RAMEAU - PIECES DE CLAVECIN

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et de Louis Marchand. Et pourtant, de l’intérieur, Rameau change la donne par sa science de l’harmonie. Le Prélude, comme le veut la tradition, est une pièce libre, non mesurée, qui vient de l’art des luthistes : mais d’entrée de jeu, Rameau, sans modifier l’héritage, lui donne une complexité harmonique qui lui apporte un caractère d’urgence inhabituel ; et il va croissant jusqu’à l’explosion inattendue d’un second mouvement en forme de gigue. Rien n’est changé dans la structure, tout est neuf dans le ton et dans l’écriture. Tel est Rameau. Déjà, à vingt-trois, il révolutionne, mais toujours de l’intérieur. On va retrouver cela dans chaque pièce. L’Allemande est une vieille danse qu’on ne pratique plus depuis le milieu du XVIIe siècle. Son caractère était solennel, avec une anacrouse initiale caractéristique. Rameau en fait une musique majestueuse, mais presque abstraite. Deux Allemandes se suivent : la première, avec ses notes liées par deux, un rien mélancolique, la seconde plus vive. La Courante ne se danse plus guère non plus au temps de Rameau : et comme faisait l’Allemande, elle se rapproche de la musique « pure ». Elle garde l’ambiguïté rythmique qui caractérisait cette danse noble et élégante. La Gigue, au contraire, bien qu’elle ne soit pas plus pratiquée que les précédentes, a gardé de ses origines (Écosse, danse de matelots) son exubérance de mouvements, son impulsion rapide et forte comme des claquements de talons. Rameau fait se succéder deux Sarabandes : la première est un air tendre, accompagné par une harmonie « oblique » en style luthé ; la seconde avec une écriture verticale moins fluide et plus rythmique. La Vénitienne cherche à retrouver au clavecin un phrasé de violon italien, avec des croches égales et une écriture toute simple. La Gavotte, au contraire, doit à ses notes liées par deux son caractère gracieux, qui allège encore le Menuet. Dix-huit ans séparent le Second Livre de pièces de clavecin (1724) du premier. Rameau a mûri : cela s’entend dès les premiers moments de l’Allemande. C’est bien toujours l’arrièredescendante de cette ancienne danse, mais elle transfigure la vieille solennité en une admirable invention mélodique, d’une grande unité thématique. Tout s’est, une fois de plus, intériorisé. Il en est de même pour la Courante, avec plus d’allant. Les Gigues


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