[lez roman] Le fusain magique

Page 1

1


Le fusain Magique (Roman) Auteur : Xengab Rating : NC 17 Pairing : Plusieurs Feedback: nlalami @live.fr Correction: Lysblanc Résumé : Une archéologue utilise, avant de mourir, une relique trouvée dans une tombe en Egypte. Elle veut laisser à son unique petite-fille un souvenir de ses lointaines expéditions. Sauf que le cadeau est empoisonné. Note de l’auteur : J’ai laissé délirer mon imagination dans ce roman alors vos remarques ou critiques sont les bienvenues. Bonne lecture

LE FUSAIN MAGIQUE

CHAPITRE I Nous sommes en 3OOO avant notre ère. A Ourouk la plus grande métropole de Sumer (l’actuel sud de l'Irak) en Mésopotamie. Quand Bareche voit la horde de paysans armés se diriger vers leur caravane, il comprend qu'ils sont tous perdus. Il éperonne sa monture et s'enfuit ventre à terre vers la ville, abandonnant toute sa marchandise. Il se présente alors aux portes du palais du roi prêtre, quand le garde lui barre le passage : "- Qui es-tu étranger, et où vas-tu? - Je suis commerçant, je viens de la vallée de l'Indus. Je devais me rendre en Egypte pour vendre ma march... 2


- Abrège l'étranger, tu m'ennuies, l’interrompt le garde. - Nous avons été attaqués ce soir, mes compagnons et moi, par des paysans - la sentinelle sourit à la perspective du butin qu'ils allaient tous partager- et moi, j'ai tout perdu. Mais il me reste un trésor inestimable que je voudrais proposer à votre souverain. - Notre roi fais la sieste en ce moment, reviens dans une heure et je verrai ce que je pourrai faire pour toi. - Je dois absolument le voir, vous compre... - Oui j'ai compris, et si tu ne t'éloignes pas de suite je t'enfonce ma lance dans le ventre. Va à présent. Le marchand s'éloigne, l’échine courbée, en entraînant son cheval, et s'assied à l'ombre d'un arbre, non loin du palais pour se reposer. Au bout de quelques minutes, vaincu par la fatigue, il s'endort profondément. Au bout d'un moment il ouvre les yeux et se relève péniblement. La place du village est vide, ce qui prouve que ses compagnons d'infortune étaient rentrés chez eux dépouillés, et peut être même ont été tués. Le garde l'interpelle : - Hé! L’étranger, viens par ici. - Voila je suis là, ton maître est réveillé? - Oui et il veut bien te recevoir. Mais s'il s'avère que tu as menti, tu seras décapité. Laisse ton cheval, tu le retrouveras en partant. - Je ne mens pas, ton roi sera satisfait. - Viens, suis-moi. Le garde l'entraîne vers l'intérieur, ils traversent un long couloir, puis une vaste cour où des enfants jouent sous l'oeil attentif d'une vieille servante. Ils arrivent enfin devant une grande salle où le roi prêtre, assis sur des peaux de boeuf, est entouré des dignitaires de la ville. Le garde le pousse en avant et s'en retourne à son poste. - Approche commerçant, tu as quelque chose à me proposer parait-il? J'espère qu'elle en vaut la peine pour que tu oses déranger ainsi mon conseil. Parle, je t'écoute. - Grand roi prêtre, je ne peux parler en présence de tout ce monde, ne gardez que celui en qui vous avez foi. 3


- Tu es bien audacieux le marchand mais soit, qu'il en soit ainsi puisque tu le désires, mais ne me déçois surtout pas. Se tournant vers ses conseillers, il leur dit d’aller dans la pièce à côté où il leur sera de quoi se rafraîchir. Après leur départ il revient au marchand, parle à présent tu ne crains rien. Bareche s'assied au pied du souverain et sors de son sein un coffret, il l'ouvre et le lui présente, mains levées et tête baissée. Le roi regarde avec ravissement la pièce d'ivoire finement ciselée que lui tend le marchand. Il ne sait pas encore ce que ceci représente mais il ne peut contenir sa colère. - Es-tu venu jusqu'ici pour te moquer de moi étranger? Ce que tu appelles trésor inestimable n'est qu'un vulgaire objet en ivoire ? C’est très joli, mais crois-tu que je n'ai pas vu plus beau? - Calmez-vous mon seigneur, ceci n'est pas qu'un vulgaire objet en ivoire. C'est un fusain magique! Il s'anime et dessine tout seul tout ce que vous lui demandez et sur toutes les surfaces. - Tu veux dire que si je le prends et lui demande de me dessiner quelque chose, il le fera là sous nos yeux? - Essayez, et vous verrez par vous-même. Assure le commerçant , en souriant, ravi d'avoir vaincu la colère du roi. Tenez, sur cette poterie par exemple. - Fusain, dessine moi la plus belle des femmes. Il voit , étonné, le fusain sauter de ses mains et esquisser la plus belle des femmes. Il sourit satisfait. En effet tu n'as pas menti. - Votre majesté a très bon goût, risque Bareche, c'est une déesse. - Oui hum, et comment un tel trésor est-il tombé entre tes mains? - Un esclave, que j'ai acheté il y a quelques années, me l'a donné. - Un esclave dis-tu? Et comment un tel objet pouvait-il lui appartenir? - Il l'avait volé à son ancien maître et caché dans son anus au moment de la vente, ainsi nul ne pouvait le lui dérober, c'est du moins ce qu'il m'a dit. Le souverain rit de bon coeur et n'insiste pas. Il regarde à nouveau le fusain et le contemple sous tous ses angles. Il se tourne ensuite vers la poterie et reste un long moment pensif. 4


- Est-ce que tu sais d'où vient ce fusain ? Je veux dire son origine. - L'esclave m'a dit que son maître l'avait rapporté d'un continent nommé l'Atlantide. Une île immense où s'est développée une grande civilisation, brillante et riche. - Où se trouve cette île? Le sais-tu? -Non, hélas nul ne le sait. Les atlantes défendent farouchement leur territoire. Et ne laissent personne s'en approcher. - Parles-moi encore de cette île. - C'est une terre merveilleuse qui appartenait à Poséidon, le dieu grec de la mer. Ses palais sont couverts d'or, d'ivoire et d'argent ; leurs richesses sont immenses et fabuleuses. Les atlantes ont développé une culture florissante et un art des plus raffinés. C'est tout ce que j'ai pu apprendre. - Tu ne m'apprends rien sur le fusain ! - Je vous ai dit tout ce que je sais, grand seigneur. - Bien, alors parlons affaire maintenant que veux-tu en échange du fusain ? - Grand roi prêtre vos gens m'ont ruiné, ils m'ont volé tout ce que je possédais. Je me rendais en Egypte pour vendre mes lapis-lazuli, si vous me remboursez la valeur de ma marchandise, le fusain est à vous. - Qu'il en soit ainsi, nul ne doit savoir ce que nous venons de conclure. Va voir mon intendant, le garde va t'y conduire, il te donnera ce que tu demanderas. Garde, emmenez cet homme à notre trésorier, et qu'on accède à toutes ses demandes. Et, se penchant sur son garde il lui glisse à l’oreille « Tuez le ! » Le garde hoche la tête en signe d'assentiment et pousse le malheureux marchand vers l’avant. Resté seul le roi prêtre remet le fusain dans son écrin, il s'apprête à rappeler ses hommes quand une voix de femme interrompe son geste. - Qui parle? Tonne-t-il. - C'est moi, je suis là, derrière vous. - Où ça là? Il se tourne vers le son de la voix. Quelle ne fut sa surprise lorsqu'il voit la jeune fille, que le fusain avait dessinée plus tôt, bouger sur la poterie. Tu es vivante ? 5


- Mais oui, mais je ne comprends pas ce que je fais ici, j'étais en train de traire notre vache et... Le garde qui devait exécuter la sentence se présente devant le roi. Il lui annonce que le marchand est mort. Le roi le remercie et encore plus surpris remarque que la jeune fille s’est figée pour ne redevenir qu'un commun dessin. Il comprend alors qu'il sera le seul à la voir s'animer. Le marchand avait bien fait de lui demander qu'ils soient seuls. Il tombe fol amoureux de sa belle. Ce jour là, une jeune sumérienne de 16 ans s'effondre dans une étable, devant sa mère, et meurt sans que nul ne comprenne la raison de son décès. Ses parents l'enterrent et la pleurent longtemps.

CHAPITRE II

En rentrant chez elle, Fifi pose son sac sur le guéridon de l'entrée et se dirige vers son fauteuil favori, son dossier médical à la main. Elle s'assied, se cale confortablement et ferme les yeux. Elle ne pense à rien, sinon à ce que lui a appris son médecin traitant. Sa phrase vient cogner sans cesse dans son cerveau tel un cruel leitmotiv: "- Je ne le vous cache pas ma chère Fifi votre état est grave, très grave. Votre coeur est très fatigué et il ne tiendra pas plus longtemps. -Dites- moi combien de temps il me reste à vivre docteur? -Je ne saurai le dire avec précision mais ce sera moins d'une semaine ou plus je ne sais pas. Ma pauvre amie, préparez- vous à faire vos adieux à ceux que vous aimez." Ces quelques mots échangés avec le praticien ne l'ont plus quittée .Elle allait mourir et dans très peu de temps elle ne pouvait vraiment l'imaginer. Allait-elle voir sa vie défiler comme un film devant ses yeux ? Mais oui, elle n'y échappera pas. Sa vie a été si riche en événements, si pleine et jamais ennuyeuse. Sa vraie vie a commencé quand son père l'a envoyée en 1963 terminer ses études à l'université de Talence prés de Bordeaux, elle avait 20 ans alors. Devenue quelques années plus tard docteur en anthropologie 6


humaine puis égyptologue, elle débuta avec fougue et amour ses premières années de fouineuses des sites antiques, sa plus grande passion. Elle avait découvert le monde merveilleux des marques de l’antiquité. Après 20 ans de recherches elle avait conclu comme ses paires, avant elle, que l'Egypte est incontestablement le pays le plus riche en vestiges du passé. Ah l'Egypte! Sa rencontre avec Ismahane, son amie de coeur qu'elle n'a plus revue depuis 8 ans. Elle l'avait rencontrée à l'université du Caire où , déjà reconnue dans la profession, elle donnait une conférence alors que Ismahane y était une étudiante. Elle avait alors 35 ans alors que Ismahane en avait 20. Un jour en fouillant non loin de Saqqarah (première pyramide à degrés construite par Imhotep l'architecte du pharaon Djeser, IIIème dynastie), elle découvrit, enfouie sous le sable, un mastaba (tombe égyptienne en forme de banc). Elle sut qu'elle venait de découvrir un endroit secret. Elle décide de fouiller la tombe pour savoir à qui elle appartenait. Grande fut sa surprise lorsqu'elle put déchiffrer les messages en hiéroglyphes qui ornaient les parois de la tombe, et de découvrir que celle-ci enfermait non pas un noble égyptien, mais une danseuse sacrée indienne. Intriguée elle continua à lire les textes. Et là, elle apprit que l'indienne venait de la vallée de l'Indus et qu'elle avait été envoyée par des prêtres pour récupérer un fusain d'ivoire. Elle et son escorte avaient fait croire au pharaon qu'ils étaient là pour le distraire. Lorsque pharaon avait découvert la supercherie, soucieux de protéger le trésor dont un roi du Sumer lui a fait don, il fit exécuter la danseuse et sa troupe. Les écritures apprirent à Fifi, que le fils du pharaon qui était tombé fou amoureux de la belle danseuse lui avait érigé en secret cette tombe et, avant à la mort de son père, avait fait disparaître le fusain, cause de la mort de sa bien aimée. Mais il n'était pas mentionné où le fusain avait été enterré. Fifi avait décidé de suivre la trace de cet objet qui semblait avoir eu un impact sur la vie de tout ce monde. Ses recherches demeurèrent vaines, nul ne connaissait l'histoire de ce fusain. On lui rit même au nez en la traitant de folle à la poursuite de chimère. Elle décida de suivre sa trace en se rendant au Pakistan, sur le site des ruines du Mohenjo-Daro (l'une des villes les plus importantes de la civilisation de la vallée de l'Indus), mais là encore rien. Puis une idée germa dans son esprit, si le fils était amoureux de cette danseuse c'est qu'il a forcément enterré le fusain avec elle. En effet elle ne se trompait pas. Elle le trouva derrière une dalle, dans un écrin, à l'intérieur duquel était expliqué l'usage du fusain. Fifi savait qu'elle devait remettre le fusain aux autorités du site mais pour la première fois de sa vie elle dérogea aux règles de l'éthique, et décida de garder la relique, comme souvenir de toutes ses recherches. Le fusain est toujours chez elle, enfoui dans le double fond du tiroir de son secrétaire. Maintenant qu'elle allait mourir elle se demande ce qu'elle allait en faire. Peut être l'offrira-t-elle à Neila son unique petite-fille, fille de son unique fille. Mais elle ne peut savoir si elle en ferait bon usage. A 7


force de se creuser les méninges elle trouve enfin une solution. Son amie Ismahane lui avait offert un rouleau de papyrus d'une grande valeur. Fifi a dans l'idée d'inventer une histoire à sa petite-fille, le fusain la dessinera sur le papyrus et ainsi Neila aura une histoire avec des personnages vivants. Elle lui racontera sa vie, ses péripéties, ses voyages et ses découvertes. Elle décide de se mettre sur le champ au travail. "Qui sait, pense-t-elle, je ne serai peut être déjà plus ici demain." Elle quitte péniblement son fauteuil, et se dirige vers son secrétaire, elle rabat le couvercle qui sert de table de travail et sort de leur cachette les deux objets auxquels elle tient le plus au monde. Elle met sa paume sous son menton et commence à réfléchir. Ainsi débute sa rêverie. Une île perdue au milieu de l'océan. Une île paradisiaque tout en couleurs, une végétation luxuriante, un soleil matinal radieux, des oiseaux aux plumages multicolores mais pas d'animaux sauvages. Tout est réuni pour faire de cet endroit, un havre de paix et de bonheur. Trois sites antiques, ses préférés, sont dissimulés sous les feuillages. Le MohenjoDaro, Saqqarah, et le mastaba de la danseuse sacrée, tous les trois représentés dans leurs splendeurs passées. Un avion survole l'île, à son bord les trois personnages qui constitueront le noyau de l'histoire qu'elle allait raconter à Neila. Le plus âgé est Lakhdar archéologue de 58 ans. Il a les cheveux gris et le regard d'un bleu perçant. Il est grand et très imposant, taciturne et jamais content, ni satisfait, donnant l'impression que comme Atlas il porte le monde sur ses épaules. Fatma 25 ans, pieuse et soumise à sa famille mais surtout à ses frères qui lui interdisent tout, au nom de la religion. Sa mère encore plus pliée aux exigences des hommes de la famille, ne lui est d'aucun secours. Belle, mais toujours triste et grave. Ayant arrêté très tôt ses études à cause de ses frères qui l'obligèrent à quitter l'école, dès qu'elle eut ses 13 ans, pour aider sa mère à la maison, avaient-ils prétexté. Elle fait quelques travaux de couture et ne sort que si elle est accompagnée de sa mère ou de son plus jeune frère. Elle est très jolie avec sa belle chevelure blonde, ses yeux miels et doux, et son visage rond et blanc rappelle celui d'un ange. Et enfin le dernier, c'est Samy, 29 ans, ingénieur en informatique et homosexuel. Drôle et toujours souriant mais très râleur et exubérant, il est pourtant d'une grande naïveté. Il vit sans aucun complexe sa sexualité. Il est très maniéré, avec ce quelque chose dans le regard qui veut dire "homo je suis, homo je resterai." Son visage parsemé de taches de rousseur est surmonté d'une chevelure couleur feu aux boucles soyeuses et indisciplinées. Son regard est d'un vert qui ne laisse nul indiffèrent et, le sachant, il en joue avec délectation pour attirer les mâles. 8


L'avion poursuit son vol quand tout à coup il pique sur l'île et c'est le crash. Il n’y a que trois survivants. Fatma, Lakhdar et Samy. Fifi pose le papyrus devant elle et ordonne au fusain de dessiner pour Neila tout ce qu'elle venait d'imaginer. Celui-ci s'exécute sur le champ en sautant de sa main et s'anime sur le papier. "A présent, il faut que je trouve un joli conte à raconter à ma Neila. Chaque fois qu'elle ouvrira ce rouleau elle verra des personnages vivants lui conter ma vie. Il faut que cette histoire soit si belle que Neila ne se lassera jamais de la voir et revoir. Elle allait y réfléchir quand une douleur fulgurante lui serre la poitrine comme dans un étau. Dans un sursaut de lucidité elle ferme le secrétaire d'un coup sec. Cela lui vaut un immense effort. Elle se traîne ensuite jusqu'à la cuisine, sa première idée est de jeter le fusain au fond du sachet poubelle, mais elle change vite d'avis car n'importe qui pourra le retrouver. La douleur la tenaille, elle suffoque, dans un ultime effort elle enfonce le fusain au fond de son vagin. Elle manque le rejeter, mais sa volonté est la plus forte, elle retient de toutes ses faibles forces le fusain et se laisse aller en serrant sa poitrine à deux mains. Elle râle une dernière fois et ne remue plus, elle meurt seule au milieu de sa cuisine, dans la maison où elle a vu le jour 58 ans plus tôt. Elle l'avait gardée et habitée après la mort de ses parents. C'est une jolie maison à Mahelma prés de Zéralda. Au même moment dans un avion de ligne de la compagnie Air Algérie, en partance pour Paris deux jeunes gens meurent subitement et un homme tombe dans le coma. Ce même soir, Neila rentre chez elle exténuée, son cours de tennis l'a vidée de toute énergie. On est jeudi premier jour de week-end. Demain sera le jour "grand-mère". En effet, chaque vendredi Neila passe toute la journée avec sa mamie. Elles vont faire les courses le matin, et quand il fait beau elles déjeunent dans le jardin, ensuite elles passent l'après-midi à papoter, parfois pendant de longues heures. Elles ne manquent jamais ce rendez-vous hebdomadaire. Sa grand-mère est demeurée sa seule et unique famille depuis que ses parents et sont petit frère ont été attaqués, puis tués par des terroristes, qui avaient dressé un faux barrage sur la route de Bejaia. Ses parents se rendaient à Bejaia pour assister au mariage du fils de l’oncle Said. Neila ne se remet pas encore de ce drame qui a frappé à la porte de sa vie, ce jour du 8 Août 1998. Trois ans étaient passés déjà. Elle ne peut empêcher les larmes de couler chaque fois qu'elle y pense. Elle défait son sac, en sort sa tenue de sport encore mouillée de la sueur de l'effort. Elle va vers sa hi-fi et choisit un C.D, la voix suave et sensuelle de Mylène Farmer emplit l'appartement. Elle prend un long bain dans sa 9


salle-de-bain où tout est d'un tendre rose pastel. Elle accompagne de sa voix Mylène Farmer chantant "Innamoramento". Ce soir elle se sent bien. Après le dîner Neila prend le téléphone pour appeler sa grand-mère comme elle a coutume de le faire. Mais au bout d'une dizaine de sonneries elle n'obtient aucune réponse. Elle commence à s'inquiéter, à cette heure, d'habitude, Fifi regarde la télévision dans le salon à proximité du téléphone. Elle rappelle plusieurs fois encore mais toujours sans succès. De plus en plus nerveuse elle ne tarde pas à prendre la décision qui s’impose. Si elle se dépêche elle arrivera à Zéralda avant la tombée de la nuit. Elle s'habille à la hâte il n’y a pas une minute à perdre. Elle a 30 kilomètres àparcourir, c'est la distance qui sépare Alger de Mahelma. Elle saute dans sa voiture et prie pour arriver avant l'arrivée des ténèbres les temps n'étant plus très sûrs, seule dans sa voiture, les terroristes n'en feraient qu'une bouchée. Elle hésite un moment, puis la pensée que peut être sa grand-mère a besoin d'elle ce soir, la décide, elle met le contact et démarre. Le crépuscule a teinté le ciel d'une couleur orange quand elle arrive prés de la demeure de son aïeule. Elle gravit quatre à quatre les marches du perron et fonce vers l'intérieur de la maison en hurlant: -Mamie !? Mamie !? Où es-tu donc, réponds-moi !. Pas de réponse, elle regarde dans toute la maison, nulle trace de Fifi. Elle pousse la porte de la cuisine, et là, au centre, près de la table, elle trouve sa grand-mère inerte, gisant sur le carrelage. Neila reste devant la porte, figée d'horreur, elle prie mentalement que sa mamie soit toujours vivante. Mais lorsque elle s'approche d'elle et lui prend la main, celle-ci est déjà froide et dure . Fifi était morte le matin vers 10 heure 30. Un lourd et long sanglot, venu du fin fond de ses entrailles, la suffoque. Elle pleure douloureusement la mort du dernier maillon de la chaîne maternelle. - Oh, mamie, tu me laisses seule, tu es partie, tu es vraiment partie pour toujours. Va rejoindre ta fille et ton petit-fils et dis-leur bien combien ils me manquent. Grand-mère, grand-mère je t'aime, repose en paix et que Dieu t'accueille dans son paradis tu me manqueras tellement. Elle sert dans ses bras celle qu'elle ne reverra désormais plus jamais. Les voisines alertées par les cris de Neila, sont accourues, elles arrivent toutes en même temps dans la cour de la maison. Elles poussent en avant la plus hardie et amie de la défunte, et l'envoient du regard voir ce qui se passe. Pendant ce temps elles se serrent les unes contre les autres en attendant le retour de leur éclaireuse. La hardie revient, quelques instants plus tard, leur annoncer la triste nouvelle: 10


-Dites "Allah est grand" notre chère Lalla Fifi est morte. - Allah Akbar, reprennent en coeur les voisines, Dieu est le plus grand, à lui nous appartenons, à lui nous retournons. Neila les entend arriver, elles se lamentent mais restent à la porte de la cuisine, intimidées. Elle les regarde sans les voir. Les femmes s’avancent et entourent la jeune fille de mille caresses pour lui témoigner leur compassion. Enfin trois jeunes femmes attirent Neila pour l'éloigner de la morte, fermement mais gentiment. Abattue et groggy, Neila se laisse faire et tournant la tête vers sa mamie, elle voit les autres femmes la porter vers le salon où se fera la veillée funèbre. Elle échappe aux mains de ses ravisseuses, mais la poigne de la hardie la stoppe net dans son élan : - Laissez-moi je veux aller prés d'elle .Je ne veux pas la quitter une seule seconde. - Oui tu vas aller prés d'elle ne t'en fait pas, mais rappelle-toi bien que tu ne dois ni crier ni pleurer trop fort tu sais que le mort entend tout ce qui se passe autour de lui, il faut te maîtriser ma chérie et si tu vois que tu ne peux pas, tu quitteras le salon pour n'y revenir qu'une fois calmée .Pense à Dieu et prie-le, il t'aidera à surmonter cette épreuve ma fille, tu dois être courageuse Neila. Les larmes la submergent elle serre la jeune fille dans ses bras et toutes deux pleurent cette femme qui fut la grand-mère, pour l'une, et l'amie chère, pour l'autre. Après avoir déserté les lieux laissant Neila seule avec Souhila, les voisines reviennent portant toutes, qui des ustensiles de cuisines, qui des matelas et des draps, qui des sacs de semoule. Elles arrangent le salon pour qu'il soit prêt pour recevoir tous ceux qui allaient bientôt affluer pour assister à la veillée funèbre. Neila y assiste comme dans un rêve, indifférente à tout. Les voisines en véritables petites fées s'occupent de tout. Les gens commencent à arriver et très vite le salon se remplit. Il n'y a que les femmes dans le salon, les hommes seront installés dans la cour où des chaises y avaient été placées. Les enfants venus avec leurs parents, et inconscients de la gravité du moment, jouent dans la cour en poussant des cris sous le regard morne de leurs pères. Tous présentent leurs sincères condoléances à Neila, tout le monde dans le village aimait Fifi, qui était bonne et généreuse. Quelques heures plus tard il ne reste que les voisines les plus proches, et la famille, qui allaient veiller le corps. Quelques enfants dorment sur les matelas inoccupés . Vers trois heures du matin, Souhila décrète qu'il est temps de dormir pour tout le monde : - Assez papoté les jeunes filles, dit-elle en s'adressant à un groupe qui jacassent dans un coin - pour les gens des villages les mariages comme 11


les décès sont des occasions pour se retrouver et discuter un coup- nous devons nous lever tous très tôt demain, nous veillerons à tour de rôle, celle qui se fatigue réveille une autre etc... Regardant Neila avec tendresse et changeant de ton : "viens ma petite tu iras dormir dans ta chambre pour ne pas être dérangée". - Merci Souhila c'est gentil mais je veux rester prés de mamie jusqu'à la fin, elle tourne son regard mouillé vers le corps enroulé dans un tapis, je ne veux pas la quitter ; sa cousine l’avait serrée dans ses bras mais Neila ne se rend compte de rien, comme si son âme avait quitté son corps. - Comme tu voudras mon enfant, alors viens prés de moi et couche toi là, elle désigne à Neila une place à sa droite tout près de la défunte, les autres ma foi, arrangez-vous comme vous pouvez, son regard se pose sur la famille du père de Neila. Le lendemain elles se réveillent toutes à 6 heures du matin. Les familles venant des autres villes commencent à arriver. La mort se sait vite. Tout le monde pleure. Deux vieilles sont là pour laver Fifi et la purifier avant de l'envoyer à sa dernière demeure. A midi des hommes viennent chercher le corps pour le mener à la mosquée pour lui faire la prière du mort ensuite ils la mèneront au cimetière. Neila est désespérée car elle ne peut les accompagner, les femmes étant interdites, le jour de l'enterrement, au cimetière. Elle ira le lendemain elle dit un dernier adieu muet déchirant à sa grand-mère puis va s'enfermer dans sa chambre. Une semaine plus tard, Neila revient à Mahelma accompagnée de deux déménageurs venus dans leur camionnette. Elle a du mal à introduire la clef dans la serrure, elle se sent écrasée par le poids de sa solitude. Des images de sa grand-mère allant vers elle chaque fois qu'elle ouvrait cette même porte, s'imposent à son esprit. Mais c'est Ourdia qui court vers elle, comme poursuivie par le diable, elle attire Neila contre elle en se lamentant et l'entraîne vers la maison. - Tu ne peux savoir ma fille à quel point je m'en veux de ne pas avoir été là avec toi dans cette épreuve. Je ne me le pardonnerai jamais, Neila si tu savais comme elle me manque. - Tu n'a pas à t'en vouloir c'est la volonté de Dieu nul ne peut aller à son encontre, et puis tu assistais ta fille pour la naissance de son dernier né et personne ne pouvait te joindre dans son village. Mamie mourrait alors que ton petit-fils naissait, c'est la vie Ouardia, on y peut rien. Elle se tourne vers les déménageurs, "suivez-moi à l'intérieur", ce sont les 12


déménageur je suis venue prendre le secrétaire et le fauteuil de mamie. Ourdia, je te demande de rester dans cette maison, et d’y faire venir tes enfants. - Mon Dieu Neila je ne peux pas c’est ta maison maintenant. - Ourdia, j’ai ma maison à Alger, je n’habiterai pas celle-ci et je ne veux pas la vendre alors autant que quelqu’un en profite. - Neila, ma fille que Dieu te garde, et te récompense pour ta générosité, tu ne peux savoir à quel point tu me s la vie. Et dis moi, c'est tout ce que tu vas récupérer, tu es sûre de ne rien vouloir d’autre? - Oui, c'est tout, le reste je vous le laisse, à toi et ta famille. Cela vous servira bien plus qu'à moi. - Mais c'est trop ma fille, déjà que tu nous permets de continuer à vivre ici, je ne veux pas que tu me laisses tout Neila. - Je n'emporte que ce qu'elle avait de plus cher au monde. Et ne t'en fait pas pour moi, je n'ai pas besoin de ses objets pour me souvenir d'elle. Maintenant tu vas pouvoir faire venir tes enfants près de toi. - Merci ma fille. Lalla Fifi a toujours été très généreuse avec nous et ne m’a jamais traitée comme une simple servante, et maintenant c’est toi qui l’es avec nous. - Ouardia est-ce que tu peux indiquer la chambre aux déménageurs je voudrais aller voir une dernière fois le jardin. - Bouh! Ma fille tu es chez toi, tu peux revenir quand tu veux. - C'est gentil Ouardia, je vais aller voir le jardin et tu t'occupe de ces hommes d'accord? - Fais comme tu veux Neila. Venez messieurs. Neila se dirige vers le jardin où elle discutait souvent avec sa grand-mère, à l'ombre du néflier. Elle s'assied sur le banc de pierre qu'affectionnait sa grand-mère et jette un regard circulaire, plein d'amour. Fifi avait soigneusement entretenu ce jardin en y semant des graines de fleurs rapportées du monde entier. La jeune fille cache son visage entre ses mains et verse des larmes amères. C'est ici qu'elle passait ses weekends lorsqu'elle était enfant. Elle adorait ces moments, souvent ses parents la déposaient, avec son petit frère, et repartaient pour ne revenir que le lendemain les chercher. Le jardin avait été pour les deux enfants le terrain de jeu favori. Ils courraient et riaient alors que Fifi assise sur son banc lisait en leur jetant, de temps en , un regard plein d'indulgence. 13


C'étaient les moments les plus heureux de son enfance. Elle revient dans la cour où elle trouve Ouardia discutant avec les déménageurs, tous les trois buvant du café. - Tu en veux ma fille ? - Non, merci tu sais que je n'aime pas le café. - Oui, c'est vrai je l'avais oublié, attirant la jeune fille loin des deux hommes, dis-moi franchement Neila cela ne t'embête vraiment pas de nous laisser la maison? Après tout… - Non arrête ne dis plus rien, l'interrompe la jeune fille, je te l'ai déjà, dit tu la mérites. Vous avez, ton mari et toi, servi ma grand-mère si fidèlement et depuis si longtemps que c'est naturel pour moi que vous continuez à y vivre. Vous avez plus besoin de cette maison que moi. J'espère que vous y serez, tous, très heureux. Elle la serre dans ses bras, puis se dirige vers sa voiture ; elle lance un dernier regard vers la maison, répond de la main au salut de Ouardia puis démarre les larmes aux yeux car elle sait qu'elle ne reviendra plus jamais à Mahelma. Rentrée chez elle, elle désigne aux déménageurs l'endroit où ils doivent placer ses meubles, désormais les seuls objets qui la rattachent à Fifi. Elle les veut dans sa chambre prés d'elle. Elle remercie les deus gars en les payant, referme la porte derrière eux puis revient et se cale confortablement sur le fauteuil préféré de sa mamie. Elle enveloppe le secrétaire d'un oeil perdu où le souvenir de son enfance prend le pas sur la réalité. Quand elle était petite, Fifi l'attirait dans sa chambre pour lui montrer les trésors qu'elle rapportait de ses nombreux voyages et qu'elle tirait de son secrétaire. Elle lui racontait ses séjours en la bombardant de détails et comme une éponge son esprit d'enfant absorbait avec délices les histoires de sa mamie qui étaient toujours passionnante. Qu'il était doux de repenser à tous ces merveilleux moments. Ses yeux restent longtemps rivés au secrétaire, mais bientôt gagnée par le sommeil, elle sombre dans le pays des songes.

CHAPITRE III Fatma se réveille hébétée elle ne comprend pas ce qui s'est passé mais elle se rend compte qu'elle est vivante. Elle voit Samy et Lakhdar qui eux aussi émergent de leur perte de connaissance. Ils se regardent tous les trois et se sourient heureux devant la providence. Ils ne sont pas morts, c'est l'essentiel le reste importe peu.

14


- Ca va vous n'avez rien ? Non, tant mieux, allons voir dans l'avion, s’ il y a d'autres survivants. C'est vraiment un miracle que nous soyons entiers. - Oui, un miracle, répète Samy encore sonné, d'un air maniéré. Les deux jeunes gens suivent Lakhdar, mais à l'intérieur de la carlingue il n’y a rien, pas la moindre trace d'humain, comme si ils avaient été seuls sur ce vol. - Je n'y comprends rien, s'étonne l'archéologue, nous avons peut être été tous éjectés, allons explorer les environs, nous trouverons sûrement les autres voyageurs, C'est tout de même étrange qu'il n'y ait aucune trace des autres passagers. - Nous sommes seuuuuls au monnnnde, abandonnés sur cette plaaaage, se lamente Samy en se tordant les mains d'une façon tragi-comique. - Vous êtes en vie, remerciez Dieu, au lieu de vous lamenter, le reprend Lakhdar, allons voir si nous pouvons retrouver les autres passagers, l’avion était complet, ils ne peuvent pas disparaître tous sans laisser de traces. Vous venez? - Mmm... Mais il y a peut être des bêtes sauvages, ou des sauvages tout court ou même des cannibales. Qui sait nous avons atterri en Amazonie. Je ne veux pas y aller, il tourne le dos et s'éloigne en se déhanchant. - Il n'y a pas de cannibales en Amazonie. Je vous rappelle que nous étions en route pour l’Europe, donc cette île est sûrement habitée. Et si vous avez peur vous n'avez qu'à attendre ici notre retour, vous venez mademoiselle. - Je m'appelle Fatma. - Et moi Lakhdar, pour vous servir. - Si ça intéresse quelqu'un, moi c'est Samy que je m’appelle. - Maintenant que les présentations sont faites, allons porter secours aux autres. - Attendez-moi, il est hors de question que je reste seul ici, je vous suis, crie Samy avec un accent chantant, ce qui fait sourire ses compagnons d'infortune. Au bout de deux heures de recherches ils se rendent à l’évidence, il n'y a plus qu'eux sur l'île. Ils pensent tous que les autres, si ils ont été éjectés comme eux, étaient peut être tombés dans l’eau. 15


- Je ne comprends pas très bien, j'ai l'impression de vivre dans un rêve, et un beau songe, je crois qu'on va tous se réveiller, pense tout haut Fatma heureuse d'échapper au moins pour quelques heures aux dures réalités de sa vie. - C'est un cauchemar tu veux dire, pleurniche Samy toujours très maniéré, en plus j'ai faim et j'ai soif. - Regardez! Il y a des bananes par là, crie Fatma, cela devrait suffire pour le moment. - Oui les bananes ça bourre après une ou deux on n'aura plus faim, assure Lakhdar. - Parle pour toi, le reprend le jeune homme, j'ai tellement faim que j'en mangerai une dizaine. - Tu peux manger tout l'arbre le rouquin, personne ne t'en empêchera. Je ne sais pas combien de temps nous allons rester ici, avoue Lakhdar après qu'ils se soient tous restaurés, il va falloir nous serrer les coudes et préparer un campement, et j’avoue que je suis étonné que nous n’ayons pas rencontré âme qui vive. - Mais je méga-délire-grave, croyez-vous être au temps de Robinson Crusoé, aujourd'hui les technologies nouvelles ce n’est pas pour les chiens. Ils ont de quoi nous repérer. Je suis sûr qu'ils sont en train de nous chercher, assure Samy plus pour se rassurer lui-même, et même qu'ils seront bientôt là. - Que Dieu t'entende Samy, mais je m'inquiète surtout du temps qu'ils vont mettre car nous seront obligés de dormir là tous ensemble, finit Fatma dans un murmure. - Qu'est-ce que tu crois jeune fille, la réprimande Samy, tu penses que je vais te sauter dessus dès que la nuit sera tombée? Tu es certes très belle mais moi tu ne m'intéresses pas. Il lui tourne dignement le dos et, se dandinant exagérément, il s'en va vers l'épave. - Non, ce n'est pas ce que j'ai voulu dire! Je ne vois pas pourquoi tu as pensé à ça. - Eh bien, je m'excuse je vais faire une sieste à l'ombre d'un des morceaux de ce qui reste de l'avion. Lakhdar à l'aide de son couteau suisse qu'il porte toujours sur lui, commence à couper des branches pour construire un abri pour la nuit. Il décide qu'il en fera un pour Fatma et un plus grand pour Samy et lui. Il 16


travaille si bien qu'au bout d'un moment il invite Fatma à pénétrer sa cabane de feuillages. - Repose-toi ma fille, tu n'auras pas chaud les feuilles te protégeront du soleil. - Merci Lakhdar. Et vous, où allez-vous dormir? - Ne te tracasse pas pour moi, je vais en construire une plus grande pour le dégénéré et moi-même. Ils se sourient, et Fatma s'allonge sur le sable chaud, rassurée sur son sort et contente de voir sourire Lakhdar pour la première fois depuis qu'ils étaient sur l'île. Deux heures plus tard l'archéologue a fini la seconde hutte. Il s'essuie le front en regardant le ciel, il reste un moment figé en se rendant compte que le soleil n'a pas bougé d'un seul pouce, il est toujours à l'est alors qu'il aurait du dépasser le zénith depuis deux heure au moins. Il darde radieusement ses rayons matinaux sur l'île. - Je ne comprends plus rien, nous sommes là depuis plusieurs heures et le soleil est toujours à l'est alors qu'il aurait du être nord ouest. Tu as une explication toi Samy? - C'est vrai, nous avons pris l'avion à 10 heures ce matin, et il est trop haut, en plus si les autres passagers avaient été éjectés dans la mer on aurait du voir au moins un des corps flotter. - Ai-je dormi longtemps, demande Fatma qui sort de sa hutte en se frottant les yeux, jetant un coup d'oeil à la hutte, oui je crois bien, puisque vous avez terminé la deuxième cabane, elle est très jolie. Nous sommes toujours seuls ? - Comme tu vois, répond Samy en embrassant l'endroit de ses bras, et je crois que nous avons atterri au pays du "soleil éternellement levant ". - Nous sommes au Japon! Mais c'est merveilleux! S’extasie Fatma - Ah, ah, ah, au Japon ? Elle est bien bonne celle-là, non pas au Japon petite oie, regarde le soleil, tu ne remarques rien ? Nous sommes ici depuis un certain temps et le soleil est toujours au même endroit, renchérit Samy. - Mais oui c'est vrai! Qu'est-ce que cela veut dire? - Nous n'en savons rien, renchérit Lakhdar pensivement. Tous se taisent ne sachant que dire, inquiets, incertains et déconcertés. Ils pensent tous qu'ils ont peut être atterri sur une île enchantée, mais ils 17


chassent vite cette idée de leurs têtes rationnelles. Ca c'est bon pour les contes de fées de leur enfance. Enfin la faim et surtout la soif se font sentir. - Il faut vite nous trouver à boire si nous ne voulons pas mourir déshydratés. Lance Lakhdar. - Allez-y, moi je vais chercher de quoi me fabriquer un canne à pêche, un peu de poisson ne nous fera pas de mal. - Non Samy tu viens avec nous tu peux nous être utile, pour la pêche tu as tout ton temps. - Il est hors de question que je mette les pieds dans cette forêt, vous entendez, crie Samy d'une voix aiguë les mains sur les hanches. - Il n'y a rien d'inquiétant dans cette forêt je t'assure, le rassure la jeune fille en souriant devant la frayeur du jeune homme. - Toi Blanche-Neige je ne t'ai rien demandé. J’exècre cet endroit, je ne l'ai pas choisi. Je me retrouve avec vous ici par accident, ce n'est pas comme ça que j'ai prévu de finir mes jours. - Tu dois être plus poli avec Fatma ce qui arrive n'est pas de sa faute. - Mes excuses My Lady, je vous ai offensée? Vous m'en voyez confus. Satisfait le vieux? - Le plus urgent, répond Lakhdar, en haussant les épaules à l'adresse de Samy, c'est de trouver un point d'eau. - Cette nature luxuriante doit bien trouver sa source, les animaux s'abreuvent bien quelque part. Lâche Fatma. - Des animaux!? Quels animaux!? Des lions? Des tigres? Des ours ? Ou, peut être même des sauvages. S'inquiète le rouquin d'un air apeuré. - Nous sommes en 2001, de quels sauvages parles-tu? Tu ne vois pas que cette île est un paradis issu d'un conte de fée, le réprimande gentiment la jeune fille. - S’il y a des fées c'est qu'il y a des sorcières, elles se suivent toujours de près. - Ce n'est qu'une image Samy, qu'est ce que tu peux être poltron. Les animaux que nous avons rencontrés ce matin ont tous l'air inoffensif. Ils détalent dés que nous approchons. 18


- Bon, écoute Fatma, inutile d'insister ; Samy si tu ne veux pas venir, rends- toi utile en ramassant le plus de bois possible, nous ferons un grand feu pour être plus facilement repérables. Pendant que Samy s'affaire sur la plage, Fatma et son compagnon pénètrent dans la forêt. Une heure plus tard, ils reviennent les bras chargés de fruits, de noix de coco et de tubercules. Mais nulle trace du moindre point d'eau. Ils se régalent avec ce qu'ils ont trouvé et se désaltèrent grâce au lait de coco. Enfin repus, ils réunissent les branches ramassées par Samy en un gros tas pyramidale. - Notre feu se verra de très haut et de très loin, annonce fièrement Lakhdar. - J'en suis sûr, lui dit Samy, mais as-tu pensé à comment tu vas l'allumer ce feu de Bengale? Je vais faire plus simple, comment va-t-il flamber ce bûcher? - Elémentaire mon cher Samy! Il nous faut trois éléments: le soleil, des brindilles et une loupe. - Nous avons les deux premiers. Et la troisième où allons-nous la trouver? - Je l'ai déjà, répond l'archéologue en brandissant ses lunettes sous le nez du jeune homme, avec ça nous ferons le plus grand feu de ta maigre existence. - Eh bien bon courage moi je vais dormir un peu je suis exténué, il fait une pirouette et se dirige en se dandinant vers la grande cabane, à tout à l'heure le vieux! - Je vais t'imiter moi aussi, je suis exténuée, à tout à l'heure. Bon courage Lakhdar. - Merci Fatma quand tu te réveilleras tu verras un beau feu brûler, vas et repose-toi bien. Resté seul Lakhdar dispose un des verres de ses lunettes entre le soleil et des brindilles qu'il a posées à la base du bûcher. Il s'éloigne un peu et attend l'embrasement. Ils avaient pris soin d'installer le tas de bois loin de leur campement d'infortune pour ne pas ressentir la chaleur dégagée, puisque le soleil suffit à cela. Il est content lorsqu'il voit les premières flammes monter à l'assaut du sommet, satisfait, il se laisse glisser de tout son long contre l'arbre contre lequel il est adossé, et ferme les yeux pour goûter un repos bien mérité. Mais il n'arrive pas à dormir. Il ne comprend 19


pas par quel sortilège ils se retrouvent tous sur une île où la nuit ne tombera peut être jamais. Est-il condamné à rester ici pour toujours entre un homme, aux manières efféminées, et une jeune fille timide et effacée? Tant de questions qui demeureront sans doute sans réponses, le maintiennent éveillé. Les deux autres compagnons aussi ne trouvent pas le sommeil. Fatma qui avait toujours vécu sous le joug de sa famille, savoure ces instants de totale liberté. Ce qui l'inquiète un tant soit peu c'est de se retrouver seule entre deux hommes, elle se rappelle le discours incessant de sa mère qui la mettait toujours en garde "ce ne sont que des hommes ma fille, et ils ne pensent qu'au sexe devant une fille aussi belle que toi. Jamais, tu m'entends Fatma, jamais tu ne dois te retrouver seule avec un homme, sinon tu en reviendras enceinte. Si un homme t'aborde rabroue-le. Rappelle-toi tout le temps de ce que je te dis, si tu ne veux pas mourir des mains de tes frères ou de celles ton père." Fatma se demande si elle doit leur faire confiance, mais rien dans leur comportement n'indique que sa mère avait raison. Mais pouvait-elle leur accorder son entière confiance? Seul le temps le lui enseignera. Bizarrement néanmoins, elle ne craint pas Samy, devinant en lui une nature très féminine. "Quand on parle du loup on voit sa queue" pense-t-elle en voyant la tête de Samy apparaître à l'entrée de la hutte. Elle ne peut empêcher un geste de recul, le jeune homme ricane: - N'aie pas peur, je ne vais pas te sauter dessus comme un sauvage, et pour te rassurer, je préfère les hommes. Je n'arrivais pas à dormir et j'avais envie de parler à quelqu'un. - Tu ne me fais pas peur Samy, le rassure-t-elle avec bonne humeur et étonnée de sa franchise, tu m'as surprise c'est tout. Approche assieds-toi, de quoi veux-tu me parler? - Je ne sais pas pour toi, mais moi tout ça me fait flipper. Crois-tu que nous sommes dans la cinquième dimension, dans un monde parallèle? - Je ne sais pas, peut être après tout. Je me pose aussi beaucoup de questions tu sais. - Le vieux aussi il me fait peur. Pas toi? - Non pas du tout. Il a l'air grincheux mais je ne crois pas qu'il soit mauvais ou prêt à faire du mal, pourquoi te fait-il peur? - Je n'aime pas les meneurs, et lui, il est de cette trempe là, et ils deviennent tout de suite despotiques, il suffit qu'on les laisse faire. - Moi je pense plutôt qu'il nous faut un homme comme lui pour nous en sortir. Je ne suis d'aucun secours, car je ne connais rien de la vie à la 20


dure, mais je m'adapte et tu devrais en faire de même si tu ne veux pas devenir fou. - Oui, tu as raison, il faudra bien que je m'y fasse. - Et en ce qui concerne l'éventuel despotisme de Lakhdar, je te fais confiance pour le contrer, finit la jeune fille en souriant. - Es-tu mariée Fatma? - Oui, je devais rejoindre mon mari à Paris. - Tu l'aimes ton mari? - Comment le savoir je ne le connais même pas. - Quoi ça existe encore en 2001 ça ? Pourquoi as-tu accepté ? Ah oui, je vois la perspective d'habiter Paris, n'est-ce pas? - Tu te trompes Samy, elle baisse tristement la tête, je n'ai rien choisi, tout m'a été imposé par mon père et mes frères. Ils ont décidé de tout sans me demander mon avis je n'avais qu'à obéir et me plier à leur décision. - Ah oui je vois tu fais encore partie de ces familles arriérées où la femme n'est qu'un objet de décor et de désaccord bonne à obéir, quelles foutaises, je n'en reviens pas. Au moins pour toi ici c'est un peu de liberté. - Tu ne penses pas si bien dire Samy, c'est une trêve bienvenue. - Combien de frères tu as? - Cinq frères, je suis l'unique fille. L'année dernière un cousin de mon père est venu en vacances à Alger. Avant de repartir en France il a demandé ma main à mon père qui la lui a accordée sur le champ, disant que c'est un honneur pour lui. Il me l'a annoncé froidement en me demandant de me préparer pour partir dans une année. Il m'a même dit que j'avais de la chance de l'épouser. Le cousin de mon père a 55 ans et moi je n'en ai que 25. Je ne te cache pas que je suis contente d'être ici. - Donc tu n'es pas encore mariée. - Mais si, le mois dernier il est venu et nous avons été à la mairie, la fête s'en est suivie. Il est reparti deux jours plus tard en me demandant de le rejoindre le mois d'après ce qui m'a emmenée sur ce vol. Tu sais Samy j'ai vraiment l'impression de discuter avec une amie, personne ne m'a jamais demandé mes sentiments sur quoi que ce soit, je suis contente. Je n'ai jamais eu d’amie à qui me confier, tu sais. 21


- Même pas à l'école? - J'ai arrêté l'école en 6ème, mon père et mes frères ont décidé que j'avais assez appris et que j'étais trop grande pour me rendre seule à l'école. Il fut donc décidé que je resterai à la maison pour aider ma mère à élever mes petits frères. - C'est du méga-délire-grave ton histoire, et tu habites où? - A Climat de France, sur les hauteurs de Bab El Oued. - Ah oui d'accord je vois. - Et toi tu habites où? - Diddouche Mourad pas loin du monoprix enfin l'ex monoprix. Tu vois où c'est. - Oui bien sûr, j'y vais souvent avec ma mère pour rendre visite à ma grand-mère, qui habite avec mon oncle au Sacré- Coeur. La voix de Lakhdar les fait sursauter. Samy se lève brusquement et le toise du haut de son mètre quatre vingt, il le dépasse de quelques centimètres. - Tu ne peux pas t'annoncer au lieu d'arriver comme l'humidité! - Pourquoi tu as quelque chose à cacher, petit ? le taquine l'archéologue. - J'ai vraiment soif, se plaint Fatma, nous devrions aller chercher de l'eau. Cela nous permettra d'explorer l'île. Qu'en pensez-vous ? - Allons-y ,puisque apparemment personne n'arrive à dormir. Il leur tourne le dos et se dirige vers la forêt, suivi des deux jeunes gens qui se sourient, déjà complices. - J'ai lu quelque part, annonce Samy en prenant un air important, que certaines plantes grasses contiennent de l'eau potable, aaaaahhhhh, qu'est-ce que c'était? Dites-moi, c'est horrrrible il m'a touché le pied, il s'éloigne du lieu en sautillant et se tordant les mains. - Ce n'est qu'un lézard, crie Lakhdar hilare, c'est la grosse bête qui a peur de la petite bête ? - Oh toi, cherche ton eau et fiche moi la paix. Je hais cet endroit je vous hais touuuuuus, finit-il en hurlant. 22


Neila est réveillée par un cri strident. Elle pense qu'il vient de l'extérieur, mais en regardant par la fenêtre elle ne voit personne. Les paroles reprennent, là elle est sûre, les sons proviennent de la chambre: " allons donc, je serais comme Jeanne d'Arc j'entends des voix maintenant ?" elle tend l'oreille mais ne perçoit plus rien, elle se rendort, en pensant qu'elle a peut être rêvé. La vois du maître assistant la tire de sa rêverie. Elle pense encore aux voix de la nuit dernière. Heureusement qu'elle avait pris le temps de relire MacBeth de Shakespeare, faire ses devoirs fait partie des contraintes des études et elle n'a pas envie de rater son année de licence d'Anglais. - Mademoiselle Neila, pouvez-vous nous dire ce que vous avez retenu de cette pièce? - Le proverbe, commence la jeune fille en se raclant la gorge," bien mal acquis ne profite jamais" sied bien à cette pièce de théâtre. La perfidie, la cupidité et la voracité de lady MacBeth ont certes conduit son mari au trône, mais le règne fut bref et fatal. Deux phrases ont retenu mon attention plus qu'aucune autre, la première traduit l'esprit trompeur et machiavélique de lady MacBeth, je la cite " Pour tromper le monde, paraissez comme le monde. Ayez la cordialité dans le regard, dans le geste, dans la voix. Ayez l'air de la fleur innocente mais soyez le serpent qu'elle cache" .Et la seconde est " Il n'est point d'art pour découvrir sur le visage les dispositions de l'âme." C'est ainsi que le roi Duncan d'Ecosse fut floué par son fidèle MacBeth, en effet celui-ci donnait toute sa confiance et son affection à MacBeth, son général des armées. Mais celui-ci, faible et poussé par l'avidité de sa femme, a trahi le roi et le tua lors du dîner, qu'il a donné chez lui en son honneur. Il tue les gardes et mêle leur sang à celui de leur souverain pour faire croire que ce sont ceux-ci qui ont commis le crime. Mais le fils du roi Malcom n'y croit pas, il se sauve avec MacDuff un des nobles d'Ecosse et ami de Malcom ; ils reviennent déguisés en arbres et MacDuff décapite le nouveau roi. Cette pièce est représentative de tous les crimes commis au nom du pouvoir et de la cupidité avant le XVI ème siècle, après et jusqu'à nos jours. - Bien merci, quelqu'un d'autre? Neila recommence à penser aux voix de la veille oubliant le maître assistant et les autres étudiants. Etaient-ils des djinns venus pour troubler ses nuits? Se demande-t-elle, mais elle chasse non sans frissonner d'effroi cette hypothèse. De toute évidences ils ne lui voulaient aucun mal, du moins pour le moment, se dit-elle pour se rassurer. Heureusement que Ismahane l'amie égyptienne de feue sa grand-mère arrive aujourd'hui, à deux, elles sauront quoi faire. Le remue- ménage dans la salle la ramène à la réalité. Le cours est fini, et les étudiants se dirigent vers la sortie. Neila se rend soudain compte qu'elle n'a pris aucune note. 23


Elle avise l'un de ses camarades de TD, et lui quémande les notes, en promettant de les rendre le lendemain. Celui-ci s'empresse de les lui tendre ravi qu'une si jolie fille s'adresse à lui : - Je ne sais pas si tu vas comprendre mon écriture, si tu veux on peut aller sur la pelouse et je t'expliquerai. - Non, merci, je me débrouillerai. En souriant elle lui tourne le dos et se dirige vers sa voiture. Elle ne veut pas arriver à l'aéroport en retard. Bouzareah grouille de monde, la circulation est dense à l'heure du déjeuner. Enfin arrivée au carrefour de Chevaley, elle s'engage sur l'autoroute. Depuis l'attentat à la bombe qui a coûté la vie à une soixantaine de personnes, l'aéroport Houari Boumedienne est fermé au public, sauf si on est muni d'un billet pour un départ. Neila est donc obligée d'attendre Ismahane à l'extérieur sous un préau. Dés qu'elle l'aperçoit elle court vers elle. Les deux femmes s'embrassent, émues aux larmes. Le souvenir de Fifi est encore trop présent pour toutes les deux. Neila prend Ismahane par la main et l'attire vers le parking, elles sont suivies de près par le jeune homme qui porte les bagages de l'égyptienne. Neila a toujours été subjuguée par la classe et le port de tête altier de la jeune femme. " Elle doit sûrement avoir du sang de Cléopatre dans les veines" disait d'elle Fifi. Neila pense en ce moment que sa grand- mère n'avait pas tort. Ismahane a vraiment l'air d'une reine d'une grande beauté qui plus est. Son visage aux traits fins et réguliers est d'une parfaite proportion. Son regard de jade, logé dans des yeux en amande est surmonté de longs cils. Une bouche fraîche, aux plis tendres et qui fleurit quand elle sourit. Des oreilles délicates et un nez fin et mutin complètent l'ensemble du visage porté par un cou gracile. Aujourd'hui elle porte une robe à la coupe parfaite qui moule étroitement ses hanches fines et rondes et sa taille mince. Sa couleur vert émeraude rehausse l'éclat de ses yeux. Ses cheveux lui arrivent jusqu'aux épaules ils sont soyeux et châtains agrémentés de quelques mèches dorées. On ne peut rester indifférent à cette beauté que ses 43 ans n'ont en rien altérée. Elle ne parle pas beaucoup, Fifi disait d'elle: " Ismahane a le don de captiver tous ceux qui l'écoutent, elle ne répète jamais la même phrase, n'explique jamais ses mots, elle laisse le soin aux autres de le faire et tant pis si vous n'avez rien compris. A quoi Neila répliquait : "- Elle doit être bien prétentieuse et imbue d'elle même , ton amie! Grandmère. Et cela m'étonne, car toi tu es la simplicité par excellence.

24


"- Merci trésor, mais tu ne dois pas la juger sans la connaître. Tu la rencontreras bientôt et je te promets que tu vas changer d'avis sur son compte." Neila devait avoir 9 ans à cette époque. Depuis elle avait plusieurs fois revu la jeune femme lorsque celle-ci venait en visite chez Fifi. Elle avait découvert une femme intelligente, chaleureuse et pleine de bonté et très belle de surcroît. Et aujourd'hui c'est la première fois qu'elle se sent proche d'elle. D'habitude elle ne la voit que très peu de temps, lorsqu'elle logeait à Mahelma, les deux amies préférant rester seules. Arrêtée au feu rouge Neila se découvre une passion nouvelle pour ce profil altier. Ismahane se retourne brusquement et plonge son regard dans le sien. Le temps suspend savol, Neila est happée par ce beau regard profondément ancré au sien. Les Klaxons rompent le charme. Neila démarre avec l'impression de flotter sur un nuage. Elle se demande ce qui lui arrive, elle se sent toute chose. Le regard d'Ismahane, elle doit l'admettre, l'a bouleversée, ensorcelée, charmée. Son coeur bat à tout rompre, elle sent en elle la fête qu'a organisé son cœur à son insu. Du coup elle se sent intimidée et vulnérable et elle n'aime pas ces deux sentiments qui trahissent la faiblesse. Ismahane lui prend la main qui est posée sur le levier de vitesse. Neila se tourne vers elle et lui rend son sourire. Elle est heureuse pour la première fois depuis bien longtemps. Pour quelques jours Ismahane allait combler le vide laissé par les gens qu'elle aimait le plus au monde.

Pendant ce temps les trois survivants explorent l'île. Au bout de deux heures de marche, ils entendent le bruit d'une cascade. Lakhdar s'exclame en tendant l'oreille: - J'ai l'impression que le bruit vient de l'est. - Et pourquoi pas de l'ouest ou du sud, ricane Samy toujours maniéré. - Eh bien je t'en prie jeune homme, va de ton côté moi je vais faire confiance à mon ouïe. Il se dirige résolument vers l'endroit suivi de Fatma et... de Samy. - Ohhhhhhh! s'extasient-ils tous en choeur. Et pour cause, le spectacle est féerique. L'eau avait trouvé une fente dans la roche et s'y était glissée pour se déverser en trombe. L'eau a creusé un cratère en forme de bassin entouré de plantes et de fleurs multicolores. 25


- Croyez-vous qu'elle soit potable? - Ce qui vient de la montagne est toujours pur, contrairement à toi. - Qu'est-ce que tu veux dire vieille peau? Tu me connais à peine et déjà tu me juges impur? - Excuse-moi Samy, ça m'a échappé. Je voulais juste te taquiner. D'ailleurs pour me faire pardonner je vais goûter le premier, il tend sa main en corolle et y cueille une eau fraîche et limpide, il savoure le breuvage en fermant les yeux, il se tourne vers eux, le sourire aux lèvres, elle est parfaite. Ils se ruent tous en présentant leurs mains à la chute, ils boivent goulûment en riant et s'éclaboussant, heureux d'être désaltérés. Lakhdar et Samy ôtent leurs vêtements et plongent. Fatma grimpe sur les rochers, en cherche un plat, à l'abri des regards de ses compagnons. Elle se débarrasse de ses habits mouillés, les suspend à une branche et s'étend sur la pierre chaude. Le soleil n'est pas brûlant. Elle décide que c'est le printemps. Tout le chante. Des oiseaux, aux fleurs bariolées. Elle ferme les yeux et se persuade qu'elle est au paradis. Après un petit somme elle se lève et tâte les pierres à la recherche de ses vêtements, ils sont secs. Elle les enfile rapidement. En se retournant elle aperçoit une sorte de banc à la base large fait de grosses pierres rectangulaires. Il est envahi par la végétation. Elle appelle les autres mais n'obtient aucune réponse. Elle descend de son rocher et va vers la chute mais nulle trace d'eux. Elle met ses mains en cornet contre sa bouche et crie de toutes ses forces leurs prénoms. Soudain ils émergent de derrière un arbre. - Où étiez- vous? Je me suis inquiétée. - On comparait nos parties si tu vois ce que je veux dire, lui répond Samy en jetant un regard moqueur à son aîné, nous sommes allés soulager notre vessie. - J'ai vu quelque chose, une sorte de banc. Il n'y a que des hommes qui auraient pu le construire. L'île doit sûrement être habitée. Suivez-moi je vais vous montrer. Arrivés devant la construction Lakhdar déclare d'un ton docte. - C'est un mastaba, une tombe de l'Egypte antique. Les riches égyptiens se les faisaient construire pour y être enterrés. Comme ils rappellent la forme des bancs ils les ont appelé mastaba qui signifie: banc. - Tu veux dire que nous sommes en Egypte? demande Samy d'une voix aiguë. 26


- Non cette tombe date de l'Egypte antique elle a du être érigée 5000 ans avant notre ère. - Comment pouvez-vous le savoir ? S’étonne Fatma captivée. - Je suis archéologue et les vestiges du passé sont ma passion et ma spécialité. Un mastaba se compose de deux parties. La chapelle et le caveau. Celui-ci se trouve au fond d'un puits, c'est là qu'on dépose le sarcophage. La chapelle se situe à l'est en général. - Et à qui appartient ce mastaba? Monsieur-je-sais-tout! Ricane Samy impressionné quand même. - Je ne saurais le dire. Il faut trouver le puits d'accès. Les hiéroglyphes qui ornent en général les parois nous enseigneront sur la personne qui y est enterrée. Ce qui m'intrigue, c'est ce que fait cette construction de l'antiquité sur cette île. - Mais comment pouvons-nous savoir que nous sommes sur une île? - Nous avons pu le voir, Fatma et moi, pendant que tu ramassais du bois, répond sèchement l’archéologue. - Savez-vous ce qu'il faut faire pour que cette tombe nous livre son secret? Demande la jeune femme pour apaiser une tension montante entre ses deux compagnons. - Oui, Fatma je pense le savoir. Il regarde autour de lui, avise un petit bloc de pierre va le prendre et commence à taper sur les dalles. L'une d'elle va sonner creux et là ce sera le puits. Voila c'est celle-ci. Viens écouter, tu verras la différence de sons. Tu entends? - AH oui! C’est vrai. Donc c'est par là qu'on pourra pénétrer à l'intérieur? - Tout à fait. Il nous faut trouver des instruments pour détacher la pierre. De longues pierres pointues et assez larges pour qu'elles résistent. Elles nous serviront de burin. Nous prendrons d'autres, plus grosses, qui seront nos marteaux. - Je peux aller en chercher, propose Samy - Bonne idée! Déclare l'archéologue en voyant le jeune homme montrer de la bonne volonté. Nous ferons des trous aux quatre coins de la dalle. Ensuite nous y planterons des morceaux de bois que nous arroserons abondamment. Le bois gonflera et fera craquer la pierre, celle-ci se détachera et nous pourrons l'enlever ou la pousser vers le fond. 27


- Lakhdar, vous êtes épatant! - Oh non, ma fille, je n'ai aucun mérite. C'est ainsi que procédaient les égyptiens pour extraire de la roche les blocs de pierre qui servaient à la construction des pyramides. Allez nous allons rapporter ici tout ce que nous trouverons pour débuter l'opération. Samy et Neila partent ensemble d'un côté, Lakhdar d'un autre. La jeune fille se trouve en sécurité avec le jeune homme. Elle le considère comme une copine. Lakhdar lui plus viril, lui fait un peu peur. Sa mère lui disait toujours que les hommes ne peuvent pas se maîtriser. Dés qu'ils se retrouvent seuls avec une femme, ils ne pensent qu'à une seule chose: la sauter. Sa génitrice lui a inculqué la méfiance vis à vis des hommes ; son père et ses frères, la peur des hommes. Et voila qu'elle se retrouve seule entre deux spécimens de cette espèce tant redoutée pour elle par sa famille. Heureusement que l'un des deux est homo. Celui-ci interrompe ses pensées. - Je suis très excité à l'idée de ce qu'on va découvrir dans cette tombe. - Ah oui, et qu'est-ce que tu espères trouver? - Mais, n'est-ce pas évident? D’abord où nous sommes et pourquoi nous y sommes et ce que nous y faisons. Je ne te cache pas Fatma que j'ai peur de l'inconnu. Tu vois, moi je suis carré, et ce qui est bizarre me rend nerveux. Ce soleil par exemple qui ne veut pas se déplacer me fait froid dans le dos. - Voila ce qui explique ton humeur râleuse, le taquine la jeune fille. - Je suis râleur moi!? Mais ma parole tu délires grave. Et puis si tu n'as rien d'autre à me dire que ces conneries, tu n'as qu’à chercher toute seule. Il dresse fièrement la tête d'un coup sec et s'éloigne en se déhanchant outrageusement. - Reviens Samy! Je te taquinais. S'il te plaît ne me laisse pas seule ici, le prie-t-elle en souriant. Il revient sur ses pas et tous deux commencent à ratisser le sol à la recherche d'outils de fortune. Une heure plus tard, trois tas se dressent près du mastaba, l'un constitué de pierres en forme de burin, l'autre est fait encore de pierres mais plus grosses, et le troisième de bouts de bois. Lakhdar pioche dans les deux premiers et présente à chacun de ses compagnons, deux pièces. - Voici vos instruments, s'ils cassent vous en prendrez d'autres. C'est fou, j'ai l'impression d'être revenu à l'ère préhistorique où tous les outils 28


étaient taillés dans la pierre. Nous allons vers les périodes, abevilienne, périgourdine, solutréenne... Il n'achève pas, abîmé dans sa rêverie. - Tu peux traduire ce charabia? On ne comprend pas le chinois de la préhistoire. -Ce sont des périodes de la préhistoire où l'homme a appris à utiliser la pierre pour son confort dans la vie de tous les jours. Il a donc façonné des outils qui lui servaient à chasser, à construire et à pêcher. Plusieurs heures plus tard, en sueur, ils se rendent compte de la solidité du mortier. Leurs trous sont à peine entamés et les tas de pierres maigrissent à vue d'oeil, en effet ils en ont cassé pas mal. Lakhdar les encourage à continuer et à persévérer. Enfin les trous sont assez profonds. L'archéologue prend des morceaux de bois et les taille en pointe avec son couteau suisse. Il les place aux quatre coins de la dalle. Il puise de l'eau dans un tronc creux et arrose le tout. - Je ne sais pas combien de temps ils vont mettre pour gonfler. Si nous allions chercher de quoi manger en attendant? - J'ai une idée, crie Samy, prête-moi ton couteau. Il prend la lame que lui tend l'homme, ôte sa chemise, en coupe un long pan et attache solidement le couteau à un bâton. Il court vers la mer. Il revient quelques instants plus tard avec plusieurs poissons fichés à sa lance. Et voila le travail! Fatma tu veux bien les évider? Moi ça me dégoûte. Lakhdar prépare le feu, il place des pierres plates sur lesquelles le poisson cuira, lorsqu'elles seront bien chaudes. Enfin repus, ils s'allongent chacun de son côté pour se reposer en attendant de découvrir enfin le mystère du mastaba.

CHAPITRE IV

Cinq jours après l'arrivée d'Ismahane, Neila prépare le dîner pendant que son amie prend son bain. Neila repense aux jours passés en sa compagnie, 5 jours de bonheur et d'insouciance. Mais elle ne se le cache pas, Ismahane l'a toujours intimidée, troublée. Elle est décontenancée par ce sentiment étrange qu'elle éprouve en la présence de l'égyptienne. Un souvenir lointain envahit sa mémoire, elle devait avoir 14 ou 15 ans, ses parents l'avaient confiée pour un week-end à Fifi. Elle jouait avec son petit frère dans sa piscine gonflable posée au milieu du jardin. Elle avait eu soif et était partie chercher de l'eau dans la cuisine. La porte était 29


légèrement entrebâillée, ce qu'elle vit stoppa net son élan. Ismahane et Fifi s'embrassaient comme le faisaient les acteurs dans les films. La tendresse qui émanait de leurs caresses et leurs bouches collées l'avaient profondément bouleversée. Elle repartit vers jardin, ébranlée, et jamais elle n'en parla. L'objet de ses pensées apparaît devant elle. Son coeur s'emballe, saisi d'un vif émoi. Ismahane entoure ses épaules de son bras et lui demande gourmande, en l'attirant à elle: - Que prépares-tu de bon ma chérie? Ta grand-mère était une excellente cuisinière tu sais. J’ai hâte de goûter à ton plat qui sent si bon. - Tomates et poivrons farcis cuits au four, répond Neila en feignant de prendre le sel pour échapper au bras protecteur. Elle se surprend à espérer un baiser de cette belle bouche tendre et fraîche. A 43 ans l'égyptienne garde un corps d'adolescente souple et mince. On ne lui donne jamais son âge. Tout en elle s'est conservé à part quelques ridules aux coins des yeux qui donnent plus de chaleur à son regard. Neila s'oblige à penser à autre chose, elle ouvre le four vérifie la cuisson, un geste qu'elle venait de faire quelques seconde plutôt. Elle prépare la table, se déplace rapidement et avec nervosité. Ismahane prend conscience du trouble de la jeune fille, elle quitte la cuisine et va se détendre au salon. Elle aussi est émue par sa présence. Ce qui la ramène loin dans ses souvenirs. A la femme qu'elle a passionnément aimée quand elle même avait vingt ans. Elle avait vu Fifi pour la première fois, quand celle-ci était venue pour faire une conférence à l'université, où elle préparait, elle-même, une licence en archéologie. Elle avait été sélectionnée par ses professeurs pour suivre, avec un petit groupe d'étudiants, Fifi à Assouan pour des fouilles. Fifi avait 36 ans elle était reconnue par ses paires égyptiens pour avoir découvert une tombe secrète. Elles s'étaient tout de suite plues. Leur passion pour l'histoire de l'antiquité les avait rapprochées. Pendant leur séjour à Assouan, elles passaient une grande partie des nuits à parler à la lueur d'une bougie, sous la tente qu'elles avaient décidé de partager durant les fouilles. Le moment de se séparer arriva trop vite. Chacune devant rentrer chez elle. Ismahane et les autres au Caire et Fifi en Algerie. L'égyptienne avait eut le coeur déchiré. Quitter sa première véritable amie fut pour elle une épreuve qu'elle ne put aisément surmonter. Elle se jura que jamais elle ne renoncerait à son idole. Dés la fin des examens, elle appela Fifi pour lui annoncer sa venue. Fifi avait été ravie de l'accueillir. Une semaine plus tard elles se rendaient compte toutes deux que ce qui les unissait n'était pas qu'une simple amitié mais un réel et profond amour. A quel moment était-ce arrivé? Elles n'en savaient rien. Elles s'étaient déclarées leur flamme dans le jardin de la maison à Mahelma. 30


Ismahane lui avait pris les mains entre les siennes et lui avait avoué son amour. Elle se souviendra toujours du regard étonné et ravi de son aînée. Leur amour dura 15 années. 15 ans de bonheur absolu et de félicité. Ismahane allait à Mahelma toutes les fois que le lui permettait son emploi du temps. Elle venait en Algerie sept à huit fois par an et Fifi allait en Egypte le même nombre de fois. Mais un jour Ismahane contrainte, dût épouser l'associé de son père. Fifi avait très mal pris la chose et lui écrivit une lettre dans laquelle elle lui demandait de l'oublier. Les supplications de l'égyptienne n'ont pu l'ébranler. Elle demeura inflexible dans sa résolution. Ismahane avait comprit qu'elle avait perdu son unique amour. Elle fut anéantie. Aujourd'hui à 43 ans elle est veuve et seule. La voix de Neila la ramène à la réalité: - Viens manger Maha! - Seule ta grand-mère m'appelait ainsi tu sais. - Eh bien, je serai la seconde à le faire. Elle sert copieusement sa compagne et lui demande, dis-moi Maha, comment as-tu su qu'elle était morte? Pardonne mon indiscrétion mais je sais que cela fait longtemps que vous ne vous êtes plus vues. A part le jour où tu es venue pour l'enterrement de ma famille, il y a trois ans. - Tu n'es pas indiscrète ma chérie, on l'a annoncé dans une revue d'histoire. Je suis venu à cause de toi. Je me suis dit que tu avais besoin de quelqu'un de proche pour te soutenir. Je sais que nous ne sommes pas si proches que ça mais on se connaît bien. J'ai bien fait de venir n'est-ce pas? - C'est très gentil de t'inquiéter pour moi. Et bien sur que tu as bien fait. Je suis très heureuse que tu sois près de moi. Tu aimes mon plat? - C'est délicieux. Merci de te donner autant de mal pour moi. Ta cuisine n'a d'égal que ta beauté. Neila baisse la tête en rougissant. Elle se demande ce qui lui arrive. Elle n'a jamais été gênée par si peu. Elle entend d'ailleurs souvent ce compliment. Décidément en présence d'Ismahane sa maîtrise vole en éclat. Et voila qu'elle se comporte comme une adolescente qu'elle n'est plus. De son côté Ismahane lui trouve beaucoup de ressemblances avec Fifi. Dans le geste, le regard. C'est Fifi en plus jeune. Neila regarde Ismahane, qui plongée dans ses réflexions semble absente. Leurs pupilles se croisent et Ismahane est submergée par un élan de tendresse qui la pousse vers la jeune fille. Elle refoule le torrent tant bien que mal. Elle décide d'accepter l'invitation que lui ont faite des amis le matin même, de dormir chez eux. La proximité de la jeune fille la rend elle aussi de plus en plus nerveuse. 31


Elle téléphone rapidement, puis va dans sa chambre pour se préparer, son ami viendra la chercher un peu plus tard. Elle sent que Neila est un fruit mûr et qu'elle n'a qu'à tendre la main pour le cueillir, mais elle ne le veut pas. Elle sait, elle, comme l'amour est beau mais parfois cruel et douloureux. Neila ne fait rien pour la retenir, la jeune femme est libre de ses faits et gestes. Elle craint seulement de passer la nuit toute seule. Après le départ de son amie en revenant au salon elle avise son baladeur, y met le C.D. de Mylene Farmer. Elle s'endort enfin bercée par la voix de sa chanteuse préférée. Samy se réveille le premier. Il sent qu'il a dormi longtemps au moins dix heures décide-t-il. Il entend un craquement. IL se lève et court vers le mastaba. C'est en effet la pierre qui craque et se fendille. Il commence à crier comme les indiens en tapant d'une main sur la bouche et en dansant autour de ses compagnons qui dorment à poings fermés: - Hourra! Debout Adam et Eve! On a réussi! hou! hou! hou! Nous sommes les plus forts. - Mais arrête donc, tu nous donnes le tournis. Je n'ai jamais eu un réveil aussi brutal de toute ma vie. Tu es vraiment infernal Samy. Mais Fatma ne peut s'empêcher de sourire devant la mine ravie du jeune homme, sa gaieté est contagieuse. Qu'est - ce qui t'arrive gros malin ?. - Dans peu de temps ce mastaba va livrer son secret ma chère! hourra! Neila se réveille en sursaut elle a entendu quelqu'un crier elle en est sûre. Elle entend une voix de femme à présent. Elle prend son courage à deux mains et crie à son tour. - Qui est là enfin? Crie-t-elle à son tour, plus pour se donner du courage qui commence à vraiment lui faire défaut. - Ahhhhhh! C’est quoi ça? Hurle Samy terrorisé et se cachant derrière Lakhdar. - Je ne sais pas Samy, je ne le sais pas. Lui répond ce dernier d'un air inquiet. Fatma les rejoint en courant, elle s'était éloignée pour soulager une envie pressante. - Vous avez entendu? dit-elle d'un accent où perce la terreur. - Ouiiiiiii! On a entendu, c'est peut être Dieu ou le diable, qui sait. Il secoue violemment le bras de Lakhdar, tu le sais toi? Tu dois le savoir puisque tu sais tout, réponds! 32


- Qui êtes-vous? demande Neila de plus en plus intriguée, apparemment ils ont plus peur qu'elle. Et où êtes- vous? - C'est qui, qui nous parle? Si vous devez nous tuer faites le tout de suite, je ne veux pas souffrir, hurle le jeune homme toujours caché derrière son aîné, lui pétrissant les bras à lui faire mal. - Nous sommes trois: deux hommes et une femme. Notre avion a crashé sur une île déserte et nous ne savons pas quoi faire pour nous en sortir. - Pourquoi tu lui donnes autant de renseignements tu veux notre mort? Pleurniche le rouquin alors que Lakhdar se libère en haussant ses épaules. Ils attendent tous les trois une réponse, la tête levé vers le ciel d'ou provient la voix caverneuse. Une île? Neila comprend de moins en moins. Elle pense que c'est son imagination qui lui joue des tours. Ou alors elle est en train de devenir folle. Elle se lève d'un bond et va dans la cuisine se servir un verre d'eau fraîche, elle boit aussi du lait. Elle remet son casque pour écouter encore les chansons de Mylène Farmer, pour pouvoir dormir, mais surtout pour ne plus entendre les autres voix.

Les trois personnages se regroupent et demeurent serrés les uns aux autres, attendant, l'oreille aux aguets. Samy parle le premier: - Je suis sûr moi que c'est Dieu qui nous a parlé. Qui sait, nous ne sommes peut-être pas des survivants, nous sommes sûrement morts et le soleil n'a plus besoin de se coucher. Si ça se trouve nous sommes au paradis. - Dieu ne nous aurait jamais demandé qui nous sommes, il l'aurait su. Et que fais-tu du reste de l'humanité? Tu crois que parmi des milliards de gens, nous serions les seuls à mériter l'Eden? - C’est une voix de femme en plus, lui répond Fatma. - Ma chère Dieu peut prendre la forme et la voix qu'il désire. Moi je suis sur que nous sommes au paradis. - Avec vous pour compagnie, jeune homme, j'aurai plutôt tendance à croire que c'est l'enfer, corrige Lakhdar. 33


- Oui, mais tu oublies un détail et pas des moindres. Le seul feu que je vois ici est celui que vous avez mis deux heures à allumer. C'est la voix céleste qui nous le dira. Eh, toi la voix réponds-nous. Sommes-nous en enfer ou au paradis? Réponnnnnds, finit-il en hurlant. L'espace entre deux chansons permet à Neila d’ ouïr les derniers mots criés par Samy. Elle dit à son tour excédée : - Mais qui est là, à la fin vous allez me le dire, oui ou non? - Ahhhhhhh! La revoilà, Samy court se réfugier auprès des autres. Son élan l'avait porté jusqu'à la plage. Il se colle, tout tremblant, à Lakhdar, déjà moins téméraire. Celui-ci crie à son tour. - Et vous, qui êtes- vous? Et où êtes- vous ? - Dans ma chambre, dans mon appartement à Telemly, à Alger. Et je peux vous assurer qu'il n'y a aucune île. Sinon les îles Baléares, Canaries, Malte qui se trouvent au nord au sud, mais il faut traverser la Méditerranée pour y aller, soit en bateau soit en avion. - Et qui êtes-vous ? Questionne Fatma, qui a prit un peu plus d’assurance, la voix n’a aucune intonation menaçante. - Je m'appelle Neila, je suis étudiante à la faculté de Bouzaréah, je prépare une licence d'anglais. Et vous, comment cela se fait-il que je vous entende avec autant de distinction. - Vous voulez dire que vous êtes un être humain comme nous? - Ben oui, comme vous, je pense. - Moi je suis Fatma, j'habite, enfin j'habitais avant le crash, à Bab El oued. Je devais me rendre à Paris pour rejoindre mon époux. - Moi c'est Samy, je suis ingénieur en informatique. Je devais être à Paris pour assister à un séminaire et j'ai échoué sur cette île de malheur. Et nous sommes trois avec notre archéologue de service. Il s'appelle Lakhdar et il est comme nous, prisonnier de cette autre dimension. Si tu es à Telemly, où sommes-nous, si ce n'est dans un monde parallèle ? Peut être sommes nous devenus des djinns. Le saurais-tu, toi Neila? C’est ainsi que tu as dit que tu t'appelais, n’est-ce-pas ?. - Oui, c'est ça. Mais vous savez, moi je ne vous vois pas, je vous entends uniquement.

34


- Vous vivez et nous aussi, mais dans deux mondes différents. Mais nous aussi nous habitions Alger, reprend Samy d'une voix altérée. - Eh bien je ne peux rien pour vous, pour le moment du moins. Et je dois me lever pour réviser quelques cours car j'ai un examen tout à l'heure. Alors à bientôt. Vous serez toujours là, n'est-ce-pas? - Je ne crois pas que nous ayons le choix de changer de lieu de résidence. Va réviser et merde pour ton examen. - Bonne chance Neila, reprennent en choeur Fatma et Lakhdar. - Merci, à plus alors. Elle s'enferme dans son bureau osant à peine croire qu'elle venait de parler à des fantômes.

- Visez - moi ce poisson les amis! Il doit peser au moins une tonne, je n'en reviens pas moi - même, s'extasie Samy en brandissant sa prise devant lui. - Eh bien! Ça nous changera des sardines que tu as prises tout à l'heure, Lakhdar regarde vers le soleil, enfin je ne sais plus, peut être était-ce hier. Qu'en penses- tu Fatma? - Moi, je ne sais pas. Je reste intriguée par toute cette histoire. - Moi, ce qui m'intrigue c'est que tu ne t'extasies pas devant mon poisson. - Tu es vraiment puéril Samy, Fatma, a raison, nous devons sérieusement nous inquiéter de savoir si nous avons échoué sur une île enchantée. Et surtout de nous demander comment cette Neila peut nous entendre. - Depuis que nous sommes là nous ne faisons que nous poser 36 mille questions. Moi je ne préoccupe plus de rien. La réalité est là. L'autre vit à Alger et nous nulle part. Nous avons échoué comme tu dis si bien, ici et obligé de vivre comme Crusoé Robinson. Soit, il faut nous en accommoder jusqu'à nouvel ordre. A quoi bon nous torturer avec des questions qui n'ont pas de réponses logiques, en tout cas pas à notre portée. - Je te vois mal en Vendredi. Tu as peur de ton ombre, et à la moindre petite bête tu fonces sur moi et tu m’attaques avec tes serres. En plus tu ne fais rien sans l'Internet d’après ce que j’ai compris. - Je suis civilisé moi. 35


- Arrêtez de vous comporter comme chien et chat, vous me fatiguez à la fin. J'ai l'impression que vous êtes des gosses tous les deux. Elle sent les sanglots monter en course vers sa gorge. Elle leur tourne le dos et s'éloigne en courant pour pleurer tout son saoul à l'abri. Quand elle est assez loin elle crie vers le ciel: - Parlez-moi vous qui êtes notre seul salut, mais personne ne répond, vous nous avez abandonnés vous aussi. Elle est rejointe quelque temps plus tard par les deux autres qui s'excusent humblement. - Allez viens Blanche - Neige, allons manger, le poisson est prêt. On t'a préparé un festin. Ne te fâche pas contre nous, viens. Lakhdar avait disposé des morceaux de poisson encore fumants sur de larges feuilles posées sur des souches d'arbres. Des tubercules craquent sur la braise. Fatma est touchée par l'effort fourni par les deux hommes pour se faire pardonner. Elle les embrasse et prend le "plat" que lui tend un Samy tout penaud, étant très sensible, il ne supporte pas de voir une personne pleurer. Et encore moins si c'est par sa faute. Repu Lakhdar fait un tour du côté du mastaba. Satisfait, il revient vers eux. - La pierre cédera bientôt. Il n'y aura plus qu'à taper dessus en espérant que c'est bien celle qui ferme l'accès du puits. - Tu avais l'air plus sûr de toi... Jetant un coup d'oeil à Fatma, enfin espérons le comme tu dis. Ce qui fait sourire ses deux compagnons, Samy est tout de même très attachant. - Puisque nous avons du temps devant nous, allons chercher des lianes. Propose leur aîné, les puits peuvent être très profonds. Nous les utiliserons comme des cordes pour descendre au fond. Parfois les puits peuvent atteindre jusqu'à 28 mètres de profondeur. - Mais pourquoi creusaient-ils aussi loin? demande Fatma, toujours avide de savoir, elle qui a quitté l'école trop tôt. - Pour que les caveaux qui renferment les corps et les richesses ne soient pas volés par les vivants. Les tombeaux des pharaons étaient piégés pour assurer aux morts paix et sécurité et dissuader les pillards. Ils s'enfoncent au coeur de la forêt. De longues lianes, pendant des arbres, les accueillent. Samy s'accroche à l'une d'elle et se balance en 36


poussant le cri de Tarzan. Des oiseaux multicolores s'envolent en désordre, surpris par les hurlements. En revenant dans sa chambre pour se préparer, Neila perçoit le célèbre cri. Elle reconnaît tout de suite la voix haut perchée du jeune homme: - Vous êtes encore là? - Où veux- tu qu'on aille. Bien sûr qu'on est encore là, répond Samy en imitant Neila. Alors tu as bien appris ta leçon? - Oui, merci de t'en inquiéter Samy. Comme j'ai encore un peu de temps avant de partir, je voudrai qu'on cause. - Je suis toujours avec Blanche - Neige et le dégénéré, ou monsieur - je sais - tout, comme tu veux. - Ne l'écoutez pas Neila, intervient Fatma, Lakhdar n'a rien d'un dégénéré au contraire. Et il sait tant de choses que c'est un plaisir de l'écouter parler. Samy est sûrement jaloux de tout ce savoir. - J’hallucine, moi jaloux? Tu délires méga grave ma belle. - De quoi veux- tu parler, reprend Fatma sans répondre à son ami qui prend vite un air boudeur. - De rien de particulier, je veux juste me familiariser un peu avec vous. Vous avez élu, malgré vous, domicile dans ma chambre et j'ai envie de mieux connaître mes hôtes. - Tu ne pourrais pas nous envoyer un peu de pluie nous avons marre du soleil, dit Samy. - Vous avez de la chance, ici il fait gris en plein mois de Juin. - Et nous, nous prions pour qu'il fasse gris. Mais le soleil est notre seul climat, notre seule saison. Nous sommes figés dans une seule saison. - Je ne comprends pas. - Le soleil ne se couche pas, il reste toujours à la même place, il fait tout le temps jour sur cette île, explique Lakhdar. - Vous êtes sûrement dans un monde parallèle. - C'est toi qui es dans un monde "parallèlitique". Moi je suis vivant je le sens je le sais. "Cogito ergo sum." Je pense donc je suis. 37


- Oui, sourit Neila à un Samy imaginaire, je ne sais pas quoi en penser. Après tout tu as probablement raison. - Serait- ce le triangle des Bermudes dans lequel nous sommes perdus? pense tout haut Fatma. - Ce qui m'étonne c'est que je ne vous entends que dans ma chambre. - Oui, tu es dans ta chambre et nous sur une île au soleil éternel, reprend Samy. - Neila avez- vous une gravure ou un dessin d'une île sur les mûrs? Interroge l'archéologue. - Non, j'ai juste un poster de Mylène Farmer et un autre d’Amélie Mauresmo. - Quel âge avez- vous Neila? S’intéresse Fatma. - J'ai 22 ans et toi? Je pense qu'on peut tous se tutoyer. - 25 ans, je devais rejoindre mon mari à Paris quand l'accident est survenu. - Je dois vous avouer que vous m'avez fait très peur hier, mais là je suis rassurée. Je vois que vous êtes des personnes et pas des djinns comme je l'ai cru en premier. Je n'ai plus qu'à vous souhaiter la bienvenue chez moi. - Elle en a de bonnes l'autre, la voix! Nous sommes prisonniers, condamnés à vivre dans cet endroit de malheur, et elle tout ce qu'elle trouve de réconfortant à dire c'est "soyez les bienvenus", puisqu'elle n'a plus peur. Tu croyais avoir affaire à des monstres? Tu délires complètement ma pauvre! S’égosille Samy en prenant ses amis à témoin. Neila rit de bon coeur. Tout en leur causant elle s'était préparée. Elle leur dit au revoir, ils lui répondent "merde" en choeur pour son examen. Dans sa voiture, Neila s'inquiète pour le sujet qu'on va leur donner. Elle se dit que ce serait bien qu'il s'agisse de MacBeth qu'elle maîtrise bien. Une heure plus tard, elle sourit en tenant à deux mains le sujet: "cool, pense- t - elle, je rentrerai plus tôt pour préparer le déjeuner pour Ismahan, allez attaquons". Sans faire de brouillon elle noircit quatre pages. Elle remet son travail au surveillant. Celui - ci lui demande d'un ton condescendant et plein de suspicion : 38


- Etes - vous sûre d'avoir fini, mademoiselle, ne voudriez- vous pas relire votre travail? - Non, monsieur, j'ai fini. Bon courage à tous au revoir et bonnes vacances. Le professeur hoche la tête avec ironie pensant qu'ignorante, elle avait bâclé le devoir. Mais en jetant un regard sur l'écriture ronde et lisible, il doit admettre que l'étudiante a très bien cerné le sujet et l'a bien développé. Il sourit de contentement, regrettant d'avoir douté du sérieux de cette superbe demoiselle. Il l'avait trop rapidement classée dans la catégorie des sois - belle –et - tais - toi. Il regarde les autres candidats qui n'avaient pas fini de griffonner sur leurs brouillons, leurs feuilles d'examen religieusement posée sur le coin du pupitre.

CHAPITRE V Ismahane en rentrant chez Neila ressent un pincement au coeur. Le comportement de Neila, la veille, ne la trompe pas. Les regards fuyants et la nervosité de Neila cachent une attirance secrète. Elle avait elle même ressenti cela 20 ans plus tôt, pour la grande dame qu'était Fifi. Elle sait que la jeune fille est à un tournant de la vie où un choix s'impose. Ismahane refuse d'influencer ce choix. Elle doit quitter le jeune fille avant qu'elle même ne glisse dans l'abîme de la tentation. « Il faut que je trouve un prétexte pour partir. Si je reste je risque d'approfondir nos sentiments car ma foi, cette petite m'émeut plus que je n'ose me l'avouer, un goût de déjà vécu lui monte à l'esprit, non, il ne faut pas, je ne dois pas. Mon Dieu donnez - moi la force de renoncer à elle". Elle range ses affaires dans sa valise. Elle ne veut pas revoir la petite fille de Fifi. Elle décide de fuir, mais auparavant lui écrire un mot pour excuser son départ précipité. "Pourvu que je trouve un vol aujourd'hui". Elle pose la lettre en évidence sur le guéridon de l'entrée et s'en va. Elle hèle un taxi, se fait conduire chez ses amis. De là elle repartira chez elle en laissant Neila à son destin. Celle dernière justement maudit la lenteur de l'ascenseur. Elle se précipite sur la porte de chez elle. La première chose qu'elle aperçoit est l'enveloppe sur laquelle est inscrit "pour Neila". Hormis Ismahane nul ne pouvait l'avoir laissé là. Le bonheur de retrouver la jeune femme fond comme beurre au soleil. Elle se faisait une fête de la retrouver. Celle - ci 39


lui a juste laissé un mot. Elle s'en saisit, un silence religieux s'abat sur l'appartement. Elle l'ouvre en tremblant un peu, car un mauvais pressentiment lui pince le cœur :" Neila je suis appelée à rentrer d'urgence au Caire, je suis triste de ne pas t'avoir mieux connue. Bien à toi, Ismahane". Elle relit plusieurs fois les quelques phrases en essayant de trouver une explication. "Allons bon, je comprends, je l'appellerai plus tard pour savoir si tout va bien". Elle prend le téléphone et appelle sa cousine Nabila, elle n'a aucune envie de finir la journée toute seule car elle se sent trop triste: - Allo, c'est toi Nabila? - Non, c'est Zahra ta tante. Comment vas- tu mon petit poussin? - Ca va bien, tata Zahra et toi et tonton Redha ? - Il va mieux ma chérie. Tu veux que je te passe Nabila c'est ça? Tu n'a besoin de rien mon chou, tu es sûre ?. - Sûre tata ne t'en fait pas pour moi. - D'accord, alors au revoir et si tu as besoin de quoi que ce soit tu nous le dit. Tiens ta cousine veut m'arracher le combiné des mains tellement elle est impatiente de te parler. Au revoir mon enfant. - Salut Neila, je suis si contente de t'entendre enfin, lui dit - t - elle sur un ton de tendres reproches. - Tu ne m’as même pas laissée saluer ta mère. Ecoute ça te dit de déjeuner avec moi ce midi? Je passe te prendre. - D'accord, je t'attends. Fais vite, j'ai hâte de te revoir, pense que cela fait plus de deux semaines qu'on ne s'est pas vues. Depuis la mort de ta grand – mère, pour moi ce sont des siècles qui ont passé. Neila raccroche en souriant. L'exubérance de sa cousine paternelle l'épatera toujours. Les deux jeunes filles s'adorent étant amies depuis leurs naissances. Dans toutes ses photos d'elle, bébé, Nabila est à ses côtés. Et comme elles sont du même âge elle s'entendent à merveille. Lakhdar interpelle les deux autres naufragés, il a vu que leur plan a marché bientôt ils sauront qui est enterré dans le mastaba. - Allez venez! Je crois qu'il est temps de savoir que cache cette tombe. Prenez chacun une grosse pierre, nous taperons sur la dalle ensemble jusqu'à ce qu'elle cède. Sitôt dit, sitôt fait. Samy et Fatma sont mélancoliques mais excité à l'idée de voir du nouveau, et très curieux. 40


La grosse pierre craque et tombe au fond du puits en faisant trembler l'édifice. Ils trébuchent et tombent tous les trois à la renverse, ce qui les sauve car une énorme tête de serpent, une tête hideuse émerge du trou. Hébétés ils demeurent paralysés par la peur. Leurs cris sont bloqués au fond de leurs gorges, sûr que leur heure est venue. Lakhdar est le premier à remarquer que l'énorme créature fait des mouvements de têtes désordonnés pour s'extirper. - N'ayez plus peur les enfants, je crois que le bloc est tombé sur sa queue. La bête est bloquée, il rit à gorge déployée, toute crainte relâchée. Il prend un long et gros bâton, Samy et Fatma encore sous le choc ne partagent pas son hilarité, la vue du monstre les a statufiés. Leur aîné tape de toutes ses forces sur la tête. Il s'acharne tant et si bien que celleci glisse en lambeaux au fond de l'ouverture faisant un tas moelleux sur lequel il sera bon d'atterrir. - Tu crois qu'elle est morte la tête? S’enquiert Samy d'une voix tremblotante. - Il est mort. C'est un serpent entier, enfin c'était Dieu merci. Regarde, il est au fond. - Non, je ne veux rien voir, j'en ai assez vu comme ça. Et je me fiche de savoir ce qu'il y a là dedans. Il me suffit de savoir qu'il y a un monstre qui peut soudain revenir à la vie comme dans les films d'horreur, et j'ai tendance à croire qu'il y avait du vrai dans ces fictions. Mon Dieu qu'est ce que je fais ici, cet endroit commence à m'effrayer sérieusement. Il s'éloigne mais en gardant un oeil sur Lakhdar, pour ne pas perdre une miette de ce qui allait s'en suivre. - Fatma, viens m'aider à attacher ces lianes à cette arbre, s'il te plaît. - Tu vas vraiment descendre Lakhdar? Et si, comme a dit Samy, le serpent est encore vivant? Et s’ il y en avait d'autres? - Même s'il vivait encore, il ne pourra me faire aucun mal je lui ai éclaté la mâchoire en même temps que la cervelle. Quant aux éventuels autres on les aurait déjà vus. Mais restez en retrait tous les deux quand même, on n'est jamais trop prudent. - Bonne chance mon ami, tire sur la corde s'il y a le moindre danger. Il se laisse glisser et atterrit sur l'énorme serpent enroulé sur lui - même. Un coup de pied sec suivi d'un autre l’assomme. Avant même de pouvoir réagir, il se retrouve solidement attaché, une superbe femme du type indien lui faisant face. L'archéologue en a le souffle coupé, la jeune 41


femme est parée comme une reine, plutôt comme une danseuse sacrée. Elle le regarde sévèrement mais sans cruauté ce qui rassure notre homme. - Lakhdar? Lakhdar! Ça va répondez! La voix de Fatma leur parvient, caverneuse. L'indienne, le regard inquiet se met en position de défense. Mais l'homme la rassure en prenant son ton le plus doux. - N'ayez pas peur, nous ne vous voulons aucun mal. Nous avons échoué sur cette île. Nous ne savons pas où nous sommes et tout ce que nous désirons c'est trouver un moyen pour rentrer chez nous. Nous ne voulons de mal à personne. - Qu'est ce vous dites? Une île? L’Egypte n'est pas une île! - Nous ne sommes pas en Egypte, mais sur une île perdue au milieu de l'océan. - En quelle année sommes- nous? J’étais venue voir le pharaon Djéser. Un prêtre m'avait confié une mission. Mais l'un de mes compagnons m'avait trahie, le pharaon m'a fait assassiner. Et pour finir je crois savoir pourquoi vous êtes ici et pourquoi j'y suis avec vous. - Si vous étiez venue pour voir Djéser c'est que cela fait cinq mille ans au moins que vous êtes dans cette tombe. - Cinq mille ans ? C’est énorme. Et vous depuis combien de temps êtesvous ici? - Quelques jours seulement. Notre avi... Il s'arrête sachant que l'indienne ne sait pas ce qu'est un avion, oui, quelques jours; il nous faut trouver un moyen de rentrer chez nous. Nous allons d'abord essayer de résoudre l'énigme de cette situation. - Qui est le pharaon maintenant? Et qui gouverne le Mohenjo - Daro, la cité d'où je viens, dans la vallée de l'Indus. - Il n'y a plus de pharaon depuis fort longtemps. Quant à votre cité aujourd'hui il n'en reste que des ruines, votre civilisation n'a pas duré longtemps vous savez, d'autres lui ont succédé. Aujourd'hui si on veut voir les vestiges de votre époque il faut se rendre au Pakistan c'est ainsi que s'appelle le pays d'où vous venez. Qu’en est - il de nous. Pouvezvous nous dire où nous nous trouvons ?.

42


- Oh, je crois comprendre à présent, puisque j’ai fais un bond de cinq mille ans, c’est que vous êtes le produit d’une imagination. Oh, vous avez été vivants, mais vous ne l'êtes plus. Ce monde est imaginaire et non réel. C'est pour éviter cela que j'ai été envoyée en Egypte. Je ne vous en dirai pas plus. Lakhdar accablé par ce que vient de lui dire l'indusienne, la regarde le détacher sans la voir. Ce qu'il vient d'entendre est inouï. Il sent qu'elle lui a dit la vérité. Il ne sait quoi en penser. Ils vivent dans un autre monde, peut - être la cinquième dimension, qui sait. Il se dit qu'il n'avait aucune raison d'affoler les autres. Il promet à l'indusienne qu'il allait revenir. Il rassure Fatma en remontant. - Mais que faisais- tu? Nous étions morts d'inquiétude, reprochent en choeur une Fatma et un Samy aux mines angoissées. - Il y a peut être la clef de l'énigme dans ce tombeau, mais je n'ai rien appris de solide en ce qui nous concerne. Et si tu allais nous pêcher du poisson mon garçon, Fatma et moi nous allons chercher des fruits pour le déjeuner ou le dîner. Le ton faussement enjoué de leur compagnon ne les trompe pas, néanmoins ils s'exécutent attendant et reculant l'échéance. Neila rentre chez elle après avoir déposé sa cousine et promis de l'appeler bientôt. Elle avait passé un agréable moment avec Nabila qui a réussi à la faire rire. Elle avait insisté pour savoir ce qui tracassait son amie mais celle - ci était restée muette comme une carpe. Nabila n'aurait pas compris son désarroi, s’était- elle persuadée. Elles se sont rappelées les copains de leur adolescence; leurs premiers baisers et leurs premiers émois. Une envie d'entendre les voix la chatouille, elle va dans sa chambre et les appelle: "- Eh, Samy, Fatma, Lakhdar, vous êtes là? Vous m'entendez? - Tu ne pourrais pas crier un peu plus fort, l'île n'a pas assez tremblé! - Excuse - moi Samy, je vais parler moins fort. Là ça va, chuchote- t- elle? - Oui, tu peux monter d’un décibel encore. Et ton test? - Ca va, qu'avez vous fait de bon. Hey ! Crie-t-elle prise d’une subite inspiration, attendez, oh, mon Dieu, comment n'y ai-je pas pensé plus tôt? - De quoi tu parles? Tu as la fièvre ou quoi?

43


- En fait je ne vous ai jamais entendu avant d'installer dans ma chambre le secrétaire de ma grand-mère, qui vient de mourir, je suis sûr que ça vient de là. Je vais voir tout de suite. - Et tu as mis tout ce temps pour t'en rendre compte. Va vite vérifier j'espère que tu ne te trompes pas et que cette fois notre situation sera plus claire." Elle va prendre une clef dans son armoire et s'approche du secrétaire en ayant l'impression qu'elle allait profaner un lieu sacré. Elle rabat le couvercle, et là un rouleau jauni roule sur celui - ci. Elle se rappelle que sa grand - mère le lui avait montré en lui disant que c'est du papyrus que lui avait offert Ismahane. Elle a un pincement au coeur en évoquant l'amie de feue son aïeule et est triste de découvrir les trésors de sa chère mamy. Elle s’assoit un moment sur le fauteuil de sa grand-mère, le rouleau dans sa main. Elle se replonge dans les souvenirs, oubliant complètement ses hôtes, qui las de l’attendre se regroupèrent autour du poisson pour le manger, la faim se faisant ressentir. Au bout d’un long moment, elle pose enfin les yeux sur le papyrus, et le déroule avec précaution. Elle les entend mieux à présent, ils parlent d'épices, d'aromates et de sauces regrettées: "- Avec du poivre noir et du cumin ça aurait un autre goût, ou avec de la sauce aux câpres, hum, Samy se lèche les babines en imitant parfaitement la femme gourmande. Soudain son visage devient blême et reflète une immense terreur, aaaaah, il hurle en montrant du doigt pointé vers le ciel, un visage gigantesque et d'une grande beauté. Un regard vert, les scrute avec étonnement. La bouche chuchote. - C'est moi, Neila. - Mais ma parole c'est Lilliputh, c'est du méga délire grave, j'hallucine ma parole! C’est Gulliver, je t'avertis tu n'as pas intérêt à nous faire du mal, tu as compris? J’ai une sacro-sainte horreur de ça. Il prend un air "chattement" féroce. - Tu n'as rien à craindre Samy, sourit la jeune fille, mais j'ai une très mauvaise nouvelle à vous apprendre. Vous n'êtes pas réels même si vous en avez l'air. Vous êtes dessinés sur du papyrus égyptien. C'est un rouleau, où plusieurs scènes se succèdent, vous êtes bien sur une île, je dirai plutôt virtuelle. Apparemment l'histoire est inachevée. Effectivement sur tous les plans le soleil est haut je dirai même qu'il est levant. - Ca, on l'avait compris, ricane Samy pour cacher son désarroi. 44


- On a l'impression, tellement vous êtes vrais, d'être en face d'un écran télé ou au cinéma. Vous paraissez si réels. - Nous sommes réels, tu ne le vois pas? Samy bombe le torse pour mieux se faire voir. - Je ne sais pas quoi en penser. Je me demande par quelle magie vous vivez sur du papier, je veux dire du papyrus. La jeune fille en est toute retournée, comment avait fait Fifi pour arriver à ça? La question reste sans réponse. Fatma sent ses larmes ruisseler sur ses joues, elle ne peut les arrêter. La tempête a pris naissance dans ses entrailles, a grondé dans sa poitrine et se déverse sur son visage. Les sanglots sont étouffants, elle se laisse tomber à genoux, couvre son visage de ses mains et donne libre cours à l'averse. Neila est touchée par le chagrin de la jeune fille, elle voit Samy s'agenouiller devant elle et l'entourer de ses bras pour la consoler. Ils ont tous les trois pris conscience de la galère dans laquelle ils sont embarqués. - C'est quand même bizarre que ma grand - mère ne m'ait pas parlé de vous. Je ne sais pas quoi faire de vous. Mais ne vous en faite, pas nous trouverons bien une solution. - Puisque nous sommes des personnages de B.D. vis ta vie et laisse nous dans ce monde où le papier est notre terre, finit le rouquin sur un ton théâtral. Lakhdar les laisse à leur chagrin et va vers le mastaba." Je suis sûr que cette indusienne détient la clef de l'énigme, je dois l'obliger à tout me révéler, pense- t- il". Il s'agrippe aux lianes tressées et se laisse glisser jusqu'au fond du puis. Elle n'y est pas. Il pénètre dans l'antichambre et arrive au caveau. Il reste bouche bée devant les décors sur les parois, des dessins et des hiéroglyphes représentent des scènes de vie. Il peut saisir qu'il est question du fils de pharaon et d'une danseuse sacrée. Celle - ci est assise sur son sarcophage et l'observe. - Comprenez- vous ces écritures? - Oui, je peux lire ce qui est inscrit. J'ai passé toute ma vie à les étudier. - Alors vous pouvez me dire ce qui est écrit, s’exclame- t- elle, heureuse de comprendre enfin ce qui l'entoure. - Laissez - moi juste le temps de déchiffrer. Voila:" Ici gît une danseuse sacrée et le coeur du fils de pharaon. Ces deux personnes sont tombées follement amoureuses l'une de l'autre. Mais Kishar nous a trahi, elle 45


n'était pas là pour divertir mon père et sa cour, mais pour récupérer le fusain magique que Ouroukagina, roi du Sumer, détrôné par Lougalzaggizzi roi d'Ouma, avait offert au pharaon pour lui avoir donné asile. La danseuse a été trahie par l'un des siens. Pharaon a ordonné de les tuer tous, y compris le traître. Le fils fort aimant et n'oubliant pas que la danseuse lui a déclaré son amour, lui érigea cette tombe secrète pour qu'il pût venir se recueillir en paix devant son idole. Le fusain l'a dessinée pour qu'elle vive à jamais et pour qu'elle ait le temps de ruminer son abus de confiance." voila ce qui est inscrit, qu'est ce que c'est que ce fusain magique dont il est question? - Je ne sais pas grand chose. Je sais seulement qu'il vient de l'Atlantide. C'est à cause de ce maudit objet que nous sommes ici. Le fusain magique est en ivoire, c'est un voleur d'âmes. Il la prend pour nous donner vie sur n'importe quelle surface. Seul un être réellement vivant pourrai nous aider à sortir d'ici. Il lui faudra retrouver le fusain et le faire disparaître. - Il est dit sur cette colonne que le fusain a été enterré ici. Le fils s'en est débarrassé après la mort de son père et de toute sa famille car dit - il, il a été la cause de trop de malheur. - Ca c'est le moins qu'on puisse dire, et si on se comprend vous et moi c'est grâce à la magie. Mais le fusain n'est pas ici, j'ai cherché partout même dans les murs. La personne qui a ordonné vos dessins a du le trouver, qui sait ce qu'elle en fera et combien de victimes va - t - elle encore faire. Car à chaque fois qu'il fera l'esquisse d'un être humain, celui qui s'en rapproche le plus mourra subitement et se retrouvera dans ce monde, à différents endroits. - Mais que vient faire cette tombe qui est sensée être secrète, sur cette île alors qu'elle aurait dû se trouver en Egypte? - Je suis hélas incapable de le dire. Nous sommes vraiment sur une île? Eh bien l'imagination de son détenteur est vaste. - Elle est morte, c'était une femme. Tu dis qu'il nous faut une personne réelle? - Oui, celle - ci doit trouver le fusain et le détruire, ainsi nos âmes retourneront aux dieux et pourront se réincarner. - A Dieu tu veux dire car il n'y en a qu'un seul et unique. - A chacun ses croyances. 46


- Oui, bien sûr et à chacun aussi ses prières. En ce qui concerne la personne réelle nous l'avons. - Vous plaisantez! Dans ce monde il n'y a pas de vivants. - Si, je vous assure, venez avec moi, je vais vous présenter aux deux autres et à notre futur sauveur. Il l'aide à se hisser et à sortir. Il l'entraîne vers ses deux compagnons, les yeux rougis de ceux - ci prouvent qu'ils ont beaucoup pleuré, il aura du mal à leur dire tout ce qu'il sait. - Qui est cette femme, demande avec brusquerie Samy, d'où sort- elle ainsi parée comme la reine de Saba. - C'est une danseuse sacrée, elle est originaire de la vallée de l'Indus et elle a Cinq mille ans. C'est elle qui était enterrée dans le mastaba. - C'est un highlander alors, c'est à ne rien comprendre. Et que sait- elle sur notre cas actuel? Se lamente le jeune homme. - Nous sommes morts. Nos âmes sont perdues à cause d'un fusain magique qui les vole pour les attirer dans ce lieu d'une autre dimension, inconnue des vivants et où tout a l'air aussi réel que sur la planète terre. - Alors Neila avait raison, nous sommes bien mort et condamnés à vivre errants pour l’éternité. Mon Dieu qu’allons- nous devenir? C’est peut être notre punition, notre châtiment, pleurniche Samy. - Non, rassure – toi, si Neila trouve le fusain magique, nous seront sauvés de l'errance éternelle au même endroit. - Mais il est possible que ce soit mieux ainsi. Nous avons échappé à la torture de la tombe et à l'enfer où je suis sûr qu'une place m'est réservée. - Arrête de blasphémer Samy, le reprend Fatma, Dieu est grand, plus grand et plus clément que tu sembles le croire. Je sais qu'il permettra que l'on soit sauvé, je ne veux en aucun cas me retrouver ailleurs que dans son royaume, là où doit se trouver toute créature de Dieu. - Où est l'humain dont vous m'avez parlé, lance la danseuse restée jusque là à l'écart et qui s'avance vers eux, j'espère que vous ne faisiez pas allusion à l'un d'entre eux. Ils sont comme nous. - Non, bien sûr que non, nous allons l'appeler, vous la verrez bientôt. Neila! Neila!

47


- Neila! Répète Samy d'une voix stridente. Si elle ne répond pas c'est qu'elle est absente. Nous essayerons plus tard. En effet Neila est partie se détendre en jouant au tennis, au Tennis Club de Boudjemline à Sidi Fredj. Elle a besoin de se dépenser, elle retrouve ses amis, accepte leur invitation pour le dîner. Elle n'a pas envie de rentrer dans l'appartement qui lui rappelle trop la récente présence d'Ismahane et le vide qu'elle y a laissé en partant précipitamment. Vers minuit la bande décide de terminer la soirée à la discothèque du Sheraton. Elle refuse de les suivre, elle ne se sent pas l'humeur à danser ce soir. Elle prend congé de ses amis en leur promettant de les appeler pour une autre soirée. Rentrée chez elle, elle va vers le téléphone, placé sur un guéridon dans un coin du salon, elle compose le numéro d'Ismahane et attend le coeur battant la chamade. Elle raccroche trop émue pour pouvoir parler, elle attendra que les battements précipités et douloureux dans sa poitrine se calment. Elle ne peut expliquer ce qu'elle ressent pour la belle égyptienne. Elle reconnaît tout de même que ce sont les symptômes précurseurs de l'amour décrits dans les romans qu'elle a lus. " Je ne suis pas normale, se dit - elle, serais - je en train de tomber amoureuse? D’une femme de surcroît? Comment ai- je pu en arriver là? Est- ce parce que je l'ai surprise embrassant mamie? C’est vrai que c'est à partir de ce moment que mon indifférence pour elle s'est muée en vif intérêt. Et voila qu'aujourd'hui je me rends compte que je l'aime. Que faire? Ma raison ne m'appartient plus. Serais- je homosexuelle? Pourtant j'ai connu des garçons et j'ai même été follement éprise d'un étudiant lors de ma première année à l'université, mais celui - ci avait suivi ses parents en France pour fuir le terrorisme. Elle avait mis du temps pour l'oublier. Ils s'étaient écrit quelques temps, puis Athman n'avait plus répondu à ses lettres. Elle en avait conclu qu'il l'avait oubliée. L'amour ne s'annonce pas, il ne demande pas notre avis. Il s'installe en nous et nous regarde nous débattre, pour le garder ou pour le déloger. Mais lui seul décide de la durée de son bail et de l'être à qui il est destiné. Eh bien puisque tu es là, il n'est pas dit que je te laisserai me détruire. Je vais appeler Ismahane au moins pour entendre sa douce voix". Elle recompose le numéro, le ventre douloureusement serré." Hélas, je suis absente. Laisse moi ton numéro ou ton nom et je te rappellerai." Débite le message du répondeur en égyptien à l'accent fleuri de la jeune femme." Je comprends à présent pourquoi mamie allait souvent en Egypte. L'amour l'y appelait. Est - ce à mon tour maintenant de voler vers elle. Je suis folle, je spécule sur des chimères. Qui me dit que Maha serait prête à m'aimer et à accepter mes sentiments pour elle? Il se peut que pour elle je ne sois que la petite - fille de son amie. Comment le savoir?" 48


Dans sa chambre Neila ouvre le rouleau de papyrus. Ils dorment tous. Elle aperçoit une jeune femme de type indien richement parée allongée aux côtés de Fatma, dans sa hutte. Elle ne l'avait pas remarquée auparavant. Elle, qui voulait tromper sa solitude en leur parlant, est déçue. Elle repart dans sa chambre et allume la télévision. Une heure plus tard elle décide de rappeler son amie, cette fois, celle - ci décroche. - Allo! - Maha? C’est Neila, je t'appelle pour savoir si tout va bien. Je m'inquiétais un peu, beaucoup se dit- elle en son for, son coeur bat à une vitesse record, tu es bien arrivée? Il n'y a rien de grave j'espère. - Non, rassure- toi, comment va mon petit poussin? - Très bien merci, elle est aux anges de s'entendre appeler ainsi, j'ai dîné avec des amis. - C'est bien, il faut t'amuser ma chérie, tu es trop jeune pour t'enterrer chez toi. - Maha, tu es sûre que tout va pour le mieux, tu ne me caches rien, n'est ce pas? - Je te cache que je t'aime et que je ne peux ni ne veut te faire du mal. Sur le point de le dire elle se ravise et répond en rougissant, mais non ma chérie je n'ai rien à te cacher, soit tranquille. Promets moi de prendre soin de toi mon poussin ainsi tu prendras soin de moi. Je te laisse le voyage m'a fatiguée, on se rappelle d'accord? - Oui, on se rappelle. Bonne nuit Maha, fait de beaux rêves." Elle pose le combiné, rêveuse, elle repense à l'avalanche de mots tendres qu'a employé son interlocutrice, mais surtout la phrase " prends soin de toi et tu prendras soin de moi" la laisse pensive. "Elle est pleine de sens, se dit- elle, cela prouve qu'elle s'inquiète pour moi. C'est un début prometteur. Je n'ai pas fait exprès de l'aimer, c'est arrivé voila tout. Sur ce elle se prépare pour aller dormir, sûre qu'elle rêvera de la dame aux yeux d'ange. De l'autre côté du continent, Ismahane pense en souriant que la distance ne pouvait en aucun cas être une fuite face aux exigences d'un sentiment aussi impérieux que l'attirance, prémices de l'amour. Elle ne peut s'avouer les raisons de son départ. Elle se dit que le temps l'éclairera. Rien n'est impossible puisqu'elle a déjà vécu un amour séparé par une distance qui ne l'a en rien altéré, au contraire, elle l'a plutôt attisé. Et voila que ça recommence, dans la même famille qui plus est. C'était sûrement écrit quelque part. Elle revoit le beau visage de Neila encadré d'une riche 49


chevelure soyeuse où il est bon de glisser ses doigts. Depuis que Fifi avait mis fin à leur relation, la jeune femme n'a plus regardé les femmes. Elle a bien eu deux amourettes avec des hommes qui ne l'ont pas marquée, et avaient laissé son coeur intacte. Mais à présent elle l'a senti revivre au contacte de l'algérienne. A- t- elle eu raison de laisser la jeune fille à sa vie? Elle n'en est plus aussi sûre. Elle se fait couler un bain, elle n'a pas menti, le voyage l'a vraiment fatiguée. CHAPITRE VI Les quatre compagnons se réveillent après un long somme. Ils sont regroupés devant le bûcher qui n'avait plus aucune raison d'être, personne ne viendra les chercher. Samy s'approche de la danseuse et lui demande en agitant les bras, en un mouvement féminin fort exagéré: - Parlez - nous encore de ce fusain magique. - Il a été taillé dans une défense de mammouth, trouvée intacte au fond de la mer. Il vient de l'Atlantide. On sait qu'un esclave l'a volé à son maître qui l'a vendu à un marchand de notre pays. Il l'a caché dans son anus pendant le voyage. - Il a dû avoir des orgasmes répétés en marchant, plaisante le jeune homme, mais les regards sévères de ses compagnons d’infortune, l’incitent à s'excuser d'avoir interrompu la conteuse, il l'encourage à continuer d'un geste si féminin que Fatma ne peut s'empêcher de pouffer. - Eh bien ensuite, on dit que le marchand l'a vendu au roi - prêtre du Sumer en Mésopotamie. Celui - ci chassé de son trône s'est réfugié en Egypte et pour remercier le pharaon de son hospitalité le lui a offert à son tour. C'est là qu'on m'a envoyée pour le récupérer. Celui qui le détient peut, s'il le sait, tuer l'humanité entière et la condamner à un monde d'errance éternel. Le monde où nous nous trouvons actuellement. J’ai quitté Mohenjo – Daro, ma cité natale suivie d'une escorte. Nous devions offrir un spectacle pour l'anniversaire du règne de Djéser. Mais notre mission réelle était de récupérer le fusain par n'importe quel moyen. J'ai donc entrepris de séduire le prince qui tomba vite amoureux et je dois avouer que ce qui était un jeu au départ m'a moi - même fait tomber dans le piège des sentiments, je l'ai aimé moi aussi. Mais, trahie par un de mes compagnons, pharaon en apprenant la supercherie, nous a tous fait tuer. Et je me retrouve avec vous, parce que le prince m'a dessiné juste avant ma mort. Il est vrai que je n'ai pas senti l'épée m'étêter. Et maintenant pour le récupérer il nous faut une personne réellement vivante. - Et comment devra- elle procéder? S’étonne Samy. 50


- C'est simple, en voyageant de son monde au notre. - Et comment pourra- t- elle réussir cet exploit? - Il existe une formule magique, elle n'aura qu'à la prononcer pour arriver dans notre monde et voyager dans le passé. Mais pour cela elle doit se trouver à l'endroit précis où elle veut se rendre. Par exemple si elle doit aller voir Djéser, il lui faudra se retrouver à Memphis en Egypte. - Et quelle est cette formule? demande Lakhdar. - Je le dirai à cette personne, dés qu'elle sera à Memphis. - Et qui nous dit qu'elle acceptera de nous aider? Pour elle, nous ne sommes que des dessins animés, des cartoons, s'inquiète Samy. - Je suis sûre que lorsqu'elle saura que nous sommes des âmes perdues, elle nous aidera, sois tranquille. Où habite cette Neila? C’est ainsi qu'elle s'appelle n'est ce pas? - Oui, elle vit en Algérie, enfin à des milliers de kilomètres du mandjoou je ne sais trop, là d'où tu viens. - Mohenjo - Daro, rectifie - t - elle en souriant, je lui expliquerai tout dés que nous entrerons en contact avec elle. Ne croyez- vous pas qu'elle soit rentrée à présent ? - Je ne sais pas. Je vais l'appeler. Vous croyez vraiment que nous sommes tous déjà morts et que vous voulez dire que ma famille m'a enterré? Leurs familles aussi? D’un mouvement de tête il indique les autres. - Oui, je suis désolée, mais tu as tout compris Samy. Ce dernier se lève et la tête basse s'avance vers le rivage suivi de Fatma qui lui prend la main en un geste de compassion. Il lui entoure de ses bras les épaules et l'attire contre lui. Leurs sanglots emplissent l'air. Ils pensent à leurs familles au chagrin qu'elles ont ressenti. Mais surtout à eux enterrés mais vivants. - Nous sommes des sortes de zombies tu te rends compte Faty. Mon ami a dû beaucoup souffrir, il me manque tu sais. - Oui, j'en suis sûre.

51


D'un même élan ils appellent Neila, l’ultime solution pour leur salut . Elle seule pourra les sauver de cet univers où le soleil ne laisse aucune place à la lune. Mais encore une fois elle ne répond, pas Samy revient vers la danseuse. - Vous qui en savez si long. Pouvez- vous nous dire pourquoi cette maudite étoile brille sans arrêt, pourquoi elle ne se couche pas? - Celui qui vous a dessiné a dû omettre d'y faire allusion. Mais je pense surtout qu'il n'a pas dû aller plus loin dans son histoire, quelque chose l'en a empêché. - C'est une femme et elle est morte. C'était la grand- mère de Neila. Et effectivement elle n'a pas achevé son conte. - Tant mieux elle n'aura pas tué trop d'âmes, vous êtes trois et c'est déjà beaucoup. - Neila! Neila! Réponds-nous, s'il te plaît. La voix de Samy arrive jusqu'à la jeune femme, elle déroule le papyrus et voit la jeune fille parée de bijoux esquisser un pas en arrière. Les autres parlent tous en même temps. - Neila tu dois aller à mandjo chez la Saba, hurle Samy. - Tu dois trouver le fusain pour le détruire et nous sauver, crie Lakhdar. - Tu peux venir chez nous grâce à une formule magique, déclare Fatma. - Mon Dieu, ne parlez pas tous à la fois. Je ne comprends rien à ce que vous dites. Est- ce qu’ un seul d'entre vous peut m'expliquer cette histoire de fusain, de reine de Saba, de mandjo et de formule magique? Lance- t elle en riant. Kishar, jusque là restée en retrait, avance et donne tous les détails à la jeune fille en insistant sur le mal que pouvait causer le fusain s'il était en possession de quelque esprit maléfique. - Si j'ai bien saisi, je dois aller en Egypte? - Et au Mohenjo - Daro, nous devons aller voir le prêtre qui lui seul sait ce qu'il faut faire pour détruire l'objet. - Mais mademoiselle presque cinq mille ans ont passé depuis...

52


- Je sais, Lakhdar me l'a appris, mais ne vous inquiétez de rien, coupe - t - elle, Dés que vous serez à Memphis, je vous dirai ce que vous aurez à faire. Et le plus tôt sera le mieux. - Il faut déjà attendre demain car ici c'est la nuit, je dois obtenir un visa pour l'Egypte une sorte de laissez - passer pour pouvoir entrer dans ce pays. Prendre le billet d'avion. Je ne sais pas si on vous a dit ce qu'est un avion? - Oui, Samy m'a tout expliqué sur cet énorme oiseau de fer qui gît sur la plage. Votre époque est pleine de surprise. - La votre est plus surprenante encore, je vous assure. Je vous promets de faire de mon mieux. Dites moi, ce fusain pourra, si je le lui ordonne, créer un monde autre que celui où je vis? et je pourrai y entraîner l'humanité entière. Ca, ce serai bon pour éradiquer les terroristes, vous me tentez Kishar. - Neila? J’espère que ce n'est pas réellement votre dessein? Vous n'avez pas le droit de vous en servir. - Non, non, rassurez- vous, les terroristes ont assassiné froidement mes parents et mon petit frère, si je fais comme eux je serai pire qu'eux, non, je me motivais c'est tout, ment- elle car elle n'a pas besoin de motivation pour aller au pays de son amour. Cette perspective la rend euphorique. - Tu ne nous avais jamais dit ça, je suis sincèrement désolé pour ta famille Neila. - Merci, Samy, ça me touche beaucoup. Je ne suis pas la seule à être touchée par ce fléaun d'autres familles en souffrent aussi. Bon, je vais vous laisser, si je dois me réveiller tôt demain, il faut que je dorme. A bientôt mes amis. Elle s'allonge en rêvant à la belle Ismahane." Je vais l'appeler pour lui annoncer mon arrivée. Serait- elle heureuse de me revoir. Enfin bon, demain je le saurai, ce soir il est trop tard." Son coeur se remplit de bonheur à cette évocation. Elle s'endort avec le sentiment qu'elle allait vivre quelque chose d'exaltant. En se réveillant le lendemain, elle pense à ce fusain dont elle n'a jamais entendu parler. Il était en possession de sa grand - mère. Qu'en a - t - elle fait? Elle est morte sans finir son histoire. Donc elle l'avait sur elle. Où a t - elle pu le mettre? Peut être est - il à Zéralda. Fifi a dû l'y cacher. Pourquoi pas dans le secrétaire? Elle le fouille à fond mais nulle trace de la relique. Elle reprend le papyrus et découvre qu'il y a d'autres édifices sur l'île, elle ne les avait pas remarqués avant. Une pyramide au nord du 53


campement et une sorte de cité avec un mur autour, plus à l'est. Elle s'adresse à Lakhdar, étant archéologue il saura de quoi il s'agit. - Lakhdar, il y a d'autres constructions sur l'île, une espèce de cité cernée d'une muraille et une pyramide. D'après la carte la première se trouve nord est par rapport à votre position et l'autre droit devant vous au nord. Il faut aller voir ce que c'est, ça pourra nous servir; je ne crois pas que mamie les a dessinées pour rien, elles ont une signification, c'est certain. Et vous Lakhdar en tant qu'archéologue vous devriez découvrir ce qu'elles représentent. Quel est votre prénom? finit- elle en regardant la danseuse. - Kishar, qui veut dire la terre et qui est le principe féminin de ma religion, le principe mâle est Anshar le ciel. - Kishar, joli prénom, le fusain était chez ma mamie puisque c'est elle qui a réalisé ce dessin, elle ne l'a pas terminé car elle a décédé avant, je pense. Je ne sais pas ce qu'elle en a fait. Si elle s'en est débarrassée d'une manière ou d'une autre, comment ferai - je pour le retrouver? - Faites - moi confiance, on le retrouvera. Il nous suffit d'être en Egypte avant ma vraie mort. - Pourquoi vraie mort? s'exclame Samy, il y 'en aurait une autre ?. - Je l'espère, je ne veux plus être condamnée à cette vie éternelle. - Bon, eh bien, je vais me rendre à l'ambassade d'Egypte. Ensuite j'irai acheter mon billet. En attendant, allez voir les monuments dont je vous ai parlé. - On va tout de suite se mettre en route, assure l'archéologue. La sonnerie du téléphone lui fait battre le coeur. Elle se qualifie de ridicule avant de saisir le combiné. - Allo, Neila c'est tonton Redha. - Bonjour tonton, répond- elle un peu déçue, elle pensait que c’est Ismahane qui la rappelait, comment vont tata Zahra et Nabila? - Tout le monde va bien ma fille, j'espère qu'il en est de même pour toi. Je t'appelle pour te dire que j'ai déposé hier ta part de bénéfice à la banque donc tu peux en disposer quand tu veux. - Merci, tonton, c'est gentil à toi. 54


- Je t'en prie ma fille, mais tu n’as pas à me remercier, c'est ta part et elle te revient de droit. Porte - toi bien ma fille et viens dîner ce soir si tu peux. - Ca marche je viendrai, au revoir. Son oncle Redha et feu son père ont hérité du leur, plusieurs magasins sur les hauteurs d'El Biar. Chaque trimestre Neila reçoit sa part des bénéfices, ce qui la met à l’abri du besoin. En plus de ce qu'elle a eu de sa mère et de Fifi. Les quatre compagnons se mettent en route, difficile pour eux d'évaluer les distances. Ils décident de marcher droit devant sans s'éloigner du rivage. Ils avaient auparavant, rempli d'eau des jarres qu'ils ont trouvées dans le mastaba. A l'aide de lianes chacun a attaché la sienne à son dos. - Ce qui m'épate, lâche Samy, c'est comment tu as fait pour vivre si longtemps sans boire ni manger? - Je ne peux te le dire. C'est vrai qu'à présent que je suis avec vous, je ressens les besoins vitaux, mais pas avant. J’ai dû dormir tout ce temps. - Oui, probablement. Tu habitais où déjà? - A Mohenjo - Daro, dans la vallée de l'Indus. - Tu peux nous dire où ça se trouve exactement, l'archéologue? demande Samy - Au Pakistan, à peu près 400 kilomètres de Karachi, dans le désert du Sind, au sud du pays. - Le Pakistan? Je n'en ai jamais entendu parler. - Je sais Kishar, beaucoup de choses et de noms ont changé en cinq mille ans. Ta cité est en ruine aujourd'hui. Ton peuple a été chassé et détruit par les Ariens. - Les Ariens! s'exclame le rouquin, donc Hitler a eu la nostalgie de cette époque puisqu'il voulait recréer la race arienne, il rit sûr d'avoir été drôle. - Donc Neila va devoir se rendre au Pasitkan aussi, conclut Kishar. - Au Pakistan, P.A.K.I.S.T.A.N. Pourquoi faire? Corrige et demande Samy - Pour aller trouver le prêtre qui m'a envoyée en mission. - Je vois quelque chose, crie Fatma, on dirait bien le sommet d'une pyramide, ils courent tous d'un même élan vers le lieu dit. 55


- C'est le tombeau de Djéser, je le sais, j'y étais. C'est Imhotep, son architecte qui l'a construit, apprend la danseuse. - Et il l'a nommé Saqqarah, continue Lakhdar, c'est la première pyramide à degrés édifiée en Egypte. - Je crois que cette femme a dessiné mon parcours, s’exclame Kishar. - Ou plutôt celui du fusain magique. Mais évidemment, pour elle, vous êtes indissociables. - Oui ça doit être ça. Avons-nous marché longtemps, Lakhdar? - Il n'y a aucun moyen de le savoir et le soleil ne nous aide pas du tout. Mais je pense que nous sommes partis depuis quatre ou cinq heures. - Allons il faut continuer, lorsque nous verrons le dernier site, peut être que vous trouverez tous les deux l'énigme de cette histoire, leur fait remarquer Fatma. - Moi, personnellement je n'ai plus de jus, je ne peux faire un pas de plus. On se repose d'abord et on repart, se lamente Samy. - Samy a raison Fatma, trouvons à manger et reposons nous un moment. Au point où nous en sommes une sieste ne nous fera pas de mal. - Bien dit pour une fois le vieux. Chacun se cale comme il peut au milieu d'une végétation riche, à l'ombre des arbres où la mousse est un lit moelleux. Neila rentre chez elle épuisée, mais satisfaite de sa journée. Elle a aisément obtenu un visa et a acheté le billet d'avion. Elle partira dans deux jours. Elle doit auparavant passer à l'université pour s'enquérir de ses résultats. Au dîner chez son oncle elle leur dit qu'elle ira en Egypte pour les vacances, ils sont tous heureux pour elle. Elle prend une douche pour se débarrasser de la poussière et de la sueur accumulée lors des nombreux déplacements de la journée sous un soleil de plomb. Un coup d'oeil au papyrus lui apprend qu’ils dorment aux abords de la pyramide. " Ils ont dû marcher longtemps les pauvres. Mamie dans qu'elle histoire tu m'as embarquée! Néanmoins j'avoue que cela m'enchante. Du mouvement, voilà ce qu'il me fallait. Une aventure! J’en suis toute excitée. Je vais contacter Maha". Son coeur s'affole lorsque sa vois parvient à son canal auditif. Elle raccroche précipitamment. " Mais pourquoi je n'arrive pas à lui parler? Je perds mes moyens dès que je 56


l'entends. C'est inouï, en s'embrasant mon esprit bloque mes cordes vocales. J'ai l'air d'une débile. Je préfère l'appeler une fois là-bas. Je prendrai une chambre d'hôtel. Je ne veux pas qu'elle croit que je m'impose chez elle". Forte de cette décision, elle se prépare un plateau de victuailles et s'enfonce dans un fauteuil face à la télévision. Elle ne regarde que l'écran, son esprit, vagabond, ne peut se concentrer sur le film. Elle est heureuse de partir et de changer d'air. Elle ne peut plus supporter les mauvaises nouvelles qu'annoncent tous les jours les journaux. Que de morts, tués par balles ou égorgés. Les unes affichent " une bombe à Annaba a fait trois morts et une vingtaine de blessés. Une famille entière décimée à Ghelizane. Faux barrage sept mort...etc. Son pays, cette Algerie qu'elle adore est à feu et à sang. Victime elle - même du terrorisme elle ne peut que partager la douleur des familles des martyrs. Qui sont ces gens qui se cachent derrière l'Islam pour assouvir leurs instincts les plus bas, les plus vils? Qui sont – ils, ceux qui se disent l'armée de Dieu? De quelle armée de Dieu parlent - ils? Ils sont eux même partagés en plusieurs factions. A.I.S. G.I.A. Des moudjahidines qui ne sont même pas d'accord entre eux. Des groupes pleins de conflits internes. Ce n'est pas Dieu qu'ils servent mais leurs propres intérêts, voulant tous être chef suprême. Ces pseudo-commandeurs de l'Islam qui donnent l'ordre de massacrer des villages entiers. Ils tuent, ils violent et pillent les plus démunis. Ils égorgent les bébés et mutilent les corps. La religion interdit la mutilation et le meurtre des innocents. Ils prêchent l'Islam et ils sont pêcheurs. Qu'est ce qui les pousse à ces actes odieux? Dieu seul le sait. Ils ne parlent que pour terrifier. Dieu n'est qu'amour. Mais eux enseignent la haine, la vengeance, la révolte et le crime crapuleux. Qui peut les suivre sinon les incrédules. Neila les méprise. Ses parents lui ont appris Dieu et sa religion. Dieu d'Adam, d'Abraham, de Moise, de Jésus et de Mohammed (Q.S.S.S.L ). Dieu qui nous exhorte à la bonté, l'amour du prochain, la générosité, la tolérance et l'acceptation du frère et de la soeur d'où qu'ils viennent. On lui a appris à tout mettre en oeuvre pour aider les miséreux. Son cher pays souffre le martyre, il est le théâtre de crimes démoniaques. Il abrite en son sein les plus sanguinaires, les plus méprisables des hommes. S'attaquer aux plus faibles ne peut en aucun cas s'appeler "djihad". Quand on voit où les fanatiques ont mené l'Afghanistan, on en tremble d'horreur et de rage. " Dieu ne peut laisser faire ça, ils seront libérés j'en suis sûre, du joug de la terreur. Ils ont oublié, ces talibans, que l'Islam n'est pas despotique ». Ce qui est rassurant c'est que toutes les victimes de ces barbares iront au paradis, et ça c'est la plus belle des revanches. Ils devront tous un jour répondre de leurs sauvageries. En agissant ainsi au nom de l'Islam, il le salissent. Voila c'est gagné j'ai le cafard! Heureusement que je pars, je fuirai ce cauchemar quotidien. Elle éteint la télé et va se coucher en 57


pensant encore à sa patrie riche en plages, en montagnes, en déserts. Elle pense aux touristes qui venaient nombreux découvrir la beauté des paysages et le Sahara. Les terroristes les ont dissuadés de revenir. Pour oublier un peu tout ceci, elle prend le rouleau; elle veut en savoir plus sur Kishar, cette jeune femme richement parée qui se trouve avec les autres, l’intrigue. Lorsqu'ils voient son visage s'encadrer dans le ciel. Ils parlent tous en même temps. - Nous avons trouvé Saqqarah! Au regard interrogateur de la jeune fille, Lakhdar continue seul. C'est le tombeau de Djéser. Il aurait du se trouver en Egypte et en plus mauvais état. Quelle était la profession de votre grand – mère, Neila ?. - Elle était Docteur en anthropologie humaine et d'une grande renommée, car elle a fait des découvertes en Egypte notamment une tombe secrète. - La mienne en l'occurrence, et elle a trouvé le fusain. - Savez - vous que votre aïeule a commis une grave erreur, assure l'aîné de la bande, elle aurait du le remettre aux autorités du pays... - Non, le coupe Kishar, elle a bien fait de le garder. Sans elle, jamais les autres victimes, vous et moi n’aurions jamais été découverts. Car croyezmoi il y en a d'autres quelque part ailleurs et que nous ne pouvons pas voir. Elle ne devait pas en connaître le secret, sinon elle ne vous aurait pas dessinés, du moins je l'espère. - Vous avez raison mamie n'aurait pas fait de mal à une mouche. J'ai cherché partout la relique, je suis même allée à Zéralda où elle habitait, aucune trace. Peut être qu'Ismahane en sait quelque chose, elles étaient très liées toutes les deux, mamie lui en a probablement parlé. - Qui est Ismahane? Interroge Kishar. - Une amie de ma mamie, elle est aussi archéologue. En plus elle est égyptienne. - Est ce qu'elle habite en Egypte? - Oui, au Caire, la capitale. Elle scrute le diadème de l'indusienne, combien de kilo de bijoux portez- vous Kishar? Elle pense aux mariées tlemceniennes qui portent jusqu'à seize kilos d'or le jour de leur noce. - Aucune idée, ce n'est pas lourd et j'y suis habituée depuis le temps que je les porte. 58


- Cela fait si longtemps que ça? - Depuis toujours, en fait. Je suis une danseuse sacrée, héréditairement attachée au temple. J'ai été dès mon enfance dédiée aux dieux dont je suis l'une des épouses. Pour nous, la prière est dans la danse, notre acte de dévotion quotidien en offrande aux dieux. Notre livre sacré dit : "nulle prière, nulle offrande n'est aussi agréable aux dieux que la danse". Il m’incombait donc à moi de rapporter ce fusain au temple, personne ne pouvait mieux réussir. Car nous sommes toutes tenues au secret . Elle parle tout en marchant aux côtés des autres qui n'ont pas cessé d'avancer pendant le dialogue, elle ne peut contenir une exclamation de joie, oh! C’est Mohenjo - Daro, ma ville. La vue de sa cité natale l'emplit d'une joie puérile. Elle y court en sautillant et faisant des pas de danses. Les autres sont éblouis, ils se sentent si petits devant ces peuples qui, cinq mille ans plus tôt, avaient construit ces merveilles d'architecture. Le site est intact, comme au temps de son époque. Fifi avait fait fort. Mais il semble désert. - J'avais raison Neila, votre aïeule a bien tracé mon parcours. En trouvant ma tombe elle a fait le chemin en arrière avant de découvrir le fusain qui était enterré avec moi. D'après les écritures déchiffrées par Lakhdar, il nous faut trouver le caveau de Djéser. Retournons à Saqqarah. Dés que Neila sera en Egypte nous pourrons espérer récupérer le fusain.

CHAPITRE VII Dans le taxi qui l'emporte vers l'hôtel le Meridien Heliopolis au 51 rue Ourouba, dans le quartier résidentiel d'Helioplis pas loin de l'île de Zamalek où habite Ismahane, Neila suffoque de chaleur. Sa chemisette en coton noir est trempée. Elle a hâte de prendre un bain pour se détendre de la fatigue du voyage. A la réception, on lui remet sa carte magnétique. Sa chambre est spacieuse, avec un lit à deux places, une salle de bain en marbre, un mini - bar et la télé. Elle s'y sent tout de suite à l'aise. Le groom après avoir déposé sa valise près du lit, attend debout près de la porte: - Ah oui, le bakchich, j'avais oublié. Elle remet un billet à l'employé qui la salue bien bas et s'en va en souriant. L'air conditionné lui fait du bien. Elle prend un bain, se change, et prend le téléphone pour appeler son amie. 59


- Hallo, min fi al khat? (Qui est en ligne?) - Maha c'est Neila, fait- elle en sentant son coeur exploser dans sa poitrine. - Neila! Quelle bonne surprise, comment vas- tu chérie? - Bien, merci, elle a faillit dire " mal tu me manques terriblement", mais elle se ravise et poursuit, Maha, est ce que Fifi t'aurait parlé d'un fusain en ivoire qu'elle aurait trouvé dans une tombe? - Non, pourquoi me poses- tu cette question? - Ecoute je ne peux pas tout te dire au téléphone ce serait trop long. Est ce qu'on peut se voir là tout de suite? - Où es- tu Neila? - Ici au Caire. Je suis arrivée tout à l'heure et j'ai pris une chambre au Meridien Heliopolis. - Mais pourquoi tu ne m'as pas appelée? Je serais allée te chercher à l'aéroport. Quelle idée d'aller à l'hôtel Neila. Croyais- tu que j'allais te refuser l'hospitalité? Bon, je viens te chercher tout de suite. - D'accord je t'attends, Maha, je ne voulais pas te déranger. - Tu ne me dérangeras jamais ma chérie, tu me fais de la peine en le pensant. - Je suis désolée, Maha. Alors à toute allure! - Je serai là dans quelques minutes. Neila? - Oui, Maha. - Je suis heureuse de te revoir mon lapin. - Moi aussi Maha. Elle raccroche et laisse la main appuyée sur le combiné qui lui a renvoyé la voix aimée. "Je l'aime comme si j'aimais un homme, mais c'est une femme. J’aurais honte si l'amour n'est pas honteux. Je crois comme dit la chanson " l'important c'est d'aimer" Je l'aime et je sais que c'est depuis ce jour où je les ai vues toutes les deux s'embrasser. Mais partage - t - elle mes sentiments? Je ne veux pas renoncer à elle. Elle est ce que j'ai de plus cher au monde. Mais comme l'amour rend triste. Je suis amoureuse d'une femme qui ne l'est certainement pas de moi. Eh bien, je saurai me faire aimer d’elle, j'ai 60


quelques jours pour ça. Je vais demander conseil à Samy je sais qu'il est gay, lui saura me comprendre et me conseiller. Elle prend le rouleau de papyrus. Ils sont tous assis par terre l'air dépité. - Qu'est ce qui vous arrive? Vous avez des mines toutes tristes. - Et pour cause! Monsieur - je - sais - tout et la Saba ne trouvent pas l'entrée du tombeau du grand manitou. - Et alors? - Alors, répond Kishar, Si nous ne pouvons pas y accéder, tu ne le pourras pas non plus. - Ce n’est pas si grave puisque je suis au Caire, je le demanderai à Ismahane, elle le sait forcément, elle est archéologue. - C'est une vraie communauté d'archéologues que nous avons là, ma parole. - Justement Samy, tu ne pourrais pas t'éloigner? Je veux te parler de quelque chose de personnel. - Bien sûr ma poule, suis moi, bibi est là, en se déhanchant exagérément il s'éloigne. Lorsqu'il est assez loin des autres il s'assied sur le sable. Allez dis- moi tout, je suis toute ouïe très chère. - Tu es bien gay n'est ce pas, je ne me suis pas fourvoyée? - Non, tu ne t'es pas trompée, je suis homo. - J'aimerai te poser quelques questions. - Tu ne serais pas amoureuse d'une femme, toi par hasard? - Heu, oui, comment as- tu deviné? Neila est épatée par la perspicacité du jeune homme. - Tu ne m'aurais pas sollicité sinon. Et donc, quel est ton problème? Elle ne le sait pas encore? C’est ça hein? Ça se voit à ton air. - Oui, tu as raison, elle ne le sait pas encore. Je sais qu'elle est homo elle aussi. - Pas toi ? - Je ne sais pas, ça ne m'est jamais arrivé avant. 61


- Tu sais tu peux aimer une femme sans être homo, tu peux aimer les deux aussi, tu serais bi. - Ca, ça ne me gênerai pas. Je n'ai jamais ressenti quelque chose d'aussi fort pour les petits amis que j'ai eus. - Tes petits amis, petite coquine, tu en as eu combien? - Je ne suis pas une collectionneuse si c'est ce que tu veux dire. Ils étaient trois, celui que j'ai le plus aimé était en première année de fac avec moi, mais il m'a quittée pour suivre ses parents en France. Mais tu vois, avec Ismahane c'est différent. - Ah c'est donc cette égyptienne, mais dis moi, dit- il en se levant d'un bond, ça doit être une vieille! C'est l'amie de ta grand - mère non? - Mais non, elle a à peine 43 ans. - Ah, tu m'as fait peur. Bon, si j'ai bien compris tu n'oses pas lui déclarer ta flamme? - Oui, répond elle en rougissant. - Il n'y a pas de quoi avoir honte Neila. L'amour est un sentiment noble, quelque soit à qui il s'adresse. Dis - le lui, jette - toi à l'eau. Elle est gay, elle comprendra j'en suis persuadé. - Et si elle ne partage pas mon sentiment? J’aurai l'air trop ridicule. - Primo, le ridicule n'a jamais tué personne, c'est plutôt la spécialité de l'orgueil. Secundo si elle est lesbienne, elle ne pourrait pas rester longtemps insensible à ta beauté. - Merci, Samy, j'espère que tu ne te trompes pas. - Sur ce point je me trompe très, très rarement pour ne pas dire jamais. Parle- lui, dis lui que tu l'aimes, tu n'aura rien à perdre, plutôt tout à gagner. - C'est plus facile à dire qu'à faire. - Attends, je n'ai pas dit qu'il fallait lui sauter au coup à la première occasion et lui hurler que tu l'aimes. Tu attends le moment propice, quand tu la sentiras prête à t'écouter, fais lui tes confidences. C'est à toi de trouver le moment le plus favorable. 62


- C'est vrai que, présenté de cette façon, ça a l'air plus faisable. Merci Samy, comme tu dois l'entendre, le téléphone sonne, je te laisse. - Salut, j'espère que c'est elle. Au fait, ils ont tout entendu de notre conversation, on t’entend de partout. Je tenais à te le dire. Il lui fait un clin d'oeil et s'en va rejoindre ses amis. Neila est un peu embarrassée, mais ça lui passe vite car c'est effectivement Ismahane qui l'attend à la réception. Quand elle la rejoint, l'égyptienne avait déjà réglé la note et elles s’embrassent chaleureusement,. Dans le 4 x 4 Mercedes de la jeune femme, elles sont toutes deux silencieuse, muettes d'émotion. Mais aucune ne sait quel tumulte s'enchevêtre dans l'esprit brumeux de l'autre. Leur gêne est accentuée par l'atmosphère étouffante de la ville. Neila brise le silence qui la torture. - Il fait toujours aussi chaud ici? - Oui, surtout en cette période de l'année où le printemps et l'été se confondent, tu veux que j'augmente la climatisation? demande l'égyptienne surprise dans ses pensées. - Non, dans la voiture ça va. Parle - moi de cette ville, elle aurait voulu lui dire, parle - moi de n'importe quoi pourvu que ce silence cesse. - Que te dire? Fit- elle en gratifiant Neila de son sourire le plus éclatant, son regard brille de mille feus. La jeune fille en est hypnotisée, ignorant qu'elle offre la même image à son amie. Le Caire, en arabe El Quahira, ça tu le sais, qui veut dire la triomphante, est la ville la plus peuplée d'Afrique. On l'appelle aussi la cité aux mille minarets. Il n'y pleut que six jours par an d'où cette canicule. Et comme tu peux le constater en ce moment même la circulation est toujours aussi dense. Je ne sais pas si je ferai un bon professeur. Qu'est ce que tu en penses, mon petit lapin? - Excellent, je ne l'échangerai pour rien au monde. - Ca c'est gentil, elle se tourne vers sa voisine puis se concentre à nouveau sur sa conduite, il y a trop de monde décidément. En effet Neila remarque aussi la diversité des moyens de transport, il y a même un charrette tractée par un boeuf, cela la surprend. A Alger certes il y a du monde aux heures de pointes mais il n'y a aucun véhicule en ville tiré par un animal. Décidément les égyptiens sont un peuple charmant et plein de surprises, pense - t - elle. La ville grouille de monde. - Je dois me rendre à Saqqarah, est - ce loin d'ici? 63


- Non, c'est sur la rive ouest à 35 kilomètres au sud. Je t'y emmènerai si tu veux. Je te ferai aussi visiter d'autres endroits, plus merveilleux les uns que les autres. - Avec grand plaisir, mamie disait que l'Egypte est le pays le plus beau et le plus riche en vestiges. C'est l'occasion pour moi de les voir, et avec toi qui plus est, c'est magnifique. Ismahane sourit contaminée par la bonne humeur de la jeune fille. Neila ne se sent plus de joie. " La vie est belle, la ville est belle, Ismahane est belle, que demander de plus? C’est le bonheur total!" Elle ferme les yeux, elle pense avec délectation qu'elle va bientôt explorer l'univers de la jeune femme. Elle les rouvre pour les poser sur les mains de la conductrice. Elles sont si jolies avec des doigts fins et longs ornés de bagues. La jeune fille les imagine se promenant sur son corps, cette illusion la prend au dépourvu, elle rougit et tourne la tête du côté de la vitre. Le Nil, imposant, lui emplit le regard. Elle se cale sur le repose - tête et se laisse aller à rêver aux jours à venir. Elle avait avidement lu "Les prodigieuses victoires de la psychologie" de Pierre Daco, mais elle n'a pas appris grand chose. Ce dernier dit dans son traité: " l'homosexualité féminine; deux femmes qui ont des relations sexuelles, cela peut être du à un choc, un viol... etc." A aucun moment il ne parle de la passion déferlante qui s'abat sur tout le corps, du coup de foudre qui vous aveugle au point de ne plus se préoccuper de l'objet de cette houle, une femme, un homme; peu importe du moment que l'amour avec un grand A, a passé le seuil d'une porte fermé jusque là. Et quand ça arrive, rien n'est plus comme avant. C'est le printemps en toutes saisons, qui chante dans la tête. C'est ce qu'elle ressent depuis que la jeune femme a parcouru le bout de chemin qui mène à son coeur. Celui ci danse la sarabande sans arrêt. " Que je suis heureuse, pense- t- elle, Maha est là et elle peuple mon désert aride. Elle l'a transformé en une oasis qui rappelle les jardins de l'Eden. Je t'aime Maha." Elle répète cette phrase qui coule comme une douce rivière dans son cerveau. Un nectar mielleux coule dans ses veines. Elle ne se rend pas compte que la conductrice ayant franchi un portail, se gare devant une bâtisse imposante. Le bruit du frein à main la ramène à la réalité. " La maison de Maha, se dit- elle en sortant de la voiture, elle est grande et belle." De part et d'autre des massifs de fleurs embaument l'atmosphère. Elles pénètrent dans un hall frais. Trois salons se succèdent, le premier du style anglais, le second arabe et le troisième, moderne, est en cuir de couleur blanche. Devant sa moue, Ismahane sourit en disant: - Ce n'est pas moi qui aie décoré cette maison; - Tu l'as eu meublée? À qui appartient- elle? 64


- A mon mari que Dieu ait son âme. J'en ai hérité à sa mort. Le cancer, conclut- elle dans un murmure. - Je suis désolée je ne savais pas que tu avais été mariée, Fifi ne me l'a jamais dit. En fait elle ne parlait plus beaucoup de toi, ces dernières années. - Et que disait- elle avant? S’enquiert Ismahane curieuse mais nullement troublée sinon par le joli minois qui lui sourit. - Oh, rien de spéciale, sinon, Maha va venir, je vais voire Maha en Egypte. Maha a ouvert un magasin d'antiquités il faut que j'aille voir ça. Des trucs dans ce genre. Quand t’es- tu mariée ?. - Il y a de cela huit ans. - C'est donc pour ça que tu as cessé tes visites à Zéralda. - Oui et non, la jeune femme reste évasive, elle ne dit pas à Neila que Fifi ne lui avait jamais pardonné cet acte qu'elle avait qualifié de haute trahison. - Je comprends, je sais que tu as aimé mamie. - Comment tu le sais ? Elle t'en a parlé? - Non, Mais je vous ai vues un jour, vous embrasser. Si ce n'était pas de l'amour, c'était bien imité. Neila veut détendre le pli soucieux sur les lèvres de l'égyptienne, elle s'en veut d'avoir parlé trop vite. - Tu nous as vues! Où et quand? Elle est très inquiète de savoir que d'autres avaient pu les surprendre aussi. - Il y a longtemps, dans la cuisine à Mahelma, je venais pour prendre de l'eau, je suis repartie pour ne pas interrompre votre baiser. Je devais avoir quatorze ou quinze ans. Je ne savais pas que c'était là de l'amour jusqu'à ce que...ce que... Elle s'arrête, elle était sur le point de lui avouer ses sentiments. Elle rougit violemment, détourne son regard qui tombe sur le portrait d'un homme chauve avec une grosse moustache qui devait compenser le crâne entièrement dégarni. Cet homme est laid pas une once de charme sur ce visage hideux. - Jusqu'à ce que, quoi Neila? - Pardon? Qui est cet homme ? Était- ce ton mari? Demande rapidement la jeune femme pour éviter de répondre. 65


- Oui, c'était mon mari. Tu n'as pas fini ta phrase. Jusqu'à ce que quoi, Neila? - Je ne sais plus ce que je voulais dire, ment- elle, pourquoi as- tu épousé cet homme Maha? L’as- tu aimé? - Je te trouve par trop curieuse. Le ton froid et coupant intrigue la jeune fille nullement impressionnée. Elle se demande pourquoi une si belle femme a sacrifié sa vie à cette face de rat. Etait- ce par compassion pour sa maladie? Elle est surtout jalouse de cet homme qui a serré dans ses bras une fée au corps mince et souple. Cette pensée la met hors d'elle. Elle la chasse et offre à son hôtesse un sourire proche du rictus. Elle sent un bras lui enserrer la taille. - Viens, je vais te montrer ta chambre. Elle la suit docilement, déçue de ne pas partager la sienne. La pièce est spacieuse et bien éclairée. Restée seule, elle s'allonge un instant sur l'immense lit circulaire. Elle rejoint plus tard Ismahane qui s'affaire dans la cuisine. La jeune femme lui dédie son plus beau sourire. - Tu t'es reposée un peu? - Un peu, oui, le lit est très confortable. - Le dîner sera prêt dans une heure environ, si tu veux, tu peux aller faire quelques brasses dans la piscine. - Non, je préfère rester avec toi pour t'aider. - D'accord, tu n'as qu'à préparer la salade. - Ca marche, va pour la salade. Maha, je suis très heureuse d'être ici avec toi. - Je sais, je le suis aussi.

CHAPITRE VIII 66


Lakhdar a passé des heures à tourner autour de la pyramide pour essayer de se rappeler l'ouverture par laquelle il y était entré lorsqu'il l'avait visitée en Egypte. Quand soudain la mémoire lui revient: - Euréka, ça y est j'ai trouvé ! Samy! Fatma ! Kishar! Venez vite. J'ai trouvé l'entrée. Nous allons procéder de la même manière que la première fois, avec la tombe de Kishar. - D'accord on a compris, du bois et des cailloux, s’exclamèrent ensemble, Samy et Fatma. - Oui, Samy, toi tu viens avec moi, les autres vous irez de votre côté, vous les outils et nous les lianes. Tout le monde est d'accord? bien, allons y alors. Prenez autant de pierres que vous en trouverez. Ca nous prendra plus de temps, car les dalles sont plus volumineuses. Il nous faudra les faire craquer à plusieurs reprises en profondeur. Allez les enfants au boulot !. Lakhdar aide Samy à grimper sur un arbre pour aller détacher une liane qui paraît bonne. Il le pousse par les fesses, aussi haut que possible. Lorsque Samy redescend après avoir détaché la liane, il remarque le drôle de regard que son aîné pose sur lui. - Qu'est ce que tu as à me lorgner de la sorte. Tu ne serais pas un peu pédé toi par hasard? Mais l'archéologue ne l'écoute plus. Il l'empoigne brutalement et le cloue à un arbre le regard fou et lubrique. - Si tu veux me baiser tu n'as qu'à le demander, crie le jeune homme fou de rage et d'impuissance. La poigne de l'homme est solide comme un roc. Lakhdar le plaque contre l'arbre en le mobilisant d'un bras, de l'autre il le déshabille. Il souffle comme un phoque et viole un Samy en pleurs. Dés qu'il se soulage, il prend conscience de son acte, honteux et repentant il s'en va sans se retourner. Samy se laisse glisser sur le sol sans relever son pantalon sur sa croupe dénudée. Il se love sur lui - même et reste prostré un long moment. Les deux jeunes filles attendent assises près de deux tas de pierres et de bois. 67


- Samy n'est pas avec toi? Interroge Fatma quand elle voit Lakhdar revenir seul, il est resté dans la forêt, il n’a plus peur alors? L'homme ne répond pas, submergé par le remords et la honte. Si Samy se plaint auprès d'elles, que vont- elles penser de lui. Il jette les lianes et va vers la mer. Il nage avec frénésie en s'éloignant du bord. Les deux filles le regardent sans comprendre. Il est si poli d'habitude et il les a royalement ignorées. Etrange pensent- elles sans s'en préoccuper d'avantage. Samy émerge de la torpeur qui l'a saisi. Il se relève en s'appuyant au tronc témoin du viol. Il décide de ne rien dire aux autres. Il reconnaît qu'après la douleur il avait eu un orgasme sans précédent. Lakhdar ne s'en était pas aperçu. Il avait l'habitude d'inviter ses amants à dormir chez lui. La chambre de sa mère étant près de la sienne, il a appris à taire ses jouissances pour éviter de la réveiller. Elle aurait eu une attaque cardiaque, à coup sûr, si elle venait à soupçonner que le fils en qui elle a fondé tous ses espoirs pourrait être homosexuel. Il savait qu'il arrivait parfois que des victimes d'abus sexuel tombent amoureuses de leur bourreau. Il se demande si cela ne va pas lui arriver. "Affaire à suivre, se dit- il." Quand il arrive près d'elles, Fatma et Kishar parlent à bâton rompu. La danseuse tient dans ses deux mains celles de sa compagne. A l'arrivée du jeune homme qui a eu le temps de reprendre ses esprits, Fatma retire vivement ses mains de leur tendre étau, se lève d'un bond et leur tourne le dos pour cacher à son confident ses joues en feu. Elle est troublée par les paroles de Kishar. Elle ne veut pas que Samy interprète mal son émoi. Elle a pourtant l'habitude de recevoir des compliments, mais sortis de la bouche d'une femme, ils ont une vraie saveur qu'elle a goûtée avec délectation avant l'arrivée du rouquin. Elle sait désormais qu'elle ne verra plus la danseuse de la même façon qu'avant. Elle les laisse et s'en va vers la plage. - Qu'est - ce qu'il lui arrive? On dirait qu'elle me fuit. Elle te parlait de moi? - Non, réplique l'indusienne, elle est probablement inquiète pour Lakhdar qui est rentré dans l'eau il y a un moment déjà et qui n'en est pas encore sorti. - Vous a- t- il dit quelque chose? - Non, rien du tout, il a à peine jeté un regard sur nous. Pourquoi, vous vous êtes disputés? - Non, excuse moi je vais voir Fatma. 68


Celle - ci scrute l'horizon. Pas de traces de Lakhdar. Sa tête aurait du être visible. Mais rien, la mer est lisse et ne laisse rien transparaître. Elle sursaute au son de la vois de Samy. - Ne t'en fait pas pour lui, il va revenir. - Cela fait si longtemps qu'il est parti. - Je te dis qu'il va revenir, il lance cette phrase avec colère, il ne peut plus mourir. Nous le sommes déjà tous. - Qu'est - ce qui te prend Samy, inutile de te mettre dans cet état. - Excuse - moi, tu as raison. J'ai faim, je vais aller pêcher. Il s'éloigne en laissant Fatma toute seule. Elle tressaille en sentant un bras lui entourer la taille. C'est Kishar qui s'était approchée sans bruit. A son tour elle pose son bras sur les épaules de son amie et l'attire vers elle. Elles demeurent ainsi face à la grande bleue, chacune plongée dans ses pensées. Elles attendent Lakhdar, leurs regards fixés sur la mer, celui - ci arrive par derrière, de la forêt. - Avez- vous vu Samy? demande - t- il. - Oui, répond Fatma, il est allé de ce côté pour pêcher le dîner ou le déjeuner. - Vous a- t- il dit quelque chose? - C'est drôle, il nous a posé la même question quand il est arrivé, lui dit Fatma, il avait la mine aussi fermée que la tienne en ce moment. Qu'est ce que vous nous cachez tous les deux? Finit- elle en riant. - Rien, rien du tout. Puisqu'il est allé chercher à manger, on va faire du feu. J'ai trouvé des pierres en silex. Ce sera plus facile qu'avec du bois. Et comme un prestidigitateur, il montre les deux cailloux, qu’il frotte l'un contre l'autre., des étincelles jaillissent et les brindilles s'enflamment allumant un feu sur le bûcher. Fatma applaudit, Kishar fixe le feu en murmurant des incantations invoquant les dieux. Quand Samy revient, il jette à peine un regard à son aîné. Il dépose les poissons devant lui. Ce dernier s'en empare pour les nettoyer, soulagé d'avoir du travail pour meubler le silence. Il choisit trois branches. Deux épaisses se terminant en V qu'il plante de part et d'autre du foyer. Il embroche un poisson sur la plus fine et la pose sur les deux autres. Il accomplit tout cela sans cesser de fixer le groupe qui discute un peu plus loin. Il s'attend à tout moment à voir sur lui trois regards, réprobateurs et menaçants. Mais ils continuent à parler sans rien voir de son angoisse. 69


Les deux jeunes filles répondent par un sourire à son appel, seul Samy reste froid. Ils mangent en silence, la tension est à couper au couteau. Fatma a hâte que le repas se termine. Elle veut s'éloigner avec sa nouvelle amie pour rester seule avec elle. Celle - ci comme si elle a deviné son désir lui propose une baignade. Elles s'éloignent main dans la main. Restés seuls les deux hommes ne savent comment se sortir de cette situation accablante. Le plus jeune espère que l'autre entamera le sujet le premier. "Après tout c'est à lui de réagir, pense - t - il, c'est moi la victime." Il ne cesse de fixer ses pieds. Il entend à peine la voix de son bourreau. - Je suis désolé Samy, je ne sais pas ce qui m'a pris. Je n’étais plus moi même. - Dis plutôt qu'à ce moment là, ton seul seigneur et maître s'appelait « Queue. » Lakhdar n'ose répondre, il reconnaît la véracité des mots contenus dans le message de son cadet, à savoir qu'il n'était qu'un animal que le rut rend fou. Samy se rend compte qu'il a pris le dessus sur cet être tout penaud. Il aurait voulu avouer qu'il n'en avait pas été traumatisé mais il décide plutôt de le bassiner un peu. - C'est lamentable ce que tu as fait. Tu es un humain, la maîtrise te différencie de la bête. Mais je crois que sur ce plan c'est peine perdue. L'homme restera la plus sauvage des créatures de Dieu. La prochaine fois demande, au lieu de prendre d'emblée et de force, ça pourrait être plus fun. Je vais faire une sieste n'en profite pas pour m'embrocher. Son interlocuteur rougit violemment. Pendant ce temps Fatma et Kishar barbotent dans l'eau. Elles jouent à qui aspergera le plus l'autre. Elles s'amusent comme des folles. Fatma éprouve un bonheur qu'elle n'a jamais connu. Loin des contraintes, des qu'en - dira - t - on, des que penseront tes frères et ton père. Elle est enfin seule et libre de ses actes. Lorsque Kishar cesse tout à coup de rire et la serre dans ses bras, elle devient toute rouge et tremble de tout son corps. Elle repousse la main qui s'est posée sur ses reins. Sa propre réaction lui fait peur, elle voudrait demeurer ainsi à tout jamais. Mais elle prend sur elle - même et ne veut pas répondre à l'étreinte de son amie. Elle la repousse doucement sort de l’eau et se rhabille rapidement. Le regard inquiet et insistant de la danseuse lui brûle le corps tout entier. Elle se demande si elle n'est pas un peu comme Samy. Elle ne désire pas renoncer à cette amitié qui l'emplit de bien être. Elle veut juste un peu plus de temps pour s'habituer à cette langueur. Elle a du mal à refouler ses sentiments mais elle se fait violence et offre à son amie un sourire serein en apparence. 70


- Allons rejoindre les autres. J'ai peur de les laisser seuls trop longtemps. Ils s’entendent comme chien et chat, tu comprends. Elle n'ose lui dire que c'est sa propre crainte qu'elle fuit. Kishar s'incline, se revêt, et prend sa main en la serrant fort dans la sienne. Fatma répond à la pression en se laissant mener.

CHAPITRE IX Allongée sur le vaste lit rond, Neila repense à la soirée qu'elle vient de passer en compagnie d'Ismahane. Elle l'a elle même écourtée prétextant la fatigue du voyage. Une fois couchée, elle se rend compte qu'elle n'a pas menti à sa Bîlitis, elle est exténuée. Elle en rêve le sourire aux lèvres jusqu'à ce qu'elle sombre dans les bras de Morphée. La porte s'ouvre brutalement, un homme masqué par une cagoule entre en tirant une Ismahane sans vie et ensanglantée, il la lâche au pied du lit et se dirige vers Neila en la menaçant d'un couteau taché de sang, dont la lame l'a privée pour toujours de sa bien-aimée. Ses hurlements réveillent l'objet de ses songes qui accourt pieds nus, couverte d'une ravissante chemise de nuit vert foncé. Elle s'assied sur le bord du lit et accueille dans ses bras une Neila tremblante et en sueurs malgré la climatisation: - Ce n'est rien chérie, tu as fait un cauchemar, c’est fini trésor, je suis là. Neila sanglote en s'agrippant à son amie, pleurant de bonheur car ce n'était qu'un mauvais rêve. Elle est vivante et bien là, et elle la rassure tendrement. - Quel était le démon que tu as combattu, ma petite fille? - Je ne sais pas, je ne me le rappelle pas, ment- elle, elle ne veut pas en parler de peur qu'il ne se réalise. Fifi lui disait, quand elle était petite, que lorsqu'elle faisait de mauvais rêves, de n'en parler à personne et de les raconter dans les toilettes et de tirer la chasse pour qu'ils soient engloutis, ainsi ils ne se réaliseront point. Ismahane plaint Neila qui vit dans un pays où des frères s'entre-tuent pour un idéal incertain. Elle assimile son cauchemar à la psychose qui règne dans son pays depuis l'assassinat du président Boudiaf. La jeune fille elle - même en a été victime. Elle aurait voulu la garder pour toujours pour la protéger du virus qui ronge son peuple. Mais elle ne peut ignorer le profond patriotisme de son amie. Elle caresse doucement la chevelure soyeuse puis esquisse un geste pour partir. Neila la retient. - Non, ne pars pas encore, reste un peu avec moi, la prie- t - elle. 71


- D'accord, je reviens, je vais éteindre la lumière dans ma chambre. Le coeur de la jeune fille s'arrête de battre. Elle bénit ce cauchemar qui lui amène Ismahane sur un plateau d'argent. Celle - ci revient quelques instants plus tard, se couche et l'attire dans ses bras. Neila se colle à elle de tout son long, soupire d'aise et se laisse emporter par le sommeil. Son aînée n'arrive pas à dormir. Elle se demande, en serrant contre elle le corps souple et tendrement abandonné, si elle pouvait se permettre de succomber aux charmes de la dormeuse. La réponse lui parvient spontanément, "oui". Elle ne peut ignorer les regards passionnés et doux qu'elle lui lance quand elle lui parle. Elle a saisit le message, il ne peut être plus clair. Elle se promet de lui tendre une perche le moment venu. Après des années de galères et de souffrances, voila que l'amour frappe une nouvelle fois à sa porte en la personne de la petite - fille de son ex amie, quelle ironie du sort. " L'amour, quel mot magique, se dit- elle, et que de bien nous procure- t- il. A moi, à présent d'en prendre soin et de le cultiver comme une terre fertile. Même si la distance reprend le dessus, je promets de te rendre heureuse et gaie." Elle ferme les yeux, l'odeur du corps endormi la grise et la berce dans sa quête du sommeil. Un coq chante quelque part et réveille Neila. Elle est dans la même position, tout contre Ismahane. Celle - ci sentant le lit bouger ouvre les yeux, Elles se sourient dans la semi clarté de l'aube. L'aînée referme ses paupières. Neila s'étire et regarde sa montre, cinq heures. Il est trop tôt pour se lever. Elle se blottit contre son amie. Sentant que l'autre ne dort pas non plus, elle se détache d'elle, s'éloigne d'elle et pose sa tête sur l'oreiller et lui faisant face, après l'avoir longuement contemplée, elle dit tout de go: "- Maha, pourquoi as- tu épousé cette face de rat? Je n'arrive pas à croire qu'il ait tenu dans ses bras une aussi jolie femme que toi, il a l'air d'un phoque. - Il ne faut pas dire du mal des morts, Neila, elle sourit malgré elle, c'est une longue histoire. Je te la raconterai un jour. - Combien de temps es- tu restée mariée? - Six années, répond- elle, après un long silence. - Tu l’as supporté aussi longtemps? À moins d'être amoureuse de lui, je ne vois pas comment tu as fait. - Il était gentil avec moi. Il me passait tous mes caprices. Mais je ne l'ai jamais aimé. 72


- le contraire m'aurait étonnée. Tu as dû souvent avoir des migraines et tes règles trois fois par mois. Et je parie qu'il marchait. Elles éclatent de rire ensemble, enfin vraiment complices et débarrassées de la nervosité qui les saisit chaque fois qu'elles sont en présence l'une de l'autre. A la mine triste d'Ismahane, Neila comprend qu'elle a remué de douloureux souvenirs. Ramenant à elle la jeune femme, elle l'entoure de ses bras. La tête bien calée sur l'épaule accueillante, Ismahane se sent redevenue adolescente. Elle arrête la main, de sa voisine de lit, qui caresse lentement son dos, elle la retient dans la sienne. - Je vais te laisser te rendormir, dit - elle en se levant de peur de succomber à la tentation. - Non, reste, supplie avec véhémence Neila, ne pars pas encore. - D'accord, mais nous dormons. - Mmm, juste dormir. Elle s'allonge de nouveau, Neila se love dans ses bras et ne bouge plus. Heureuse de sentir le corps de sa dulcinée tout contre elle. "C'est ainsi que j'envisage ma vie, pense- t- elle, avec elle et pour toujours. C'est le paradis après l'enfer. Après la pluie le beau temps. Je suis aux anges, et il faudra bien qu'elle sache un jour combien je l'aime." - Je dois aller à Saqqarah, je peux prendre une des voitures que j'ai vues dans le garage? demande Neila en remerciant d'un hochement de tête la domestique qui lui sert son café. - Tu ne m'as pas encore dit pourquoi tu es là, Neila. Je vais t'y conduire moi - même. - C'est une longue histoire. Je te la raconterai ce soir. Et ne te dérange pas, je saurai trouver. - D'accord, eh bien, à ce soir Neila, je serai dans ma boutique toute la journée, je reçois de la marchandise qui vient de Chine. Sois prudente, chérie. - Ne t'en fais pas pour moi, je suis une grande fille au cas où tu ne l'aurais pas remarqué. A ce soir. Elle quitte les Zamalek et longe le Nil vers Memphis, sur la rive ouest comme le lui a expliqué son hôtesse. Elle se rend vers ce qui fut la capitale du pharaon Djéser. Bloquée dans la circulation de la place du Tahrir, quelques minutes où elle suffoque de chaleur, elle admire El Bahr, ce Nil, le père de L'Egypte, jonché de jacinthe du Nil, que les habitants du 73


Caire qualifient de pompeuse d’eau qui coule dans leurs veines. Arrivée sur le site elle se gare sur l'aire destinée aux véhicules et là, loin des regards, elle déplie le rouleau de papyrus et l'étale sur ses genoux. - Salut les îliens, fit- elle en souriant, devinez où je suis? - A Saqqarah, réplique Lakhdar. - Dix sur dix. Que dois- je faire à présent? - Nous n'avons pas encore pénétré à l'intérieur de la pyramide. Il nous faut encore un peu de temps pour creuser, le mortier est très résistant. - Allez – y, vous Neila, lui dit Kishar, et essayez de convaincre pharaon de vous remettre le fusain. Dite lui qu'il est très dangereux de le posséder. - Pourtant vous m'avez dit que si vous n'êtes pas à l'intérieur, je ne peux y être non plus. - Je voulais dire que vous serez seule pour le rencontrer. Une fois dedans vous prononcerez cette formule: "Atlantidis mène moi à Djéser". Pour revenir vous direz : "Atlantidis, ramène moi d'où je viens". - Donc, n'importe qui peut, grâce à ces mots, voyager dans le passé. - Non, seule le peut la dernière personne pour qui le fusain a dessiné. Préparez-vous à rencontrer le pharaon, il est très impressionnant. - D'accord, souhaitez- moi bonne chance. - Bonne chance Neila, crient- ils tous en choeur. Le coeur battant la chamade Neila marche vers le site. Elle paye l'entrée et suit le guide qui détaille le programme à des touristes, tous munis d'un appareil photo. Aux abords de la pyramide s’élèvent de majestueuses colonnes.. Elles sont un peu abîmées, mais tiennent encore debout. On dirait des gardiennes du temple. L'accès de la pyramide est fermé par une grille. Des escaliers ont été aménagés pour permettre aux visiteurs d'arriver au caveau. Des hiéroglyphes finement sculptés racontent la vie du défunt. Des scènes de vies du pharaon sont dessinées sur les parois, il y a aussi des soldats, des serpents, des scarabées...etc. C'est magique, pense la jeune fille, et dire que sous peu je vais me retrouver devant ces splendeurs dans tous leurs éclats. Elle prononce la formule et, sans rien ressentir, elle se retrouve dans le désert, sous un soleil de plomb. Quelqu'un se dirige vers elle, du haut de sa chaise à porteurs, huit hommes tout en muscles la soutiennent. Il toise 74


Neila, en avançant très vite tel un mille pattes. Dans un geste instinctif, elle lisse sa petite robe d'été blanche à fleures rouges, que la sueur a collé à son corps. Elle prend son courage à deux mains, et levant le menton, elle affronte le regard de l'homme chauve. Arrivés à sa hauteur, les porteurs plient les genoux et le porté met pieds à terre. Il questionne d'emblée la jeune fille qui lui fait face. Il admire sa grande beauté mais ne peut savoir d'où elle vient. Sa tenue et son sac sont étranges pour lui. Il conclut que c'est une voyageuse, venant de loin. - Qui es - tu et d'où viens – tu jeune fille? - Grand pharaon je viens de très loin et ... - Je ne suis pas pharaon, l‘interrompt- il en riant fort, imité par ses porteurs, je suis Imhotep son premier ministre et architecte. Et toi tu es qui, et pourquoi te trouves- tu par ici? - Je m'appelle Neila et j'ai été envoyée ici pour rencontrer le Pharaon. - Et pour quelles raisons veux- tu le voir ?. - Je ne peux le révéler qu'à lui. - Allez, partageons mon mille pattes, je vais te mener à notre dieu vivant. Il est fier comme Artaban de présenter cette beauté à son seigneur qui ne restera sûrement pas indifférent à tant de grâce. Ils arrivent dans une agglomération. Un palais, avec colonnes, salles et jardins, qui devient pour quelques heures le havre de fraîcheur de la jeune fille. Imhotep tape dans ses mains et une nuée de femmes entourent la voyageuse et la tirent par les mains. Elle se retrouve dans une pièce fermée au milieu de laquelle trône un bassin. Les servantes la déshabillent, la plongent dans l'eau chaude et la frictionnent. Après l'avoir séchée, elles la vêtent d'une longue bande de lin dont elle sent rapidement la fraîcheur bienfaitrice. Enfin prête, elles l'entraînent vers une salle donnant sur un jardin, où deux rangées de palmiers sont plantées, de part et d'autre d'un bassin carré. " C'est ce qu'on appelle aujourd'hui une piscine, pense- t- elle." Elle réalise qu'elle venait de faire un bond de cinq mille ans en arrière. Elle n'arrive pas à le réaliser vraiment, Elle se pince fortement pour s'assurer qu'elle ne rêvait pas, la douleur la convainc du contraire. Elle a bel et bien atterri dans la vallée du dieu Nil, empire de Pharaon. Imhotep la surprend dans ses pensées:

75


- Saqqarah, le tombeau de Pharaon est fini, ce soir il donne une grande fête en mon honneur. Tu seras mon invitée. Je te présenterai mon Seigneur au cours de la soirée. Viens il est temps d'y aller. - Dans la soirée, je ne crois pas avoir tout ce temps. - Nous verrons, nous verrons, suis- moi. Deux chaises à porteurs les attendent. Ils s'y installent, et la procession se met en branle. Elle se rend compte que son sac à dos est resté chez le chauve. Elle saute prestement et court à l'intérieur pour le récupérer. Elle revient et sourit à l'architecte qui en était resté ébahi, sûr qu'elle se sauvait. Balancée au rythme des athlètes, Neila se demande comment elle va faire pour récupérer le fusain. " Si ça tourne mal au moins j'ai mon sac sur moi. Mais si ça dure, à quelle heure je vais revenir sur le site qui ferme au public à seize heures? Venez- moi en aide mon Dieu. Sauver leurs âmes, dépend de cette expédition. Personne ne pourra croire mon histoire, ils me prendraient tous pour une folle." Un immense palais apparaît, celui de Djéser. Des colonnes sculptées de hiéroglyphes les accueillent. Ils traversent plusieurs couloirs, où tout est immense. Ils arrivent enfin dans une grande salle où des dizaines de convives réunis par groupes discutent. Des danseuses font leur numéro sous l'oeil distrait de l'imposant Pharaon juché sur son trône doré. Il sourit à une femme richement parée. La reine, devine Neila. - Reste là, je te présenterai plus tard. Mange, bois et amuse toi pour le moment, la fête sera longue. - Je vous l'ai dit, je ne peux rester trop longtemps parmi vous, je dois retourner d'où je viens. - Et d'où viens- tu? - D'un pays très loin d'ici, à l'ouest. - Je ne crois pas que tu puisses repartir ce soir même mais je vais voir ce que je peux faire pour toi. Une demi - heure plus tard il revient vers elle en lui disant simplement "viens". Il la mène jusqu'au trône. Le coeur de Neila bat à cent à l'heure. Ca y est, elle y est, à elle maintenant de faire preuve d'esprit et de se montrer convaincante. - Incline- toi devant dieu Pharaon! L’ordre a claqué comme un fouet, Neila penche la tête vers le bas, avec un grand sourire qui illumine ses traits. "Plus bas", entend-elle. 76


- Je ne peux pas. Je suis musulmane et le seul pour qui je m'incline est Dieu l'unique. Dieu tout puissant. - C'est le dieu tout puissant. Est ce que tu es là pour braver notre seigneur? Lui assène Imhotep. - Non, ce n'est pas mon intention. Je suis là, grand pharaon d'Egypte, pour récupérer un objet que vous détenez. Je parle du fusain magique. Il est dangereux, il faut le détruire sinon vous regretterez de l'avoir, il incarne le mal. Pharaon part dans un grand éclat de rire. Toute l'assemblée l'imite sans vraiment comprendre. Seule Neila reste de marbre, cachant la peur qui la saisit au ventre. - Peux - tu nous dire quel mal pourrait faire un objet inoffensif, dédié au jeu et au dessin? - Ce sont ces dessins qui sont dangereux, je ne peux vous dire pourquoi. Tout ce qu'on m'a demandé de faire, c'est de le récupérer. Un jour si vous persistez à le garder, vous vous rendrez compte par vous même de ses dangers. - Qui t'envoie? Parle. - Ca aussi je ne peux pas vous le dire, vous ne comprendrez pas, ce sont des gens du futur. Moi même je viens du futur. Je vis dans un monde qui a cinq mille ans de plus que le vôtre. - Tu crois vraiment que je vais croire à ces sornettes? - Je peux le prouver je peux décrire l'intérieur de votre tombeau. Car dans mon monde on peut le visiter. - Tu es en train de te payer ma tête, petite insolente !. - Loin de moi cette idée, je n'oserai pas. Vous devez me croire sur parole je n'ai aucun moyen de prouver ma bonne foi. - Je croyais que mon tombeau serait inviolable, hurle - t - il à l'adresse de son architecte. - Seigneur, cette femme ment elle ne peut savoir. C'est impossible. - Dis moi comment est l'intérieur du temple? Demande-t- il en regardant la jeune fille. 77


- Le caveau royal se trouve à 28 mètres de profondeur, à l'est du caveau se trouvent les chambres aux faïences bleues, à l'ouest, une galerie magasin... - Arrête tu en as assez dit, Imhotep blême essaye de tergiverser. - C'est une sorcière, il n'y a que cette explication, elle ne peut savoir que par la magie noire et elle veut le fusain pour s'en servir contre nous, j'en suis sûr. - Je ne suis pas une sorcière, si je vous parle de mon monde vous me prendrez pour une folle, il a trop de progrès par rapport à votre monde. - Plus un mot! Ordonne le maître des lieux. "Gardes emparez-vous de cette fille, menez là au cachot". Tu n'en sortiras que lorsque tu nous diras la vérité. Si demain matin tu décides de répéter les mêmes bêtises, ton sort sera entre mes mains jusqu'à ce que je décide de ta fin. "Emmenezla". Des soldats armés de lances se saisissent d'elle et l'entraînent. Elle a le temps de voir le sourire soulagé d'Imhotep. Arrivés aux bas de l'interminable escalier, ils la poussent dans une cellule. Elle atterrit sur une couche de paille. Ils repartent en riant et en se moquant. Neila seule, prononce la formule: " Atlantidis, ramène moi d'où je viens."

CHAPITRE X Neila se retrouve sur les genoux d'un inspecteur du site qui mangeait un morceau de pain et des olives. Il devient blanc comme un linge lorsque la jeune fille se remet sur pied. Le crépuscule baigne l'endroit d'une lueur orange. Croyant à l'apparition d'une antique égyptienne, il bégaie d’horreur: - Qui... Qui... Qui es - tu? Que me… Me… Me… V…V…Veux - tu? - Heu, je me suis perdue et j'ai trébuché sur vous, désolée. Je n'ai pas retrouvé mon chemin. Je dois partir, on m'attend, mon amie doit sûrement être inquiète à l'heure qu'il est. Elle ne comprend pas pourquoi l'homme a l'air si terrorisé. Il la regarde avec de grands yeux démesurément écarquillés. Un coup d'oeil à son vêtement lui en donne l'explication. Souriant jusqu’aux dents elle le rassure. C'est ma grand 78


mère, Fifi Sebag qui m'a offert cette tenue, vous devez la connaître elle était égyptologue. Je l'ai porté pour être en harmonie avec tous ces vestiges. Tenez, voilà mon passeport, il vous prouve que je suis réelle et non une apparition comme vous sembliez le croire. L'inspecteur rassuré par le document officiel qu'il garde dans sa main, ordonne à Neila de le suivre. Il lui en veut pour la peur qu'elle lui a fait ressentir. Le nom qu'elle lui a donné lui dit quelque chose, Sebag, il avait déjà entendu ce patronyme quelque part. Arrivés au poste il prie Neila de s'asseoir et la présente à son supérieur. - Elle dit qu'elle s'est perdue, et que la tenue qu’elle porte lui a été offerte par sa grand - mère. - Bien merci. Il lit soigneusement le passeport de Neila. - Est - ce que je peux me changer s'il vous plaît. Elle prend sa robe dans son sac. Il acquiesce en lui indiquant une pièce étroite, sans fenêtres et pleine d'armoires métalliques. Elle enfile sa robe à la hâte et retourne dans la pièce principale. Elle trouve l'inspecteur en train d'introduire plusieurs feuilles séparées de papier carbone dans la machine à écrire. Son passeport ouvert à côté. - Je dois fouiller votre sac. C'est le règlement. Lorsqu'il en retire le rouleau de papyrus, Neila se dit qu'il va sûrement la prendre pour ce qu'elle n'est pas s’il découvre les personnages. Il l'étale devant lui et regarde les dessins qui semblent inachevés. - C'est vous qui avez réalisé ceci? C’est très bien fait. D'où tenez- vous ce papyrus. - C'est ma grand - mère qui me l'a laissé avant sa mort - étonnée du manque de réaction de son interlocuteur, elle se penche légèrement et se rend compte que ses amies sont figés dans des poses de BD- Une amie égyptienne le lui a donné. Ma grand - mère que Dieu ait son âme s'appelait Fifi Sebag. - Fifi Sebag? L’archéologue? C'était votre parente? L'êtes- vous aussi? Je veux dire archéologue. - Non, je suis juste là pour découvrir ce qui a passionné ma grand - mère durant sa vie entière. Il faut que j'appelle mon amie, elle est égyptienne et j'habite chez elle durant mon séjour ici. - Comment se nomme votre amie? 79


- Ismahane Zakaria. - L'archéologue? veuve de Ahmed El Kantaoui? - Oui, répond- elle, même si elle ignore le nom de l'époux de son amour ; son souvenir lui met du baume au coeur. En plus l'officier commence à l'ennuyer sérieusement. Je peux l'appeler, dites? - Oui, bien sûr, c'est même indispensable, elle doit venir vous chercher, vous comprenez vous étiez sur le site bien après sa fermeture. Malgré le fait que vous soyez parfaitement en règle, vous n'êtes qu'une touriste et sa venue sera votre garantie. Voilà l'appareil je vous en prie, faites s'il vous plaît. Neila s'exécute honteuse de devoir expliquer à son aînée le lieu où elle se trouve. Cette dernière lui promet d'arriver aussi vite que possible. En effet trois quarts d'heure plus tard elle est là, comme une reine sortant de quelque palais. L'homme se confond en courbettes, en effet La belle égyptienne est connue, reconnue et respectée dans ce milieu. - Ahlan bik, ahlan oua sahlan, charraftina. (Soyez la bienvenue, vous nous faites honneur). Massa el kheir. (Bonsoir) - Massa el nour, répond l'arrivante. Ils se lancent dans une discussion où l'officier et le seul à en sortir en sueur. Ismahane se tourne vers elle et lui fait signe de la suivre, le rouleau de papyrus et le passeport, serrés dans ses mains. Elle les tend tous deux à la jeune fille. - Qu'est- ce que c'est que cette histoire Neila? Tu as été très imprudente, tu sais. - C'est une histoire extraordinaire, si je te la raconte tu vas croire que je fabule ou que je suis bonne pour l'asile des fous, assure - t - elle en regardant piteusement les images figés sur le papyrus étalé sur ses genoux, la seule preuve étant inerte. Ismahane n'insiste pas. Elle avait cru que Neila était venue en Egypte juste pour la revoir. Mais sa hâte à visiter cet endroit et ce qui vient de se passer, attestent du contraire. Elle sait que la jeune fille est là pour quelque chose qu'elle ignore. Elle se promet de connaître le fin mot de l'histoire. Pour le moment elle se concentre sur la route. - Nous sommes invitées à dîner chez des amis américains. - Ce soir? 80


- Oui, ce soir et nous avons juste le temps de rentrer pour nous préparer. - Tu m'en veux, Maha ?. - Non, chérie, mais tu as été très imprudente. Ils auraient pu te prendre pour une pilleuse. Nul n'a le droit d'être sur le site après sa fermeture. - Je sais, mais je te jure que je n'avais pas le choix. Quand je t'aurai tout dit, si tu me crois bien sûr, tu comprendras. - Je n'ai aucune raison de douter de toi mon petit lapin. En disant cela elle lui prend la main et la garde dans la sienne. Quelque temps plus tard Ismahane gare son véhicule près des house boats, sorte de bateau maison sur le Nil. De la fenêtre du salon Neila observe des barques où des familles entières dînaient autour d'un réchaud. La grosse américaine qui les avait reçues lui explique que ces embarcations sont les maisons des sayaddines, des pêcheurs nomades. Ils sont tous pauvres et vivent des poissons pêchés dans le fleuve. Ils y vivent toute l'année en se déplaçant d'un lieu à un autre du Nil. Le paradoxe de cette ville est pour le moins surprenant se dit la jeune fille. D'un côté, on sent y la présence des vestiges de la grandeur du passé. D'un autre, elle offre un aspect jaune et sale accentué par la chaleur qui fait remonter les odeurs de la pauvreté. Car un grand nombre d'habitants vivent dans la misère. Elle entend Ismahane prendre congé de ses amis, elle est soulagée, enfin elle va l'avoir pour elle seule. Arrivées devant l'imposante demeure, elles remarquent toutes deux une voiture garée dans la cour. Ismahane, en arrivant au salon, elle reconnait l'homme assis sur un fauteuil, et se précipite vers lui un grand sourire aux lèvres: - Antar, je ne t'attendais plus, quand es-tu rentré d'Angleterre? - Hier matin, cela fait au moins une heure que je t'attends. Tu ne me présentes pas ton amie? - Mais si, bien sûr. Je te présente Neila, c'est la petite fille de Fifi. Neila, voici Antar. - Mais oui c'est vrai, elle lui ressemble beaucoup, j'aurai du le remarquer. Enchanté Neila, comment va notre chère Fifi? - Elle est morte depuis peu, répond sèchement la jeune fille. Elle ne comprend que trop bien ce qui la pousse à rabrouer l'homme dont la face 81


a blêmi à cette annonce. Il lui est pourtant sympathique avec sa figure bon enfant. - Je suis désolé, mon enfant. C'était une grande dame, j'ai vraiment de la peine pour vous. - C'est gentil, merci, articule Neila que le regard réprobateur d'Ismahane a amené à de meilleurs sentiments. - Tu resteras bien pour prendre une tasse de thé avec nous, n'est ce pas? Propose la maîtresse de maison. Tu es chez toi ici, c'est la maison de ton frère. - Faux, c'est ta maison Ismahane, il te devait bien ça après tout le mal qu'il a fait à ta famille et à toi. - Ma famille s'est fait du mal sans l'aide de personne. Et il a été gentil avec moi. - Gentil mon frère? Tu m’étonnes. Tu as même gardé sa photo. Quand je pense que c'est moi qui l'ai présenté à ta famille. - C'est du passé maintenant, il faut oublier. Elle le dit sans conviction car elle, n'oubliera jamais d'où la conservation du portrait à sa place. Tu es ici pour longtemps? - Non je repars demain. Je suis juste venu régler quelques affaires. Ma femme et mes enfants sont restés à Londres. - Je vais préparer le thé, ensuite tu me diras tout. - Je vais me coucher, lance Neila, je suis fatiguée. Au revoir Antar et bon retour chez vous. Bonne nuit Maha. - Bonne nuit ma chérie. Elle suit des yeux celle qui quitte le salon pour monter à l'étage. - Une nouvelle conquête? demande avec un sourire malicieux son beau frère. - Je ne sais pas Antar, parfois je le pense, puis je me rétracte. C'est la petite - fille de mon ex-amie, ce ne serait pas malsain? Finit- elle en cherchant l'approbation de son confident de toujours. - Non, je ne crois pas, ce sera simplement l'éternel recommencement. Elle a l'âge que tu avais quand tu as aimé Fifi. Je n'arrive pas à croire qu'elle est morte. Elle n'était pas si vieille. 82


- Oui, mais la maladie ne choisit pas, elle ne frappe pas en fonction de l'âge. Une crise cardiaque l'a terrassée. Son coeur était malade depuis longtemps déjà. - Ma pauvre amie, dit - il en lui prenant la main que de malheur s'abattent sur tes frêles épaules. - Je t'assure que Neila est la plus à plaindre. Ses parents et son petit frère ont été sauvagement égorgés par des terroristes. Et elle perd sa grand mère au moment où elle a le plus besoin de soutien. - Donc c'est la providence qui vous a rapprochées. Elle t'envoie cette petite, qui à sa manière de me regarder prouve à quel point elle s'est attachée à toi. Regarde, elle est montée se coucher pour ne pas avoir à supporter ma présence. Elle est jalouse cela se voit, cela se sent. Elle est bel et bien amoureuse de toi, tu sais que mon intuition ne me trompe pas. - Je ne sais pas quoi en penser. Sa présence me fait du bien certes, elle m'attire comme un aimant c'est vrai. Mais je ne sais pas si je l'aime vraiment. Je ne suis pas sûre d'être prête pour ça. - Tu viens de citer là les deux symptômes précurseurs du grand amour, le bien être et l'attirance. Le reste viendra tout seul crois moi Ismahane. Tu es restée trop longtemps seule, mon amie. Et tu n’as jamais été heureuse avec mon frère. Laisse –toi aller Ismahane, il est temps pour toi de vivre. Les paroles de son confident s'insinuent lentement dans son cerveau, belle stratégie, car elles l'ont pris d'assaut et s'y sont impunément installées en diffusant dans toute son être, un miel qui la rend dolente et soumise à leur message. " Tu l'aimes, se dit - elle, tu le sais maintenant, mais en même temps que la révélation, le doute lui rend son inévitable visite, et elle m'aime - t - elle aussi? Ou est - ce juste un attirance curieuse provoquée par la vue du baiser? Mais ça seul le temps me le dira". En sirotant son thé elle se demande si ce n'est pas une erreur de s'aimer alors qu'elles vivent à des milliers de kilomètres l'une de l'autre. Elle se remémore les moments douloureusement déchirants de la séparation d'avec Fifi quand il fallait rentrer. L'attente exaltée de la prochaine visite. Si elle ne s'était pas bien malgré elle mariée... Elle s'exhorte à chasser cette idée, à quoi bon remuer le passé, et puis c'est le présent et c'est Neila qui en fait partie et non son aïeule. Comme dit Antar rien ne peut empêcher un coeur de battre à nouveau. Elle regarde vers la chambre de l'objet de ses pensées, son nouveau centre du monde, elle sourit de bien être. - Tu es bien silencieuse, tu médites mes mots. Ton regard vers cette porte est très éloquent. 83


- Tu es bête, gourmande - t - elle en rosissant, je suis heureuse que tu sois venu me voir avant de repartir, Antar. - C'est un plaisir partagé chère amie. Et je vois que je t'ai remis les idées en place. Ton cerveau a été légèrement court-circuité. Cela fait trop longtemps que tu souffres mon ange, il est temps que ça change. Le bonheur a frappé à ta porte, ouvre lui, tu ne seras pas déçue j'en suis certain. - Merci, Antar, tu me fais toujours du bien quand tu me parles. Une autre tasse de thé? - Non, je te remercie, je dois m'en aller. Ca m'a réellement fait plaisir de te revoir. Je ne te laisse pas seule, ce qui me rassure. Que Dieu te garde. Je t'appellerai dés que je serai arrivé chez moi à Londres. Au revoir mon amie et à bientôt. Tu me raconteras n'est - ce pas? Il sert contre lui le corps mince et souple non sans envier le future bonheur de cette Neila qui dort sans savoir qu'elle est devenue le centre d'intérêt de la plus belle égyptienne. Neila ne dort pas. Elle s'entretient avec ses nouveaux amis. Elle leur raconte son expédition sans omettre de parler de sa mésaventure avec l'inspecteur du site. Kishar qui ne comprend rien à ce dénouement lui assure qu'il fallait recommencer dés qu'ils auront pénétré dans le temple. Ensemble, ils auront plus de chance de réussir. La dalle commençant à céder, Lakhdar lui annonce qu'ils seront bientôt à l'intérieur, il promet de la mettre au courant. Elle entend les pas de son amie qui monte à l'étage. Son coeur danse la sarabande et cogne fort dans ses poumons bloquant sa respiration lorsqu'elle entend la poignée de la porte tourner avec précaution. La tête de sa Venus apparaît à l'entrebâillement. - Tu ne dors pas encore? Antar est parti. Tu veux qu'on parle de ce papyrus et de son incroyable histoire? Finit- elle en souriant timidement. - Est - ce qu'on pourrait en parler demain? Je suis vraiment crevée ce soir. - D'accord pour demain, mais tu ne pourras plus te dérober. Elle referme tristement la porte se sentant comme rejetée. De son côté Neila regrette son geste plein de lâcheté. Renvoyer la femme qu'elle aime parce qu'elle a besoin d'autre chose que de parler, c’ est minable. Elle ne se reconnaît plus. Elle n'a jamais agit ainsi. Et comme à chaque fois qu'elle se sent mal et qu'elle a du chagrin, elle écoute sa chanteuse préférée. Les belles paroles de Mylène le bercent. Elle se laisse enfin aller au sommeil en rêvant de sa dulcinée. Cupidon lui a lancé sa flèche, et atteinte elle ne peut plus reculer. Mue par une force inconnue, elle se lève, et va frapper à la porte de la chambre d’Ismahane. 84


- Entre, Neila, l’invite l’égyptienne. Tu as besoin de quelque chose, dit – elle heureuse que Neila soit venue. - Je voulais m’excuser pour tout à l’heure. - Ce n’est pas grave ma chérie, je comprends que tu sois fatiguée. - Oui, Maha je… - Oui. - Maha, est ce que je peux te prendre dans mes bras un instant ? - Viens mon cœur, sourit Ismahane en ouvrant grand ses bras. Neila se blottit contre elle et reste un long moment à apprécier ce moment, précieux pour l’une comme pour l’autre. Enfin, elle se détache de la tendre étreinte, souhaite bonne nuit à son amie, et repart dans sa chambre, heureuse d’avoir prit la décision d’aller voir son amie. Maha se sent seule, après le départ de la jeune fille, elle aurait voulu la garder encore dans ses bras, son corps et son esprit pleurent cet abandon. Elle soupire et se couche enfin. CHAPITRE XI Kishar entraîne Fatma loin des deux autres. Elle veut rester seule un moment avec elle. Celle - ci prend une importance grandissante dans son coeur. L'attirance qu'elle éprouve pour la jeune ingénue l'aide à mieux supporter son sort. Une trop longue solitude l'a minée. De plus avec Fatma elle ne risque pas de trahir les dieux qu'elle a épousés très jeune. Pas d'homme dans sa vie mais nul n'a pensé à lui interdire l'amour pour une femme. Elle se laisse aller à la voluptueuse sensation du sentiment qui l'habite. Elle choisit une pierre plate et tranchante, coupe des feuilles de bananier et les arrange en couche au pied de l'arbre. Elle invite son amie à s'y étendre, la rejoint et la prend dans ses bras. Elle caresse longuement sa compagne qui se sent chavirer, bouleversée par les mains de fée de la danseuse. Mais lorsque la main baladeuse délaisse le sein pour se diriger vers le centre de la jouissance Fatma sursaute et se lève d'un bond, rougissante, elle se sauve en courant laissant Kishar seule et désolée. Elle est pourtant certaine que quand l'algérienne s'est serrée plus étroitement à elle, elle voulait la pousser à aller plus loin. Que lui est - il arrivé? Pourquoi a - t - elle fui le plaisir qui gouverne l'Homme depuis 85


toujours. Elle se remet sur pied à son tour et suit les pas de la fugitive. Elle la trouve près du ruisseau qu'elles ont découvert quelque temps plus tôt. Elle s'approche d’elle, s'assied et lui pose un bras sur l'épaule. Fatma éclate en sanglots en s'abandonnant à l'étau protecteur. - Pleure sur mon épaule ma petite fleure innocente. Un moment passe, et les pleurs sont apaisés. Tu n'as jamais fait l'amour n'est - ce pas? Et cela t'effraie. - Non, jamais, et je ne pensais pas qu'un jour, je ressentirai tout ce que je dois à un homme, pour une femme. J'ai éprouvé avec toi les mêmes sensations que pour quelqu'un que j'ai aimé il y a de cela quatre ans. Et j'ai peur Kishar. L'homosexualité est un pêché pour nous musulmans. Je n'ai pas le droit de succomber Kishar, tu comprends? - Je comprends parfaitement mon coeur, je te promets de ne plus essayer d'attenter à ton adorable pudeur. Je vais te laisser te reprendre. Lave ton visage, cela te fera du bien. Je vais voir où en sont les mâles. Ne tardes pas trop, tu me manqueras, conclut - elle en lui dédiant son plus beau sourire. Fatma s'asperge d'eau qui la rafraîchit. Elle implore l'aide de Dieu. Elle connaît la faiblesse de l'humain. Serait - elle comme Samy? Élevée dans un cocon, elle a été préservée jusqu'ici de la promiscuité d'un autre corps. Avec son cousin, l'homme qu'elle a aimé, ils avaient eu des caresses furtives et hâtives. La peur d'être surpris, les avaient empêchés d'aller trop loin. Elle s'en était fort bien accommodée. Mais aujourd'hui personne ne peut la déranger, elle a tout le temps et l'espace. Mais ce n'est plus son cousin qui l'attire, il s'est marié l'année dernière et elle l'a oublié ; là, c'est une femme comme elle. Que les rapports humains sont compliqués pense - t - elle. Comment se fait - il qu'elle, Fatma, soit sous le charme d'une danseuse ensorcelante. Elle se jure d'éviter tout contacte avec elle. Ainsi elle se guérira d'elle. Mais en se remémorant les caresses de son amie son corps frémit et la brûle. Elle appelle Dieu à son secours en récitants des versets du Coran. Quand Kishar arrive au nouveau camp, qu'elle n'est sa surprise en découvrant les deux hommes en pleins ébats. Surprise, elle rebrousse chemin et va raconter à sa protégée ce qu'elle vient de voir. - Cela ne m'étonne pas outre mesure de la part de Samy car il m'a dit qu'il préfère les hommes. Ce qui en revanche m'épate c'est que Lakhdar soit homosexuel. Enfin chacun fait ce qu'il veut de sa vie. Laissons-les faire, ce n'est pas de notre ressort. - Oui, tu as raison,. D'ailleurs je n'ai pas fait de bruit pour ne pas les déranger. Mais dans l'état où ils étaient je ne crois pas qu'ils aient 86


remarqué ma présence. Veux - tu faire une promenade sur la plage avec moi? Marcher, nous fera du bien. En disant cela elle tend la main à son amie, celle - ci l'ignore en se mettant prestement sur ses pieds. - Si tu veux. Allons- y. Elle a délibérément refusé sa main, elle se l'était promis aucun contact physique. Aucun rapprochement. Elle marche à une distance raisonnable, assez près pour entendre ses propos mais loin du corps tentateur. Sa décision est prise elle ne reviendra pas dessus. - Parle - moi de toi, dit soudainement l'indusienne, je veux tout savoir de ta vie. - Oh, ma vie n'est pas aussi intéressante que tu sembles le croire. - Je suis sûre du contraire. Parle - moi de cet homme que tu as aimé il y a quatre ans. - Il s'appelle Hakim, c'est le fils de ma tante maternelle. On se connaît depuis toujours. Un jour que nous étions seuls tous les deux, il m'a volé un baiser, puis deux puis trois. On ne pouvait plus s'en passer. Je l'ai aimée et croyait sincèrement que nous allions nous marier. Puis un jour j'ai appris de la bouche de ma mère qu'il allait épouser une femme de son village. Mon amour pour lui est tombé d'un coup. J'avoue que le jour de ses noces j'ai ressenti de l'amertume. Les hommes sont de grands acteur, ils vous jouent la comédie de l'amour fou puis ils vous rejettent comme de vieilles chaussettes, c'est lamentable heureusement qu'ils y en a qui sont sincères. - Les hommes sont des séducteurs nés, il ne faut pas leur en vouloir mais plutôt essayer de déjouer leurs pièges en évitant leurs filets. Ils sont prêts à séduire toutes les femmes, c'est dans leur nature. Fatma fait un geste pour saisir la main de sa confidente, l'envie la taraude. Mais un sursaut de volonté l'en dissuade. Elle remercie mentalement Dieu de lui donner la force de résister. - Asseyons - nous ici il ne faut pas trop s'éloigner, lui dit Kishar, qui a remarqué la retenue dans le geste de Fatma. - Comme tu veux. Elles continuent à papoter. Elles parlent de leurs vies. L'algérienne lui dit des choses que l'indusienne ne comprend pas toujours. Car c'est une vie en avance de cinq mille ans. Mais elle est fascinée par les paroles de la narratrice qui, encouragée par la mine intéressée que lui renvoie son amie, ne tarit plus. Elle lui raconte son pays, ses coutumes ses fêtes et tout ce qui l’y attache. 87


Samy plus joyeux que de coutume vient interrompre leur tendre tête à tête. - Hé! Les filles, crie - t - il les yeux brillants et plein d'étoiles, il ne reste pas grand chose pour que la dalle cède. Bientôt nous pourrons entrer dans la pyramide. - Bonne nouvelle, ainsi nous pourrons tous rejoindre Neila en Egypte et nous serons sauvés. - En Egypte ancienne tu veux dire, rectifie le jeune homme, n'oublie pas que nous somme plus vieux que toi de cinq millénaires. Tu nous dois donc respect et obéissance, plaisante - t - il. Pour toute réponse, Kishar se met souplement sur ses pieds nus et commence à esquisser des pas de danse en pliant les genoux, bras tendus à l'horizontale. Ses amis rient de bon coeur car elle accompagne ses mouvements de grimaces comiques. Elle finit en se laissant aller contre Fatma qui la repousse doucement en rougissant. L'air triste de la danseuse attire l'attention de Samy qui croit avoir compris ce qui se passe entre ses deux compagnes d'infortune. - La nuit nous manque à tous à ce que je vois. Elles le regardent d'un air étonné sans comprendre l'insinuation. Alors vous venez. Sur le chemin du retour Fatma remarque l'air chagrin de son amie. Elle ne supporte pas de la voir ainsi. Elle s'en veut, car elle sait que c'est de sa faute si son amie est si affligée. Elle se rapproche d'elle et oubliant ses résolutions, elle lui prend la main, la serre dans la sienne et lui sourit avec bonheur. Kishar la regarde étonnée, et ravie du retour à de meilleurs sentiments de la jeune fille. Elle se hisse jusqu'à ses oreilles et lui murmure: "je t'aime". Fatma est ébranlée par cette déclaration, elle a envie d'y répondre mais se retient. Elle lance un regard plein de sens à son amie. CHAPITRE XII Lorsqu'elle descend dans la cuisine, Neila trouve Ismahane affairée dans la préparation du petit déjeuner. - Bonjour ma chérie. Tu as bien dormi? Pas de cauchemar cette nuit? - Oui j'ai bien dormi et non pas de cauchemar. Heifa n'est pas là? - C'est son jour de congé. Et si tu me disais la vraie raison de ta venue. 88


- Pourquoi tu dis la vraie raison? Tu crois qu'il y en a plusieurs. - Bon pour te parler franchement, j'ai pensé que tu étais là parce que je te manquais, dit - elle sans la regarder. - Puisque tu en parles, oui tu me manquais et la raison de mon voyage m'a permis de te revoir. Et tu as raison il y a une raison importante, c’est pour cela que je vais te demander si grand - mère t'as parlé d'un fusain en ivoire qui a des pouvoirs magiques? - Non, pas elle, mais un journal en a parlé quand Fifi a découvert une tombe secrète... Mais dis - moi ces dessins sur le papyrus, c'est le fusain? - Oui, et aussi étrange que cela puisse paraître, ils s'animent et deviennent réels. Je peux même leur parler. Et je suis la seule à pouvoir les voir. Grâce à une formule je peux voyager dans le temps. - C'est pour ça que tu t'es retrouvée sur le site après sa fermeture. Neila connais - tu les dangers de ces expéditions ?. - D'après la danseuse je ne crains rien, elle en connaît un rayon, elle dit que le fusain vole l'âme des humains pour les représenter sur n'importe quelle surface. - Je ne sais pas si je dois te laisser seule dans cette aventure. - Je n'ai pas le choix Maha, je dois sauver leurs âmes du monde d'errance où ils se sont retrouvés bien malgré eux. - Tu dois me promettre d'être prudente mon enfant, je ne supporterai pas s'il t'arrivait malheur. - Ne t'en fais pas pour moi Maha, assure la jeune fille transportée de joie par ce que vient de lui avouer la femme de sa vie, je ne risque rien. Hier pharaon m'a jetée au cachot. Je n'ai eu qu'à prononcer la formule pour revenir. J’ai atterri sur les genoux d'un inspecteur qui a cru voir une apparition. J'étais vêtu comme les égyptiennes d'antan. - Tu as rencontré un pharaon? Lequel? Demanda Ismahane avide de savoir, - Djéser et c'est son architecte Imhotep qui m'a donné la tenue que je portais au moment du retour.

89


- Djéser, s'extasie l'archéologue, tu en as de la chance. Pour un égyptologue c'est l'apothéose. Fifi ne m'a jamais dit qu'elle avait trouvé le fusain, elle baisse la tête pensive. - Elle voulait certainement garder le secret. C'est après tout une relique et je suppose qu'elle n'avait pas le droit de la garder. - Non, elle aurait du la remettre aux autorités, mais Fifi adorait le risque et c'était une vraie tête de mule. Te l’a- t- elle laissé ?. - Non, sinon je ne serai pas là. Ca m'a permis de te revoir Maha, dit - elle en plongeant son beau regard dans celui de sa compagne. Attends - moi une minute, je reviens vite. Elle monte vers sa chambre en courant et revient essoufflée tenant dans ses mains une étoffe. - C'est le vêtement qu'on m'a donné chez Imhotep. C'est un authentique habit antique. Il est pour toi. Tu veux bien l'essayer, je vais t'aider. Elles vont toutes deux au salon et Neila aide son aînée à porter la bande de lin. Celle - ci tournoie sous l'oeil attentif de la jeune fille. - Je te plais? demande l’aînée en souriant. - Tu es sublime Maha, on dirait une vraie reine. La femme rosit de plaisir à ce compliment. Tu es si belle, dit Neila en plongeant son regard dans celui de sa bien aimée. Elles s'admirent longuement, savourant chacune cet instant magique. En détournant ses yeux pour cacher son trouble, elle tombe sur le portrait. Le charme est rompu. Poussée par la curiosité, elle se permet de relancer son amie. Maha, pourquoi as - tu épousé cet homme? D’après son frère il a fait beaucoup de mal à ta famille. - Comme je l'ai dit hier, mon père s'est fait du mal tout seul. Il a vu trop grand il s'est ruiné. Ahmed nous a sorti de cette impasse. - Je comprends, tu as été leur monnaie d'échange, ta beauté contre de l'argent. Il ne s’est pas ennuyé le bougre. Et comment cela s'est passé? - Tout est fini maintenant Neila, laisse tomber parlons d'autre sujets plus intéressants. Elle se change tout en pensant aux hauts le coeur qui la saisissaient dés que son mari la prenait, toujours de force, il n'admettait aucun refus. C'était d'ailleurs les seuls moments où il se montrait autoritaire, lui rappelant dans quelle circonstance ils s'étaient unis. La jeune femme cédait sans sourciller. Sa maladie avait été pour elle une véritable bénédiction. En regardant Neila, elle se voit elle même vingt ans 90


plutôt, lorsqu'elle attendait patiemment un geste de la femme qu'elle avait passionnément aimée. - Tu es triste, tout à coup Maha. C'est à cause de moi? Je n'aurais pas... - Mais non, je t'assure, comment pourrai - je l'être, puisque tu es avec moi. - Tu penses vraiment ce que tu viens de dire? - Bien sûr mon petit lapin chéri. Je suis vraiment heureuse que tu sois près de moi. Que dirais - tu d'aller à la plage aujourd'hui? - Je dis que c'est une excellente idée, s'enthousiasme - t - elle en souriant à pleines dents - Va te préparer, nous irons à Alexandrie. Tu verras comme c'est beau. - Va pour El Iskandaria. Elle monte se préparer, heureuse de passer la journée en compagnie de son amour. En sortant de la maison, Neila remarque que la voiture qu'elle avait laissée la veille à Saqqarah, est garée à sa place. Elle l'avait complètement oubliée. - C'est le jardinier qui l'a ramenée ce matin, lui apprend Ismahane qui avait vu l'étonnement de la jeune fille. - Ah bon, elle était sortie de ma mémoire. - Pas de la mienne renchérit l'autre en lui pinçant gentiment le nez. Elles passent une très bonne journée. Ismahane lui fait découvrir le Phare d'Alexandrie, l'une des sept merveilles. 250 kilomètres séparent le Caire de cette ville. Elles arrivent chez elles fourbues, mais heureuses. Cette journée passée ensemble les a rapprochées plus encore. Elles montent gaiement à l'étage et prennent une douche avant de se changer. Ismahane lui propose d'aller au restaurant. Elles sont trop fatiguées pour préparer le dîner. Neila accueille l'idée avec joie. Au restaurant, tous les regards se tournent vers les deux superbes créatures au port princier. Le maître d'hôtel se précipite vers elles et les salue en faisant mille courbettes. Les deux venues s'installent à la table qui leur est indiquée sans remarquer qu'elles sont le point de mire de tous les dîneurs. Elles sont seules au monde, se sentant plus proches que jamais l'une de l'autre. Elles choisissent leurs plats puis se regardent en se disant mille choses avec leurs yeux. Ismahane avance sa chaise et 91


emprisonne les genoux de son amie entre les siens. Le coeur de cette dernière fait un bond prodigieux, un doux pincement lui tord les tripes. La femme de sa vie vient de faire le geste intime tant attendu. L'émotion l'étrangle, elle ne peut plus dire un mot. Sa compagne n'en mène pas large non plus. Elle comprend que l'amour a trouvé une faille dans la muraille de résistance qu'elle avait érigée autour d'elle depuis la perte de Fifi. Il a pénétré en détruisant les remparts de ses résolutions. A quoi bon se leurrer se dit - elle, la tentation du bonheur est la plus forte. Comme a dit Oscar Wilde : " la meilleur façon de résister à la tentation c'est d'y succomber" . Quel sage homme. Elle sait désormais qu'elle donnera à Neila ce qu'elle attend d'elle. Leur silence est éloquent. Elles avalent rapidement la nourriture sans s'attarder sur le goût. Elles ont d'un commun accord muet, hâte de se retrouver seules. Neila insiste pour inviter sa dulcinée et paye l'addition. Elles ne parlent pas dans la voiture, comme si le son de leurs voix allait briser la magie de l'instant. Arrivées devant la maison, Ismahane blêmit, elle a reconnu la silhouette de l'homme debout, nonchalamment adossé à sa Fiat devant le portail de sa maison. Neila ne semble rien remarquer. Comment allait - elle expédier l'amant qu'elle a sorti de sa mémoire depuis plusieurs jours. La nature exubérante de Moustafa va sûrement perturber son amie. " Déjà qu'elle est jalouse d'un mort, quelle sera sa réaction devant celui - ci en chair et en os, surtout en chair", pense - t - elle intérieurement. Elle aurait voulu creuser la terre et s'ensevelir. Le jardinier lui ouvre, elle roule le plus lentement possible, voulant ainsi reculer l'échéance. Dés qu'elle sort du véhicule, ce qu'elle redoutait le plus arriva. Moustafa se précipite sur elle, la prend dans ses bras et l'embrasse à pleine bouche, en l'appelant, mon amour, ma vie. Neila claque violemment la portière et la mine renfrognée s'engouffre dans la maison sans prendre la peine de saluer l'intrus. Ismahane la regarde tristement tout en essayant de se dégager de l'emprise de son amant. - Qu'est - ce qui t'arrives, s'exclame ce dernier, je ne te fais plus d'effet ou quoi? Et qui est cette jolie fille? C’est ta fille? Tu la caches? - C'est une amie, répond Ismahane en se libérant. Tu aurais du appeler au lieu de débarquer comme ça, en pleine nuit. - Ah oui? Ça te dérange maintenant? Tu as bien changé dis moi? Tu ne m'invites pas à entrer? - Tu vois bien que je ne suis pas seule. - Et alors? Cette fille doit comprendre les besoins physiques, non? - C'est tout ce que je représente pour toi? Un besoin physique. Va - t - en Moustafa. 92


- Tu sais bien que non bébé. Mais c'est plus fort que moi, je t'aime donc je te désire. Surtout quand tu es aussi ravissante que ce soir. Allez! Laisse - moi entrer ma sirène, j'ai trop envie de toi. - Moi, je n'en ai pas du tout, envie. - Mais si, tu vas voir comme tu vas aimer. Il l'attire de nouveau à lui et colle ses lèvres aux siennes. - Je t'ai dit non, crie la jeune femme en le repoussant brutalement cette fois, je t'ai dit de t'en aller et ne reviens plus; Va rejoindre ta femme et tes enfants. Je ne peux plus rien te donner. - Tu penses à ma famille à présent. Je t'ai connue moins regardante. Comme tu es bizarre. Je m'attendais à un accueil plus chaleureux. Bon je m'en vais, mais je vais revenir, tu me dois une explication Ismahane. - Je ne te dois rien, on s'est bien amusés mais c'est fini. - Tu te trompes ce n'est pas fini du tout. Je n'oublie pas nos nuits d'amour moi, je pars, salue ta copine pour moi. Et à très bientôt. - Moustafa tu ne dois plus revenir ici, mon coeur est pris désormais et il n'y a plus de place pour toi dans ma vie. L'homme la regarde une dernière fois et s'en va tête baissée vers sa voiture. Ismahane ferme la porte de la maison le coeur battant. Elle a cru qu'elle ne réussirait jamais à s'en débarrasser. Elle est soulagée qu'il soit parti. Elle n'ose pas frapper à la porte de Neila, elle connaît les affres de la jalousie pour les avoir déjà ressenti. Et elle sait que Neila va lui en vouloir. Elle refoule ses larmes et va se préparer un thé dans la cuisine. Elle va, peut être, passer une nuit blanche. Sa tasse à la main elle va dans le salon, se cale dans le fauteuil et ferme les yeux. Elle devine plus qu'elle ne voit la présence de la boudeuse. Celle - ci l'observe adossée à la chambranle. - Viens t'asseoir près de moi Neila. - Qui est cet homme? Un de tes nombreux amants? Le coup porté blesse la jeune femme qui n'en laisse rien paraître. - Oui, c'était mon amant, je ne l'aime pas si ça peut te rassurer. - Non, ça ne me rassure pas du tout. Je sais, tu ne me dois rien mais combien d'autres aurai - je à supporter encore? Hurle - t - elle, mais sentant qu'elle a exagéré elle se reprend, excuse moi, je ne sais pas ce 93


qui me prends. Je ne sais pas ce qui me met dans cet état. Je vais dormir, je suis fatiguée. Bonne nuit Maha. - Neila attends, "C'est l'amour qui te mets dans cet état", aurait voulu dire Ismahane, mais elle se contente de dire "c'est le seul et je ne l'ai pas vu depuis deux mois, tu dois me croire". La jeune fille qui était arrivée devant la porte ne se retourne pas mais s'arrête pour écouter ce qu'a à lui dire sa bien-aimée. Elle se dirige vers l'escalier qui mène à l'étage. Elle a le coeur lourd, la promesse d'une nuit romantique s'est envolée avec l'arrivée de cet amant. Elle se dit que c'était peut être mieux ainsi. Elle a hâte d'en finir avec la mission et de repartir. Au fond elle comprend son amie. Elle ne pouvait pas vivre seule éternellement et elle la croit quand elle dit qu'elle ne l'aime pas. Cela l'apaise un tant soit peu. " Je ne me reconnais plus, se dit- elle, l'amour me rend folle et violente. J'ai vraiment été brutale avec elle et elle ne le mérite pas vraiment. En plus elle est exquise ce soir dans son tailleur d'été. J'ai tout gâché par ma jalousie. Mais c'est plus fort que moi. En voyant cet homme l'embrasser, j'ai eu des envies de meurtre. Qu'est ce que je dois faire? Si mon coeur se déchire déjà, qu'est ce que ce sera quand nous aurons connu une plus grande intimité? J’ai peur de souffrir et de la faire souffrir, elle ne le mérite pas et je l'aime tant que je suis prête à mourir pour elle." Elle s'allonge et écoute un album de Mylène Farmer. "Innamoramento" l'aidera à dormir et à oublier. Elle ne pense même pas à jeter un coup d'oeil aux prisonniers de l'île.

CHAPITRE XIII La dalle a cédé, Lakhdar entend un bruit mat et lointain. Il regarde à l'intérieur, un gouffre noir se présente à ses yeux. - Si mes souvenirs sont bons, nous devons descendre à 28 mètres de profondeur. Il faudra attacher les lianes les unes aux autres et les tisser auparavant pour qu'elles tiennent. - Tu crois que c'est possible, s'inquiète Samy à qui le chiffre énoncé paraît exorbitant. - Je crois bien que oui. De toute façon, nous n'avons pas le choix, c'est ou ça ou l'éternité sur cette île maudite. Ils se mettent tous à l'oeuvre, tissant les lianes et les attachant les unes aux autres. Enfin la corde est prête, elle est assez longue pour atteindre le fond du puits. 94


- Je suis la plus souple, intervient Kishar, en m'aidant de mon dos et de mes membres je pense que ce sera facile pour moi de descendre. Je vous avertirai s'il y a un quelconque danger. Attachez moi le bout à la taille et maintenez la solidement. - Sois prudente et ne prends pas de risques inutiles, la prie Fatma qui s'est rapprochée pour la serrer un moment dans ses bras. - Ne t'en fais pas ma petite fleur, je ferai attention. Je suis heureuse que tu t'inquiètes pour moi. Elles se sourient tendrement. Après mille précautions, Kishar arrive en bas sans embûches. Qu'elle n'est sa surprise lorsqu'elle découvre que le lieu est éclairé par des chandelles, et recule brusquement jusqu'au mur lorsqu'elle voit des animaux venimeux. Elle est vite rassurée, ils sont coupés en deux et donc inoffensifs. Elle rit de sa peur, se détache et tire sur la corde pour les avertir qu'elle est bien arrivée. Les autres la remontent et y attachent Fatma. Puis vient le tour de Samy qui refuse de descendre dans le trou noir. - Je me découvre une claustrophobie nouvelle. Vas y toi, je vous attendrai ici. - Pas question! Tu y vas et tout de suite. Il l'attache solidement et le poussedans le puits. - Je te déteste, crie le jeune homme en maudissant le jour où il a pris cet avion de malheur. J'aurais mieux fait de rester chez moi. Qu'est ce que j'ai fait pour mériter ça? Quelle galère, et pourquoi moi. Ahhhhhh, je vais mourir. Son cri fait rire aux larmes, les demoiselles. Il tombe comme une masse à leurs pieds en se frottant la croupe. Il leur lance un regard meurtrier. Lakhdar s'attache à son tour, après avoir fixé solidement à un arbre l'autre bout de la corde. Il se laisse couler à son tour. Arrivé à bon port, il est émerveillé par ce qu'il découvre. Le sarcophage en or l'éblouit. Le temple de Djéser est dans toute sa magnificence. Les décorations sont d'une beauté à couper le souffle. Les animaux qui ont effrayé Samy quelques minutes plus tôt rampent vers une autre salle. - Où avez - vous trouvé ces chandelles et comment les avez vous allumées, s'étonne l'archéologue. - Elles étaient là quand je suis descendue, cela m'a intriguée. Mais je pense avoir ma petite idée la - dessus. 95


- Et qu'elle est - elle? - Djeser doit être ici. Je comprends à présent pourquoi mes besoins étaient endormis avec moi. En utilisant le fusain après toutes ces longues années, cette femme a réveillé tout ce qui dormait. Voila pourquoi les chandelles ont tenu. Ou bien, puisque rien n'étant réel ici, elles demeurent indéfiniment lumineuses. Allons à la recherche de pharaon. Suivons les bestioles. Les quatre compagnons arrivent dans la galerie - magasin où ils trouvent le pharaon et sa famille entourés de vases d'albâtre remplis de richesses et de victuailles. La tribu royale mange assise en tailleur. Djéser est surpris par cette intrusion. - Encore toi! Qu’est - ce que tu fais là? Gardes! - Tu ne peux plus rien contre moi Djéser. Nous sommes tous déjà morts et enterrés, l’interrompe Kishar. Tu m'as déjà fait tuer, tu l'as oublié? Je viens encore une fois pour reprendre le fusain. - Je ne l'ai pas ton fusain, il est étonné de voir que ses sentinelles ne répondent pas, ils restent collés aux parois fixant un point incertain. - Où est - il? - Quelque part ailleurs, je l'ai laissé à mon fils avant de mourir pour qu'il puisse me dessiner, avec les miens. - Où est votre fils. - Là haut, il règne sur notre empire. - Il n'y a plus d'empire. Cinq mille ans ont passé depuis ta mort. Mes amis font partie du nouveau monde où il n'y a plus de pharaons. - Que dis - tu, ce n'est pas possible, notre empire ne peut s'effondrer, nous sommes les dieux d'Egypte. - Vous étiez, vous ne l'êtes plus. La preuve est sur cette île. - Quelle île? - Trop long à expliquer. Mais vous le saurez bientôt. Pour le moment nous devons appeler quelqu'un. - Vous avez violé ma tombe. Vous allez être punis. 96


- Tu n'as plus aucun pouvoir sur nous, Djéser, lança Kishar sur un ton insolent. - Ecoutez grand pharaon, intervient Lakhdar, elle a raison, tout ce que nous voulons c'est votre hospitalité. Nous vous la demandons humblement. Nous n'allons pas rester longtemps. - D'accord mais restez hors de ma vue, trouvez un endroit où vous installer, et vous avez un jour pour disparaître. - Un jour sera largement suffisant. Merci. Djéser les regarde s'en aller en s'avouant qu'ils sont les bienvenus. Sa retraite commence à lui peser. Et il est vrai qu'ici il ne règne que sur sa famille. La blondeur de Fatma l'attire comme un aimant, il a même remarqué les regards que lançait la reine au rouquin. - Tu aurais du les inviter à partager notre repas, le gourmande sa femme, ils n'ont pas l'air bien méchant. Cela fait si longtemps que nous sommes seuls. - Tu oublies qui je suis, femme? - Tu l'étais, tu ne l'est plus. Nous ne sommes plus que de pauvres créatures qui souffrent d'une trop longue solitude. De plus ils ont sûrement des nouvelles du monde des vivants. Djéser ne répond pas et continue à se nourrir, il sait que sa femme a raison et il veut revoir la fille au teint blanc. Dans la galerie Fatma retient Kishar de la main. - Cet homme t'as tuée c'est à cause de lui que tu es là. Je le hais. - Ce n'est pas à cause de lui que je suis là. C'est le prince qui m'a dessinée. Sans réfléchir Fatma la prend dans ses bras et la serre contre son coeur. Au grand bonheur de la danseuse qui n'en attendait pas à tant. Elle accentue l'étreinte de son amie. Celle - ci s'avouant vaincue ne peut se résoudre à la lâcher. Elles restent ainsi jusqu'à ce que Samy vienne interrompre ce tendre moment. - Les filles je suis désolé de vous déranger mais Lakhdar m'envoie vous dire qu'il faut appeler Neila. Il faut qu'elle se rende tout de suite à Memphis. C'est vrai qu'on étouffe dans ce caveau.

97


Ils scandent d'une même voix le prénom de la jeune fille. Celle - ci dort profondément. Ils réitèrent leur cri, enfin elle répond. - Bonjour tout le monde, je dormais, vous m'avez réveillée. - Tu as de la chance de ne pas être aux nuits blanches de Saint Petersbourg. - Oui, sourit Neila à Samy qui ne manque pas d'humour. Si je comprends bien, vous êtes dans le caveau et je dois aller à Saqqarah. - Fais vite, notre pharaon n'est pas très commode. - Qu'est ce que c'est que ça? s'exclame ce dernier qui était venu voir pourquoi ils criaient tous. - Ca c'est la preuve que vous n'êtes plus rien et que vous n'avez plus aucun pouvoir, assène l'indusienne. Mais comme nous sommes gentils, bien plus que vous, nous vous donnerons les explications que vous attendez de nous, avant ce soir. - Elle ne vous fait pas peur. - Non, c'est notre amie. Vous avez peur vous? Je vous croyais plus courageux. - C'est vraiment une histoire extraordinaire si Djéser est là aussi, bon je me dépêche, il est huit heures et le site ouvre à neuf. On se revoit dans environ une heure. La jeune fille s'habille à la hâte en se remémorant l'épisode de la veille. Avec un pincement douloureux elle descend et entre dans la cuisine. Ismahane est assise et sirote son café, son air triste et pensif fait chavirer son coeur. Mais elle n'a pas de temps à perdre. Elle pose un baiser rapide sur la joue de son amie et s'écrie pour masquer son trouble : - Je dois y aller, on m'attend. - Neila, je veux te parler. - Ce soir Maha, promis je reviens aussi vite que possible. - Neila, pour hier... - Ce soir Maha, ce soir, je n'ai vraiment pas le temps maintenant, je peux prendre la voiture? 98


- Prends au moins un café, chérie. - Je ne peux pas. Je suis trop en retard, je dois faire vite. - Sois prudente, je t'en prie, trésor. Appelle-moi si tu as besoin de quelque chose, d'accord. - D'accord, touchée par le ton suppliant de la femme, elle la prend dans ses bras un bref moment et se sauve en saisissant au vol les clefs de la Golf. Ismahane regarde la jeune fille partir, c'est elle qui est son bonheur aujourd'hui. Un bonheur qui lui vient une fois de plus d'Algérie. Ses deux véritables amours sont originaires de ce même pays. Elle est soulagée de voir que son amie est en de meilleurs dispositions vis - à - vis d'elle ce matin. Elle se promet de mordre la vie à pleines dents. Elle préparera le plus romantique des dîners pour une soirée des plus romantiques. Ce soir elle avouera ses sentiments à Neila. Elle lui dira à quel point elle compte pour elle. Même si elle a peur, très peur, elle est prête à lui donner ce qu'elle attend. Quand on aime à quoi bon nier l'évidence. Elle a envie de serrer la jeune fille contre son corps et la sentir vibrer de plaisir. Forte de sa décision, heureuse de son projet, elle s'apprête à vivre le jour le plus long de son existence. Neila de son côté pense à son égyptienne. Elle est si belle se dit - elle. Elle sent que les défenses de sa bien-aimée, s'effritent. Elle va en profiter pour lui dire à quel point elle l'aime. Elle se sent si bien en sa présence, si heureuse. Son amour pour elle est si grand qu'il l'étouffe. La passion la submerge, violente et insistante. Ce soir elle aura une conversation sérieuse avec elle. Elle doit lui expliquer son comportement d'hier. Son amie n'a pas mérité toute cette violence. Elle était si conciliante avec elle ce matin, que la jeune fille en a des remords. Ismahane est trop gentille pour qu'elle la traite comme elle l'a fait. Elle l'embrasse mentalement. Distraite elle n'a pas vu les feus de stop de la voiture qui la précède. Elle freine en catastrophe manquant emboutir le véhicule. Heureusement qu'il ne s'est rien passé. Arrivée au site elle règle les frais d'entrée et marche sur la pyramide. Arrivée devant, elle se rend compte que dans sa précipitation elle a oublié son sac et donc le papyrus également. Elle trépigne de rage. Elle ressort aussitôt. La circulation la rend de plus en plus nerveuse, elle peste contre ce retard. Ismahane est surprise de la voir revenir aussi vite; Elle sourit de bonheur, ravie, mais elle déchante tout aussi vite car elle entend Neila crier en montant les marches quatre à quatre. - J'ai oublié l'essentiel, je suis horriblement en retard. Je repars vite. Ils doivent crever d'impatience. 99


- Qui, ils? Qui t'attend? - Les personnages, je t'en ai parlé hier. La maîtresse de maison repart au salon, déçue. Elle avait cru que la jeune fille était revenue pour elle. Tant pis elle la verra ce soir et tout sera changé désormais. Neila ressort en trombe en envoyant du bout des doigts un baiser en direction de l'égyptienne. Celle - ci l'attrape au vol et applique la main sur sa bouche. Mais l'autre n'a rien vu. Ismahane s'apprête à partir pour son magasin d'antiquités, le travail la distraira de sa peine. Une peine qu'elle sait inutile mais elle ne peut la refouler. Mais elle se rassure en pensant au brusque mouvement de colère de la jeune fille à la vue de Moustafa. Seule la jalousie pouvait la pousser à réagir de la sorte; et qui dit jalousie, dit amour. Cette conclusion la satisfait amplement. Elle s'installe dans son véhicule, plus guillerette. Dans la Golf, Neila déroule le papyrus sur ses genoux pour expliquer son retard à ses amis. Ils lui disent qu'ils avaient attendu tous ces jours, une heure de plus ne pouvait leur faire de mal. Samy en souriant lui signifie de se hâter, l'endroit est trop humide et manque en oxygène. Et c'est ce qu'elle fait. Kishar lui dit de demander à se rendre prés du fils de pharaon." Atlantidis, mène-moi prés du fils de Djéser.". Elle s'y attendait certes mais elle ne peut réprimer sa surprise quand elle se retrouve devant les personnages. Ils se sont embusqués derrière une large colonne sculptée de hiéroglyphes. Kishar la tire à elle. Le coeur de Neila bat à tout rompre. Elle les salue en chuchotant. - Qu'est ce qu'il faut faire maintenant? - Pour le moment on doit repérer le prince. C'est lui qui détient le fusain, répond la danseuse. Je connais ce palais, il nous faut trouver des vêtements pour passer inaperçus. La blanchisserie est de ce côté, suivez - moi et restons groupés. Elle saisit la main de Fatma. Ils courent tous ensemble de colonne en colonne vers le lieu dit. Ils le trouvent désert. Cela commence très bien pour eux. Ils se servent dans la pile de vêtements propres et rient beaucoup en se changeant. Ils fourrent leurs habits dans un sac et se dirige vers le couloir qui mène aux appartements du prince. Ils entendent bientôt des cris, comme des lamentations. - Quelqu'un est mort, dit la danseuse, peut être est - ce là les funérailles de Djéser. Ce sont les pleureuses que nous entendons. Si c'est le cas personne ne remarquera notre présence.

100


En effet dans une salle des femmes, les pleureuses, se frappent la tête, la poitrine et s'arrachent les cheveux en se lamentant. Aucun doute c'est le pharaon qu'elles pleurent. Le sarcophage doré est richement décoré, il est juché sur un traîneau. Le cortège funèbre quitte le palais pour se diriger vers la dernière demeure du roi. Des prêtres, avec des bâtonnets d'encens dans les mains, récitent des prières. Des paniers pleins d'objets de la vie courante, des meubles, des jarres sont portés par des gardes. Mais il n'y a pas qu'un seul sarcophage il y en a plusieurs. - C'est une chance inouïe pour nous, murmure la danseuse, tout le monde est aux obsèques, allons à la chambre du fils, le fusain doit y être. Il ne peut pas ne pas y être. A leur grande surprise, les sentinelles restées au palais les saluent très bas. Ils comprennent que pour être richement parés les gardes les prennent pour des personnalités et les laissent aller à leur guise. Arrivés dans la pièce, ils fouillent tous les recoins et tous les coffres. C'est kishar qui trouve la relique. - Vite il ne faut pas perdre une minute, dit - elle en mettant la relique dans la main de Neila. Récite la formule, n'oublie pas de le citer pour que tu puisses le garder. - Atlantidis mène nous, le fusain et moi, d'où je viens. S'exécute la jeune fille. Elle réapparaît brusquement devant un vieillard qui saisit de frayeur lâche sa canne et s'enfuit en hurlant au diable. Neila réprime un fou rire. Elle sent l'objet dans sa main. C'est la première fois qu'elle le voit. Il est finement ciselé d'or; Les caractères doivent représenter l'alphabet atlante. Cette fois - ci elle est dans les temps, il est à peine 14 heures. En se dirigeant vers sa voiture elle remarque que tout le monde la regarde bizarrement, elle se rend compte qu'elle est en fait vêtue comme les reines représentées sur les parois des caveaux. Elle leur sourit gracieusement en faisant une révérence. Elle est heureuse de rentrer et de retrouver son Aphrodite. Ismahane n'en croit pas ses yeux lorsqu'elle la voit arriver. - On t'a encore donné des vêtements à ce que je vois. - Oui, comment tu me trouves? - Sublimissime, tu es vraiment belle Neila. - Toi aussi tu es belle Maha, que dirais - tu d'exposer cette merveille antique dans ta boutique. 101


- Je préfère que tu la gardes en souvenir de ton voyage dans le passé. - Je suis heureuse que pas un instant tu n'aies douté de ma sincérité en ce qui concerne cette histoire. - Je dois m'en aller, je suis juste revenue pour déjeuner et je ne savais pas que tu allais revenir aussitôt sinon j'aurai annulé mon rendez - vous avec les chinois. Je serai de retour avant cinq heures. A tout à l'heure mon coeur. - A tout à l'heure Maha. Après avoir soigneusement caché le fusain, elle décide de profiter de la piscine en attendant sa déesse à elle.

CHAPITRE XIV

Les quatre compagnons se serrent les uns contre les autres en sautant de joie. Ils sont conscients qu'ils viennent de faire un grand pas en avant. La réussite de l'expédition les rend euphoriques. - Nous serons bientôt tous sauvés, je serai enfin réincarnée, s'enthousiasme Kishar. Mais en jetant un oeil sur Fatma elle ne sait pas si elle doit sauter de joie ou pleurer de chagrin. Après tout, l'éternité dans les bras de son amie c'est son paradis à elle. Mais elle n'est pas égoïste et elle pense à la piété de sa compagne, et se dit qu'il fallait profiter un maximum des derniers moments avant la séparation finale. Mais qui sait peut être ne seront - ils jamais séparés. Le bruit de leur allégresse attire le pharaon. - C'est l'heure de la sieste. Pouvez - vous faire moins de bruit? Qu’avez vous tous à sourire bêtement? - Tu ne peux pas comprendre. C'est trop long à expliquer, assure Samy, mais comme tu vois nous sommes tous heureux car nous allons bientôt quitter cette île pour retrouver le véritable royaume de Dieu. - C'est moi le dieu de l'Egypte et vous êtes dans mon royaume. - C'est là où tu te trompes Djéser, lance Kishar, tu n’es pas un dieu, tu n'es qu'un humain comme nous tous. Le fusain nous a condamnés à errer dans un monde qui nous est inconnu. Tu te crois en Egypte? Suis 102


moi je vais te montrer où nous sommes. Ici nous sommes tous égaux, personne n'est supérieur à l'autre. Vois mes amis, ils sont plus vieux que nous de cinq mille ans, ils viennent du monde d'aujourd'hui. Ils ont tellement de choses à nous apprendre. Viens avec nous tu vas voir quelque chose qui va te surprendre au plus haut point. Et tu vas comprendre combien ils sont en avance sur nous. - C'est normal que nous soyons en avance, ma chère amie, pense que nous avons eu cinq mille ans pour avancer. - Je sais Fatma et vous avez accompli des prodiges, comme ce monstre d'acier. Djéser poussé par la curiosité décide de les suivre. Il presse sur une dalle, et une porte dérobée s'ouvre. Ils grimpent le long d'un escalier, il actionne une amulette et ils se retrouvent tous à l'air libre. Djéser et sa famille sont surpris par la végétation tropicale. Ils s’attendaient à voir le désert autour d'eux, le pharaon commence à croire à leur histoire. - Est ce que nous sommes au paradis? Questionne la reine en regardant Samy. - Non, c'est l'île où nous avons échoué, ou plutôt où l'imagination d'une femme nous a envoyés. C'est à cause de ce maudit fusain. - Nous allons marcher longtemps, notre ancien camp se trouve assez loin d'ici. Si vous êtes prêts, partons. Après plusieurs heures de marche, ils arrivent enfin devant l'appareil. Il leur fait grande impression. Ils sont si effrayés qu'ils en deviennent blêmes. - C'est un grand oiseau? Est ce qu'il est vivant? - Si tu es dieu tu dois le savoir, le taquine Kishar. - C'est notre moyen de transport, intervient Fatma, comme vous voyez il a des ailes comme un oiseau, c'est l'homme qui le fabrique et ne peut donc être vivant. C'est avec ça que nous voyageons aujourd'hui pour aller d'un pays à un autre. Cela s'appelle un avion et il vole au dessus des nuages. Ainsi nous nous déplaçons plus vite. Elle est touchée par la crainte de cette famille qui se croyait au dessus de tout et qui découvre sa vulnérabilité et son impuissance. - Votre moyen de transport? Et les chevaux qu'est ce que vous en faites à présent? 103


- Le monde a beaucoup évolué en cinq mille ans, les chevaux ne servent qu'aux courses au sport et à la distraction. Venez, je vais vous montrer l'intérieur, n'ayez pas peur c'est l'homme qui gouverne la machine. Elle entraîne la famille royale qui tourne autour du monstre. Ils pénètrent à l'intérieur et s'installent sur les sièges confortables. Fatma leur montre comment actionner le bouton qui baisse le siège pour mieux se reposer. - Je voudrai en faire ma nouvelle demeure. Le permets – tu ?. - Bien sûr, il ne sert plus à rien, en tombant il s'est endommagé. - Merci, nous allons nous y reposer. Restez avec nous. - Faites, je vous en prie, mais vous allez avoir chaud la dedans. Kishar qui a remarqué les regards lubriques que lance Djéser à son amie, l’entraîne hors de sa vue. Fatma la suit docilement, elle ne peut pas se mentir à elle même, elle veut se retrouver seule avec la danseuse, et retrouver la merveilleuse sensation de ses caresses. Lorsqu'elles sont assez loin kishar l'attire violemment à elle. - Même quand tu es là, tu me manques mon amour, c'est comme ça que je veux être tout le temps, serrée tout contre toi. - Moi aussi, avoue la jeune fille en sanglotant et se collant de tout son long à son amie. L'indusienne s'allonge en entraînant son amie sur un lit de mousse. Elle la maintient contre elle sans cesser de caresser son corps. Fatma lui rend caresse pour caresse, ses mains se sont animées d'elles même. Elle ne se contrôle plus, elle se perd dans un océan de soupirs de désirs et de plaisir. Kishar n'y tenant plus prend le visage aimé et l'embrasse délicatement puis passionnément, Fatma chavire de bonheur et se laisse aller au bonheur. Elle ne fait rien pour stopper l'audace de son amante. Une éternité plus tard elle s'allonge sur le corps souple de la danseuse, en mouillant son épaule de ses larmes. - Qu'avons - nous fait Kishar, nous n'avions pas le droit. Je m'en veux si tu savais. En disant cela elle se relève et se rhabille lestement. - Ne t'en vas pas Fatma, reste avec moi, je t'aime, ne me laisse pas seule, supplie l'indusienne. Mais Fatma s'éloigne en courant se dégoûtant d'avoir succombé si vite à la tentation. Fatiguée de courir, elle s'arrête et se laisse tomber sur les genoux, en adressant une fervente prière à son créateur, lui criant son repentir. Calmée et plus sereine, elle entend Kishar qui l'appelle. Elle 104


l'aime elle le sait, mais elle doit se maîtriser. Kishar l'aime aussi mais elle ne veut pas recommencer ce qu'elle considère comme une faiblesse, une erreur. L'indusienne de son côté adresse d'autres prières, celles de lui ramener son amie. Elle devine que la jeune fille regrette son geste. Mais elle est sûre qu'elle retournera vers elle. L'amour est toujours plus fort que toutes les résolutions. Elle l'a sentie si abandonnée au plaisir. Et c'est surtout la première rencontre de la jeune fille avec le plaisir. Elle ne résistera pas longtemps, kishar en est persuadée, elle lui reviendra, elle n'a qu'a faire preuve de patience. Djéser et sa famille sortent de l'appareil et lui tournent tout autour sans se lasser. Ils éprouvent un grand respect pour les trois contemporains, les croyant responsables de ce prodige de la nouvelle ère. - Comment avez - vous fait pour construire cet immense oiseau.? Demande - t - il à Lakhdar. - Vous me faites trop d'honneur en croyant que c'est mon oeuvre. Mais ce sont des hommes plus ingénieux qui l'ont construit. Moi je ne fais que profiter de leur génie. - Il est trop plongé dans le passé pour pouvoir inventer le futur, ricane Samy. La reine en riant se rapproche de lui en lui coulant un regard des plus équivoques. Samy agacé s'éloigne sachant qu'il ne pourra jamais accéder au désir qui se lit dans ces yeux de biche. Avant de la quitter, il lui glisse à l'oreille. - Contente - toi de ton époux et ne compte pas sur moi pour le remplacer. - Pourquoi? N’es - tu pas un homme? Lui glisse - t - elle à son tour en le retenant par le poignet. - Pas de la manière dont tu crois. Il accompagne ses paroles d'une mimique si féminine, que la reine comprend ce qu'il voulait dire. - Venez tous nous allons célébrer le nouveau monde, clame Djéser, j'ai dans mon caveau un vin des plus exquis. - Du vin! Crie Samy, Quel bonheur on va pouvoir se saouler pour oublier notre mort. - C'est gentil à vous Djéser, mais moi je ne bois pas, ma religion me l'interdit, renchérit Lakhdar. 105


- Vous n'êtes pas de la même religion? - Si mais certains dérogent à la règle et c'est leur choix, chacun fait ce qu'il veut. - Ne t'en fais pas pour moi pharaon, Dieu est clément, il me pardonnera cet écart. - Eh bien, allons y. Lakhdar se rend compte qu'il manque les filles, ils les appellent en vain. Samy s'apprête à aller les chercher quand il les aperçoit arrivant chacune d'un côté. Les deux amies se regardent du coin de l'oeil en évitant soigneusement de se rapprocher l'une de l'autre. Samy sourit, il croit comprendre leur désarroi. "Ah l'amour, l'amour, se dit - il." Il se demande s’ils font bien de s'empresser à quitter ce monde où ils sont heureux, malgré tout. L'île commence à être de plus en plus peuplée, qui sait s'ils vont trouver encore d'autres gens au Mohenjo - Daro. Mais il se dit que s’il ne se forme que des couples du même sexe, Ils seront seuls à l'habiter. Il aurait voulu savoir s’il serait possible que les femmes tombent enceintes, mais il chasse vite cette idée qui ne l'intéresse pas outre mesure. Par contre le fils de Djéser l'attire plus qu'il ne veut se l'avouer. Il a l'air pas mal du tout. La forte carrure de l'adolescent lui donne des picotements dans le ventre. Il regarde Lakhdar puis revient au jeune éphèbe. "Aurai - je assez de temps pour draguer ce séraphin, après tout pourquoi pas ce n'est qu'un humain." La reine qui a suivi son regard s'exclame au grand étonnement des autres: - N'y compte pas trop, tu seras déçu, ce disant elle saisit la main de son fils et la serre contre son ventre. Celui - ci croyant comprendre que sa mère refuse les avances du jeune rouquin, lui coule un regard tendre et significatif, en défiant Samy des yeux. Ce dernier avance en regardant la mer, les ignorant tous les deux. Lakhdar qui a suivit le manège, rit sous cape. Son jeune écervelé ne changera jamais, toujours à l'affût d'une nouvelle conquête. Lui même se sent attiré par la souveraine, mais n'ose pas le montrer craignant une réaction violente du mari. Il prendra son temps pour s'engager dans cette voie, au pire il sera rabroué et seul son orgueil en prendra un coup ,mais qu'importe, il est prêt à le risquer. Qu'aura - t - il à perdre sinon tout à gagner. Le moment propice se présentera forcément. Ils arrivent enfin au temple, éreintés par leur longue marche. Après une bonne fringale, Djéser leur propose de s'établir chez lui, assurant qu'il y a de la place pour tout le monde, les nombreuses pièces du tombeau sont toutes confortables. Et chacun peut s'établir où bon lui semblera. 106


- Il est dix heures passé, nous allons nous coucher ma famille et moi. - Comment pouvez - vous le savoir? S’extasient les trois rescapés d'une seule voix. - Grâce au sablier, évidemment. Djéser, surpris et amusé, les voit se précipiter sur lui pour l'embrasser. Mais il n'y a rien de sorcier où de magique à ça. Cela vous surprend alors que vous construisez des moyens de transports aussi grands qu'un palais? - Cela fais si longtemps que nous n'avons aucune notion du temps que cela nous paraît presque magique, répond Lakhdar. Vous avez certainement remarqué que le soleil ne nous est d'aucun secours. En plus l'obscurité qui règne dans les salles nous fait du bien, car la nuit ne tombe pas non plus sur l'île. Il reprend son souffle en attrapant la torche que lui tend le pharaon. - J'en suis heureux. Dormez bien et à demain. - Tout à l'heure nous avons assisté à vos obsèques à tous, lui avoue Samy avant de s'en aller, c'était très touchant, votre peuple vous vénérait. - Nos funérailles à tous? Qu’est ce que tu veux dire. - A vous tous qui êtes ici, grâce à une formule nous avons voyagé jusqu'à votre époque. - Cela signifie que nous sommes tous morts le même jour. - Oui, tous, il y avait tous vos cercueils portés par les serviteurs. - Je crois savoir pourquoi, tu as demandé à ton fils aîné de vous dessiner sur les parois du tombeau. - Oui, pour qu'on se retrouve tous ici. - Le fusain en dessinant une personne lui ôte la vie instantanément, ne le savais - tu pas? - Non, nul ne me l'a appris. Lorsque ce roi sumérien me l'a offert contre mon hospitalité, il ne m'a rien dit du tout. A part que les personnes dessinées reprennent vie. - Peu de gens connaissent les pouvoirs du fusain, c'est un voleur d'âmes. - J'ai donc ôté la vie aux miens. 107


- Tu ne le savais pas. Le fusain vous a condamnés, comme nous à vivre dans un autre monde que celui des morts. C'est pourquoi, nous faisons tout avec l'aide de notre amie pour nous en sortir. Tout à l'heure quand nous crions, c'était parce que nous avons récupéré l'objet dans la chambre du prince, et actuellement c'est notre amie qui l'a. - Qu'est devenu mon fils? S’est - il dessiné lui aussi? - Non, après m'avoir dessinée moi, il a, après votre mort, enterré le fusain avec moi. - Votre fils, intervient Lakhdar, s'est construit une pyramide, comme vous, elle n'est pas très loin de la votre en Egypte bien sûr. Il a vécu heureux dans une Egypte prospère. Et ne vous tracassez pas pour lui il était vénéré par son peuple. - Merci vous me rassurez tous. Allons nous coucher, demain sera un autre jour. Kishar prend d'autorité la main de Fatma et l'entraîne à sa suite vers une pièce vide. - Ne crains rien ma petite fleur, je veux juste que tu dormes dans la même chambre que moi. - Cela reviendra au même, répond celle - ci ne pouvant s'empêcher d'être troublée par la tendre appellation, je préfère dormir seule. Tu comprends? - Non, je ne comprends pas. Tu n'as qu'à t'éloigner un maximum de moi, si ça peut te rassurer. N'aie pas peur, je ne te toucherai pas. - C'est de moi que j'ai peur Kishar, pas de toi. - Allons, tu es une grande fille. Je serai inquiète de te savoir seule, et loin de moi. Je n'ai pas confiance en Djéser vu la façon dont il te regarde. Je t'en prie fais-moi plaisir. Tout en causant, elle prépare leurs deux couches aux deux extrémités de la pièce. Viens allonge - toi et dors. Elle accroche la torche en dehors de la chambre et s'étend à son tour. Le sommeil tarde à les gagner, trop consciente de la présence l'une de l'autre. Kishar fait résolument face au mur et ne bouge plus, sentant la proximité pesante de son amie. Fatma non plus n'arrive pas à dormir. Elle ne trouve pas le repos. Les sensations de l'après - midi, prennent possession de son corps et de son esprit. Comment résister à cette déferlante qui s'empare de tout son être? Elle s'avoue vaincue mais ne fait aucun mouvement. Un moment plus tard, elle est toujours éveillée, ne 108


pouvant oublier l'étreinte du corps chaud de l'indusienne. N'y tenant plus, elle appelle sa compagne. - Kishar? Est ce que tu dors? - Non, mon trésor, tu avais raison, ce n'est pas une bonne idée de nous retrouver dans la même pièce. Cela finit par déclencher un long frisson le long du dos de Fatma. Elle ne peut plus tenir. - Kishar viens près de moi, nous ne ferons rien, je veux juste te sentir contre moi. - Tu en es sûre mon petit? Tu ne crois pas que cela ne fera qu'exacerber nos désirs? Fatma ne répond pas sentant que son amie a raison, mais où est sa raison en ce moment? Partie faire un tour ailleurs. Sans mot dire elle se lève et rejoint son aimée sur sa couche. - Ma place est auprès de toi Kishar. Je ne peux résister, j'ai trop besoin de toi. Elle la cueille dans ses bras et l'y berce un long moment. Fatma goûtant la félicité, se laisse aller au bien être et se retrouve enfin dans les bras de Morphée.

CHAPITRE XV Lasse de faire des brasses, Neila décide d'aller faire un tour dans la ville, pour faire passer le temps. Elle ne sait pas encore où se trouve la boutique d'Ismahane. Qui sait peut être la trouvera- t - elle au hasard d'une rue. Elle erre dans le vieux Caire, dans les rues étroites et sales. Elle aboutit à la cité islamique. Ce qui attire son regard sont les moucharabiehs. Ces fenêtres grillagées à petits volets ouvrables. Dans le temps les femmes n'avaient pas le droit de se montrer. Mais là, une femme a sortit la tête pour appeler son mioche à demi nu, qui joue dans la rue crasseuse avec d'autres garnements. La chaleur est suffocante, elle fait demi tour et reprend la voiture pour rentrer, Ismahane doit sûrement être chez elle à cette heure. Prise dans les embouteillages, elle met une heure pour arriver. Elle trouve sa belle dans la cuisine en train de préparer le dîner. - Bonsoir, Maha. 109


- Bonsoir chérie. Tu es ressortie? - Oui, comme je m'ennuyais et que tu n'étais pas là, je suis allée faire un tour en ville. - Qu'est ce que tu caches dans ton dos? - Ceci, dit - elle en lui présentant une rose d'un grenat velouté. - C'est très gentil mon ange, s'extasie Ismahane en lui appliquant un baiser sur la joue. - Très belle rose pour très belle femme. Je vais prendre une douche et je viens t'aider, trop troublée pour s'attarder, car Ismahane la regarde intensément, elle se précipite à l'étage. Ismahane colle rêveusement son nez dans la fleure pour en humer le parfum délicat. C'est une réconciliation que lui offre la jeune fille, elle est si heureuse qu'elle dresse la table en chantant. Neila ne veut pas dire à l'égyptienne qu'elle a récupéré le fusain. Préférant garder le secret. La jeune femme lui conseillera à coup sûr de le remettre aux autorités. De plus elle veut profiter encore de la présence de celle qui a pris une grande place dans son coeur. Elle s'enferme dans sa chambre et déroule le papyrus. Elle appelle Kishar, qui se précipite hors du temple. - Salut Kishar! Que doit - on faire à présent. - Nous devons nous retrouver tous chez moi au Mohenjo - Daro. Là bas le prêtre Anshar nous dira ce qu'il faut faire. Neila, ne fais aucun usage du fusain, oublie que tu l'as entre les mains et si l'envie te taraude sort dehors ou fait une quelconque activité qui te le fera oublier. Promets le moi Neila. Mets-le dans un lieu sûr. - Ne t'en fait pas Kishar, jamais je n'en ferai usage, je te le promets. - Très bien, je te crois. N'en parle à personne, tu m'entends, à personne. Cela doit rester un secret entre nous. Nous avons eu de la chance de le récupérer, il ne faut surtout pas le perdre. - Personne ne le saura, rassure - toi. - Alors bonne chance Neila et à bientôt. - Oui, à bientôt, salue les autres pour moi. 110


- D'accord au revoir. - Au revoir Kishar. Elle referme le rouleau et le range avec le fusain dans une des pochettes secrètes de sa valise. Elle est sûre que personne n'ira les chercher là. Assurée de la mission accomplie, elle redescend vers la cuisine. En passant par la salle à manger, elle voit que la table est mise. Deux chandeliers placés en son centre diffusent une lueur tamisée et intime. En voyant le portrait de l'ex - mari, elle le retourne en lui adressant une grimace de dégoût. Ismahane qui passe par là à ce moment, sourit, se dirige vers Neila prend le cadre et le jette dans un des tiroirs de la bibliothèque. Elle ne veut pas que sa vue gâche l'harmonie qui s'est installée entre elles. Neila la regarde avec dans son regard une lueur de reconnaissance. Le dîner est excellent. Neila loue les qualités culinaires de son amie. Elles débarrassent la table. Ismahane va préparer du thé et demande à la jeune fille de l'attendre dans le salon. Neila s'installe sur la causeuse. Ismahane arrive avec le plateau et s'assied à côté d'elle. D'un meuble elle a tiré un album photo. - Ce sont des photos de ta grand - mère et de moi-même à l’époque ou tout était magique entre elle et moi. Assises côte à côte, elles feuillettent l'album. Neila reconnaît une Ismahane jeune au sourire éclatant posant devant Fifi qui, un bras autour de ses épaules, lui sourit tendrement. Aujourd'hui l'histoire se répète pour elles deux. Elle pose ses yeux sur son amie dont le regard, si plein de douceur, lui fait chavirer le coeur. Elle pose sa main sur la sienne qui se retourne instinctivement pour mêler leurs doigts. Elles demeurent ainsi main dans la main en continuant à regarder les clichés pris des années plus tôt. - Tu as beaucoup aimé ma grand - mère, n'est - ce pas? - Oui, nous nous sommes aimées follement. Rien ni personne ne pouvait nous séparer. - Mais qu'est ce qui a provoqué votre rupture? - Mon mariage, murmure Ismahane, lorsqu'elle a su que je m'étais mariée, elle m'a envoyé une lettre pour me dire qu'elle avait connu quelqu'un et qu'elle ne voulait plus de moi car je l'avais trahie. Elle m'a même interdit de lui écrire où de lui téléphoner. - Je la comprends, elle a du être très malheureuse en l'apprenant. Je crois que j'aurais réagi comme elle, que Dieu ait son âme. Mais je crois qu'elle t'a menti. Elle n'a connu personne d'autre. 111


- Moi aussi je l'ai comprise, dit - elle en ignorant délibérément la dernière phrase, je lui ai écrit pour lui expliquer les raisons de mon mariage mais elle n'a jamais répondu. Je ne l'ai plus revue. Quand j'ai appris sa mort, j'en ai ressenti un choc. J'ai hésité à partir pour Alger, mais ton souvenir a balayé mes velléités et tu connais la suite, finit- elle en caressant les cheveux de son interlocutrice. - C'est de loin la meilleure chose que tu aies faite. - N'est ce pas? Neila je ... Elle se tait un moment. Voyant que Neila est suspendue à ses lèvres elle poursuit, lorsque je suis partie pour Alger, je m'étais dit que je resterais avec toi quelques jours et que je reprendrais ma vie comme avant. Mais voila, dés que je t'ai vue j'ai su qu'il en serait autrement. Je ne te voulais aucun mal, je ne voulais pas non plus influencer ton choix de vie. Je suis donc repartie pour ne pas succomber au sentiment qui me poussait vers toi. Mais c'est si difficile surtout quand tu me regardes comme ça. - Et comment est ce que je te regarde? - Avec autant d'amour exprimé dans tes yeux. - C'est que j'en ai tant pour toi. - Oh Neila, ma petite fille chérie, en disant cela elle l'attire à elle et la serre fortement contre elle. Elle pose sa joue sur ses cheveux, tu es toute douce et tu sens si bon. La jeune fille pense la même chose en se serrant d'avantage contre le corps chaud et aimé. Aucune n'ose bouger, savourant ce moment unique. N'y tenant plus, Neila soulève légèrement la tête et dépose dans le cou de sa Calypso un baiser appuyé et plein de ferveur. Elle la sent frissonner et devient toute intimidée par son geste. Ismahane goûte la félicité d'être à nouveau contre un corps adoré. Elle est heureuse, elle qui pensait ne plus connaître cette joie, cette allégresse. - Maha, je sais que ce n'est pas le moment, mais je voudrais connaître les circonstances de ton mariage. - En effet ce n'est pas le moment. Tu es bien curieuse ma chérie. En plus c'est de l'histoire ancienne. Il est mort à présent. - Je sais, mais comme tu n'as rien pu dire à grand - mère de vive voix, raconte moi ce sera une sorte de thérapie, termine-t-elle en souriant malicieusement. 112


- Tu ne l'oublieras que quand je t'aurais tout dit. Tu es bien comme elle, quand elle voulait savoir quelque chose, elle ne lâchait prise que lorsqu'elle obtenait ce qu'elle voulait. Comme toi elle choisissait les moments les plus intimes pour être sûre d'avoir gain de cause. - Oui, tout le monde me dit que je lui ressemble de part nos caractères, et j'en suis fière. Elle était beaucoup plus affectueuse avec moi que mes propres parents. Sa mort m'a beaucoup affectée. Je la regrette, et elle me manque tellement. Alors raconte. - Toi, tu ne perds pas le nord hein. Elle l'éloigne d'elle de quelques centimètres pour lui pincer le nez. - Tu l'as bien dit. J’ai tellement envie de tout savoir. C'est peut être masochiste, car je sais que tu en as souffert et j'en souffre pour toi bien que je sache que tout est fini, mais tout ce qui te concerne, m'importe. - Très bien, mais tu me jures que tu n'en reparleras plus jamais. - Promis, juré. - Mon père voyait trop grand. Il voulait tripler sa richesse en s'associant à un anglais qu'il venait de connaître. Il a engagé Ahmed dans cette aventure, en le persuadant de mettre dix millions de livres dans cette affaire. Il s'est avéré par la suite que l'anglais était un escroc notoire. Mon père a donc tout perdu. Ahmed l'a menacé de le traîner en prison s'il ne lui accordait pas ma main pour compenser ses pertes. Mon père m'a suppliée, aidé de ma mère d'accepter de sceller mon avenir à cet homme. J'ai accepté pour les sauver du déshonneur. Ils sont morts tous deux ,une année plus tard, dans un accident de voiture. Et moi je suis restée avec lui car il commençait à souffrir du cancer. Voila tu es satisfaite. - C'est fou comme parfois les parents font payer leurs propres erreurs à leurs progénitures. Tu as été jetée en pâture. Mais heureusement que Dieu t'en a délivrée. Tu ne mérites pas de souffrir, Maha. - C'est du passé mon cœur . Et le présent, même s’il n'est pas glorieux, me fait un beau cadeau, toi en l'occurrence. Neila se blottit dans le sein de la femme qu'elle aime le plus au monde, espérant un geste qui balaiera toutes ses attentes. Ismahane lui prend le visage entre ses mains et plonge un regard ardent dans le sien. Leurs visages comme attirés par un aimant, se rapprochent. A la question muette que lui pose l'égyptienne, Neila ferme les yeux en signe d'approbation. Leurs bouches s'unissent dans un concert d'étoiles. Tout le corps de Neila frissonne et tremble violemment. Elle se serre plus fort contre son amoureuse et savoure les lèvres chaudes et la langue 113


brûlante qui la fouille. Etourdie toutes deux, elles se disent tout leur amour avec leurs mains. Ismahane finit par se lever et croisant ses doigts à ceux de sa cadette, elle l'entraîne à l'étage. Dans la chambre d'Ismahane, elles se laissent emporter par le tourbillon des sens et de la volupté. Un moment plus tard, Neila coulée de tout son long contre le corps nu de son amante, lui dit tout contre son cou. - Jamais je n'aurais pensé qu'un jour je vivrai un tel bonheur, Maha. Tu m'as fait découvrir un monde d'étoiles et de plaisir absolu. Je t'aime tant mon amour. Tu es toute ma vie. - C'était magique pour moi aussi, chérie. Neila est déçue qu'Ismahane ne lui dise pas qu'elle l'aime aussi. Elle aurait tant voulu l'entendre dans sa bouche. Pourtant ses mains ne cessent de la caresser amoureusement. Le désir les surprend encore une fois. Emerveillée, Neila se laisse aller au plaisir en rendant caresse pour caresse. Leurs corps se confondent pour ne faire plus qu'un. L'aube surprend leurs parfaites nudités abandonnées sur les draps froissés. CHAPITRE XVI

Neila se réveille la première. Elle lance un tendre regard plein de reconnaissance à la dormeuse et se lève avec précaution pour ne pas la déranger dans son repos bien mérité. Elle retourne dans sa chambre en ressentant l'envie de voir les habitants de l'île. Djeser sursaute et recule terrorisé. Il connaît ce visage, mais le voir si démesurément grand se dessiner dans le ciel, lui cause la peur de sa vie. Décidément il ne comprend plus rien à ce nouveau monde. Samy, qui a remarqué sa frayeur, ne résiste pas à l'envie de se moquer de lui: - Allons grand pharaon, dieu du Nil, ça t'effraye à ce point, pourtant tu la connais on te l'a déjà présentée. C'est elle qui va nous remettre entre les mains de notre Dieu à tous. Là tu auras de vraies raisons d'avoir peur. - Je n'ai peur de rien ni de personne, dit le pharaon vexé. - Ca se voit sur ton visage. Il est vert et de quoi à ton avis? Alors Neila comment vas - tu? 114


- Ca va très bien, mon cher ami. - Tu as un air euphorique et ravi, qui ne m’est pas inconnu. Tu as passé la nuit à batifoler, n'ai - je pas raison? - Hum, peut être, répond - elle en restant évasive. Où sont les autres? - A l'intérieur de la pyramide. Tu veux venir nous rendre visite? - Non, je voulais juste vous voir. Puisque tout va bien, tant mieux. Alors à plus tard. - C'est ça, à plus tard. - Salut Neila, crie Lakhdar qui revient du côté de la plage. - Salut, bon bain? - Oui l'eau est parfaite. Quand dois - tu te rendre au Pakistan? - Au Pakistan? - Oui, c'est la bas que se trouvent les ruines du Mohenjo - Daro. - Ah oui, d'accord. Eh bien, il faut d'abord que je retourne en Algerie et que je fasse ma demande de visa. - Essaye de faire vite. Je commence à m'ennuyer sérieusement sur cette île. Samy lui lance un regard terrible où le reproche et la colère fusent de concert. Lakhdar hausse les épaules, salue Neila et s'éloigne vers la pyramide. Il voudrait retrouver la reine et qui sait il lui fera, peut – être, un brin de cour. Il n'a jamais été homosexuel et son aventure avec Samy n'a été qu'un passe temps. Il préfère revenir à ses anciens désirs. - Eh bien, à bientôt tout le monde ; salue les autres pour moi Samy. Neila s'étend sur le lit en rêvant à sa belle, comme elle voudrait l'emmener avec elle dans le monde de ses nouveaux amis. Ismahane adorerait l'accompagner, elle en est sûre. Elle ferme les yeux et se remémore chaque instant de la merveilleuse nuit qu'elle vient de passer avec celle qu'elle aime à en mourir. Elle est heureuse d'avoir découvert l'amour dans les bras de son égyptienne adorée. Elle n'aurait jamais espéré meilleur professeur. Elle décide d'aller voir si sa belle au bois dormant est enfin réveillée. Elle se dirige vers le lit et pose ses lèvres sur 115


la bouche de son amante lui donnant un baiser pour la tirer de son sommeil. Elle l'appelle et la secoue doucement mais Ismahane reste inerte. Elle la prend enfin par les épaules et crie son nom, toujours pas de réponses. Son sang se glace dans ses veines lorsqu'elle se rend compte que son Aphrodite est sans vie. - Maha! Réponds-moi! Tu me fais peur! Maha! Je t'en prie, dis quelque chose. Elle se précipite sur le téléphone et appelle un médecin dont le nom était sur un carnet à proximité de l'appareil. Les minutes qui s'écoulent semblent une éternité, elle n'ose s'avouer l'inavouable. Ce n'est pas possible, ce n'est après tout qu'une syncope. Elle a tort de s'inquiéter autant se dit - elle. L'arrivée du praticien lui redonne un peu d'espoir. Il saura lui ce qu'il y a lieu de faire. L'air navré qu'il affiche en sortant de la chambre est plus qu'éloquent. Il n'y a plus de doute, elle vient de perdre à tout jamais l'amour de sa vie. Elle bondit dans la pièce et se jette sur le corps inanimé en sanglotant. Le médecin ne sachant que faire, ni comment consoler cette ravissante créature de cette perte, reste près de la porte attendant que les pleurs s'apaisent. Enfin Neila lève la tête dans sa direction et l'interroge. - Comment est - ce arrivé docteur? Je ne comprends pas. Tout à l'heure encore elle dormait paisiblement. - Je ne sais pas quoi vous dire, mademoiselle. Je pense que c'est une crise cardiaque qui l'a surprise pendant son sommeil. Elle est encore jeune, mais cela arrive de nos jours. Trop de stress sans doute. L'infarctus frappe des gens de plus en plus jeunes. Je suis désolé. Vous devriez appeler la police. - Je ne suis pas d'ici, je ne sais pas ce qu'il faut faire. - Laissez moi faire, je m'occupe de tout, propose le jeune médecin ravi de rendre service à une si jolie jeune fille. - Je vous suis très reconnaissante. Neila rentre tard dans l'après - midi, écrasée de chagrin et de désespoir. On l'avait longuement bassinée au commissariat comme si on lui incombait cette mort cruelle. Pourtant elle ne comprend pas pourquoi son amour lui a été ravi. Est - ce Dieu qui la punissait. Elle ne peut le croire. Leur amour était beau et sincère. Qui peut résister à ce sentiment impérieux, personne, elle en est sûre. Des tantes d'Ismahane sont là. Elle monte dans sa chambre pour ranger ses affaires. Elle n'a désormais plus 116


rien à faire ici. Elle prendra le lendemain l'avion pour Alger. Elle appellera le médecin pour le remercier de son aide avant de s'en aller. Elle ne veut pas assister à l'enterrement de sa bien-aimée, elle préfère garder un autre souvenir de celle - ci. Le peu de famille qui reste à la défunte arrive par petits groupes, ils ne connaissent pas Neila, mais ils ont l'air d'accepter qu'elle soit là. Le lendemain ils ne comprennent pas pourquoi celle - ci s'en va sans assister aux funérailles. La jeune fille s'en va sans se retourner, dans son coeur Ismahane est toujours en vie.

Dans l'avion qui l'emporte chez elle, Neila ne peut se retenir de pleurer. L'hôtesse de l'air désolée de voir les larmes couler sans cesse sur sa belle figure, ne peut s'empêcher de lui demander s'il est en son pouvoir de faire quelque chose pour la consoler. Neila répond par la négative. Ce qu'elle veut c'est revoir sa belle égyptienne, la tenir dans ses bras et l'entendre lui murmurer des mots tendres. Mais Dieu en a décidé autrement. Elle sait que plus jamais elle ne connaîtra un tel bonheur. La vie s'est arrêtée avec celle de son amour. Jamais elle n'avait rencontré une passion si dévorante. Elle l'a perdue trop tôt. Elle n'a pas eu le temps de profiter de son paradis terrestre. Elle retrouve sa voiture là où elle l'avait laissé dans le parking de l'aéroport. Elle se rappelle de ce jour où elle partait à la rencontre de sa dulcinée. A cet instant elle est écrasée par le poids du chagrin et de la solitude, son lot quotidien désormais. Elle emprunte la route pour se rendre au centre ville. Les barrages dressés par les militaires lui rappellent la réalité de ce que vit son pays ravagé par le terrorisme et une guerre latente. Dés qu'elle se retrouve chez elle, elle pose sa valise et se dirige vers la salle de bain. Elle aurait aimé ne plus jamais se laver pour garder sur elle l'odeur d'Ismahane et de son unique nuit d'amour. Mais la chaleur et la sueur chassent cette perspective de son cerveau. En défaisant son bagage, elle entend la voix de Kishar qui s'égosille à l'appeler:" Pas maintenant s'il te plaît, pense - t - elle, pas maintenant, plus tard, je suis trop triste." Mais les cris persistants, lui font dérouler le papyrus malgré elle: - Qu'as - tu fais malheureuse je t'ai dit de ne pas utiliser le fusain. - Mais de quoi tu parles... Elle s'interrompe subitement en voyant Ismahan debout sur le sable. Maha? Que fais - tu là? demande - t - elle d'une voix étranglée, toute l'horreur de la situation claque comme un coup de fouet. Mon Dieu, Maha je t'ai tuée! Maha c'est moi qui t'ai assassinée! 117


Oh mon Dieu, qu'est - ce que j'ai fait? Comment est - ce arrivé? Hurle - t elle à l'adresse de l'indusienne. - Neila, tu as du penser fortement à elle et le fusain te l'a matérialisée. - Comment est - ce possible? sanglote la jeune fille, au comble du désespoir. - Ton esprit est dans le fusain Neila. Dés que tu penses avec insistance à quelqu'un le fusain te le dessinera. - Pourquoi moi? - Simplement parce que tu es la dernière personne pour qui il a dessiné. Tu n'as aucun pouvoir sur lui, sinon ne jamais penser à quiconque en sa proximité. - Tu aurais du me le dire avant, Maha serait encore en vie. - Je ne pouvais pas te mettre au courant sans craindre le pire. Et maintenant que tu le sais je ne sais pas ce que tu vas faire. - Et le pire est arrivé. Y a - t - il autre chose que je dois savoir? - Non, je suis sincèrement désolée Neila, je vois à quel point tu tiens à ton amie. - Maha pourras - tu un jour me pardonner? Supplie-t-elle au comble du désespoir. - Ce qui est arrivé n'est pas de ta faute mon ange, tu ne pouvais pas savoir. - Grand - mère m'a fait un cadeau empoisonné. Je n'aurais jamais du ouvrir ce rouleau de malheur. - Au contraire mon amour, Dieu a permis cela pour que tu sauves les âmes égarées, en nous sauvant tu sauveras tous ceux qui sont égarés dans ce monde perdu. Qui sait combien de personnes ce fusain a égarées depuis si longtemps. Toi seule peux nous aider à nous en sortir. C'est à ça que tu dois penser à présent. - Comment faire pour venir parmi vous, Kishar? - Quand tu seras au Mohenjo - Daro, tu pourras nous rejoindre et revoir ton amie. 118


- Neila, n'oublie pas ta mission, prie Ismahane, je t'aime ma chérie, je t'aime plus que tout, plus que ma vie. Je serai tout le temps avec toi mon amour, chaque seconde qui passe je serai avec toi par la pensée et par le coeur. Ne te torture pas mon trésor, tu n'y es pour rien. Neila éclate en sanglots bruyants qui déchirent le coeur d'Ismahan qui ne peut arrêter ses larmes. Elle pose ses doigts à l'endroit où se trouve l'égyptienne mais ne sent que le papier. Les autres impuissants devant leur peine, s'éloignent et les laissent seules. Neila est bouleversée, Ismahane lui a dit "je t'aime" mais trop tard. Elles ne font plus partie du même univers, ce qui redouble les pleurs de la jeune fille. Ismahane se laisse tomber à genoux sur le sable et laisse libre cours à son chagrin. - J'ai touché avec toi le sommet du bonheur, pour te perdre Maha, c'est trop triste. Je t'aime tellement, si tu savais. Je ne peux pas vivre sans toi mon amour, j'ai trop besoin de toi. Je voudrais être morte. - Ne dis pas ça mon amour je veux que tu vives pour nous. Neila, ma chérie, pense que nous allons pouvoir nous retrouver. Bientôt nous serons ensemble. - Je ne vivrais que pour ce moment. Demain j'irai à l'ambassade du Pakistan pour solliciter un visa. - Oui, et nous serons à nouveau toutes les deux réunies. N'oublie pas mon amour, rien n'est de ta faute. Tu as subi, tu n'y es pour rien. Elles restent longtemps à se parler et à se dire tout ce qu'elles n'ont pas eu le temps de faire. Neila lui raconte ses dernières heures en Egypte. Soudain elle se rappelle qu'au moment de ranger le papyrus elle avait trouvé le fusain à côté. Les personnages étaient figés car il y avait du monde dans la maison. Elle s'était dit qu'elle l'avait elle même probablement sorti avec le rouleau, elle l'avait rangé sans trop s'attarder sur une explication. La clef de l'énigme est à présent là sous ses yeux. Elle s'allonge sur le lit sans se lasser de regarder son amie qui s'est assise sur le sable. - J'ai cru que c'était une fée, rit Samy en s'adressant à ses compagnes, si kishar n'avait pas expliqué sa venue, je n'aurais jamais compris sa présence parmi nous. Tout de même ce fusain... Qui aurait pu penser qu'un pareil objet pouvait exister. Si quelqu'un me l'aurait dit avant je lui aurais ri au nez pour sûr. Ce qui certain en tout cas c'est que ces deux là s'aiment follement. - Oui, renchérit Kishar, leur chagrin est vraiment triste à voir. Comme je les comprends. 119


- Ah, l'amour, l'amour, tu es notre maître à tous, lance Samy en s'éloignant avec un déhanchement digne d'un mannequin féminin, non sans avoir lancé un regard coquin à ses amies, ce qui les fait sourire. - C'est drôle, murmure Fatma en suivant des yeux la démarche de son ami, quand j'étais chez moi, je n'ai jamais entendu parler de ces amours. Non, je te jure, assure - t - elle devant la mine sceptique de son amie, et voila qu'aujourd'hui non seulement je le vis mais j'en suis aussi entourée. - Les femmes se sont aimées depuis la nuit des temps. Tu as cinq mille ans de plus que moi et tu n'en as jamais entendu parler j'ai vraiment du mal à le croire. - Non, jamais avant d'arriver ici. Tu sais je ne sortais pas beaucoup. Mes frères et mon père surveillaient le moindre de mes gestes, je n'étais pas libre comme je le suis ici. - Regrettes - tu de l'avoir connu cet amour? - Je ne sais pas quoi en penser Kishar. Tout mon être va vers toi mais quelque chose au fond de moi me dit que c'est mal. Mais je ne peux m'empêcher de t'aimer. Samy a raison, l'amour quand il nous tient devient maître de nous. - Je t'aime aussi Fatma, et je ne veux pas que tu te sentes coupable de quoi que ce soit. Embrasse - moi plutôt. Fatma ne se fait pas prier, elle entoure de ses bras le cou de son amie et s'abandonne à l'appel de la passion charnelle. - Je t'aime Kishar, comme je n'ai jamais aimé de ma vie. - Moi aussi je t'aime ma petite fleur adorée et , resserrant son étreinte, j'ai follement envie de toi. Fatma toute tremblante se laisse aller au bonheur qui se présente à elle et auquel pour rien au monde elle ne renoncerait. Elle appartient corps et âme à la danseuse, elle le sait maintenant qu'elle n’est que passion pour elle. Elle s'envole vers les cimes du plaisir en criant le nom de son amante.

120


CHAPITRE XVII En sortant de l'ambassade du Pakistan, Neila ressent une grande frustration. En effet il lui faudra attendre deux mois pour recevoir son visa. Le préposé au guichet a été clair et précis. Deux mois à patienter avant de pouvoir serrer Ismahane contre son coeur. Elle en est dépitée, et un sentiment de grande solitude s'abat sur elle. - Deux mois c'est vite passé, la réconforte Ismahane, pourtant aussi triste qu'elle de devoir attendre si longtemps. Pour la première fois elle en veut à Fifi, terriblement de les avoir entraînées dans cette histoire morbide. Et puis ma chérie, pense qu'on peut se voir et se parler. C'est déjà une grande chance. - Une chance! Tu veux dire une torture, tu es là sous mes yeux et je ne peux pas te toucher. - Moi, quand tu me manques, je repense à notre nuit d'amour en fermant les yeux. - La dernière fois que je l'ai fait je t'ai tuée. - Arrêtes de parler ainsi mon amour, tu ne m'as pas tuée. - Comment tu appelles ça, alors? - Tu n'étais pas consciente du danger que représente le fusain, mon petit ange. Une dernière fois Neila, arrête de te torturer en culpabilisant pour une chose qui n'est pas de ton ressort. Tu me rends si triste en parlant ainsi. Car je sens que tu l'es aussi pour un acte que tu n'as pas commis. Elle lève sa main vers le ciel en présentant sa paume à la jeune fille, celle - ci pose la sienne sur le papyrus. Je t'aime tant ma chérie et si tu m'aimes aussi n'en parle plus. Il y a d'autres sujets plus intéressants. Nos retrouvailles par exemple. Pense Neila que nous allons nous retrouver et faire ce dont nous avons tant envie toutes les deux. - J'aimerai tant que le fusain me dessine pour te retrouver tout de suite. - Malheureusement, d’après Kishar, tu ne peux pas. Et si c'était possible, qui nous sauvera? Même si cela me fait peur, je préfère que mon âme aille à Dieu, tu ne crois pas que c'est ce qui a de plus juste et de plus beau. - Tu as raison je raisonne comme une gamine capricieuse, je ne pense qu'à moi. 121


- Soit forte ma chérie, le fait d'être là à te parler est déjà une grande chance, je sais que tu pensais ne plus jamais me revoir. - Oui, c'est vrai, nous avons de la chance. Je te promets de ne plus être égoïste et de penser à vous tous. Au fait as - tu rencontré Djéser? - Non, pas encore Lakhdar a promis de m'y conduire . Je suis toute excitée à cette perspective. Nous serons les premiers archéologues à rencontrer celui dont l'étude nous a tant fascinés. - Oui, à quelque chose malheur est bon. - Que vas - tu faire en attendant? - Rester avec toi. Si je ne te vois pas chaque seconde que Dieu fait, le chagrin m'écrase. Tu me manques trop. - Je n'en attendais pas moins de toi amour de ma vie, sourit tristement Ismahane, heureuse de voir à quel point l'aime cette jeune fille si belle et si gentille.

- Maha, avant de partir de chez toi, j'ai fouillé à la recherche de l'album que tu m'avais montré pour garder un souvenir de toi. J’ai trouvé un paquet de lettres. J'ai reconnu l'écriture de grand - mère. De peur que ces plis ne te compromettent, je les ai emportés. Tout est ici. Je n'ai pas encore eu le temps d'y jeter un oeil. Que voudrais-tu que j'en fasse? - Tu peux garder les photos, mais pour les lettres je préfère que tu les brûles. Promets-moi que tu vas le faire. Ismahane ne veut pas que la jeune fille entre dans l'intimité qu'elle a jadis partagée avec Fifi. Cela lui fera peut être mal et ça Ismahane ne le veut pas, Neila souffre suffisamment comme ça. - Je le fais tout de suite, ainsi tu seras tranquille sur ce point. Elle va chercher le paquet de missives, prend un flacon d'alcool dans la pharmacie, les en asperge puis jette le tout dans l'évier de la cuisine. Elle gratte une allumette et les regarde se consumer. Neila n'étant pas curieuse elle n'éprouve aucun regret à voir brûler les preuves d'amour de sa grand- mère pour ce qui est devenu son amour à elle. - Voila, c'est fait mon amour. - Déjà, dis donc tu as fait vite. - Oui, Maha dis moi encore que tu m'aimes, prie -t- elle en caressant de ses doigts le papyrus à l'endroit où se trouve son amoureuse. 122


- Je t'aime Neila. Je t'aime depuis le jour où j'ai t'ai vue à l'aéroport à Alger. Depuis ce jour mon amour n'a cessé de grandir pour toi. Je n'ai vraiment été amoureuse que deux fois dans ma vie. De Fifi et de toi à présent, tu es le bonheur de ma vie, ma tendre chérie. - Oh, Maha mon amour, je suis follement, passionnément, éperdument amoureuse de toi aussi... Elle ne peut poursuivre tant les sanglots la suffoquent. Ismahane est aussi terrassée par la douleur, elle n'entend pas Lakhdar qui vient pour l'emmener voir le pharaon. Il lui tapote l'épaule en lui disant de le suivre. Elle lance un dernier regard à Neila et le suit ; une longue marche les attend pour arriver à la pyramide. Elle avait bien sûr visité ce tombeau, mais le temps avait défraîchi les décorations sur les parois. Elle découvre qu’ici tout est à l'état neuf, comme si les scribes venaient d'inscrire les hiéroglyphes. Elle est émerveillée de découvrir la première pyramide construite en Egypte. Neila ne dit à personne qu'elle se rend au Pakistan. De toutes les manières, vivant seule, elle n'a de compte à rendre à personne. Son oncle Redha avait emmené sa famille en Espagne. Elle est seule au monde comme des milliers d'autres dont le terrorisme a décimé les familles. Plongée dans ses pensées elle n'entend pas Samy qui hurle son nom. - Neila! Ninou! Neilichou! Neila t'es sourde ou quoi! - Oui, Samy excuse moi j'étais ailleurs. - Ecoute, j'ai parlé à Kishar et elle ne trouve aucun inconvénient à ce que tu dessines pour nous la nuit, c'est ce qui nous manque le plus. - Je peux même vous dessiner des vêtements et tout ce qui vous manque. - Pas bête l'animal, perds pas de temps, j'ai hâte de voir ça. - OK, je vais chercher le fusain. - Et rappelle-toi ne pense qu’aux objets, sauf si tu veux m’envoyer un bel Apollon, je ne dirai pas non. - Samy ! Le tance la danseuse.

123


- Je plaisantais banane, ce que tu peux être susceptible ! A toi de jouer Ninou. Elle sourit en allant chercher le fusain qu'elle avait caché tout en haut d'un placard, où il serait éloigné au cas où elle penserait à quelqu'un sans s'en rendre compte, elle se dit qu'elle pourrait rendre à Ismahane sa maison. Une bâtisse serait sûrement la bienvenue. Ainsi Djéser verra l'architecture de notre ère. Elle prend le papyrus et ordonne au fusain de dessiner la maison d'Ismahane, de constituer les quatre saisons, et que la nuit succède au jour. Mais comme elle n'est qu'un être humain elle s'en arrête là, sans trop savoir quoi ajouter pour leur confort, et des vêtements pour tout le monde. - Neila! qu'est-ce que tu as fait, c'est inouï, les quatre saisons et la nuit se succèdent sans arrêt, tu aurait mieux fait de refuser ce que je te demande. Ah mon Dieu, quelle galère. Crie un Samy désespéré. En effet les îliens sont abasourdis, en l'espace de quelques minutes, le soleil est de plomb puis, les feuilles leur tombent dessus par milliers, une pluie torrentielle s'abat sur eux, et enfin la nature redevient verte, il fait noir et quelques temps plus tard, il fait nuit. Neila ne peut s'empêcher de rire aux éclats contre mauvaise fortune bon gré les autres l'imitent. - Annule tout Neila, c'est trop. - Samy ce n'est pas un ordinateur, et le Ctrl + Z pour annuler n'existe pas, bon je vais essayer de stabiliser tout ceci. Fusain fait en sorte que les saisons et le jour la nuit se succèdent comme dans la vie réelle, pour le moment c'est l'été jusqu'à septembre ensuite il y aura quatre mois d'automne...etc. elle poursuit sans s'arrêter. Enfin tout semble se stabiliser. Voila j'ai cru que je n'y arriverai jamais. - Merci, Neila, tu as mené la danse d'une main de maître, je crois que tout va bien maintenant. - Tant mieux j'en suis heureuse. C'était quand même très drôle. - Oui, drôle pour toi, pas pour nous. Mais tout est bien qui finit bien. Je vais aller me baigner, tu viens, la taquine le jeune homme. - Un point pour toi, à toi de te moquer à présent, c'est légitime Samy. Bon je pense que j'ai fini, je vais ranger le fusain à présent, j'ai peur de penser à des humains, elle court le ranger et l’enfermer à double tour dans le placard. Ismahane a un large sourire en découvrant sa maison pas loin de la plage à l'ombre des palmiers. Elle ressent un pincement au coeur en 124


pensant que c'est là le théâtre de leur unique nuit d'amour. Quand Neila revient, ils sont tous à l'intérieur de la maison ravis de se trouver en terrain familier. Seule sa bien-aimée est restée là à l'attendre. - C'est gentil à toi de me rendre ma maison, mais elle me rappelle trop ton souvenir. Je ne sais pas si je vais pouvoir dormir dans ma chambre maintenant que tu n'es plus avec moi. - Arrête de remuer le couteau dans la plaie, je souffre quand j'y pense. Tu me manques Maha chérie, ton corps me manque, tes baisers me manquent, te toucher me manque cruellement. J'ai plongé avec toi dans un océan de bonheur puis j'ai échoué seule sur la plage déserte. Quand je pense que bientôt, Mon amour, je n'aurais que des photos pour penser à toi. C'est trop injuste. Ismahane ne répond pas, qu'aurait - elle pu dire pour consoler son amie, rien, absolument rien, elle le sait puisqu'elle souffre du même mal et aucune parole ne peut les réconforter. - Quand dois-tu partir pour le Pakistan ma chérie ?. - Dés que j'aurai obtenu mon visa. Samy m'a donné envie de me baigner, je vais faire un tour à la mer. - Vas y mon ange, ça ne sert à rien de rester là à te morfondre et amuse toi bien, à ce soir mon amour. Neila appelle ses amis qui habitent Club des Pins. Elle a chaud, et un bon bain à la mer lui fera du bien. En rentrant dans sa maison Ismahane découvre que rien ne manquait. Tout est comme elle l'avait laissé. La maison est assez grande pour abriter tout le monde. Elle les invite à choisir leurs chambres et prend elle même la chambre où elle avait installé Neila. Fatma explique à son amie le fonctionnement de chaque chose. Kishar est émerveillée. Djéser ne se lasse pas d'actionner l'interrupteur. Ce geste lui semble magique, la lumière diffusée par les lampes l'éblouit. Il se dit que ces gens sont vraiment extraordinaires pour avoir réalisé cela. Samy est fier de la technologie de son époque. Il se pavane devant la famille du pharaon qui réagit comme les enfants devant de beaux jouets. Lakhdar en jetant un coup d'oeil à la fenêtre, les appelle, il est tout excité. - Regardez le soleil, il s'est déplacé, il est au zénith. Dieu soit loué, nous auront la nuit à partir d'aujourd'hui.

125


- Oui, on pourra enfin dire, la nuit porte conseil, réplique Samy tout guilleret. - Samy tu peux venir avec moi j'ai quelque chose à te dire. - A me dire ou à faire, dit le jeune homme en lui lançant un regard coquin. - Il faut que je te parle Samy, il lui prend le bras et l'entraîne dehors. Ecoute Samy, on ne peut plus continuer ainsi, je ne suis pas pédé et je ne veux plus abuser de toi. Je m'en veux d'ailleurs d'avoir succombé aussi vite, j'aurais du maîtriser mes instincts. - Tu ne veux plus parce que maintenant il y a assez de femmes. Enfin à part la reine et ses deux petites filles, si tu ne l'as pas remarqué, elles sont toutes en couple, Kishar est avec Fatma, et Neila est folle dingue d'Ismahane qui l'est autant d'elle. Ah je vois c'est la reine qui t'excite. - Il ne s'agit pas de cela, enfin je ne sais pas. Tout ce que je sais c'est que je suis hétérosexuel tu comprends. Ma conscience m'interdit de continuer sur cette voie. Tu vois Samy quand un bateau est privé de son commandant il va à la dérive et s'éloigne de son chemin initiale et c'est ce qui nous est arrivé, du moins à moi. - Ta conscience hein! Et bien j'espère qu'elle te torture pour m'avoir violé la première fois. Bon n'en parlons plus. Tu ne m'es pas indispensable. Je peux me passer de sexe tu sais. Allez va, tu n'es pas le premier, tu ne seras que le dernier à me laisser tomber. Bientôt, nous ne serons plus. Nos âmes seront entre les mains de Dieu et nous n'aurons plus à nous tracasser. Je ne t'en veux pas, crois moi Lakhdar, tu m'as fait beaucoup de bien et je comprends ton choix. Et je ne suis pas amoureux donc je ne vais pas souffrir. - J'en suis heureux, je vais avec Ismahane dans le tombeau elle ne se lasse pas de le parcourir dans tous les sens. Fatma est à la fenêtre, elle exhibe des vêtements et appelle Samy , l'air heureux comme une enfant. - Viens Samy tu pourras désormais te changer. Il y a du linge pour tout le monde. - Alléluia !!! Samy accourt, il est heureux de pouvoir porter autre chose que ce qu'il a sur le dos, lui semble - t –il, depuis des lustres.

126


- Kishar! Tu es superbe dans cette robe, dit Fatma à la jeune danseuse toute intimidée devant son amie. Le fourreau noir lui va à merveille mais habituée à être tout le temps à demi nue, elle n'arrive pas à s'y faire. Mais le regard admiratif de sa petite fleur la flatte, elle se jette dans ses bras, ravie de lui faire plaisir. Fatma veut lui faire essayer d'autres habits, elle la dénude mais devant la beauté de ce corps, elle ne peut résister à l'entraîner sur le large lit. Samy n'ose pas les déranger, il ressort aussi doucement qu'il est rentré. Il est content pour Fatma, au moins elle sait ce qu'aimer follement veut dire. Et surtout elle a découvert l'extase dans les bras de son amie. CHAPITRE XVIII

En sortant de l'ambassade du Pakistan son visa en main, Neila se rend à l'agence d'Air Algerie pour acheter son billet. Elle transitera par Damas puis elle prendra un vol pour Karachi, le Mohenjo - Daro se trouvant à 300 kilomètres de cette ville. Arrivée à Karachi, elle prend un taxi jusqu'à Dadu qui se trouve à proximité du site. Là son guide qui l’y conduit, lui propose de l'héberger durant son séjour. - Connaissez-vous l'histoire du Mohenjo - Daro, cette belle cité antique? Lui demande le guide, tout en conduisant. - Non, mais vous allez me la raconter, et ça m’intéresse beaucoup. - Il y a à peu près cinq mille ans, commence le guide dans un anglais approximatif, s'est développé une civilisation qui était aussi grande que celle de l'Egypte et de la Mésopotamie. Elle s'est étendue sur toute la vallée de l'Indus, dont nous foulons le sol en ce moment même. Les hommes de ces temps lointains avaient bâti deux grandes cités: Harappa et Mohenjo - Daro. Ce n'est qu'en 1856 que leurs ruines ont été découvertes par hasard, par deux ingénieurs anglais, qui étaient venus pour installer une voie ferrée qui devait relier Karachi à Lahore. Et le monde entier a su que la vallée de l'Indus avait abrité l'une des plus grandes civilisations de l'antiquité. Voilà vous mourrez moins bête, puisque vous êtes un peu renseignée. Neila sourit, ces maigres informations ne lui apprennent que peu de choses. Mais sachant qu'elle en serait plus instruite sous peu, elle s'en contente et remercie d'un sourire son guide. Elle lui demande de l'accompagner au site et de l'y laisser. Il lui conseille de mettre un foulard sur la tête. Il la dépose et s'en va non sans l'exhorter à la prudence. 127


Dés qu'elle se retrouve seule, elle déroule le papyrus et, après avoir informé ses amis de son arrivée, elle récite la formule magique. Elle se retrouve dans une vallée verdoyante, la première personne qu'elle voit c'est Ismahane qui accourt vers elle, elle se jette dans ses bras en sanglotant, l'émotion de leur retrouvailles lui noue la gorge. - Tu m'as tellement manquée, Maha. Je n'osais plus espérer qu'un jour je me retrouverais encore contre ton corps adoré. - Tu m'as aussi manqué mon trésor, tellement si tu savais. Je suis si heureuse de te retrouver. Je t'aime, lui dit - elle contre sa bouche. Elles s'embrassent à perdre haleine, oublieuses de tout ce qui les entoure. Les autres regardent leurs retrouvailles avec attendrissement, ils sont tous heureux pour elles. Fatma enlace Kishar en se collant à son dos et en posant sa tête sur son épaule, elle pose ses mains sur le ventre de la danseuse et l'attire contre elle. - Elles sont si belles, murmure - t - elle à l'oreille de son amie, et comme je les comprends, si j'avais été aussi longtemps loin de toi, j'en serais morte de chagrin. Pour toute réponse son amie pose ses deux mains sur celles de son amoureuse et les presse contre son coeur. Je t'aime Kishar et tu me rends vraiment heureuse, c'est avec toi que j'ai connu le bonheur et la jouissance. Cette dernière tourne la tête vers sa mie et lui dédie un sourire plein de reconnaissance et de tendresse. - Toi aussi tu me rends heureuse ma petite fleur chérie. Elle reçoit en récompense un regard adorateur. Je ne veux pas jouer les rabats joie mais on doit y aller, Anshar doit être au temple à l'heure qu'il est. - C'est si beau l'amour, tonne Samy en essuyant une larme, tu sais Neila, Ismahane était si triste et s'isolait tout le temps. Je suis heureux que vous soyez enfin réunies. Les deux amies le remercient d'un sourire chaleureux. Neila lance un regard appuyé à son amour retrouvé, s'enlaçant toutes deux elles suivent l'indusienne qui, la main dans celle de Fatma, les guide vers l'immense cité. Lakhdar n'en croit pas ses yeux, cinq mille ans plus tôt des hommes étaient assez ingénieux pour construire une ville telle que le Mohenjo Daro. Elle est construite tel un damier. Les maisons sont rectangulaires et de larges rues les séparent. Des ruelles étroites abritent les boutiques. Il existe une seule avenue principale. Il n'y a aucune impasse, toutes les rues aboutissent aux remparts de la ville. Tout est construit avec des 128


briques rouges, de fabrication locale. Elles conservent la fraîcheur à l'intérieur des maisons. Kishar les entraîne vers une des demeures en leur assurant qu'ils seront très bien accueillis, car elle est habitée par son amie. Fatma la regarde inquiète, Kishar la rassure d'un sourire. - C'est une soeur ma chérie, ne crains rien. Tu es mon seul et unique amour, nul ne te remplacera dans mon coeur. Ce qui rend le sourire à la jeune fille. Elle les fait pénétrer dans une élégante bâtisse. Ils aboutissent à une cour intérieure ornée de plantes. Une femme petite de taille, portant une robe allant jusqu'aux genoux et maintenue à la taille par une ceinture, vient à leur rencontre. Elle est parée de bijoux d'or, de nacre et de jade. Un large sourire étire ses lèvres vermeilles, dés qu'elle reconnaît la danseuse. Elle la serre dans ses bras, les deux jeunes femmes paraissent heureuses de se retrouver. - Tu es partie si longtemps Kishar qu'on t'a crue morte. Qui sont ces gens qui t'accompagnent? Des égyptiens? - C'est une longue histoire, ma soeur. Ce sont mes amis. Accepte - tu de les héberger? - Bien sûr, vous êtes tous les bienvenus, les amis de Kishar sont mes amis. Entrez, je vous prie. Elle les introduit dans un vaste salon au dallage rouge et lisse qui se termine en pente douce vers un angle au coin de la pièce. - Je dois aller au temple, annonce Kishar, je te confie mes compagnons, tu t'en occupes, n'est - ce pas? - Pars sans crainte, ils sont en de bonnes mains. Une femme portant le même habit que la maîtresse de maison, mais sans les bijoux, avance vers eux, un plateau dans les mains. Elle leur sert des rafraîchissements et repart aussi silencieuse qu'à son arrivée. Ils se désaltèrent, Fatma ne cesse de regarder du côté de l'unique fenêtre. - Ne vous inquiétez pas, elle sera bientôt là, lui dit son hôtesse qui a compris. Est - ce que vous venez d'Egypte? - Nous venons de plus loin, mais Ismahane que voici vient, elle, d'Egypte, répond Fatma sans vraiment la regarder. 129


- Et où se trouve votre pays et d’où venez - vous? - C'est une longue histoire. - Décidément, toutes vos histoires sont longues. Un homme de petite taille fait irruption dans le salon. Il affiche un air étonné en voyant tous ce monde réuni chez lui. - Je vous présente mon frère. Ce sont des amis de Kishar. - Kishar est revenue? C'est bien, donc elle est toujours vivante. Tu vois, je t'avais dit de ne pas t'inquiéter pour elle, c'est une dégourdie. A tout à l'heure, je vais au magasin, il sort en lançant un regard appuyé à Neila. - Tu lui plais, murmure Ismahane à l'oreille de Neila. - Je t'aime, lui répond - elle, en la regardant tendrement et je n'aime que toi. En plus avec son menton fuyant et son front bas il ne risque pas de me plaire. Je n'aime pas non plus ses lèvres épaisses et sa barbe en collier, plaisante- t - elle. - Je t'aime aussi mon coeur, dit Ismahane en riant à la description parfaite faite par la jeune fille, je suis heureuse que tu sois à nouveau avec moi, et je peux dire que grâce à toi je voyage dans le temps et je visite des contrées dont je ne pouvais qu’imaginer les splendeurs réelles et c'est le comble du bonheur pour l'archéologue que je suis. Pour toute réponse, Neila sert la main de sa bien-aimée dans la sienne, lui communiquant par ce truchement tout l'amour qu'elle a pour elle. Kishar revient peu de temps après. - Je n'ai pas pu rencontrer Anshar, il était en méditation, nous le verrons demain, nous passerons tous la nuit ici, prenant Neila à part elle lui dit qu'il fallait qu'elle reste avec eux, sinon cela paraîtrait louche qu'elle disparaisse. - Avec plaisir Kishar, l'émotion l'empêche d'en dire plus. Elle allait passer la nuit avec sa dulcinée le reste importe peu. La maîtresse des lieux les guide vers des chambres spacieuses et les invite à se mettre à l'aise avant le dîner. Kishar les emmène faire un tour dans la ville. Le soir lorsqu'elles se retrouvent seules, dans leur chambre, Neila enlace son amie et la presse contre son coeur. Elles se caressent fiévreusement, chacune voulant donner le meilleur d'elle même, 130


conscientes toutes deux que cette nuit sera peut être la dernière qu'elles passent ensembles. - Je n'ai jamais aimé personne comme je t'aime Maha, dit Neila, blottie contre son amoureuse, la tête sur sa poitrine, elle écoute son coeur battre à tout rompre et hume avec délice le parfum de son corps. Je ne veux pas dormir, je veux savourer chaque instant et graver ses détails dans ma mémoire. Quand tu ne seras plus là, ils te rappelleront à mon souvenir. Je m'en veux tellement si tu savais mon amour. - Chut, tu n'as pas à t'en vouloir mon coeur, embrasse moi plutôt, elle ne se fait pas prier pour replonger dans les délices de l'Eden, son Eden retrouvé. - Qu'est - ce que je vais devenir sans toi Maha? Comment je vais faire pour vivre sans toi? Tu es ma vie, mon soleil, mon printemps, après toi il n'y aura plus que des nuages dans ce ciel que tu as rempli d'étoiles. - Les nuages se dissiperont et le soleil te réapparaîtra plus éclatant encore, car tu rencontreras quelqu'un qui t'aimera autant que je t'aime, tu le mérites tant mon amour. - Je n'aimerai jamais personne comme je t'aime toi bonheur de ma vie, je le sais, je le sens. - Nous ne sommes pas fait pour n'aimer qu'une fois mon ange j'en ai fait l'expérience, moi aussi j'ai cru que je n'aimerai jamais aussi fort que j'ai aimé Fifi, et pourtant je t'aime toi dix fois plus. Crois-moi mon trésor, tu seras de nouveau amoureuse et tu m'oublieras. - Jamais je ne t'oublierai Maha, tu es mon premier véritable amour et tu vivras toujours dans mon coeur. - Oh chérie, je t'aime si fort. - Je le sais, tu me l'as assez prouvé, et je veux que tu me le montres encore et encore, je ne serai jamais rassasiée de toi, jamais. Leurs mains se recherchent fébrilement voulant atteindre les cimes du bonheur absolu. Repues elles s'endorment étroitement liées, bouche contre bouche. Ismahane se réveille la première, elle contemple avec tendresse Neila abandonnée dans ses bras. Elle ne veut pas la réveiller mais elle ne peut s'empêcher de promener sa main sur le corps parfait. Neila ouvre les yeux et sourit avec bonheur. Sa Maha est là à la couver du regard. Elle lui 131


fait un collier de ses bras et l'attire à elle avec avidité et couvre son corps du sien. - Je suis lourde et je vais t'écraser mon amour, lui fait remarquer l’égyptienne. - Non, j'aime le poids de ton corps sur le mien, reste comme ça, tu ne m'écrases pas du tout. Elles se font un gros câlin, persuadées qu'elles n'auront probablement plus l'occasion de se retrouver ainsi. Elles se donnent, corps et âmes, l'une à l'autre. Après avoir pris leur petit - déjeuner, et remercier leur gracieuse hôtesse, les compagnons s’en vont et se dirigent vers une imposante construction qui, d'après Kishar, sert de temple et de bain. Ils remarquent que tous les habitants de la cité ressemblent à la soeur et au frère qui les ont hébergés, sauf que certains hommes ont les cheveux longs et torsadés, contrairement au frère de l'amie de Kishar , qui lui les porte courts. Ils portent tous un long morceau d'étoffe, enroulé autour de la taille, recouvrant l'épaule gauche et attachée à celle de droite. Ils arrivent devant le temple, en entrant ils découvrent une piscine rectangulaire qui occupe toute la partie centrale. Elle est entourée de petites pièces qui possèdent toutes leurs escaliers et un puits. Kishar se dirige vers l'une des cavités, suivie de ses compagnons. Le prêtre est en train de faire ses ablutions. Il est étonné de voir Kishar. Son large sourire prouve sa joie de la revoir. - Kishar tu es revenue! C’est un vrai miracle nous t'avons tous cru perdue à jamais. Approchez tous mes enfants, dis moi ma fille as - tu réussi ta mission, reviens - tu avec le fusain? - Non, Djuman m'a trahie et Djéser nous a démasqués. Il nous a tous fait tuer. Nous sommes tous là grâce à Neila que voici, elle la désigne du doigt, nous avons remonté le temps pour revenir ici. Neila et ses amis viennent d'une époque plus jeune que la notre de cinq mille ans. Oui, Anshar, cinq mille ans ont passé depuis que tu m'as envoyée en Egypte. Le fusain sévit toujours et aujourd'hui c'est Neila qui le possède. Je sais cela te parait invraisemblable. Elle lui conte toute l'histoire depuis le début, Anshar a du mal à comprendre mais il ne peut que croire ce que lui raconte sa protégée. Ismahane est la dernière victime du fusain, du moins il faut l’espérer. Le vieil homme regarde cette dernière avec compassion. 132


- Est - ce que quelqu'un d'autre connaît l'existence de ce fusain dans votre monde Neila? - Non, mais la tombe qu'a découverte ma grand - mère est accessible à tous, n'importe qui sachant lire le hiéroglyphe pourra savoir qu'il existe. - Oui, mais il n'est plus dans la tombe. Donc personne ne peut plus mettre la main dessus. Est - ce que vous l'avez là? - Non, je l'ai laissé chez moi à des milliers de kilomètres d'ici. Je ne veux pas risquer encore une fois de tuer d'autres personnes par ma seule pensée. - Comme je vous comprends mon enfant, je sais maintenant que le fusain est entre des mains saines. Cela me rassure grandement. - Si nous sommes là c'est justement pour découvrir comment nous débarrasser du fusain pour l'empêcher de voler d'autres âmes. Et surtout pour sauver leurs âmes d'une errance éternelle. - C'est très simple ma fille, vous n'aurez qu'à finir l'histoire qu'a commencée votre grand - mère, de confier le fusain à Kishar et de brûler le papyrus sur lequel ils sont représentés. Et leurs âmes iront chacune vers sa réelle destinée, je sais que tu suivras mes instructions à la lettre sinon qui sait ce que vous deviendrez tous. - Oui, c'est en effet très simple, mais si je rentre chez moi, comment je vais faire pour les rejoindre? - Facile, il te suffit de remplacer Atlantidis par fusain magique, et le tour est joué, tu pourras les rejoindre quand tu voudras. Où tu voudras. Vous pouvez retourner chez vous à présent, je vais prier pour ma part, pour vous et pour toutes nos âmes. Adieu mes enfants, j'ai été heureux de vous rencontrer tous. - Je vais rester pour prier aussi, leur dit Kishar, j'en ai vraiment besoin, finit - elle en s'adressant à Fatma. - D'accord, on t'attend dehors. - Il me faut trouver une fin à cette histoire vous devriez m'aider vous. - Tu n'as qu’à dire que fatigués les uns des autres nous nous sommes entre-tués sauvagement, plaisante Samy en souriant malicieusement. Ou que j'épouse Fatma, Lakhdar épouse Ismahane...

133


- Trouve autre chose, l'interrompe Neila, bon on aura tout le temps d'y penser, puisque je pourrai revenir vous voir quand je veux, crie - t - elle en soulevant Ismahane de terre et faisant une pirouette avec elle dans les bras. Pense que nous allons nous revoir tout le temps autant que je veux. Enfin pas pour longtemps je sais je dois d'abord penser à vos âmes, je le sais. Mais ce ne sera pas la dernière fois aujourd'hui, c'est ce qui compte. - Il est temps de nous quitter, lui dit Kishar qui était revenue entre temps, je ne crois pas qu'il soit bon de nous attarder plus, elle la regarde tristement sachant qu'il serait dur pour elle de quitter Ismahan. Neila se jette dans les bras de son amie en lui promettant de vite revenir pour la voir. Elles restent un long moment enlacées n'ayant nul besoin de parler. Neila ne peut se détacher de la femme qu'elle aime. Elle prononce tout de même la formule, la mort dans l'âme. Elle se rassure en se disant qu'elle allait la revoir bientôt. Forte de cette perspective, c'est sans trop de tristesse qu'elle marche vers la route qui la mène chez son guide. Celui - ci l'accueille affolé. - Où étiez vous? J’ai cru qu'on vous avait kidnappée. Il est arrivé une chose horrible aux Etats Unis une attaque terroriste sanglante, horrible. Vous devez rentrer chez vous au plus vite. Sans plus attendre. - Une attaque terroriste? Qui a fait ça? - On soupçonne Ben Laden. Venez je vous raccompagne à l'aéroport. C'est un grand malheur, des morts par milliers. Chez vous vous serez plus en sécurité. - D'accord, j'ai une place sur le vol d'aujourd'hui, donc ça tombe bien. - Partons tout de suite. Nous ne seront pas seuls, il y aura avec nous dans la voiture un homme et sa femme qui doivent se rendre à Karachi. Cela ne vous dérange pas j'espère. Ils ne parlent pas anglais eux, finit - il avec un accent de fierté dans la voix. - Cela ne me dérange pas du tout. Neila ne sait pas encore ce qui s'est réellement passé aux Etats Unis, elle est désolée que le terrorisme ait encore une fois frappé. Elle avait déjà entendu prononcer le nom de Ben Laden lors des attaques des deux ambassades américaines au Kenya, mais elle ne l'avait jamais vu. Elle aura plus de renseignements, une fois rentrée. Pour le moment elle se cale contre son siège, ferme les yeux et repense aux derniers moments passés avec Ismahane. Elle est heureuse de savoir qu'elle la retrouvera une fois chez elle à Alger. Mais pour combien de temps? Se dit – elle, ce ne serait-il pas simplement reculer pour mieux sauter ?. Car elle le sait 134


elle doit la laisser partir. Elle a eu la chance de la retrouver après sa mort. C'est déjà largement suffisant. Cette fois il lui faudra lui dire au revoir pour toujours. Elle se promet que ni elle ni Ismahane n'oublieront leur ultime tête - à - tête. L'aéroport grouille de monde, des européens rentrent chez eux en catastrophe, elle a du mal à se frayer un passage jusqu'au guichet, elle y arrive et ne se sent soulagées que lorsqu'elle se retrouve sur son siège dans l'avion prêt à décoller.

CHAPITRE XIX

Dans l'avion, un journal sur les genoux, Neila mesure toute l'étendue de l'horreur de l'acte terroriste perpétré à New York, deux jours plus tôt. Elle regrette les deux tours jumelles qu'elle rêvait de visiter un jour. Une idée traverse son esprit : "Et si j'utilisais le fusain pour faire disparaître tous ces terroriste de la terre, les reconnaîtra - t - il tous? Combien sont - ils éparpillés dans le monde? Trop sans doute. Il y a trop de pauvres et de laissés pour compte que des hommes mal intentionnés enrôlent pour commettre leurs méfaits. Mais je ne peux pas faire ça évidemment, leur sort est entre les mains de Dieu, lui seul peut décider de leur châtiment." Elle reconnaît que l'attaque est sans précédent. En Algérie le terrorisme a frappé aussi durement puisqu'il lui a ravit sa famille, son frère qu'elle adorait. Il l'a laissée orpheline comme des milliers de ses compatriotes et d'enfants dans le monde. Samy se promène seul sur l'île, lorsque, Amenosis le fils de Djeser, le rejoint et se rapproche de lui et lui dit tout de go: - Parle - moi de ton monde, celui où on construit des monstres volants, dis moi tout. - Que veux - tu que je te dise? Il y a eu tellement de changements tant de découvertes que tu vas en avoir la tête toute retournée et je ne sais même pas si tu vas tout comprendre ou imaginer. - Essaye quand même. - Eh bien l'invention qui risque de t'étonner, c'est la prodigieuse évolution des moyens de communications entre tous les pays de la terre. Figure toi qu'aujourd'hui on peut parler en directe avec des personnes qui se trouvent à des milliers de kilomètres, cela s'appelle soit le téléphone soit le fax ou la dernière trouvaille, la plus élaborée et la moins cher, l’Internet, 135


il sourit devant l'air ébahi de son interlocuteur, tu vois je t'ai dit que tu seras loin d'imaginer tout ceci. Tu vois, à votre époque il fallait envoyer des émissaires à cheval qui pouvaient mettre des jours avant que le message n'arrive. Tout ça c'est fini. Le message arrive au moment où tu parles épatant non? - Oui, cela me parait inouï. Qu'y a - t - il comme autre invention? - A votre époque pour circuler vite il fallait des chars tirés par des chevaux, eh bien aujourd'hui on n'a pas besoin de ces animaux pour nous déplacer, on les a remplacé par des moteurs, hum, c'est difficile de t'expliquer tout ça tu as cinq mille ans de retard sur nous comment pourras tu saisir ce que je dis. - Je pense pouvoir, dit l'adolescent en se rapprochant timidement de Samy et en lui prenant la main en rougissant. - Ce qui n'a point changé par contre, continue Samy qui a compris que le jeune garçon attend tout autre chose de lui, c'est tout ce qui est rapport entre les humains. C'est toujours aussi compliqué. - Ah oui, rien n'a changé dans ce domaine? - Non, absolument rien. Toi par exemple, je sens que tu préfères les hommes. Est - ce que je me fourvoie? - Non, mais parle moins fort, on peut nous entendre. - On t'étriperait, ça non plus ça n'a pas trop évolué on nous voit toujours de la même façon, des bêtes curieuses. Ne t'en fais pas nous sommes trop loin du camp. - En fait je l'ai toujours su, mais je ne suis jamais passé à l'acte, j'avais trop peur. Mais puisque vous dites tous que nous n'allons bientôt plus exister je veux en faire l'expérience. - Et tu veux que je sois ton professeur dans cette matière. Je ne demande pas mieux. Mais tu vois, moi je suis plutôt du genre passif. Tu ne comprends pas. O.K., je vais faire plus simple, je préfère jouer le rôle de la femme. C'est plus clair pour toi, bien. - Je suis prêt tu n'as qu'à me guider, je suis vif et je comprends très vite. Quand commencerons-nous les leçons ? - Suis – moi, l'école commence tout de suite. - Où allons - nous? 136


- Nous allons mettre le plus de distance possible entre nous et les autres. Je n'ai pas envie d'être interrompu au milieu du cours, viens vite. La leçon a du fortement lui plaire, car Amenosis se présente devant sa mère les yeux remplis d'étoiles. - Tu es bizarre mon fils, il y a quelque chose de changé en toi depuis ce matin, tu as l'air aux anges. - C'est que je suis toujours heureux de vous retrouver mère, lui dit - il sans se départir de son sourire béat. - C'est fou mais je jurerais que tu viens de faire l'amour. Ton sourire niais et tes joues rouges en sont les signes. - Mais non, mère qu'allez - vous chercher là? Et en se détournant pour cacher la rougeur qu'il sent monter à ses joues, il rajoute, vous vous faites des idées. - Mais tu sais ce n'est pas grave à ton âge et tu mens très mal. Qui est ce ? Fatma, Kishar ou Ismahane? - Je vous ai dit que vous vous trompez mère. N'en parlons plus. J'ai une faim de loup. - Comme tu voudras mon fis, mais n'oublie pas que tu peux tout me dire. Je suis ta mère et ton bonheur est aussi le mien, enfin pour ce qui nous reste à vivre. - Je ne l'oublie pas mère, mangeons. Il avale son déjeuner en vitesse, pressé de retrouver Samy qui lui a demandé de le rejoindre après le repas pour des cours de perfectionnement, avait - il dit. Et des leçons, Amenosis sent qu'il en redemandera. Kishar attire Fatma à elle et la serre à l'étouffer, elle veut profiter de chaque instant qui lui reste avec elle. - Pense mon amour que nous serons bientôt séparées pour toujours, moi je serai réincarnée et toi tu retrouveras ton Dieu. - Kishar, j'ai résisté mais je ne peux pas m'imaginer loin de toi, je ne peux lutter contre ce sentiment impérieux qui me lie à toi, corps et âme. Je t'aime tellement Kishar que je mourrai pour toi.

137


- Je t'aime encore plus fort ma petite fleur adorée. Nous passerons ces derniers moments ensemble. Je ne sais pas quand Neila va brûler le papyrus et je veux profiter de chaque seconde passée en ta compagnie. - Neila va revenir pour nous l'apprendre et je sais qu'elle retardera au maximum la séparation. Elle et Ismahan s'aiment autant que nous et elle aussi voudra profiter de ses derniers moments avec elle. La séparation sera dure pour nous tous. - Qui sait mon petit oiseau, peut être nous retrouverons-nous dans un autre monde, ce serait le rêve. J’espère seulement que Neila ne faillira pas à sa mission, je ne voudrais pas que l’amour qu’elle porte à Ismahane lui fasse reculer l’échéance plus longtemps que prévu. - Ce n’est pas moi qui m’en plaindrai Kishar. Bien au contraire, je suis même tentée de le lui demander. Kishar, je voudrai rester seule un petit moment pour prier. Tu m'attends n'est ce pas? Je ne serai pas longue. Ensuite je voudrai que tu danses pour moi, tu es si belle quand tu danses. - Tout ce que tu voudras mon amour, va et reviens vite tu me manques déjà, quant à demander à Neila de reculer l’échéance je te conseille de l’oublier, tant que le fusain reste actif, il sera dangereux pour les innocentes créatures, crois moi. Dés qu'elle arrive chez elle, Neila ne prend pas le temps de ranger ses affaires, la seule chose qui l'intéresse c'est de retrouver la femme de sa vie. Elle prend le papyrus et prie pour que Anshar ne se soit pas trompé sur la formule. Son coeur bat à tout rompre. Elle ne sait pas encore comment elle va finir l'histoire et quel dénouement lui donner. Elle y pensera plus tard, aidée de ses amis. Elle décide de dessiner un gros bouquet de roses rouges qu'elle offrira à son amie. Elle ordonne au fusain de le faire, puis celui - ci serré dans sa main elle récite la formule. Une seconde plus tard elle se retrouve sur l'île paradisiaque. Elle ramasse la gerbe de fleures. Kishar est seule, elle trace des formes sur le sable. Neila va vers elle. - Bonjour Kishar. Peux - tu me dire où se trouve Ismahane? - Tu as hâte de la retrouver hein? As - tu pensé à trouver une fin à cette aventure? - Non, je t'avoue que je n'y ai pas encore réfléchi, je compte sur vous pour m'aider. - Cette île nous a inspiré tant d'amour que nous aurons tous du mal à la quitter, même toi Neila. 138


- Je sais ce sera difficile pour tout le monde, mais il faudra bien nous séparer, la vie est ainsi faite. - Ismahane nous a dit que tu avais perdu toute ta famille, tu es courageuse Neila tu nous l'as prouvé en nous aidant. Je t'en suis très reconnaissante. Tu n'as pas hésité une seule minute à te rendre dans des pays que tu ne connaissais même pas. - Cela m'as permis de découvrir des endroits merveilleux et c'est le plus important à retenir. Et je t'avoue que mon empressement à accepter cette mission était poussé par la joie de retrouver Ismahane. Tu peux me dire où elle est ?. - Regarde dans la maison, elle y était tout à l'heure et je ne l'ai pas vue en sortir. Neila, appelle - t - elle la jeune fille qui se précipite sur la demeure et qui se retourne, merci. - J'ai été heureuse de vous connaître tous, et ne me remercie pas, je n'ai fait que mon devoir. Maha! crie - t - elle en arrivant devant la maison. - Neila! c'est toi mon amour. Oh, c'est pour moi tu es trop gentille mon ange, elles sont superbes, merci, et elles sentent bon. - Oh, que je t'aime Maha, que je t'aime. Si je m'écoutais je ne détruirais jamais ce papyrus de malheur. Elle se colle de tout son long contre l'égyptienne qui l'accueille dans ses bras avec un soupir de bonheur. Mais je sais que ce serait un sacrilège. Il faut que je termine l'histoire. - Tu n'as qu'à terminer en imaginant que nous avons construit un immense radeau et que nous avons navigué jusqu'à ce que nous trouvions une terre habitable. A la fin chacun est rentré chez lui, des souvenirs plein la tête. Ainsi les naufragés de l'île fantastique ont été sauvés. - C'est une bonne idée. D'accord ce sera ainsi. Mais avant je veux profiter un maximum de ta présence auprès de moi. - Moi aussi je le veux, mon amour, mais plus nous retardons l'échéance et plus nous souffrirons. Tu dois être forte ma chérie et te résigner. Tu es vivante toi et tu as toute la vie devant toi. Nous, nous sommes morts, tu dois nous laisser partir. - C'est trop douloureux.

139


- Je sais mon trésor, la mort est toujours synonyme de douleur. Mais nous n'y pouvons rien. C'est comme ça depuis toujours. Et nul n'a le pouvoir de changer cela. - Tu es si pressée de me quitter? - Je t'ai déjà quittée, mon coeur. Je ne suis plus. Ce que tu vois n'est que l'illusion de moi même créée par la magie du fusain. Si tu persistes à vouloir reculer le moment de la séparation, tu te perdras ma chérie et Dieu sait ce qui arrivera. Tiens prends ça, elle ôte son collier et l'attache au cou de Neila, ce sera le seul souvenir que je puisse te laisser. - Je le porterai toute ma vie, je te le promets. Est - ce que c'est ton prénom sur le cartouche ?. - Oui, c'est Ismahane en hiéroglyphe, c'est un cadeau de ma mère. - J'en prendrai soin pour toi,v ma bien aimée. - A présent repars pour finir l'histoire et... Les pleurs l'empêchent de finir sa phrase, elle attire Neila contre elle et l'étreint passionnément. - J'y vais, attends moi, je ne serai pas longue c'est une question de minutes et je serai de nouveau avec toi pour la dernière fois. - Oui, je t'attends amour de ma vie, je t'aime ma chérie, ne l'oublie jamais. - Comment pourrai - je oublier la femme qui s'est emparée de mon coeur pour la première fois avec autant de force. - Alors à bientôt, ma chérie. - A tout de suite tu veux dire. Je me hâte. Elle s'accroche à elle en lui offrant ses lèvres. De retour dans son appartement Neila ordonne au fusain de dessiner un radeau sur lequel ils pourront tous s'installer et rejoindre leur destin. Quand elle revient sur l'île, ils sont tous debout autour de l'embarcation. - Tu as vu Neila, c'est notre "Radeau de la méduse" et toi tu es notre "Liberté guidant le peuple", plaisante Samy. La jeune fille sourit tristement en prenant la main d'Ismahane dans la sienne. Lakhdar, qui veut laisser à tout le monde le temps de se dire au revoir, décrète :

140


- Nous partirons demain matin, ainsi nous quitterons cette terre où nous avons vécu une aventure des plus extraordinaires, surtout pour nous autres archéologues et je sais qu'Ismahane est de mon avis, celle - ci hoche la tête en silence, trop émue pour pouvoir parler. - Il ne nous reste donc qu'une seule nuit pour nous dire adieu, renchérit Samy, je dois dire que je ne regrette en rien cette belle aventure comme a dit Lakhdar, et nous avons tous appris beaucoup de choses. Cette île nous a aussi révélé à nous même, termine - t - il en lançant un regard éloquent à Fatma. - Oui, et je n'ai pas honte de l'avouer, cette île m'a fait découvrir le don de soi et la fraternité mais aussi l'amour avec un grand A, elle lance un coup d'oeil à Kishar qui boit ses paroles, si je n'avais pas été là qui sait ce qu'aurait été ma vie, une éternelle soumission. Alors qu'ici j'étais libre comme l'air. Aucune contrainte ni aucun harcèlement moral. Je m'en vais le coeur léger comme une plume. Elle finit en enlaçant son amie qui ne l'a pas quittée du regard. - Je vais rester avec vous jusqu'à votre départ demain, dit Neila en plongeant son regard dans celui de son amie qui acquiesce en silence. La nuit tombe en enveloppant les amours de son manteau noir. Kishar et Fatma, Samy et Amenosis, Neila et Ismahane s'apprêtent à passer leur dernier moment de bonheur. - Ce sera vraiment la fin demain, Kishar. Nous n'existerons plus, sur terre du moins. Seule Neila aura connu notre étrange histoire. - Oui, ma petite fleur, profitons de ces ultimes instants. Si je m'endors réveille-moi, j'en ferai de même pour toi. Je voudrai que cette nuit soit inoubliable. - Moi aussi Kishar! Je n'ai jamais connu la joie que j'ai éprouvée entre tes bras, jamais! dit - elle avec véhémence. Tu m'as fais connaître le bonheur absolu, celui qu'on ne rencontre qu'une fois dans une vie. Le fusain m'a sauvée d'une vie qui s'annonçait morne avec un homme que je n'aimais pas. A quelque chose malheur est bon comme dit le proverbe. - Tu me fais énormément plaisir en me disant tout cela mon amour. Moi aussi j'ai été très heureuse avec toi. Elle s'empare de ses lèvres et l'embrasse avec tant de tendresse que le coeur et le corps de Fatma chavirent de concert. - Tu sais Samy, il est vrai que notre intimité n'est née qu'hier, mais moi j'ai l'impression que nous l'avons toujours été, intimes je veux dire. 141


- Je l'avais compris, tu me prends pour un taré ou quoi? - Mais non, tu sais bien que non. Je ne sais pas quoi te dire et je sens dans mon coeur que je ne t'en dirai jamais assez. - Eh bien oui, tu vois c'est trop tard. C'est notre dernière nuit et demain pfuuit ! on disparaît comme si nous n'avions jamais existé. En plus je n'entrerai même pas dans l'histoire. Toi tu y es car ton père a été pharaon, le mien était plombier, trop banal pour avoir un nom dans les anales. - Tu crois qu'on peut aimer quelqu'un en un seul jour? - On peut aimer en une seule seconde ça s'appelle le coup de foudre. - Eh bien, je crois que c'est exactement ce qui m'est arrivé. A la seconde où je t'ai vu j'ai été fou de toi. Cela ne m'était jamais arrivé auparavant. Et toi? - Navré de te décevoir mais pour moi tu n'es qu'une conquête de plus, comme je n'avais rien à me mettre sous la dent et tu t'es offert sur un plateau d'argent je n'allais quand même pas refuser. Je ne t'aime pas, mais j'aime faire l'amour avec toi. Comme on dit chez nous si tu trouves un pain fraîchement sorti du four tu serais bête de ne pas en manger. - Tu pourrais me mentir et dire que tu ressens quelque chose pour moi. Pense que demain tout sera fini. - Oui, mais mentir sur mes sentiments ce n'est pas dans mes habitudes. Je préfère rester honnête jusqu'à la fin. Mais j'avoue que tu m'attendris. - C'est déjà pas mal, cela veut dire que tu as un peu d'affection pour moi, je m'en contenterai, demain nous ne serons plus, donc cela ne changera rien. Profitons de cette dernière nuit d'ivresse. Neila allongée contre Ismahan, la joue sur son épaule et le front collé à son cou, laisse sa main dériver sur le corps aimé. - A quoi tu penses mon ange ? Je sens à travers ta main que tu es distraite par quelque chose. Dis-moi mon trésor. - Tu n'as pas tort. Je pense à l'après toi. A ce que je vais devenir sans ta présence auprès de moi. Je n'ai pas le courage de l'affronter Maha, c'est trop dur. Quand je brûlerai le papyrus, il ne subsistera de toi que ton collier. Oh, Maha! Qu'est - ce que sera ma vie sans toi? Je ne peux 142


supporter de te perdre encore une fois. J'aurais voulu disparaître avec vous tous. - Neila écoute moi chérie, je serai toujours là, elle pose sa main sur le coeur de la jeune fille, en toi. Je vivrai dans ta mémoire et dans tes souvenirs. Je t'interdis de m'oublier mais je veux que tu vives, pour moi, pour nous. - Tous ceux que j'aime sont morts, et maintenant c'est à toi que je dois survivre, c'est trop dur, trop triste. - Neila ma chérie, un jour tu aimeras à nouveau, tu trouveras encore une fois ta raison de vivre. Crois-moi, mon amour, c'est comme ça. Cela te parait irréalisable maintenant, et pourtant c'est dans notre nature d'aimer encore et toujours. Ne te renferme pas sur toi. Ouvre- toi aux autres et tu rencontreras à nouveau le bonheur, il viendra à toi je te le promets. - En attendant je vais beaucoup souffrir puisque mon coeur se déchire déjà. J'ai trop de chagrin, Maha. - Je ne dis pas le contraire. Mais ne laisse pas la souffrance te submerger, te dominer, sois plus forte. Si elle prend le dessus tu seras perdue. Si c'est toi qui la surmontes tu verras qu'il y a tant de beauté dans le monde, que la vie vaut vraiment la peine d'être vécue. Ne me laisse pas partir pétrie d'inquiétude pour toi mon trésor. Permets moi de m'en aller, le coeur lourd certes mais délesté de la peur pour ton devenir et rassurée sur ton futur sort. - Je te jure que je vais tout mettre en oeuvre pour ne pas me laisser abattre, et continuer à vivre pour nous. - Ce sera dur au début, mais tu seras patiente. Tu verras ma chérie que le temps guérit toutes les douleurs. - C'est ce que m'a dit grand - mère un jour. - Tu vois nous sommes deux à le savoir, nous ne pouvons donc pas mentir. Fais confiance à notre âge et à nos expériences. Tu seras triste, mais la peine ne s'éternise pas si on la combat de toutes nos forces. C'est un peu long à vaincre mais c'est possible, il suffit de le vouloir mon coeur. Ne reste jamais seule, vois tes amis, sors le plus possible. Ne t'enferme pas chez toi, ce sera le meilleur moyen de t'apitoyer sur ton sort. Remplis ta vie et tes journées et le chagrin se dissipera tout seul sans que tu ne t'en rendes compte. Ce sont là les seuls conseils que je peux te donner et sache mon cœur qu’il n’y a que l’amour qui guérit l’amour. 143


- Fais - moi l'amour Maha, plonge moi dans l'ivresse de l'oubli, prie subitement la jeune fille, fais de cette nuit un sanctuaire de l'amour. Noiemoi dans l'océan de tes caresses. Remplis mon corps et mon coeur de ton fluide, de ton nectar. Liquéfie-moi de tes mains, anéantis-moi sous tes lèvres, fais-moi boire à ta source. Fais-e moi ton pantin pantelant et désarticulé. Arrose mon désert de ton miel et de ta liqueur. Fais-moi oasis de bonheur et de jouissance. Coule-toi en moi Maha, coule-en moi mon amour et mène-moi à la folie des sens. Bouleversée par ce cri déchirant et désespéré Ismahan l'attire violemment à elle et la serre à l'étouffer. Suffoquée de bonheur et sanglotante Neila se raccroche à elle comme à une bouée. Dans leurs baisers fous se mêlent miel et larmes salées. Leur nuit est peuplée de sensualité et de volupté. Leur désir semble ne jamais se rassasier, elles se découvrent et se redécouvrent avec toujours la même ivresse… Désir sans cesse renouvelé… Le jour se lève enfin, inexorable traître, annonçant le début de la fin. Les coeurs sont meurtris, les regards fiévreux et hagards. Le soleil, pourtant radieux, sonne le glas. Une dernière étreinte passionnée et c'est la fin. La mort dans l'âme tous se lèvent et se dirigent à pas lents vers l'embarcation, les yeux sont rougis d’avoir trop pleuré.. Tout le monde s'embrasse. Neila tient longtemps contre elle Ismahane, elle a du mal à se détacher. Ismahane s'arrache de ses bras et s'enfuit en courant vers le radeau. Elles se lancent un dernier regard rempli de tout l'amour qu'elles éprouvent l'une pour l'autre et c'est la fin. Neila confie le fusain à Kishar, les yeux pleins de larmes elle les regarde s'installer et mettre l'embarcadère à l'eau. Tous lui font des signes de la main, ils s'éloignent emportés par les flots. Neila demeure sur le rivage jusqu'à ce qu'il ne reste qu'un point à l'horizon de ses amis. Seule sur la plage après un dernier regard, elle récite la formule et se retrouve chez elle. Elle se jette sur le lit, enfuit sa tête sur l'oreiller et laisse libre cours à son chagrin. Elle sanglote longtemps, pleurant son amour perdu à jamais. Quelque peu calmée, elle prend le papyrus, l'enduit d'alcool et sans l'ouvrir y met le feu. Elle regarde brûler dans l'évier ce qui va emporter pour toujours les plus beaux jours de sa vie.

EPILOGUE - Docteur! Infirmière! Vite quelqu'un! Il a bougé, mon père a bougé. Il va se réveiller j'en suis sûre. 144


- Je vais appeler le médecin, crie l'infirmière qui est accourue au cri de la jeune fille au chevet de son père, ce n'est peut être qu'un spasme nerveux. - Non, Il m'a serré la main. Oh, regardez! Il ouvre les yeux. Papa! Papa! Tu m'entends? - Où suis - je? Nous sommes sauvés? demande Moussa (Lakhdar) qui émerge difficilement de son coma, tout est flou autour de lui. - Oh oui, papa tu es sauvé, nous avons tous eu si peur pour toi. Nous avons cru que tu ne te réveillerais jamais. - Qu'est - ce qui s'est passé? que m'est - il arrivé? - Vous êtes subitement tombé dans le coma monsieur, personne n'a pu savoir pourquoi, votre santé est bonne, répond le médecin, qui est arrivé entre temps. Vous voilà revenu parmi nous. Vous êtes à l'hôpital. - Comment est - ce arrivé? - Tu étais dans l'avion papa, et tu t'es évanoui. Depuis tu es resté inconscient jusqu'à maintenant. Je suis si heureuse de te retrouver. - Il y a combien de temps, et quel jour sommes - nous? - Nous sommes le 14 septembre, tu es parti le 15 juin, tu ne t'en souviens plus? - Et les autres? Où sont les autres? Le pharaon Djeser et sa famille, Samy, Fatma, Kishar et la belle Ismahane? - De quoi parles - tu papa? Elle se tourne, étonnée et inquiète, vers le médecin. - Il a du rêver pendant son coma, répond celui - ci, c'est souvent le cas pendant l'inconscience. Le pharaon Djeser vous dites? Lâche le praticien sur un ton ironique. Vous ne vous êtes sûrement pas ennuyé pendant tout ce temps. D'après votre fille vous êtes dans le commerce des meubles n'est - ce pas? - Oui, il tient un magasin de meubles à Chéraga. - Eh bien, je vous souhaite un prompt rétablissement. Pharaon, Djéser, quelle histoire, dit le docteur en s'adressant à l'infirmière. Décidément ce qui se passe pendant un coma sera toujours un mystère pour la médecine. 145


Moussa se tait, ne sachant plus quoi penser. Avait - il réellement rêvé? Il ne le saura probablement jamais. Pourtant il sent que, si incroyable que cela puisse paraître aux yeux des autres, ce n'était point un songe. Mais il préfère garder ses réflexions pour lui. Ils ne pourront pas le croire et encore moins le comprendre. Seule Neila, du moins si elle existe vraiment pourrait en témoigner. Il sait qu'il ne la retrouvera jamais. C'est si grand Alger. - Je suis si heureuse que tu t'en sois sorti papa. J'ai eu si peur de te perdre. - Merci ma fille, donne moi à boire, s'il te plaît, j'ai la bouche si sèche. L'eau a un goût salé au début, pourtant il a vu sa fille décapsuler une bouteille d'eau minérale neuve. Il sourit intérieurement, il avait là, la preuve qu'il venait de la mer. Mais à quoi bon essayer de convaincre les gens qui l'entourent. Ils le prendraient pour un fou. Ce sera son secret à lui. Il ne le partagera avec personne. Son aventure était donc bien réelle. Il se demande pourquoi il est revenu à la vie. L'idée lui vient que la grand - mère de Neila a usé de son âme à elle, et lui, en fait, n'a servi que d'enveloppe corporelle, c'est la seule explication. Il est heureux car dans sa vie routinière de marchand de meubles il a vécu la plus belle des aventures. Lorsqu'il s'ennuiera trop il n'aura qu'à penser à son aventure et il se retrouvera au pays des merveilles. Il a été pour quelque temps un archéologue et ça il ne l'oubliera jamais. Qui sait peut être qu'il rencontrera Neila au hasard d'une rue. Et ils pourront se remémorer cette incroyable histoire. Neila se réveille le lendemain avec une sensation de vide dans le coeur. La solitude, implacable, a repris son droit. Le désespoir la submerge, mais elle se secoue en se rappelant la promesse faite à Ismahane. A cette évocation, le chagrin tenace et sournois accourt au galop. Les larmes coulent d'elles même sans qu'elle puisse les refouler. Elle sait que la bataille sera longue et rude. Elle revoit son amour lui souriant tristement et l'exhortant au courage. Oui, elle sera courageuse, oui, elle fera la guerre à la douleur qui la ronge de l'intérieur, oui, elle continuera bravement à aimer la vie pour Ismahane et pour elle, Elle touche vivement son cou, elle respire soulagée, le cartouche est toujours là. La sonnerie du téléphone la fait sursauter. C'est sa cousine. - Neila! Mais où étais-tu? Tu ne donnes plus de nouvelles, j'étais affreusement inquiète. - Je suis rentrée hier. Comment se sont passés tes vacances? 146


- Super, si tu voyais comme je suis bronzée. J'ai connu un gars super je te raconterai. - Tu veux qu'on se voie? Suivre le premier conseil, se dit – elle, sortir le plus possible, ne pas rester chez elle à se morfondre inutilement. - Oui, bien sûr. J'arrive. - Non, je vais passer te prendre en voiture, je ne veux pas que tu prennes un taxi. - Mais qui te dit que je vais prendre un taxi. J'ai moi aussi une voiture. Mes parents viennent de me l'offrir. - C'est super, je suis contente pour toi, je t'attends alors. - O K, à tout de suite. - Sois prudente, ma puce. Elle allume machinalement la télévision sans quitter son lit. Sur l'une des chaînes française le journal télévisé parle de l'attaque du World Trade Center dans les détails. Neila qui n’avait vu que les photos sur les journaux est horrifiée. La folie meurtrière ne cessera donc jamais. Elle se surprend à regretter l'île. Elle aurait du attendre avant de brûler ce paradis. Elle aurait pu profiter encore de ce havre de paix. Mais elle chasse vite cette pensée. Elle se lève et éteint le poste. Elle prend une longue douche, l'eau chaude lui fait du bien. En revenant au salon elle allume sa chaîne Hi-Fi, et place le C.D de sa chanteuse préférée. Les paroles de Mylène Farmer adoucissent son coeur meurtri. La sonnerie du téléphone, encore une fois, résonne dans l'appartement. Elle décroche et croit reconnaître la voix au bout du fil. - Athman? C’est toi? - Oui, ma belle brune aux yeux verts. Je suis à Alger. Tu crois qu'on peut se voir? - Tient, tu te souviens de moi. J'ai cru que tu m'avais effacée de ta mémoire après ce si long silence. - Neila je ne t'ai jamais oubliée, tu peux en être certaine. Il est vrai que les circonstances ont fait que je ne t'ai plus contactée mais je n'ai jamais cessé de t'aimer. Je voudrai te voir. J'ai tellement de choses à te raconter. - D'accord tu peux venir à la maison. 147


- Ah oui, tes parents sont absents? - Mes parents sont morts Athman, mon petit frère aussi. Ils ont été assassinés par des terroristes sur la route de Bédjaia. - Oh, ma chérie je suis désolé, j'arrive tout de suite, je ne suis pas loin de chez toi. - D'accord à tout de suite, je t’attends. Dés que Neila lui ouvre, il l'attire dans ses bras heureux de la retrouver. Il veut s'emparer de sa bouche, mais elle le repousse gentiment. Elle ne ressent plus rien pour lui. - Je suis désolée Athman, mais je ne t'aime plus. Elle serre dans sa main et contre son coeur la cartouche que lui a offert Ismahane. Je préfère qu'on reste juste amis. Tu comprends, tu es resté trop longtemps absent. Je préfère être honnête avec toi, j'aime quelqu'un d'autre. - Tu n'as pas l'air très heureuse avec lui en tout cas, tes yeux sont si tristes. - Tu te trompes Athman, je n’ai jamais été plus heureuse qu’avec ELLE. Ah ça c'est Nabila, dit - elle en ouvrant la porte, tu te rappelles de ma cousine, continua-t-elle sans se soucier de son regard hébété. - Bien sûr, salut Nabila comment vas - tu? Ils s’embrassent. Athman n’en revient toujours pas, suite à cette révélation, mais préfère attendre pour poser plus de questions à Neila. - Très bien merci. Je suis venue chercher Neila. Tu es prête? on y va? - Oui, on part. Eh bien, à bientôt Athman. Tu peux m'appeler quand tu veux, dit-elle en fermant l’appartement à clé. - A bientôt, oui je t’appellerai, je suis rentré définitivement, on aura l’occasion de se voir pour parler de ce que tu viens de me hum… dire - Quand tu voudras Athman. Dépité il la regarde partir avec sa cousine en se promettant de la reconquérir. Mais le coeur de Neila ne lui appartient plus. Il saura vite se résigner. Mais il refuse de rester son ami et Neila ne le regrette pas. Comme le lui avait prédit Ismahane, son coeur a encore vibré. Plusieurs fois, pour des femmes. Mais elle n'a jamais oublié celle qu'elle a aimée passionnément. Aujourd'hui encore elle en parle comme si celle - ci est 148


toujours vivante. Elle n’a Jamais croisé Moussa (Lakhdar) au hasard d’une rue…. FIN

149


150


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.