L'empreinte, le sens de l'absence

Page 47

est médiatisée, archivée, codée, gravée, analysée, contrairement aux sociétés traditionnelles, sans médiatisation de ces éléments, où la mémoire est vécue au contact de la personne la faisant vivre. Doté d’une prothèse mémorielle, l’homme subit une mutation d’ordre «biotechnologique», où l’être trouve la capacité à exister, à « se tenir hors-soi ». Finalement, la mémoire stockée dans les données numériques est une mémoire morte plutôt que vive, et la mémoire de l’être humain se trouve dans l’ordinateur, bien plus que dans son cerveau. Sans cette attache numérique, dvd, cassettes, livres, notes, l’homme n’existe plus. C’est seulement au travers de ce genre d’empreintes, que le mot « existence » prend tout son sens : se projeter par soi-même et en dehors de soi. Mais ce stockage de trop de mémoire devient problématique car il ne permet plus la transmission des informations : effort de conservation et de communication sous formes de reliques, vestiges, archives plus ou moins envahissantes. En cinquante ans, l’homme a libéré et conservé autant d’informations nouvelles qu’en cinq mille années47. Chaque jour, mille livres sont publiés dans le monde et le New York Times propose à la fin de chaque semaine autant d’informations qu’une personne pouvait garder en mémoire au XVIIe siècle. En conséquence de la volonté de garder en mémoire des choses, la société est devenue volontairement productrice d’archives au travers des moyens techniques de reproduction et de conservation dont elle dispose. L’empreinte en tant que technique incite à tout garder : l’ORTF, l’INA ou les archives Pathé-Gaumont48 tentent de conserver les archives cinématographiques et télévisuelles : grâce au magnétoscope, technique de duplication, nous emmagasinons et numérisons la totalité du monde. Nous sommes témoins d’une « muséalisation », vécue comme une idéologie sécuritaire de l’histoire du monde, une mnémotropisme obsessionnelle supporter par les musées, rétrospectives, biographies etc. Cette profusion consciente des traces semble produire au final plus de confusion que de clarté, et la course au souvenir peut être perçue comme un trouble identitaire, expression de l’incapacité à maîtriser l’angoisse liée à la perte des choses aussi bien physiques que symboliques. Paul Virilio voit dans cette prolifération à outrance, la multiplication des lieux de mémoire - les musées, la télévision, le développement du traitement numérique et de ses capacités de stockage - les prémisses d’« industrie de l’oubli » : qui encombre la mémoire collective et finalement tendent à déréaliser le monde, car il ne s’agit plus d’une information Joël Candau, Mémoire et identité, Paris, PUF, 1998, p. 107. Actuellement, des archives cinématographiques ou télévisuelles sont librement consultables sur les sites internet (de l’INA ou Gaumont), il est possible de visionner, par exemple, le journal télévisé du jour de sa naissance, renforçant un caractère sentimental aux traces du passé en relation avec la vie individuelle de chacun. 47

Sceau cylindre Stéalite environ -1800 avant J.-C. 92

48

93


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.