur de trille, emblème de l’Ontario

© DR

lfred-Plantagenêt, Pembroke, Windsor, Russell ? Ou plus probablement Hawkesbury, qui a déjà programmé l’inauguration au 25 septembre, jour anniversaire du drapeau franco-ontarien : quelle sera la quinzième ville ou collectivité de l’Ontario à ériger son monument de la francophonie ? Germée à la fin de la décennie 90, l’idée n’a cessé de se concrétiser ces dernières années, jusqu’à déboucher, depuis 2006, sur la construction de quatorze monuments en hommage à la langue de François Ier, d’abord à Ottawa, puis bien vite à travers toute la province. « Un monument de la francophonie, c’est un signe très fort. En termes de visibilité, c’est très important. C’est une affirmation de notre identité franco-ontarienne », explique Marc Ryan, membre du comité qui s’emploie actuellement à faire sortir de terre un tel édifice dans la ville de Russell, 4 000 habitants.

perspective avec les 69 % d’Ontariens anglophones. C’est donc dans le but de valoriser la filiation avec le français que sont nés les monuments de la francophonie.

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Un matériau physique pour préserver la notion d’identité : telle est la campagne qui, dans la province canadienne de l’Ontario, a abouti à la création de quinze monuments de la Francophonie depuis 2006.

un gigantesque drapeau francoontarien, vert et blanc et orné d’une fleur de lys et d’une fleur de trille, emblème de l’Ontario. Financé tant par des dons que par des partenariats publicitaires et des subventions d’État (une dernière ressource qui fait régulièrement grincer des dents du côté des anglophones), le monument possède avant tout une forte portée symbolique. « Imaginez-vous les gens qui passent à proximité de ce grand drapeau et vont le regarder, décrit Bernard Grandmaître, président d’honneur du comité organisateur d’Ottawa. Tout de suite, il dit quelque chose à la communauté, qu’elle soit anglophone, chinoise… Tous vont le reconnaître. Et du côté francophone, il permet de s’assurer que la communauté est vivante, qu’elle avance main dans la main autour d’un projet commun. Et peut-être que les gens vont exiger des services en français, une plus grande présence de leur langue dans la vie quotidienne. Il agit comme un rappel à la mémoire. » À ce titre, le lieu d’édification des monuments n’a lui non plus rien d’anodin. À Hawkesbury, 10 000 âmes, il sera installé sur la rive faisant face à l’île du Chenail, « île mythique qui a vu arriver, il y a quatre siècles, le grand Samuel de Champlain, fondateur de Québec et, partant, du Canada », souligne l’historien Yves Saint-Denis. Dans la préservation et la valorisation d’un patrimoine culturel et identitaire, la pierre est aussi la plus sûre des valeurs. n

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expérience

Quelques exemples illustrant la diversité de la chanson française contemporaine, qui peut servir idéalement de support de cours pour un apprentissage plaisant du français.

Chanson francophone

Un apprentissage de la diver

Adopter des modèles d’intervention didactiques, orientés vers la pédagogie interculturelle, participative et interactive. La preuve par la chanson.

Lídia Marques est professeure de FLE à l’Escola Secundária do Dr. Manuel Laranjeira, à Espinho (Portugal).

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D

Par Lídia Marques

ans l’apprentissage d’une langue vivante, les propositions méthodologiques et les ressources à utiliser doivent tenir compte des (nouvelles) réalités sociales des jeunes, notamment pour nous, Européens : réalités pluralistes, multiculturelles, caractérisées par une grande diversité linguistique et raciale qui ne peut pas être ignorée en salle de classe. Les apprenants doivent prendre conscience de l’utilité de ce qu’ils apprennent en classe : d’où la nécessite d’un cours de FLE qui se présente comme un espace perméable à l’actualité, amenant les élèves à s’exprimer, à établir des échanges, à comprendre. Il nous revient de faire en sorte qu’ils établissent un rapport affectif avec la langue qu’ils apprennent : c’est par cette voie affective que l’enseignant pourra provoquer un changement d’attitude par rapport à l’apprentissage.

Transformer l’apprentissage en plaisir L’utilisation de la chanson en classe de FLE constitue ici un véritable atout et offre une bonne chance de transformer l’apprentissage en plaisir. Avec la chanson, il est plus aisé d’introduire l’interculturel en cours et de resserrer ainsi le lien entre la langue et sa culture. De plus, elle aide à combler les lacunes s’agissant des connaissances socioculturelles sur la France et les Français, tout en soulignant l’actualité et la modernité du pays et de la langue. Par là, elle permet de faire tomber bien des stéréotypes et des préjugés des élèves. La chanson, en tant qu’instrument pédagogique, permet aussi de diversifier les pratiques communicatives, faisant en sorte que les élèves se prêtent à des tâches naturelles comme répondre à des questions, prendre position, réaliser des activités de réécriture ou de création, ou à des tâches simulées comme la participation à des simulations ou à des jeux de rôles qui

donnent lieu à des interactions diversifiées. L’enseignant est lui aussi gagnant, puisque la chanson va lui permettre de mettre en place des démarches innovantes, à tous les niveaux d’apprentissage. Une ouverture sur le monde La chanson française contemporaine est à l’image de la société française : un mélange de couleurs, de cultures et de rythmes. Que de visages différents, que de noms venus d’ailleurs, que de styles musicaux aux noms parfois quelque peu étranges ! À côté de noms à consonance française (Jean-Louis Murat, Francis Cabrel, Alain Souchon, Bénabar, Florent Pagny, Vincent Delerm…), on trouve des noms d’autres origines comme Faudel, Khaled, Tété, Nâdiya, Zebda, Passi, Kassav qui attestent ainsi d’une mixité culturelle qui se projette aussi dans la variété linguistique que l’on trouve dans les paroles des chansons. Les styles musicaux aussi se sont enrichis et font preuve d’originalité, aussi bien dans les sym-

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sité culturelle et linguistique L’utilisation de la chanson en classe de FLE constitue ici un véritable atout et offre une bonne chance de transformer l’apprentissage en plaisir bioses musicales obtenues que dans les noms qui les désignent : French R’n’B, raï, Raï’n’B, zouk, groove, rap, hip-hop, French reggae, etc. Le zouk illustre la joie de vivre sous le soleil des Antilles françaises. Jocelyne Labylle, Kassav et Dis l’Heure 2 Zouk ont suivi les pas de la Compagnie Créole… Aujourd’hui, certaines chansons marient la langue de Voltaire à l’arabe, à l’afrikaans, au créole, etc. Quelques exemples : Dans sa chanson « L’Orphelin », Willy Denzey chante : « Ma ktoubch chi mara ti khalik tsoufri / Mes frères, gardons l’espoir et la force d’y croire / Ma ktoubch chi mara ti khalik tsoufri / Pour la paix dans le monde l’amour

que l’on sème ». Faudel, dans la chanson « Dis-moi », place côte à côte l’arabe et le français : « Dis-moi, quel espoir a-t-on dans cette vie / Dismoi, qui mêhédir pour comprendre tout ça / Dis-moi, qui mêhédir elfim koulchi / Si tu n’as pas compris que la vie est un défi / Pour nous les jours se ressemblent / La souffrance nous fait survivre ensemble ». Yannick Noah, quant à lui, chante : « Ose (okisé séki now, now, now, now....) / Ose (okisé séki now, now, now, now....) / Redonne à ta vie / Sa vraie valeur ». Enfin, la chanson de Magic System & Mohamed Lamine, « Un Gaou à Oran » mêle le français, l’arabe, une langue africaine et l’anglais. Époustouflant ! Cette réflexion serait incomplète si elle ne tenait pas compte de tous les apports des langages des jeunes, issus des banlieues (verlan, veul, emprunts à des langues étrangères) et que l’on retrouve si souvent dans les chansons de rap ou de hip-hop. Diam’s, la rappeuse lauréate aux Victoires de la Musique, chante : « Laisse-moi kiffer la vibe avec mon

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mec. » Sniper, lui, dénonce les problèmes sociaux dans 35 Heures de cette façon : « Taffer, pour ma sécu faut qu’j’cotise / Taffer, pour ta société ou ton biz / Taffer, a chaque fin de mois c’est la crise ». Kool Shen, l’ancien de NTM, critique ainsi les médias : « Parce que d’toute façon maint’nant l’info ils t’la font tous façon fashion / Ouais façon kainri « time for some action » / Ça parle de gang ou bien d’traffic dès qu’entre quatre jeunes / Y a une embrouille / T’as catché l’vice fils ? / Ouais pour qu’leur biz glisse ». Curieux mélange que celui qui fait naître une variété linguistique inattendue qui parfois peut dérouter. Pensons à nous, enseignants de français, éparpillés sur tous les continents, qui bien souvent nous heurtons à cette barrière lexicale. Rassurez-vous, le site www.freelang.com propose un service gratuit d’aide à la traduction, avec des traducteurs bénévoles pour toutes les langues. Visite obligatoire, donc, quand un couplet est dans une langue que nous ne comprenons pas.

La chanson « Paris », interprétée par Marc Lavoine et Souad Massi, jeune chanteuse algérienne, mérite d’être écoutée avec attention. Les premiers accords de ce qui nous semble être une mandoline nous laissent penser qu’il va s’agir d’une mélodie italienne. Puis arrive un tam-tam et nous imaginons alors une chanson arabe. Quelle surprise quand nous écoutons les premières paroles ! Il s’agit, en fait d’une chanson sur Paris qui présente tous les clichés de la capitale (cafés, monuments, Seine, références littéraires, etc.). L’ensemble montre combien la Ville Lumière est devenue le lieu d’un profond métissage culturel où les références européennes côtoient les influences orientales, africaines et tant d’autres. À Michel Boiron, qui défend depuis toujours l’utilisation de la chanson en classe, le mot de la fin : « La chanson est support d’expression écrite et orale, déclencheur d’activités et point de départ d’une ouverture sur le monde… Le plaisir de l’écoute reste une priorité. » n

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entretien Cours de psychodramaturgie linguistique : après la rencontre de deux participants soutenus par leurs sous-groupes, ceux-ci les préparent à une nouvelle rencontre en les « rechargeant » linguistiquement à partir de ce qu’ils ont exprimé lors du premier échange.

Depuis plus de quarante ans, des pratiques éprouvées permettent d’enseigner les langues en sortant des sentiers battus. Les explications de Bernard Dufeu, spécialiste de ces pratiques non conventionnelles.

« S’interroger sur certaines éviden Propos recueillis par Sébastien Langevin

Docteur en sciences de l’éducation et formateur d’enseignants de langues étrangères, Bernard Dufeu a notamment publié Les Approches non conventionnelles des langues étrangères (Hachette, 1996). Voir aussi : www.psychodramaturgie.org

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Vous avez participé au numéro de Recherches & Applications – Le français dans le monde intitulé « Apprendre les langues étrangères autrement », en 1999. Quel sens peut-on donner à cet « autrement » en matière d’enseignement-apprentissage du français ? Bernard Dufeu : Cet « autrement » varie suivant les approches. Voici quelques aspects considérés comme conventionnels par certaines d’entre elles : la centration sur les contenus, d’où la place du manuel, qui influence non seulement le choix des contenus, mais également le mode d’approche de la langue, la relation entre les participants et le rôle de l’enseignant ; le mode de communication : l’enseignant pose beaucoup de questions dont il connaît la réponse, l’importance de son temps de parole, la domination du « parler sur » (les choses, les gens, les événements) par rapport au « parler à » (à l’autre, aux autres) dans les échanges ; une conception sécurisante de l’enseignement qui s’exprime, entre autres, dans la place accordée à la progression des contenus linguistiques, la fragmentation du savoir, la programmation de l’approche grammaticale, les formes classiques d’évaluation ; les étapes du déroulement d’une unité ; la conception de l’authenticité dans l’emploi pédagogique

de documents authentiques… Les approches dites non conventionnelles se distancent de certains ou de tous ces points. Y a-t-il une philosophie commune entre les différentes approches dites « non conventionnelles » ? B. D. : Il y a des différences importantes entre ces approches, qui reposent non seulement sur des pratiques, mais sur des conceptions de l’homme et de l’apprentissage parfois opposées. Prenons des exemples. La suggestopédie s’est beaucoup préoccupée des facteurs qui freinent ou inhibent l’apprentissage. Elle cherche à développer une atmosphère de détente en cours et propose une vision harmonieuse de l’enseignement. Sur le plan méthodologique, elle repose sur un déroulement en phases de type « conventionnel », mais tente de diversifier fortement les exercices et la phase de transfert. La psychodramaturgie, elle, a intégré certains fondements du psychodrame (spontanéité créatrice, concept de rencontre, d’action – sens originel du mot drama –, orientation vers les participants et le groupe), certaines attitudes (écoute empathique du participant, mode de conduite de groupe) et certaines techniques qui ont été adaptées à l’apprentissage des langues (double, miroir, rôle et renversement de rôle…). Elle emprunte à la draLe français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014


Après la rencontre de deux protagonistes, les « soutiens » de chaque participant entrent en relation avec un participant de l’autre groupe.

ces des pratiques pédagogiques » maturgie, entre autres, la notion de forces dramaturgiques dans la création des exercices et dans le choix des textes. Ces approches se sont développées dans les années 1970, puis ont été largement utilisées dans les années 1980 et 1990. Désormais, sont-elles encore fréquemment employées par les enseignants de langue ? B. D. : En Allemagne, où je réside, ce sont surtout la suggestopédie et la psychodramaturgie qui sont les plus présentes dans le domaine dit « alternatif » et connaissent une expansion progressive. Mais à côté de leur emploi dans leur version standard, le plus importants est que certaines de leurs conceptions et de leurs activités contribuent à améliorer l’apprentissage des langues en général. Ainsi, depuis plus de trente ans lors d’ateliers dans différents pays et depuis quinze ans dans le cadre des stages BELC d’été, je présente à des enseignants venant de tous les horizons des techniques de la psychodramaturgie qui sont exploitables dans des contextes classiques d’enseignement. Ces approches invitent à se poser des questions sur certaines « évidences » des pratiques conventionnelles. Elles peuvent apporter un enrichissement de l’enseignement des langues sans que les enseignants aient l’obligation d’adhérer à l’enLe français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014

semble de leurs conceptions et de leurs pratiques, car tout choix méthodologique est avant tout un choix personnel, d’où l’importance de l’adéquation entre l’enseignant et son mode de travail. Les jeux, sérieux ou non, les simulations, la pratique théâtrale sont fréquemment intégrés aux cours de français. Ces activités à la fois pédagogiques et récréatives vous semblent-elles importantes pour la progression des apprenants ? B. D. : Oui, quand elles permettent aux participants de faire vivre directement la langue ou de développer une relation positive avec cette langue. Un certain nombre de ces pratiques est utilisé pour assouplir et élargir un enseignement de conception plus sévère. Elles sont donc bienvenues quand elles permettent un contact plus souple avec la langue étrangère et son enseignement ainsi qu’une meilleure intégration de celle-ci. Vous pratiquez vous-même l’enseignement de la psychodramaturgie linguistique depuis plus de trente ans : pouvez-vous exposer en quelques mots les principes de cette approche originale ? B. D. : Voici quelques orientations qui demanderaient à être illustrées pour en comprendre leur traduction dans la pratique : une orientation

« Acquérir la langue étrangère en la vivant en action et en relation plutôt que de l’apprendre de manière abstraite » vers les participants et le groupe (l’animateur propose un cadre ouvert à l’expression à travers une activité qui stimule le désir d’expression des participants, ce sont les participants qui orientent l’activité et qui déterminent les contenus) ; une conception de l’individu comme un être unique (chacun a sa progression et suit son chemin à son rythme dans la langue étrangère) ; suivre au lieu d’anticiper (ainsi dans les rencontres entre participants une technique dite de « recharge » permet de développer linguistiquement les dialogues spontanés et de renforcer les nouvelles acquisitions linguistiques) ; acquérir la langue étrangère en la vivant en action et en relation plutôt que de l’apprendre de manière abstraite ; le développement du double niveau de l’apprentissage, c’està-dire le développement des compétences non seulement du « niveau de surface » : la prononciation, le lexique, la syntaxe, l’interculturel, mais, en parallèle, du « niveau profond », c’est-à-dire des attitudes, aptitudes et comportements (concentration, écoute, ouverture, flexibilité…) qui facilitent l’acquisition d’une langue étrangère. n

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L’auteur « ConexionES » est une opération de résidences croisées en bande bessinée dans deux Alliances françaises : à Lyon avec Benjamin Lebègue et à l’Alliance française de Rosario (en Argentine) avec German Peralta (publication de deux planches dans le prochain Français dans le monde). Les deux auteurs ont eu pour mission de croquer la vie de ces deux établissement aux trajectoires différentes, 30 ans pour celle de Lyon, 100 ans pour celle de Rosario. Ce projet a croisé la célébration des 130 ans du réseau des Alliances françaises et était soutenu par la Fondation Alliance française. n

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