Novartis et les sans-abri de Grudziadz

Page 1

16

ESSAIS CLINIQUES – POLOGNE

Novartis et les sans-abri de Grudziadz

« JE N’AI PAS DONNÉ MON AUTORISATION POUR SERVIR DE COBAYE » En Europe aussi, des personnes vulnérables sont utilisées pour des essais cliniques. Reportage en Pologne où des sans-abri ont servi de cobayes à Novartis, à leur insu.

L

e tableau est pittoresque  : les rives de la Weichsel bordent les remparts de Grudziadz, les tuiles de l’ancien silo à grains luisent dans le soleil couchant. La petite ville au nord-ouest de Varsovie pourrait être une parfaite destination touristique. Mais les gens sont plus nombreux à la quitter qu’à s’y rendre. Depuis l’entrée de la Pologne dans l’Union européenne en 2004, des milliers de personnes sont parties vers l’Angleterre ou l’Allemagne, car les emplois sont très rares à Grudziadz. Le taux de chômage, qui atteint 25 %, est l’un des plus élevés de la région. Cette situation économique précaire a aussi marqué le destin de Dariusz, de Grzegorz et de Bogdan. En 2007, les trois hommes habitaient dans un foyer d’hébergement pour sans-abri, un bâtiment sans charme face au cime-

D B | | S O L I D A I R E 2 4 7 | | J U I N 2 01 6

tière. Dariusz est mal à l’aise lorsqu’il évoque cette période de sa vie où sa situation de précarité fut exploitée sans vergogne.

De l’argent facile et rapide Pendant l’hiver de 2007, Dariusz entend parler d’un cabinet médical qui propose des « vaccinations gratuites » et 30 zlotys de dédommagement (environ 10 fr.). Il se souvient d’avoir quitté le foyer avec les trois autres résidents qui partageaient sa chambre. Dariusz avait alors 43 ans, Bogdan 46 et Grzegorz 48. Au cabinet, on leur demande d’abord s’ils ont pris froid. Ensuite, tout va très vite : une infirmière note leurs informations personnelles, une autre leur administre le vaccin et la suivante leur remet la somme promise. « Quelques sous facilement gagnés », se souvient Dariusz. Il n’a rien eu à signer.

Il aurait pourtant dû donner un consentement écrit. En effet, l’injection administrée aux trois hommes faisait partie d’un essai clinique pour un vaccin de Novartis, encore non autorisé, contre la grippe aviaire H5N1. A l’époque, des cas de transmission du virus de volailles vers l’humain avaient été détectés en Asie, ce qui avait fait naître la crainte d’une pandémie. Aucun vaccin efficace n’était disponible. Le géant pharmaceutique suisse disposait d’un composé en cours de développement, l’aflunov, qui aurait pu lui rapporter gros s’il avait été possible de le faire autoriser rapidement. La série d’essais V87P4 était censée prouver l’efficacité de ce vaccin contre le virus de la grippe aviaire.

La grippe aviaire n’a jamais été évoquée Selon les règles éthiques en vigueur, sans consentement écrit, obtenu après avoir donné des informations complètes quant aux risques et aux conditions, la participation à un test clinique de ce genre n’est pas autorisée.


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.