Expé à ski et pulka au Pakistan - mai 2017 (1/2)

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par t i e1


Muztagh Pass Ski Tour 2017 expé à skis et pulka au Pakistan

Muztagh est un nom d’origine turcophone qui signifie « montagnes de glace ». Les Ouïghours de la haute Tartarie désignaient ainsi les montagnes du Karakoram qui délimitaient le sud de leur territoire. Deux cols glaciaires étaient connus pour être franchissables, les Muztagh Pass, ouest et est, « new and old », qui permettaient aux Ouïghours de relier les royaumes du Baltistan. Entre ces deux cols se situe le vaste bassin supérieur du glacier de Sarpo Laggo qui s'étend entre 5000 et 5700 m d’altitude, flanqué de sommets de 6000 et 7000 m. Le programme de cette aventure avec le guide français Pierre Neyret est de traverser ces deux cols aujourd'hui complètement délaissés, et de skier quelques points hauts dominant le bassin supérieur du glacier Sarpo Laggo, en terminant par la descente du Glacier du Baltoro et en passant au pied des mythiques Tours de Trango, Cathedral et Paju. Un itinéraire hors normes et une expérience unique que je vais essayer de vous faire revivre à travers cet album-photo.


prologue

Paris-Skardu


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ci-contre : l'artère principale de Skardu, capitale du district éponyme. La ville est située sur le Haut Indus, à 190 km au nord ouest de Leh. D'après le site Skardu.pk, le nom de la cité a pour origine deux noms Balti, "Skar" et "Rdou", qui signifient pierre et étoile.

Jours 1 & 2 : Paris-Skardu via Islamabad Samedi 15 avril 2017, 4 heures du mat. L’Airbus A330 de la Turkish Airlines atterrit sur le tarmac de l’aéroport Benazir Bhutto d'Islamabad. Une fois les formalités administratives effectuées et les bagages récupérés, c’est reparti pour 7h d’attente avant de reprendre un vol pour Skardu, dans un aéroport où il ne se passe absolument rien… ou presque. En effet, la seule distraction ici consiste à regarder un policier sur un chariot élévateur soulever les voitures mal garées pour les déposer 50 mètres plus loin sur un terre-plein surélevé… Surprise assurée pour les contrevenants et fous rires pour nous…. On s’amuse comme on peut ! Finalement, à 11h, l’écran de contrôle du terminal national confirme que le vol pour Skardu est non seulement confirmé, mais partira aussi à l’heure prévue. Grand « ouf » de soulagement. Et pour cause : en cas de météo défavorable, nous aurions soit dû attendre le vol de demain, soit rejoindre les 550 km qui nous séparent de la capitale du GilgitBaltistan… en deux grosses journées de bus. C’est d’ailleurs ce qui nous était arrivé il y a cinq ans à l’aller... et au retour ! Pendant les trois quart d’heure du vol, le paysage change rapidement, passant en quelques minutes des plaines fertiles d’Islamabad aux contreforts enneigés de la chaine de l’Himalaya, avec le survol du Nanga Parbat (8125 m) puis le massif du Karakoram, hérissé de centaines de sommets enneigés de 6000 et 7000 mètres. A la fin, le petit jeu consiste à repérer et à photographier la pyramide emblématique du K2, le deuxième plus haut sommet du monde (8611 m). Mais il faut être très rapide, car l’avion pique déjà vers l’avant pour atterrir dans la vaste plaine de Skardu, qui s’ouvre comme un répit providentiel au sein de ce relief tourmenté. Une fois le Boeing de la Pakistan Airlines posé au milieu de cette oasis de sable, la petite centaine de passagers – quasi uniquement des locaux – récupère ses bagages sur l’unique et vétuste tapis de l’aérogare. A la sortie, deux visages souriants

et connus nous accueillent : Hassan, le fils du chef du village d’Askole, et Jahangeer Shah, l’éternel compagnon de route pakistanais de Pierre (ils se connaissent depuis plus de quinze ans). Nous chargeons très rapidement les bagages sur les minibus, avant un court transfert pour l’Hôtel Mashabrum, situé à l’entrée de la principale artère de Skardu. Comme il n’est que 15h, nous déjeunons rapidement avant de faire une petite sieste puis un tour dans la principale artère commerçante pour acheter quelques abricots secs. Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, nous sommes plutôt bien accueillis, les gens sont relativement souriants, voire la plupart du temps indifférents. Par contre, pas ou peu de femmes dans les rues comme le fait remarquer de façon amusée, Dominique… la seule femme de notre petit groupe. Au dîner, Pierre nous annonce deux nouvelles, une bonne – l'octroi du permis par les autorités locales – et une moins bonne : l'hiver a été rude et les routes sont en mauvais état, ce qui signifie que nous devrions marcher un peu plus que prévu. Du coup, nous allons laisser tomber le jour d’acclimatation à Skardu pour partir dès demain pour Askole. Direction donc les chambres pour préparer méticuleusement nos affaires. Pas de consigne particulière, mais un impératif : ne pas dépasser 10 kg d’affaires personnelles, car il faudra ensuite les traîner sur la pulka en plus des 20 kg de bouffe, d’essence, du réchaud, de la tente et du matelas mousse… Inutile donc de prendre deux tenues de ski, quinze sousvêtements et cinq bouquins. En revanche, il vaut mieux ne pas oublier de prendre deux paires de lunettes de soleil, une thermos, un briquet et suffisamment de batteries pour les appareils électroniques. Avant de nous coucher, vers 22h, il ne faut surtout pas oublier de mettre en charge les batteries, car nous n’aurons ensuite plus d’électricité avant vingt jours. Le début de l’aventure peut enfin commencer.



page de gauche : la longue attente à l'aéroport d'Islamabad, l'empaquetage obligatoire des sacs à skis et, enfin, l'arrivée à l'aéroport militaire de Skardu. La vallée est entourée de dizaines de sommets de plus de 5000 mètres. page de droite : quelques photos des rues de Skardu. Rien de vraiment intéressant, mais elle est un point obligatoire pour les expéditions en partance pour le K2 et les sommets environnants.


partie 1

l'approche


carte/photo : itinéraire de la piste Skardu-Askole. Nous commençons par la vallée de Shigar qui remonte vers le nord-ouest, avant de bifurquer à 45° dans l'étroite vallée du Haut Braldu (photo de gauche).

Jour 3 : Skardu – Apa Ali Gone (2540 m) Dimanche 16 avril. Laurent (mon binôme) et moi nous levons dès 7h pour prendre une dernière douche tiède et finaliser les paquetages, qui sont chargés sur une jeep qui part directement pour Askole. Comme nous ne démarrons qu’à 10h, une partie du groupe va se balader une dernière fois dans Skardu, histoire de prendre quelques photos et de se dégourdir les jambes avant 6h de jeep. Pour l’anecdote, les premières expéditions qui se rendaient dans le Karakoram arrivaient ici, à pied depuis la ville de Srinagar au Cachemire, après 350 km de marche. Il leur fallait encore une dizaine de jours pour rejoindre Askole, le plus haut (et dernier) village de la vallée de Braldu, en route pour le glacier du Baltoro et l’ascension du K2. Alors 6h en jeep, ce sont presque des vacances. A 10h15 pétantes, nos trois 4x4 chargés à la gueule démarrent enfin. A peine sortis de la cité, nous traversons le fleuve Indus, avant de passer un petit col qui s’ouvre enfin sur une nouvelle vallée grandiose, où Skardu n'est plus qu’une oasis perdue au milieu du désert. Nous continuons ensuite sur une route qui remonte la large vallée de Shigar, où les oasis cultivées sont nombreuses et très peuplées. Après 2h de route relativement bien goudronnée, une heure de piste et deux check points de l’armée, la vallée bifurque vers la droite pour entrer dans la vallée de Braldu, plus étroite, où nous croisons quelques villages et passons plusieurs ponts en bois. Pause repas. Ensuite, la piste devient plus rocailleuse et bordée de très hautes falaises de granit, où sont perchées des dizaines de mines d’aigues-marines. Mais qui dit falaises, dit aussi pistes spectaculaires, avec quelques passages creusés dans des parois verticales et délitées qui font froid dans le dos. A certains moments, le rétro gauche de la jeep frôle quasiment la roche, tandis qu’à d’autres, un seul écart de quelques centimètres peut nous envoyer droit dans le ravin. On se croirait dans les "Routes de l’impossible". Plus nous avançons et plus la piste se dégrade, jonchée à plusieurs endroits de rochers tombés à la fin de l’hiver. Heureusement, les villageois ont déjà bien déblayé le terrain, ce qui permet de ne pas trop ralentir la cadence. Toutefois, leur tâche est énorme au regard des volumes qui ne cessent de dévaler les pentes. Et ce qui devait arriver arriva : à 15h, nos jeeps s’arrêtent net. Face de nous, la montagne a recraché des tonnes de gravats qui ont complètement recouvert la piste. Et vu qu’il n’y a qu’un tracteur et deux villageois avec leur pelle pour tout déblayer nous comprenons vite qu’il va falloir continuer à pied jusqu’au prochain village...


colonne de gauche : notre itinéraire en jeep débute par la remontée de la vallée de Shigar. La route, très poussiéreuse, est bordée de nombreux peupliers, de champs et, surtout, de dizaines d'abricotiers en fleurs (et non des cerisiers comme nous le pensions tous).


Nous bifurquons ensuite dans la vallée du Haut Braldu. Désormais, la piste est le plus souvent posée en équilibre sur les pentes de la montagne, ou taillée dans la paroi. Plus nous avançons et plus les risques de voir ces rochers tomber sur la piste sont grands. Et c'est d'ailleurs le cas, puisque vers 15h, la piste est impraticable. Nous allons donc devoir continuer à pied jusqu'à Apa Ali Gone ce soir, et rejoindre Askole demain.



page de gauche : faute de pouvoir aller plus loin, les jeeps ont rebroussé chemin pendant que nous continuons à pied (une heure et demie de marche pour rejoindre Apa Ali Gone). Déjà une belle acclimatation ! AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA

Jour 4 : Apa Ali Gone (2540 m) – Askole (3030 m) Comme prévu, réveil très matinal (5h), avec démontage immédiat des tentes alors que le soleil se lève à peine. Après un copieux petit déjeuner, nous nous brossons les dents et remplissons nos gourdes en vue d’une longue journée de marche qui démarre à 6h30 pile. Pierre est en forme et ouvre la marche avec Dominique. Mais au bout de dix minutes, la piste est déjà complètement recouverte par d’énormes blocs de granit. A pied, cela ne pose aucun problème, mais aucune jeep n’aurait pu y passer. Du coup, la question que tout le monde se pose c’est : est-ce que ces blocs auront pu être déplacés dans trois semaines quand nous repasserons ici ?

Pour l’instant, nous continuons à marcher le long de la route, dans une grande plaine éclairée et entourée de cimes enneigées. Au bout d’une heure, la piste bifurque et remonte vers la droite, pratiquement à flanc de falaise. Malheureusement, après 2 km, la piste est coupée, car des tonnes de gravillons recouvrent non seulement la piste, mais continuent de dévaler au-dessus et en-dessous de façon ininterrompue. Il ne reste alors plus qu’une solution : descendre (puis remonter) la pente de 30° jusqu’aux rives de la tumultueuse rivière Braldu, une centaine de mètres en contrebas. Un passage peu technique, mais où Pierre nous demande de rester très attentifs et d’accélérer le pas, au cas où. Un kilomètre plus loin, nous faisons désormais face à un énorme monticule où se sont déversés des tonnes de gravats. Au moment où nous passons, quelques rochers qui se sont décrochés de la paroi deux cent mètres plus haut commencent alors à dévaler la pente à une vitesse folle. Heureusement, ils s’arrêtent quelques mètres avant nous. Vu les risques, Pierre, Dominique et moi y allons donc prudemment, en scrutant attentivement le haut de la montagne. Soudain, un bruit sourd, puis de nouveaux blocs qui dévalent la pente. Nous prenons alors nos jambes à notre cou pour nous mettre à l’abri. Nous repartirons finalement, mais en étant encore plus vigilants. Une fois que la moitié du groupe a passé cet obstacle, ce sont désormais des centaines de cailloux qui se mettent à dégringoler la pente. Ils ne sont pas énormes, mais leur nombre et l’exiguïté de la gorge font qu’ils provoquent un brouhaha inquiétant. En plus, certains d'entre eux se déversent dans un petit ruisseau où, en se mélangeant à l’eau, ils commencent à former un torrent de boue très impressionnant qui vient inexorablement recouvrir la piste. Malgré leurs lourdes

charges, les porteurs réussissent à passer sans trop de problème. Mais une minute plus tard, c’est désormais un énorme bloc qui dégringole la pente à toute vitesse, au moment où François est en train de prendre quelques photos. Heureusement pour lui, le bloc se détache en deux avant de s’arrêter quelques mêmes devant lui. Plus de peur que de mal donc, mais on comprend mieux désormais pourquoi Pierre et Hassan voulaient partir tôt ce matin. Ensuite, la vallée s’élargit progressivement, nous éloignant des dangers des chutes de pierres. J’en profite donc pour faire un peu mieux connaissance avec le reste de notre groupe de dix. Parmi eux, deux vieilles connaissances de Nobande Sobande : Yves, retraité d’une soixantaine d’années, et Dominique, pisteuse secouriste qui a déjà fait cinq voyages au Pakistan avec Pierre. Je connais aussi François, médecin à La Réunion, que j'ai côtoyé au Népal en 2015 lors de l’ascension de l’Himlung (7134 m). Il y a également Mathurin, ainsi que Gilles et Romain, le père et le fils, venus plus pour la beauté des paysages et l’expérience humaine que l'exploit physique. Sans oublier Frédéric et Rémi, le géomètre et le pharmacien, deux très bons amis de Pierre. Enfin mon binôme, Laurent Boiveau, à la fois guide, journaliste et photographe, auteur du site tekenessi.fr. Mais il est ici en tant que simple client, même s’il prend beaucoup de photos, dont une partie sera publiée dans son futur livre, Himalaya Céleste. Après une dernière montée un peu rude, nous arrivons à l’entrée d’Askole (3030 m) à 15h, après 7 h de marche – ce qui est plutôt bien pour une journée d’acclimatation ! Pour nous remercier de cet effort, Pierre nous invite au General Store pour boire une Mountain Dew, sorte de 7Up couleur fluo jaune assez étrange – sous les yeux amusés des hommes du village. Ils sont en effet étonnés de nous voir ici si tôt, car les expés pour le K2 arrivent ici plutôt en mai ou en juin. Direction ensuite le terrain de camping municipal où nos sacs commencent à arriver. Une fois les tentes montées, Ahmed, l’un des chefs de clan du village nous invite à venir visiter quelques maisons typiques du village puis à prendre le thé et des biscuits chez lui. Nous retournons tranquillement au camping pour finir de préparer nos sacs, tandis que Pierre et Jahangeer sont déjà en train de parlementer avec Hassan pour le recrutement des porteurs du village.



page de gauche. Pendant toute la première moitié de la marche et toute la matinée, la piste est effondrée à plusieurs endroits, mais le passage est relativement facile. Et cela ne semble pas non plus poser problème pour les porteurs, malgré leurs charges de 25 kg chacun. page de droite et page suivante. L'un des passages chauds de la journée. En effet, la montagne ne cesse de déverser des gravillons en continu, ce qui nous oblige à descendre jusqu'au niveau de la rivière Braldu, à la longer en regardant bien au-dessus de nous, puis à remonter de l'autre côté. Au final, touristes, porteurs et locaux passeront sans encombre. Mais il vaut mieux prendre rapidement ses photos !



page de gauche. En fin de matinée, la vallée s'élargit, nous éloignant ainsi des dangers immédiats de chutes de pierres et la possibilité de faire des pauses en toute sécurité. Sur la dernière photo, on distingue à l'horizon le Cheri Chor, qui culmine à 6030 m. page de droite. Nous arrivons enfin à Askole (3030 m), après 7h de marche. Après un coup de Mountain Dew, le 7Up local, direction le camping d'Askole pour monter nos tentes, puis chez l'un des habitants, qui nous offre le thé et les petits gâteaux pour nous souhaiter la bienvenue.




pages précédentes : quelques vues d'Askole, dernier village avant d'atteindre le K2. page de droite : Gilles, en tête, sur la première partie du chemin.

Jours 5 & 6 : Askole (3030 m) – Gojongka Khumbo (3200 m) – Panmah Camp (3510 m) Avant de débuter notre raid à skis, nous devons déjà rallier Shintshakpa(bianla), qui se situe à 50 km à pied d'Askole. Pierre a pour cela prévu trois grosses journées de marche, en se basant sur le temps que nous avions mis il y a cinq ans. Il s’attend toutefois à quelques surprises, dans la mesure où certains villageois lui ont rapporté que l’hiver avait été rude et qu’il neige encore à certains endroits. Autrement dit, il se pourrait que nous démarrions à skis avant même Shintshakpa. La première journée est, de loin, la plus longue avec 21 km de marche, ce qui nous oblige à nous lever et à plier les tentes dès 6h. Petit-déjeuner copieux (omelette, tartines, céréales…), puis départ à 7h30, pendant que Hassan procède au pesage des bagages avec une quarantaine de porteurs d’Askole et une demi-douzaine de mules qui vont nous suivre jusqu’au point de départ à skis. De toute façon, nous ne nous faisons pas de soucis pour eux, car ils nous rattraperont d’ici une heure ou deux malgré leurs charges de 25 kg (50 kg pour les mules). Dès les premières minutes de marche, le paysage est magnifique, avec en face de nous le village de Korfé surplombé par plusieurs cimes enneigées baignées par un soleil magnifique et éclatant qui ne nous quittera pas de la journée (crème solaire indice 50 et lunettes de montagne obligatoires !). Une heure après notre départ, nous passons rapidement à la maison du parc national du Karakoram (CKNP) pour les formalités administratives. Nous repartons très vite sur un long chemin bien tracé qui longe plus ou moins la rivière Braldu avant de déboucher dans la grande vallée éponyme. Déjà, de belles aiguilles se découpent sur le ciel, comme celles du Bullah Peak (6294 m). Nous passons aussi au pied du front énorme du glacier de Biafo qui descend de Snow Lake, à 60 km plus au nord. Après ¾ h de pause à Korophong (3104 m), nous reprenons le sentier qui monte et devient de plus en plus escarpé pour laisser apparaitre une vallée impressionnante entourée de sommets de 5000 et 6000 mètres. Comme nous avons un peu d’avance, nous profitons d’une petite étendue d’eau en contrebas pour faire une pause, allongés et pieds nus dans le sable fin et les galets chauds.

Nous poursuivons notre itinéraire en bifurquant plein nord, dans la vallée de la Dumurdo, sur un chemin tantôt taillé dans la roche, tantôt surplombant la rivière, avec en arrière-plan des jolis sommets de plus de 6000 mètres (The Flame, Uli Biaho Peak, Choricho Peak…). Pour finir, nous longeons pendant une bonne heure la rivière Dumurdo jusqu’à Gojongka Khumbo. C’est ici, à 3200 m d’altitude, que nous établissons notre camp, au même endroit qu’il y a cinq ans (je reconnais les terrasses que les porteurs avaient aménagé). Comme il n’est que 15h et que les sacs arrivent au compte-goutte, nous profitons du soleil et de la chaleur pour faire une toilette de chat dans la rivière. Au cours du deuxième jour de trek, nous continuons à remonter sur 12 km la vallée de la Dumurdo – lieu de pâturage pour le cheptel de yaks et d’ovins d’Askole – jusqu’à Panmah, où se situe le front du glacier éponyme. Une journée à vite oublier pour moi, car je suis victime d’une amibiase intestinale, ce qui me vaut d’avoir les jambes coupées et un sacré mal de ventre. Heureusement, je peux compter sur Dominique, qui me donne du Flagyl et Hassan, qui prend gentiment mon sac à dos. Sans oublier Jahangeer, qui m’aide et marche à mon rythme. Je le suis au radar jusqu’à l’arrivée au camp, après six heures de marche qui m'ont semblé interminables. Pour ne rien arranger, les conditions météo se sont nettement dégradées, avec une pluie fine et continue depuis 9h du matin. Heureusement, au moment où j’arrive à Panmah, les tentes mess et cuisine sont déjà montées et je peux m’asseoir pour souffler un peu. Les bagages arrivant assez vite, Laurent se charge de monter la tente, ce qui fait qu'après une bonne soupe je vais pouvoir aller me reposer quelques heures. Au dîner, les mines sont déconfites, car la pluie est tombée sans discontinuer tout l’après-midi. Du coup Pierre nous annonce qu'il attendra demain 10h en fonction de la météo pour décider si nous partons ou si nous restons ici une journée de plus. La bonne nouvelle au moins, c’est que même si je n’ai pas retrouvé l’appétit, je me sens mieux. Une bonne nuit de repos et je devrais être « remis sur pieds ».



ci-contre : la traditionnelle séance de pesage des charges (25 kg par porteur maximum). photo de droite : le passage de la rivière sur un pont fait de bois et de métal. Les mules, elles, passeront par le bas pour éviter tout accident. photo du bas : contournement de la rivière Braldu par la gauche. Paysage ensoleillé et dégagé, rien de mieux pour démarrer ce trek de trois jours.


photo de gauche : Rémi avance avec, à sa gauche le Bullah Peak (6294 m). photo de droite : passage d'un petit pont à Korophong, après une bonne pause. photo du bas : Fred avance sur le chemin à flanc de montagne qui passe au-dessus de la rivière Braldu. Nous allons bifurquer tout de suite à gauche. A droite, la vallée s'engage vers le Glacier du Baltoro. C'est par cet itinéraire que nous reviendrons dans un peu plus de deux semaines.


ci-dessous : même au milieu de ces énormes montagnes, on trouve une magnifique plage de sable très fin. Et vu qu'il y a du soleil, impossible de ne pas aller faire une petite pause pour recharger les batteries et faire sécher les pieds (et les chaussettes). page de droite : les muletiers d'Askole passent, eux, directement dans le lit de la rivière après avoir livré des jerrycans d'essence aux casernes des environs. autres photos : le groupe débute sa longue remontée de la vallée de la Dumurdo, toujours sous un très grand soleil.



ci-dessous : après une heure de marche le long de la rivière Dumurdo, nous arrivons enfin à Gojongka Khumbo. C'est ici, à 3200 m d'altitude, que nous établissons notre camp au bord de la rivière. Pendant que certains font une toilette de chat, les porteurs en profitent pour sacrifier une chèvre, qui devrait pouvoir nous rassasier pour au moins deux repas.



page de gauche : harnachement des mules, qui portent jusqu'à 50 kg, soit le double des porteurs. C'est ensuite parti pour 12 km à remonter la vallée de la Dumurdo, lieu de pâturage pour le cheptel de yaks et d'ovins des habitants d'Askole. Malheureusement, le temps se couvre très vite et il pleut quasiment sans discontinuer dès 9h et jusqu'à l'arrivée au camp de Panmah. Pour ne rien arranger, nous devons passer sous les pentes du Bullah Peak, victimes d'une récente coulée de neige. Un passage un peu compliqué, mais sans réelle difficulté.


Après six heures de marche un peu fastidieuses et sous la pluie, nous arrivons enfin à Panmah. Le sol est détrempé, mais par chance les tentes mess et cuisine sont déjà montées, ce qui va nous permettre de nous reposer un peu avant de monter nos propres tentes.



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ci-contre : la mule s'est enfoncée dans la neige jusqu'au poitrail. Il ne faudra pas moins de quatre porteurs pour la relever (elle a 50 kg de matériel sur le dos). Finalement, faute de pouvoir avancer plus loin, les quelques mules qui nous accompagnent seront déchargées et les sacs répartis sur les porteurs.

Jour 7 : Panmah Camp (3510 m) – Panmah Glacier Camp (3800 m) Au moment de nous lever, vers 6h, une pluie fine se remet à tomber sur un sol déjà boueux et gorgé d’eau. Laurent et moi décidons donc d’attendre tranquillement recroquevillés dans nos duvets jusqu’à nouvel ordre. Finalement, à 7h, Pierre annonce que le petit-déjeuner est servi. Au moment de rejoindre la tente mess, la moitié du groupe est déjà là, les visages fermés, car chacun attend avec un peu d'appréhension le verdict pour la journée. Le couperet tombe en fin de repas : nous partons bien aujourd'hui pour Shintshakpabianla. Chaque binôme fait alors son sac et remballe au mieux la toile de tente complètement gaugée.

pauvre bête qui, avec ses 50 kg sur le dos, reste là, sans broncher, sous nos yeux. Au total, il faudra quatre porteurs pour l'aider à sortir de cette situation (photo ci-contre).

Avant de partir, nous rejoignons Pierre qui va faire un petit discours devant tous les porteurs réunis, avant de leur donner leur salaire, calculé ici en fonction des «stages» (étapes) qu’ils ont fait. De façon simplifiée, une étape varie en fonction de la durée, de l’altitude ou de la difficulté, ce qui signifie qu’une journée de trek peut correspondre à une, deux ou trois étapes. A cela s’ajoutent des primes de viande et nos pourboires (55 euros par personne pour l’approche et le retour, soit onze jours). Pierre donnant toujours plus que les tarifs «standards», son discours et le montant total qu'il annonce sont donc accueillis sous les hourras des porteurs, qui hurlent tous en chœur aux cris de « Zindabad, zindabad » (longue vie, longue vie). Précisons qu’à ce stade, seule une trentaine de villageois nous accompagne jusqu’à Shintshakpabianla, les autres redescendant avec les tentes mess et la cuisine, tout comme le cuisinier et ses assistants. Nous les retrouverons d'ici une quinzaine de jours sur le Glacier du Baltoro.

Un camp est finalement trouvé vers 13h, toujours dans la moraine, mais dans un endroit moins exposé aux vents et suffisamment spacieux et plat. Nous montons ainsi nos six tentes sur un petit replat, pendant que nos porteurs installent leur bivouac juste en face, à l’abri de gros rochers qui les protègent du vent et où ils pourront faire du feu, grâce au bois qu’ils vont chercher derrière la montagne.

Pendant la première demi-heure de marche, le chemin est relativement bien tracé. Mais nous arrivons au cœur de la moraine, qui devient vite un labyrinthe à cause du brouillard. Sans oublier la neige, qui tombe de plus en plus, et devient un élément complexe à gérer pour les mules qui nous accompagnent. En effet, malgré les précautions que prennent leur propriétaire pour tasser le sol, l'une d'entre elles s'enfonce brutalement jusqu'au poitrail. Un sort bien triste pour cette

A cause des mauvaises conditions météo et des difficultés de portage, nous prenons beaucoup de retard. En effet, après quatre heures de marche, nous n’avons monté que de 300 m et effectué que la moitié du parcours prévu. Plutôt que de viser un objectif hors d’atteinte, Pierre et Hassan s’entendent pour trouver rapidement un camp intermédiaire pour se reposer et dormir, et repartir le lendemain quelle que soit la météo.

L’après-midi, le ciel se dégage, laissant progressivement apparaitre les sommets qui nous entourent comme le Bullah Peak, sous lequel nous sommes passés hier ou, tout au nord, le Skamri Peak (6175 m), pile sur la frontière avec la Chine. Du coup, nous pouvons en profiter pour prendre quelques belles photos et, surtout, faire sécher nos duvets et nos toiles de tentes humides. C’est l’occasion aussi d’écrire son journal de bord et d’écouter de la musique dans un cadre redevenu idyllique. La neige, elle, fond très rapidement, ce qui devrait nous aider à trouver plus facilement notre chemin pour la suite. Au coucher du soleil, ce ne sont plus que quelques cumulus qui recouvrent le ciel, laissant espérer une météo clémente demain... Il est alors temps d’aller chercher un peu d’eau dans la moraine et de faire démarrer les réchauds pour remplir les gourdes et préparer le dîner, que nous prenons à deux, sous la tente. Désormais, il n’y a plus ni cuisine ni cuisinier, chaque binôme vit sa propre aventure.


Pendant la première demi-heure de marche, le chemin est relativement bien tracé. Mais nous arrivons vite au cœur de la moraine, qui se transforme en labyrinthe à cause du brouillard. Sans oublier la neige, qui tombe de plus en plus, et devient un obstacle compliqué à gérer pour les mules qui nous accompagnent (photo de la page précédente). A cause de ces mauvaises conditions météo et du retard pris par les mules, nous n'arrivons qu'à monter de 300 m en 4h, soit moitié moins que prévu. La décision est donc prise de nous arrêter vers 13h dans la moraine, et de repartir le lendemain, coûte que coûte. double page suivante : le camp sur la moraine avec - oh miracle - un magnifique rayon de soleil. Les porteurs, eux, trouvent refuge sous d'énormes rochers et peuvent faire du feu grâce au bois qu'ils vont chercher derrière la montagne (on se demande encore comment !)






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ci-contre et double page suivante : l'accalmie n'aura été que de courte durée, avec de la neige qui tombe toute la nuit, et recouvre les tentes au petit matin. Celle-ci ne cessera d'ailleurs pas de tomber dru pendant toute la matinée, recouvrant donc les rochers glissants et le chemin. Mais il en faut plus que cela pour décourager nos porteurs, et ce, malgré leur équipement de fortune.

Jour 8 : Panmah Glacier Camp – Shintshakpabianla (4050 m) Vendredi 21 avril, 5h du matin. Alors que j’ouvre les yeux et que j’enlève mes boules Quiès, je comprends tout de suite qu’il neige dehors. C’est en ouvrant le double-toit à l’avant que je comprends la situation : la moraine est de nouveau recouverte d’un manteau blanc de dix centimètres et la visibilité n’excède pas cinquante mètres. Comme il n’y a aucune consigne, Laurent et moi restons donc au chaud dans les duvets, avant de préparer tranquillement le petit-déjeuner et de ranger nos affaires. A 6h30, nous sortons enfin de la tente. Il neige toujours abondamment, mais Pierre – conformément à son accord avec Hassan – décide de lever le camp pour ne pas prendre de retard sur le planning. Les porteurs, mal équipés, font comme ils peuvent avec leurs modestes godillots qu’ils recouvrent de plastique et en se faisant des capuches découpées dans des sacs de riz en polypropylène tissé. Pendant les quatre heures de crapahut, les conditions météo ne vont cesser de se dégrader, avec une neige de plus en plus abondante et collante et une visibilité qui n’excède pas à certains moments une vingtaine de mètres. La progression devient donc de plus en plus difficile et c’est presque au radar que nous avançons, car il n’y a plus aucune trace visible. A ce moment-là, seules les lunettes de ski permettent de distinguer les traces laissées par ceux qui sont passés devant. Ce mauvais temps est à l’origine d’un événement qui aurait pu être tragique. En effet, juste après le croisement avec le glacier de Feriole, Rémi et moi voyons un rocher qui commence à

dévaler la pente à toute vitesse pile au-dessus du premier groupe de porteurs et d’alpinistes qui fait la trace. Heureusement, nous crions alors à pleins poumons « danger, danger, rock, rock », ce qui leur permet de lâcher pile à temps leurs charges et de courir à toute vitesse en arrière. Heureusement, plus de peur que de mal, mais une sacrée frayeur qui nous oblige donc à redoubler de vigilance. Vers 11 h, nous arrivons enfin à Shintshakpabianla (4050 m), littéralement « le lieu avec du bois sec et du sable ». En l’occurrence c’était le cas il y a cinq ans, mais aujourd’hui c’est plutôt « le camp perdu au milieu du néant ». De toute façon peu importe car nous ne restons ici que le temps de récupérer nos affaires et de préparer nos skis et notre pulka. Le tout sous les yeux de nos porteurs, mi-amusés, mi-étonnés de nous voir partir pour une aventure qui les dépasse un peu (et encore plus cette année vu les conditions pourries). Pour nous en revanche, c’est le début d’une aventure hors normes : douze jours à skis et pulkas en autonomie totale pour parcourir 80 km, le tout au-dessus de 4500 m d’altitude, avec la montée d’un premier col à 5700 m (West Muztagh Pass) et la redescente d’un second, à 5300 m, probablement avec cordes et crampons. Hors normes, parce que cet itinéraire n’a été réalisé, selon Pierre, que deux fois par des Occidentaux, la première fois par Francis Younghusband, qui a traversé le East Mustagh Pass en 1887, la seconde fois par un Français il y a une dizaine d’années. Tout est donc à (re)faire. Mais Pierre est là pour nous faire vivre ce rêve.




partie 3

La montĂŠe au Muztagh Pass


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Jour 8 : Shintshakpabianla – Chiring Glacier Camp 1 (4100 m) Vendredi 21 avril, midi. Après avoir grignoté un morceau et salué nos porteurs, nous démarrons enfin notre périple en skis et pulkas dans le brouillard et la neige. Mais pas de panique, car Pierre prend les choses en mains et fait la trace, tandis que le fidèle Jahangeer reste à l’arrière pour jouer les serre-files. Objectif du jour : rejoindre le centre du glacier de Panmah avant de remonter plein Est pour atteindre le glacier de Chiring. Si, sur une carte, cet itinéraire est relativement simple, la réalité du terrain est un peu différente. A titre de comparaison, il y a cinq ans, par temps clair et sans neige, nous avions déjà dû arpenter la moraine avec Hassan et les porteurs pendant plus de deux heures pour rejoindre le centre du glacier. Aujourd’hui, nous devons non seulement nous repérer seuls au milieu des terrils de plusieurs mètres de haut, mais aussi réussir à progresser en tirant des charges de près de 40 kilos ! Heureusement, Pierre a plus d’un tour dans sa pulka. Sa technique consiste à laisser sa pulka et à partir, seul, arpenter la moraine pour prendre de la hauteur et trouver le bon itinéraire que nous emprunterons ensuite ensemble. Simple, mais efficace. L’une des principales difficultés de cette première journée, c’est le relief. En effet, nous évoluons aujourd’hui sur des pentes, souvent verglacées, qui présentent une déclivité de 5 à 10 degrés, ce qui fait que nos lourdes pulkas ont tendance à glisser latéralement vers le bas. En général, un bon coup de rein permet de franchir les passages glissants. Le seul problème, c’est que comme nous avons entassé nos affaires en hauteur, le centre de gravité de la pulka est trop haut et celle-ci non seulement glisse, mais bascule assez facilement dans la pente. Dans certains cas, une bonne âme charitable vient se mettre sous la pulka pour vous aider à la relever puis à la pousser pendant que vous la tirez par l’avant. Mais la plupart du temps vous êtes seul, et il n’y a d’autre choix que de déchausser les skis et de se mouvoir dans 50 cm de neige pour faire ce job. Et autant dire qu’à 4000 m d’altitude, l’exercice devient vite épuisant. Mais le pire pour moi, ce sont les « épreuves » de montagnes russes. Si les montées ne posent pas de problème (merci les peaux de phoque), les descentes sont une vraie galère. Impossible par exemple de descendre en faisant des zigzags, sinon la pulka vous entraîne vers le bas. Même chose avec le

chasse-neige si jamais vous avez le malheur de passer sur une plaque de glace. La « moins mauvaise » solution consiste donc à descendre face à la pente et à s’arrêter tranquillement en bas. Mais en général, c’est à ce moment-là que la pulka vient se rappeler à votre bon souvenir. En effet, l’énergie cinétique qu’elle a emmagasinée dans la descente vient se répercuter au niveau du brancard, du harnais et… de vos lombaires. Un vrai bonheur… Et là en général, c’est soit la figure artistique pour garder l’équilibre, soit la chute. Et en général, je suis plutôt abonné à la seconde option. C’est ainsi qu’en bas d’une pente un peu plus longue et pentue, je perds l’équilibre et plonge tête la première dans la neige. La pulka parachève le travail en me plaquant au sol. Au moment de me relever, je sens que mes pouces sont douloureux, car au moment de la chute, je me suis crispé sur mes bâtons au lieu de les lâcher. Seul à ce moment-là, je commence déjà à craquer, me demandant franchement ce que je suis venu foutre ici, me disant que je n’ai pas le niveau, que je ne vais pas pouvoir suivre, que j’aurai dû mieux m’entraîner. Mais je me dis aussi que de toute façon je ne vais – je ne peux pas – abandonner maintenant, juste au moment où l’aventure commence véritablement. Je me relève donc et continue en me disant que je dois prendre mon mal en patience, au moins jusqu’au bivouac de ce soir où je pourrai me reposer un peu. Seulement, comme on a coutume de le dire : « les emmerdes, ça vole toujours en escadrille ». Et c’est exactement ça aujourd’hui. A peine un quart d’heure plus tard, au moment de franchir un passage délicat, Dominique vient m’aider, comme elle le fait souvent. Malheureusement, une manipulation trop brusque de la pulka fait voler l’attache qui maintient la partie droite du brancard. Impossible de la retrouver dans toute cette neige. Et je me retrouve donc à partir en skis en tenant derrière moi le brancard dans la main droite. La situation devient vite ubuesque lorsque je me retrouve au bas d’une pente, forcément impossible à monter dans ces conditions. Heureusement, Pierre a été prévenu et redescend m’aider. Mais il ne trouve pas d’attache de rechange. Il effectue donc une réparation de fortune avec de l’adhésif en aluminium pour pot d’échappement ! Un bricolage étonnant, mais qui me permet en tout cas de continuer dans de « bonnes » conditions.



Page de gauche : A peine arrivés à Shintshakpabianla, il faut non seulement récupérer nos sacs, mais monter les pulkas, qui sont "livrées" repliées. Le genre de tâche qui peut vite prendre trois bons quart d'heure. C'est ensuite seulement que l'on peut casser la croûte, puis démarrer notre périple - pendant que les porteurs commencent à redescendre vers Askole. Nous ne les retrouverons que dans quinze jours, sur le Glacier du Baltoro. Page de droite : Ce qui ne devait être qu'un simple pierrier se révèle vite être un piège, car il faut descendre et remonter les dunes de neige avec des charges non seulement lourdes, mais aussi très mal équilibrées. Sur la photo de gauche, Dominique remet en place son paquetage pour pouvoir repartir. Les photos de droite montrent que même Pierre et Laurent, les plus aguerris, ne sont pas l'abri d'une chute. Heureusement, il neige un peu moins que ce matin.


Après la montée, le groupe fait une longue pause et mange un morceau. Malgré mes pouces toujours en feu, j’essaie quand même de me détendre et de plaisanter avec Pierre en lui disant que son scotch a bien tenu. Sauf que, pile au moment de repartir, l'adhésif se déchire d'un coup net. Pierre, trop content de pouvoir avancer un peu, annonce, dépité et un peu énervé, que nous allons devoir camper ici. Par chance, en fouillant dans sa trousse de secours, il trouve une attache de rechange qui s’emboîte parfaitement dans le tube. Nous pouvons donc finalement repartir. Comme je le dis souvent, j’ai souvent du bonheur dans mon malheur. Le reste de la journée est presque une promenade de santé, avec un itinéraire quasiment plat et une météo qui s’améliore progressivement, laissant parfaitement voir l’immense vallée glaciaire dans laquelle nous évoluons depuis maintenant quatre heures. Le seul point négatif, c’est que nous ne trouvons pas de passage évident vers le centre du glacier de Panmah. Pierre décide donc, vers 15h30, de fixer le camp sur le versant Est de la moraine. D’ici, nous avons une vue imprenable sur le Midego Peak (5882 m), au pied duquel passe le glacier de Chiring, qui sera notre objectif de demain. Pierre ayant choisi un emplacement près d’une petite réserve d’eau alimentée par une bédière, pas besoin de faire fondre de neige. Du coup, une fois la tente montée (16 h), Laurent et moi en profitons pour nous faire une soupe de nouilles et savourer nos premières tranches de noix de jambon, avant une sieste bien méritée. En réalité, je n’arrive pas vraiment à me détendre, car mon pouce gauche devient douloureux dès que j’essaie de le bouger. François, médecin de profession, fait donc quelques palpations et diagnostique ce qui pourrait être une entorse du pouce. Faute de pouvoir faire une radio (sic), il me fait un strapping que je vais devoir garder au moins pendant deux semaines, faute de mieux. Après avoir remercié mon sauveur avec quelques tranches de saucisson, je retourne dans la tente pour me reposer un peu, pendant que Laurent part prendre quelques photos. Puis, vers 18 h, c’est de nouveau l’heure de la popote, avec un rituel qui va désormais devenir immuable : aller chercher de la neige et la faire fondre au réchaud pour préparer la soupe en poudre et les rations lyophilisées, en l’occurrence gratin dauphinois et compote de pommes ce soir. Rebelote après le dîner, avec deux casseroles à chauffer pour se faire une tisane et remplir une thermos qui restera chaude jusqu'au lendemain matin. Enfin, extinction des feux vers 20 h, avec musique pour moi et podcasts pour Laurent. Après des débuts difficiles, chacun trouve son rythme et les plus forts aident ceux qui ont le plus de difficultés, ou attendent ceux qui prennent du retard. Par chance, le ciel commence à pointer le bout de son nez et le terrain devient de plus en plus plat, ce qui facilite notre progression. Nous nous installons finalement au bord de la moraine, sur un terrain plat lui aussi. La dernière photo montre le strap que m'a confectionné François et que je vais devoir conserver deux semaines !




ci-contre : l'une des photos symboles, avec Pierre qui part, seul, face aux sommets pakistanais et dans l'immensité des dunes de neige du glacier de Chiring.

pages suivantes : la journée sera un peu compliquée, avec des montées un peu rudes et des pentes qui facilitent le déversement des pulkas. Encore une journée à bien vite oublier. Sauf peut être du côté du groupe, qui s'entraide de plus en plus.

Jours 9 & 10 : Chiring Glacier Camp 1 – Chiring Glacier Camp 3 (4700 m) Samedi 22 avril. Une fois n’est pas coutume, nous nous réveillons à 5h30, avec une couche de 5 cm de neige et un ciel très brumeux et gris. Deux heures plus tard, au moment de partir, la visibilité a encore diminué, mais elle reste suffisante pour trouver un itinéraire. D’ailleurs, en à peine une demiheure, nous arrivons à rejoindre le centre du glacier, sorte de longue langue blanche et plate facile à skier. Mais ce répit n’est que de courte durée car Pierre bifurque rapidement vers la droite pour remonter vers le glacier de Chiring. Finie donc l'autoroute blanche et retour au même programme qu’hier, composé d’une succession de montées et de descentes toujours propices aux gamelles et renversements de pulkas. Mais c’est aussi un bon exercice de cohésion du groupe, dans la mesure où ceux qui ont le plus de pratique – comme Fred, Dominique ou Yves – aident ceux qui sont en retard ou en difficulté. Pour moi, les descentes restent quand même l’épreuve la plus compliquée à gérer, car je garde encore en mémoire ma chute douloureuse de la veille. Ma plus grande hantise est de retomber sur la main et, surtout, sur mon pouce gauche (désormais strappé et protégé dans une énorme moufle pour le garder à l’abri de l’humidité). J’y vais donc doucement, mais rien n’y fait. Au bout de la troisième chute de la matinée, fou de rage, je balance violemment mon Reflex Canon dans la neige. Après m’être un peu calmé, je décide une fois pour toutes de ranger mon appareil pour me concentrer et, surtout, regarder comment les autres font. Et parmi les techniques, la meilleure consiste apparemment à fixer mes bras en arrière sur le brancard, ce qui permet de mieux contrôler la pulka, et de mieux amortir son poids et sa vitesse. Et – Oh miracle ! – cela commence à fonctionner (bon, pas du premier coup, soyons réalistes…). Enfin une petite victoire… A 13h30, au terme de plus de six heures d’efforts, nous arrivons enfin sur la langue terminale du glacier de Chiring. C’est là que Pierre décide de s’arrêter, même si nous avons un jour de retard sur notre planning initial. Si la météo est toujours aussi mauvaise, nous pouvons au moins nous réjouir d’être à côté d’une réserve d’eau, ce qui nous permet de gagner du temps pour préparer à manger. Et donc de pouvoir nous reposer pendant une après-midi entière.

Dimanche 23 avril. Lever 5h30 comme prévu, avec dehors une couche de 10 cm de neige – qui continue encore à tomber à gros flocons. La visibilité étant quasi nulle une heure plus tard, Pierre passe la consigne d'attendre. Finalement, nous ne partirons qu’à 8h, la tente encore mouillée. Il n’y a pas qu’elle d’ailleurs : au moment de partir, je m’aperçois que j’ai mal verrouillé le bouchon de ma thermos, et que le thé chaud et sucré s’est renversé dans le fond de mon sac à dos et sur mes sous-gants en soie… Pour couronner le tout, Laurent a replié la toile en laissant mes lunettes de soleil à l’intérieur, ce qui a brisé net les verres. Encore une journée qui commence bien… Les deux premières heures de montée sont encore plus calamiteuses que la veille, avec des pulkas qui ne cessent de se renverser dans la pente, nous obligeant à plusieurs reprises à ôter harnais et skis et à nous enfoncer jusqu’à l’entrejambes dans la neige pour remettre la pulka dans le « droit » chemin. Mais ces deux heures sont aussi une nouvelle occasion de montrer que le groupe devient de plus en plus solidaire, car les plus « forts » viennent aider les plus en difficulté. Un peu avant 10h, au terme d'une belle montée, nous atteignons une bosse enneigée pour faire une longue pause. C'est alors que le ciel se dégage, laissant apparaître un paysage de toute beauté. Malheureusement, le répit est de courte durée, puisque le temps de casser la croûte et de faire quelques photos, les nuages ont déjà commencé à recouvrir ce paysage lunaire. Heureusement, durant les trois heures suivantes de montée, le ciel va se dégager par moments et laisser apercevoir tantôt les parois de la montagne, tantôt les gigantesques dunes blanches sur lesquelles nous évoluons. Vers 13h, Pierre décide de s’arrêter pour monter le camp, à 4700 m d’altitude. Vu notre rythme, nous aurions pu monter jusqu’à un palier intermédiaire, mais cela n’aurait servi à rien, car nous avons déjà fait 500 m de dénivelé positif, ce qui correspond à la limite d'acclimatation en haute montagne. Nous profitons donc de cette longue après-midi pour faire enfin sécher les tentes et vaquer à la routine habituelle : fonte de neige pour l’eau, casse-croûte, sieste, puis dîner. Sans oublier les quelques photos de ces immenses dunes de glace qui s’étendent au pied du Karpo Go, qui nous surplombe du haut de ses 7038 m. Nous sommes ici seuls au monde.




ci-contre :


grande photo : la longue et difficile montée s'achève enfin et laisse place à une grande étendue de neige, certes vallonnée, mais de toute beauté. Nous évoluons ici au pied du Nera Glacier et d'une pointe (sans nom) qui culmine à 5890 m. photo du bas : nous nous arrêtons vers 13h pour monter un camp à 4700 m. Il était temps, car le mauvais temps commence à revenir. Nous profiterons donc d'une bonne après-midi pour faire de l'eau et nous reposer un peu.


ci-contre :


ci-contre et pages suivantes : après trois jours de galère, le terrain redevient presque plat et le soleil s'invite enfin au périple (sur cette photo, Yves est ainsi en t-shirt manches longues). Probablement l'une des meilleures journées pour l'expé et pour prendre des photos.

Jour 11 : Chiring Glacier Camp 3 – Chiring Glacier Camp 4 (4700 m)

Une nouvelle fois, le réveil est fixé à 5h, ce qui nous laisse suffisamment de temps pour faire fondre de la neige et préparer un petit-déjeuner chaud (café, thé, lait en poudre et céréales). Un moindre réconfort lorsque l’on sait que, dehors, il a gelé cette nuit et qu’il fait encore -10°C. Du coup, nous attendons 6h30, heure à laquelle les rayons du soleil pointent enfin sur le camp, pour démonter les tentes et charger la pulka sans risquer de se choper une onglée. Comme hier, nous continuons à remonter le glacier de Chiring. Même si tout n'est pas entièrement dégagé, nous distinguons bien les silhouettes des monstres de roc et de glace, qui ne tardent pas à se découvrir entièrement une heure après notre départ. L'occasion de faire de très jolies photos du groupe perdu dans l’immensité de ce désert blanc, tapissé de dunes de neige et de glace. Une sensation magique et inoubliable pour ceux qui l’ont déjà vécue. Malheureusement la météo va une nouvelle fois se jouer de nous puisqu’après cette belle éclaircie, le ciel recommence à se couvrir peu après midi avec, pour finir, d'abondantes chutes de neige et une visibilité réduite à zéro. Heureusement, Pierre, Mathurin et Fred vont se relayer pour faire la trace. A 14h, nous avons atteint notre objectif de la journée, à savoir 500 mètres de dénivelé. Pierre, qui dose les journées pour que personne ne s’épuise, décide donc de s’arrêter pour monter le camp, pile au moment où la neige et le vent refont leur apparition. A 17h, lever de rideau sur les montagnes. Comme le décrit si bien Pierre dans son journal de bord : « des lumières pures à perte de vue, c'est une merveille absolue, nous sommes tous ébahis. Ce magnifique spectacle nous fait oublier toutes nos galères. Nous voici à la découverte d'un bout de la planète quasi-inexploré. Quel cadeau ! Nous vivons des instants divins ». Que dire de plus ?







ci-contre : nouvelle journée ensoleillé, mais très beau temps rime aussi souvent avec grand froid. Au démarrage il faisait ainsi encore -10°C. Il vaut donc mieux être bien équipé pour les pieds et les mains. Heureusement, le soleil réchauffe très vite le sol et les membres endoloris.

Jour 12 : Chiring Glacier Camp 4 – Chiring Glacier Camp 5 (5420 m) Mardi 25 avril. Nouveau réveil matinal à 5h, coïncidant avec le lever de Soleil. Dehors, le ciel est entièrement dégagé, ce qui nous permet de voir au loin les magnifiques crêtes aux pieds desquelles nous allons évoluer pendant encore deux jours pour atteindre le West Muztagh Pass. Mais ce beau temps a un prix en montagne, en l’occurrence des températures hivernales de -10°C dans la tente. Mon appareil photo, que j’avais laissé à côté de moi, est recouvert d’une fine pellicule de gel, tandis que de minuscules cristaux de glace viennent se déposer sur mon duvet. Heureusement, le réchaud fonctionne et permet de rapidement remonter la température, au moins le temps du petit-déj. Quoiqu’il en soit, il va bien falloir se confronter au froid, car nous avons encore du chemin jusqu’au col. La première étape, exténuante, consiste à enfiler les chaussures de skis dont les semelles sont dures comme du béton. Après avoir perdu une bonne partie de ses forces dans cette première bataille, il faut sortir de la tente pour rejoindre et dégager la pulka, à moitié ensevelie sous la neige et dont la fermeture éclair est gelée ce matin. Une vraie galère là aussi, car il faut tout faire avec des moufles grand froid qui ne permettent pas de faire des gestes précis. Reste enfin à démonter la tente, et surtout ses arceaux métalliques qui restent collés à cause du froid. Une seule technique : souffler sur le métal puis les frictionner rapidement un par un avec les moufles pour les réchauffer et ainsi les désolidariser, le tout à 5200 m et par -15°C. Une fois le barda replié et la pulka chargée, inutile d’essayer de faire des photos ou de la vidéo en attendant le départ, car les batteries Lithium-Ion sont vite à plat (en fait elles ne se déchargent pas, mais se bloquent par sécurité). Il ne reste alors plus qu’à aider les retardataires et à attendre le départ en tapant les pieds par terre (les chaussures restent gelées, car nous évoluons dans 20 cm de neige) et en se frottant les mains pour ne pas choper d’onglée. C’est en tout cas ce que ne cesse de faire Pierre, qui ne se sent pas bien depuis la nuit dernière.

Au moment où les rayons du soleil commencent à pointer sur nos pulkas, à 7h, le petit groupe se met enfin en branle, pendant que j'essaie encore désespérément de dégeler mes pieds. Heureusement, le fait de bouger et un soleil qui brille de mille feux nous permettent de nous réchauffer très rapidement. Du coup, nous retirons très rapidement la doudoune et la gore tex pour ne garder que nos t-shirts manches longues. En revanche, il y a intérêt à bien se protéger le visage avec une tonne de crème solaire (indice 50 obligatoire) si on ne veut pas finir avec le visage cramé – l’idéal étant de mettre un foulard ou un buff. L’amélioration du temps nous permet aussi de ressortir les batteries des vestes pour des séances photos de toute beauté sous un ciel bleu immaculé et avec une vue à 360° sur les sommets environnants. C’est magique. Étonnamment, Pierre est le seul à ne pas se prêter au jeu, car il souffre d'une onglée depuis le départ et semble fatigué. Il faut dire que depuis la fin du trek, le parcours n’a pas été de tout repos pour lui, que ce soit ses allers et retours dans la moraine pour trouver le bon itinéraire, ou dans le glacier de Chiring pour faire la trace dans 20 cm de neige souvent fraîche. Nous faisons donc de longues pauses pour qu'il puisse se reposer un peu, et prenons tous une petite partie de sa pulka pour l’alléger. Les plus en forme comme Fred, Laurent et Yves ne se contentent pas de porter, mais vont aussi se relayer pendant près de 4 h pour faire la trace à la place de Pierre. Par chance, le terrain est peu accidenté aujourd’hui, mais cela reste une sacrée gageure avec 30 kg à traîner dans 20 cm de poudreuse. Il suffit d’ailleurs de sortir de la trace lorsque l’on prend des photos pour se rendre compte de la difficulté de l’exercice. Mais tout finira finalement bien vers 14 h, heure à laquelle Pierre décide de s’arrêter pour planter les tentes, juste au moment où il se met à neiger. Chacun peut rapidement faire de l’eau et se reposer. Demain, nous entamons les trois cent derniers mètres de dénivelé qui nous séparent du col.









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ci-contre : encore une très belle matinée, même si dehors nous ne sommes pas loin des -10°C. On le voit d'ailleurs nettement au givre qui recouvre les tentes. A l'arrière-plan, on distingue le Skam Ri (6426 m) dont la ligne de crête marque la frontière entre la Chine et le Pakistan.

pages suivantes : la lente et progressive montée jusqu'au West Muztagh Pass, point culminant de notre expédition. Cela en valait vraiment la peine tellement le spectacle est magique. Nous sommes plus que jamais seuls au monde.

Jours 13 & 14 : Chiring Glacier Camp 5 – West Muztagh Pass (5735 m) Mercredi 26 avril, 5h30. Le soleil se lève sur le glacier de Chiring. Il fait encore -10°C dans la tente et probablement beaucoup moins dehors. Heureusement cette fois-ci, j’avais pris mes précautions et gardé mes batteries et mon Reflex dans le duvet cette nuit, donc pas de problème à l’allumage. Juste un peu moins de place pour mes pieds par contre, mais le duvet est suffisamment grand pour tous nous accueillir. Les chaussures de ski, elles, avaient été placées à l’arrière de l’abside de la tente, protégée du vent et de la neige. Enfin, la consigne ce matin est de ne démonter les tentes que lorsque les premiers rayons du soleil toucheront le camp, soit à 7 h, ce qui nous laisse donc un peu de temps pour nous réchauffer. A 7h30, l’ensemble du groupe est prêt à partir sous un ciel une nouvelle fois bien dégagé. Pierre, lui, semble aller beaucoup mieux. Mais il doit économiser ses forces pour la suite, et autorise donc Mathurin à faire la trace vu que le terrain semble assez sûr. Comme d’habitude, je démarre avec les premiers pour pouvoir les prendre en photo et en vidéo avec le paysage devant, avant de me laisser progressivement rattraper par les derniers, que je prends avec les sommets en arrière-plan ! Parmi eux, Rémi, qui semble être le malade du jour. Mais comme pour Pierre hier, chacun essaie de prendre une partie de sa pulka pour l’alléger au maximum. François, le médecin, reste quand même auprès de lui au cas où. C’est d’ailleurs lui qui l’aidera jusqu’au col, en allant même jusqu’à faire plusieurs allers et retours pour monter les deux pulkas. Pendant toute la matinée, le terrain est relativement plat, mais pas question de faire des pointes de vitesse vu l’altitude (5500 mètres). Comme pour les jours précédents, le rythme est d’ailleurs un peu toujours le même, avec une heure de ski puis une demi-heure de pause. Il vaut mieux ne pas négliger ces pauses où, assis à califourchon sur nos pulkas, nous pouvons

boire (pas mal) et grignoter (un peu). Chaque binôme a ses propres rations, en général trois tranches de saucisson ou de la noix de jambon et des biscottes Wasa. Les plus prévoyants ont sorti les barres de céréales ou les bonbons que Pierre a distribué en début d’expé. Reprendre des forces est essentiel, car nous attaquons vers 12h30 la dernière montée jusqu’au col, que nous distinguons 200 m plus haut. Pierre et Mathurin partent en premier, mais Romain et moi les suivons de très près, histoire de les doubler au dernier moment et arriver les premiers (pour une fois). Manque de chance, la montée se révèle beaucoup plus longue que prévu à cause des nombreux virages à faire et de l’altitude. Au total, cette ascension que nous estimions à une demi-heure en prendra le double, et même le triple pour les derniers. Malgré ce dernier petit obstacle, tout le monde parvient au col vers 14h, désormais entièrement pris dans les nuages. A l’arrivée, embrassade générale pour fêter l’ascension du West Muztagh Pass (5735 m), l’un des plus hauts cols pulkable du Karakoram (et du monde). A 15h, le ciel se dégage enfin, offrant ainsi des vues somptueuses et à 360 degrés sur le haut bassin du Sarpo Laggo, dominé par des murailles de glace de plus de 5000 m. Nous pouvons aussi retracer les cinq jours de montée sur le glacier de Chiring, avec, au fond, le Skam Ri et le Karpo Go (en territoire chinois). Sans oublier juste derrière nous, à l’ouest, le West Muztagh Peak (6233 m), que certains comme Mathurin veulent gravir demain pendant la journée de repos. C’est à ce moment-là que l’on se dit que tous ces efforts en valaient la peine car on a vraiment l’impression d’être sur une autre planète. Mais nous aurons toute la journée de repos de demain pour en profiter.







Initialement, Pierre avait prévu de monter au sommet du West Muztagh Peak (6230 m), mais la fatigue fait que chacun cherche plutôt à se reposer et à finir son acclimatation. Vers midi, le groupe se réunit autour de douceurs (pâté, saucisson, loukoums, Ferrero rochers) pour célébrer le point culminant de l'expé. Pierre profite de ce moment de détente pour nous montrer le caleçon Superman que lui a offert sa compagne pour son anniversaire. On sent donc qu'il est bien remis de sa mésaventure d'il y a quelques jours.



photo ci-contre : le campement au petit matin, avec une belle couche de givre sur les tentes. En arrière-plan, le Sarpo Laggo Peak (6211 m). photo ci-dessous : le campement, mais avec cette fois-ci une vue vers le nord.


partie 4

du Muztagh au Baltoro


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ci-contre : Yves, François et Romain sur le large et plat glacier du Sarpo Laggo, un peu avant l'arrivée au camp. Au total, nous avons descendu aujourd'hui un peu plus de 5 km. Mais quel bonheur ! (par contre, c'est ici que j'ai perdu l'une de mes peaux de phoque, donc si vous la retrouvez un jour faites-moi signe...)

pages suivantes : à gauche, Fred et Rémi sortent de leur tente par une météo glaciale (skis, batons et tente sont recouverts d'une fine pellicule de gel). En bas à droite, Rémi sur les pentes du West Muztagh Pass, avec, face à lui, un décor de rêve (et notamment la Muztagh Tower).

J15 & 16 : West Muztagh Pass (5735 m) – East Muztagh Pass (5400 m) Après une bonne journée « repos-dodo-photo » au col, il est désormais temps de rejoindre le East Muztagh Pass en deux jours, au lieu des quatre initialement prévus. En effet, Pierre avait prévu quatre à cinq jours pour la montée au col et autant pour explorer le bassin supérieur du Sarpo Laggo et tenter un ou deux sommets au passage. Mais comme nous avons pris du retard à l’ascension et que les porteurs nous attendent sur le glacier du Baltoro dans cinq jours, nous devons aller au plus court, le tout avec une météo incertaine. Mais heureusement, avec Pierre, vitesse ne rime pas avec précipitation… En effet, après avoir descendu la première partie du West Muztagh, Pierre décide de faire un tour sans les pulkas sur une « petite » butte. Et là, après seulement 500 m d’effort, s’ouvre un panorama de carte postale, celui que l’on voit dans les magazines et que l’on voudrait voir ou prendre en photo une fois dans sa vie. Nous avons en effet face à nous parmi les plus beaux et plus hauts sommets du Karakoram : la face ouest du K2, le deuxième plus haut sommet du monde (8611 m) et la face nord-ouest de la Tour de Muztagh (7283 m), un époustouflant monolithe de glace haut de 1800 m, pour ne citer que les plus connus. Pierre et Jahangeer sont aux anges, tout comme le reste du groupe, qui en profite pour faire une belle séance photo, malgré un soleil aveuglant. Retour aux pulkas, où nous attendaient Gilles et surtout Rémi, encore en petite forme. A partir de là, Pierre reprend vraiment le lead du groupe et s’aventure le premier sur le glacier de Lakhmo, qui serpente au pied des immenses parois de plus de 1000 m du Sarpo Laggo et du Kruksum. Je le sens bien remis de sa mésaventure et très heureux. Ça se sent nettement dans son attitude, et le regard émerveillé à chaque foulée. J’en

profite donc pour le prendre en photo, seul au milieu de ces montagnes du Karakoram qu’il aime tant et qu’il aime surtout faire partager aux autres. S’ensuit une longue et belle descente du glacier, sous un ciel bleu et un soleil radieux, avec toujours face à nous le panorama de tout à l’heure. Après 5 km de descente, nous laissons ce paysage sur notre droite, direction nord-est, pour entrer dans le glacier du Sarpo Laggo, que nous allons suivre tout droit sur 3 km, jusqu’à notre camp du jour, situé à 5100 m d’altitude. Au total, nous avons fait aujourd’hui près de 8 km et avons descendu de près de 600 m, ce qui est plutôt bon pour les organismes qui souffrent depuis déjà dix jours. Une journée comme nous aurions aimé en avoir plus souvent – même si la neige recommence à tomber abondamment et sans discontinuer à partir de 17h. Au réveil le lendemain matin, 15 cm de poudre blanche recouvrent nos tentes et nos pulkas, et on n’y voit pas à cinquante mètres. Mais nous n’avons pas le choix, nous devons lever le camp pour 8h. Commence alors une longue montée de 5 km du Karphogang Glacier, faite intégralement sous la neige et sans aucune visibilité, avec Pierre et son GPS pour seuls guides. Pour couronner le tout, le vent commence à souffler dans le dernier tiers du parcours jusqu’au col, que nous atteignons difficilement vers 13h30. A l’arrivée, les bourrasques de vent sont telles qu’il faut se mettre à quatre pour monter une seule tente, avec les piolets en guise de sardines ! Un spectacle ébouriffant que je ne peux même pas filmer, car mon Réflex est désormais HS (ce n’était pas une bonne idée de filmer pendant la tempête…).





La montée aura été plus longue et plus difficile que prévue. Mais cela en valait la peine, car nous avons désormais face à nous l'un des plus beaux panoramas du Karakoram : la face ouest du K2, le deuxième plus haut sommet du monde (8611 m) et la face nord-ouest de la Tour de Muztagh (7283 m), un époustouflant monolithe de glace haut de 1800 m, pour ne citer que les plus connus.





Pierre et Fred achèvent en éclaireurs la descente du Glacier de Lakhmo. Il ne nous reste alors plus qu'à se laisser glisser sur le Glacier du Sarpo Laggo, sur lequel nous allons établir notre camp en début d'après-midi (nous planterons les tentes au pied de la roche sombre qui se situe au tiers de cette photo). Nous bifurquerons demain direction nord-est (vers la droite ici) pour remonter le Glacier de Karphogang et atteindre le East Muztagh Pass.


Longue pause au milieu du Sarpo Laggo Glacier. Il nous reste alors moins de 3 km à parcourir sur un sol plat pour atteindre notre camp, situé à la confluence de 3 grands affluents du Sarpo Laggo : au nord le Karpo-go et Lekhtar qui descendent du sommet du Karpo Go à 7010 m, au sud le Karphogang qui mène au sommet du Thyor, et au col est de Muztagh.






L'accalmie n'aura pas duré longtemps, puisque dès le lendemain, nous repartons sous la neige et avec une visibilité quasi nulle. Commence alors une longue montée d'un peu plus de quatre heures uniquement grâce à la trace GPS de Pierre. Pour couronner le tout, le vent commence à souffler dans le dernier tiers du parcours jusqu’au col, que nous atteignons difficilement vers 13h30.



ci-contre : le camp du East Muztagh Pass, probablement l'un des plus beaux de l'expédition, grâce à la majesté et à la beauté du Biale Peak (6772 m) dont l'énorme masse se dresse devant nous.

Jour 17 : East Muztagh Pass (5400 m) Dimanche 30 avril. Un peu avant 6h, Pierre passe près des tentes pour demander à Laurent, Dominique et Jahangeer de l’accompagner pour reconnaître et équiper le col que nous descendrons demain. Leur rôle est crucial, car ce verrou de glace de 250 mètres de haut est le seul passage qui peut nous permettre de rejoindre les porteurs dans trois jours. Après le petit-déj, nos quatre lascars s'équipent donc en conséquence : baudrier, mousquetons, casque, crampons et 300 m de cordes, sans oublier le DVA (Détecteur de Victimes d’Avalanche), au cas où ça tournerait mal. Fred, lui, restera en haut avec un talkie-walkie pour assurer la liaison radio et la coordination. Dès 7h, Pierre, Dominique, Laurent et Frédéric – qui remplace finalement Jahangeer – partent donc explorer les trois voies qu'ils avaient identifiées sur d'anciennes photos et images satellites amenées par Pierre. Finalement, après cinq heures de recherches et quelques difficultés liées à la météo, c’est la voie de droite qui est retenue, car la moins dangereuse et la plus accessible pour un groupe d’alpinistes amateurs… équipés de pulkas de 30 kg chacune. A ce stade, nous savons juste que le parcours de demain sera découpé en trois « ateliers », avec à chaque fois un « animateur ». Ceux qui n'étaient pas partis – Gilles, Romain, Mathurin, Rémi, Yves, François et moi – ont profité de la matinée pour dormir un peu, faire fondre un peu de neige pour l’eau et une toilette sommaire. L’après-midi est plus réservé pour la lecture et les photos, car le ciel s’est enfin nettement dégagé. C’est notamment l’occasion de faire quelques clichés des sommets environnants, et en particulier du Biale Peak (6772 mètres), situé juste en face du col, et dont l’énorme face nord est très impressionnante (on ne peut pas la prendre sur une seule photo vu ses dimensions). Elle devrait l’être encore plus demain lorsque nous serons à ses pieds, avec au-dessus de nous près de 1700 m de parois quasi verticales.




à propos de cet album

Le texte final de cet album a été rédigé par fabrice durand entre octobre 2017 et février 2018, à partir de notes prises durant l’expédition. La plupart des éléments de contexte sont tirés du descriptif du voyage et des articles de Pierre Neyret, complétés par Wikipédia et les cartes/documents du Parc National du Karakoram (www.cknp.org). Pour en savoir plus sur les treks et les expés à ski et pulkas de Pierre Neyret (photos, articles), rendez-vous sur son site à l'adresse : www.Karakoram-ski-expeditions.com La quasi totalité des photos de cet album ont été prises durant le voyage par fabrice durand (appareils : Canon EOS 650D optique 18-125mm, compact Sony HX-90v). Photos légèrement retraitées avec le logiciel Picasa. Photos additionnelles : Pierre Neyret, François Schulz. La carte de l'itinéraire a été réalisée sous Google Earth Pro, sur la base des relevés GPS de Laurent Boiveau. Album monté avec le logiciel Bookwright (de blurb.com) et disponible en ligne sur issuu.com/fabricedurand Remerciements : Pierre Neyret, Laurent Boiveau, Jahangeer Shah et toute l'équipe (Dominique, Rémi, Fred, François, Gilles, Romain, Yves, Mathurin et François). Sans oublier nos amis du village d'Askole (Hassan, Mamat...) et Sami Ullah à Islamabad.


pourconnaĂŽ t r el asui t e etl af i ndenot r eexpĂŠ, r endezvoussur www. i ssuu. com/ f abr i cedur and


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