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D ESIG N G R A P H IQ U E & c U lt U R E vISUEllE

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Stratégies d’orientation Pierre di Sciullo Projets signalétiques LM Communiquer Ruedi Baur

jAN.-fév. 2015 / 16,80€



Édito

Vous êtes entre ici et là

-:HTLATC=W \VWX: My Way. Composée spécialement pour Étapes, la couverture de notre numéro est signée 75B, studio néerlandais fondé en 1997 par Robert Beckand, Rens Muis et Pieter Vos. Identités visuelles, charte et outils de communication, les interventions du studio allient humour et rigueur. www.75b.nl

Confortant l’affirmation des statisticiens que, d’ici 2050, 70 % de la population mondiale vivra en ville, la densification et l’expansion des tissus urbains s’accélèrent de manière exponentielle. Mégalopoles effrayantes, cités déshumanisées, antres dévoreurs, le cinéma du XXe siècle s’est rapidement emparé des craintes que suscitait le phénomène pour produire nombre de fictions alarmistes. Mais face à la peur d’être avalé par le bâti, assourdi et asphyxié dans les chantiers incessants, le développement des technologies de l’information propre à notre époque suggère quelques pistes pour éviter les constructions superflues. Secteur d’avenir pour le graphiste, selon Laurence Madrelle, objet d’une nouvelle échelle d’intervention, selon Ruedi Baur, la ville projette les frustrations solitaires de ses architectures pour bredouiller un discours aux voix multiples. Enrayée par le rythme effréné des transformations et limitée par les contraintes financières des travaux, la coordination urbaine regarde vers les solutions du design. Dans ces paysages, l’idée de faire image, d’unifier à l’aide d’un langage commun suscite quelques rebonds dans la profession. À l’échelle de la ville, les besoins graphiques des commanditaires commencent à se faire entendre. Des projets intégrés aux chantiers, programmés sur des durées de plusieurs décennies, commencent à poindre et se laisseront tester dans les années 2030, 2040. Si, en comparaison aux animaux, nous ne pouvons nous fier à des pistes olfactives, il nous faudra trouver des repères visuels ou, en aveugles, nous laisser guider par la technologie. La différence entre les deux options n’est autre qu’une question de liberté individuelle. PAR CAROLINE BOUIGE & ISABELLE MOISY


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© photos : stéphANE RUChAUD / DEs sigNEs / bREAD CollECtivE / lEo poRto / sAy whAt.

068 095

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120

203


aCtUalité 010 • l’aGenda la sélection de la rédaction

014 • les livres la sélection de la rédaction

020 • tendances Composite

022 • la campaGne de… ibM

024 • le processus Cultiver la différence

026 • l’exposition

052 • scène ouverte

heta-Uma

032 • concours

pAR lindA KUdRnovSKÁ

056 • cataloGus

d & Ad

040 • le festival échirolles

rEGards 048 • collection par sébastiEN morliGhEm

pAR piERRE ponAnt

ConvERSAtionS 060

dans l’atelier de… bizzarri & rodriguez

070

le portrait pierre di sciullo

050 • l’art de communiquer pAR GillES dEléRiS

dossiEr

S�gnalét�que 086 • bien urbain Entretien avec Ruedi baur

098 • Golly bossy hotel Studio Up

100 • alpha workshops poulin + Morris

102 • de etende mens Raw Color

104 • the little prince museum leo porto

108 • bus stop Mmmm…

110 • commissariat avion l’Autobus impérial

112 • dauro oliveira Greco design

114 • primarschule Gamprin Screenlounge

116 • lcc summer shows Shaz Madani

138 • aéroport de doha FM Milano

120 • power of summer

140 • sim tech

bread Collective

l2M3

124 • kawaGoe blood donation room Kishino Shogo / 6d

126 • shanGhai world expo 2010 isidro Ferrer

128 • nifco hiromura design

130 • wattwil south Grounds & facilities Atelier Feinform

134 • ainoa Studio bond

136 • cité municipale de bordeaux des Signes

142 • ciné 32 bonnefrite

146 • fundação dom cabral Greco design

148 • centraal museum lesley Moore

152 • méthodes d’orientation Extrait de l’ouvrage Wayshowing > Wayfinding

162 • communiquer la ville lM Communiquer

168 • dans l’œil des bâtisseurs Entretiens avec des architectes et des urbanistes

déCoUvErtEs 176 • elobo Un indien dans la ville pAR ClAiRE GAdAUlt

186 • ah-ha Espaces à géométrie variable par aGathE hoFFmaNN

198 • say what Un œil éclairé, une main appliquée pAR MARiE ARqUié

210 • raw color somewhere over the rainbow par èvE ChabaNoN

222 • répertoire les petites annonces


Auteurs ILS ONT PARTICIPÉ À CE NUMÉRO

CLARA DEBAILLY

ÈVE CHABANON

MARIE ARQUIÉ

Diplômée de l’ENSAD, Clara travaille, chante et danse à la rédaction d’Étapes, au studio de design graphique Des Signes et à l’école d’art Prép’art. Elle est graphiste, journaliste free-lance, conceptrice-rédactrice et enseignante.

Diplômée de la HEAR et de la Sorbonne, elle a réalisé le cycle “Encore encore faire” au 22 Rue Muller. Elle travaille actuellement en tant que commissaire d’exposition et à la direction d’ouvrages tout en poursuivant sa pratique artistique.

Journaliste à Radio Nova, Marie Arquié sort d’un journal, d’un vernissage ou d’une salle de concert, pour entrer dans le studio. Tout en billets d’humeur, elle arpente la grand-rue de la culture et revend ses souvenirs pour l’émission “Le Grand Mix”.

AGATHE HOFFMANN

MORGAN PRUDHOMME

PIERRE PONANT

Journaliste pour Étapes depuis 2008, Agathe est en charge de la direction artistique et éditoriale de magazines web consacrés à l’art contemporain et aux créations émergentes.

Diplômé de l’ESAD Valence et titulaire d’un master en art, sciences et technologies, Morgan est graphiste, journaliste indépendant et créateur sonore.

Historien d’art, critique du graphisme et curateur indépendant, il est aussi professeur à Bordeaux et visiting lecturer à l’école cantonale d’art de Lausanne.

MARION BOTHOREL

CLAIRE GADAULT

Diplômée de l’école Estienne et de la Sorbonne en sciences et techniques de l’exposition, elle a travaillé pour la maison d’édition B42 et le studio deValence après s’être occupée de galeries d’art. Elle collabore régulièrement à Étapes.

Diplômée des beaux-arts d’Angers et étudiante en master 2 art contemporain et nouveaux médias à l’université Paris VIII, Claire étudie les relations qu’entretiennent cultures du papier et des écrans au sein des revues d’art.


ÉCOLE D’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR D’ART DE BORDEAUX ART DESIGN RECHERCHE

DNA DNSEP / GRADE MASTER OPTION ART ET DESIGN

2015 16

CONCOURS D’ENTRÉE INSCRIPTIONS DE JANVIER À MARS SUR EBABX.FR

JOURNÉE PORTES OUVERTES

11 MARS 2015 EBABX ECOLE D’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR D’ART DE BORDEAUX 7, RUE DES BEAUX-ARTS F – 33800 BORDEAUX TEL +33 (0)5 56 33 49 10 FAX +33 (0)5 56 31 46 23 EBABX.FR ROSAB.NET BORDEAUX.FR

DESIGN GRAPHIQUE / VICTOIRE LE BARS / EBABX

05 . 06 . 07 MAI 2015


© ICHIBA DAISUKE.


ACTUALITé Tour d’horizon des incontournables du moment — L’AgendA . Les LIvres . Les TendAnCes . LA CAmpAgne de… Le proCessUs . Le ConCoUrs . L’exposITIon . Le fesTIvAL .


Les tendances

ACTUALITÉ

SÉLECTION FAITE PAR MARION BOTHOREL

Composite Mélange de matières, de couleurs et de textures, le composite se caractérise par des motifs abstraits. Savamment réorganisé ou laissant place au hasard, il se décline dans le mobilier mais aussi dans la mode et sur le papier.

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020

Bethan Laura Wood. L’ensemble de mobilier Particle est inspiré des panneaux de particules, matériau considéré comme bas de gamme et banal. Grossi au centuple, l’agglomération des copeaux de bois se transforme en motif de marqueterie.


ACTUALITÉ Astrid Ahlbom Andersson

Benwu Studio. Au sein de leur projet Living Material, Peng You et Hongchao Wang expérimentent de nouvelles méthodes de design pour réutiliser les ressources naturelles les plus basiques. La collection “Twig Vessel” met en lumière leur recherche sur la complémentarité entre matériaux nouveaux et de récupération.

Louise Madsen

Camille Yvert

Jules Tardy. Affiche pour la première collection automne-hiver 2014 de Colony Footwear.

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Point Zero Studio. Affiche pour l’exposition collective “Concrete Fluid”, à Londres, 2014.

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© OSMA HARVILAHTI.

Satu Maaranen. Geometry of Futufolk, collection printemps-été 2015, se distingue par le mélange des matières et des techniques utilisées pour créer les motifs. La jeune styliste finlandaise joue de la rencontre entre broderie, sérigraphie et peinture à la main.

Becky Allen


La campagne de

actualité

ibm

IBM Smart Ideas for Smarter Cities 022

Associant une campagne outdoor originale et un relais digital, IBM poursuit sa politique de visibilité à travers les supports interactifs. L’entreprise sollicite l’avis des citoyens pour faire émerger une clientèle potentielle.

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C

onvaincue qu’une campagne d’affichage ne suffit plus à positionner une marque, la société IBM s’est tournée vers l’agence Ogilvy & Mather paris pour définir une communication axée sur les initiatives citoyennes et les services urbains. la campagne “IBM smart Ideas for smarter cities”, associée au site web www.people4smartercities.com, est une incitation à la réflexion citadine. Fondée sur trois dispositifs simples, la campagne s’installe à paris, dans le XVe arrondissement et dans le nord-ouest de londres : un banc, un auvent et une rampe à fauteuils roulants ou valises. l’agence a choisi un design simple dans la continuité de l’histoire d’IBM. les dispositifs, conçus en plastique moulé sur une armature en métal, reprennent les couleurs et les rayures de paul Rand, concepteur du logotype de la marque dans les années 1960. Nous considérons les citoyens comme une force de proposition. Les gens s’ennuient vite des publicités, il faut les retenir avec une valeur ajoutée. La fonction pratique participe ici à l’intégration de l’usager dans son intégralité corporelle, explique susan Westre, directrice créative chez Ogilvy & Mather paris, qui considère cette association comme essentielle dans le succès de la relation marque-consommateur. Devant le succès des dispositifs, l’agence examine les nouvelles demandes de municipalités, les exigences et normes techniques étant différentes selon les pays. si le buzz autour d’IBM n’est pas né sur la toile, c’est bien sur un site dédié - version

contemporaine du cahier de doléances – qu’il se poursuit. les citoyens de n’importe quelle ville du globe ont la possibilité de publier leur concept ou une suggestion qui vise à l’amélioration de services (transports, santé, environnement). la campagne “smart Ideas smarter cities” s’inscrit dans la même veine que la campagne de 2009-2010, “smarter planet”, menée par les illustrations de Noma Bar. chez IBM, la question du service à la collectivité est un levier publicitaire fréquemment utilisé pour toucher une cible plus étendue et permettre l’ouverture d’un marché où les services, qui font la réputation de l’entreprise informatique, pourront être proposés. AH

Ǐ Directeurs artistiques : Daniel Diego lincoln, christopher Rowson. Designer : stéphane santana. concepteurs-rédacteurs : Andrew Mellen, lauren elkins. Directeurs créatifs : chris Garbutt, susan Westre, Ginevra capece.


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actualité


Concours

actualité

D&aD / 52 e éDition

032

D&AD Awards Depuis 1962, les D & AD Awards célèbrent à londres (R-u) les créations les plus percutantes de designers et publicitaires. présidée par laura Jordan Bambach, directrice artistique de l’agence Mr president et cofondatrice de la communauté créative féminine shesays, cette 52e édition fut l’occasion de créer des sections supplémentaires. l’organisation du festival reconnaît ainsi s’être intéressée et adaptée aux nouvelles orientations de l’industrie du design et de la création visuelle. les contenus numériques sont les formes créatives les plus concernées par les innovations à travers les sections Digital Media, Integrated & earned Media et Digital Design. AH

-> Une lettre, un lieu. en vue de sa relocalisation face à l’Hudson River dans un bâtiment signé Renzo piano en 2015, le Whitney Museum of American Art a missionné le studio néerlandais experimental Jetset pour la refonte de son identité. conçue sur trois paliers en escalier, l’architecture de l’Italien a inspiré la forme de l’identité, qui tient en une lettre : W, initiale du Whitney. le choix du studio est un clin d’œil à la diversité des mouvements artistiques, comparables à des zigzags, et synthétise l’image du lieu dans la continuité de la précédente, le mot-image WHItNeY, dessiné par Abbott Miller (pentagram). À la première proposition du studio, qui fonctionnait sur une approche purement typographique, a été préférée la règle d’une image unique associée à un W aux diagonales modulaires. la famille typographique est développée en quatre versions et associée à l’utilisation de la fonte Neue Haas Grotesk (Max Miedinger), redessinée par christian schwartz. enfin, le studio s’est inspiré des travaux sur les typologies de lignes d’Ad Reinhardt pour définir les cinq orientations des droites qui rythment les documents de communication.

© HélÈNe MOuRRIeR ♥

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actualité


© BRUNO RICHARD ET PASCAL DOURY.


REGARDS Points de vue aiguisés de professionnels sur le monde du design graphique et de la typographie — COLLECTION . L’ART DE COMMUNIQUER SCÈNE OUVERTE . CATALOGUS


Collection

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048

regards

PAR SÉBASTIEN MORLIGHEM

SÉBASTIEN MORLIGHEM est chercheur et enseignant

en histoire de la typographie à l’ESAD Amiens, il est aussi directeur de la collection “Bibliothèque typographique” chez Ypsilon Éditeur.

-^ Pascal Doury & Bruno Richard. Catalogue de l’exposition “elles sont de sortie”, ArC/musée d’Art moderne de la ville de paris, Futuropolis, 1985.


regards

“Elles sont de sortie” : l’art imprimé et le chaos intime aire” des livres d’images n’est pas donné à tous : c’est une maladie qui s’attrape de façon mystérieuse en lisant Le Journal de Roudoudou le joyeux cabri ou une encyclopédie médicale, en découpant leurs pages, en les collant dans un cahier d’écolier, en les redessinant jusqu’à les épuiser. pascal doury (1956-2001) et Bruno richard (1956) se rencontrèrent grâce à ce tropisme irrépressible au milieu des années 1960 à la Maison d’enfants de sèvres. Après un passage par des écoles d’art, ils créèrent Elles sont de sortie en 1976, nom désignant leur association et leur publication, dont la technique d’impression, le format et le nombre de pages varia inlassablement. elle fut autoéditée en fonction de l’argent disponible ou soutenue par des éditeurs tels que Le dernier terrain vague, Futuropolis ou Les Humanoïdes associés. par ailleurs, les deux dessinateurs intervinrent dans les pages de Charlie Mensuel, Hara-Kiri ou Métal hurlant. Après plus d’une centaine de numéros et la disparition prématurée de doury, richard continue toujours aussi opiniâtrement et sporadiquement Elles sont de sortie (voir le site que leur a consacré le collectionneur Uli Augustynen : www.eyecatcher.gegahost. net). Les thèmes qu’abordèrent doury et richard et leurs invités occasionnels (Caro, tomeu Cabot, Gary panter, Mark Beyer, ti5dur…) sont aussi multiples qu’universels : l’enfance, la famille,

la société de consommation, le sexe, la mort, la bande dessinée, l’histoire de l’art… dans un court texte ouvrant le livre Graphic Production, 73-83, 1000 dessins sauvages (Autrement), richard évoqua le concept de “print art”, ne pouvant exister, être apprécié qu’à travers sa reproduction imprimée, sa diffusion éditoriale ; un parti pris à rebrousse-poil de la position traditionnelle de l’artiste exposant dans les galeries et les musées, pour lequel le livre, le catalogue, n’est qu’un objet promotionnel, circonstanciel, non un aboutissement. Un catalogue sans images est un catalogue de merde. Cette phrase sans appel fut écrite par richard dans une lettre adressée à philippe Billé en 1986, alors que celui-ci projetait de réaliser un Catalogue de l’édition graphique photocopiée en France (Billé la reproduisit avec ironie dans ledit catalogue). pour sa part, doury déclara en 1985 dans un entretien accordé à Libération, où il était employé comme maquettiste, qu’il donnerait tout pour une image qui choque le monde à mort, faisant peut-être référence à une tentative faite l’année précédente. Invités par l’espace lyonnais d’art contemporain à exposer et à produire un catalogue, doury et richard rassemblèrent pour ce dernier une série de photographies issues de magazines et d’archives policières, confrontant, à gauche, une image pornographique et, à droite, celle d’un cadavre. Le livre, que personne n’avait vu avant l’inauguration, hormis

ses auteurs et son imprimeur, suscita l’indignation, il fut immédiatement censuré et – presque – totalement pilonné. C’est un tout autre genre de catalogue que doury et richard proposèrent à l’ArC du musée d’Art moderne de la ville de paris en 1985, à l’initiative d’erró, qui les convia en marge d’une exposition personnelle : deux petits livres de 48 pages à la couverture cartonnée gris foncé, tirés à 500 exemplaires en offset, noir et blanc, de format 11,5 x 15,5 cm, édités par Futuropolis. Ni livres d’art, d’artiste ni pastiches : livres d’images dessinées, sans rapport avec les travaux exposés, qui s’attaquent à l’histoire de l’art, de la bande dessinée : l’art africain, picasso, Matisse, Malevitch, Klee, Brancusi, sol LeWitt, tex Avery, Krazy Kat… deux esthétiques graphiques différentes, complémentaires y cohabitent, celle de doury, dont les dessins méthodiquement exécutés au rotring tissent des scènes tumultueuses, grotesques, étouffantes, et celle de richard, arrachant à la plume des confrontations écorchées entre les personnages de Walt disney et les figures de Miró. pour reprendre une formule de pascal Quignard, l’image voit ce qui manque : la vie dans ses aspects les plus banals, intimes, obscènes, impossible à vivre sans l’image qui la tient en suspens, toujours à venir. telle fut la raison d’être, de dessiner d’Elles sont de sortie.

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F

049

Pascal Doury et Bruno Richard ont publié des livres de dessins parmi les plus fascinants de ces quarante dernières années. Retour sur leur parcours et leur vision du catalogue d’exposition.


© photos : stéphANE RUChAUD.


c o n v e r s at i o n s Rencontres et échanges complices sur le graphisme avec des acteurs de la création, de l’image et des médias — Dans l’atelier De thomas bizzarri & alain rodrigUEz . le portrait piErrE di sciUllo


Dans l’atelier de

© photos : stéphANE RUChAUD.

bizzarri & rodriguez


coNvErsatioNs

l’art et les manières Complices de longue date, Thomas Bizzarri et Alain Rodriguez nous ouvrent les portes de leur espace de travail, à Paris, au 4 rue Trousseau. C’est dans cet atelier, au-dessus de la librairie L’Iris noir, que le binôme s’est lancé il y a quelques années. Retour sur leurs débuts, leurs projets et digressions autour de leur vision de l’édition et du métier.

061

par morgan pruDhomme photographiE stéphane ruchauD

thomas bizzarri : Nous nous sommes rencontrés lors

du BTS communication à la Martinière. Ensuite Alain est parti aux beaux-arts de Valence puis aux arts décoratifs de Strasbourg, et moi à la Cambre, à Bruxelles. Nous avons terminé nos études en même temps, puis nous nous sommes retrouvés à Paris. Au début, l’idée était de faire une colocation (rires). alain roDriguez : Nous avions chacun nos projets, et progressivement est venue l’envie de faire des choses ensemble. Nous travaillions l’un à côté de l’autre dans cet atelier avec cinq autres personnes depuis environ un an… tb : Nous nous sommes retrouvés en 2011 sur le projet “Crystal of Resistance” de Thomas Hirschhorn. Une publication intégrée à son exposition à Venise. Un bon prétexte pour commencer à travailler ensemble… Parlez-nous de cette rencontre avec Thomas Hirschhorn. tb : Xavier Barral m’avait proposé de travailler sur le catalogue de l’exposition “Exhibiting Poetry Today”. Alain m’a rejoint sur son projet d’exposition à Venise. Thomas Hirschhorn revendique un certain statut de l’artiste, de l’œuvre d’art, et il a cette particularité d’être graphiste de formation. Il a de l’exigence et un œil avisé. Il nous a poussés à affirmer nos choix. mp :

La confiance s’est installée petit à petit. Les premiers temps, nous avions une forme de pudeur visà-vis de son travail, et progressivement nous nous sommes autorisés plus de liberté. La radicalité de son œuvre a sans doute influencé nos propositions. ar :

Le travail avec les éditions Feu Sacré commence aussi à ce moment-là… tb : C’est l’histoire d’une belle rencontre. Un ami commun nous a présenté Fabien Thévenot, le fondateur de cette maison d’édition lyonnaise. ar : Il nous a fait confiance, laissé une quasi-carte blanche. Cela a été l’occasion de nous confronter à de nouvelles pratiques. Nous avons pu gérer un projet dans son ensemble : du dessin de caractères à la mise en page et à l’identité… tb : Nous avions beaucoup de sympathie pour ce projet aussi car nous avions toujours eu envie d’éditer des textes, de travailler sur des petits livres… Nous avons fait de belles rencontres avec les auteurs, notamment F. J. Ossang, dont le travail touche à la forme du texte. Il venait travailler à l’atelier pour que l’on adapte son texte à notre police de caractères et au format… mp :

Comment travaillez-vous sur ces mises en page ? Qu’est-ce qui a inspiré votre dessin ? tb : Les éléments donnés par Fabien, le nom, quelques mp :

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morgan pruDhomme : Quand avez-vous fondé le studio ?


Le portrait

↖ Pour le cumul des mandales, festival de théâtre de rue d’Aurillac, août 2014.

© photo diane di sciullo.

un artiste typographe


conversations

Pierre di Sciullo, l’archigraphiste Remettant en perspective sa production graphique dans le contexte urbain, l’archigraphiste, ainsi nommé, décide aujourd’hui d’arpenter la ville, de façon ludique et poétique.

071

pAr Pie rre Ponant

Pierre di SCiuLLo :

Ma première intervention date de 1997, dans le cadre d’un 1 % artistique relatif à la construction d’un nouveau bâtiment de l’UFR de santé et de médecine humaine proche du quartier des Courtilières entre Bobigny et Pantin. J’étais en lice avec l’artiste Michel Verjux, ma candidature a été retenue. L’implantation de mon projet ne s’est pas faite sur la nouvelle construction, mais sur un bâtiment restauré, proche. Ce qui a occasionné quelques difficultés dans mes rapports avec l’architecte. Il y avait un énorme panneau d’information qui indiquait l’entrée du bâtiment, mais bon nombre d’étudiants passaient devant sans le voir. D’où ma première constatation : je me suis dit que la signalétique, ce n’est pas d’écrire plus gros que les autres, mais de mettre la bonne information au bon endroit. J’ai d’ailleurs fait modifier ce panneau hors cahier des charges de la commande. Mon intervention s’est développée par l’inscription du seul mot santé, qui a été installé en tôles émaillées sur l’une des façades du bâtiment, en le laissant déborder. Il est visible de la station de tramway et de l’hôpital situé en face, comme une invitation aux patients à retrouver une bonne santé. C’est un repère très coloré. Ce fut mon premier contact avec un travail de signalétique.

Pierre Ponant : Quelle a été votre première interven-

tion dans l’environnement urbain, et quel statut avezvous donné à ce travail. Était-ce une réponse signalétique ou une intervention plastique et graphique.

PP : La définition de cette commande relevait-elle d’une

demande explicite d’une signalétique ? PdS : Non. On peut considérer cette intervention

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C

omme le souligne Pierre di Sciullo, intervenir dans un bâtiment, c’est avoir accès à la ville pour y créer de nouvelles déambulations sensorielles. Aujourd’hui, le typographe, un rien provocateur, dénonce la volatilité de la chose imprimée et tente, avec succès, de donner une nouvelle dimension et une autre pérennité à son travail sur le signe. Il intègre ses recherches dans des programmes architecturaux en devenir pour y produire des objets autonomes. Se définissant comme artisan d’une méthode empirique de correspondances qui permet l’intégration de champs distincts (le texte, la sculpture, l’information) au service d’un projet esthétique, il conçoit la ville comme un formidable terrain de jeu poétique et plastique. Les déplacements des citadins l’ont guidé pour concevoir le Générateur de Recouvrance, à Brest, ou le T de Nice. En avril 2015 seront inaugurées, au terme de leur réhabilitation générale, les immenses façades du Serpentin à Pantin, sur lesquelles il est intervenu, en préservant l’esprit insufflé par son auteur, l’architecte Gilles Aillaud. Pierre di Sciullo revient ici sur ses rapports, pas toujours simples, avec des architectes.


© Intégral ruedI Baur and andreas Körner.


dossier Signalétique Sélection de projets de signalétique, rencontre avec les praticiens, points de vue d’architectes et inventaire des stratégies d’orientation — bien urbain • mille et une directions, sélection de projets de signalétique • méthodes d’orientation communiquer la ville • dans l’œil des bâtisseurs


� – Si les solutions GPS et portatives gagnent peu à peu du terrain sur nos besoins d’orientation et ambitionnent de coloniser les espaces intérieurs, l’intervention graphique in situ identifie les lieux et nous permet de lever les yeux de nos techno­ logies. Indiquer une direction n’est plus tant une nécessité qu’elle ne le fut à l’époque pré­numérique. Mais faire comprendre un espace, sensibiliser son utilisateur à ses fonctions, à sa nature, à son his­ toire, lui en faciliter l’accès, les déplacements en son sein, l’amuser au détour d’une porte ou d’un escalier, faire exister un événement éphémère, voilà quelques objectifs signalétiques qui ne sont pas sur le point de disparaître. Rencontre avec quelques spécialistes de renom qui nous expliquent les mutations de la pratique.

en quête de sens

par caroline bouige


s � gn alét � que


© Valérie de Calignon, noVembre 2014.

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Au cœur du MArAis, à PAris, l’équiPe de lM coMMuniquer s’AttAche à définir les oMbres et les silences des villes, et à les exPriMer. par caroline bouige

l’équipe dans le sens des aiguilles d’une montre, à partir de 12 h : laurence Madrelle, Julien Martin, Jean-baptiste di Marco, edoardo Cecchin, Cécilia Génard, arthur bonifay (Karine Gomes, également membre, n’est pas sur la photo).

dossier 163 étapes : 223

Com F muni quer la ville

ormée dans les années 1970 aux côtés de Malcolm Grear, la graphiste Laurence Madrelle y apprend la ville, d’abord la ville. Graphiste, elle a longtemps enseigné dans des écoles d’architecture (à Marne-la-Vallée et Camondo), de paysage (à Blois), continuant de l’apprendre, en imaginant constamment de nouveaux contours et de singulières expressions. Elle m’accueille dans son bureau LM Communiquer en me demandant d’où je viens et le moyen de transport utilisé. Elle aime aussi se déplacer à vélo. Je me positionne en tant que citoyenne affirmet-elle, j’ai envie de comprendre comment les choses fonctionnent. Curieuse de la ville et de ses acteurs, elle en fait son terrain de prédilection, en multipliant les collaborations avec les architectes, paysagistes et urbanistes. Comment déambule-t-on dans un espace ? Quels usages en fait-on ? Ces questions activent les propositions de communication et de signalétique du studio. Il nous est arrivé à plusieurs reprises, par l’analyse des flux, de modifier les plans de l’architecte, d’agir sur le moyen œuvre. La compréhension de ces lieux passe par la fabrication de maquettes et de dessins à partir des plans des architectes. Son associé Edoardo Cecchin poursuit : Il s’agit de comprendre les volumes lorsqu’un projet n’est pas encore construit. La fabrication de la maquette aide à cela. Nous établissons des scénarios d’utilisation du lieu en imaginant les besoins de l’utilisateur. Nous regardons les cheminements, comprenons les difficultés du parcours et identifions les surfaces capables de porter les signes. […] Il est aussi important de s’inscrire dans un lieu et d’en comprendre son histoire. Les solutions graphiques sont ensuite testées à l’échelle 1 : 1, dans le studio ou la cour, sur le mur en face… Laurence Madrelle affiche une vision large du projet signalétique. Celle-ci doit orienter, diriger, identifier mais aussi informer et expliquer, pour une meilleure lecture de l’espace. Une fois le lieu appréhendé, le visiteur assidu ne voit plus la signalétique et l’oublie. Elle se fond, se confond même parfois avec l’espace, l’architecture, le paysage. En choisissant d’utiliser des alignements d’arbres pour indiquer une route, une différenciation d’éléments architecturaux pour créer des repères dans la ville, elle fait disparaître tout signe graphique inopportun ou superflu. Elle cherche l’écho juste… à un bâtiment, un quartier, un paysage. Elle propose de guider l’usager, de le sensibiliser à l’espace. Dans leurs variétés, les projets de LM Communiquer illustrent cette vision graphique.


Š ah-ha.


découvertes Portfolios de jeunes studios de design graphique à travers le monde — elobo . ah-ha . say what . raw color


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découvertes

elobo paris, france depuis 2013 www.eloboelobo. tumblr.com

↗ À Barcelone. photographie de silvana cartolano.


découvertes

elobo paris, france depuis 2013 www.eloboelobo.tumblr.com

Illustrateur, graffeur et tatoueur, Elobo puise ses inspirations dans la bande dessinée, les comics, la peinture moderne… Étudiant aux Beaux-Arts de Paris, il renouvelle les possibilités de l’illustration à force d’expérimentations et de productions variées. Ses projets interrogent le caractère visuel et le sens graphique du dessin, avant d’y attribuer un message. propos recueillis par claire gadault

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un indien dans la ville


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dĂŠcouvertes

ah-ha carolina cantante & catarina carreiras lisbonne, portugal depuis 2011 www.studioahha.com


Derrière une écriture minimaliste, le studio AH-HA, fondé en 2011 par Carolina Cantante et Catarina Carreiras, cache une grande sensibilité et un sens aigu de l’économie du trait. Formé à la Fabrica et chez Rem Koolhaas, le duo féminin a conservé un processus créatif proche de l’expérimentation et une conception collaborative du métier de designer graphique. propos recueillis par agathe hoffmann

découvertes 187

espaces à géométrie variable

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ah-ha carolina cantante & catarina carreiras lisbonne, portugal depuis 2011 www.studioahha.com


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découvertes

say what Benoît Berger & nathalie Kapagiannidi paris, france depuis 2011 www.saywhat-studio.com


Basé à Paris depuis 2011, le studio de création graphique Say What use de son pouvoir d’évocation pour créer un univers singulier et référencé dans les domaines de l’édition, de la mode ou du design. Ici, le mot est une matière brute à façonner, et l’objet dépasse ses contours utilitaires pour parler de son emploi propre. Rencontre avec ses deux fondateurs, Benoît Berger et Nathalie Kapagiannidi, qui travaillent leur talent avec la précision de l’artisanat et une créativité résolument contemporaine. propos recueillis par marie arquié

découvertes 199

un œil éclairé, une main appliquée

étapes : 223

say what Benoît Berger & nathalie Kapagiannidi paris, france depuis 2011 www.saywhat-studio.com


© søren rønholt, 2014.

étapes : 223 210

découvertes


Raw Color est un studio néerlandais fondé par Daniera Ter Haar & Christoph Brach en 2008. Le duo incarne une certaine sophistication de la matière et des couleurs, qui se retrouve aussi bien dans leur travail de commande que dans leurs recherches et projets personnels. Rencontre avec ces anciens étudiants de la Design Academy d’Eindhoven, actuellement enseignants dans ce même établissement. propos recueillis par ève chabanon

découvertes 211

Somewhere over the Rainbow

étapes : 223

Raw coloR daniera ter haar & christoph Brach eindhoven, pays-Bas www.rawcolor.nl depuis 2008



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