PLAQUE DE CHANCEL
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Art chrétien, env. VIe s. apr. J.-C. Marbre H : 88 cm - L : 146 cm Plaque en marbre blanc et fin, complète mais reconstituée (dix fragments) ; conserve, par endroits, des morceaux d’étoffe rouge. Surface finement travaillée, jouant sur les différences de niveau et le rythme des parties sculptées et des grandes surfaces lisses. Bords d’une épaisseur de 5.3 centimètres, griffés en zigzags serrés pour augmenter l’adhérence du mortier. La surface est orné en très bas relief sur les deux côtés : la face A montre deux croix pattées montées sur des globes de part et d’autre d’une croix pattée inscrite dans un hexagone. Le tout est encadré par une double moulure. La face B est ornée d’une grande croix pattée inscrite dans un cercle encadré. La plaque faisait partie d’une barrière basse formée de plaque de pierre et de pilastres. La plaque était maintenue entre deux pilastres rainurés et s’insérait dans une base rainurée. Un lourd parapet de pierre rainuré terminait la barrière tout un ajoutant un poids pour renforcer la stabilité de l’ensemble. Le chancel (ou cancel ; cancelli,-orum en latin) désigne des barrières en bois, en métal ou en pierre ajourée ou formées de grandes plaques. Les Romains les plaçaient dans différents monuments publics ou privés afin de rythmer et d’organiser l’espace. Le chancel est un élément architectural des premières basiliques civiles impériales du IVe siècle. Il sert à délimiter un espace réservé aux magistrats (juges, orateurs…). Ce moyen pragmatique de valorisation et de protection de la magistrature dans un bâtiment public où se manifestait le pouvoir était aussi un moyen d’exprimer la hiérarchisation du peuple, des magistrats et des soldats, comme l’attestent les différentes barrières − sans doute en métal − qui partagent la foule devant l’empereur Théodose Ier lors de son apparition dans la loge officielle de l’hippodrome (reliefs de la base de l’obélisque de Théodose Ier (347-395) dressé sur l’hippodrome de Constantinople). Suite à l’Edit de Milan de Constantin et de Licinius (313) qui autorise le libre exercice de sa religion dans l’Empire romain, l’empereur Constantin, converti au christianisme, lance la construction de plusieurs grandes basiliques dédiées au culte chrétien à Rome (Saint-Jean-de-Latran, Sainte-Marie-Majeure, basilique Saint-Pierre), à Constantinople (basilique SainteSophie dédiée au Christ Sagesse de Dieu) et en Terre Sainte (le Saint-Sépulcre, la basilique de la Nativité). Des mausolées sont aussi construits, sur des plans centrés à Rome sur les anciennes catacombes (Sainte-Agnès hors les murs, Saint-Sébastien hors les murs), ou pour les tombeaux impériaux de Constance et d’Hélène. Bien qu’aucun de ces bâtiments chrétiens n’aient été conservés dans son état originel, ils comprenaient initialement un espace délimité par une barrière (chancel) dans leurs plans. Cet espace était dès lors réservé aux exécutants du culte et protégeait l’accès à l’autel du sacrifice. Ces barrières s’adaptaient naturellement à la fonction et au plan général de l’église (chœur surélevé, double circulation du cœur, martyrium, espace s’avançant dans la nef). Il se retrouve dans les églises du IVe et du VIe siècle en dehors des grands centres de pouvoir. Les fouilles de la cathédrale nord de Saint-Pierre à Genève (IVe siècle) ont ainsi révélé la présence d’un chancel disposé en avant de l’abside. Dans les églises orientales le chancel évolue vers une élévation en colonnade qui s’ajoute à la simple barrière basse créant un templon (comme par exemple dans l’église Saint-Jean-d’Ephèse). Par la suite le chœur est totalement séparé par un mur d’icônes appelé iconostase. En Occident, le chancel se transforme parfois en jubé dans les églises médiévales. Aujourd’hui il est encore possible de voir des exemples de barrière paléochrétienne ou datant de l’époque justinienne : un mausolée des catacombes de la Via Latina à Rome (époque paléochrétienne, probablement avant l’Edit de Milan), dans l’église Sainte-Sabine de Rome (Ve siècle, mais reconstituée), dans la basilique San Clemente al Laterano à Rome (XIIe siècle : les plaques du chancel sont celles de la première basilique du VIe siècle) mais aussi à Sainte-Sophie au niveau de la première galerie (VIe siècle, loge de l’impératrice), etc. Le Haut Moyen Age et l’époque romane poursuivent la tradition de la barrière de plaque de marbre en faisant évoluer les motifs avec le style de l’époque (Duomo de San Ciriaco à Ancone, XIIe siècle). La basilique de Saint-Marc à Venise, tournée vers Byzance qu’elle admire et repousse à la fois, reproduit au XIe siècle les motifs des plaques de marbre du VIe siècle qui se trouvaient dans la basilique constantinienne des Saints-Apôtres à Constantinople. De nombreuses plaques de marbre provenant de balustrade ou d’ancienne barrière de cœur ont été conservées, datant pour la plupart du XIe-XIIe siècle. L’exemplaire présenté ici s’inscrit quant à lui dans la production byzantine du VIe siècle dont les plaques des basiliques San Clemente al Laterano à Rome et de Saint-Marc à Venise donnent un bon écho. PROVENANCE
Acquis sur le marché de l’art en 1992. BIBLIOGRAPHIE
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