Le dessin, dans la genèse du projet d’architecture ESSAI EN ARCHITECTURE

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Le dessin, dans la genèse du projet d’architecture ESSAI EN ARCHITECTURE

Mémoire présenté en vue de l’obtention du diplôme de master en architecture. Experte : Joëlle Houdé Année académique 2016 - 2017 UCL - Faculté d’architecture, d’ingénierie architecturale, d’urbanisme : architecture Saint-Luc Bruxelles



« Le dessin n’est pas pour lui un « langage autonome » : il s’agit de prendre les mesures, de fixer les hiérarchies internes du lieu que l’on observe, des désirs qu’il suscite, des tensions qu’il induit ; il s’agit d’apprendre à voir les interrogations, à les rendre transparentes et pénétrables. Il s’agit enfin de chercher au moyen de l’écriture du dessin une série de résonances qui, « progressivement, fonctionnent comme les parties d’un tout, qui maintiennent l’identité des raisons de son origine contextuelle mais dans le même temps qui s’organisent en séquences, parcours, stations calculés qui s’alignent à travers de discrètes différences en route vers un processus de diversité nécessaire, non ostentatoire, de l’écriture des espaces et des formes du projet. » Imaginer l’évidence, Alvaro Siza.



Table des matières

Introduction : La « critique génétique »

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I. Analyse du port de Naples

1.1 Mise en contexte 1.2 Mise en évidence des enjeux du site

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II. Élaboration du projet

2.1 Au début, une image 2.2 Remise en question de l’ « image mentale » 2.3 Alternance du dessin flou et du dessin précis 2.4 De l’essai à l’hésitation 2.5 La singularité du projet

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III. Communication du projet

3.1 Le langage du dessin

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Conclusion

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Bibliographie

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A

fin d’apprécier au mieux ce travail, il parait utile de le replacer dans un contexte théorique particulier, qui, depuis une quarantaine d’années, tente d’apporter une interprétation des œuvres architecturales à la lumière des multiples dessins, croquis et documents préparatoires réalisés lors de l’élaboration du projet d’architecture. Cette recherche de sens par l’analyse et la mise en relation des archives, porte le nom de « critique génétique » et doit être re-située dans une tradition philologique ancienne. L’intégralité de ces dessins se fait le témoin d’une activité conceptuelle qui s’est vue modelée par le concepteur. Le chercheur et critique littéraire, Pierre-Marc de Biasi, co-fondateur à l’ITEM, des recherches en critique génétique souligne que : « La critique génétique s’est donné pour objet cette dimension temporelle du devenir-texte, en posant pour hypothèse que l’œuvre, dans sa perfection finale, reste l’effet de ses métamorphoses et contient la mémoire active de sa propre genèse. Mais pour pouvoir devenir l’objet d’une étude, cette genèse de l’œuvre doit avoir laissé des «traces». Ce sont ces indices matériels que la génétique des textes se propose de retrouver et de comprendre : « les manuscrits de l’œuvre » qui racontent une histoire spécifique et souvent surprenante : ce qui s’est passé entre le moment où l’auteur entrevoit la première idée de son projet et le moment où le texte, parachevé, paraît sous la forme d’un livre imprimé. » Ce dernier a porté une attention particulière aux documents de recherche de l’architecte qui partagent des caractéristiques communes avec les essais d’un écrivain, avec toutefois pour particularité que les projets d’architecture sont étroitement lié à des notions complexes politiques, sociales, morphologiques, etc. qui contrastent toutefois avec « le monde relativement homogène de l’écrit. » Ces dessins de recherche nécessitent, la mise en place d’une analyse systématique, réalisée par un généticien, ou par le concepteur lui même qui veillera à classer l’intégralité de ces documents sous différents critères de datation (qui souligne l’importance d’une chronologie dans le processus de conception), de style graphique, etc. dans le but de remonter à la genèse de l’œuvre et d’apporter une interprétation quant aux différents processus de conception chez l’architecte. À une toute autre échelle, le travail qui sera développé par après, ne prétends en aucun cas se hisser à la hauteur d’une telle démarche, mais tentera de nous éclairer sur l’apport du dessin au cour des différentes phase qui ponctuent le projet. Pour mener à bien ce travail, il a paru essentiel de prendre pour base la méthode développée par P-M De Biasi qui comporte 4 principaux blocs de données et qui sont repris dans le synoptique du projet, à savoir : - Bloc 1 : Identification du dessin par rapport au processus global et datation de ce dernier. - Bloc 2 : description matérielle du document : identification de la « main », présence éventuelle d’indications textuelles ou numériques, de la nature du support, format, type de tracé. - Bloc 3 : le type de représentation (plan, coupe, élévation, axonométrie, perspective, plan, coupe perspective ...), ainsi que l’échelle (si elle existe). - Bloc 4 : Identifier si il y a eu un déplacement, zoom avant, zoom arrière par rapport au dessin qui le précède, si une forme élaborée se retrouve dans des dessins qui succèdent, si il s’agit d’une esquisse, d’un croquis, d’une mise au net, etc. Une fois cette méthodologie mise en place, on constate que ce document hautement exhaustif permet d’apporter une vision globale du processus de conception très proche de la réalité. Malgré le fait que chaque processus soit différents P-M de Biasi souligne la présence d’une base générale commune qui regroupe de grands concepts à savoir : - Le fait que dès les premiers dessins, l’identité du projet est souvent déjà présente sous différentes formes (schéma, croquis, vue d’ensemble...) - De manière générale, les premiers dessins ont pour but de comprendre l’objet dans sa globalité, en usant de différents point de vues, plan, perspective, axonométrie, leurs conférant un but exclusivement exploratoire ...


Dans un cadre opératoire complet, l’étude de tous ces dessins occupe en générale une petite équipe de chercheurs, pendant quelques temps, ce qui dans notre cas n’est pas tout à fait comparable. À défaut de nous écarter du sujet, il semble toutefois important de noter que cette étude rigoureuse des dessins ne relève cependant pas que d’une simple analyse. Bien au contraire, les enjeux principaux de la « critique génétique » ont premièrement pour but d’accroître les connaissances en histoire de l’art, dans le sens où elles représenteront in fine une banque de donnée importante, et permettront d’apporter une nouvelle lecture de l’histoire de l’architecture, lorsque cette analyse portera sur des édifices remarquables. D’autre part, cette analyse présente aussi un intérêt non négligeable pour le futur. Dans une époque ou l’informatique prend une place de plus en plus importante, effectuer une analyse des dessins de conception permettrait d’imaginer de nouveaux outils qui permettraient d’assister l’architecte dans sa pratique à l’image des logiciels interactifs, qui, soit dit en passant, commencent déjà à émerger. Ce travail sera donc l’objet d’une étude de cas, qui par la mise en application de la méthodologie pré-citée, tentera de nous éclairer sur la corrélation existante entre les divers modes de représentations graphique à travers les différentes phases du projet d’architecture.



Figure 1

I. Analyse du port de Naples 1.1 Mise en contexte Après une réflexion menée sur la ville de Naples et plus particulièrement sur sa zone portuaire, il apparait qu’une étude approfondie du site permette de comprendre les grands enjeux pour la ville. De par sa localisation, Naples a toujours connu une activité portuaire très importante qui s’est malheureusement faite au détriment de l’image de la ville, qui, à travers le temps vit sa veduta s’estomper. Du fait de l’expansion progressive du port, le site s’est vu ponctuer de multiples bâtiments « remarquables » totalement hétérogènes ayant chacun leur utilité propre. Parmi ceux-ci, on retrouve des édifices réalisés par Luigi Vanvitelli, Aldo Rossi, Luigi Cosenza, et bien d’autres encore, qui ont marqué à leurs manières l’identité du port, qui s’apparente de plus en plus à un cadavre exquis à l’échelle portuaire. Aujourd’hui, face à une délocalisation, les bâtiments se retrouvent perdus dans l’immensité de cette zone qui génère de vastes espaces vides non qualifiés, qui, par conséquent engendre une perte d’identité des bâtiments remarquables qui tombent dès lors en désuétude.

Dans le but de montrer la diversité des bâtiments et d’introduire à cette occasion le futur site qui occupera notre étude, il parait utile de mettre en pratique les notions que nous venons de développer sur le dessin technique pour faire une description poussée de ce site. Aux vues de l’hétérogénéité des bâtiments qui se trouvent sur la parcelle traitée, il s’agit de les présenter indépendamment de leur contexte, de façon objective pour en faire un état des lieux.

Figure 1 : Bloc 1 : Phase analytique / 13.09.2016 Bloc 2 : Dessin en mode assisté / Format A3 / Concepteur Bloc 3 : Axonométries éclatées / Cavalerie Royale - Mercato Ittico - Maison Portuaire - Silos / 1/500° Bloc 4 : Pas de précédence / Mise au net Figure 2 : Axonométrie éclatée, d’une partie du port de Naples. Figure 3 : Bloc 1 : Phase analytique / 18.09.2016 Bloc 2 : Dessin en mode assisté / Format A3 / Concepteur Bloc 3 : Élévations déployées / Cavalerie Royale - Mercato Ittico - Maison Portuaire / 1/200° Bloc 4 : Zoom avant / Mise au net

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Figure 2


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Figure 4

1.2 Mise en évidence des enjeux du site AMIRANTE, Roberta, architecte et enseignante à l’Università degli Studi di Napoli Federico II, À travers une analyse pointue réalisée au début des années 2000, cette dernière soulève de nouveaux questionnements quant au devenir du port, en vue de sa reconversion. Ce travail en profondeur permet de prendre conscience de la difficulté de concilier tous les enjeux des différents acteurs de la zone portuaire. L’acupuncture urbaine qu’elle propose, permet de concentrer les efforts sur des nœuds stratégiques, de respecter le patrimoine architectural et reconvertir les édifices devenus obsolètes. Cette médiation entre les autorités portuaires et les autorités de la ville de Naples permet d’éviter les prises de décision concentrées dans les mains d’une élite d’entrepreneurs et d’hommes d’affaires au profit d’acteurs proposant le développement public des espaces portuaires.

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Actuellement au cœur de débats politico-économiques, l’espace portuaire de Naples suscite depuis un certain temps déjà un intérêt tout particulier pour la ville, qui du fait de la délocalisation des activités portuaires vers l’Est, souhaite reconquérir une partie du port pour y réinjecter progressivement des usages urbains, entamant ainsi une mutation progressive de ce dernier, en vue de lui redonner une nouvelle Veduta depuis la mer. Cependant, le fait que cet espace soit propriété de l’autorité portuaire complexifie les rapports entre la ville et le port, entraînant inévitablement un jeu d’acteurs, où chacun essaye de tirer les ficelles en sa faveur. À l’image d’un langage de sourds muets, la situation ne s’améliore pas et nécessite une prise en compte rapide des deux partis pour essayer de trouver de communs accords pour revitaliser cet espace portuaire, sans y compromettre le développement des activités économiques qui s’y trouvent. Devant ces préoccupations, un certain nombre d’architectes tels que Luigi Cosenza, Aldo Rossi, ou encore Alvaro Siza ont imaginé réaliser des projets plus ou moins utopiques pour en amorcer une reconversion pro-

gressive. Pourtant loin de trouver des réponses acceptables à la question, il a fallu attendre l’arrivée de l’architecte Roberta Amirante1, qui, soucieuse du devenir du port eu le courage de mettre autour de la table les autorités portuaires et citadines dans le but d’amorcer un début de réponse concret qui nourrirait les intérêts de chacun. C’est donc par une compréhension très fine de la zone portuaire et par un recensement précis de chaque bâtiment qui s’y trouvait, que le problème pouvait être dès lors explicité. Comme évoqué dans la mise en contexte, l’espace portuaire présente une multitude de bâtiments remarquables, aujourd’hui totalement noyés dans ce gigantesque port industriel. Pourtant, aux vues de leurs qualités architecturales, ces derniers nécessitent d’être revalorisés, ce qui réaffirmerait d’une part l’identité de chacun d’eux et à plus grande échelle permettrait de révéler un paysage urbain tout à fait inédit, à fort potentiel. L’idée principale du master plan est donc de venir tirer parti du potentiel déjà présent sur le site en revalorisant cer-


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taines pièces urbaines, qui semblent fonctionner à l’image de grandes clés, agissant déjà comme une première liaison entre la ville et la mer. Dans le but de mener à bien la proposition, il est essentiel de préserver l’intégralité des bâtiments remarquables présents, pour en assurer leur pérennité, tout en prenant en compte cette volonté de vouloir étendre la ville sur l’espace portuaire sans en gêner les activités. Dans le cadre de ce travail de fin d’études, il a donc été nécessaire de faire un premier état des lieux qui s’est traduit par une série de dessins en perspective présentant l’atmosphère actuelle du site, et soulevant à cet effet quelques interrogations. L’usage des dessins en perspective permet, à la différence des dessins techniques, de faire l’état des lieux du site en prenant pour point de vue celui du spectateur, apportant une vision plus concrète des éléments qui le constituent. Sans rentrer dans un descriptif à proprement parlé des dessins, il me semble toutefois intéressant d’en expliquer briè-

vement la représentation, qui permet d’une part d’apporter une vision réaliste du site et d’autre part d’y déceler les enjeux pour envisager un début de réponse. Le premier dessin illustre le rapport actuellement difficile entre la Cavalerie Royale et le Mercato Ittico du fait de la présence d’une route qui semble les diviser. En se rendant sur le site, on se rend rapidement compte que les potentialités de ce dernier sont totalement inhibées par une série d’infrastructures qui, après réaménagement permettraient de rendre au lieu sa véritable identité. Le second dessin présente quant à lui la façade avant de la Cavalerie Royale. Pourtant tournée vers la ville, cette dernière semble totalement coupée de son contexte du fait de la présence de l’axe routier principal qui longe la zone portuaire sur toute sa longueur, soulignant la fracture entre la ville et le port. Fort de ces constatations, il a rapidement été question d’envisager un projet qui viendrait contrer cette scission et permettrait in fine « d’enjamber » les différents obstacles qui rendent actuellement impossible le lien entre la ville et la mer.

Figure 4 : Bloc 1 : Phase analytique / 23.10.2016 Bloc 2 : Dessin physique / Format A4 / Papier / Concepteur Bloc 3 : Perspective relation Mercato Ittico et Cavalerie Royale Bloc 4 : Zoom avant / Croquis Figure 5 : Bloc 1 : Phase analytique / 23.10.2016 Bloc 2 : Dessin physique / Format A4 / Papier / Concepteur Bloc 3 : Perspective, Façade avant Cavalerie Royale Bloc 4 : Même zoom / Croquis

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II. Élaboration du projet 2.1 Au début, une image Comme nous l’avons évoqué lors de la première partie, le site portuaire de Naples présente certains appendices du fait de la délocalisation des activités portuaires vers l’Est de la ville. Cette délocalisation laisse derrière elle des zones vides qui potentiellement représentent un intérêt extrêmement intéressant pour offrir à la ville de nouveaux espaces publics, à son échelle. Cette zone portuaire, présente par ailleurs un patrimoine portuaire insoupçonné qui tend progressivement à s’effacer devant le déclin des activités maritimes. C’est donc dans ce contexte, que le projet voit le jour, partant des observations accumulées lors de l’étude de site. Devant l’immensité et le manque de structure d’une telle zone portuaire, la « première pensée » est d’imaginer tracer une grande ligne à travers le site, qui permette de venir restructurer les différents bâtiments remarquables le long d’un axe. Cette dernière permettrait de tirer parti de cette longue droite, franchissant les différents obstacles qui obstruent le lien entre la ville et la mer, pour imaginer une sorte de parcours, qui mène-

rait les napolitains à la rencontre d’un patrimoine délaissé, tout en les conduisant progressivement jusqu’à la mer. Cette image génératrice se traduit donc sous la forme d’une longue coursive supportée par une succession d’arcades qui vient rythmer les espaces situés entre les bâtiments remarquables. Cette « image mentale » semblant au premier abord assez monumentale, est en réalité l’essence de ce qui fera par la suite le projet. À mieux y regarder, tracer une longue ligne permet d’apporter une certaine cohérence et une nouvelle lecture linéaire du lieu. Ainsi, ce site qui se lisait initialement de façon autonome prend progressivement du corps, tout en réaffirmant les différents espaces. Toutefois, le danger d’une telle image est de la prendre pour argent comptant. La production graphique est à voir comme un moyen avec lequel il faut composer. L’architecte doit pour cela posséder un certain nombre de qualités qui lui seront essentielles tout au long de ce processus. En effet, ce dernier devra se libérer de ce qui semble être trois formes de blocage de « l’imagination créatrice » en particulier :

Figure 6 : Bloc 1 : Phase de conception / 19.02.2017 Bloc 2 : Dessin physique / Format A3 / Calque / Concepteur Bloc 3 : Coupe longitudinale / 1/1000° Bloc 4 : Zoom arrière / Croquis d’intention / Point de départ coursive

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CONAN, Michel, Concevoir un projet d’architecture, L’Harmattan, 1990, p. 44.

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Ibid, p. 45.

- La perception stéréotypée : l’image que le concepteur a du projet n’est pas nécessairement « conforme » au projet à réaliser. En effet, cette première image telle que nous l’avons qualifiée plus haut d’« image-idée », peut venir parasiter l’afflux d’autres intentions qui seraient susceptibles de venir alimenter cette phase de recherche. La perception stéréotypée apparait donc comme un frein plus qu’un point d’appui pour commencer le projet. - Le blocage culturel : partant du principe que l’architecte débute tout projet avec ce que nous qualifions de « déjà-là », il est nécessaire de pouvoir faire preuve d’empathie. L’architecte ne concevant pas quelque chose pour lui, doit nécessairement se mettre à la place de son client, pour comprendre ses attentes et ses ressentis. Il y a donc là une notion extrêmement difficile à intégrer en tant que professionnel, car pour mener à bien un tel ouvrage, il est nécessaire de garder un « esprit ouvert ».

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- L’incapacité à adopter des points de vues différents : Chaque concepteur a (ou croit avoir) un bagage de références et opère des choix parmi les éléments qu’il connait, introduisant par une argumentation plus ou moins systématique, des hiérarchies, des règles de composition.2 « Certains architectes disent que pour concevoir un projet, il faut commencer avec « une image » afin de donner de la cohérence et de l’ordre au tout ... Au lieu de cela il doit commencer avec l’esprit vide ».3


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2.2 Remise en question de l’ « image mentale » Devant la force d’une telle intention, il est important de porter un jugement qualitatif et objectif de ce qui est représenté, en l’analysant sous toutes ses coutures. Il est effectivement bien de tirer des lignes directrices pour structurer un paysage mais, dans un second temps, il faut bien veiller à spatialiser les formes pour donner du corps au projet. C’est d’ailleurs ce que l’on peut observer sur ce croquis où l’on voit apparaître des « zones cerclées » qui ont pour intérêt de générer des espaces. Il y a donc d’un côté la première intention de « tirer un trait » à travers le paysage qui révèle une intention qui aurait tout à fait pu être réalisée par le commanditaire du projet, et dans un second temps la spatialisation de cette ligne par la révélation des sols qui amorce le travail. La phase de conception a d’intéressant qu’elle est un processus complètement libre, mais doit cependant répondre à une seule règle, tirer parti du site en valorisant l’existant, le contexte. C’est donc après avoir produit cette première image que le véritable travail commence ! Pour mener à bien le processus de conception, nous devons composer avec une série d’outils, tels

que le dessin physique ou assisté, la maquette, le croquis, le but étant d’arriver à une œuvre cohérente. Concentrons-nous plus particulièrement sur l’apport des dessins physiques et des croquis perspectifs durant cette phase. L’élaboration d’une multitude de représentations graphiques a permis d’une part d’analyser l’objet initial, et de le restituer dans son contexte à l’aide de moyens simples. C’est pourquoi, après cette première image mentale en coupe, il a fallu y confronter ses caractéristiques en plan. Afin de débuter le plus simplement et le plus efficacement cette analyse, le rôle de la coupe et du plan parait primordial. En effet, grâce à leurs caractéristiques bi-dimensionnelles, il est possible de comprendre et de remettre en question très rapidement ce que l’on fait. C’est donc en effectuant une seconde coupe transversalement à la parcelle et en y griffonnant un plan de masse que les premiers enjeux apparaissent dans leur globalité, confrontant ainsi l’image mentale de départ avec la concrétude du site.

Figure 7 : Bloc 1 : Phase de conception / 19.02.2017 Bloc 2 : Dessin physique / Format A3 / Calque / Concepteur Bloc 3 : Plan de masse / 1/2000° Bloc 4 : Zoom arrière / Croquis d’intention / Retrouvé avant

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Sur le plan d’implantation, nous comprenons rapidement les enjeux d’une telle ligne directrice, qui vient réorganiser le site tout en générant de nouveaux espaces. Situé à la limite entre le quartier d’habitation à proximité de la piazza Garibaldi et de la zone industrielle, cet axe traversant les différents bâtiments permet d’une part de générer un filtre pour créer la transition entre ces deux espaces, tout en assurant la liaison ville/mer. Les informations délivrées par la figure 6 sont essentielles car elles complètent les données du plan. En effet, le plan traduit plutôt une volonté de rupture entre les espaces marqués par un trait plus prononcé alors que la coupe montre quant à elle des enjeux de matérialité bien différents. On imagine d’ailleurs facilement de grandes arches réalisées en pierres locales qui matérialiseraient la coursive qui liant les bâtiments entre eux. Cependant, au-dessus de ce premier plan de masse, on remarque la présence d’une autre coupe, effectuée dans le sens transversal. Cette dernière ne fait apparaître que très légèrement le projet, et sera donc rapidement remplacée par une coupe longitudinale 20

plus précise représentant la structure des différents bâtiments présents. Grâce à ce dytique plan/coupe, nous avons pu efficacement mettre en évidence les multiples caractéristiques d’un tel objet dans son contexte immédiat, et apporter un regard critique sur cette première production graphique.


Figure 8

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À la suite de ce travail en géométral, s’ajoute une deuxième phase qui s’apparente à une vision dynamique du lieu reprise dans la première partie de cet écrit. C’est ainsi que se sont succédés une série de croquis perspectifs fonctionnant à la manière de séquences visuelles dans le but de comprendre l’intérêt d’un tel axe tracé à travers la ville, tout en s’immergeant au sein de ce site particulier, transformant ainsi la ligne de départ en une spatialité. À cet instant, nous comprenons les enjeux, et le sens d’une telle ligne directrice. Chaque séquence visuelle apporte ici des informations supplémentaires quant à l’intérêt de cette coursive. C’est donc en partant de la ville qu’un premier obstacle nous apparait. Un axe carrossable important empêche le franchissement depuis le trottoir. Une telle coursive présente donc comme intérêt de pouvoir enjamber aisément cette route principale, facilitant par là le parcours des napolitains et affirmant le parti de base qui est de relier la ville à la mer. Par ailleurs, on retrouve la relation entre la Cavalerie Royale et la coursive avec la présence d’une cour extérieure

présentant déjà une loggia similaire. C’est ensuite par la transposition visuelle que nous nous retrouvons sur la coursive à la place du piéton qui regarde en direction de la zone industrielle. La quatrième séquence visuelle souligne quant à elle quelques problèmes dans le sens où elle montre le conflit qui existe entre le Mercato Ittico et la coursive, remettant en question la présence de cette dernière à cet endroit. Cependant, représenter cet état de fait, a pour intérêt de pousser le « raisonnement de la coursive » jusqu’à son terme. En effet il est essentiel lors du processus de conception de pousser les réflexions et raisonnements à bout, même si les idées ne conviennent forcément pas à la totalité du site.

Figures 8 / 9 / 10 / 11 : Bloc 1 : Phase de conception / 20.02.2017 Bloc 2 : Dessin physique / Format A4 / Papier / Concepteur Bloc 3 : Perspective Bloc 4 : Zoom avant / Séquence visuelle / Retrouvé avant

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Figure 12 : Bloc 1 : Phase de conception / 20.02.2017 Bloc 2 : Dessin physique / Format A4 / Papier / Concepteur Bloc 3 : Perspective Bloc 4 : Zoom avant / Séquence visuelle / Retrouvé avant Figure 13 : Bloc 1 : Phase de conception / 21.02.2017 / 18h31 Bloc 2 : Dessin physique / Format A3 / Calque / Concepteur / Annoté Bloc 3 : Axonométrie du site avec coursive Bloc 4 : Zoom arrière / Retrouvé avant / Premiers questionnements

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Enfin, la dernière séquence visuelle présente la rencontre entre la coursive et les anciens silos à grains qui apparaissent comme le point d’honneur de cette promenade en direction de la mer. Ces silos feront d’ailleurs partie dans la suite du processus d’un intérêt particulier que nous développerons. Par la multitude de représentations graphiques et grâce au recul pris par rapport à cette production il a été possible de porter un premier regard critique et analytique sur cette première image, où commencent déjà à émerger de nouveaux questionnements qui permettront d’affiner le projet à mesure que les représentations afflueront.


Figure 12


Figure 13



2.3 Alternance du dessin flou et du dessin précis Pratiquement, la façon d’explorer des problèmes en vue d’aboutir à une solution se traduit par l’alternance de dessins flous et de dessins précis intervenant à des moments indéfinis (sans logique apparente) tout au long du processus de conception du projet. En effet, les pratiques graphiques et les formes de représentation ne sont jamais définies de manière absolue, a priori, mais sont toujours le produit d’une construction et ne prennent tout leur sens qu’au regard du contexte dans lequel elles s’inscrivent. En ce sens, il ne s’agit pas d’objets figés mais d’objets toujours susceptibles de transformations. En conséquence, les pratiques graphiques doivent être étudiées dans une perspective dynamique. Le problème étant maintenant posé de façon générale, il s’agit de le fractionner en ce que nous pourrions qualifier de sous-projets, où chacun répondrait à des contraintes différentes, enrichissant par là le processus, et menant progressivement à une production convergente. Bien que la première image soit souvent une évocation manuelle des envies du concepteur, les fu26

tures représentations se devront de posséder des caractéristiques plus claires en vue de répondre à des problèmes concrets. Rester dans des représentations trop « floues » aurait pour conséquence de noyer le concepteur dans un flot d’images, qu’il ne parviendrait pas à trier. C’est pourquoi revenir à des représentations en géométral, (où des dessins plus nets) permet de fixer le problème plus clairement. Une certaine logique veut que cette alternance de dessins flous et précis agisse comme une spirale convergente, où les dessins flous ont pour but d’apporter une dimension subjective au projet qui sera par la suite remise en question par une mise au net, grâce au dessin précis. Dans les représentations précédemment illustrées, nous commençons à voir émerger une série de questions (figure 13 ) qui a pour but de soulever les problèmes que pose les choix précédents :

- - -

« Comment créer la liaison ? » « Pilotis ? » « Pour aller où ? »


Figure 14

Ces questionnements apparaissent comme des « signaux d’alerte » qui ont pour but d’avertir sur la faisabilité des propositions. Ces derniers n’ont d’ailleurs vu le jour qu’après avoir dessiné la situation, ce qui souligne le rôle important du dessin dans la fabrique du jugement. En réaction à ces « alertes », il est nécessaire de passer à une nouvelle échelle, pour se rendre compte des effets qu’une telle décision produit.

Figure 14 : Bloc 1 : Phase de conception / 21.02.2017 / 15h10 Bloc 2 : Dessin physique / Format A4 / Papier / Concepteur Bloc 3 : Plan Silos / Sans échelle / Proportionnelle Bloc 4 : Zoom avant / esquisse / Premier dessin

Dans le croquis présenté, la question des liaisons entre les différents bâtiments est effectivement soulevée et nécessite alors une réponse. C’est ainsi, qu’il a été question de retravailler la jonction entre la coursive et les silos, en « zoomant » sur cet aspect particulier du projet, dans le but de la résoudre. On assiste donc à une sorte de saut conceptuel au sein même du processus de conception que nous développerons par la suite et qui justifie quant à elle un changement d’échelle.

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Figure 15

Figure 15 : Bloc 1 : Phase de conception / 21.02.2017 / 15h01 Bloc 2 : Dessin physique / Format A4 / Calque / Concepteur Bloc 3 : Plan Silos / Sans échelle / Proportionnelle Bloc 4 : Même zoom / Recherche spatiale / Retrouvé avant

Ce « zoom » effectué sur les silos renferme en réalité beaucoup d’éléments. En effet, il symbolise premièrement la relation pour le moment « conflictuelle » entre la coursive qui semble s’interrompre sur la façade et les silos. Cependant à bien y regarder, elle amorce déjà un début de réponse ! En effet, ce dessin indique aussi la structure des silos représentée par les points noirs. On comprend rapidement que le bâtiment acquiert sa stabilité par la présence de ces immenses colonnes qui le traversent du sol au plafond, offrant au rez un plan libre qui permettrait d’accueillir différentes activités, directement en lien avec la mer (située en bas du dessin). C’est donc devant les caractéristiques d’un tel bâtiment que la relation avec la coursive va progressivement mûrir et fera l’objet de dessin plus précis dans la suite de ce travail. L’ébauche de la structure interne des silos vue dans le croquis précédent, a cependant produit une sorte de « virage conceptuel » qui amène à laisser de côté la relation coursive/silos, en traitant l’intérieur des silos dans le but de les réaffecter. Partant

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de cette idée, s’en suit une série de dessins en plan puis en coupe qui proposent quelques aménagements possibles, qui n’en restent cependant encore qu’au stade d’ébauche rapide. Dans l’intégralité de ces dessins, on remarque une volonté de préservation de la structure en venant y intégrer ce qui semble pour le moment être une grande salle de spectacle. De par sa localisation en bord de mer, et en bout de coursive, il parait évident que ce bâtiment doit accueillir une série d’activités qui bénéficierait aux napolitains, et marquerait « le clou du spectacle ». Nourrissant toujours plus un univers idéalisé, il parait désormais important de prendre du recul par rapport à cette production, et force est de constater que malgré la multitude de croquis, le projet n’acquiert toujours pas de caractéristiques plus concrètes. Aux vues de ces observations, il semblerait qu’il faille entrer dans une nouvelle phase de production pour vérifier si en termes de dimensionnement un tel programme peut s’y installer.


Figure 16

S’en est donc suivit, une importante phase de recherches de références dans le but d’enrichir le projet et d’entrer progressivement dans une forme de concrétude en abordant des questions d’échelle. Jusqu’à présent il n’était pas encore question d’échelle mais plutôt de « stratégie spatiale » qui aurait pour but de régler des problèmes que nous pourrions qualifier de « premier ordre ». Parmi les différentes références qui ont attiré mon attention, il m’a paru intéressant de souligner l’apport des proportions de l’illustre Opéra Garnier de Paris, réalisé par Charles Garnier, qui a conduit à la production d’une image référence (figure 16). Ce travail de référencement a eu pour intérêt de confronter le travail préalable représenté par les multiples plans des silos effectués à la main, et celui d’une réalité constructive et dimensionnelle alimentant d’une certaine façon le projet en cours de maturation. Par ce pré-dimensionnement, il est plus facile d’imaginer la place de chaque chose, replacé dans leur contexte précis. C’est d’ailleurs cu-

rieusement à ce moment-ci que l’on voit apparaître les premières silhouettes humaines qui viennent habiter les différents dessins et donner une échelle au lieu (figure 17). Ainsi, confronter différents degrés de précision au cours du processus de façon simultanée (structure, fonction, usage, ...) oblige les différentes composantes du projet à se combiner mutuellement, menant à ce que Jean-Charles Lebahar appelle la « réduction d’incertitude ».4 Partant de ces observations, il est évident que tout processus de conception doit être compris de façon dynamique au cours duquel on se doit d’être un médiateur actif. L’alternance de dessins flous et de dessins précis fait donc partie intégrante de ce processus, et permet d’effectuer des sauts progressifs vers une solution.

Figure 16 : Bloc 1 : Phase de conception / 22.02.2017 / 16h44 Bloc 2 : Dessin Assisté / Format A3 / Papier / Concepteur Bloc 3 : Collage / Sans échelle Bloc 4 : Même zoom / Référence / Mise au net / Dessin d’intention / Premier dessin Figure 17 : Bloc 1 : Phase de conception / 21.02.2017 / 16h21 Bloc 2 : Dessin physique / Format A4 / Papier / Concepteur Bloc 3 : Coupe Silos / Sans échelle / Proportionnelle Bloc 4 : Même zoom/ Recherche spatiale / Retrouvé avant 4

LEBAHAR, Jean Charles, Le dessin d’architecture, simulation graphique et réduction d’incertitude, France, Parenthèses, Presse Universitaire de France, 1983.

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Figure 17


2.4 De l’essai à l’hésitation Au sein du processus de conception que nous menons, il a évidemment été question d’effectuer des retours en arrière lorsque le projet prenait une direction définitivement trop éloignée de l’objectif (indéfini), où lorsque après une certaine quantité de dessins effectués, le problème tendait à se stabiliser. Il est apparu que les itérations peuvent avoir plusieurs caractéristiques. En effet les retours en amont du processus se retrouvent d’une part lorsque l’on fait fausse route, ou pense faire fausse route (la solution étant dite heuristique5, non prédéfini), ou alors simplement lorsque dans la continuité du processus, on souhaite porter un intérêt plus important sur tel ou tel aspect du projet, menant à emprunter une sorte de « chemin parallèle » à l’axe principal, obligeant par la suite à revenir sur le point laissé en suspens pour faire aboutir le projet. Cette multitude de chemins possibles confère au processus de conception une dimension qui semble s’opposer à cette figure linéaire développée par bon nombre de théoricien de l’architecture. Rétrospectivement, le chemin conceptuel semble effectivement converger vers une solution à mesure

que les choix sont posés, mais lorsque l’architecte est en cours de conception, le chemin parait bien plus complexe. En effet toutes ces hésitations, essais et retours en arrière confèrent à la conception une dimension spatiale plutôt que linéaire.

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CLAEYS, Damien, Architecture et complexité : un modèle systémique du processus de (co)conception qui vise l’architecture, p. 167.

Ce fait s’est d’ailleurs vu illustrer lors du point (2.3 Alternance du dessin flou et du dessin précis) où la jonction entre la coursive et les silos pris un caractère secondaire par rapport à l’aménagement de l’intérieur de ces derniers. C’est donc seulement après avoir avancé dans la compréhension et le dimensionnement des silos et de leur possible aménagement que ce retour en amont du processus a été possible. Pour essayer de mieux comprendre le problème qui n’est pour le moment représenté que sous forme de plan réalisé à la main, il semble important de repartir de l’image mentale du début (figure 6) en la remettant au net pour lui apporter une certaine clarté. 31


Figure 6

Figure 18

Figure 6 : Bloc 1 : Phase de conception / 19.02.2017 Bloc 2 : Dessin physique / Format A3 / Calque / Concepteur Bloc 3 : Coupe longitudinale / 1/1000° Bloc 4 : Zoom arrière / Croquis d’intention / Point de départ coursive Figure 18 : Bloc 1 : Phase de conception / 01.03.2017 / 11h33 Bloc 2 : Dessin assisté / Format A3 / Papier / Concepteur - Co-Promoteur Bloc 3 : Coupe longue / 1/1000° Bloc 4 : Zoom avant / Mise au net du dessin 19.02.2017 / Retrouvé avant

L’alternance du dessin flou et du dessin précis faisant pourtant partie du paragraphe précédent, il parait étonnant de le voir ré-apparaître dans cette partie pourtant dédiée aux itérations. Face à cette constatation, il semble important d’en expliquer la raison. Bien que le processus de conception fasse intervenir des notions différentes, il n’en est pas moins un processus global où chacune de ces dernières peut soit apparaître de façon autonome, ou au contraire faire partie intégrante du processus global, mêlant à la fois les principes de l’itération, de l’alternance des dessins flous et précis, etc., nous obligeant à traiter différents aspects simultanément, ce qui montre à cette occasion la mécanique complexe qui se cache derrière le processus de conception. Repartons donc de l’image mentale remise au net pour continuer le développement de ce processus : Ce retour en arrière est l’illustration même du processus itératif, en effet, le travail réalisé en amont représente une importante quantité de données qui

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interviendront ou pas, à un moment ou un autre dans le processus et qu’il est important de convoquer à tout moment pour faire évoluer le processus de conception. Le problème qui nous intéressait initialement était donc le rapport entre la coursive et les silos, c’est pourquoi la mise au net de la première image (déjà porteuse de cette idée) à l’aide de l’outil informatique présentait cette relation sans pour autant y apporter un élément de réponse. Puisons donc dans nos outils de représentation, et voyons ce qu’une vue axonométrique aurait à dire de cette situation.


Figure 19

Cette vue axonométrique a pour intérêt de montrer la coursive dans sa globalité, indiquant les différents enjeux qui existent entre les différents bâtiments et la coursive, en même temps qu’elle montre les différents espaces que cela crée. Elle permet de refermer des places qui acquièrent dés lors des caractères mieux définis qu’initialement. Ainsi, on constate que la première intention qui se traduisait par une ligne directrice (figure 6) se transforme progressivement en spatialité. À cette axonométrie s’ajoutent des annotations au crayon qui ont quant à elles permis de mettre en évidence les faiblesses d’une telle représentation. Malgré le fait qu’elle semble montrer un intérêt global pour la compréhension du site, elle fait en réalité totalement abstraction des relations qui existent entre les bâtiments et ce nouvel axe formé. À cet égard, on constate que le point de vue de ce dessin est en fait mal choisi. En effet, les silos cachent totalement le rapport avec la coursive au même titre que le Mercato Ittico obstrue le rapport, ce qui dans notre cas ne fait pas évoluer le problème, car ce dernier ne peut pas être réglé de ce point de vue.

Il faut donc comprendre que le choix d’une représentation en axonométrie ne résout pas les problèmes si son emploi n’est pas réfléchi auparavant. Il est donc regrettable qu’après une telle quantité de temps passé à réaliser une axonométrie fine à l’ordinateur, nous n’ayons pas un résultat à la hauteur de nos espérances. Nous pointons ici un problème fondamental du dessin en mode assisté. Ce dernier étant reconnu pour sa rapidité d’exécution, il semble toutefois que devant la planification de règles de base complexes nécessaire à sa mise en œuvre, il devienne un outil parfois trompeur dans la conception, comme le souligne Gérard Lauret6. L’architecte qui souhaite réaliser son dessin à la machine doit se soumettre à une organisation particulière qui lui est extérieure car dictée par le logiciel, pouvant dans certains cas aller à l’encontre de l’émulation nécessaire lors de la phase de conception et contrastant avec une certaine spontanéité du dessin à main levée. C’est pourquoi, naturellement s’en suit, après cette expérience une nouvelle production graphique manuelle conséquente, profitant de cette facilité d’usage et de son intuitivité,

Figure 19 : Bloc 1 : Phase de conception / 01.03.2017 / 11h35 Bloc 2 : Dessin assisté / Format A1 / Papier / Concepteur - Co-Promoteur / Annoté Bloc 3 : Axonométrie du Site Coursive Bloc 4 : Même zoom / Mise au net du dessin 21.02.2017 -18h40 LAURET, Gérard, architecte praticien, définit en trois points, les méthodes d’organisation que le concepteur doit préalablement mettre en œuvre pour utiliser pleinement la capacité de ces logiciels : « 1- Fractionner le dessin en fonction du tracé automatique (dans le but de pouvoir gérer ultérieurement l’épaisseur d’un paquet de traits simultanément) 2- Fractionner la saisie pour optimiser la visualisation 3- répartir les objets constituants le plan en fonction de leurs utilisations dans le processus de production du projet … ».

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Figure 20

Figure 21

Figure 20 : Bloc 1 : Phase de conception / 11.03.2017 / 19h03 Bloc 2 : Dessin physique / Format A3 / Calque / Concepteur / Annoté Bloc 3 : Plan de masse / 1/2000° Bloc 4 : Même zoom / Recherche volumétrique coursive Figure 21 : Bloc 1 : Phase de conception / 22.03.2017 / 17h04 Bloc 2 : Dessin physique / Format A3 / Concepteur Bloc 3 : Plan coursive - sol / Sans échelle Bloc 4 : Même zoom / Croquis de recherche Figure 22 : Bloc 1 : Phase de conception / 13.03.2017 / 10h56 Bloc 2 : Dessin physique / Format A3 / Calque / Concepteur / Annoté Bloc 3 : Plan Coursive / 1/2000° Bloc 4 : Même zoom / Recherche volumétrique coursive

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alternant à la fois les plans et les axonométries depuis des points de vue différents. C’est au cours de cette production, que l’on commence à voir émerger des formes de coursive qui se développent dans l’espace et qui commencent à s’articuler par rapport aux différents bâtiments leur offrant une certaine autonomie et allant parfois jusque dans la mer. Puis, dans cette profusion de dessins, on y voit émerger en parallèle à l’image d’un saut conceptuel, la structure des silos avec la coursive qui les traversent de part en part, marquant un souci de vouloir régler cette liaison entre les deux entités, et soulevant des questions d’ordre organisationnel. Ce travail de recherche alliant des intentions en plan et en coupe, s’est rapidement traduit en dessin en mode assisté qui permit d’atteindre une plus grande précision comme nous l’avons déjà évoqué et présente de ce fait, pour la première fois la structure réelle des silos avec une première intention de circulation. C’est à mesure que le projet évolue que de nouvelles questions émergent, telles que celles de l’emplacement des

circulations, des méthodes constructives, de la matérialité, amorçant l’entrée dans une nouvelle phase du projet et renforçant la singularité de celui-ci (figures 23-24).


Figure 22


Figure 23

Figure 23 : Bloc 1 : Phase de conception / 15.03.2017 / 00h34 Bloc 2 : Dessin physique / Format A3 / Calque / Concepteur Bloc 3 : Plan Silos / 1/500° Bloc 4 : Même zoom / Esquisse / Recherche fonctionnelle Figure 24 : Bloc 1 : Phase de conception / 15.03.2017 / 00h34 Bloc 2 : Dessin assisté / Format A3 / Papier / Concepteur - Co-Promoteur Bloc 3 : Plan Silos / 1/500° Bloc 4 : Même zoom / Mise au net

Figure 24

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2.5 La singularité du projet Force est de constater que le projet se concentre de proche en proche vers le silo, la majorité des dessins qui suivent traitent de ce qui semble le présenter comme l’élément singulier du projet. Ce choix de réhabiliter le patrimoine portuaire et plus particulièrement les silos, est un acte éminemment contemporain qui est le reflet d’une volonté de revaloriser l’existant en profitant des espaces qui sont déjà présents. À une autre époque, ces silos auraient probablement été détruits pour permettre la construction d’un nouvel édifice. Il y a donc actuellement une volonté de préserver le patrimoine qui fait aujourd’hui partie intégrante de ce paysage urbain, et qui dans notre cas fabrique la Veduta de Naples. Devant la mise au net de plus en plus évidente de la structure et de l’aménagement possible des silos, il devient nécessaire de penser de manière plus pragmatique à la reconversion de ces derniers. C’est pourquoi, repartant dans un processus de recherche à la main, certaines questions commencent à émerger :

- Quelles activités pour quels usages ? - L’apport de lumière au cœur du bâtiment. - L’emplacement des circulations à travers le bâtiment. C’est donc en recherche de solutions face à cette série de questions qu’une nouvelle phase de projet voit le jour. Il est tout d’abord important de se poser la question de la préservation du plus grand nombre de silos. C’est alors qu’un retour sur les choix passés, a poussé le programme initialement imaginé à l’image d’une grande salle de spectacle (figure 16) a être finalement abandonné. En effet, imaginer une telle activité dans une structure comme celle-là, conduit inévitablement à la suppression de tous les silos situés à l’intérieur du bâtiment, ce qui en plus d’être une solution inappropriée pose de réels problèmes de stabilité. Il est donc nécessaire de réfléchir à un nouveau programme qui s’adapterait mieux à la structure et qui fonctionnerait avec le contexte portuaire. Pour cela, il est utile de voir le problème de 37


Figure 25

Figure 25 : Bloc 1 : Phase de conception / 21.03.2017 / 21h47 Bloc 2 : Dessin physique / Format A1 / Calque / Concepteur Bloc 3 : Plan / 1/1000° Bloc 4 : Même zoom / Mise au net

façon plus générale en repartant à une vision plus globale du site et de ses enjeux. Dans cette intention initiale de relier la ville à la mer, la coursive (représentée en noir) commence à s’étendre sur l’eau afin d’offrir une sorte de belvédère en surplomb de la mer. Cependant, étant donné l’investissement économique que cette structure représente, il faut créer une activité au sein de cette coursive pour y apporter de la vie et y développer des activités. C’est donc à l’image d’un « éclair conceptuel » dont nous parlions précédemment que l’idée a été d’amarrer les bateaux de pêche le long de cet axe, afin de leur permettre de transporter leurs cargaisons jusqu’aux silos, pour y traiter et vendre leur poisson. Une telle économie présente un intérêt à la fois pour la ville et pour l’activité portuaire. C’est ainsi que l’idée de créer une halle de marché aux poissons au rez, et une usine de traitement de ce dernier à l’intérieur des silos a vu le jour, fusionnant à la fois usage et forme architecturale.

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Afin de ne pas retomber dans l’écueil précédent à savoir la destruction de tous les silos intérieurs, il faut d’une part comprendre le fonctionnement d’une telle structure et ensuite de venir « jouer » avec elle pour créer des espaces inédits au sein de ce bâtiment. Au fil de l’évolution du projet, et de l’alternance des dessins précis et flous, l’identité du projet se forge !


Figure 26

Dans la suite des dessins, on constate la présence importante de plans à la différence des autres moyens de représentation précités. Le plan apparait effectivement être une synthèse de plusieurs problèmes, et un moyen de coordination, en ce sens qu’il permet de capter un maximum d’informations de façon immédiate avec un minimum de moyen graphique, tout en conservant le réalisme des solutions proposées. En effet, il permet de traiter les espaces de façon globale, tout en gardant un œil sur la composition générale du projet. On remarque donc que plus la solution est proche de son état définitif, plus elle est géométrique, immobilisant en un sens les fonctions les unes par rapport aux autres. Alors que tout se déplaçait aisément au cours du processus du fait de l’incertitude encore latente, le projet, en fin de conception acquiert une logique qui le fige naturellement. C’est à ce moment du processus, que l’on s’aperçoit que tous les efforts menés, les ratures accumulées, la succession d’itérations, au cours du processus conceptuel trouvent enfin une logique grâce au plan.

Figure 26 : Bloc 1 : Phase de conception / 16.03.2017 / 10h20 Bloc 2 : Dessin assisté / Format A1 / Papier / Concepteur Bloc 3 : Plan Silos / 1/500° Bloc 4 : Même zoom / Mise au net / Recherches spatiales

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Figure 27

Figure 27 / 28 : Bloc 1 : Phase de conception / 17.03.2017 / 09h12 Bloc 2 : Dessin assisté / Format A1 / Concepteur Bloc 3 : Plan Silos / 1/500° Bloc 4 : Même zoom / Recherche fonctionnelle Figure 29 : Bloc 1 : Phase de conception / 25.03.2017 / 20h16 Bloc 2 : Dessin physique / Format A3 / Concepteur Bloc 3 : Coupe longue / 1/1000° Bloc 4 : Zoom avant / Croquis de recherche

Figure 28

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Figure 29


III. Communication du projet

䴀䄀匀吀䔀刀 倀䰀䄀一 刀伀䈀䔀刀吀䄀 䄀䴀䤀刀䄀一吀䔀 ⴀ  ㄀⼀㔀 뀀 ⴀ 䰀䔀 䈀伀匀 䔀䴀䔀刀䤀䌀


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P

ar cette étude de cas, il a été possible d’illustrer les principes théoriques expliqués parallèlement, tout en les re-situant dans un contexte bien défini. Face aux enjeux contemporains auxquels la ville de Naples est confrontée, l’objet de cette partie pratique fut dans un premier temps, d’apporter une réponse à la problématique portuaire. Puis rétrospectivement, elle a permis d’observer concrètement la succession de dessins qui s’opère durant la genèse du projet, grâce à la mise en place d’une méthodologie et du synoptique général. Partant du constat réalisé par l’architecte Roberta Amirante en ce qui concerne le port de Naples, le choix de porter une attention toute particulière dans ce projet, au patrimoine industriel présent sur le site en l’intégrant dans la proposition, est a re-situer dans une façon d’aborder l’architecture, qui est quant à elle, le reflet de préoccupations éminemment contemporaine. À une époque antérieure, les architectes auraient certainement bâti un édifice en démolissant les silos, afin de bénéficier de la proximité directe de la mer et jouir d’une localisation idéale. Le projet que nous venons de développer tente quant à lui, d’apporter un maximum de réponses à une problématique très vive, en conservant l’intégralité des silos, qui font partie intégrante de la Veduta actuelle de Naples.

C’est donc dans le respect de ces préoccupations, qu’il a été possible de construire un projet raisonné, se traduisant initialement par une longue coursive à travers le paysage. Ce n’est qu’au cours de ce processus conceptuel que nous avons pu constater une sorte de dilatation de la coursive qui a permis de mettre en évidence que les enjeux d’un tel site ne pouvaient se régler de façon linéaire mais plutôt de façon spatiale. Malgré le fait que cette dernière apporte des réponses concrètes à certains endroits bien précis, le danger d’un tel édifice, aurait été de ne rester qu’une simple ligne. En effet, la qualité d’un architecte se révèle à sa faculté de spatialiser les espaces qu’il conçoit, ce qui dans le cas présent, nous a mené à une réflexion sur la qualification des sols et leurs futurs devenirs. À la suite de quoi, nous avons constaté, à l’image d’un dessin flou, que la coursive, initialement continue sur l’intégralité du parcours, commençait déjà à s’estomper progressivement laissant place à des espaces désormais mieux qualifiés. Portant un regard rétrospectif sur ce travail, nous avons été en mesure d’affirmer les constatations de P-M De Biasi à propos de la critique génétique, qui soulignait le fait que chaque genèse étant singulière, il résidait toutefois certaines « constantes et des régularités » au niveau du processus de conception. En effet, il a constaté que l’identité du projet était souvent déjà présente sous différentes formes (schéma, croquis, vue d’ensemble...) dès les premiers dessins, ce qui dans notre cas s’est avéré être tout à fait exact (Cf. figure 6). Par ailleurs il soulignait l’importance d’adopter, en début de processus, différents points de vue pour voir l’objet de façon globale. Ceci s’est à nouveau, vérifié, avec l’emploi, en première partie, de multiple vues en plan, coupe, et séquences visuelles, conférant à cette démarche, un but exclusivement exploratoire, indiquant la résurgence du dessin initial en cours d’examen. Le synoptique général de ce travail, présenté en annexe, apparait donc comme l’outil de cette étude basé sur le dessin. Nous avons pu constater ainsi que le dessin assisté par ordinateur, n’a majoritairement pas été un outil de recherche à proprement parlé durant la genèse, mais eut pour intérêt de clarifier les idées réalisées préalablement à la main. Cela nous laisse donc penser que ce dernier, de par ses caractéristiques intrinsèques, nui à une certaine spontanéité nécessaire. A contrario, du fait de sa facilité d’usage, et de son caractère très intuitif, le dessin physique est un outil qui s’adapte mieux à la recherche graphique, soulignant la présence d’une étroite corrélation existante avec l’esprit réflexif que développe l’architecte. L’outil informatique permet, à mesure que le projet se concrétise, de confronter les dessins physiques à une réalité impartiale. À la différence de la main dont le dessin n’est pas toujours juste, le passage en mode assisté oblige le concepteur à fixer ses choix. Ce n’est qu’une fois mis au net qu’il est alors possible de prendre conscience des réelles dimensions de l’objet questionné, qui confirme les choix et mène la genèse du projet à son terme.



B

IBLIOGRAPHIE

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