Zamân - n°3, Printemps 2010

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l ’ornement a horreur de l ’ horreur du vide

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de brocart, au-dessus desquels on a retrouvé dans le plafond des crochets qui devaient probablement servir à accrocher les rideaux du baldaquin entourant le lit (fig. 2). Mais la chambre, qui servait de jonction entre les appartements du marquis et ceux de la marquise, n’était que partiellement occupée et servait aussi à des fonctions plus diplomatiques. C’est ainsi qu’elle pouvait servir de chambre pour les hôtes de marque de passage à Mantoue, ou qu’on pouvait y signer des documents officiels. Dotée d’une cheminée réelle, la pièce est conçue comme un nid confortable et intime ; dans le même temps, les fresques de Mantegna qui décorent le plafond et les murs ouest et nord s’ouvrent de manière illusionniste sur un paysage, transformant la chambre en loggia.Toute la camera picta est donc parcourue de cette dialectique entre le dedans et le dehors, l’intime et le public, le privé et le social, qui découpe la personne du prince en deux existences – sa présence physique réelle, dans le lit, et sa représentation feinte, en situation officielle, sur les fresques –, comme elle l’oppose à l’autre personnage important dont la présence se fait sentir dans la pièce : le peintre 18. La Chambre des Époux est un bon exemple d’horror vacui : à part le sol, toutes les surfaces sont recouvertes de fresques. Mais les historiens de l’art, le plus souvent, ne sélectionnent dans cet ensemble très riche qu’une fraction limitée : celle où des personnages sont représentés, celle qui est la moins ornementale, c’est-à-dire qu’ils écartent environ la moitié de la pièce de leurs analyses. La question posée par Steffi Roettgen dans son étude sur les grandes décorations du Quattrocento est à ce titre révélatrice : « Les fresques font-elles de cette pièce le cadre officiel d’une représentation permanente, une scène de théâtre, ou bien visent-elles à immortaliser pour la postérité certains événements de la cour des Gonzague 19 ? » 18. Sur cette dialectique entre le prince et le peintre, voir Daniel Arasse, « Le programme politique de la Chambre des Époux, ou le secret de l’immortalité », in Décors italiens de la Renaissance, Paris, Hazan, 2009, p. 90-131. 19. Steffi Roettgen, Wandmalerei der Frührenaissance in Italien, trad. fr. D.-A. Canal sous le titre Fresques italiennes de la Renaissance, t. II : 1470-1510, Paris, Citadelles & Mazenod, 1997, p. 20.


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