projet Stevenson

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péniche puisse aller jusqu’à Rouen. Puis elle dit, je cite : « mais l’espèce coûte quinze francs pièce, pensez donc ! Quinze francs ! – Pour un tout petit oiseau ! Ajouta le mari. » Le prix de quinze francs a donc l’air exorbitant pour le salaire dont disposaient ces mariniers. Autre rapport à l’argent, plus intéressant ici, c’est le prix que coûte une nuit de gîte ou d’auberge. Stevenson l’évoque lorsqu’il se remémore les souvenirs de M. de Vauversin et Mlle Ferrario – deux artistes de spectacle vivant – qu’il compare à ceux de Précy-sur-Oise, marionnettistes : « la recette ne s’élevait qu’à un franc cinquante pour couvrir les frais, c’està-dire trois francs de chemin de fer et deux francs de nourriture et de logement ». Enfin, pour appuyer sa description de la ville fortifiée de Landrecies qui lui paraissait relativement austère, Stevenson explique qu’« à l’intérieur des remparts, quelques pâtés de maisons, une longue rangée de casernes et une église font de leur mieux figure de ville. »31. Et en parlant de la vie commerçante de ce lieu et de l’attitude de ces commerçants : « On dirait que le commerce y est inexistant : un boutiquier chez qui j’achetai un briquet de douze sous fut tellement suffoqué qu’il me bourra les poches de silex de rechanges (…) »21. L’impression est donnée que pour Stevenson, un briquet à douze sous est une bagatelle, alors que pour le boutiquier qui n’avait sans doute pas l’occasion de vendre tous les jours ce produit, c’était exceptionnel. Cela nous montre une certaine aisance financière de la part de Stevenson dans ce voyage, alors qu’il n’est pas encore célèbre écrivain et donc qu’il n’a pas encore de revenu fixe, ainsi que les mœurs de cet habitant de l’Aisne qui nous paraît aimable. Ce sont ces différentes mœurs que nous allons essayer d’étudier dans la partie suivante.

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Confrontations avec différents mœurs et modes de vie

Même si ce n’est pas sa fonction première, le livre de Stevenson nous fournit quelques données anthropologiques en décrivant l’attitude des habitants. Stevenson se prête parfois bien à l’exercice en essayant de sonder les pensées des personnes qu’il rencontre mais aussi, et surtout, en comparant souvent les mœurs des français et celles des anglo-saxons. Très souvent nous avons un reproche quant à l’une ou l’autre des nationalités mais il semble que Stevenson apprécie la sincérité et la chaleur humaine des français. On peut donc se demander dans quel but fait-il ça. Pense-t-il que son livre sera lu par des français, ou par des anglosaxons ? Les critiques envers les mœurs de son pays sont-elles faîtes pour dénoncer et faire évoluer celles-ci ou pour simplement justifier son vagabondage hors de son pays natal ? En tout cas, avec le recul que nous avons, il est intéressant de montrer d’une part les descriptions de l’ambiance en cette fin XIXème et, d’autre part, la pensée d’un écrivain face à deux cultures différentes qu’il va bien connaître. En premier lieu nous pouvons voir à travers l’œuvre que les mœurs changent en fonction des régions. Il le dit clairement après son passage à Compiègne où l’influence parisienne se fait de plus en plus sentir : « Aussi longtemps que l’Oise avait été une petite rivière rurale, elle nous avait fait passer tout près du seuil des habitations, et nous pouvions bavarder avec les indigènes de la campagne riveraine. Mais maintenant qu’elle était devenue si large, la vie du rivage passait devant nous à belle distance. (…) Nous nous arrêtions à présent dans des villes où personnes ne nous importunait ; le flot nous avait portés dans la vie civilisée où les gens passent sans se saluer. » ; puis, poursuivant sa critique de l’urbanité : « Dans les endroits à population clairsemée, nous tirons de chaque rencontre tout le parti possible, mais quand on arrive dans une ville, nous rentrons en nous-mêmes, et n’ouvrons plus la bouche, sauf si nous marchons sur les pieds de quelqu’un. Dans ces eaux là, nous 31

STEVENSON, Robert Louis, Voyage à l’intérieur des Terres, Chapitre IX

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