10401 et 12 errants

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DOUZE ÉTUDIANT(E)S DE L’ARC ERRANCES (ATELIER DE RECHERCHE ET DE CRÉATION) DE L’EESAB* SITE DE RENNES ONT PROFITÉ DU PREMIER DIMANCHE DU MOIS DE DÉCEMBRE AUX CHAMPS LIBRES POUR EXPÉRIMENTER UNE ERRANCE COLLECTIVE, DANS UN LIEU DONNÉ, DANS UN TEMPS DONNÉ.

CETTE ÉDITION UTILISE LES CRÉATIONS DE CETTE JOURNÉE EN LES INSCRIVANT DANS UNE DÉMARCHE RÉFLÉCHIE ET CRÉATIVE.

* EESAB : ÉCOLE EUROPÉENNE SUPÉRIEURE D’ART DE BRETAGNE





13:50

Femme ; soixante cinq ans ; écharpe orange ; manteau noir. Lunettes rondes ; cheveux court ; chaussures en cuir ; collant résille. Robe longue ; laine à motif ; sac à main noir. Parapluie replié ; deux bagues à la main gauche ; boucle d’oreilles perlées.











15:38

Femme ; cinquante ans ; pull rouge ; veste marron. Cheveux carré ; sac à dos écharpe beige ; chaussures noires.









14:25

Objet ; siège ; banquette ; métal. Trous circulaires au niveau de l’assise.











16:30

Homme ; cinquante cinq ans ; chemise à carreaux. Moustache imposante ; pantalon beige.













17:07

Jeune fille ; chevelure imposante ; yeux très bleus. Piercing au nez ; pull à petits motifs ; jean slim. Baskets noires ; lacets blancs.









15:27

Jeune homme ; barbu ; de grande taille. Des yeux très clairs ; tenue décontractée ; air amusé.




18:44

Objet ; table en verre ; arrondie. Chaise tout autour ; verre presque vert.











17:07

Femme mûre ; manteau rembourré beige. Chevelure de paille grisonnante ; pantalon marron.



















18:46

Jeune fille ; toute en noir ; grandes fleurs roses sur chemise Chaussure à grandes semelles ; bouteille d’eau rose. Cheveux longs dorés.



Vernissage, tic de narines, tout le monde s’en fout. Et je suis là. Il y a un truc auquel je pense, mais pas parce que je suis là. Je me dis souvent qu’on ne peut pas penser pour les gens ; je me le répète souvent. Mais pourtant, tout le monde regarde tout le monde ; tout le temps, tout le monde. Et les regards. Et ce que finalement, on doit se regarder ? Est-ce que quand tu parles à quelqu’un, tu dois le regarder ? Je me disais que oui. Je pensais que c’était une question de respect mutuel. Mais il y a trop de choses dans un regard. On discute aussi avec nos œils; les gens qui sont. Et du coup avec tous ces mots, et tous ces regards, on a des discussions superposées, des calques de langage. Quand tu me dis que t’as bouffé des merguezs, je me dis pas que t’as bouffé des merguezs; je me dis autre chose. Autre chose que je vais chercher dans tes yeux. Parce que je crois que tes yeux parlent. Mais finalement, c’est moi qui les fait parler. Y’a pas de certitudes dans tes yeux. Et peut être que tu as décidé d’y mettre telle ou telle chose, mais c’est l’idée que je me fais de toi. En fin de compte, t’es une idée d’idées ; de mes idées. Alors, peut être que je suis parti pour une espèce d’éternel dialogue avec moi-même. Je saurais jamais qui c’est toi. Mais du coup t’es là quand même. Et pour toi, je suis une idée de tes idées. Aussi. Quand tu sais combien y’a d’idées dans un toi, on pourra jamais tous avoir les mêmes idées. C’est du grand nimp’. Nique la pensée unique, nique les baltringues. C’est quoi la raison ? C’est faire du mieux que l’on peut avec ce que l’on a; concrètement. J’ai entendu ça en écoutant une conférence, sur mon ordinateur, sur Youtube. C’était un grand homme, comme on les appelle, un mec sérieux.Je crois pas trop déformer c’qu’il disait en écrivant ça. Mais en fait, qu’est ce que je fous là ? Moquette grise avec des caméra. J’suis assis par terre dans un musée, et je parle de raison. Mais j’en ai vraiment rien à foutre. En plus, j’ai une entorse au pouce. Enfin, j’crois. Ca fait fichtrement mal, ouille ouille ouille. Une idée dans un dispositif…En fait je dis que je m’en fous. Mais nan. Je suis là c’est tout. C’est un peu décalé comme situation. Assis par terre, caché dans un musée. Et de temps en temps, des gens passent. Et du coup, il me voit. Ils sont là. Ils sont drôles ces gens. Et puisque je suis là, et que j’en ai rien à foutre, autant me faire des idées d’idées sur ces gens. Pourquoi ils sont là déjà ? Pour la culture hum hum, oui oui. La Culture : « Un Dimanche aux Champs Libres » CLAP CLAP CLAP CLAP !!!! Là ou je culpabilise un peu (c’est des conneries), c’est quand je me demande où je serai si j’étais un simple visiteur, et non pas un « acteur » de ce « Dimanche aux Champs Libres ». Acteur c’est pas le bon mot. Nique. Où je serais ? Dans mon pieu je pense. Nan faut pas déconner il est 15h; mais un truc du style. Pepouze, en jogging, charentaises à la maiz’. En tout cas, ce qui est sur, c’est que, « Un Dimanche aux Champs Libres (clap clap clap clap !!!!) », et ben j’y penserai pas trop je pense, voire pas du tout même je me dis. Et pourtant, y’a du monde. C’est genreeuuh, bon-Dé,. En fait là, je reviens de fumer une cigarette. En descendant j’suis passé à côté de deux mecs; 30 ans, avec une écharpe Celio, un faux Duffle Coat noir, des lunettes, du gel et de la pluie dans les cheveux. Et y’en a un qui a dit : « Ca m’intéresse qu’à moitié. Si on a vraiment rien à faire pourquoi pas… » Oulaaa ! Et là, y’a le directeur de l’école Européenne Supérieure d’Art de Bretagne, qui vient d’apparaître de derrière une cimaise du musée, sur le sol duquel je suis assis, au sixième étage, du bâtiment dans lequel on organise un « Dimanche aux Champs Libres »; au téléphone. Il est souvent au téléphone Mr Le Directeur ; envergure internationale. Il est partit. Alors si ça t’intéresse qu’à moitié, pourquoi t’es là !!? Hein pourquoi t’es là enculé !!? T’es en week-end bordel ! Tu t’es battu pour ça ma gueule! Alors, fais un truc qui te plait vraiment, enfin je sais pas. Nan ? Oui c’est ça, je sais pas, je sais rien. Mais à ta place j’irai faire une cabane mec. Je crois que j’aime pas les musées non plus. Tout à l’heure je me suis levé, j’ai marché entre les vitrines. Y’a des reconstitutions un peu psychées : avec des mannequins. Le premier que j’ai vu, m’a fait sursauter. Je trouve que ces bonhommes figés avec leurs fringues cheloues, ont plus de présence que les gens qui les regardent.: ceux qui louchent sur les vitrines pleines de bordel entassé. Je ne sais pas si elle est permanente cette exposition. On m’a dit tout à l’heure que se serait les collections d’un type un peu farfelu. Et donc, les gens regardent. Tu vois leurs pupilles qui rebondissent sur les objets. Vite, elles vont vite ces pupilles, elles d’attardent pas sur les choses. C’est passé de mode de prendre son temps. Là, je regarde un truc au pif. Quatre gros volumes en cuir épais marron / rouge, empilés comme ça :


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En mode Art Déco. Et c’est plein de motifs, c’est assez généreux Je les regarde là, quand j’écris, et je me dis qu’il faut quand même un peu de temps pour rentrer dans l’objet, pour le saisir. Alors que tout le monde va vite. Qu’est c’que tu regardes mec, qu’est c’que tu fais avec tes œils là ? Quand je te vois, j’ai l’impression que tu captes rien à c’que tu fous; avec ta femme là, ou ta sœur. Tu balayes, tu fais des captures de matière. Tu vas aussi vite que ton téléphone, tu superposes des couches de rien pour nourrir ton vide. Conard de cyborg sans âme. Mais c’est quand même pas très sympa de dire des trucs comme ça. Parce qu’il y a aussi des gens qui regardent. Mais les autres, est ce qu’ils sont prisonniers de ce qu’ils doivent être? Ca pourrait être une idée d’idée, j’en sais rien… Qu’est c’qui fonctionne pas ? Dans la ville de Rennes. Avec des p’tits programmes culturels de week-end joliment bien fait. Avec des lignes de bus que tu peux voir dessiner sur des plans bien organisés. Ces bus qui ont des voies tracées rien que pour eux; bien délimitées. Ces bus, où chacun à son p’tit siège aligné sur les autres; deux par deux. Ils t’emmènent jusqu’au Champs Libres, le temple de la Culture. Parce que Rennes, c’est la ville. Ca se cultive sec à Rennes, ça fait parti du bon vivre, troisième au classement. Et ce bâtiment alors; Divisé en étages. A chaque étage t’as des rayons, avec des thématiques, des sous-thématiques, des mathésoutiques. Et les livres sont bien rangés, bien triés, bien classées. Dans leur étagères, entassés les uns sur les autres, c’est la masse culturelle, qui t’oriente qui te dirige dans les couloirs de la cathédrale du savoir. Et toutes ces présences rassemblées au sein du grand sanctuaire de la Culture. On s’en donne à cœur joie avec nos pupilles et nos œils qui vont vite. Y’a du monde, de la matière, ça dégueule d’informations, de données, c’est l’orgie dominicale ! Tout fonctionne dans la fonctionnalité ! Et mes mannequins chelous, avec leurs fringues de barges ; et le bordel du farfelu de collectionneur au milieu duquel je me suis caché ? Il y a des couleurs vieillies, des livres abimés, du papier jauni, déchiré. C’est complètement hétéroclite. C’est fout toute cette matière, ça parait inorganisable. J’ai l’impression que même un enculé de bon Technicien réussirait pas à trouver de systématique de rangement approprié pour toute ce bazar. Du coup, ils ont tenté de le diviser un peu quand même. Ils ont mis le bordel derrière des vitrines. Ils l’ont enfermé. Et les gens passent devant avec leur pupilles qui vont vite. Et ils regardent le bordel enfermé; parce que c’est inté-Ressant, parce que c’est mar-Rant. Bobos de merde. Si vous étiez pas là, on aurait pas besoin d’enfermer le bordel. Et hier, j’ai dis à mes amis que je viendrai écrire ici, un truc du futur dans le passé, que je me cacherai pour pouvoir faire ça tranquillement. Ils m’ont trouvé direct, dans le musée où je me suis planqué. Et vu qu’ils sont passés, ça m’a permit de me calmer un peu. Nan, parce que c’est encore moins sympa que ce que je disais tout à l’heure, alors que je disais déjà que c’était pas sympa. Et les pupilles de mes amis vont vite aussi. Ca veut pas dire qu’ils sont pas sympas. Bah non ! J’me suis juste un peu emballé là. Mais puisque je m’en fout, finalement, c’est un peu comme si ça comptait pas, nan ? J’me demandais juste qui de quoi de quand de on était soi-même; et quelle importance on accorde à ce que l’on est en train de faire; et dans quelle mesure on a décidé de faire ce que l’on est en train de faire. Parce que ça nous définit directement nan ? Allez, quand même, faut pas déconner, c’était vachement bien un dimanche aux champs libres! Mais mes amis en ont marre de m’attendre. On va boire des pintes, nostra culpa; on y retourne demain matin à la culture ; faire des amalgames. Dimanche 7 décembre, 14h45, 16h45.








14:06

Objet ; paroi ; croix en X ; translucide. Lumineuse ; multiple.













18:23

Homme jeune ; cheveux mi-longs ; presque sales. Pull en coton ; pantalon de velours ; chaussettes de sport. Clarks beiges ; grosse barbe ; joufflu. Grain de beauté sur la joue droite.











16:28

Objet ; porte-manteau en bois ; blanc. Construit comme un arbre ; un tronc quatre branche six branchettes. Piètement triple.







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CETTE EDITION A ÉTÉ RÉALISÉE POUR L’ÉVÈNEMENT DES PREMIERS DIMANCHES DES CHAMPS LIBRES, AVEC LE SOUTIEN DE L’ECOLE EUROPÉENNE SUPÉRIEURE D’ART DE BRETAGNE - SITE DE RENNES, DANS LE CADRE DE L’ATELIER ERRANCES, ENCADRÉ PAR THIERRY MORÉ, ANNA BOULANGER, LUCIA-ANGÉLINA SALZGEBER ET CATHERINE LE CARRER. D’APRÈS LES DESSINS ET TEXTES ORIGINAUX DE CAROLINE JACOB, MARINE BIGOURIE, CLÉMENTINE GRACIES, JULIEN COSTARD, BETTY PASQUIER, PIERRE MARTEL, AURÉLIE SUTTER, ZOÉ BEAUDOIN, ARTHUR LE BOULICAUT, KUN KANG, XIANG LI, CAPUCINE BECK; ET AVEC LA PARTICIPATION DE BENJAMIN SCHMIDT ET GEORGES VERNAT.

LA TYPOGRAPHIE UTILISÉE EST LA LETTER GOTHIC STD CRÉÉE PAR 1956 PAR ROGER ROBERSON. CONCEPTION GRAPHIQUE ET RÉALISATION : MARINE BIGOURIE ET CLÉMENTINE GRACIES.

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