Design sous influences

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L’influence du créateur — 4. Le catalogue des souvenirs

C’est de l’imagination et plus précisément de l’inspiration dont il est question ici. Devons-nous nous méfier de nos souvenirs et de leur influence ? Plus exactement, devons-nous rester sur nos gardes face à notre propre imagination ? A l’inverse, est-il justifiable pour un designer de s’abandonner à ses inspirations ? Pour Tallon, la réponse est claire : « J’ai horreur de l’inspiration. Je m’en méfie énormément. De même que de la folle du logis : l’imagination. Qu’estce que ça vient faire ici ? Si on a une solution à trouver, elle ne peut venir que de la mise à plat. Je mets tout à plat autour de moi. »3. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, c’est le même designer qui nous avertit que, pour le design, la rationalité n’est pas la finalité. Le jeu, la fantaisie, l’humour et l’érotisme ne lui sont pas interdits. Il rejoint alors les avertissements d’Achille Castiglioni. En 1985, dans une interview à un grand quotidien national italien, le designer affirmait : « L’objectif du designer ne consiste pas à « idéologiser » des souvenirs déformés mais à communiquer aux autres des messages de curiosité, de divertissement et d’affection. »4. Une définition qui fait la jonction entre sa méthode de travail rigoureuse et sa sensibilité poétique. Que nous rejoignions ou réfutions les positions de ces deux grands designers, l’ensemble des objets mentionnés jusqu’à maintenant témoigne des imbrications complexes entre le vécu d’un designer et la morphologie des objets qu’il crée. De son milieu social à la formation qu’il a suivie en passant par les objets qu’il a côtoyés et les situations auxquelles il a fait face, de nombreux aspects de son histoire influent sur son travail. Il est ardu de séparer l’anecdotique du fondamental lorsqu’il est question d’expériences personnelles. L’insignifiant peut parfois prendre sens après des années sous des formes inattendues. Des évènements mineurs sont capables de laisser leur empreinte à des décennies d’intervalles. Les exemples évoqués nous prouvent que si le vécu a une influence formelle, elle n’est certainement pas du domaine de l’évidence et du limpide, mais reste pour une large part trouble et énigmatique. Parce que ces influences

sont directement reliées à des constructions psychologiques complexes, il nous est délicat d’établir des filiations nettes. Notre discours ne peut pas être catégorique dès lors que nous parlons de la vie de designers connus simplement au travers de publications et de brèves entrevues. Il en va de même pour les affinités esthétiques. Celles-ci n’ont pas de traçabilité évidente mais orientent l’apparence des objets qui nous entourent. Chacun connaît le célèbre adage : les goûts et les couleurs… Cerner ce qui relève de l’arbitraire ne revient-il pas à tenter de justifier l’injustifiable ? Notre ambition n’est pas de disculper les designers parce qu’ils sont soumis à telles où telles influences. Elle s’apparente plus à détecter, décerner et divulguer les intercessions qui déterminent en partie la morphologie des objets. Avant de chercher à légitimer des influences, nous les mettons en lumière. C’est cette position que nous continuerons de privilégier pour percevoir là où apparaît la singularité d’un designer. À travers quels morphèmes ces affinités personnelles transparaissent-elles ?

Entretien avec Roger Tallon, p. 250. Paolo Ferrari, Achille Castiglioni, Milan, Electa international Editrice, Centre Pompidou, CCI, 1985, p. 14. 3 4

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