5 minute read

Dans l’univers de l’artiste Marcel Maeder

Comme un air d’opéra

Mi scène d’opéra mi appartement d’apparat, l’intérieur de l’artiste Marcel Maeder, qui fut décorateur au Grand Théâtre, révèle des trésors d’ingéniosité et de créativité.

Advertisement

Texte: Maxime Pégatoquet Photos: Sébastien Agnetti Production: Atelier 20

Dans une chambre où tout est dessiné sur mesure, les créations personnelles côtoient des objets récupérés du quotidien.

Le «mètre carré de fleurs» est l’un des classiques artistiques de Marcel Maeder. Une composition de milliers de fleurs découpées.

Chaque objet, chaque élément de mobilier, fait l’objet d’une réinterprétation de l’artiste pour un cabinet de curiosités improvisé.

Les ouvrages sont catalogués par thème, les CD par compositeur. Les pissenlits sous cloche sont accrochés à du fil barbelé.

Dans la chambre à coucher, le cercle se fond dans le carré et révèle un mur d’intimités.

L’espace réservé au lit est d’une blancheur virginale.

Rien ne se perd, tout se crée et se transforme. C’est un monde sur mesure, onirique et enchanteur.

Marcel Maeder, artiste.

C’est un appartement comme il en existe des dizaines de milliers d’autres dans toute la Suisse. Situé dans une barre d’immeubles, traversant, avec une hauteur de 2,40m sous plafond, des parquets composés de cinq lamelles de chêne qui se tête-bêchent d’un carré à l’autre, une salle de bain où règne encore un bidet hérité des années 1960... Mais c’est aussi un appartement unique. Un grand 4 pièces dans lequel réside Marcel Maeder, artiste à plein temps. Un appartement qui évolue selon les saisons au niveau des couleurs, de la configuration mobilière, des travaux en cours ou des bouquets de fleurs. Ce n’est pas un musée mais un lieu vivant, mutant, qui se modifie au gré des besoins de son locataire et de ses compagnonnages.

←← Sous une tenture berbère, une collision d’œuvres en trompe-l’œil et de pièces

«signature».

Hormis un tire-bouchon Alessi, on ne trouve pas une pièce de design ici, et cela ne pose pas de problème. Comme Marcel Maeder l’explique justement: «C’est un appartement qui se passe d’anecdotes car mon moteur c’est le quotidien, l’ergonomie et la fonctionnalité.» Si l’une des chaises est recouverte de peinture dorée ou d’un dégradé printanier, il faut surtout remarquer que toutes sont bricolées, rafistolées, adaptées selon les cas de figure. Et notamment à la haute stature de l’artiste et à sa colonne vertébrale dont il doit prendre soin en tablant sur des assises rigides, solides, à même de soutenir un corps chancelant le cas échéant. «Tous les meubles dont j’ai besoin sont construits maison, in situ, sur mesure, encastrables, sur roulettes...» Démonstration d’une possible démarche durable et circulaire – même si elle n’a ici rien à voir avec l’air du temps – car «tout est recyclé à l’intérieur même de l’appartement», ajoute-t-il.

Dans sa chambre, habillée de blanc et de miroirs, la moquette a été retirée pour révéler le béton brut qu’il fait bon pratiquer pieds nus; saupoudré de paillettes il transfigure la pièce en une suggestive finca majorquine. Le seul mur disponible propose, au sein d’un cercle blanc sur fond noir, une installation façon cabinet de curiosités où domine une série de représentations de pénis; ce qu’il nomme son Glory Hall, une accumulation de travaux et de pièces collectées sur une bonne vingtaine d’années, assemblés avec un sens certain de la mise en scène. «De mon point de vue, une chose n’a pas de valeur si elle n’en côtoie pas une autre qui permet ainsi d’amener du sens», précise l’artiste.

Un monde appart’

Où que notre regard se porte notre esprit est étonné, stupéfié par des élans de créativité qui parfois ne sont que le reflet de besoins du quotidien. On peut parler de détournement d’objet ou de fonction, de récup’ ou d’upcycling, ici rien ne se perd, tout se transforme, tout est utile. Un fond de pot de peinture sert à «pointilliser» un meuble quelconque, une boîte de lessive à l’effigie de Monsieur Propre est le prétexte à une enluminure feutrée réinventant l’art de la dentelle dessinée. Les œuvres disséminées dans l’appartement et les pièces rencontrées nous font traverser certaines périodes de l’histoire de l’art avec le sentiment de vivre une vie d’artiste par procuration. De son passé de décorateur, Marcel Maeder a conservé le sens de la mise en scène: là, c’est un livre rose glam pastel de Paris Hilton dont il couvre des portraits de mouches foudroyées à la tapette; ailleurs, à l’instar d’une œuvre de Damien Hirst, une architecture de pissenlits immortalisée dans un ancien aquarium.

Un jardin à la monet

Au centre de la salle à manger trône une table montée sur roulettes. C’est un carré de fleurs sous verre, qui donne l’impression de pouvoir improviser à tout moment un Déjeuner sur l’herbe contemporain. Une tenture de tulle blanche permet d’investir les lieux à la manière d’une tente berbère ou d’évoquer un monde oublié par la grâce d’un plissé romain. Marcel Maeder le reconnaît bien volontiers, il «préfère la surcharge au vide». Dans la chambre d’ami, de son ami, on trouve au sol un ready made improvisé avec le carton d’une perceuse Bosch qui côtoie un tableau récupéré aux puces illustrant une coquette avec éventail et boa en plumes. Il n’a pas peur du mélange des genres et encore moins du qu’en dira-t-on. «J’aime la confrontation des esthétiques, mettre en superposition des objets qui n’ont rien à voir ensemble. C’est comme de voir une bagnole garée devant une cathédrale.»

Un jour, Marcel devra quitter son appartement. On espère que cet espace deviendra alors un lieu de pèlerinage, ce qui serait bien mieux qu’une plaque apposée sur le mur de la façade. «Pour moi, mon appartement est comme un décor d’opéra ou un intérieur dessiné par Jacques Garcia, déclare-t-il, sauf que dans mon cas je ne vis pas dans un espace fini, achevé. Surtout pas.» Et de continuer: «Je n’attache pas beaucoup d’importance à mes objets. Parfois, des gens viennent, ont un coup de cœur et repartent avec l’un d’entre eux. Tout ce que j’ai, tout ce que j’ai imaginé, je ne vais pas l’emporter avec moi. C’est un cocon que je me construis, un laboratoire aussi qui est l’extension de mon atelier, une manière de me rendre compte de quelle manière mes objets vivent et résonnent dans un intérieur.»