Mémoire de Master - Laurent Fortier (1867-1923). Portait d'un architecte cambrésien.

Année universitaire 2018-2019

LAURENT FORTIER (1867-1923) Portrait d'un architecte à Cambrai à l'aube du XX° siècle.

Formation, carrière et notoriété.

MEMOIRE DE MASTER Présenté par Elise Baudry

Sous la direction de Marie Gaimard, Laurence Bassières, Anne Bondon et Charlotte Mus-Jelidi.

Séminaire MS 915 Histoire et pratiques des transformations du cadre bâti.

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LÊgende de l’illustration de la page de couverture : Portrait de Laurent Fortier Cambrai, M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, I.A.1.

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REMERCIEMENTS

Je remercie l’ensemble des professeurs du séminaire MS 915 «Histoire et pratiques des transformations du cadre bâti», Marie Gaimard, Laurence Bassières, Anne Bondon et Charlotte Mus-Jelidi, pour leurs précieux conseils concernant la méthode de la recherche dans les centres d’archives ainsi que pour les nombreuses références bibliographiques dont elles m’ont fait part au cours de la réalisation de ce mémoire.

Je tiens aussi à remercier l’équipe du Service des Collections Patrimoniales de la ville de Cambrai, au sein duquel s’est élaborée la majorité de ce mémoire, pour sa gentillesse, sa disponibilité et sa connaissance aiguë de l’histoire locale et des différents fonds dont elle dispose.

Je remercie également les différents responsables des nombreux centres d’archives, comme ceux des archives municipales de Cambrai, archives municipales de Valenciennes, Archives Départementales du Nord et archives de la Banque de France, pour leur dévouement et leurs recherches à mes côtés.

Il me semble également important de remercier les responsables des archives municipales d’Angers, archives départementales de l’Aisne, archives départementales de la Somme et archives de la Société des Artistes Français, pour leurs recherches et leur correspondance par courrier électronique, qui ont su éclairer certaines zones d’ombre.

Un grand merci également à mes parents et à mes amis, pour leur soutien moral et intellectuel, ainsi que pour la possibilité qu’ils m’ont donné de me déplacer dans ces différents endroits.

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TABLE DES MATIÈRES REMERCIEMENTS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 TABLE DES MATIÈRES. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 INTRODUCTION. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 I..UNE FORMATION ACADÉMIQUE ET DES DÉBUTS PROMETTEURS (1867-1900) A. Une formation traditionnelle.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 1. Un début de parcours dans sa ville d'origine, Valenciennes.. . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 2. La scolarité à l'École Nationale des Beaux-Arts de Paris (1886-1892). . . . . . . . . . 18 3. Un début de carrière à Paris.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21

B. L'installation a Cambrai.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25 1. Des débuts modestes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25 2. Un temps libre consacré aux concours d'architecture.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27 3. Un architecte singulier à Cambrai ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29

C. La fonction d'architecte départemental. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33 1. Admission et caractéristiques de la fonction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33 2. Le chantier de la Sous-Préfecture de Dunkerque.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34 3. Une démission forcée.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37

D. La fonction d'architecte de la Banque de France.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39 1. Conditions d'admission.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39 2. Conditions d'exercice de la fonction : une liberté limitée ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41 3. Les succursales de la Banque de France du Cambrésis avant 1914.. . . . . . . . . . . . 42

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II. L'ÉTABLISSEMENT D'UNE SOLIDE NOTORIÉTÉ DANS LA SOCIÉTÉ CAMBRESIENNE A. Le démantèlement des remparts de Cambrai comme tremplin de carrière. . . . 47 1. La modernisation et l'agrandissement de Cambrai à la fin du XIXe siècle.. . . . . . 47 2. L'agence du 10, place de la Porte-Notre-Dame. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49 3. Les immeubles du Boulevard Faidherbe.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51 4. L'hôtel de maître comme mode d'expression de la bourgeoisie locale.. . . . . . . . . 53

B. La construction d'édifices publics dans le Cambresis.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57 1. L’Hôtel de Ville de Solesmes (1903).. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57 2. Édifices religieux.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63 3. Projets d'édifices publics non attestés ou non réalisés.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69

C. Un architecte polyvalent : maisons ouvrières, art funéraire et arts décoratifs.. . 73 1. Maisons ouvrières, estaminets et architecture industrielle.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73 2. Arts décoratifs.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75 3. Art funéraire et commémoratif. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75

D. Un notable au service de sa ville et de son département. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79 1. La Société Régionale des Architectes du Nord.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79 2. La Société d’Émulation de Cambrai.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81

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III..LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE, UN TOURNANT DANS LA CARRIÈRE DE LAURENT FORTIER. A. L'exil à Angers. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85 1. Le projet des abattoirs municipaux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85 2. L'exercice de la fonction d'architecte municipal.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85 3. Une nouvelle activité qui ne coupe pas Fortier de Cambrai.. . . . . . . . . . . . . . . . . . 86

B. La fin de la guerre et le retour a Cambrai.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87 1. Le bilan de la Grande Guerre à Cambrai.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87 2. Le cadre législatif de la Reconstruction.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88 3. Le contexte artistique.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89 4. La création du Groupement des Architectes de Cambrai (1918). . . . . . . . . . . . . . 91

C. Le concours de la Reconstruction de cambrai.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93 1. Termes et conditions du concours.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93 2. Participation et proposition de Laurent Fortier.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95 3. Dénouement du concours.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102 4. Mise en place du P.A.E.E. à Cambrai.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103

D. La collaboration entre Laurent Fortier et Pierre Leprince-Ringuet.. . . . . . . . . 105 1. Une formation similaire et un style régionaliste commun.. . . . . . . . . . . . . . . . . . 105 2. Travaux pour la Banque de France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105 3. Autres réalisations communes.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109

E. Fin de carrière et postérité de Laurent Fortier.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113

CONCLUSION GÉNÉRALE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117 SOURCES. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119 BIBLIOGRAPHIE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125

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INTRODUCTION

Ce mémoire porte sur Laurent Fortier, architecte né à Valenciennes en 1867 et ayant exercé la majorité de sa carrière à Cambrai, jusqu’à sa mort en 1923. Aujourd’hui, son nom est peu connu : il n’est pratiquement pas cité dans les ouvrages récents, à part dans quelques publications locales1. Il est pourtant l’auteur de nombreux hôtels particuliers qui constituent encore de nos jours le paysage architectural de la ville de Cambrai, notamment le long du boulevard Faidherbe, où il a construit sa propre demeure2. Nous lui devons également plusieurs édifices publics, comme l’Hôtel de Ville de Solesmes, l’église SaintJoseph de Cambrai ou encore la Sous-Préfecture de Dunkerque. Ayant suivi une formation académique aux Beaux-Arts de Paris, son œuvre exprime les tendances architecturales du moment, adhérant tour à tour à l’éclectisme et au régionalisme. Il s’est aussi démarqué de par sa participation active à la Reconstruction de Cambrai au lendemain de la Première Guerre mondiale : récompensé par le deuxième prix au concours de la reconstruction de la ville, il collabora avec le lauréat, Pierre Leprince-Ringuet, afin de rebâtir la cité détruite.

On peut dès lors s’interroger sur la notoriété d’un tel architecte dans une ville de taille moyenne3 comme Cambrai, sa clientèle, la concurrence et son implication dans diverses sociétés. On peut également se questionner sur sa renommée au sein de la communauté des architectes de cette époque, aux échelles départementale et nationale, en se référant à ses diverses récompenses ou à la publication de certaines de ses œuvres dans des revues d’architecture.

Cette multiplicité des rôles à plusieurs échelles lui permet d’être assez représentatif des différentes facettes du métier d’architecte à la toute fin du XIXe et au début du XXe siècle. Étudier la vie de Laurent Fortier, c’est finalement comprendre le rôle d’un architecte dans une ville de taille moyenne à cette époque : quelle fût sa formation, quels furent les postes auxquels il a pu prétendre, de quelle notoriété a-t-il pu bénéficier, comment étaitil perçu par les cambrésiens et par ses confrères architectes ? Et, parallèlement à cette vie apparemment conventionnelle, comment les bouleversements historiques, comme le démantèlement des remparts de Cambrai à la fin du XIXe siècle ou la Première Guerre mondiale, viennent-ils enrichir l’expérience et la singularité d’un architecte ?

Avant de répondre à ces différentes questions, il est nécessaire d’exposer la méthode et les différentes sources ayant permis d’écrire ce mémoire. Laurent Fortier, rappelons-le, n’est presque pas mentionné dans les ouvrages d’architecture ou d’histoire locale. L’intérêt s’était initialement porté sur la Reconstruction de la ville de Cambrai, puis sur la figure la plus importante de cette reconstruction, Pierre Leprince-Ringuet (1874-1954) qui, on le verra un peu plus tard, n’a pas manqué de faire de l’ombre à Laurent Fortier. Cependant, en commençant nos recherches, nous nous sommes rendu compte qu’un mémoire avait déjà été écrit, assez récemment, sur cet architecte4. En discutant avec les responsables du Service des Collections Patrimoniales de Cambrai5, ceux-ci nous ont indiqué qu’un fonds 1 Comme par exemple dans l’ouvrage de PARDON (Claudine), L’Hôtel de Ville de Solesmes, Textes et Prétextes, Paris, 2004, et dans le tome 105 des Mémoires de la Société d’Emulation de Cambrai, où l’historien André Leblon y a rédigé une courte biographie.

2 Laurent Fortier fit construire sa maison et son cabinet au 10 place de la Porte Notre-Dame à Cambrai en 1898.

3 En 1896, Cambrai était peuplée de 25250 habitants, et en 1911 de 28077 habitants, selon Des villages de Cassini aux communes d’aujourd’hui [archive] sur le site de l’École des Hautes Etudes en sciences sociales.

4 Il s’agit du mémoire de MEREAU (Mathilde), Entre Régionalisme et Art Déco, l’architecture de Pierre Leprince-Ringuet (1874-1954), architecte, décorateur et urbaniste, mémoire de master sous la direction de M. le professeur Barthélémy Jobert et M. Simon Texier, université Paris-Sorbonne, septembre 2008, 2 tomes.

5 Le Service des Collections Patrimoniales (S.C.P.) est un service rattaché à la Médiathèque d’Agglomération de Cambrai (M.A.C).

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d’archives6 avait été racheté à l’A.S.P.E.C. (Association pour la Sauvegarde du Patrimoine et de l’Environnement en Cambrésis) en 2008, concernant un certain Laurent Fortier, architecte relativement important de la ville mais n’ayant jamais fait l’objet de publication.

Bien que la provenance de ce fonds ne soit pas indiquée, on peut penser qu’il s’agit de documents vendus par M. et Mme Fauconnier, petits-enfants de Fortier, qui ont habité la maison familiale jusque 2008, ayant ainsi hérité du fonds d’archives de l’architecte. De plus, suite à un entretien réalisé avec Guillaume Broekaert, responsable du service des archives à Valenciennes, nous avons appris que M. et Mme Fauconnier avaient vendu une partie des archives de Fortier à la ville de Solesmes (celles concernant l’Hôtel de Ville de Solesmes, construit par Fortier en 1903) et une autre partie, concernant cette fois ses origines valenciennoises, à Jean-Claude Poinsignon, historien de Valenciennes qui en a fait lui-même don à la Bibliothèque de Valenciennes. On peut donc penser que le reste des documents hérités par les petits-enfants ait été rassemblé dans le fonds Fortier, renfermant plutôt des sources concernant la ville de Cambrai et ses alentours.

Les recherches effectuées pour ce mémoire ont donc débuté au Service des Collections Patrimoniales de Cambrai, en dépouillant le fonds Fortier. Celui-ci comporte 427 documents, classés en 16 dossiers. Ces documents sont très majoritairement des pièces graphiques, la plupart n’étant pas forcément signées ou datées, ce qui a rendu le travail assez difficile à mettre en place au début. Néanmoins, les quelques pièces écrites, essentiellement des éloges funèbres7 parues à sa mort en 1923, ont permis de tracer une première esquisse de sa biographie. Même s’il faut toujours garder en tête que ces éloges funèbres relèvent quelque peu de la subjectivité - puisque les auteurs, nous le verrons, ont eu tendance à «embaumer» la vie du défunt -, elles nous ont très largement orientés vers de nouvelles sources, confirmant ou non les dires des auteurs. Les différentes informations extraites de ces éloges funèbres ont ainsi été classées dans un tableau chronologique, avec la mention de la côte, afin de voir si elles allaient éventuellement se recouper avec d’autres sources.

Des ouvrages à valeur de source présents au Service des Collections Patrimoniales ont également été consultés, afin de vérifier quelques-unes des informations répertoriées dans le tableau : les annuaires Ravet-Anceau8 ont permis de retrouver les différents domiciles de Fortier à Cambrai de 1894 à 1914 ainsi que les adresses de certaines réalisations de l’architecte (les plans ne mentionnent parfois que le nom du commanditaire). Les tomes des Mémoires de la Société d’Émulation de Cambrai9 ont permis de comprendre l’implication de Fortier dans cette société et plus largement au sein de la ville10. Parmi les informations que nous avons pu déceler au sein du fonds Fortier, celle de la participation de Fortier au concours pour la Reconstruction de la ville de Cambrai, auquel il s’est placé deuxième a pu être complétée par plusieurs documents à valeur de source présents également au Service des Collections Patrimoniales. Parmi eux, nous avons pu consulter un livret11, imprimé chez Oscar Masson et préfacé par Auguste Dorchain12, résumant le déroulement du concours et présentant les propositions de chacun des candidats. L’auto-publication des travaux de

6 Il s’agit du fonds Fortier, conservé au S.C.P., racheté à l’A.S.P.E.Cambrésis pour 805 euros, le 7 mai 2008, contenant 472 documents et plans, classés en 16 dossiers.

7 Cambrai, M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, liasse I.A. 8 Annuaires Ravet-Anceau, Ville de Cambrai, 1894-1914 et 1921-1923. Le déclenchement de la guerre interrompt la publication d’annuaires.

9 Mémoires de la Société d’Emulation de Cambrai, tomes 56-57-59-65.

10 La Société d’Emulation de Cambrai, fondée en 1804, constitue en effet un précieux témoignage de l’histoire locale, surtout depuis que les archives municipales ont été incendiées par les allemands à la fin de la Première Guerre Mondiale.

11 M.A.C., S.C.P., Librairie Oscar Masson, Après la guerre, la reconstruction de Cambrai – Projets, Cambrai, 1919 12 Auguste Dorchain (1857-1930) était un écrivain et poète français originaire de Cambrai.

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Leprince-Ringuet13, lauréat de ce concours et collaborateur de Fortier de 1919 à 1923, nous renseigne sur certaines de leurs oeuvres communes. Les riches fonds photographiques, comme le fonds Delcroix14 et le fonds Faille15, que possède la Médiathèque d’Agglomération de Cambrai, nous permettent également de comprendre l’apparence de la ville à l’époque de Fortier, notamment avant les destructions de la Première Guerre mondiale.

Toujours à Cambrai, nous avons également fait quelques recherches aux archives municipales, en espérant pouvoir y vérifier l’exactitude de certaines hypothèses, étant donné que les pièces graphiques du fonds Fortier ne sont pas toujours signées, datées, cachetées par la Mairie... etc. Cependant, les archives municipales ayant été en grande partie incendiées par les allemands en 1918, nous n’avons presque pas trouvé de documents concernant ses constructions datant de l’avant-guerre, constituant pourtant la plus grande partie de sa carrière. Néanmoins, nous avons pu consulter un certain nombre de documents datant de l’après-guerre, éclairant sur certaines réalisations personnelles de Fortier et issues de sa collaboration avec Leprince-Ringuet. Alors qu’un certain nombre de ses contemporains le désigne comme co-auteur de bâtiments importants de la Reconstruction, les plans des archives municipales ne comportent pas forcément sa signature.

Les éloges funèbres évoquent assez brièvement la formation de Fortier pour devenir architecte : on sait que celui-ci a suivi des cours à l’Académie de Valenciennes, dont il est originaire, avant d’être admis à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. Les revues numérisées publiées sur le site de la Bibliothèque municipale de Valenciennes, notamment Le Courrier du Nord16 et L’Echo de la Frontière17, où de nombreux articles sur les anciens élèves de l’Académie de Valenciennes sont publiés, permettent d’en savoir davantage sur le lien que Fortier entretenait avec sa ville natale lors de sa scolarité à Paris.

Les archives de Valenciennes possèdent également un dossier18 sur Fortier, don de Jean-Claude Poinsignon, historien de la ville. Celui-ci comporte en grande partie des dessins offerts par ses amis artistes et architectes valenciennois tels que Paul Dusart et Henri Armbruster. Il s’agit, la plupart du temps, de planches présentant leurs propres projets.

Le dossier comporte également un plan d’un projet imaginé par Fortier pour déterminer l’emplacement de la future gare de Valenciennes, ainsi qu’un livret présentant l’inauguration de l’Hôtel de Ville de Solesmes.

Afin d’en savoir plus sur la scolarité de Fortier, nous avons consulté la base de données AGHORA, dans laquelle nous avons trouvé une notice biographique sur Laurent Fortier rédigée par Marie Crosnier-Leconte19 et quelques documents relatifs à sa scolarité à Paris20, comme sa fiche d’inscription, les mentions qu’il a obtenues... etc. Cette notice comporte également des mentions d’archives de la sous-série AJ/5221 des Archives Nationales. Nous avons donc voulu les consulter sur place, mais celles-ci se sont révélés non-consultables. Nous avons cependant pu compléter ces recherches par la consultation d’un ouvrage à valeur de source, écrit par David de Penarum, Roux et Delaire en 1907, Les architectes élèves de l’Ecole des Beaux-Arts22. Celui-ci répertorie les élèves de 1793 à 13 LEPRINCE RINGUET (Pierre), Travaux d’architecture, Edition d’Architecture, D’Industrie et D’Economie Rurale, Strasbourg, 1934.

14 Cambrai, M.A.C., S.C.P., Fonds Delcroix.

15 Cambrai, M.A.C., S.C.P., Fonds Faille.

16 Par exemple : Bibliothèque municipale de Valenciennes, PCDN, Le Courrier du Nord, 14 mars 1890.

17 Par exemple : Bibliothèque municipale de Valenciennes, PEF 1889-03-19, L’Echo de la Frontière, n°11018 du 19 mars 1889.

18 Bibliothèque municipale de Valenciennes, 17 Fi 2008.

19 CROSNIER LECONTE (Marie-Laure), «Biographie Laurent Fortier», base de donnée AGHORA, INHA, saisie le 21/12/2005 et modifiée le 26/01/2016.

20 Ces documents sont des scans issus de la sous-série AJ 52 des Archives Nationales.

21 Archives Nationales, sous-série AJ/52.

22 DE PENARUM (David), ROUX et DELAIRE, Les architectes élèves de l’Ecole des Beaux-Arts, Paris, Librairie de la construction moderne, 1907, p39.

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1907, en donnant leur année d’admission et de diplôme, leurs résultats aux concours... etc.

Il renseigne également beaucoup sur le règlement de l’école et les nombreuses associations d’architectes à l’époque, ce qui permet de remettre les différentes informations recueillies précédemment dans leur contexte.

Les premières informations biographiques mentionnent également le fait que Laurent Fortier ait été architecte départemental entre 1894 et 1900. Nous avons donc effectué des recherches complémentaires aux Archives Départementales du Nord, dans la sous-série 4/N//1323, relative aux différents architectes départementaux de l’arrondissement de Cambrai, et 4/N//21424, concernant la construction de la sous-préfecture de Dunkerque, que Fortier a conçue. Nous avons également dépouillé la sous-série 9/R//115825, comprenant les archives du Comité des Réfugiés du Nord, que Laurent Fortier aurait présidé, selon plusieurs éloges funèbres.

Plusieurs dessins présents dans le fonds Fortier avaient pour objet la Banque de France et l’hypothèse que Fortier ait été architecte de la Banque de France semblait alors assez probable. Des recherches aux archives de la Banque de France ont ainsi été menées, dans les dossiers des succursales de Cambrai, Le Cateau, Caudry et Solesmes pour comprendre l’implication de notre architecte dans ces divers chantiers.

Afin de prendre davantage conscience de la notoriété de Fortier, nous avons consulté plusieurs numéros de la revue L’architecture et la construction dans le Nord, entre 1894 et 1907, actuellement conservés à la médiathèque Jean Lévy de Lille.

Nous avons également tenté d’accéder aux archives de la Société des Artistes Français, dont Laurent Fortier était membre depuis sa mention au Salon de 1893, mais seule une réponse brève par mail confirmant les récompenses obtenues a été transmise, à défaut d’un rendez-vous.

Laurent Fortier ayant participé à de nombreux concours, nous avons essayé d’en savoir plus en contactant par courrier électronique différents centres d’archives, notamment les Archives Départementales de la Somme, à propos du concours pour l’Hôtel de Ville de Doullens, ainsi que les Archives Départementales de l’Aisne, au sujet du concours pour le Palais Fervaques à Saint-Quentin. Malheureusement, dans le premier cas, les archives ne possédaient pas les plans du concours, qui auraient été retournés aux participants, et dans le deuxième cas, beaucoup de fonds d’archives ultérieurs à la première guerre mondiale ont été détruits, dont ceux qui pouvaient potentiellement concerner ce concours.

Nous avons également contacté par courrier électronique les archives municipales d’Angers où, selon les éloges funèbres, Fortier se serait exilé entre 1914 et 1918 et y aurait occupé la fonction d’architecte municipal. Celles-ci nous ont permis d’apporter de la nuance à cette information, en précisant son rôle dans la ville.

D’autres tentatives de contacts ont été établies, mais sans succès, notamment avec les archives d’Avesnes-les-Aubert, où Fortier y aurait construit la caisse d’Epargne et aux archives de Solesmes (Nord), où Fortier y a construit l’Hôtel de Ville. Nous avons également essayé de joindre les archives de la Société des Architectes Diplômés, dont Laurent Fortier faisait partie, sans obtenir de réponse également.

Parallèlement à ce travail plutôt concentré sur Laurent Fortier, des lectures d’ouvrages et d’articles récents se sont révélées fondamentales pour bien comprendre le contexte historique et la nature de son oeuvre.

Afin d’en savoir plus sur l’Académie de Valenciennes, où Fortier a étudié entre 1883 et 1886, nous avons consulté l’ouvrage publié par la Société des Amis du Musée de

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Archives Départementales du Nord, 4/N//13.

Id, 4/N//214.

Id, 9/R//1158.

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Valenciennes, L’Académie de peinture et de sculpture à Valenciennes au XVIIIe siècle26.

Concernant l’histoire de la ville de Cambrai, depuis la fin du XIXe, avec le démantèlement des remparts et l’agrandissement de la ville, jusqu’à la reconstruction après la Première Guerre Mondiale, l’ouvrage de Louis Trénard27 semble constituer une très bonne base. Les articles de Françoise Albaret-Gibson dans la revue Jadis en Cambrésis28 renseignent précisément sur l’histoire de la ville pendant la guerre. Le catalogue d’exposition réalisé à l’occasion du quatre-vingts-dixième anniversaire de l’armistice29, réalisé par ses soins avec la collaboration de Mathilde Méreau, explique en détail la Reconstruction de la ville, en rappelant le contexte, les modalités du concours, les acteurs et les enjeux...etc. Le mémoire de Mathilde Méreau sur Leprince-Ringuet30 a également éclairé le contexte de la Reconstruction et sur la collaboration entre lui et Fortier.

L’Hôtel de Ville de Solesmes, qui a permis à Fortier de remporter une seconde médaille au Salon des Artistes Français a fait l’objet d’un ouvrage31, écrit par Claudine Pardon, résumant l’histoire de sa construction. Celui-ci a très largement permis de compléter des informations lacunaires à ce sujet, notamment dues à l’impossibilité d’accéder aux archives de Solesmes.

Outre ces ouvrages relatifs à l’histoire locale, d’autres lectures ont aidé à la compréhension du contexte artistique et institutionnel. L’éclectisme, qui a marqué l’œuvre de Laurent Fortier, a été longuement analysé par François Loyer et Franco Borsi, à travers l’exemple de la ville de Lille, dans le livre Le siècle de l’éclectisme Lille 1830-193032. On peut également citer l’ouvrage Comprendre l’éclectisme33, par Jean-Pierre Epron, qui renseigne plus généralement sur le contexte dans lequel s’inscrit ce mouvement et sa théorisation. Le régionalisme, courant tout autant caractéristique du style de Fortier, est largement relaté dans l’ouvrage de Jean-Claude Vigato, L’architecture régionaliste, France 1890-195034, notamment dans les deux premiers chapitres, traitant de ses origines puis de son rôle dans la reconstruction après la Première Guerre mondiale. Il est également important de comprendre le rôle de l’architecte à cette époque, au sein de la société et de la ville, des différentes fonctions qu’il peut occuper. Pour cela, l’ouvrage de Maxime Decommer, Les architectes au travail, l’institutionnalisation d’une profession35, se révèle particulièrement complet. D’autres livres ou articles un peu plus spécialisés viennent compléter certaines informations, notamment au sujet de certaines fonctions. L’article de Anne Langlet et de Marie-Josèphe Lucien-Maisonneuve, «L’institution des architectes départementaux et municipaux et la concurrence des ingénieurs, en France, au XIXe siècle » paru en 2000

26 L’Académie de peinture et de sculpture à Valenciennes au XVIIIe siècle, Valenciennes, Société des Amis du Musée de Valenciennes, 1986, 242 p 27 TRENARD (Louis), Histoire de Cambrai, Lille, Presses universitaires de Lille, 1982.

28 ALBARET-GILSON (Françoise), « Cambrai à l’épreuve de la Grande Guerre », Jadis en Cambrésis, n°100, Septembre 2009, p. 5 à 23.

29 ALBARET-GILSON (Françoise), MEREAU (Mathilde), De la libération à la reconstruction : Cambrai 1918-1932, catalogue d’exposition, Cambrai, Hôtel de ville, octobre-novembre 2008, Cambrai, 2009.

30 MEREAU (Mathilde), Entre Régionalisme et Art Déco, l’architecture de Pierre Leprince-Ringuet (1874-1954), architecte, décorateur et urbaniste, mémoire de master sous la direction de M. le professeur Barthélémy Jobert et M. Simon Texier, université Paris-Sorbonne, septembre 2008, 2 tomes.

31 PARDON (Claudine), L’Hôtel de Ville de Solesmes, Textes et Prétextes, Paris, 2004.

32 BORSI (Franco) et LOYER (François) in Le siècle de l’éclectisme, Lille 1830-1930, AAM Editions, Paris, 1979.

33 EPRON (Jean-Pierre), Comprendre l’Éclectisme, Institut Français d’Architecture, Norma éditions, Paris, 1997.

34 VIGATO (Jean-Claude), L’architecture régionaliste, France, 1890-1950, Paris, 1994.

35 DECOMMER (Maxime), Les architectes au travail : l’institutionnalisation d’une profession, 17951940, Presses universitaires de Rennes, collection ‘Art et Société’, Rennes, 2017.

13

dans La Revue du Nord 36permet de remettre les informations tirées des archives dans leur contexte, en expliquant le rôle d’un architecte départemental.

Enfin, la méthode même de la monographie, puisque c’est aussi l’objet de ce mémoire, est également à mettre en perspective. Il est vrai que l’on a eu tendance à s’inspirer du mémoire de Mathilde Méreau sur Pierre Leprince-Riguet, de par sa qualité et de par les nombreux points communs que celui-ci a eus avec Laurent Fortier. D’autres monographies d’architectes, comme celle d’Emile André37, rédigée par Hervé Doucet, ou celle de Camille Albert38, par Manolita Fraret-Filippi, éclairent également sur les problématiques à développer dans ce type de travail. Il a également semblé important de se renseigner sur des personnages proches de Fortier, comme Victor Laloux, un de ses professeurs aux BeauxArts et Alphonse Delfrasse, chef du service architecture de la Banque de France, avec qui notre architecte a beaucoup correspondu.

La méthode suivie pour l’élaboration de ce mémoire a consisté dans un premier temps par le dépouillement du fonds Fortier et au classement des données biographiques censées amener vers de nouvelles sources. Suite à cela, nous avons entrepris des recherches dans les autres centres d’archives. Tous les documents faisant référence de près ou de loin à Fortier ont été photographiés et classés numériquement, afin de gagner du temps (ces centres étant souvent assez éloignés les uns des autres) et de pouvoir les consulter à nouveau en cas de découvertes inopinées. A partir des différents documents réunis, nous avons commencé à rédiger le mémoire, croisant les différentes informations et mettant en avant les zones d’ombre. Au fur et à mesure de cette écriture, nous avons mené de nouvelles recherches pour compléter lesdites zones d’ombre. Nous avons désiré associer au texte de nombreuses illustrations, afin dans un premier temps, de compléter ce que les mots ne peuvent exprimer, et dans un second second temps de consolider certaines hypothèses.

L’objet de ce mémoire sera donc de montrer en quoi le portrait de Laurent Fortier nous renseigne sur la condition de l’architecte à la fin du XIX° et au début du XX°, dans le milieu professionnel comme dans la société en général, aux échelles locale, départementale et nationale. Le plan chronologique a semblé le mieux convenir, d’abord puisqu’il est plus confortable pour le lecteur, et surtout, parce que les parties dont il se constitue ont été relativement aisées à départir, au vu des recherches. La difficulté d’un tel plan est toutefois d’avoir tendance à laisser de côté les théories fondamentales et les courants artistiques, dont les périodes d’influence vont bien au delà de simples dates factuelles. C’est pourquoi nous avons essayé de toujours replacer un contexte local et général dans chaque fait abordé. Nous allons d’abord commencer par traiter de la formation de Laurent Fortier aux Beaux-Arts de Paris et de ce qu’elle a pu lui apporter en terme d’influences artistiques et de carrière. En effet, nous verrons que c’est en partie grâce à cette école que notre architecte doit son goût prononcé pour le régionalisme et l’éclectisme, ainsi que son admission à deux fonctions à haute responsabilité, à peine deux ans après son diplôme : architecte départemental et architecte de la Banque de France. Dans une seconde partie, nous verrons comment, grâce à cette renommée grandissante, Fortier a réussi à asseoir une solide notoriété, au sein de la société cambrésienne comme à l’échelle nationale, grâce à ses constructions d’hôtels particuliers sur les nouveaux boulevards et à ses projets de grands édifices publics. Enfin, notre ultime partie sera consacrée au tournant qu’a pris sa carrière avec la Première Guerre Mondiale : son exil à Angers, sa participation au concours de la Reconstruction de Cambrai et sa collaboration avec le lauréat, Pierre Leprince-Ringuet.

36 LANGLET (Anne) et LUCIEN-MAISONNEUVE (Marie-Josèphe), « L’institution des architectes départementaux et municipaux et la concurrence des ingénieurs, en France, au XIXe siècle », In Revue du Nord, tome 82, n°335-336, Avril-septembre 2000. pp.487-500.

37 DOUCET (Hervé), Emile André : Art Nouveau et modernités, Honoré Clair, Arles, 2011.

38 FRERET-FILIPPI (Manolita), Camille Albert, un architecte éclectique, Créaphis, 2009.

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I. UNE FORMATION ACADÉMIQUE ET DES DÉBUTS PROMETTEURS (1867-1900)

A la fin du XIXe siècle, le titre d’architecte n’est pas protégé1 et aucun diplôme n’est nécessaire pour exercer cette profession. Toutefois, les hommes désirant posséder une certaine notoriété dans le milieu et diriger la construction de grands projets se voient conseillés de suivre une formation académique, à l’École des Beaux-Arts de Paris. Leur ambition sera de remporter le fameux Grand Prix de Rome, qui leur permettra de partir en Italie et d’étudier l’architecture de l’Antiquité, alors considérée comme exemple à suivre.

Laurent Fortier décide de suivre cette voie royale, en suivant d’abord des cours à l’Académie d’architecture de Valenciennes puis à l’École des Beaux-Arts de Paris.

En quoi la formation de Laurent Fortier est-elle représentative de la formation des architectes à Paris et en province à la fin du XIXe siècle ? Quelles sont ses principales caractéristiques et dans quelles mesures celles-ci influencent-elles le style architectural dont disposera le futur architecte ? Comment cette formation, apparemment prestigieuse, permettra-t-elle à Fortier d’accéder à des fonctions importantes au sein de sa région ? Lui laisseront-elles la possibilité d’accroître sa notoriété ?

1

Il ne le sera qu’en 1977 avec la loi n°77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture.

15

Ill.1 - Bibliothèque municipale de Valenciennes, E-F19MOY0007 MOYEUX (Constant), estampe, 1903 Ce dessin témoigne de l’attachement de la ville de Valenciennes, dont est originaire Fortier, à afficher la réussite des anciens élèves de son Académie. Fortier, ayant remporté une deuxième médaille au Salon des Artistes Français pour son projet d’Hôtel de ville à Solesmes en 1903, est ici inscrit sur une des pierres du trumeau de la porte de l’Académie.

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A. UNE FORMATION TRADITIONNELLE.

Laurent Joseph Fortier naît à Valenciennes le 2 mai 1867, d’Antoine Joseph Fortier, entrepreneur de bâtiment, 29 ans et originaire de cette même ville, et de Hirma Ernestine Dislaire, 24 ans, originaire de Cambrai1. Sa naissance a lieu au 58 rue de Famars, sans doute adresse de la maison familiale. Il suit des études au lycée de Valenciennes2, avant d’entamer une formation à l’école des Beaux-Arts de Valenciennes. On peut assez aisément penser que l’envie de devenir architecte lui viendrait de son père, issu du milieu de la construction.

1. Un début de parcours dans sa ville d'origine, Valenciennes.

L’Académie de peinture et de sculpture de Valenciennes, ville que l’on surnomme alors «Athènes du Nord»3 en raison des artistes célèbres qu’elle a vu naître, comme Antoine Watteau (1684-1721), a été fondée le 9 décembre 17824. En 1789 s’ouvre ensuite en son sein une école d’architecture. Ces écoles provinciales inspirées du modèle parisien ne sont pas rares à l’époque, mais Valenciennes fait partie des cinq seules écoles à proposer un enseignement académique complet, jouissant ainsi d’une bonne réputation dans le milieu artistique.

L’ordonnance royale du 4 août 1819 opère la fusion entre l’Académie de peinture et de sculpture et l’Académie d’Architecture. L’école que l’on appellera encore longtemps «Académie de Valenciennes» devient alors l’école des Beaux-Arts de Valenciennes. Celleci se donne alors pour objectif de préparer les élèves au concours de l’école des Beaux-Arts de Paris. Tout au long du XIXe siècle, elle voit éclore de très nombreux premiers et seconds prix de Rome, comme Constant Moyeux (1835-1911), Henri Sirot (1868-1951) et René Mirland (1884-1915), ce qui lui confère une véritable renommée à l’échelle nationale.

Ces récompenses enthousiasment la bourgeoisie locale, qui organise des festivités pour féliciter les nouveaux diplômés. Cette sorte de «patriotisme provincial» est également mis en évidence par des associations d’élèves de l’Académie, telles que l’Union Valenciennoise de Paris, fondée en 1875, qui organise chaque année des banquets. La récompense de Fortier au Salon des Artistes Français de 1903 est ainsi fêtée (ill. 1). L’émulation créée autour de l’Académie des Beaux-Arts de Valenciennes explique pourquoi les différentes mentions obtenues par Fortier sont à chaque fois publiées dans le journal local, Le Courrier du Nord.

Laurent Fortier aurait intégré l’Académie de Valenciennes en 1883, c’est-à-dire à l’âge de 16 ans, comme le prouve l’attestation5 rédigée par son professeur, Emile Dusart.

Cette même année, un cours de dessin industriel est introduit à l’école, dans l’idée de former les ouvriers6 à cette discipline. Cependant la tradition élitiste de l’école, entretenue par la direction, provoqua la démission de cinq membres de la commission de pilotage de l’école.

Les cours furent jugés médiocres, à cause de la mauvaise volonté des professeurs à les dispenser, en raison de leur manque de connaissances techniques et du peu de subventions

1 Archives Nationales, sous-série AJ 52, 392 0216 : Extrait d’acte civil de Valenciennes. L’origine cambrésienne de la mère de Laurent Fortier explique peut-être les raisons de son installation à Cambrai après ses études.

2 Cambrai, M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, I.A.1.

3 Notamment dans Ibid.

4 L’Académie de peinture et de sculpture à Valenciennes au XVIIIe siècle, Valenciennes, Société des Amis du Musée de Valenciennes, 1986, 242 p 5 Archives Nationales, sous-série AJ 52, 392 0215 : Lettre de Emile Dusart le 27 février 1886 à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris.

6 L’Académie de Valenciennes avait pour réputation d’accueillir des élèves issus de milieux populaires.

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accordées par la municipalité7. Ce cours sera finalement définitivement interrompu dans la première décennie du XXe siècle. On peut tout de même penser que Fortier eut une initiation au dessin industriel, même si, nous le verrons, ses planches recèlent d’un intérêt particulier pour le dessin traditionnel, contrairement à certains de ses confrères.

Parallèlement à cela, Laurent Fortier suit des cours d’architecture auprès d’Emile Dusart (1827-1900), architecte entré lui-même aux Beaux-Arts en 1847 et architecte municipal de Valenciennes. Ce dernier enseigne à l’Académie de Valenciennes entre 1866 et 1896, préparant de nombreux étudiants au concours de l’école des Beaux-Arts de Paris, dont son propre fils, Paul Dusart, et bien-sûr, Laurent Fortier.

2. La scolarité à l'École Nationale des BeauxArts de Paris (1886-1892). a. Concours d'entrée et admission.

Selon l’article 2 du règlement de l’École des Beaux-Arts8, les candidats au concours doivent préalablement se munir d’une pièce justifiant leur capacité à passer les épreuves.

Celle-ci peut être remise par un professeur d’école de province. C’est ainsi qu’en février 1886, Emile Dusart déclare que son élève a suivi ses cours durant trois ans, que ses résultats ont été très satisfaisants et qu’il dispose désormais des connaissances nécessaires pour se présenter au concours de l’École Nationale des Beaux-Arts.

Laurent Fortier passe le concours d’entrée le 19 mars 1886 sur les sujets suivants : une salle à manger d’été, un dessin d’ornement d’après un vase antique et un modelage d’après un ornement grec9. Il intègre ensuite l’école le 10 avril 1886.

Laurent Fortier figure ainsi sur la liste des élèves inscrits en seconde classe10 au Beaux-Arts, à la première session de l’année 1886, sous le matricule 378511. b. Déroulement des cours, concours et diplôme.

mentions

obtenues,

Selon l’article 7 du règlement de l’École des Beaux-Arts, les élèves de la section architecture disposent des cours suivants : l’histoire générale, l’anatomie, la perspective à l’usage des peintres et des architectes, les mathématiques et la mécanique, la géométrie descriptive, la physique et la chimie, la stéréotomie et le levé de plans, la construction et la législation du bâtiment, la théorie de l’architecture, la littérature, l’histoire et l’archéologie, l’histoire de l’art et l’esthétique, l’histoire générale de l’architecture, l’histoire de l’architecture 7 DOLLE (Catherine), « L’enseignement du dessin sous la Troisième République : introduction du dessin industriel à Valenciennes », Livraisons d’histoire de l’architecture, n°2, 2001, p. 117-130 - disponible en ligne : http://www.persee.fr/doc/lha_1627-4970_2001_num_2_1_887 8 «Art. 2. — Les jeunes gens [...] qui veulent profiter de l’enseignement de l’école [...] doivent être munis d’une pièce attestant qu’ils sont capables de subir les épreuves des concours d’admission. Cette pièce doit être délivrée soit par l’un des professeurs de l’école[...], soit par l’un des membres des différents jurys [...], soit par un professeur chef d’atelier extérieur, soit enfin par l’un des directeurs ou par l’un des professeurs des écoles de dessin de la province.» in DE PENARUM (David), ROUX et DELAIRE, Les architectes élèves de l’Ecole des Beaux-Arts, Paris, Librairie de la construction moderne, 1907, p94.

9 CROSNIER LECONTE (Marie-Laure), «Biographie Laurent Fortier», base de donnée AGHORA, INHA, saisie le 21/12/2005 et modifiée le 26/01/2016.

10 «L’Ecole est divisée en deux classes, la première classe (élèves) est limitée à 50, elle comprend les exempts des concours d’essais (médailles, logistes) et se complète continuellement par des étudiants (de 2e classe) choisis par concours parmi ceux qui ont obtenu des mentions dans la 2° classe (illimitée). Tous les six mois concours de places en 2e classe pour ceux qui n’ont encore aucune récompense.» DE PENARUM (David), ROUX et DELAIRE, Les architectes élèves de l’Ecole des Beaux-Arts, Paris, Librairie de la construction moderne, 1907, p39.

11 Ibid

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française, le dessin ornemental, la composition décorative et la sculpture pratique12.

Ces cours sont donc très divers, puisqu’ils sont à la fois relatifs au domaine scientifique, artistique, littéraire et même législatif. Cette formation complète a ainsi permis à Fortier d’être assez polyvalent et de pouvoir très vite s’installer à son compte.

En plus de cette base pluridisciplinaire, les élèves des Beaux-Arts passent des mentions, afin de pouvoir passer en première classe. Ces épreuves donnent un indice sur les intérêts spécifiques de notre architecte. On peut prendre connaissance des différentes mentions qu’a obtenues Fortier grâce à son «bulletin scolaire», répertoriant les dates des jugements obtenus en deuxième classe13. Selon ce document, Fortier aurait obtenu une mention en mathématiques en 1887, une mention en géométrie descriptive la même année, une mention en perspective en 1888, une mention en histoire de l’architecture en 1887, une mention en stéréotomie la même année, une mention en construction en 1888 et une mention en dessin en 1887. Néanmoins, ce «relevé de mention» est assez peu lisible et assez difficile à comprendre lorsque l’on ne connaît pas très bien le fonctionnement de l’école des Beaux-Arts, aussi l’on peut compléter ces informations par des recherches dans les journaux de Valenciennes qui, à chaque récompense obtenue par un élève originaire de la ville, publie un article dans la rubrique «Nos artistes». Ainsi dans le Courrier du Nord, on apprend que Laurent Fortier a également obtenu une mention en archéologie14. Il aurait obtenu treize mentions au total15.

En 1898, les travaux de Fortier aux Beaux-Arts de Paris sont exposés à l’Académie de Valenciennes, au cours d’une exposition présentant les propositions d’élèves aux concours.

Fortier y présente un lavoir, un campanile d’hôtel de ville et un projet «très développé de Bourse maritime»16.

Laurent Fortier entre finalement en première classe le 7 mars 188917. On apprend, grâce aux journaux valenciennois, que c’est grâce à la mention sur esquisse qu’il a pu accéder à ce rang18.

La section d’architecture de l’école des Beaux-Arts bénéficie de plusieurs fondations, organisant chaque année des remises de prix19. L’admission en première classe de Fortier en 1889 lui permet désormais de participer à l’un d’eux : le concours Rougevin. Il y aurait participé pour la première fois en 1890, où il y aurait obtenu simplement une mention20.

On trouve la trace des différents concours et récompenses obtenues par Fortier dans son «bulletin scolaire»21. Malgré l’écriture peu lisible, on devine sa participation aux concours Rougevin, Godeboeuf et d’autres dont le nom est méconnaissable. Dans sa biographie, Marie-Laure Crosnier Leconte mentionne le fait que Fortier a obtenu deux secondes médailles au concours Rougevin : l’une en 1891 et l’autre en 1893, alors qu’il venait d’être diplôme.

Laurent Fortier est diplômé le 16 juin 1892. Son projet se nomme «L’hôtel d’un riche armateur»22, et sera exposé un an plus tard au Salon des Artistes Français de 1893.

12 Ibid 13 Archives Nationales, sous-série AJ 52, 392 0214 : dates des jugements et mentions en deuxième classe.

14 Bibliothèque municipale de Valenciennes, PCDN, Le Courrier du Nord, 23 juin 1887.

15 CROSNIER LECONTE (Marie-Laure), «Biographie Laurent Fortier», base de donnée AGHORA, INHA, saisie le 21/12/2005 et modifiée le 26/01/2016.

16 Id, 21 septembre 1888.

17 Archives Nationales, sous-série AJ 52, 392 0214 : Entrée en première classe et dates des jugements.

18 Bibliothèque municipale de Valenciennes, PEF 1889-03-19, L’Echo de la Frontière, n°11018 du 19 mars 1889.

19 DE PENARUM (David), ROUX et DELAIRE, Les architectes élèves de l’Ecole des Beaux-Arts, Paris, Librairie de la construction moderne, 1907, p82.

20 Bibliothèque municipale de Valenciennes, PCDN, Le Courrier du Nord, 14 mars 1890.

21 Archives Nationales, sous-série AJ 52, 392 0214 : dates des jugements et mentions en deuxième classe.

22 CROSNIER LECONTE (Marie-Laure), «Biographie Laurent Fortier», base de donnée AGHORA, INHA, saisie le 21/12/2005 et modifiée le 26/01/2016.

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c. L'enseignement de André et Laloux, figures de l'architecture du XIXe.

Aux Beaux-Arts de Paris, Laurent Fortier est inscrit dè 1886, au sein de l’atelier de Louis-Jules André (1819-1890)23. Ce dernier, Grand Prix de Rome, est au même moment en train de finaliser la construction de la galerie de la zoologie, actuelle Grande Galerie de l’Évolution du Jardin des Plantes, débutée en 1877 et achevée en 1889. Chef d’atelier de renom, il voit une association de ses anciens élèves se créer en 1883, sous l’impulsion de Julien Guadet24. Laurent Fortier en a peut être fait partie, mais les archives des associations étant difficiles à retracer, il n’a pas été possible de le vérifier.

A la mort de André en 1890, Victor Laloux (1850-1937) lui succède en tant que chef d’atelier. Il avait déjà assisté son prédécesseur auparavant, partageant le même goût pour l’art académique de la Belle-Epoque, comme le montre son œuvre majeure, la célèbre gare d’Orsay, devenue aujourd’hui musée.

L’architecture résolument académique et éclectique des deux maîtres de Fortier l’a sans doute influencé. Néanmoins, elle ne peut pas se constituer comme seule influence du futur style de notre architecte, lequel sera davantage orienté vers le régionalisme. d. L'apparition du régionalisme aux Beaux-Arts.

Selon les recherches de Jean-Claude Vigato dans son livre L’architecture régionaliste, France 1890-195025, on peut considérer que l’architecture régionaliste est née à l’École des

Beaux-Arts en 1886, dans l’atelier de Julien Guadet qui, malgré sa récompense du Grand Prix de Rome et sa fidélité à l’Académie, rédigea un cours rationaliste, voire fonctionnaliste, ne reposant pas sur le commentaire exclusif des œuvres grecques et romaines, comme tel était d’usage à l’époque. Il enseignait l’importance du climat sur la forme de l’architecture.

Il démontra que même certains des bâtiments classiques avaient des proportions de baies différentes selon l’endroit où elles se trouvaient : le climat semblait ainsi avoir d’avantage d’influence sur l’architecture que les conventions modulaires des théories classiques.

Guadet osa même recommander à ses élèves de ne pas laisser de côté les ressources locales et d’utiliser les matériaux locaux.

Deux ans auparavant, en 1884, a eu lieu la construction de la première œuvre régionaliste selon François Loyer26. Il s’agit de l’Hôtel de Ville de Loos-lez-Lille, conçu par Louis-Marie Cordonnier, dont l’usage de la brique et la construction d’un beffroi en façade font référence à l’architecture traditionnelle des Flandres.

On peut donc penser que dès sa formation aux Beaux-Arts, Laurent Fortier eut entretenu une certaine proximité avec l’architecture régionaliste, soit en discutant avec des camarades de l’atelier de Guadet, soit en retournant dans sa région d’origine et en visitant l’Hôtel de Ville de Loos-lez-Lille, ville à seulement 50km de Valenciennes.

23 Archives Nationales, sous-série AJ 52, 392 0217 : Lettre de Louis-Jules André au directeur de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris le 8 mai 1886, lui demandant d’inscrire le nom de Fortier sur la liste de son atelier.

24 «Cette association a été fondée en 1883; elle groupe 150 anciens élèves de l’atelier André. Deux réunions ont lieu chaque année : en juin et en décembre.— Secrétaire : Lucien Leblanc». in DELAIRE, Les architectes élèves de l’Ecole des Beaux-Arts, Paris, Librairie de la construction moderne, 1907, p446.

25 VIGATO (Jean-Claude), L’architecture régionaliste, France, 1890-1950, Paris, 1994, p15.

26 LOYER (François), «Ornement et caractère», Le Siècle de l’éclectisme Lille 1830-1930, Bruxelles, Archives d’Architecture moderne, 1979, pp65-104.

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3. Un début de carrière à Paris.

Après avoir obtenu son diplôme en 1892, Fortier s’installe à Paris, où il réside au 4 rue Perronnet dans le 7ème arrondissement. Il y habitera jusqu’à son déménagement à Cambrai, en 1894. Quelles y sont ses activités ? En quoi ne le coupent-elles pas de sa ville natale, Valenciennes ? a. Le Grand Prix de Rome : une ambition tenace soldée par un échec.

Selon les journaux valenciennois27, Laurent Fortier a une nouvelle fois participé au concours Rougevin28 en 1893, alors qu’il était diplômé, sur le sujet «une loggia à l’extrémité d’une galerie». Il aurait remporté la première des cinq deuxièmes médailles, ce qui lui aurait permis de faire partie des soixante élèves architectes admis à concourir pour composer les dix logistes du Grand Prix de Rome. Cette récompense est attestée dans le «bulletin scolaire» de Fortier29. Cependant, lorsque l’on consulte l’ouvrage répertoriant les différents travaux des vainqueurs des concours Rougevin et Godeboeuf30, le deuxième prix est attribué à M. Delmas, ce qui discrédite l’information donnée par le journal valenciennois.

Cette persistance à participer aux concours de l’école des Beaux-Arts suggère que Fortier avait sans doute eu l’ambition de persévérer dans l’obtention du Grand Prix de Rome, après la remise de son diplôme. Cela s’est cependant soldé par un échec, puisqu’il ne parviendra jamais à remporter ce concours. b. La mention au Salon des Artistes Français.

Le projet de Laurent Fortier pour l’obtention du diplôme d’architecte a été exposé au Salon des Artistes Français, alors tenu dans la Galerie des Machines31. Cet évènement annuel organisé par la Société des Artistes Français, a permis à Fortier de se forger un nom dans la capitale, de devenir membre de la Société des Artistes Français et d’y exposer, plus tard, certaines de ses réalisations en vue d’une récompense. C’est ainsi qu’il expose en 1899 une «étude pour la construction d’un collège», obtenant une mention honorable, et en 1903 l’Hôtel de Ville de Solesmes (Nord), dont il sera récompensé d’une deuxième médaille. c. Un métier d'aquarelliste à Paris.

Selon la biographie32 rédigée par Marie-Laure Crosnier-Leconte, Laurent Fortier aurait été aquarelliste à Paris entre 1893 et 1895.

Le dessin qu’il a réalisé pour le menu du repas du sport nautique valenciennois33 (ill.

2), datant de 1892 peut également conforter cette idée, même si sa datation est légèrement 27 Bibliothèque municipale de Valenciennes, PCDN, Le Courrier du Nord, le 2 mars 1893.

28 «Le prix institué par feu Auguste Rougevin, consiste en deux sommes de 600 et 400 francs attribuées aux élèves classés les deux premiers dans le concours spécial d’ornement et d’ajustement en première classe ; chacun de ces prix ne peut être obtenu qu’une seule fois.» DE PENARUM (David), ROUX et DELAIRE, Les architectes élèves de l’Ecole des Beaux-Arts, Paris, Librairie de la construction moderne, 1907, p83.

29 Archives Nationales, sous-série AJ 52, 392 0214 : dates des jugements et mentions en deuxième classe.

30 Concours Rougevin et Godeboeuf, Ouvrage publié sous la direction de M.V. Boucaut, Paris, Auguste Vincent, 1910.

31 DE PENARUM (David), ROUX et DELAIRE, Les architectes élèves de l’Ecole des Beaux-Arts, Paris, Librairie de la construction moderne, 1907, p147.

32 CROSNIER-LECONTE (Marie-Laure), «Biographie Laurent Fortier», base de donnée AGHORA, INHA, saisie le 21/12/2005 et modifiée le 26/01/2016.

33 Bibliothèque municipale de Valenciennes, E-F19FOR0001 : Laurent Fortier, Sport Nautique Valenciennois : Menu, estampe, 1892.

21

Ill.2 - Bibliothèque Municipale de Valenciennes, E-F19FOR0001 Laurent Fortier, Sport Nautique Valenciennois : Menu, estampe, 1892.

Ill.3 - Bibliothèque municipale de Valenciennes, 17 Fi 2008.

Projet de Fortier pour l’implantation de la nouvelle gare sur la Place Verte.

22

en avance par rapport à celles annoncées par Crosnier-Leconte. d. Un lien d'origine.

toujours

entretenu

avec

sa

ville

Alors qu’il réside encore à Paris, Laurent Fortier s’exprime sur les projets en cours dans sa ville natale, Valenciennes. La ville est alors en plein démantèlement de ses remparts, et cherche à implanter une nouvelle gare, davantage adaptée à ses nouvelles limites.

En décembre 1892, il envoie son projet détaillé au journal local Le Courrier du 34 Nord , qui publie sa proposition sous forme d’article. Fortier défend l’idée d’une gare implantée sur la place Verte, au niveau des nouveaux boulevards à l’Est de la ville, car selon lui, cela permettrait de supprimer des passages à niveau et de magnifier le jardin existant.

On retrouve le plan de cette proposition dans le dossier Fortier du don Poinsignon à la Bibliothèque Municipale de Valenciennes35 (ill. 3). Fortier reconnaît cependant le coût trop onéreux d’une telle entreprise, lequel pouvant néanmoins être amoindri par la vente de nouveaux terrains issus du démantèlement.

Suite à des critiques de la part de la municipalité et de certains habitants, Fortier répond le 1er janvier 1893 par un article dans L’Echo de la Frontière36. Il maintient son point de vue, donnant des arguments pour chaque habitant des communes alentours et défendant l’intérêt général. Il a visiblement échoué puisque la place Verte est désormais l’emplacement de l’actuel Musée des Beaux-Arts de Valenciennes, la gare ayant finalement été construite plus loin du centre-ville, non loin de sa rivière, l’Escaut, endroit jugé plus stratégique pour les échanges commerciaux.

34 35 36

Bibliothèque municipale de Valenciennes, PCDN, Le courrier du Nord, le 1er décembre 1892.

Id, 17 Fi 2008.

Id, L’Echo de la Frontière, n°11660, le 7 janvier 1893.

23

Ill.4 - Cambrai, M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, I.F.2.

Façade intérieure de la propriété de M. Deron, rue de l’Ange à Cambrai, 13 décembre 1894.

Ill.5 - Cambrai, M.A.C., S.C.P., fonds Fortier, II.B.45.

Façade intérieure de la propriété intérieure de M. Germe, rue Sadi-Carnot et rue des Carmes, le 8 août 1895.

24

B. L'INSTALLATION A CAMBRAI.

Au vu du lien profond qu’il conservait avec sa ville natale, il est difficile de comprendre pourquoi Laurent Fortier a décidé de s’installer à Cambrai. Peut-être est-ce à cause de son échec dans la proposition de nouvelle gare sur la place verte à Valenciennes...

Néanmoins, dans l’éloge funèbre qu’il prononça à son égard, Mr Dailliez affirme que Laurent Fortier avait été attiré à Cambrai par des liens de parenté. Etant donné que sa mère, Hirma Dislaire, était originaire de la ville, cela est également très probable.

Il emménage à Cambrai en 1894, où il installe son domicile et atelier au 70 place d’Armes1, au cœur de la ville. L’année suivante, il déménage au 16 rue Sadi-Carnot2.

1. Des débuts modestes.

Ne bénéficiant pas d’une grande notoriété initiale dans la ville, Laurent Fortier peine un peu à se faire une clientèle. On retrouve peu de traces de ses premiers projets, du moins à l’intérieur du fonds Fortier.

Le premier d’entre eux serait une façade intérieure dessinée en décembre 1894, pour la propriété de M. Deron rue de l’Ange3 (ill. 4). Celle-ci, représentée à la fois en plan, coupe et élévation, témoigne du style académique de l’architecte, alors tout juste sorti des BeauxArts. On retrouve en effet des éléments classiques, comme la colonne, le chapiteau, des lignes droites et des surfaces encadrées par des motifs géométriques. Parmi les documents conservés et datés, on retrouve aussi le dessin d’une façade en chêne pour l’intérieur de la maison de M. Germe, à l’angle entre la rue Sadi-Carnot et la rue des Carmes à Cambrai, réalisé en août 18954 (ill. 5). Il a également réalisé d’autres travaux d’aménagement intérieur de ce type, notamment chez M. Maillard-Stivenard la même année5.

Ainsi Fortier semble avoir commencé timidement sa carrière à Cambrai par des commandes modestes d’aménagement intérieur. On retrouve, au sein du fonds Fortier, énormément de dessins de façades intérieures de ce type, ou de détails de cheminée, de porte ou de vérandas, la plupart non datés et non localisés. Il pourrait s’agir de la même période.

Ces commandes, bien qu’elles ne lui permettent pas de développer et d’exposer aux yeux de tous ses capacités, lui ont sans doute permis d’approcher une clientèle assez bourgeoise, laquelle fera appel à lui un peu plus tard, lors de la construction d’hôtels particuliers.

Laurent Fortier a également réalisé en 1894 sa première œuvre d’art funéraire : le monument à Emile Macarez6, ancien maire de Solesmes (Nord) mort en 1887. Le résultat final est très éloigné de l’esquisse de Fortier (ill. 8), laquelle promettait une sculpture monumentale surmontée d’une figure ailée. Le monument prend finalement la forme d’un socle assez simple supportant un buste de Macarez (ill. 9).

1 2 3 4 5 6

Annuaire Ravet-Anceau, 1895.

Id, 1896.

Cambrai, M.A.C., S.C.P., fonds Fortier, I.F.2..

Id, II.B.45.

Id, II.B.8.

Id, IV.A.1.

25

Ill.6 - Cambrai, M.A.C., S.C.P., fonds Fortier, II A 1.

Planche de Fortier pour un projet d’Hôtel de Ville, Salon de 1904.

Ill.7 - Cambrai, M.A.C., S.C.P., fonds Fortier, II A 2.

Planche de Fortier pour un projet d’Hôtel de Ville, Salon de 1904.

26

2. Un temps libre d'architecture.

consacré

aux

concours

Outre ces premiers projets assez modestes, Laurent Fortier occupe son temps libre aux concours d’architecture. Cela lui permet de continuer à exercer son art, et à accroître sa notoriété, assez difficile à mettre en place avec des projets de décoration intérieure. a. Des résultats mitigés.

Son premier concours date de 1895, avec l’Hôtel de Ville de Doullens (Somme), où il se place au rang de deuxième7. C’est l’architecte Anatole Bienaimé (1848-1911) qui remporte le concours et bâtira un édifice au style éclectique, désormais inscrit aux Monuments Historiques. Nous avons contacté les Archives Départementales de la Somme afin de consulter les plans de la proposition de Fortier, les archives communales de Doullens ayant été transférées là-bas. Elles ont alors entrepris quelques recherches dans la série O (administration communale) mais n’ont trouvé que les pièces graphiques du projet lauréat8.

On apprend aussi, à la lecture du règlement du concours (délibération du 24 août 1894), que les projets non primés ont été rendus à leurs auteurs. Cela pourrait expliquer l’absence de documents dans le fonds communal. Les plans de la proposition de Fortier pour l’Hôtel de Ville de Doullens n’étant pas mentionnés comme tels dans le fonds Fortier, on peut donc penser qu’ils ont soit été transmis à la descendance de Fortier, soit qu’ils ont été perdus.

On peut cependant émettre une hypothèse quant à la proposition de Fortier. En effet, on retrouve, dans le fonds Fortier, un projet d’Hôtel de Ville présenté au Salon de 19049 (ill. 6 et 7) qui pourrait éventuellement être celui de Doullens. Ce projet ne ressemble pas à celui de l’Hôtel de Ville de Solesmes, grâce auquel il a remporté une deuxième médaille. N’ayant pas connaissance d’autres projets d’Hôtels de Ville, il peut peut-être s’agir de celui de Doullens.

Le projet témoigne de la faculté de l’architecte à dessiner un bâtiment imposant, recherchant une symétrie parfaite, sur une parcelle trapézoïdale. Afin d’y parvenir, il choisit de placer au centre de la parcelle une cour rectangulaire, générant un repère orthonormé pour les ailes du bâtiment qui l’entourent. Le style des façades est éclectique, de par le néoclassicisme de ses deux premiers niveaux et régionaliste, de par sa toiture haute et comportant de nombreuses flèches et lucarnes.

En 1895 également, il participe au concours public pour la construction d’une grande salle de réception, le Palais Fervaques de Saint-Quentin, où il se place quatrième10.

Il est finalement remporté par l’architecte Gustave Malgras-Delmas. Nous avons essayé d’en savoir plus sur la proposition de Fortier en contactant les Archives Départementales de l’Aisne, mais celles-ci ont indiqué que les fonds d’archives départementaux ont été durement éprouvés par les deux guerres mondiales, et ne conservent que très peu de documents de la période 1800-1945. Les propositions de Fortier ne se trouvent pas non plus aux archives municipales de Saint-Quentin, selon un échange électronique avec les archivistes de la ville.

L’année suivante, en 1896, Fortier obtient le premier prix et l’exécution de la SousPréfecture de Dunkerque, dont on détaillera les enjeux dans la partie I.C. puisque c’est grâce 7

Id, I.A.1. et DE PENARUM (David), ROUX et DELAIRE, Les architectes élèves de l’Ecole des Beaux-

Arts, Paris, Librairie de la construction moderne, 1907, p263

8 D’autres recherches ont été entreprises dans la série O, sans résultat : «Les délibérations du Conseil départemental des constructions et des bâtiments publics n’ont été conservées que jusque 1894, un an seulement avant le lancement du concours. Le registre de délibérations (1890-1900, non coté), quant à lui, donne quelques indications sur l’organisation du concours et sur le nom de l’architecte primé, mais les noms des concurrents ne sont pas mentionnés.» (d’après le courrier du responsable des Archives Départementales de la Somme.

9 Cambrai, M.A.C., S.C.P., fonds Fortier, II A 1 à 3.

10 DE PENARUM (David), ROUX et DELAIRE, Les architectes élèves de l’Ecole des Beaux-Arts, Paris, Librairie de la construction moderne, 1907, p153

27

Ill.8 - Cambrai, M.AC., S.C.P., Fonds Fortier, IV.A.1.

Proposition de Fortier pour le monument en hommage à Emile Macarez.

Ill.9 - Source : Geneanet.fr Monument Emile Macarez dans le jardin public de Solesmes.

Ill.10 - Cambrai, M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, V.A.59.

Planche extraite de l’Architecture et la Construction dans le Nord, parue en février 1899, présentant le projet de Fortier.

Ill.11 - Source : monumentsmorts.univ-lille.fr Cette carte postale de 1903 montre le contexte dans lequel était exposé l’oeuvre.

28

à sa fonction d’architecte départemental qu’il a pu y participer. Son style régionaliste et éclectique en fait la première œuvre «vitrine» du style de Fortier et a grandement participé à la renommée de l’architecte. b. Le Monument élevé à la mémoire des enfants de Comines pour la Patrie.

Laurent Fortier remporte également en 1897 le premier prix pour le monument élevé à la mémoire des enfants de Comines pour la Patrie. Le monument est élevé le 25 septembre 1898, sur la place du Rond-Point, actuelle place de la Liberté11 (ill. 11).

Il s’agit d’une œuvre commémorative à la mémoire des soldats de Comines tombés pendant la guerre franco-prussienne (1870-1871). Son langage s’apparente encore au classicisme : l’œuvre dispose d’une base, d’une colonne et d’un chapiteau, le tout étant parfaitement symétrique. Fortier a collaboré avec le sculpteur A. Laoust, qui a orné le monument de symboles faisant référence à la bataille (quatre anneaux d’amarrages et deux oculi d’où s’écoulent des flots d’eau, référant sans doute aux deux fleuves principaux présents sur le théâtre des batailles : le Rhin et la Meuse) et à l’héroïsme des soldats (une palme enlace l’épée ornant le fût de la colonne). Un pot-à-feu surplombant le chapiteau rappelle le souvenir de ces soldats sacrifiés pour la France, modèles pour les générations futures. Le monument est inauguré le 25 septembre 1898, par le Maire de Comines.

Cette œuvre sera publiée dans la revue L’Architecture et la Construction dans le Nord, en février 189912 (ill. 10). Il s’agit ainsi de la première œuvre de Fortier publiée dans cette revue d’architecture, attestant de la montée de la notoriété du jeune architecte. Lors de la mise en place du Tramway en 1903, le monument sera déplacé dans le Cimetière communal en 1905, suite à la décision du Maire, Désiré Ducarin.

Malgré ces deux derniers succès, on ne peut pas dire que les quelques tentatives aux concours publics de Laurent Fortier aient été fructueuses. Néanmoins, sa nomination pour la Sous-Préfecture de Dunkerque n’est pas négligeable et a sans doute propulsé Fortier au rang d’architecte important pour l’époque.

Il s’essayera plus tard au concours pour la construction des abattoirs d’Angers en 1904, où il ne se placera que troisième13 (ill. 12). Il parviendra néanmoins à remporter le concours pour la caisse d’épargne à Avesnes et à se placer deuxième au concours de la Reconstruction de Cambrai, que l’on abordera dans les parties suivantes.

3. Un architecte singulier à Cambrai ?

Lorsque Laurent Fortier s’installe à Cambrai en 1894, on ne compte qu’un petit nombre d’architecte, n’ayant pas forcément de formation officielle ou de renommée particulière, à part quelques exceptions. L’historien André Leblon en a dressé une liste dans le tome 105 des Mémoires de la Société d’Emulation14 et dénombre quatorze contemporains à Fortier. La plupart d’entre eux n’ont pratiquement pas laissé de trace de leur œuvre : on ne trouve leur nom que dans les annuaires. Cependant, certains architectes ont pu faire figure de concurrence pour Fortier. Parmi eux, on peut citer François Roussel (1846-1924), qui a beaucoup travaillé sur les Monuments Historiques du Cambrésis (remparts de Cambrai, église de Masnières) et qui a construit plusieurs immeubles sur les nouveaux boulevards de la 11 CLYNCKEMAILLIE, «Ces chers disparus et leurs monuments ou l’au-delà industriel et civil au cimetière nord de Comines-France (1856-1956)...» , Mémoires de la Société d’Histoire de Comines-Warneton et de la région, t. 46, Comines, 2016, pp. 95-97.

12 Lille, Médiathèque Jean Lévy, Fonds périodiques, P-74.

13 Angers, Archives Municipales, 2 Fi 110.

14 LEBLON (André), «Les architectes cambrésiens du XIXe» in Mémoires de la Société d’Emulation de Cambrai, tome 105, Cambrai, 1965.

29

Ill.12 - Angers, Archives Municipales, 2 Fi 110.

Planche de Fortier pour le concours pour la construction des abattoirs d’Angers en 1904, troisième prix.

30

ville. Il y a aussi Henri Casimir Legrand (1869-1918), architecte diocésien et Inspecteur des Monuments Historiques, à l’origine d’un grand nombre de maisons également situées sur les nouvelles voies issues du démantèlement. On peut enfin mentionner Augustin Lallemant, connu pour avoir exercé la fonction d’architecte départemental pour l’arrondissement de Cambrai et pour avoir construit de nombreux établissements industriels dans la région. Ces trois architectes, bien qu’ils eurent entrepris de nombreux projets, ne disposent cependant pas d’une reconnaissance officielle, comme le diplôme d’architecte délivré par l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. Seul Eugène Albert Verdez (1863-1907) est alors agréé à ce titre, ce qui lui permet d’exercer la fonction d’architecte voyer de la ville et d’être nommé pour la construction d’un nouveau lycée, actuel lycée Paul Duez.

Plus tard, à la toute fin du XIXe, de nouveaux architectes diplômés par le gouvernement vont s’établir à Cambrai, comme Fernand Garet, originaire d’Amiens et ami de Fortier aux Beaux-Arts15. Il construira de nombreux édifices dans la région, notamment des bâtiments scolaires comme l’école de filles à Hirson, ainsi que des églises et maisons.

En fin de compte, Laurent Fortier dispose d’une certaine singularité par rapport à la plupart des architectes de la ville : homme d’art et de science, sa reconnaissance est rapidement établie face à une concurrence faible ou minoritaire. Cela lui permettra d’accéder à des fonctions importantes dès son arrivée, comme architecte départemental et architecte de la Banque de France.

15 CROSNIER-LECONTE (Marie-Laure), «Biographie Fernand Garet», base de donnée AGHORA, INHA, saisie le 21/12/2005 et modifiée le 26/01/2016.

31

32

C. LA FONCTION D'ARCHITECTE DÉPARTEMENTAL

Selon plusieurs sources1, Laurent Fortier aurait été architecte départemental pour l’arrondissement de Cambrai de 1894 à 1900. Sachant qu’il venait tout juste de s’installer dans la ville et qu’il avait été diplômé seulement deux ans auparavant, cela semble assez surprenant que l’on ait fait appel à lui. Quelles sont donc les raisons de l’admission de Fortier au poste d’architecte départemental ? En quoi consiste cette fonction et quelles furent les tâches accordées à Fortier ? Pourquoi n’occupe-t-il cette fonction que jusque 1900 ?

1. Admission et caractéristiques de la fonction. a. Conditions d'admission de Fortier.

Le 12 octobre 1893, M. Véret, architecte départemental chargé exclusivement des tribunaux à Cambrai décède et se fait remplacer par M. Lallemant, partageant également la fonction d’architecte départemental de cette ville2. Ce dernier se voit alors surchargé de travail et demande au sous-préfet de Cambrai de nommer un remplaçant à M. Véret.

Le sous-préfet choisit Laurent Fortier, tout juste nommé architecte des Communes et des Etablissement publics le 20 mars 1894. Le Préfet du Nord accepte et nomme Laurent Fortier architecte départemental attaché exclusivement aux tribunaux civils et de commerce de Cambrai le 28 avril 18943. Son traitement annuel est porté à 100F à partir du 1er mai suivant, par prélèvement sur celui de M. Lallemant, qui ne gagne plus que 600F. L’année suivante, le sous-préfet demandera au préfet de réviser ce traitement, octroyant une somme plus importante à Fortier, soit 250F, ainsi qu’à Lallemant, avec 800F4.

Cambrai est à l’époque une des rares villes à avoir scindé la fonction d’architecte départemental en deux. Ceci est dû à un conflit entre M. Lallemant et M. Joppé5, le Président des Tribunaux civils, ayant eu lieu en 1914, dont les raisons ne sont pas explicitées dans les documents recueillis dans le dossier d’archive.

Cette nomination au poste d’architecte départemental, bien que partagée avec M. Lallemant, semble être assez surprenante, puisqu’à ce moment-là, en 1894, Fortier vient tout juste de s’installer à Cambrai et ne dispose pas d’une solide notoriété. Peut-être estce grâce à sa formation aux Beaux-Arts de Paris, puisque c’était à l’époque, considéré comme le «sésame» pour accéder à de telles fonctions, comme le souligne Anne Langlet dans son article sur la fonction d’architecte départemental6. L’expérience de Fortier en tant qu’architecte des Communes et des Établissements publics est également un «passage obligé» pour prétendre à cette fonction7.

1 Cambrai, M.A.C., S.C.P., fonds Fortier, I.A.1. et I.A.2.

2 Archives Départementales du Nord, sous-série 4 N 13 : arrêté du Préfet du 30 octobre 1893.

3 Id. Arrêté du Préfet du 28 avril 1894.

4 Id. Lettre du sous-préfet au préfet, le 29 mars 1895.

5 Id. Lettre du sous-préfet le 10 mai 1900.

6 LANGLET (Anne) et LUCIEN-MAISONNEUVE (Marie-Josèphe), « L’institution des architectes départementaux et municipaux et la concurrence des ingénieurs, en France, au XIXe siècle », In Revue du Nord, tome 82, n°335-336, Avril-septembre 2000. pp.487-500.

7 Ibid.

33

b. Les caractéristiques de la fonction d'architecte départemental.

Depuis le 26 décembre 1867, la Préfecture doit nommer un architecte départemental à la tête de chacun des arrondissements de son département. Afin de bien comprendre ce en quoi consistait cette fonction, on peut se référer à l’extrait du Recueil des Actes administratifs, remis à jour le 23 novembre 1894 par le Préfet du Nord.8

Le premier article de ce document stipule :

«Les architectes départementaux sont chargés, chacun dans son arrondissement et sous sa responsabilité, de la surveillance et de la conservation des bâtiments et édifices départementaux et de leurs dépendances, ainsi que des mobiliers de la Préfecture, des SousPréfectures, des Tribunaux et tous autres bâtiments départementaux où il en existerait.

A cet effet, les architectes départementaux font chaque année quatre tournées, dans lesquelles ils constatent l’état du bâtiment [...].»9 .

Les articles suivants détaillent la procédure à laquelle doivent se tenir les architectes départementaux. Que ce soit pour les réparations ou nouveaux aménagements de bâtiments, ils doivent produire plans, projets et devis, accompagnés d’un rapport justificatif et les soumettre à la Sous-Préfecture. Ils sont ensuite chargés de suivre les chantiers

Dans le département du Nord, il existe sept arrondissements10 auxquels sont allouées certaines sommes dues au traitement de l’architecte départemental responsable de l’arrondissement. Cambrai se situe alors comme une ville médiane, dont le budget de 1050F est nettement en deçà de celui de Lille (2000F), légèrement en dessous de ceux de Douai et Valenciennes, mais au dessus de ceux de Dunkerque, Hazebrouck et Avesnes. A cette rémunération s’ajoutent des honoraires lorsqu’il s’agit d’un projet de bâtiment neuf de plus de 6000F, lesquels sont élevés à 2 ou 3% selon son prix.

La nomination de Fortier en tant qu’architecte départemental est assez spécifique : on le charge exclusivement des tribunaux civils et de commerce de Cambrai. Or, on ne retrouve pas le nom de Fortier dans les divers travaux liés à ces tribunaux. Fortier y a peutêtre uniquement effectué des visites de surveillance ou des travaux d’entretien.

2. Le chantier Dunkerque.

de

la

Sous-Préfecture

de

a. A l'origine, un concours.

En 1894, la ville de Dunkerque lance un concours à deux degrés11 pour la construction d’un nouvel hôtel pour sa Sous-Préfecture. Celui-ci est ouvert exclusivement aux architectes agréés du département du Nord. Le budget est clairement défini : 150’000 F pour le bâtiment, honoraires de l’architecte compris, fixé à 7500 F12.

La ville détaille le programme dont elle souhaite disposer dans chaque étage de la future construction, à placer dans le bâtiment principal et dans ses dépendances.

Le jury est composé du Préfet du Nord, du Maire de Dunkerque, de trois membres du Conseil Général, et de trois architectes membres de la Commission des Bâtiments Civils du département du Nord désignés par les concurrents.

Les projets de l’épreuve du 1er degré doivent être remis à la Préfecture le 17 8 Archives Départementales du Nord, sous-série 4 N 13. Extrait du recueil des actes administratifs, 23 novembre 1894.

9 Ibid.

10 Lille, Douai, Valenciennes, Cambrai, Dunkerque, Hazebrouck, Avesnes.

11 Un concours à deux degrés est un concours organisé en deux étapes de sélection.

12 Archives Départementales du Nord, Sous-Série 4 N 214. Programme du concours pour la construction de la Sous-Préfecture de Dunkerque.

34

décembre 1894. Suite à cette première épreuve, un certain nombre de concurrents seront ensuite désignés pour l’épreuve du 2ème degré. Le concours du 2ème degré sera ouvert le 3 janvier 1895, et les projets devront être remis le 1er avril suivant, avec un nombre précis de pièces graphiques à remettre.

Selon l’extrait des procès-verbaux des délibérations de la séance du jeudi 25 avril 13 1895 , dix projets, sans devis, ont été transmis et selon M. Ronnelle, rapporteur de la Commission, ils dépassaient tous nettement le budget prévu de 150’000 F.

Quatre de ces projets ont été retenus pour l’épreuve du second degré : celui de M. Dutouquet, architecte à Valenciennes, celui de M. Mallet, architecte à Lille, celui de M. Vandelbulk, architecte à Hazebrouck et celui de L. Fortier. Ils ont pour obligation formelle de respecter le budget prescrit, sous peine d’élimination.

Laurent Fortier est désigné lauréat du concours, grâce à sa proposition assez osée d’installer la façade principale dans l’angle de la rue Thiers et de la rue du canal de Bergues (ill. 13), même si cette idée est jugée plutôt onéreuse. La Commission demande alors à l’architecte d’accepter de voir ses plans modifiés par les architectes membres, dans le but de réévaluer le budget.

Le 3 octobre suivant, M. Batteur, architecte à Lille, est chargé du contrôle des 14 travaux . Fortier viendra tout de même plusieurs fois visiter le chantier et rapporter certaines informations au Sous-Préfet de Dunkerque, comme l’attestent plusieurs lettres15. b. Une première régionalisme.

oeuvre

entre

éclectisme

et

Le style choisi par Fortier peut être qualifié de régionaliste, puisqu’il utilise la brique, matériau local, plutôt que la pierre, matériau considéré comme plus noble pour la construction d’un bâtiment publia haute valeur républicaine. De plus, la toiture et les lucarnes rappellent l’architecture typique du Nord de la France et des Flandres (ill. 14). Il est intéressant de remarquer que l’année 1897, date de la construction de la Sous-Préfecture, est aussi la date de la construction de l’Hôtel de Ville de Dunkerque, par Louis-Marie Cordonnier, fameux architecte lillois et considéré comme l’auteur du premier bâtiment régionaliste par François Loyer16. L’Hôtel de Ville dunkerquois présente ainsi lui aussi une architecture de brique et une façade dont les ornements rappellent l’architecture des Flandres.

Néanmoins, dans le bâtiment de Fortier, on ne peut pas parler seulement de régionalisme, puisque la symétrie du bâtiment et le bossage des pierres du rez-de-chaussée rappellent plutôt le style classique. Le bâtiment revêt donc un style éclectique, mêlant à la fois régionalisme et académisme.

Pour François Loyer, «l’éclectisme est une attitude joignant la logique de l’objet architectural à celle de l’environnement, contribuant à une mise en situation de l’édifice par rapport à une hiérarchie - définissant avec clarté un statut social et politique, dont l’architecture serait la représentation matérielle.»17 Jean-Yves Andrieux18 associe cette définition de l’éclectisme à ce qu’il appelle «l’architecture républicaine»19. En effet, le 13 Archives Départementales du Nord, Sous-Série 4 N 214. Extrait des procès-verbaux des délibérations de la séance du jeudi 25 avril 1894 14 Archives Départementales du Nord, Sous-Série 4 N 214. Arrêté du préfet du 3 octobre 1895.

15 Archives Départementales du Nord, Sous-Série 4 N 214. Lettre de Fortier au Sous-Préfet, le 7 décembre 1897.

16 LOYER (François), «Ornement et caractère», Le Siècle de l’éclectisme Lille 1830-1930, Bruxelles, Archives d’Architecture moderne, 1979, pp65-104.

17 Ibid.

18 ANDRIEUX (Jean-Yves), L’architecture de la République - les lieux de pouvoir dans l’espace public en France, 1792-1981, CNDP, Paris, 2009.

19 Ibid.

35

Ill.13 - Archives Nationales du Nord, sous-série 4 N 214.

Laurent Fortier, Sous-Préfecture de Dunkerque, Plan du Rez-de-Chaussée, 1895.

36

développement de l’éclectisme intervient à peu près au même moment que la période de la IIIème République en France. On décide d’ériger les bâtiments des nouvelles institutions républicaines, comme la Sous-Préfecture de Dunkerque, dans un style «national», lui-même composé de plusieurs styles académiques et régionaux. c. Postérité du bâtiment.

Le bâtiment a été lourdement touché pendant les deux guerres mondiales, mais a été à chaque fois restauré de manière à retrouver son apparence d’origine.

La Sous-Préfecture voyant ses locaux devenir de plus en plus exigus, lance ensuite un appel à projet et désigne en 2003 l’architecte Dominique Tessier afin de créer une extension. Celui-ci prend le parti de créer un signal sur la rue de Thiers, dont Fortier n’avait pas forcément pris le temps d’en dessiner la façade, focalisant son attention sur l’angle avec la rue du canal de Bergues.

3. Une démission forcée.

Alors que l’on voit désormais Fortier comme un architecte en pleine voie d’accomplissement, celui-ci est brutalement contraint de démissionner de sa fonction d’architecte départemental en 1900.

En effet, le Sous-Préfet de Cambrai l’accuse d’avoir figuré sur la liste réactionnaire de M. Black lors des dernières élections municipales de la ville20. Dans une lettre datant du 10 mai 1900, il demande au Préfet de destituer Fortier de ses fonctions : «M. Fortier a le droit incontestable d’être réactionnaire et d’afficher ouvertement ses sympathies antigouvernementales ; mais le département a le devoir strict de ne confier de fonctions qu’à des agents sûrs et dévoués à l’ordre des choses établi.21»

Le 16 juillet suivant, Laurent Fortier remet sa lettre de démission au Préfet22. Il est destitué de ses fonctions par arrêté préfectoral le 20 juillet suivant23.

Il est remplacé par son prédécesseur et collaborateur, Augustin Lallemant, qui démissionne lui aussi un peu plus tard, la même année. C’est Fernand Garet, camarade de Fortier aux Beaux-Arts, qui assumera la fonction jusque 1927.

On pourrait éventuellement en savoir davantage sur cette affaire en se rendant aux archives de la Sous-Préfecture de Cambrai. Cependant, ces archives n’ayant jamais été inventoriées et étant assez difficiles d’accès, nous n’avons pas jugé nécessaire d’aller plus loin dans les recherches. Nous avons néanmoins pu constater, par le biais de cette étude, que Laurent Fortier était un homme plutôt engagé dans la politique locale, assez critique des pouvoirs publics, et nous ne manquerons pas de retrouver ce trait de caractère un peu plus tard dans le mémoire, notamment au sujet de son rôle au sein des sociétés et associations.

20 Archives départementales du Nord, Sous-série 4 N 13. Lettre du Sous-Préfet au Préfet, le 10 mai 1900.

21 Ibid 22 Id, Lettre de Fortier au Préfet, le 16 juillet 1900.

23 Id, arrêté préfectoral du 20 juillet 1900.

37

Ill.14 - Archives Nationales du Nord, sous-série 4 N 214.

Laurent Fortier, Sous-Préfecture de Dunkerque, Façade principale, 1895.

Ill.15 - Source : Geneanet La Sous-Préfecture de Dunkerque après sa construction, 1916.

38

D. LA FONCTION D'ARCHITECTE DE LA BANQUE DE FRANCE.

Parallèlement à la fonction d’architecte départemental, Laurent Fortier occupe également le poste d’architecte de la Banque de France dans le Cambrésis, de 1894 à 1923.

La Banque de France, à l’époque institution de capital privé, se doit d’être représentée dans tous les chefs-lieux des départements, sous la forme de succursales. Le département du Nord, alors en pleine expansion grâce à la Révolution Industrielle devient un territoire stratégique pour la banque. La succursale de Cambrai est d’ailleurs placée douzième succursale de France. La Banque de France nomme alors des architectes responsables de chaque succursale afin de diffuser son image prestigieuse. Quel rôle Fortier occupe-t-il en tant qu’architecte de la Banque de France ? Dans quelles mesures cette fonction lui permetelle de mettre en avant ses talents d’architecte ? Ou de chef de chantier ?

1. Conditions d'admission. a. La démission de Delvigne.

En 1880, la Banque de France s’installe à Cambrai. Pour ce faire, elle acquiert un terrain, rue des Capucins, où elle transforme un ancien hôtel particulier existant en succursale. Elle nomme Arthur Delvigne, architecte installé de longue date à Cambrai pour diriger les travaux de réhabilitation.

Quelques années plus tard, au début de 1894, des conflits éclatent entre Delvigne et la Banque de France. Ceux-ci sont relatés dans les lettres de Alphonse Defrasse (18601939), alors chef du service architecture de la Banque de France, au Gouverneur1. Il dénonce l’absence de Delvigne à sa tâche d’architecte de la succursale et l’accuse de se rendre injoignable. La question d’un éventuel remplacement est déjà au cœur des discussions.

Defrasse finit alors par mener l’enquête et découvre que Delvigne avait en fait abandonné son travail et avait tendance à «fréquenter excessivement les estaminets»2. Cela lui a causé de l’endettement et une mauvaise réputation auprès de la société cambrésienne. Defrasse contraint Delvigne à démissionner, ce que ce dernier fera, le 12 juin 1894, prétendant ne pas être assez disponible pour le poste à cause de la maladie de sa femme. Il décède peu de temps après, la même année. b. La nomination de Fortier.

Déjà avant la démission de Delvigne, Defrasse pensait à la question de son remplacement. Le contrôleur général de Cambrai lui demande alors de constituer une liste de remplaçants potentiels dans laquelle figureront « les indications qui seront données sur la personne », « les différents titres qu’ils peuvent avoir, soit comme élèves de l’école des Beaux-Arts ou des Départements, soit comme attachés à des administrations publiques », et enfin « les recommandations dont ils seraient l’objet. »3.

Defrasse lui répond en dressant ladite liste, plaçant à sa tête Laurent Fortier. Celuici est valorisé de par sa formation aux Beaux-Arts, sa mention au Salon de 1893 et sa nomination en tant qu’architecte départemental aux tribunaux de Cambrai. Il est avantagé par rapport aux autres architectes de la ville, qui n’ont ni formation, ni œuvres importantes pouvant faire la différence. De plus, Defrasse a pu faire la connaissance de Fortier aux 1 Archives de la Banque de France, dossier «Cambrai».

2 Ibid 3 Ibid

39

Ill.16 - Archives de la Banque de France, Cambrai.

Planche présentant le projet de la succursale de Cambrai, par Defrasse, mars 1901.

Ill.17 - Archives de la Banque de France, Cambrai.

Photo du bâtiment en 1925.

Ill.18 - Archives de la Banque de France, Cambrai.

Photo du hall à l’intérieur du bâtiment en 1925.

40

Beaux-Arts puisqu’il y a passé sa dernière année au moment où Fortier venait d’y entrer.

Le 24 mai 1894, Laurent Fortier envoie donc une sorte de «lettre de motivation» dans laquelle il exprime son souhait de devenir architecte de la Banque de France, vantant sa formation et sa mention au Salon de 1893. Afin d’apporter des preuves de son sérieux et de sa compétence, il dit aussi pouvoir être recommandé par M. Guillaume architecte du Louvre et des Tuileries, M. Moyaux architecte de l’Institut et M. Laloux son professeur. Ces recommandations vont bien-entendu jouer en la faveur de Fortier, qui sera nommé le 10 août 1894 architecte de la Banque de France pour l’Arrondissement de Cambrai. Il exercera cette fonction jusqu’à sa mort, en 1923.

2. Conditions d'exercice de la fonction : une liberté limitée ? a. Une fonction soumise à des règles contraignantes.

Après sa nomination en tant qu’architecte de la Banque de France, Fortier est chargé de recopier, dans une lettre, les différents termes de l’exercice de cette fonction. Ce document précise ainsi les différents devoirs et obligations de l’architecte4. Son rôle consiste alors à diriger et à surveiller tous les travaux d’entretiens de la Succursale, ceux-ci devant au préalable faire l’objet d’un devis estimé par l’architecte et autorisé par la Banque Centrale.

On remarque déjà, à travers l’analyse de ce document, que les architectes ne sont pas réellement engagés dans la Banque afin de concevoir les succursales, mais plutôt pour en suivre les chantiers. b. L'autorité architecture.

de

Defrasse,

chef

du

service

Grand Prix de Rome et architecte des Bâtiments Civils et Palais Nationaux, Alphonse Defrasse est nommé architecte de la Banque de France en 1898. Il avait déjà auparavant travaillé pour la Banque, comme l’atteste sa correspondance avec le Gouverneur, au sujet de l’affaire Delvigne et de la nomination de Fortier.

La loi du 17 novembre 1897 oblige la Banque de France à posséder une succursale dans tous les chefs-lieux de département. Defrasse, suite à sa nomination, décide de créer un plan type d’hôtel pour la Banque de France, qui sera repris pour un grand nombre de succursales partout en France. Celui-ci comprend notamment un grand hall éclairé par une verrière au plafond, autour duquel sont aménagés comptoirs et bureaux. Il est intéressant de constater que malgré le caractère «universaliste» que suggère une telle idée, chaque succursale semble néanmoins se pourvoir d’une façade de style régionaliste. Ainsi les succursales du Nord seront davantage construites en brique, celles de la région autour de la Loire en pierre.

Comme le montre l’abondante correspondance entre Defrasse et Fortier, l’architecte en chef a tendance à s’imposer en tant qu’unique concepteur de la succursale, laissant à son collaborateur la gestion de détails techniques et la direction du chantier. On retrouve donc des plans signés parfois uniquement par Defrasse, parfois uniquement par Fortier, ce qui rend difficile l’évaluation de l’implication de chacun dans les projets. Les deux hommes semblent bien s’entendre, puisque tous deux utilisent le tutoiement et témoignent apparemment d’une confiance et d’une estime mutuelle.

4 Ibid

41

3. Les succursales de la Banque de France du Cambrésis avant 1914.

Nous allons aborder ici la construction des différentes succursales du Cambrésis, auxquelles Fortier a participé. Celles-ci sont au nombre de quatre, selon les villes suivantes : Cambrai, Le Cateau, Caudry et Solesmes. Il est important de signaler que vont être relatées dans cette partie uniquement les histoires des succursales du Cambrésis avant 1914. Après la guerre, celles-ci vont être plus ou moins endommagées, et laisser parfois place à de nouvelles constructions, issues de la collaboration entre Fortier et Leprince-Ringuet, que nous aborderons dans le chapitre 3. a. La succursale de Cambrai (1902)5.

Comme nous l’avons déjà évoqué précédemment, la succursale de la Banque de France à Cambrai existe depuis 1880. Seulement, à partir de 1899, le chef de la succursale de Cambrai commence à se plaindre de l’exiguïté du bâtiment. Laurent Fortier se charge alors de redessiner l’organisation interne du bâtiment, tout de même placé idéalement en plein cœur de Cambrai. Defrasse l’assiste dans ce dessin, mais ne semble pas approuver la réhabilitation de ce bâtiment trop inadapté aux besoins modernes. Il suggère alors au Gouverneur de vendre l’ancien hôtel pour acheter un terrain et y bâtir un nouveau bâtiment, suivant le plan-type qu’il a imaginé. Defrasse lui propose d’acheter un terrain sur le boulevard Faidherbe, nouvelle voie issue du démantèlement des remparts de la ville, et considérée à l’époque comme centre des affaires, notamment grâce à sa proximité avec la gare. Il insiste sur la dimension fonctionnelle et économique du futur bâtiment pour défendre son projet : « Il n’est nullement question d’édifier un hôtel comme en possèdent les grandes succursales, mais purement et simplement d’aménager une installation pratique, purement pratique, j’insiste sur ce point, au moins de dépenses possibles. »6. Le contrôleur général accepte et l’adjudication du terrain aura lieu en juillet 1900.

Defrasse s’attelle alors à dessiner la future succursale. On y retrouve l’idée du hall couvert par une verrière autour duquel sont disposés les bureaux. Il choisit d’utiliser la brique et la pierre, afin de s’inscrire dans le paysage architectural de la ville. Cette première esquisse est présentée sur une planche comprenant les différents plans, coupes et élévation principale (ill. 16).

La construction a cependant du mal à démarrer à cause de la difficulté à trouver une entreprise fiable. Laurent Fortier avait suggéré le recours à l’entreprise Défossez-Lefebvre, appartenant à sa belle-mère, mais Defrasse, découvrant des fissures dans des constructions érigées par cette dernière, essaya de l’en dissuader et d’avoir recours à une entreprise parisienne.

Le chantier débute finalement en juin 1901 avec le terrassement du terrain. De nombreuses lettres sont ensuite échangées entre Fortier et Defrasse, le premier demandant au second la permission d’effectuer tel ou tel changement, ou lui rendant simplement compte de l’avancée des travaux.

Le bâtiment est finalement achevé en février 1902. Même si certaines modifications ont été entreprises par Fortier, le bâtiment construit ressemble fortement à celui imaginé dans la première esquisse de Defrasse (ill. 17). Le rôle de Fortier semble ici avant tout consister en celui de contrôleur des travaux de la succursale. L’intérieur de la succursale est meublé avec un mobilier conçu par Defrasse (ill. 18).

5 Archives de la Banque de France, dossier Cambrai.

6 Ibid.

42

b. Succursale de Le Cateau-Cambrésis (1907)7.

La Banque de France s’est installée à Le Cateau-Cambrésis dès 1899. Comme ce fut le cas à Cambrai, elle occupait au préalable un hôtel particulier, rue Gambetta, en face de l’Hôtel de Ville mais dont la configuration ne se prêtait pas aux besoins de la Banque de France. C’est pourquoi, en 1907, la Banque de France acquiert un nouveau terrain, sur la rue du Marché aux Chevaux, l’immeuble Robert, qu’elle transformera en succursale.

Les plans et la façade de cette réhabilitation sont signés Fortier (ill. 19). Il est ensuite attesté, dans une lettre de Defrasse au contrôleur général que c’est Fortier qui se charge de l’exécution des travaux8. On peut imaginer que pour cette succursale, un peu moins importante que celle de Cambrai, l’architecte en chef ait laissé un peu plus de liberté à son confrère. La façade dessinée par Fortier s’inspire néanmoins assez fortement de celle de la succursale de Cambrai : on retrouve les mêmes lucarnes en oculi et le fronton en arc de cercle, annonçant fièrement le nom du bâtiment.

Le bâtiment n’est plus visible aujourd’hui, fortement endommagé durant la Première Guerre mondiale. Il sera totalement redessiné et reconstruit sous la collaboration de Fortier et de Leprince-Ringuet.. c. Succursale de Caudry9.

Ville enrichie à la fin du XIXe pour son industrie textile, Caudry devient en 1909 un nouveau territoire à conquérir pour la Banque de France. Celle-ci désire alors créer une succursale sur la rue d’Avesnes, aujourd’hui rue de la République. On retrouve une planche de Defrasse réunissant plans, coupes et élévation du projet de succursale à Caudry, comme ce fut le cas à Le Cateau. Cependant, on retrouve aussi des planches plus complètes et plus détaillées, signées quant à elles par Fortier.

Le bâtiment semble plus modeste encore qu’à Le Cateau : la toiture est plus sobre et le fronton supprimé (ill. 20). Un encadrement en pierre autour de la porte d’entrée vient tout de même annoncer le caractère solennel du bâtiment. Il n’a pas pratiquement pas été détruit pendant la première guerre mondiale, c’est pourquoi il n’a pas fait l’objet d’un travail sous la collaboration de Fortier et Leprince-Ringuet. Il a cependant été détruit pendant la deuxième guerre mondiale. d. Succursale de Solesmes10.

La Banque de France décide de s’installer à Solesmes, alors quatrième ville de l’arrondissement de Cambrai, où elle acquiert en 1912 un immeuble rue de Valenciennes, actuellement rue du Général de Gaulle. L’immeuble ne connaît pas de travaux majeurs, Fortier n’y dirigera que quelques travaux d’entretiens.

Pendant la première guerre mondiale, l’immeuble sera détruit et un nouveau bâtiment verra le jour, sur le même emplacement, fruit de la collaboration entre LeprinceRinguet et Fortier.

7 Archives de la Banque de France, Le Cateau-Cambrésis.

8 Ibid.

9 Ibid, Caudry.

10 Ibid, Solesmes.

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Ill.19 - Archives de la Banque de France, Le Cateau Dessin de Fortier pour la succursale du Cateau en 1907.

Ill.20 - Archives de la Banque de France, Caudry Photographie de la succursale de Caudry, conรงue par Defrasse et Fortier en 1909.

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II. L'ÉTABLISSEMENT D'UNE SOLIDE NOTORIÉTÉ DANS LA SOCIÉTÉ CAMBRESIENNE

Nous avons vu dans la partie I que Laurent Fortier tient une place toute particulière en tant qu’architecte dans la ville de Cambrai : c’est en effet l’un des seuls à être diplômé par le gouvernement, et son implication dans les fonctions d’architecte départemental et d’architecte de la Banque de France le positionne au sommet de la profession. Cependant, sa notoriété met du temps à s’établir : l’architecte obtient des résultats assez mitigés aux concours d’architecture et ses premières réalisations dans la ville demeurent plutôt timides. Le démantèlement des remparts de la ville, alors presque achevé, va pourtant bouleverser sa carrière et le propulser au rang des meilleurs architectes de son département.

Fortier, décidant d’installer son domicile et cabinet sur le boulevard Faidherbe, issu du démantèlement des remparts, sera fortement sollicité par la bourgeoisie locale pour construire de somptueuses demeures dans ce nouveau quartier.

Dans quelles mesures le démantèlement des remparts de la Cambrai se constitue-til comme un moteur pour la carrière de Laurent Fortier ? En quoi sa notoriété grandissante lui permet-elle de construire de grands édifices publics dans le Cambrésis ? Se cantonne-til uniquement à la conception de maisons luxueuses et de bâtiment publics ou exerce-t-il d’autres facettes du métier d’architecte ? Quel est son degré d’implication dans les sociétés et associations liées à sa ville et à sa profession ?

45

Ill.22 - Librairie Oscar Masson, Après la guerre, la reconstruction de Cambrai – Projets, Cambrai, 1919 Plan de la ville de Cambrai avant le démantèlement.

Ill.21 - Librairie Oscar Masson, Après la guerre, la reconstruction de Cambrai – Projets, Cambrai, 1919 Plan de Cambrai après le démantèlement et avant 1914.

46

A. LE DÉMANTÈLEMENT DES REMPARTS DE CAMBRAI COMME TREMPLIN DE CARRIÈRE. 1. La modernisation et l'agrandissement Cambrai à la fin du XIXe siècle.

de

a. Origine du démantèlement1.

Au XVIe siècle, la ville de Cambrai est sous la domination de l’Empire de Charles Quint. Ce dernier décide de protéger la ville par des fortifications, percées de différentes portes, limitant son accessibilité. Cela provoque des problèmes de surpeuplement, engendrant de l’insalubrité et de l’insécurité dans le centre-ancien. A l’extérieur des fortifications, les quartiers se développent de manière anarchiste. La zone des fortifications, comprenant le rempart et une bande d’environ 1km de large, est occupée par des pâturages ou des terrains vagues, ce qui isole davantage les quartiers périphériques du centre-ville fortifié2.

A la moitié du XIXe siècle, la révolution industrielle bouleverse les besoins de la ville : de la place est nécessaire pour construire usines et voies ferrées. En 1862, soit huit ans avant le conflit franco-prussien, la municipalité de Cambrai émet le vœu de libérer de l’espace pour la construction d’usines. Les autorités militaires s’y opposent, pressentant le futur conflit. En 1886, le général Boulanger reconnaît cependant l’inefficacité des remparts, incapables de parer aux nouvelles armes.

Le 27 mai 1889 est ainsi voté le principe de démantèlement dans les différentes chambres de la ville. Le 2 juillet 1891, les modalités de ce démantèlement sont établies entre la ville et le ministère de la Guerre. Le 16 avril 1892, la ville s’engage à entreprendre des travaux de destruction et d’arasement des fortifications. Pour ce faire, la ville emprunte 2 millions de francs, qui lui seront insuffisants. Afin de financer l’intégralité des travaux, elle mettra en place la vente des nouveaux terrains issus du démantèlement ainsi que des arbres croissants sur lesdits terrains. Cela a permis à la ville de gagner 3 millions de francs supplémentaires, ce qui porte le montant total des travaux à 5 millions de francs.

Le 15 juin 1893, la direction des travaux de démantèlement est confiée à Macaigne, ingénieur des Ponts et Chaussées. Les travaux sont divisés en trois lots :

- le 18 septembre 1893 : arasement et nivellement de la porte Notre-Dame jusqu’à la porte Saint-Georges.

- le 22 mars 1894 : mise en valeur des terrains s’étendant de la citadelle à l’Escaut.

- le 21 juin 1895 : nivellement des terrains situés entre la porte Notre-Dame et la porte Robert.

Les travaux durent ainsi trois ans, de 1894 à 1896, un délai finalement assez court pour des travaux d’une telle ampleur. A la demande de la Commission Historique du Nord, le château de Selles, la porte Saint-Sépulcre ou de Paris, la porte Notre-Dame et la tour d’Abancourt, monuments situés sur les fortifications, sont conservés.

1 LEVEUGLE (Maurice), «Le démantèlement des remparts» in Mémoire de Cambrai, Société d’Emulation de Cambrai, Cambrai, 2004.

2 TRENARD (Louis), Histoire de Cambrai, Lille, Presses universitaires de Lille, 1982, pp259-265.

47

Ill.24 - Cambrai, M.A.C., S.C.P., fonds Fortier, III C 8.

Faรงade de la maison de Fortier, donnant sur le boulevard Faidherbe.

Ill.23 - Cambrai, M.A.C., S.C.P., fonds Fortier, III C 9.

Faรงade de la maison de Fortier, donnant sur la place de la Porte Notre-Dame.

48

b. Conséquences du démantèlement sur le développement urbain et économique de Cambrai.

On peut prendre connaissance des changements urbanistiques effectués lors du démantèlement grâce à l’étude des cartes présentées par Oscar Masson dans le livret de la Reconstruction de Cambrai3 (ill.21 et 22).

Les fortifications sont remplacées par la création de voies nouvelles, larges de 20m, deux fois plus que celles du vieux Cambrai, comme le boulevard Faidherbe au nord et le boulevard de la Liberté au sud. Le quartier au nord du centre historique se développe davantage, notamment grâce à sa proximité avec les voies ferrées : une nouvelle gare viendra s’y construire. La municipalité impose aux acheteurs des nouveaux terrains en vente un cahier des charges précis, dans le but de créer un urbanisme aéré et harmonieux.

L’alignement des immeubles est obligatoire, des proportions au niveau des étages et des toitures sont également imposées. De nombreux immeubles d’habitation, de commerces et d’édifices publics viendront ainsi se construire pour développer les nouveaux quartiers.

A l’emplacement de l’ancienne citadelle, se dessine en partie un grand jardin public, poumon vert de la ville et répondant aux nouvelles préoccupations hygiénistes de l’époque.

Le reste de l’espace libéré est consacré à une caserne militaire, un collège de garçons (premier édifice public issu du démantèlement) et un nouveau quartier à l’est, autour de l’église SaintLouis. Selon les informations transmises par les archives de la Société des Artistes Français, Fortier aurait justement présenté une étude de projet pour un collège au Salon de 1899, mais nous n’avons pas réussi à en savoir davantage.

2. L'agence du 10 place de la Porte-NotreDame.

Marié depuis peu avec Léonie Marie Défossez4, Fortier décide d’installer le domicile familial et son agence dans le nouveau quartier d’affaires de la ville, sur sa limite nord. Il dessine lui-même les plans de cette nouvelle demeure, située à l’angle de la place de la Porte Notre-Dame et du boulevard Faidherbe5.

La façade donnant sur le boulevard Faidherbe6 (ill.24) comprend l’entrée de la maison familiale. Tout est parfaitement symétrique, afin de monumentaliser la nouvelle demeure. Sa composition témoigne du style éclectique et régionaliste de Fortier : la symétrie de l’ensemble et le motif de la corniche en pierre semblent plutôt classiques ; la toiture, ses flèches et ses lucarnes font quant à elles référence à l’architecture flamande ; le fronton au dessus de la porte semble baroque et l’utilisation du fer forgé dans les garde-corps rappelle plutôt l’architecture haussmannienne ou industrielle.

A côté de cette composition très symétrique, la façade latérale7 (ill. 23), donnant sur la place de la porte Notre-Dame semble, quant à elle, un peu déséquilibrée. On y décèle une tentative de symétrie, mais la porte d’entrée et les verrières attenantes viennent rompre cette harmonie. Il s’agit là de l’entrée de l’agence de Fortier, qui opte pour un style beaucoup plus discret que pour l’entrée majestueuse du domicile. La verrière attenante rappelle le style industriel et donne le sentiment que l’architecte cherche à s’inscrire dans la modernité.

La symétrie est également fragilisée par des fenêtres aveugles à gauche, celles-ci étant condamnées sans doute à cause de leur trop grande proximité avec la façade du boulevard Faidherbe.

3 4 5 6 7

Librairie Oscar Masson, Après la guerre, la reconstruction de Cambrai – Projets, Cambrai, 1919 Mariage ayant eu lieu le 17 janvier 1898.

Cambrai, M.A.C., S.C.P., fonds Fortier, III C. Id, III C 8.

Id, III C 9.

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Ill.27 - Cambrai, M.A.C., S.C.P., fonds Fortier, I F 10.

Hôtel Mairesse, bd Faidherbe

Ill.25 - Cambrai, M.A.C., S.C.P., fonds Fortier, I F 24.

Hôtel Maroniez, bd Faidherbe

Ill.26 - Cambrai, M.A.C., S.C.P., fonds Fortier, II B 33.

Propriété de Doucedame, angle bd Faidherbe et rue du Maréchal Juin.

50

Néanmoins, cette oeuvre semble être la première construction imposante de Fortier à Cambrai. On imagine que cette maison fera office de publicité pour l’architecte, qui sera ensuite rapidement sollicité pour de nombreuses demeures le long des nouveaux boulevards.

Laurent Fortier semble être seul à travailler dans son cabinet, du moins jusqu’en 1914. Ce sera ensuite le lieu de sa collaboration avec Leprince-Ringuet. La maison, abritant pendant longtemps les affaires de Fortier, a été transmise à ses héritiers, jusqu’en 2008 où ces derniers la mettent en vente.

3. Les immeubles du Boulevard Faidherbe et autres voies issues du démantèlement.

Selon André Leblon8, Laurent Fortier serait l’auteur des immeubles situés aux numéros 5, 21, 23, 24, 25, 26, 27, 36, 38 et 40 du boulevard Faidherbe, non loin de son agence.

Comme nous l’avons évoqué précédemment, ce boulevard revêt une stricte réglementation en matière d’urbanisme et d’alignement, ce qui explique pourquoi les façades dessinées par Fortier se composent toujours selon les mêmes proportions.

Nous allons, dans cette partie, évoquer les différentes constructions de Fortier, de type hôtel particuliers, notamment sur le boulevard Faidherbe. Nous ne présenterons que les façades conservées dans le fonds Fortier, les dires de André Leblon ne mentionnant aucune source et les archives municipales datant de l’avant-guerre étant trop lacunaires pour vérifier permis de construire et plans d’exécution. Les façades du fonds Fortier ne comprennent pas toujours de dates et d’adresses, mais on peut aisément penser qu’elles ont été conçues au début du XXe siècle.

Il construit notamment les demeures de Mairesse9 (ill. 27) et de Georges Maroniez10 (ill. 25), peintre et photographe cambrésien de renom. On observe que ces deux hôtels particuliers, bien que différents dans le traitement des décors, sont assez semblables dans la composition de la façade, notamment au niveau des proportions des différents niveaux (soubassement, rez-de-chaussée comportant de très hautes fenêtres, premier étage plus standard, toiture haute comprenant des lucarnes). Une partie de la bâtisse à droite est en débord, permettant d’affirmer une certaine indépendance des pièces situéesà l’arrière, soulignée également par des baies plus larges, un balcon et une toiture différente.

Laurent Fortier fait preuve d’un peu plus de liberté pour la propriété de Doucedame11 (ill. 26). Celle-ci est divisée en deux bâtiments mitoyens, disposant chacun d’une entrée différente. Il s’agit sans doute pour le bâtiment de gauche, de la maison du commanditaire, Doucedame, dessinée de la même manière que celles de Mairesse et Maroniez, et pour le bâtiment de droite, donnant sur l’angle, d’un commerce. Au vu des grands baies présentes sur la façades et des garde-corps en arrière plan, il s’agit peut-être d’ateliers ou éventuellement de grands magasins, en vogue à l’époque.

En 1901, Fortier construit l’Hôtel Wiart (ill. 28), le plus imposant de tous. Il est situé sur le boulevard de la Liberté, au sud de Cambrai, également issu du démantèlement des remparts. Son succès est tel qu’il est exposé dans la revue L’architecture et la construction dans le Nord en octobre 190112 (ill. 29). La demeure est située sur l’angle d’un vaste jardin anglais, encerclé par des grilles. Un double-escalier monumental permet d’accéder à l’entrée, située sous des arcades soutenant une terrasse. Cela induit une différence de niveaux assez sensible, permettant la création d’un sous-bassement capable d’éclairer aisément les 8 LEBLON (André) in Mémoires de la Société d’Emulation de Cambrai, tome 105, Cambrai, 1997.

9 Cambrai, M.A.C., S.C.P., fonds Fortier, I F 10.

10 Id, I F 24.

11 Id, II B 33.

12 Ibid.

51

Ill.30 - Bibliothèque Municipale de Lille, fonds périodiques, P-74.

Hôtel Vallez

Ill.28 - Cambrai, M.A.C., S.C.P., fonds Fortier, I E 5.

Hôtel Wiart

Ill.29 - Bibliothèque Municipale de Lille, fonds périodiques, P-74.

Hôtel Wiart, plan de l’étage et plan du rez-de-chaussée.

52

services situés en sous-sol. Une véranda en demi-cercle vient agrandir la salle à manger et surplomber le jardin. Pour cette réalisation, Fortier s’est entouré d’artisans et artistes reconnus, comme le sculpteur Laoust et le mosaïste D’Agostin, qui collaboreront avec lui pour de nombreuses œuvres. Le coût total de la construction s’élève à 120,000 Fr. Cette demeure est aujourd’hui située au n°25 du boulevard de la Liberté.

En 1905, l’hôtel particulier de Mlle Vallez est publié dans la revue L’architecture et la construction dans le Nord13 (ill. 30), en février 1905. Mlle Vallez était une artiste-peintre et photographe cambrésienne, ce qui explique pourquoi Fortier dut placer au rez-de-chaussée un atelier de peinture, exposé au nord, ainsi qu’un laboratoire et un cabinet noir pour la photographie. La revue souligne la présence d’une frise en céramique de la maison Gentil & Bourdet de Paris.

4. L'hôtel de maître comme mode d'expression de la bourgeoisie locale.

Dans Le siècle de l’éclectisme, Lille 1830-193014, François Loyer explique comment la typologie de l’hôtel de maître devient, durant la seconde moitié du XIXe siècle, un moyen pour la bourgeoisie lilloise d’affirmer une sorte de rigueur et d’austérité, basées sur l’imaginaire de la grande entreprise familiale et destinées à transmettre ses hautes valeurs morales et professionnelles de père en fils. Les demeures bourgeoises de l’époque sont ainsi censées exprimer une certaine monumentalité, afin d’impressionner le visiteur, et non pas faire l’apanage de luxe et d’excentricité.

Les hôtels particuliers construits par Fortier illustrent bien ce constat : ils permettent en effet à la bourgeoisie locale, faite d’entrepreneurs et de manufacturiers, d’annoncer aux visiteurs venant notamment de la gare, la puissance de leur industrie, de par cette longue fresque architecturale qu’est le boulevard Faidherbe.

13 14

Bibliothèque Municipale de Lille, fonds périodiques, P-74.

LOYER (François) in Le siècle de l’éclectisme, Lille 1830-1930, AAM Editions, Paris, 1979.

53

Ill.32 - Cambrai, M.A.C., S.C.P., fonds Fortier, III.C.23.

Boulevard Faidherbe

Ill.31 - Cambrai, M.A.C., S.C.P., fonds Fortier, III.C.25.

Boulevard Faidherbe.

54

Ill.33 - Cambrai, M.A.C., S.C.P., fonds Fortier, III.C.22.

Boulevard Faidherbe

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Ill.34 - Bibliothèque municipale de Valenciennes, 2 Fi 2008, don Poinsignon.

Couverture pour le livret de l’inauguration de l’Hôtel de Ville, Illustration de Fortier, 1903.

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B. LA CONSTRUCTION D'EDIFICES PUBLICS DANS LE CAMBRESIS.

Grâce à ses succès dans la construction individuelle, Fortier bénéficie d’une renommée grandissante lui permettant de prendre part à des projets de plus grande ampleur.

Ses expériences dans les concours d’architecture publique, sa qualité d’architecte de la Banque de France et la réalisation de la Sous-Préfecture de Dunkerque en 1898 constituent également un atout supplémentaire pour lui. Parmi ses réalisations les plus importantes, on mentionne l’Hôtel de Ville de Solesmes ainsi que les églises Saint-Louis et Saint-Joseph à Cambrai.

1. L'Hôtel de Ville de Solesmes (1903).

Cet édifice est sans doute l’œuvre de Fortier ayant eu le plus de succès auprès de ses contemporains et confrères architectes. Il lui a permis de remporter une deuxième médaille (médaille d’argent) au Salon de 1903 et a fait l’objet d’une parution dans la revue L’architecture et la construction dans le Nord1. Les archives de Solesmes étant en travaux durant la réalisation de ce mémoire, nous nous sommes basés sur l’ouvrage de Claudine Pardon2, consacré exclusivement à l’histoire de cet Hôtel de Ville. Un exemplaire du livret3 présentant l’édifice pour son inauguration a également permis de compléter certaines informations. a. Contexte historique.

A la fin du XIXe siècle, la ville de Solesmes connaît une modernisation rapide. Sa situation à équidistance entre Cambrai et Valenciennes en fait un carrefour ferroviaire stratégique. Plusieurs industries viennent s’y installer, dont des tissages, une fabrique de tubes métalliques et une sucrerie. C’est d’ailleurs en 1876 qu’elle connaît son maximum de population, avec près de 6500 habitants (contre 4437 en 2015).

La ville possédait alors un Hôtel de Ville datant de 1763, situé à l’emplacement de l’actuelle mairie. Avec l’augmentation de la population et l’industrialisation de la ville, le maire, Narcisse Douay et le conseil municipal, élus le 6 mai 1900, émettent l’idée de construire un nouvel Hôtel de Ville. Ils confient alors le projet à Fortier, dont la notoriété est déjà affirmée. De plus, celui-ci avait érigé le monument solesmois à Emile Macarez quelques années auparavant. Fortier commence son projet par la recherche de plusieurs terrains. Le terrain de l’ancienne Mairie est choisi pour des raisons économiques : celui-ci était en effet le moins cher et sa quasi-mitoyenneté avec l’église et un autre bâtiment induisent des futures façades latérales sobres et donc moins onéreuses pour le projet.

Le 15 mai 1901, le conseil municipal et Laurent Fortier discutent de la programmation de l’édifice : «Le rez-de-chaussée devra comprendre : une justice de Paix avec un petit cabinet pour le Juge, cette salle servant aussi pour la caisse d’épargne ; un secrétariat avec salle du cadastre et le bureau du Maire ; une salle de commission ; les escaliers principaux et de service. En sous-sol on devra prévoir : un poste de police, un bureau pour le commissaire, deux violons (une cellule «homme» et une cellule «femme»), une grande salle pour les répétitions de musique, un bureau pour l’octroi, une bibliothèque, le dépôt des pompes incendie. Au premier étage on aménagera : une grande salle des Fêtes, 1 2 3

Cambrai, M.A.C., S.C.P., fonds Leblon, dossier sur Laurent Fortier.

PARDON (Claudine), L’Hôtel de Ville de Solesmes, Textes et Prétextes, Paris, 2004 Bibliothèque municipale de Valenciennes, don Poinsignon, dossier Fortier, 2 Fi 2008.

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une salle pour le conseil municipal, une salle des mariages.»4. On peut dès lors constater la polyvalence que doit revêtir le nouvel Hôtel de Ville : il ne s’agit pas seulement d’une mairie mais d’une véritable maison communale, censée regrouper tous les services dédiés aux habitants de la ville. Laurent Fortier s’attelle alors à dessiner plusieurs esquisses pour l’Hôtel de Ville.

En octobre 1901, le projet est soumis au ministère de l’Instruction Publique, au Bureau des Bâtiments civils et au ministère des Beaux-Arts. Cependant le ministre se montre assez réticent, jugeant le projet trop ambitieux et trop coûteux pour une petite ville comme Solesmes. Le maire, Narcisse Douay, tente tout de même de faire jouer toutes ses relations afin de faire accepter le projet, ce qui sera finalement le cas le 5 novembre 1901. Néanmoins, le 10 décembre suivant, Paul Bersez, député du Nord et maire de Cambrai, informe Narcisse Douay que le cabinet du ministère de l’Intérieur estime qu’il convient de majorer la dépense de 25000 F. Le 19 décembre, dans une lettre adressée à Narcisse Douay5, Fortier énoncera la volonté du conseil municipal de préférer l’aspect monumental extérieur du bâtiment, plutôt que l’intérieur, que l’on voudra très modeste. Cela permettra de justifier l’amoindrissement du coût de l’édifice. Il s’agit là d’une tendance assez symptomatique de l’architecture régionaliste de l’époque : on a recours essentiellement à ce style pour l’image glorieuse de la région qu’elle renvoie et non pas dans le but d’améliorer la fonctionnalité ou la spatialité du bâtiment. Le régionalisme tient donc ici une fonction presque urbaine, servant de signal au sein de la ville.

La ville de Solesmes assure seule le financement : aucune subvention n’est demandée ni au département ni à l’État. Le devis définitif, comprenant le coût de la construction, les honoraires de l’architecte, l’ameublement, l’achat du terrain attenant et l’indemnité d’éviction de sa locataire, revient à 190000 F. La ville de Solesmes contracte alors un emprunt de 190000 F remboursable sur 30 ans au Crédit Foncier de France. Le prêt est accordé le 17 janvier 19026 par le Président de la République Française et par le Ministère de l’Intérieur, avant d’être ensuite approuvé par le Gouverneur de la banque le 28 février suivant, par Narcisse Douay le 3 mars et par le Préfet du Nord le 4. Les travaux peuvent désormais débuter.

Les travaux de démolition de l’ancienne mairie se déroulent du 4 avril au 22 mai 1902. Parallèlement à cela, Fortier réunit autour de lui différentes entreprises et plusieurs artisans de renom, notamment le sculpteur roubaisien André Laoust, avec qui il collabore au même moment pour la construction de l’hôtel Wiart à Cambrai. Le 14 mai 1902, le maire de Solesmes, Narcisse Douay, pose la première pierre. Le chantier est ensuite ponctué par de nombreuses visites de Fortier, qui est parfois obligé d’adresser de sévères lettres de rappel aux entreprises ayant du retard, notamment au menuisier, M. Dormegnies, qui depuis 15 jours n’a «absolument rien fait»7 et qui oppose «toujours la même force d’inertie en tout reportant au lendemain.»8. Le 30 mai 1903, alors que le chantier touche à sa fin, Laurent Fortier informe le maire du succès de l’édifice au Salon des Artistes Français, lui valant l’obtention d’une deuxième médaille.

L’inauguration a lieu le 23 août 1903. Une fête grandiose est alors organisée par la Mairie, qui met en place une distribution de viande pour tous les habitants. Des cortèges défilent à travers la ville, achevés dans la nuit par des feux d’artifice et un bal populaire. Un repas est donné dans la salle des Fêtes, en présence des notables ayant participé au projet.

Laurent Fortier a d’ailleurs lui-même dessiné la couverture du livret de l’inauguration de l’édifice (ill. 34).

Le succès du bâtiment est immense, mais l’intérieur de salle des Fêtes, si modeste, 4 Archives municipales de Solesmes, Hôtel de Ville - dossier études préliminaires, pièce 1 in PARDON (Claudine), L’Hôtel de Ville de Solesmes, Textes et Prétextes, Paris, 2004.

5 Id, Hôtel de Ville / Correspondance avec Laurent Fortier, pièce 34, in Ibid.

6 Id, Hôtel de Ville, dossier emprunt, pièce 1 in Ibid 7 Id, Hôtel de Ville / Correspondance avec Laurent Fortier, pièce 69 in Ibid.

8 Ibid.

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contraste excessivement avec la richesse de la façade. Le peintre Henry Eugène Delacroix, natif de Solesmes et ami de Fortier, écrit au député du Nord le 14 juin 1903 afin de lui faire part de son projet de fresque pour la salle des Fêtes de l’Hôtel de Ville. Le projet est accepté, et Delacroix se charge de décorer la salle des Fêtes, avançant lui-même les frais liés aux travaux (toiles, peintures...etc). La salle est inaugurée le 25 août 1907, couronnant le succès des fresques. Cependant, de nombreux désaccords ont lieu entre la commune et le ministère au sujet du financement de l’œuvre et de son artiste. Delacroix ne bénéficie finalement pas du paiement convenu au commencement du projet, mais sa satisfaction d’avoir contribué à la gloire artistique de sa ville natale l’emporte sur cette déconvenue. b. Une oeuvre architecturale majeure.

Une description de l’architecture de l’édifice paraît dans la revue L’architecture et la construction dans le Nord9 : «Le plan indique un grand pavillon carré à l’angle de deux

rues, et, du côté de la façade principale, un petit logis qui relie ce pavillon à la maison voisine. Bonne architecture traitée dans la manière flamande, comportant par conséquent un mélange de classique (chez nous nuance Henri II) et de romantisme espagnol. La haute toiture d’ardoises, le campanile et les petites lucarnes se présentent avec des garnitures de plomb plantureusement ouvrées et des sortes d’abat-son superposés. On voit dans le soubassement de la façade des bossages cossus, et dans l’étage principal, des grandes baies à meneau ; à l’angle, une de ces tourelles qu’on appelle communément des poivrières, portée en encorbellement par des culs-de-lampe et prolongée au dessus de la corniche du bâtiment encore plus haut que l’attique, avec une deuxième corniche surmontée d’une flèche et d’un grand «épi».»10. Cette description, très technique, révèle l’intérêt porté à la composition de la façade (ill. 36). On considère davantage l’édifice comme une gigantesque sculpture, plutôt que comme un bâtiment destiné à recevoir du public et devant répondre à de nombreuses fonctions.

Même si l’extérieur semble prédominer sur l’intérieur, il n’est pas inintéressant de décrire certaines des caractéristiques de ce dernier (ill. 35). Le vestibule, première pièce que le visiteur découvre, comporte de larges dimensions et amène le visiteur vers l’escalier en double révolution. La cage d’escalier est éclairée par un vitrail aux motifs flamands, couronné par le blason de la ville et le monogramme de la République Française. Les salles du sous-sol, du rez-de-chaussée et de l’étage sont disposées conformément au programme établi par le conseil municipal. La Salle des Fêtes, somptueuse de par ses dimensions (22 mètres sur 8) est éclairée par d’immenses baies à meneaux en pierre et donne sur la place publique par des balcons ouvragés. En plus de sa parution dans la revue d’architecture régionale11, l’édifice fait la une de La Construction Moderne12 et fait également l’objet d’une publication dans L’Architecture13.

c. Un modèle d'architecture républicaine rurale.

Comme le souligne Jean-Yves Andrieux14, la plupart des mairies rurales sont plutôt qualifiées d’ordinaires, se confondant presque avec les habitations des alentours. De plus, elles revêtent souvent la double-fonction de «mairie-école», ce qui ne leur permet 9 Bibliothèque Municipale de Lille, L’Architecture et la Construction dans le Nord, P-74.

10 Ibid.

11 Ibid.

12 Bibliothèque de la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, Revues numérisées, La Construction Moderne, n°45, 1903.

13 Id, L’Architecture, n°54, 1903.

14 ANDRIEUX (Jean-Yves), L’architecture de la République - les lieux de pouvoir dans l’espace public en France, 1792-1981, CNDP, Paris, 2009.

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Ill.35 - Bibliothèque Municipale de Lille, fonds périodiques, P-74.

Plan du rez-de-chaussée de l’Hôtel de Ville de Solesmes.

Ill.36 - Bibliothèque Municipale de Lille, fonds périodiques, P-74.

Elevations latérale et principale et coupe e de l’Hôtel de Ville de Solesmes.

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Ill.37 - Archives de la Banque de France, dossier Solesmes.

Carte postale avec vue depuis le bas de la rue de Selle, vers l’Hôtel de Ville.

Ill.38 - Valenciennes, 2 Fi 2008.

Photographie de l’Hôtel de Ville, 1903.

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Ill.42 - M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, IV B 29 Proposition de façade pour l’église Saint-Louis

Ill.40 - M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, IV B 27 Proposition de façade pour l’église Saint-Louis

Ill.41 - M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, IV B 28 Proposition de façade pour l’église Saint-Louis

Ill.39 - source : site a-cambrai Carte postale de l’église Saint-Louis.

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pas toujours d’afficher une certaine monumentalité marquant leur importance politique et administrative. Le choix ambitieux de Solesmes d’ériger un tel édifice apparaît donc comme un parfait exemple de la volonté de la municipalité d’assumer sa puissance et son indépendance. Le choix d’une architecture régionaliste vient renforcer l’idée que l’architecture cherche à cette époque, dans certaines mesures, à matérialiser le pouvoir politique. La lutte entre la municipalité et l’État, comme c’est le cas à Solesmes, en est la preuve la plus évidente.

L’édifice devient peu à peu le monument-phare de la ville, avec l’église. La perspective créée depuis le bas de la rue de Selle rend compte de la dimension urbaine du bâtiment et de sa valeur de signal dans la ville. Celui-ci fait d’ailleurs l’objet de plusieurs représentations, notamment dans les cartes postales de l’époque (ill. 37).

2. Édifices religieux.

A l’aube du XXe siècle, Cambrai est le siège d’un archidiocèse, incluant son propre arrondissement ainsi que ceux de Valenciennes, Douai et Avesnes-sur-Helpe15.

Jusqu’en 1913, l’archidiocèse de Cambrai comportait également les arrondissements de Lille, Dunkerque et Hazebrouck, avant de former un nouveau diocèse, celui de Lille.

Cambrai apparaît ainsi comme une ville où la présence de l’Église et de ses traditions est très forte, malgré les nombreuses destructions causées lors de la Révolution Française.

L’agrandissement de la ville à la suite du démantèlement de ses remparts suscite alors, de la part de l’Église et notamment du chanoine Cloche, la nécessité de construire de nouvelles églises pour subvenir à une éventuelle augmentation de la population.

Laurent Fortier a construit deux églises à Cambrai, l’église Saint-Joseph et l’église Saint-Louis, qui sera détruite sous les bombardements de 1944. Les plans d’étude de l’architecte sont conservés dans la liasse IV B du fonds Fortier. a. L'église Saint-Louis (1909).

En 1908, M. Cloche, chanoine, doyen de Saint-Géry, demande à Fortier de dessiner une église sur l’avenue Jules Ferry à Cambrai. Cette avenue est issue du démantèlement des remparts, à l’est de la ville.

On peut remarquer que Laurent Fortier a réalisé de nombreuses propositions, avant d’aboutir au projet final. Celles-ci ne sont pas datées, mais nous allons essayer de les classer par ordre de conception, en émettant l’hypothèse que plus le dessin ressemble à la réalisation finale, plus il est récent.

La première proposition16 de façade (ill. 39), moins détaillée que les suivantes, montre une église assez massive mais non dépourvue de grandes baies, que ce soit sur l’entrée de la nef ou sur le clocher. Les lignes sont épurées, les arcs en plein cintre viennent rompre la linéarité du reste de la façade. Cette apparente simplicité tranche avec les oeuvres précédentes de Fortier, plus chargées en décors. On peut ainsi penser que l’architecte cherche à moderniser son style en se séparant des motifs ornementaux flamands qui le caractérisaient.

Cependant, cette proposition, peut-être un peu trop sobre, ne semble pas avoir beaucoup plu au chanoine, puisque Fortier dessine une nouvelle façade17 (ill. 40), encore plus massive, faisant d’avantage référence à l’architecture romane avec l’emploi de petites baies. L’aspect épuré disparaît au profit de motifs de briques crénelées et de différents bandeaux de pierre ornementés. Le clocher surplombe légèrement la nef, ce qui renforce l’aspect massif de l’église. Cette dernière caractéristique a sans doute déplu au chanoine, puisque dans l’ultime 15 16 17

Site de la paroisse de Cambrai, consulté le 30/12/2018. http://www.paroissesdecambrai.com/ Cambrai, M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, IV B 29 Ibid, IV B 27.

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Ill.43 - M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, IV B 35 Coupe longitudinale sur l’église Saint-Louis.

Ill.44 - M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, IV B 19.

Coupe longitudinale sur l’église Saint-Joseph.

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proposition18 (ill. 41), Fortier allonge un peu le clocher, ainsi que les baies de la nef. La carte postale19 (ill. 39) représentant l’église montre que c’est cette dernière proposition qui a été retenue. Le 26 septembre 1909, l’évêque bénit solennellement cette nouvelle église20. Une photographie de l’intérieur de l’église paraît dans L’architecture et la construction dans le Nord21 . Celle-ci montre la simplicité de ses volumes ainsi que la sobriété de ses décors.

Le 10 mai 1944, cette église est détruite par 3 bombes. Pendant quelques temps les offices sont transférés à l’église Saint Géry22. La reconstruction de l’église St Louis actuelle bâtie sur les fondations de l’église précédente - s’est achevée en 1955, grâce aux dommages de guerre de l’Association diocésaine. b. L'église Saint-Joseph (1910)

L’église Saint-Joseph se situe sur la route d’Arras, très éloignée du centre-ville. C’est encore qu’à l’initiative du chanoine Cloche, conscient de l’éloignement des paroissiens qui se trouvaient au-delà du canal, que ce projet aura lieu.

Le bâtiment adopte une forme différente de l’église Saint-Louis. Sa taille est plus modeste, en largeur comme en hauteur. Le clocher n’est plus séparé de la nef, mais annexé à la façade, en son milieu (ill. 45). Cela rend l’aspect de l’église un peu plus «rudimentaire», faisant davantage référence à une chapelle de campagne. Le plan se compose d’ailleurs d’une seule nef et l’élévation d’un unique niveau de baies (ill. 44), contrairement à l’église SaintLouis qui en comprenait plusieurs (ill. 43). Elle fut inaugurée le 6 mai 1912. L’église SaintJoseph n’a pas été détruite pendant la guerre et demeure toujours un lieu de culte aujourd’hui.

c. Projets d'édifices religieux non réalisés.

Hormis ces deux réalisations majeures, on retrouve également d’autres dessins d’édifices religieux au sein de la liasse IV B du fonds Fortier. Nous n’avons cependant pas pu clairement identifier ces documents, faute de datation, de mention de lieu précis.. etc.

Parmi eux, on retrouve notamment des dessins23 d’une église située dans un cadre champêtre. Celle-ci fait vaguement penser à l’église Saint-Joseph, avec son clocher situé au milieu de la façade (ill. 46). Néanmoins, la singularité du dessin réside dans le message qu’il laisse transparaître : le cadre champêtre ainsi que le toit de l’église rappellent celui des granges et fermes de la région. Fortier, ayant essentiellement exercé ses talents en ville, a eu ici envie de mettre ses talents à l’épreuve d’une oeuvre purement régionaliste, puisqu’elle s’inspire fortement des constructions vernaculaires de la région. Cependant, aucune information sur l’emplacement ou les circonstance du développement d’un tel projet n’a été décelée.

Le projet de l’école supérieure de théologie de Cambrai (ill. 48-49) ne peut pas non plus passer inaperçu, de par la grandeur de l’édifice. Il date du 26 avril 1913, à un moment où la carrière de Fortier déjà bien établie. Néanmoins, aucune information sur l’emplacement de ce projet n’est donnée. Peut-être n’a-t-il pas connu de suite à cause du déclenchement de la Première Guerre Mondiale, qui aura lieu seulement un an après. Quelqu’un a écrit une note contenant «Concours collège Notre-Dame», «couvent du bon pasteur» et une autre «séminaire Saint-Drouon», mais les quelques recherches entreprises sur ces monuments ne concordent pas avec lesdites inscriptions.

18 Ibid, IV B 28.

19 «Cambrai en cartes postales anciennes», site créé par Daniel Carré, version 2014, consulté le 29/12/2018. site : a-cambrai.fr 20 Site de la paroisse de Cambrai, consulté le 30/12/2018. http://www.paroissesdecambrai.com/ 21 Cambrai, M.A.C., S.C.P., Fonds Leblon, IV B 29 22 Site de la paroisse de Cambrai, consulté le 30/12/2018. http://www.paroissesdecambrai.com/ 23 Cambrai, M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, IV B 22.

65

Ill.45 - M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, IV B 8 Façade de l’église Saint-Joseph.

Ill.47 - Source : a-cambrai.fr Carte postale représentant l’église Saint-Joseph

Ill.46 - M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, IV B 24.

Dessin d’église.

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Ill.48 - M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, IV B 3. «école supérieure de théologie de Cambrai».

Ill.49 - M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, IV B 4. «école supérieure de théologie de Cambrai».

67

Ill.52 - M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, IV B 50.

Façade du cirque Ducos.

Ill.51 - M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, IV B 53.

Plan du cirque Ducos.

Ill.50 - source : a-cambrai.

Carte postale reprĂŠsentant la gare avant 1944.

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1. Projets réalisés.

d'édifices

publics

non

attestés

ou

non

Le fonds Fortier comporte de nombreux documents non datés, non nommés, parfois même non signés. Cependant, il semble intéressant de faire état des grands projets d’édifices publics présents dans le fonds Fortier ou cités comme œuvres de Fortier par plusieurs sources.

a. Le cirque Ducos.

On retrouve dans la liasse V A du fonds Fortier des dessins d’un bâtiment dont la devanture comporte l’inscription «Cirque Ducos»1 (ill. 51-52). Il s’agit sans doute d’un projet de cirque d’hiver ou d’un concours auquel a participé Fortier.

Dans son numéro de mai 19032, la revue L’Architecture et la Construction dans le Nord publie un article nommé «Théâtre-cirque de Lille» lançant un projet de bâtiment provisoire destiné aux spectacle. D’après le site circus-parade.com3 répertoriant une série d’articles sur l’histoire du cirque, le «Cirque Variétés Loyal-Ducos» aurait donné une représentation à Cambrai en 1905. Fortier aurait peut-être imaginé un édifice pour cette compagnie.

Bien que les circonstances de l’élaboration d’un tel projet demeurent très floues, les planches témoignent de la faculté de Fortier de se détacher complètement de ses habitudes en matière de programme ou de style, tant la forme du bâtiment est singulière. Il dessine un édifice rappelant ceux des pavillons de l’Exposition Universelle de 1900, pourvu d’un porche d’entrée éclectique et monumental et d’un plan de forme circulaire. b. La gare du Cambrésis (1904).

Plusieurs sources mentionnent Fortier comme étant l’auteur de la gare du Cambrésis, comme les éloges funèbres ou même la biographie écrite par De Penarum, Roux et Delaire en 19074. O mentionne également le nom de Fortier dans le fonds Hennebique5 comme étant l’auteur du projet du bâtiment voyageur d’une gare à Cambrai. Cependant, les travaux actuellement en cours dans le bâtiment des archives ne permettent pas d’en savoir plus. Le nom de Fortier apparaît aussi dans la revue Le Béton Armé6, au sujet de la construction de la gare.

L’hypothèse que Fortier soit l’auteur de la gare du Cambrésis n’est cependant pas relayée par les différentes recherches effectuées au sujet de la gare. Dans son ouvrage extrêmement précis sur l’histoire du chemin de fer à Cambrai7, Bernard Becquet désigne Clément Ligny (architecte en chef du service architecture de la Compagnie du Nord) et M. Aumont (Ingénieur en chef) comme auteurs de la gare de Cambrai-Ville. Il ne mentionne 1 Cambrai, M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, V A 50, 51, 52, 53.

2 «Circus parade, site de l’histoire du cirque», DENIS (Dominique), fondateur des archives Arlequin, site créé en 2016 et consulté le 24/12/2018. http://www.circus-parade.com/2017/09/03/annee-1905-au-cirque/ 3 Source : http://www.circus-parade.com/2017/09/03/annee-1905-au-cirque/ 4 DE PENARUM (David), ROUX et DELAIRE, Les architectes élèves de l’Ecole des Beaux-Arts, Paris, Librairie de la construction moderne, 1907.

5 Cité de l’Architecture et du Patrimoine, Fonds Béton Armé Hennebique, BAH-17-1904-54491. Gare ferroviaire, Cambrai (Nord) : bâtiment voyageur. 1904 6 Bibliothèque de la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, revues numérisées, Le Béton armé, n° 75, août 1904 (rubrique «Travaux du mois») : n° d’affaire 23352. Poutres de fondations sur puits, à la gare de Cambrai. Propriétaire, la Compagnie du Chemin de fer du Cambrésis. Ingénieur, M. L. Fortier. Concess., la Société de Fondations.

7 BECQUET (Bernard), Cambrai et le chemin de fer, mémoire ferroviaire d’une ville du Nord, Les Amis du Cambrésis, Cambrai, 2013.

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Ill.53 - M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, VI A 2.

Plan du rez-de-chaussée de la Caisse d’Epargne d’Avesnes ?

Ill.54 - Document transmis par Chris Trelon Carte postale montrant l’immeuble de la Caisse d’Epargne d’Avesnes-sur-Helpe avant 1910.

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pas l’existence d’une gare nommée «Gare du Cambrésis», aussi peut-on penser qu’il s’agir de celle-ci aussi. Le travail de Bernard Becquet étant très référencé, puisque citant des sources de différents fonds du Service des Collections Patrimoniales et des archives de la Compagnie du Nord, semble donc davantage crédibles que les informations précédentes. Peut-être que Fortier aurait été sous-traité par Clément Ligny pour la réalisation de certains plans ou le suivi de chantier, ce qui expliquerait sa trace dans quelques unes de nos sources.

c. La caisse d'épargne d'Avesnes (1908).

Selon Fernand Garet8, Fortier a participé au concours pour la Caisse d’Epargne d’Avesnes en 1908, auquel il aurait obtenu le premier prix et l’exécution. Il y a trois villes dans le département du Nord que l’on peut désigner par «Avesnes» : Avesnes-sur-Helpe, Avesnes-le-sec et Avesnes-les-Aubert. Nous pensons qu’il s’agit de la première, du fait de sa plus grande importance (en 1906 elle comptait 6013 habitants9) et de par sa position administrative (chef-lieu de l’Avesnois). L’immeuble actuel de la Caisse d’Epargne d’Avesnessur-Helpe, revêtant un style éclectique et régionaliste pourrait en effet avoir été conçu par Fortier, mais il est difficile de l’affirmer, puisque nous n’avons pas obtenu de rendezvous aux archives municipales d’Avesnes-sur-Helpe. En contrepartie, nous avons contacté Chris Trelon, auteur d’un blog10 sur l’histoire de l’Avesnois, afin de savoir s’il disposait d’informations complémentaires. Celui-ci nous a répondu en envoyant une photographie ancienne de la Caisse d’Epargne d’Avesnes, datant d’avant 1910, et en nous suggérant de nous rendre à Société Archéologique et Historique de l’Arrondissement d’Avesnes pour davantage d’information. Nous n’avons malheureusement pas eu le temps de nous y rendre, ne sachant pas si de véritables sources s’y trouvaient.

Malgré nos informations quelque peu lacunaires, nous avons pu tisser quelques liens entre la photographie de Chris Trelon, la Caisse d’Epargne actuelle et un plan du fonds Fortier. La photographie montre en effet un bâtiment, à l’aspect somptueux, dont l’entrée se fait à l’angle (ill. 54). On peut mettre en relation cet indice avec un plan anonyme11 issu du fonds Fortier, présentant un bâtiment apparemment riche, et disposant d’une entrée à l’angle (ill. 53). Ce plan indique aussi la présence une cour intérieure carrée, que l’on peut retrouver dans les vues satellites de la ville actuelle.

8 9 10 11

Cambrai, M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, I.A.1.

Source : Ldh/EHESS/Cassini 1906.

Site : http://chris59132.canalblog.com/ Cambrai M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, VI A 2.

71

Ill.55 - M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, IV B 13.

Maisons ouvrières, Avenue Michelet.

Ill.56 - M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, IV B 15.

Maisons ouvrières, Avenue Michelet

Ill.58 - M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, I E 20.

Propriété de Duroyon, façade

Ill.57 - M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, I E 23.

Propriété de Duroyon, façade.

Ill.59 - M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, I A 31.

Agrandissement des bureaux de l’etp Delattre, façade.

72

C. UN ARCHITECTE POLYVALENT : MAISONS OUVRIÈRES, ART FUNÉRAIRE ET ARTS DÉCORATIFS.

Bien que Laurent Fortier semble avoir acquis une certaine notoriété grâce à la construction de riches hôtels particuliers et de quelques grands édifices publics, il ne faut pas non plus laisser de côté un autre aspect de son œuvre, faite de commandes un peu plus modestes. En effet, toujours dans les années 1900, Fortier continue de dessiner des ouvrages de décoration intérieure, comme des cheminées, boiseries, vérandas et portails d’entrée.

Plus de la moitié du fonds Fortier se compose de dessins de la sorte. Fortier a également exécuté plusieurs ouvrages d’art funéraire, que l’on retrouve dans la liasse IV A du fonds Fortier. Fortier ne s’attelle pas non plus uniquement à concevoir des œuvres destinées à une riche clientèle : parallèlement au dessin de somptueuses demeures du boulevard Faidherbe, il conçoit également plusieurs séries de maisons ouvrières à Cambrai.

1. Maisons ouvrières, estaminets et architecture industrielle.

Au début du XXe siècle, la puissance économique de Cambrai est affirmée.

Cependant, elle connaît une industrialisation faible et tardive, en comparaison avec les villes des alentours comme Roubaix. La ville, dont la taille est limitée par la présence des remparts jusqu’à la fin du XIXe siècle, peine à voir s’installer les usines. Néanmoins, plusieurs industries agro-alimentaires font la renommée de la ville : on y produit, dès la moitié du XIXe, de la bière, de la chicorée et une confiserie encore très connue de nos jours : la bêtise de Cambrai. En 1872, Jules Liénard fait construire la Sucrerie Centrale de Cambrai, la plus grande d’Europe, à Escaudoeuvres. On estime qu’en 1886, l’industrie cambrésienne emploie plus de 9000 personnes. Cette abondance de travail et l’agrandissement de la ville à la fin du XIXe attirent la population, et c’est dans ce contexte que Fortier est amené à construire de nombreux logements à faible coût dans les nouveaux quartiers de la ville.

Il construit ainsi de petites maisons individuelles pour des particuliers, comme c’est le cas pour la maison de A. Devillers, construite en 1903, sur la rue Saint-Georges, prolongée après le démantèlement des remparts1. Celle-ci reprend le modèle des maisons ouvrières typiques de la région : de faible largeur, elle se développe surtout en longueur et comprend un étage ainsi que des combles aménagés.

Laurent Fortier semble avoir également acheté un terrain rue Michelet pour y construire trois maisons ouvrières en 19032. Celles-ci semblent un peu plus riches que les précédentes, notamment grâce à leur largeur plus généreuse et à leurs ornementations plus nombreuses (ill. 55). La coupe est très intéressante, puisqu’elle montre l’organisation de la maison par rapport à la rue, orientée sud puisque toutes les pièces de vie s’y trouvent, et également par rapport au jardin, où se trouvent surtout les pièces de service (cuisine...) et l’escalier (ill. 56).

La culture ouvrière dans le Nord se caractérise aussi par la présence de nombreux estaminets, désignant des petits débits de boisson, où l’on servait généralement de la bière et du tabac. Ceux-ci se trouvaient souvent à l’intérieur de l’habitation, au rez-de-chaussée.

On retrouve plusieurs plans de Fortier comportant en rez-de-chaussée un estaminet. C’est le cas de la propriété de Duroyon3, datant de 1901 et dont l’adresse n’est pas mentionnée (ill.

1 2 3

Cambrai, M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, I D 1.

Id, IV B 13-15.

Id, I E 20-23

73

Ill.61 - M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, III C 6.

Façade intérieure avec cheminée.

Ill.62 - M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, II B 7.

Devanture d’un magasin, Au Général Faidherbe, 1909.

Ill.60 - M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, II B 44.

Devanture d’un magasin, propriété de Mme Libouton.

74

57). La maison semble vaste et de style bourgeois, correspondant ainsi peu à l’image que l’on se fait de celles accueillant un estaminet (ill. 58). On constate cependant l’existence d’un estaminet dans le plan, dont l’accès est le même que pour la maison, un peu comme si le propriétaire «ouvrait son salon» aux clients. On doit y passer pour accéder au reste du rez-de-chaussée, composé d’une cuisine, commune avec l’estaminet et d’une salle à manger privative. Les escaliers mènent aux étages, abritant des chambres.

Fortier a également construit des ouvrages directement liés à l’architecture industrielle, comme une extension pour les bureaux de l’entreprise Delattre4, à Ferrière-laGrande. Les grandes verrières du bâtiment témoignent de la capacité de Fortier à sortir complètement de son style habituel, fait de pierres et de briques (ill. 59).

2. Arts décoratifs.

Comme nous l’avons évoqué précédemment, le fonds Fortier regorge en majorité de dessins présentant des ouvrages de décoration intérieure (cheminées, façades intérieures, vérandas, menuiseries...). Ces œuvres témoignent en grande partie de la formation académique de Fortier, de par leur classicisme, comme l’emploi du style Louis XIV5 (ill. 61).

Fortier fait ensuite évoluer ce style classique vers un style éclectique, notamment dans un dessin de façade6, en y intégrant des éléments liés à l’architecture industrielle comme les fines colonnes en bronze (ill. 62).

Cependant, l’Art Nouveau, apparu en Belgique et en France à la fin du XIXe siècle, caractérisé par l’emploi de lignes courbes, en réaction aux lignes droites de l’industrie, semble avoir influencé notre architecte. En effet, certaines de ses créations tout en arabesques constituent une évolution dans son style comme le témoigne un autre dessin de devanture de magasin (ill. 63).

3. Art funéraire et commémoratif.

Nous savons déjà que Laurent Fortier a exécuté des monuments funéraires lors de ses débuts à Cambrai : celui à la mémoire des enfants de Comines morts pendant la guerre de 1870, ainsi que le monument à la mémoire d’Emile Macarez (voir chapitre 1). Fortier a continué à dessiner des ouvrages commémoratifs de la sorte, comme celui à la mémoire de Louis Blériot7 en 1910. Fortier présente lui-même cette œuvre dans les Mémoires de la Société d’Emulation de Cambrai8. Il explique que c’est le Comité de la Presse du Cambrésis qui le charge d’ériger un tel monument dans le jardin public de la ville, afin de commémorer la performance de Louis Blériot, à savoir la première traversée de la Manche en avion. Un premier projet a été présenté à la Commission municipale : celui-ci était composé de deux pylônes revêtus des armes de Douvres et de Calais, reliés par un arc ajouré supportant un aéroplane dans des nuages (ill. 64). Des mouettes en bronze venaient couronner le monument. La Commission juge cependant ce projet insuffisant, demandant à ce que d’autres esquisses soient réalisées. Trois projets furent ainsi émis : le premier présentant une figure ailée, le deuxième composé d’une sphère surmontée d’un avion et le troisième d’un arche sur lequel sont posés deux oiseaux. (ill. 63). La Commission porte son choix sur celui de la sphère. Ce dernier se compose d’un socle assez classique surmonté d’une immense sphère représentant la Terre, dans laquelle est sculpté un avion jaillissant des nuages (ill.

63). Fortier s’associe à A. Laoust, avec qui il a déjà travaillé, pour réaliser cette oeuvre tout 4 Cambrai, M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, I A 31.

5 Id, III C 6.

6 Id, II B 7.

7 Louis Blériot (1872-1936) est un des pionniers de l’aviation. Originaire de Cambrai, il est célèbre por avoir été le premier à avoir traversé la Manche en avion, exploit qu’il a réalisé en 1909.

8 Société d’Emulation de Cambrai, Mémoires, tome 65, Cambrai, 1910.

75

Ill.64 - Mémoires de la Société d’Emulation de Cambrai, Tome 65.

La première proposition de Fortier pour le Monument Blériot.

Ill.63 - Mémoires de la Société d’Emulation de Cambrai, Tome 65.

Esquisses proposées par Fortier pour le Monument Blériot.

76

à fait originale. Joseph Carlier, fameux statuaire originaire de Cambrai, réalise le médaillon en bronze portant l’intitulé du monument. Celui-ci a coûté 7400 F. Cette somme est en majorité prise en charge par la Commission de la Presse cambrésienne (à hauteur de 4600 F), puis par une subvention municipale de 1500 F : le reste sera complété par les recettes provenant de la vente de tickets d’entrée à un meeting aérien organisé pour l’occasion. Le monument est finalement inauguré le 12 juin 1910. Il est toujours visible dans le jardin public de Cambrai.

Fortier dessine également des monuments funéraires pour des particuliers, comme ceux des familles Deloge9 (ill. 65), Delcroix10 (ill. 66) et Pagniez-Delloye, dont les croquis sont conservés dans le dossier IV A du fonds Fortier. On constate que Fortier a recours à un style classique, en dessinant des monuments très symétriques, avec colonnes, chapiteaux, fronton triangulaire ou semi-circulaire.

9 10

Cambrai, M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, IV A 7.

Id, IV A 3.

77

Ill.67 - Source : e-monumen Le monument BlÊriot après son inauguration.

Ill.66 - M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, IV A 3.

Monument pour la famille Delcroix

Ill.65 - M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, IV A 7.

Monument pour la famille Deloge.

78

D. UN NOTABLE AU SERVICE DE SA VILLE ET DE SON DÉPARTEMENT.

Parallèlement à ses travaux d’architecture, Laurent Fortier est également loué pour son dévouement au sein de nombreuses sociétés et associations. Comme de nombreux architectes de son temps, il fut membre de la Société des Architectes Diplômés par le Gouvernement (S.A.D.G.) dès la date de son diplôme, en 1894, comme l’atteste l’éloge funèbre1 présente dans le bulletin de ladite société. Néanmoins, son activité dans cette société demeure peu documentée, étant donné que nous n’avons pas obtenu de rendez-vous aux archives de la Société Française des Architectes (anciennement la S.A.D.G.). Les éloges funèbres le mentionnent également comme étant un membre de la commission du Musée de Cambrai et de l’école de dessin, mais nous n’avons pas pu vérifier ces informations aux archives. Le rôle de Fortier a cependant été assez très établi au sein de deux sociétés : la Société Régionale des Architectes du Nord et surtout, la Société d’Émulation de Cambrai.

En quoi l’admission de Fortier au sein de ces deux sociétés renseigne sur sa notoriété en tant qu’architecte ? en tant que notable ?

1. La Société Nord.

Régionale

des

Architectes

du

La Société Régionale des Architectes du Nord, anciennement Société des Architectes du Nord, a été fondée en 1868, et a pour devise Probitas ars scientia : «l’honnêteté, l’art, la connaissance». La Société a cessé d’exister peu après le déclenchement de la Première Guerre Mondiale en août 1914, avant de reprendre forme sous le nom de la Fédération des architectes du Nord de la France en 1920. La société recouvre trois départements : le Nord, le Pas-de-Calais et la Somme. Son président et principal rédacteur est Carlos Batteur, architecte lillois connu pour la construction de la prison de Loos et de plusieurs bâtiments universitaires dans le quartier des écoles à Lille. La société publie chaque mois une revue, L’Architecture et la Construction dans le Nord, comportant un résumé de la réunion de l’Assemblée Générale, des articles présentant de nouveaux matériaux ou de nouvelles lois, des «feuilletons» liés à l’histoire de l’architecture ou à la pratique du métier ainsi que des planches montrant les nouvelles œuvres architecturales de la région. On peut consulter les numéros de cette revue entre 1895 et 1907 à la Médiathèque Jean Lévy de Lille, sous forme de plusieurs volumes.

De cette manière, nous avons appris l’admission de Fortier comme membre de cette société en juillet 18962. C’est seulement le troisième architecte de la ville de Cambrai à y être admis, après Alexandre Ronnelle et Augustin Lallemant.

En février 1905, la société décide de désigner des délégués pour chaque arrondissement du département3. Fortier est ainsi nommé délégué de l’arrondissement de Cambrai. Il est également nommé délégué pour représenter la société aux funérailles pour l’arrondissement de Cambrai, avec son confrère Nicq-Doutreligne, architecte admis à la société en 1901. Fortier fait également partie d’une commission censée effectuer un rapport sur l’ingérence des architectes voyers dans les travaux d’architecture. Il est ensuite désigné, aux côtés de M. Delemer, pour défendre l’affaire auprès des pouvoirs publics, en raison de leur «ardeur à s’occuper de la question»4.

L’activité de la revue s’interrompt en 1914 avec le déclenchement de la Première 1 M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, I A 2.

2 Lille, Médiathèque Jean Lévy, fonds périodiques, P-74.

3 Ibid.

4 Ibid.

79

Ill.68 - Société d’Emulation de Cambrai, Mémoires, tome 59, Cambrai, 1901.

Illustration pour le centenaire de la Société d’Emulation de Cambrai.

80

Guerre Mondiale. Elle reprend forme en 1920 sous le nom de Bulletin mensuel des groupements de la Fédération des architectes du Nord de la France. Nous n’avons pas pu prendre connaissance de cette revue, n’ayant pas trouvé d’exemplaires consultables.

2. La Société d'Emulation de Cambrai.

Fondée en 1804, la Société d’Emulation de Cambrai a pour objet «l’étude de l’histoire locale, la promotion des lettres, des sciences et des arts»5. Ses travaux sont regroupés dans la collection des Mémoires ou dans la série des Études Cambrésiennes. A l’époque de Fortier, elle était essentiellement constituée de notables et de bourgeois de la ville. Les mémoires de la Société d’Emulation de Cambrai constituent de précieuses sources historiques pour l’histoire de la ville, surtout depuis que les archives municipales ont été incendiées par les allemands en 1918.

Laurent Fortier est admis membre de la Société en 19016, alors que sa notoriété est grandissante dans la ville, suite à ses nombreuses constructions d’hôtels particuliers sur le boulevard Faidherbe.

En 1902, il écrit un article intitulé «Question d’hygiène»7 et sous-titré «Communication faite à la Société d’Emulation sur les procédés biologiques d’épuration des eaux résiduaires, notamment des produits des fosses d’aisance». Fortier décrit les procédés utilisés en Angleterre pour l’évacuation des déchets organiques, et notamment le recours aux fosses sceptiques, plus commodes pour l’entretien des égoûts et les odeurs de la ville.

Il joint à son texte deux schémas, l’un représentant une fosse sceptique pour une ville de 15000 habitants et l’autre présentant une fosse sceptique automatique. Par cet article, il cherche ainsi à instruire les principaux acteurs de la ville et à démocratiser cette invention française, prônant ainsi les théories hygiénistes de l’époque.

En 1904, Laurent Fortier dessine l’affiche pour le centenaire de la Société d’Emulation8 (ill. 68). Les anges du premier plan représentent les arts et la fontaine au centre, la connaissance. On y retrouve en arrière plan les principaux monuments de Cambrai : l’Hôtel de Ville, la Porte Notre-Dame, la porte de Paris, l’église Saint-Géry, le Beffroi.

Fort de son engagement au sein de la Société, Fortier est nommé en 1910 Secrétaireadjoint, la troisième fonction la plus importante. Il occupa cette fonction jusqu’en 1922.

Toujours en 1910, il publie un article sur la statue en l’hommage de Louis Blériot, qu’il a réalisée en collaboration avec Carlier9.

Selon Fernand Garet10, Fortier aurait également fondé un prix que la Société attribue chaque année à «un vieux et fidèle serviteur choisi de préférence parmi les ouvriers de la grande famille du bâtiment»11. Nous n’avons cependant pas pu trouver d’informations éclairant sur ce prix.

La mort de Fortier est relayée dans le tome 7112 de la Société d’Emulation, où le président, Gérard Dailliez, y rédige une éloge funèbre et Fernand Garet, une biographie.

5 Société d’Emulation de Cambrai, Mémoire de Cambrai,100e anniversaire de la société, Cambrai, 2005.

6 Société d’Emulation de Cambrai, Mémoires, tome 56, Cambrai, 1901.

7 Id, Mémoires, tome 57, Cambrai, 1902, pp232-237.

8 Id, Mémoires, tome 59, Cambrai, 1904.

9 Id, Mémoires, tome 65, Cambrai, 1910.

10 Cambrai, M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, I A 1.

11 Ibid.

12 Société d’Emulation de Cambrai, Mémoires, tome 71, Cambrai, 1923.

81

Ill.70 - M.A.C., S.C.P., Fonds Delcroix.

La place d’Armes sous l’occupation allemande.

Ill.69 - M.A.C., S.C.P., Fonds Delcroix.

La place d’Armes et ses baraquements vus depuis l’Hôtel de Ville en 1920.

82

III. LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE, UN TOURNANT DANS LA CARRIÈRE DE LAURENT FORTIER.

La déclaration de guerre du 3 août 1914 ne semble pas surprendre les habitants de Cambrai, les relations entre la France et l’Allemagne s’étant empirées et le souvenir de la guerre franco-prussienne demeurant présent dans les esprits. L’appel des soldats au combat nuit à l’économie de la ville, surtout dans les entreprises et les activités commerciales, puisque la priorité est donnée aux communications militaires1. La nuit du 24 au 25 août, l’avancée allemande connaît une progression fulgurante, provoquant la panique des habitants qui préfèrent fuir la ville. Les premiers combats ont lieu le 26 août sur la place d’Armes, laissant ensuite la ville aux mains des allemands : c’est le début de l’occupation allemande, qui perdurera jusqu’en octobre 1918. Le Kommandantur est installé dans l’Hôtel de Ville et les habitants sont contraints par des règles de restriction de vivres et de confiscation de matériel2. C’est dans ce contexte de ville paralysée que Laurent Fortier décide de quitter la ville pour s’exiler à Angers, où il aurait exercé la fonction d’architecte municipal.

Laurent Fortier retourne à Cambrai dès que l’armistice est prononcée, en 1918. Là, il s’occupe tout de suite de rétablir son cabinet et de réunir les autres architectes autour de lui afin d’établir un code de bonne conduite professionnelle. L’année suivante, en 1919, il participe au concours pour la reconstruction de la ville, auquel il se placera deuxième, derrière Pierre Leprince-Ringuet, avec qui il collaborera jusqu’à sa mort en 1923.

En quoi la Première Guerre Mondiale bouleverse-t-elle la carrière de Laurent Fortier ? Comment notre architecte se positionne-t-il par rapport aux problématiques de la reconstruction des villes après 1918 ? Dans quelles mesures son style architectural évoluet-il ? Est-il influencé par les tendances «art déco» de son collaborateur, Pierre LeprinceRinguet ?

1 TRENARD (Louis), Histoire de Cambrai, Lille, Presses universitaires de Lille, 1982, pp259-265.

2 ALBARET-GILSON (Françoise), « Cambrai à l’épreuve de la Grande Guerre », Jadis en Cambrésis, n°100, Septembre 2009, pp. 5 à 23.

83

84

A. L'EXIL A ANGERS.

Selon plusieurs sources1, Laurent Fortier aurait quitté Cambrai en 1914, dès les premiers bombardements, afin de se réfugier à Angers, pendant quatre ans, où il y aurait dirigé la construction des nouveaux abattoirs et y aurait assuré la fonction d’architecte municipal. On connaît assez peu les raisons du choix de cette ville, très éloignée du département du Nord, qu’il n’avait pas l’habitude de quitter. Peut-être avait-il de la famille làbas, ou était-ce parce que sa participation au concours de 1904 pour les nouveaux abattoirs de la ville lui avait permis d’acquérir une certaine notoriété ? Des recherches généalogiques pourraient éventuellement éclairer ce propos mais nous n’avons pas estimé que cela serait primordial pour comprendre l’œuvre de Laurent Fortier.

1. Le projet des abattoirs municipaux.

Comme nous l’avons vu précédemment, Laurent Fortier a participé en 1904 au concours pour la construction des nouveaux abattoirs de la ville, où il s’est placé troisième2, l’architecte Jules Blitz ayant été désigné lauréat. Lorsqu’il se réfugie à Angers dès 1914, il n’arrive donc pas en terre inconnue. Il n’est donc pas étonnant que Laurent Fortier ait pu accéder à certaines fonctions et responsabilités à Angers. Fernand Garet affirme d’ailleurs qu’il aurait dirigé la construction des nouveaux abattoirs3. Cependant, ses dires ne sont pas attestés par ce que l’on peut trouver aux archives municipales d’Angers. En effet, d’après l’exécution des travaux de restructuration des anciens abattoirs, ceux-ci auraient été en chantier entre 1904 et 19114, période où Fortier était à Cambrai. Un document montre néanmoins que des dégâts ont été occasionnés aux abattoirs entre 1914 et 1918 à cause des cantonnements militaires5. On peut donc éventuellement penser que Fortier ait dû plutôt s’occuper de divers travaux aux abattoirs de l’ordre de la réparation, et non de leur construction.

2. L'exercice municipal.

de

la

fonction

d'architecte

Tout comme pour le suivi du chantier des abattoirs, seuls quelques dires issus des éloges funèbres attestent que Laurent Fortier ait été architecte municipal à Angers.

Cependant, des recherches aux archives d’Angers, menées par Sylvain Bertoldi, directeur des archives patrimoniales de la ville, montrent qu’un autre architecte, René Brot, était à ce moment-là déjà en fonction. Ce dernier, âgé de 34 ans en 1914, avait peut-être été mobilisé et remplacé par Fortier en intérim. Un compte-rendu de la visite du cinéma Eldorado par la commission de surveillance des installations cinématographiques, datant du 29 octobre 1916, mentionne en effet Fortier comme architecte de la ville. Des recherches complémentaires sur la série K (personnel de la ville et la série I (bâtiments, sécurité et hygiène publique) des archives municipales d’Angers pourraient éclaircir ce propos.

Afin de comprendre les activités de Fortier, on peut se pencher sur la fonction d’architecte municipal à cette époque, notamment grâce à l’ouvrage de Anne Langlet et

1 2 3 4 5

Cambrai, M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, I.A.1.

Angers, Archives Municipales, 2 Fi 110.

Cambrai, M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, I.A.1.

Angers, Archives Municipales, 9 M 19.

Id, 4 H 63.

85

de Marie-Josèphe Lucien-Maisonneuve6. Selon elles, « L’expression [architecte de la ville] désigne un architecte en exercice nommé par le maire, du fait de sa compétence dans l’art de construire, découlant la plupart du temps de sa formation à l’École des beaux-arts et de son excellente pratique du métier. La fonction consiste, dans le cadre du territoire communal, à assurer l’entretien et la construction de la voirie, des voies navigables et des ponts, des marchés, des places et des jardins publics, des bâtiments scolaires et communaux, en particulier des salles de spectacles, des octrois et des cimetières. Leur financement est assuré en totalité par la ville. Toutefois, si les dépenses dépassent un certain montant, 1 000 F en 1822, le chantier est, soit contrôlé, soit directement pris en charge par l’architecte départemental, voire le conseil général des bâtiments civils, comme ce fut le cas pour la construction du Palais des beaux-arts de Lille en 1884. »7.

Bien que Laurent Fortier eût déjà été diplômé depuis plus de vingt ans, cette nouvelle fonction n’a pu que lui apporter de l’expérience, notamment en matière d’urbanisme. Lui qui était essentiellement cantonné à la conception d’édifices en tant qu’objets architecturaux doit désormais se confronter aux règles d’urbanisme et aux enjeux de la ville moderne. Cela préfigure peut-être en partie sa volonté de participer au concours pour la Reconstruction de la ville de Cambrai.

3. Une nouvelle activité Fortier de Cambrai.

qui

ne

coupe

pas

Toujours selon Fernand Garet, Laurent Fortier présida le Comité de Réfugiés du Département du Nord8. Le comité, résidant à Paris, avait pour but d’envoyer des vivres (nourriture et vêtements) aux soldats prisonniers sur le front, ainsi que de publier des annonces dans le journal, permettant aux réfugiés soit de prendre des nouvelles de leur famille, soit de trouver un emploi.

Nous avons essayé d’en savoir davantage sur ce Comité au sein des Archives du Département du Nord, qui détient certaines archives d’associations. Nous y avons trouvé une lettre9 d’un certain «Fortier», membre du Comité organisateur de l’Arbre de Noël aux jeunes soldats, provenant de La Courtine, datée du 12 novembre 1918 et adressée au Préfet.

L’écriture ressemble un peu à celle de Fortier mais La Courtine étant située à plus d 300km d’Angers, cette information semble ainsi peu probable. De plus, son nom ne figure pas dans les bulletins des réfugiés du département du Nord10, ce qui laisse encore des doutes sur cette activité pendant la guerre.

Sans en être le président, Fortier a peut-être été conseiller de l’arrondissement de Cambrai auprès de ce comité11, bien que son nom ne soit cité nulle part.

6 LANGLET (Anne) et LUCIEN-MAISONNEUVE (Marie-Josèphe), « L’institution des architectes départementaux et municipaux et la concurrence des ingénieurs, en France, au XIXe siècle », In Revue du Nord, tome 82, n°335-336, Avril-septembre 2000. pp.487-500.

7 Ibid.

8 GARET (Fernand) in M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, I.A.1. : Livret biographique Laurent Fortier, 18671923, Éloge funèbre, Société d’Émulation de Cambrai.

9 Archives Départementales du Nord, sous-série 9R 1158 10 Bibliothèque Nationale de France, Bulletins des réfugiés du département du Nord : paraissant deux fois par semaine (…), 1915-1921.

11 Le rapport sur l’oeuvre du comité renseigne sur son organisation. Archives Départementales du Nord, sous-série 9R 1158.

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B. LA FIN DE LA GUERRE ET LE RETOUR A CAMBRAI.

Dès que l’armistice est prononcée, Fortier quitte Angers pour rejoindre Cambrai.

Presque miraculeusement, son cabinet et sa maison ne sont pas détruits par les combats, lesquels se sont surtout déroulés dans le coeur historique de la ville. Avant d’expliciter concrètement le rôle de Fortier dans la reconstruction de la ville, il est nécessaire d’apporter quelques éléments du contexte, législatif et artistique, se préfigurant au lendemain de la guerre.

1.

Le bilan de la Grande Guerre à Cambrai.

La ville de Cambrai a été particulièrement touchée par l’artillerie et les bombardements aériens. La bataille de Cambrai a fait de la ville une véritable arène pour les combats, jusqu’à la fin de 1918. Alors que les Allemands se préparaient à se replier vers l’est, les cambrésiens sont évacués à Valenciennes, à pied ou par péniche pour les invalides, la voie ferrée étant coupée. Pendant ce temps, les Allemands pillent la ville et pratiquent la tactique de la « terre brulée ». Le centre-ville est ainsi ravagé par les flammes en septembre 1918.

Le bilan humain et matériel est exposé en détail par Françoise Albaret-Gibson, dans un article paru dans la revue d’histoire locale, Jadis en Cambrésis1. Le bilan humain est dramatique : aux 600 victimes militaires s’ajoute la perte de 2000 civils, la plupart tués lors de l’évacuation de la ville. En ce qui concerne le bilan matériel, on estime qu’un périmètre compris entre la place Fénelon à l’Ouest, le boulevard Faidherbe au Nord, la place au Bois et la place du Saint-Sépulcre à l’est et au sud concentrent l’essentiel des ruines. C’est donc le centre-historique qui est le plus touché, avec certaines de ses rues complètement anéanties2.

Les faubourgs sont également touchés mais les ruines sont plus isolées. Sur l’ensemble de Cambrai et de ses faubourgs, on s’accorde pour dire que 903 immeubles ont été détruits et 5485 endommagés, sur un total de 6400 immeubles existants en 1914. Cependant ce chiffre de 5485 immeubles partiellement détruits est assez ambigu, puisque l’on y comptait toute sorte de dégâts (parfois même une simple vitre brisée). Dès lors qu’interviennent les questions de subventions pour les réparations, le Maire décide de porter à 50 le pourcentage minimum de destructions pour affirmer qu’un bâtiment est partiellement détruit. Cambrai est ainsi sinistrée à 35,6%.

Le président de la République, Raymond Poincaré, se déplace sur les lieux le 14 septembre afin de remettre à la ville la légion d’honneur et déclare : « Cambrai, occupée par l’ennemi dès les premières semaines de la guerre, n’a jamais désespéré. Ruinée, pillée, à moitié détruite, ses habitants chassés par l’ennemi dans d’odieuses conditions, ont tout supporté avec une belle énergie. Ville martyre qui a bien mérité du pays. »3

L’image joyeuse de la libération contraste très vite avec le constat désolant d’une ville complètement dévastée : la Grand’Place détruite, les pans de murs calcinés, la pénurie alimentaire, l’absence d’eau, de gaz et d’électricité et bien-sûr les pertes humaines marquent les esprits. Des baraquements provisoires sont alors mis en place, au cœur de la ville, sur la Grand’Place, et perdureront jusqu’en 1927. Cela a pour but de subvenir aux besoins premiers des habitants, en attendant la mise en place de mesures sur le long terme.

1 ALBARET-GILSON (Françoise), « Cambrai à l’épreuve de la Grande Guerre », Jadis en Cambrésis, n°100, Septembre 2009, pp. 5 à 23.

2 Notamment la rue de l’Arbre d’Or, la rue du Chapeau Bordé, la rue Saint-Martin...

3 Décret du 13 septembre 1919 attribuant la croix de la Légion d’honneur aux villes de Cambrai et Douai, Journal Officiel de la République Française, 14 septembre 1919, p10056

87

2. Le cadre législatif de la Reconstruction.

La question de la Reconstruction est posée dès le début de la guerre. Les élus y voient une occasion de reconstruire les villes selon des normes visant à lutter contre l’insalubrité et à améliorer la circulation automobile. Parmi les différentes mesures mises en place, on peut citer la loi Cornudet du 14 mars 1919, la Charte des sinistrés du 17 avril 1919 et la loi Garin du 27 juillet 1921. a. La loi Cornudet (votée le 14 mars 1919).

Il est important de préciser que cette loi n’a pas été examinée uniquement dans un contexte d’après guerre. Elle est en fait le fruit d’une longue réflexion, entamée dès 1909 par Honoré Cornudet des Chaumettes et concernant les P.A.E.E. (Plan d’Aménagement, d’Extension et d’Embellissement) des villes. Cette réflexion s’inscrit dans les théories hygiénistes et modernistes déjà développées à la fin du XIXe siècle : on cherche alors à désengorger les centres anciens hérités de la période médiévale, à adapter les villes aux bouleversements du monde moderne (automobile, tramway…) et à favoriser le bien-être des habitants par des mesures sanitaires. La Première Guerre Mondiale devient alors, en ce sens, une sorte d’ « opportunité » pour les défenseurs des P.A.E.E., puisque la reconstruction des villes détruites va favoriser la prise en compte de nouveaux critères urbanistiques.

La loi Cornudet est finalement votée le 14 mars 1919, imposant des normes de voirie et d’hygiène et demandant aux villes de plus de 10 000 habitants d’établir un P.A.E.E..

Ce dernier a pour objectif d’améliorer la circulation, la salubrité et l’esthétique des villes4.

Cependant, cette loi ne fut pas vraiment appréciée par les communes concernées : celles-ci reprochaient à l’État son interventionnisme en matière d’expropriation de certains bâtiments au nom de l’utilité publique. Les contraintes administratives liées à la mise en place d’un tel projet furent aussi fortement critiquées par les entrepreneurs et les administrations.

Cambrai fut pourtant l’une des rares villes à mettre en place un P.A.E.E.. On peut penser que ce choix est dû à l’ampleur des dégâts causés par la guerre : en effet, les destructions étaient tellement importantes que le centre-ville offrait une sorte de « carte blanche » à la municipalité et la communauté des architectes et des urbanistes. b. La Charte des sinistrés (17 avril 1919).

La loi du 17 avril 1919, officiellement la «loi sur la réparation des dommages causés par les faits de la guerre», dite « Charte des sinistrés », a pour but de fixer un cadre juridique permettant d’allouer des indemnisations et de réaliser des réparations5. Celle-ci prévoit de rembourser intégralement tout bien mobilier ou immobilier résultant de fait de guerre en appelant à la solidarité nationale. La Charte prévoit également la constitution de comités, réunissant élus municipaux, entreprises et architectes, afin de veiller aux bon déroulement des travaux. c. La « Loi Garin », une convention entre l'État et la ville de Cambrai (27 juillet 1921).

En 1921, le Maire de la ville de Cambrai, Edmond Garin, propose une convention

DEMOUVEAUX (Jean-Pierre) et LEBRETON (Jean-Pierre), La naissance du droit de l’urbanisme 1919-1935. Les grands textes du droit de l’urbanisme, Direction des Journaux Officiels (DJO), Paris, 2007.

5 « Partie officielle : lois », Journal officiel de la République française, no 107, 18 avril 1919, p. 4050 4

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permettant à la commune de se substituer à l’État, afin de faciliter la Reconstruction6.

L’article 1 de cette convention, dite « Loi Garin », précise en effet que l’État ne peut effectuer le rachat de bâtiments ou de parcelles que « sur le vu d’une délibération du Conseil Municipal, approuvée par le Préfet et accompagnée d’un procès verbal estimatif (pour chaque immeuble), de la valeur du bâtiment et du terrain, de l’estimation des prix d’achat et de revente aux particuliers des parcelles non utilisées pour l’utilisation de la voirie. ».

Cette loi permet finalement à la commune de mener elle-même les démarches de recherche de terrains ou de bâtiments pouvant être rachetés par l’État. La ville de Cambrai est ainsi divisée en 14 îlots, chacun subdivisé en 19 lots. Plusieurs enquêtes administratives furent ensuite menées auprès des habitants afin de savoir s’ils donnaient leur consentement à propos des nouvelles voiries et expropriations. Ces démarches prirent beaucoup de temps, ce qui explique pourquoi les travaux ne débutèrent qu’en 1923, pour s’achever seulement en 1932, date de l’inauguration de l’Hôtel de Ville.

3. Le contexte artistique.

Si d’un côté le corps politique discute les premiers projets de loi sur les modalités économiques et administratives de la Reconstruction, d’autres enjeux de nature esthétique ou pragmatiques vont être soulevés, notamment par les architectes, urbanistes et municipalités : quel visage donner à la Reconstruction ? a. La Reconstruction, une problématique soulevée dès le début de la guerre.

déjà

L’enlisement du conflit de la Première Guerre Mondiale fait progressivement oublier à la population française l’idée que celle-ci sera de courte durée. Alors que les combats se déroulent sur le front, à l’arrière, architectes et urbanistes se mettent à penser l’après-guerre et la Reconstruction des cités détruites. Très vite, l’idée de ne pas dénaturer le cadre de vie existant avant la guerre se hisse comme principal axe de réflexion des architectes7. Le régionalisme, déjà bien installé dans le Nord, notamment grâce à Laurent Fortier à Cambrai, devient le mouvement préconisé pour l’architecture des villes nouvelles. Les différentes théories de la reconstruction vont alors circuler par le biais de livres, revues et expositions destinées aux architectes et aux municipalités.

La première véritable publication de ce genre, parue en 1915, s’intitule Comment reconstruire nos cités détruites8. Ses auteurs, deux architectes et un urbaniste, respectivement Alfred-Donat Agache, Jean-Marcel Auburtin et Edouard Redont, se sont donnés pour tâche d’y exposer les nouveaux procédés de construction et matériaux de l’époque, ainsi que de donner des informations concernant le cadre législatif relatif à la reconstruction. L’intérêt de ce « manuel » préfigure les dispositions prises plus tard dans la loi Cornudet, en matière de circulation et d’hygiène.

Le 25 mai 1915 se tient ensuite l’exposition La Cité Reconstituée, initiée par l’association générale des hygiénistes et techniciens municipaux, toujours dans le but de préparer la reconstruction. Cette exposition fit naître le triomphe du régionalisme hygiéniste et de la construction provisoire, présentant des structures en bois et en panneaux préfabriqués. Quatre groupes composaient le programme de l’exposition : le premier 6 WALLART (Claudine), conservateur en chef du patrimoine aux Archives Départementales du Nord, article « la reconstruction de Cambrai », dans Chemin de Mémoire, http://www.cheminsdememoirenordpasdecalais.fr/lhistoire/la-reconstruction/la-reconstruction-de-cambrai.html 7 VIGATO (Jean-Claude), L’architecture régionaliste, France, 1890-1950, Paris, 1994.

8 AGACHE (Alfred-Donat), AUBURTIN (Jean-Marcel) et REDONT (Edouard), Comment reconstruire nos cités détruites. Notions d’urbanisme s’appliquant aux villes, bourgs et villages, Paris, A. Colin, 1915.

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questionnait l’aspect général et patrimonial de la ville et de ses monuments historiques, le deuxième est consacré aux bâtiments de manière général, le troisième se portait davantage sur les matériaux et procédés de construction et enfin, le quatrième présentait la législation régissant les villes. Les journaux de l’époque ont publié des articles concernant l’exposition, la jugeant parfois de manière sévère et l’accusant de montrer un mauvais exemple. L’aspect « démontable » et « économique » semblait faire gage de mauvaise qualité9. Cette exposition reste en effet le fruit de l’imagination d’hygiénistes et de techniciens municipaux, et non d’architectes, ce qui porta sans doute défaut à l’esthétique des projets.

Une deuxième exposition prend place en 1917, concernant la reconstruction des communes rurales. La commission chargée de son organisation est présidée par Defrasse.

L’objet du concours de l’exposition est de créer un modèle d’habitation rurale, simple et économique. Les 88 projets reçus furent publiés dans un ouvrage intitulé Fermes et habitations rurales, projets primés au concours ouvert entre les architectes français10.

Pierre Leprince-Ringuet, futur lauréat du concours de la Reconstruction de Cambrai et collaborateur de Fortier, verra sa planche de concours publiée dans cet ouvrage11.

Parallèlement à cette exposition, une intense activité éditoriale, cette fois majoritairement constituée d’architectes et d’urbanistes, se développe et favorise les débats sur la Reconstruction, notamment au sein de revues telles que L’Architecture ou La construction moderne. Cette puissante implication des architectes va leur permettre d’intégrer le Comité interministériel pour la reconstitution des régions envahies en 191612. b. Le régionalisme et la reconstruction : vers la reconquête d'une identité nationale ?

Le régionalisme s’impose assez naturellement comme le style à privilégier pour la Reconstruction, non seulement puisqu’il se veut « consolateur » du traumatisme de la guerre (on ne veut pas bouleverser à nouveau les populations en les privant de ce à quoi ils étaient attachés), mais aussi parce qu’il tend à renforcer l’identité nationale.13 En effet, la France très patriote du Traité de Versailles désire mettre en valeur son patrimoine et notamment ses traditions locales. Les styles architecturaux se doivent d’être en adéquation avec « les besoins locaux, les traditions locales et les styles locaux si [les architectes] veulent donner aux villages ressuscités une couleur originale et pittoresque en même temps qu’ils les aménagent de façon confortable, hygiénique et rationnelle. »14 A la différence du régionalisme d’avant-guerre, pratiqué notamment par Fortier et essentiellement justifié par son esthétique, le régionalisme d’après-guerre se veut ainsi pragmatique et logique15.

4. La création du Groupement des Architectes de Cambrai (1918).

Au vu de l’ébullition provoquée dans le secteur de la construction pendant et après la guerre, Laurent Fortier crée le Groupement des Architectes de Cambrai, afin de veiller à 9 VIGATO (Jean-Claude), L’architecture régionaliste, France, 1890-1950, Paris, 1994.

10 Fermes et habitations rurales, projets primés au concours ouvert entre les architectes français, Librairie générale des arts et des arts décoratifs, C. Massin, Paris, 1918.

11 VIGATO (Jean-Claude), L’architecture régionaliste, France, 1890-1950, Paris, 1994, p74.

12 Reconstructions en Picardie après 1918, catalogue d’exposition, Archives départementales de l’Aisne, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 2000, p51.

13 VIGATO (Jean-Claude), L’architecture régionaliste, France, 1890-1950, Paris, 1994.

14 DUFOURMANTELLE (Maurice) cité dans RISLER (Georges), « De la reconstruction des Cités détruites », rapport de séance du 17 novembre 1915, Société française des habitations à bon marché, la question de la Reconstruction dans des villes et villages détruits par la guerre (…), Paris, 1916, p23-24.

15 VIGATO (Jean-Claude), L’architecture régionaliste, France, 1890-1950, Paris, 1994.

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la bonne conduite de ces derniers dans les travaux de reconstruction. Fortier craignait des abus de la part de ses confrères et voulait mettre en avant l’honorabilité et la loyauté de la profession.

Dans le bulletin de la S.A.D.G.16, Henri Prudent écrit à ce sujet : « Il [Laurent Fortier] fonda, à ce moment, le Groupement des architectes de Cambrai, qui devait rendre de grands services à nos confrères en leur permettant, à cette époque troublée de restauration des régions dévastées, de trouver un appui moral, une aide confraternelle auprès des anciens et des collègues décidés à maintenir fermement les traditions de loyauté et de probité qui honorent la profession d’architecte. [...] Il voulut que, dans le conflit de spéculations et d’appétits qui ne pouvaient manquer de naître, ses confrères, ou du moins ceux dignes de ce titre, fissent leur profession de foi et s’engageassent à respecter le code d’honneur de leurs devoirs professionnels, et aussi à la faire respecter autour d’eux. Il voulut qu’il pusse sortir de la lutte la tête haute. C’est alors qu’il les réunit et fit de leurs bonnes volontés un faisceau dont il fut le lien. Seule la fatigue devait lui faire résigner les fonctions de président qu’il exerçait avec une affable et captivante autorité ; mais à partir de ce moment, et en ce moment de membre du Conseil de discipline, il veilla avec un souci jaloux sur les intérêts et la conduite professionnelle de ses camarades, les mettant en garde, avec une fermeté adoucie par une extrême bienveillance contre les moindres défaillances, n’hésitant pas à combattre tout acte propre à nuire à leur bon renom, et plus généralement, à celui de toute la corporation. »17

Nous ne disposons pas de beaucoup de documents explicitant les activités du Groupement des architectes pour l’arrondissement de Cambrai. Néanmoins, on retrouve, dans le fonds Fortier, un rapport18 datant du 29 avril 1923 présenté au Groupement par Fortier, au sujet des sapes et des galeries souterraines, à la suite d’une circulaire ministérielle émise à ce sujet19. Il y dénonce la volonté du gouvernement à faire retomber les dommages dus à leur construction sur la responsabilité de l’architecte, alors qu’il s’agirait, dans la plupart des cas, de la faute de l’entrepreneur. Selon lui, l’architecte serait ainsi persécuté par l’Etat, l’entrepreneur et le propriétaire, qui le désigneraient à chaque fois comme l’unique responsable de tout accident, en sa qualité de constructeur et d’homme d’art à la fois. Il demande à ses confrères de solliciter l’appui de la Société Régionale des Architectes du Nord, ainsi que la S.A.D.G. pour l’étude approfondie de la nouvelle circulaire.

Cette affaire prouve tout de même la volonté de Fortier à s’impliquer dans la reconstruction de sa ville et à défendre les valeurs de son métier. C’est ensuite Henri Prudent qui assurera la présidence du Groupement des architectes pour l’arrondissement de Cambrai, et qui rédigera une des éloges funèbres en mémoire de Fortier, publiées dans le bulletin de la S.A.D.G..

PRUDENT (Henri) in M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, I.A.2. : Bulletin de la Société des Architectes Diplômés, 01/10/1923, Voire page 258-261 «Biographie Laurent Fortier».

17 PRUDENT (Henri) in M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, I.A.2. : Bulletin de la Société des Architectes Diplômés, 01/10/1923, Voire page 258-261 «Biographie Laurent Fortier».

16

18 19

Cambrai, M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, I.A.3.

Cette circulaire n’est pas clairement citée par Fortier.

91

Ill.71 - Source : site de l’A.S.P.E.C. Plan des zones détruites, 1918.

Ill.72 - Source : site de l’A.S.P.E.C. Photographie prise depuis la place aux Bois. On distingue à droite l’Hôtel de Ville, au fond l’église Saint-Géry et au premier plan, l’îlot séparant la place au Bois de la place d’Armes, détruit par les bombardements.

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C. LE CONCOURS DE LA RECONSTRUCTION DE CAMBRAI.

Comme nous l’avons vu dans la partie précédente, la Reconstruction est au coeur des questions posées au lendemain de la guerre, surtout dans une ville-martyre comme Cambrai. Fernand Garet souligne ceci par cette citation : « Au lendemain de la destruction de la ville et dès que fut venue l’heure de la reconstruction, Fortier fit preuve de cette clairvoyance qui était l’une des marques de son caractère. Pour nos soldats, la guerre était finie, pour les architectes, elle commençait. Fortier devina que l’oeuvre considérable et ardue qui leur échéait serait une lutte contre tous les instants […]. »1. Quel rôle Fortier occupe-t-il dans la reconstruction de la ville de Cambrai ?

1. Termes et conditions du concours.

Conformément à la loi Cornudet du 14 mars 1919, la ville de Cambrai, réunissant plus de 10000 habitants, s’est dotée d’un P.A.E.E.2. La ville, sur proposition de l’architecte municipal Georges Ardouin, décida de lancer un concours ouvert à tous les architectes.

Cette décision de lancer un concours n’est pas systématique dans l’ensemble des cités détruites : on n’en connaît pas de semblable à Albert (Somme) et Saint-Quentin (Aisne), pourtant tout aussi exemplaires en terme de Reconstruction.

Le programme de ce concours fut confié à une commission municipale de reconstitution, créée le 31 mars 1919, présidée par le Maire, Nestor Copin, et composée de nombreuses personnalités de l’époque dont Louis-Marie Cordonnier, membre de l’Institut Français d’Architecture, Alexandre Marcel, architecte du gouvernement et délégué de la Société Centrale des architectes, ainsi que Léon Jaussely, architecte du gouvernement et délégué de la S.A.D.G.3.

Dans un petit ouvrage4 réunissant les différentes planches des participants au concours, une note explicative de l’imprimeur met en avant les quelques attentes de la commission :

« Il en résulte que Cambrai ne doit pas laisser échapper cette occasion unique de rebâtir une ville embellie et très améliorée sous le rapport de la circulation et de l’hygiène, qu’il faut chercher à attirer le visiteur, que cela n’est possible qu’à condition de rendre à Cambrai son cachet particulier et son caractère propre ; - qu’il faut, en conséquence, éviter de tomber dans la banalité ou le classique exagéré.

Cambrai possédait une Grand’Place très spéciale. Il faut lui conserver son aspect ancien en l’améliorant. Il est à souhaiter que façade et vestiges de l’Hôtel de Ville brûlé disparaissent et que le nouvel Hôtel de Ville rappelle plutôt l’Hôtel de Ville d’avant la Révolution, dans le style du XVIe au XVIIIe siècle, ce qui est dans le caractère et dans le genre de Cambrai. Toute la Grand’Place sera à construire dans le même style, sans uniformité complète, variété dans l’unité ; comme clocher à l’Hôtel de Ville, M. Marcel conseille une tour d’angle sur le côté de la rue de la Prison. »

Cette citation témoigne de la volonté de la ville de tirer profit de la Reconstruction

1 Cambrai, M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, I.A.2. : Bulletin de la Société des Architectes Diplômés, 01/10/1923, Voire page 258-261 «Biographie Laurent Fortier».

2 Plan d’Aménagement, d’Extension et d’Embellissement.

3 Société des Architectes Diplômés par le Gouvernement.

4 Cambrai, M.A.C., S.C.P., Librairie Oscar Masson, Après la guerre, la reconstruction de Cambrai – Projets, Cambrai, 1919

93

Ill.73 - M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, II.A.12.

Ill.75 - M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, II.A.13.

Ill.74 - M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, II.A.14.

94

afin de moderniser la ville et de l’adapter aux nouveaux besoins, en termes de circulation et de salubrité. Des décisions sont également prises en matière d’esthétique : on dénigre le classicisme de l’Hôtel de Ville brûlé en faveur du style renaissant et flamand du précédent, sans doute puisque le goût de l’époque se tourne désormais vers le régionalisme.

2. Participation Fortier.

et

proposition

de

Laurent

a. Morphologie urbaine de Cambrai au lendemain de la guerre.

Le livret publié chez Oscar Masson5 présente également un plan de Cambrai datant de l’avant la guerre. Il met en évidence le tissu médiéval de la ville, constitué de ruelles sinueuses composant des îlots assez difformes et de tailles variées. Parmi eux, deux vides viennent rompre ce tissu à l’apparence très dense : la place d’Armes (ou Grand’Place) et la place aux Bois, séparées par cinq îlots. Le plan met également en évidence les nombreux monuments de la ville, églises et édifices publics, coloriés en noir. Cela témoigne de la volonté de la ville de valoriser son patrimoine architectural (comme l’église Saint-Géry, le Beffroi...etc).

Comme nous pouvons le voir sur la carte des zones détruites6 (ill. 71), presque tous les îlots entourant les deux places ont été détruits, notamment celui comprenant l’Hôtel de Ville. L’axe Nord/Sud du boulevard Faidherbe au du boulevard de la Liberté, traversant les deux places, est presque entièrement ravagé. Trois des îlots séparant les deux places ont également été détruits (ill. 72).

Ce désolant constat offre cependant la possibilité pour les participants de réaménager en profondeur la ville, et notamment d’en définir les nouveaux îlots et circulations. b. Plusieurs essais avant la proposition finale.

La place d’Armes et ses alentours.

Le fonds Fortier, conservé au Service des Collections Patrimoniales de Cambrai, regroupe dans un dossier7 différents calques « brouillons », en bon état, dessinés par l’architecte avant le rendu de la proposition finale en 1919. Cela nous renseigne sur le processus d’élaboration du projet et sur ses éventuelles hésitations.

On remarque que Laurent Fortier a d’abord travaillé avec un cadrage relativement large, allant de la place Fénelon au Jardin Public, comprenant également une partie du boulevard Faidherbe (limite Nord de la ville). Il a donc choisi un cadrage assez vaste pour travailler le centre, mais sans prendre en compte toutes les limites de la ville (et notamment la limite sud, le boulevard de la Liberté). Nous verrons que cela a sans doute été déterminant dans ses prises de position dans le rendu final.

Avec ce cadrage, Fortier a d’abord effectué un premier plan8 (ill. 73), où il dessine d’un trait rouge les alignements existant avant la guerre, en hachures rouges les zones détruites et en pochage gris les nouveaux îlots. Ce « premier jet » reprend fidèlement l’ancien tracé de la ville. On y constate seulement un élargissement des rues, sans doute dans le souci de répondre aux nouvelles exigences concernant la circulation. Un seul des îlots détruits n’est pas reconstruit, son absence permettant à la place d’Armes d’acquérir une 5 Ibid.

6 Carte des zones détruites, 1918, collections de l’ASPEC. 7 M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, II.A. 8 Id, II.A.12.

95

Ill.76 - M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, II.A.12.

Ill.78 - M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, II.A.13.

Ill.77 - M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, II.A.14.

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forme rectangulaire, apportant davantage de clarté au plan de la ville, tant d’un point de vue esthétique que fonctionnel. Le nouvel Hôtel de Ville est déplacé à l’Est de la place d’Armes, afin de pouvoir se placer en son centre symétrique (cela n’aurait pas pu être le cas en suivant le tracé originel).

Dans le plan suivant9 (ill. 75), Fortier parvient à s’octroyer un peu plus de liberté : la taille de l’Hôtel de Ville est diminuée, générant une petite placette à l’arrière du bâtiment.

Certains îlots sont regroupés afin de favoriser des axes de circulations fort, au détriment des anciennes ruelles médiévales. On observe cela grâce à ses coups de crayon gris griffonné par dessus son plan à l’encre de chine.

Le troisième plan10 (ill. 74) fait naître l’idée phare de Fortier : une place d’Armes au plan carré, disposant d’une colonne en son centre, faisant un peu penser à la place Vendôme de Paris. Les îlots autour de la place sont presque tous redessinés, de manière à donner à celle-ci sa forme carrée, et à faire converger les différentes rues du centre en son sein.

L’Hôtel de Ville est ramené à sa place initiale, au nord de la place. L’idée d’aménager une petite place à l’arrière de celui-ci est conservée, sans doute dans le but de former un parvis pour la salle des fêtes. Deux îlots séparent toujours la place d’Armes de la place aux Bois, dont l’un deux comprend en totalité un marché couvert. Ce dernier élément témoigne de la volonté de l’architecte de répondre aux besoins du monde moderne, puisqu’il n’en existait pas auparavant à Cambrai. La place aux Bois est quant à elle végétalisée, également dans le souci de répondre aux préoccupations hygiénistes de l’époque.

Une deuxième série de plans, à une échelle plus rapprochée, dont le cadrage regroupe essentiellement le quartier autour de la place d’Armes, vient apporter quelques nuances à cette dernière proposition.

Le premier plan de cette série11 (ill. 76), reprend la forme carrée de la place d’Armes, mais abandonne l’idée d’un marché couvert la séparant de la place aux Bois. Celle-ci restera séparée par des îlots, comme c’était le cas avant la guerre. Les halles seront désormais placées de part et d’autre d’un nouveau bâtiment, la Salle des Fêtes, placée en face de l’Hôtel de Ville.

Ces changements renforcent l’aspect classique initié dans le travail de Fortier.

On retrouvera cette disposition « Salle des Fêtes disposée en face de l’Hôtel de Ville » dans les deux plans suivants12 (ill. 78 et 77). Le marché couvert est ramené à l’Ouest, créant un lien avec la place aux Bois. Cependant, ce qui change le plus, c’est que la place d’Armes n’est plus carrée, mais rectangulaire, peut-être afin de rompre l’aspect classique, sûrement pour agrandir l’espace public.

Une nouvelle proposition pour l’Hôtel de Ville.

Hormis le projet d’aménagement de la ville, la question de la construction d’un nouvel Hôtel de Ville semble avoir passionné Fortier. On retrouve en effet de nombreuses esquisses d’élévations ou de perspectives de ce bâtiment. Rappelons le fait que Fortier s’est auparavant essayé à plusieurs concours d’hôtels de ville13, et en a même réalisé un, celui de Solesmes, qui lui a valu la deuxième médaille au Salon des Artistes Français à Paris14.

Il semble donc assez naturel que Fortier s’intéresse davantage à cette question et prenne plaisir à dresser plusieurs propositions.

Quelques dessins15 semblent d’abord reproduire, ou du moins s’inspirer de l’hôtel néoclassique dominant la place d’Armes juste avant la guerre (ill. 79). Cette forme est celle 9 10 11 12 13 14 15

Id, II.A.13.

Id, II.A.14.

Id, II.A.18.

Id, II.A.16 et II.A.17.

Notamment l’hôtel de ville de Doullens.

Il s’agit de l’Hôtel de ville de Solesmes.

Cambrai, M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, II A 7 et II A 8

97

Ill.79 - M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, II.A.7.

Ill.80 - M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, II.A.8.

Ill.81 - M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, II.A.22.

Ill.82 - M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, II.A.23.

98

choisie pour la proposition de la place carrée, sans doute dans le but de conserver un style assez classique. De plus, il est plutôt courant, dans les reconstructions de la Première Guerre Mondiale, de rebâtir à l’identique certains monuments emblématiques de la ville16, afin que les villes ne se séparent pas de leur patrimoine artistique et culturel.

Cependant, pour la proposition à la place rectangulaire, Fortier s’est octroyé davantage de liberté : l’Hôtel de ville se compose d’ornementations d’inspiration flamande, et d’un toit imposant comportant de nombreuses flèches et un clocher considérable. (ill. 80) Cette nouvelle façade rappelle le style de l’hôtel de ville de Solesmes. De part et d’autre de l’Hôtel de Ville, deux autres bâtiments, plus petits mais tout aussi remarquables, viennent renforcer la symétrie et l’unité architecturale de cette façade urbaine inédite.

Façades des magasins.

Laurent Fortier a également pris le temps de dessiner plusieurs façades de la place d’Armes17 (ill. 81-82). Cela témoigne de sa volonté d’imposer une « règle » légiférant les alignements et l’unité de cette place. En effet, bien que ces façades présentent des largeurs et des décors différents, on y retrouve toujours le même système : un rez-de-chaussée largement vitré pour les magasins, le premier étage abritant soit des habitations soit des ateliers reliés aux boutiques de l’étage inférieur, et enfin un toit imposant offrant de grandes lucarnes, rendant l’habitation confortable. Même si le style est encore très largement régionaliste, on dénote tout de même quelques nouveautés ornementales, liées à l’Art Nouveau, notamment au niveau des ferronneries des balcons ou de la marquise du Café, qui rappelle le travail de Guimard à Paris ou de Horta à Bruxelles. c. La proposition finale de Fortier.

Laurent Fortier a choisi comme devise « Le Cygne » pour présenter sa proposition.

Cela fait référence au théologien et écrivain originaire de la région, Fénelon (1651-1715), appelé ainsi en raison de son caractère calme et apaisé. Chacun des candidats a choisi un titre plus ou moins explicite pour son projet, mais faisant toujours référence au passé de la ville.

Le livret présentant les planches de chacun des candidats précise que « Il n’a pas paru utile de publier plus que le plan principal de chacun des travaux ; les « variantes » ne portaient que sur des détails de peu d’importance. »18 Cela explique pourquoi le travail de Fortier, du moins ce qu’il en reste, se compose d’un plan principal, d’une vue aérienne représentant ce même plan et d’une façade d’Hôtel de ville différente de celle dessinée sur les deux documents précédents.

Le plan principal reprend le même graphisme déjà développé dans les « brouillons » : dessin des îlots à l’encre de chine, comportant sans doute à l’origine des couleurs. La place d’Armes occupe un plan de forme carrée, avec l’Hôtel de Ville trônant au centre de l’un de ses côtés (ill. 83). Un nouvel élément, non présent dans les croquis de travail et pourtant primordial, apparaît : il s’agit de la création d’un nouvel axe entre la place d’Armes et la Porte de Paris, à l’extrémité sud de la ville. Cette percée inédite, reprenant le modèle de la ville haussmannienne, permet de mettre en valeur d’Hôtel de Ville et la porte de Paris, vestige des fortifications du XIVe siècle. La nouvelle place d’Armes se veut unique dans la ville et ses dimensions permettent à l’architecte de supprimer la place aux Bois et de la remplacer 16 C’est notamment le cas de la basilique de Saint-Quentin (Aisne) ou de l’église romane de Tracy-le-Val (Oise). Voir : Reconstructions en Picardie après 1918, catalogue d’exposition, Archives départementales de l’Aisne, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 2000, p161.

17 Cambrai, M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, II.A.22, 18 Cambrai, M.A.C., S.C.P., Librairie Oscar Masson, Après la guerre, la reconstruction de Cambrai – Projets, Cambrai, 1919

99

Ill.83 - Librairie Oscar Masson, Après la guerre, la reconstruction de Cambrai – Projets, Cambrai, 1919 Plan de la proposition de Fortier.

Ill.84 - Ibid.

Vue aérienne de la proposition de Fortier.

Ill.85 - Ibid.

Proposition de Fortier pour l’Hôtel de Ville.

100

Ill.86 - Librairie Oscar Masson, Après la guerre, la reconstruction de Cambrai – Projets, Cambrai, 1919 Plan de la proposition de Leprince-Ringuet

Ill.87 - Ibid Vue aérienne de la proposition de Leprince-Ringuet.

101

par un marché. L’idée de la placette à l’arrière de l’Hôtel de Ville est maintenue, afin de constituer un petit parvis pour la Salle des Fêtes.

La vue aérienne du projet permet quant à elle de donner une idée de la densité et de l’architecture du bâti (ill. 84). Celle-ci est dessinée de manière à mettre en valeur le nouvel Hôtel de Ville et la place d’Armes, avec en arrière plan l’église Saint-Géry. L’angle de vue ne permet cependant pas d’apprécier la percée jusqu’à la porte de Paris, pourtant très audacieuse, de l’architecte. On peut tout de même noter la volonté de Fortier d’innover dans la représentation graphique et de s’inscrire dans la modernité, en intitulant son dessin « La Grand’Place vue en avion », ce moyen de transport ayant été inventé seulement quelques décennies auparavant. On est alors en mesure de constater l’immensité et la justesse des proportions de la nouvelle place, monumentalisée par une colonne en son milieu, comme sur la place Vendôme à Paris. Ce classicisme est également rappelé par le style de l’Hôtel de Ville, qui est en fait la reproduction quasi à l’identique de celui de l’avant-guerre. Les façades bordant la rue sont quant à elles de style régionaliste, comme avait pu le dessiner Fortier dans ses premières esquisses19.

La troisième planche, sous titrée « projet B », est une variante de la proposition de Fortier, présentant une nouvelle façade pour l’Hôtel de Ville (ill. 85). L’architecte impose ici un style plutôt régionaliste, reproduisant la façade qu’il avait déjà développée au brouillon, représentant l’Hôtel de Ville sur deux hauts niveaux et pourvu d’un toit imposant. Deux autres monuments, plus petits, viennent côtoyer l’Hôtel de Ville de part et d’autre : il s’agit en fait du Palais de Justice et de la Bourse de Commerce.

3. Dénouement du concours.

Cinq autres architectes ou groupes d’architectes, originaire de Cambrai ou de la région parisienne, ont participé au concours. La commission municipale de la reconstitution de Cambrai se réunit le 11 août 1919 au Musée de Cambrai afin d’examiner les différents plans. Le jury souligne le sérieux de l’ensemble des projets afin de finalement juger celui de Leprince-Ringuet, architecte parisien, supérieur. Celui-ci a collaboré avec les architectes Germain Marc Debré et Jacques Debat-Pensant. Laurent Fortier se place tout de même en deuxième position.

Le projet de Fortier a pourtant de nombreux points communs avec le projet de Leprince-Ringuet (ill. 86). On y retrouve une grande place centrale, non pas carrée mais rectangulaire, réunissant les deux places existantes (la place d’Armes et la place aux Bois), en détruisant les îlots qui les séparaient. L’idée d’un axe entre cette nouvelle Grand’Place et la porte de Paris est également commune, et deviendra plus tard l’Avenue de la Victoire.

Leprince-Ringuet aménage également une place à l’arrière de l’Hôtel de Ville, comme Fortier, mais plus grande et donnant aussi sur la Chambre de Commerce, créant ainsi un petit pôle administratif. Un espace vert est aménagé au cœur de la ville, à l’Ouest, appelé Mail Saint-Martin et mettant en valeur le Beffroi. Une vue aérienne du projet et différentes perspectives permettent de prendre connaissance des choix architecturaux de l’architecte, laissant de côté le classicisme pour mettre en avant un régionalisme épuré, influencé par l’Art Déco (ill. 87). Les façades-pignons, caractéristiques des Flandres viennent animer le pourtour de la place, afin de rappeler l’histoire de la ville. Le nouvel Hôtel de Ville semble d’ailleurs s’inspirer du bâtiment de la fin du Moyen-Age, et non pas de celui datant d’après la Révolution.

Le projet de Leprince-Ringuet, proposant davantage de changements dans la ville, a donc finalement été jugé plus audacieux. Une exposition publique eut ensuite lieu, où plans et dessins furent présentés. Les cambrésiens s’y sont beaucoup intéressés, ce qui explique

19

Voir chapitre 1.

102

ensuite la publication des planches du concours20. Auguste Dorchain, écrivain et poète cambrésien, y rédige une introduction marquant le début des travaux :

« Le Cambrai nouveau se reliera donc à l’ancien dans ses aspects essentiels, dans ses perspectives familières, où toujours nous retrouverons l’âme de notre vieille cité, en harmonie avec nos âmes. Et si, pendant longtemps, ces pierres ou ces briques nous paraissent trop blanches ou trop neuves, eh bien, qu’importe : lapides clamabunt, et elles n’en crieront que mieux, ces briques et ces pierres, à la fois notre vitalité inépuisable, et notre horreur, notre haine, notre dégoût de la bestialité allemande.

A l’œuvre, maintenant ! Et que bientôt, à l’unisson, Martin et Martine21 sur le timbre du Campanile où ils auront repris leur garde et leur besogne séculaires, que Gallus22, sur la grosse cloche rapatriée du Beffroi Saint-Martin, que le sonneur de la Cathédrale, sur le bourdon du clocher rebâti, sonnent joyeusement la Pâque de notre ville ressuscitée et, plus que jamais, glorieuse ! »23.

On retrouve, dans ce discours, la tonalité patriotique et revancharde déjà abordée précédemment. Dorchain fait habilement référence à la victoire de Leprince-Ringuet, en appuyant la fin de son discours sur la légende « Martin et Martine », qui servit de nom à la proposition du lauréat.

4. Mise en place du P.A.E.E. à Cambrai.

Le 28 avril 1920, une enquête réglementaire est menée par la Commission départementale d’aménagement des villes et des villages, afin de vérifier si le projet répond bien aux exigences de la loi Cornudet. Le jury considère le projet remarquable, précisant qu’il n’y a que seuls quelques petits changements à faire concernant la largeur des rues et des places, à agrandir afin de répondre aux normes d’ « embellissement ».

Un an plus tard, le 11 mai 1921, le P.A.E.E. de Cambrai est déclaré d’utilité publique.

Cela, en complément de la loi Garin votée le 27 juillet suivant, permet à la ville de demander à l’État d’exproprier les zones concernées par le projet, afin de débuter les travaux le plus aisément possible.

20 M.A.C., S.C.P., Librairie Oscar Masson, Après la guerre, la reconstruction de Cambrai – Projets, Cambrai, 1919 21 Il s’agit des deux statues présentes sur l’actuel campanile de l’Hôtel de Ville. « La légende de Martin et Martine rappelle les exploits d’un couple de forgerons qui, en 1370, mit fin aux exactions du tyrannique seigneur de Thun-Lévêque. Au cours d’une expédition menée contre le comte et ses troupes, Martin lui asséna un coup de maillet sur le casque, qui s’enfonça jusqu’aux yeux et le rendit fou. La ville en fut ainsi libérée. » selon le site de la ville de Cambrai, http://www.villedecambrai.com/decouvrir-cambrai/portrait-de-ville/traditionset-savoir-faire/martin-martine/ 22 Nom donné par les cambrésiens au guetteur du Beffroi de Cambrai.

23 DORCHAIN (Auguste), « Introduction » in M.A.C., S.C.P., Librairie Oscar Masson, Après la guerre, la reconstruction de Cambrai – Projets, Cambrai, 1919.

103

Ill.88 - Archives de la Banque de France, Le Cateau.

Photographie de la façade postérieure de la succursale en 1918

Ill.89 - Archives de la Banque de France, Le Cateau.

Le terrain de la future succursale (1918).

Ill.92 - Archives de la Banque de France, Le Cateau.

Coupe pour le projet de la succursale, signés Fortier et Leprince-Ringuet.

Ill.90 - Archives de la Banque de France, Le Cateau.

Chantier de la succursale, 1922.

Ill.91 - Archives de la Banque de France, Le Cateau.

La succursale en 1925.

104

D. LA COLLABORATION ENTRE FORTIER ET LEPRINCE-RINGUET.

Dès 1919, fort de son engagement à reconstruire sa ville, Fortier s’associe à LeprinceRinguet, lauréat du concours, plus jeune de 7 ans et élève de Laloux lui aussi. Fortier l’invite à travailler dans sa propre agence, toujours située au 10 place de la porte Notre-Dame.

Leprince-Ringuet va d’ailleurs habiter au 14 rue Sadi-Carnot, ancien domicile et propriété de Fortier.

L’auto-publication des travaux de Leprince-Ringuet1 mentionne plusieurs projets issus de la collaboration des deux architectes. Les plans de ceux-ci sont en effet signés de leur deux noms, ce qui rend assez difficile l’évaluation de la part d’intervention de chacun dans chaque projet.

1. Leprince-Ringuet et Fortier : une formation similaire et un style régionaliste commun.2

Pierre Leprince-Ringuet (1874-1954) est un architecte parisien, ayant été diplômé à l’École Centrale des Arts et des Manufacture et de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. Là-bas, il est formé par Victor Laloux, qui fut également le professeur de Fortier. Il remporte le Second Prix de Rome en 1904 et est diplômé en 1905. Il débute sa carrière par la réalisation d’hôtels particuliers et d’immeubles dans la capitale, comme celui du 5 avenue Sully-Prudhomme dans le 7eme arrondissement, qu’il a érigé en 1913.

Alors que son style s’orientait davantage vers le classicisme et l’art deco à Paris, Leprince-Ringuet commence à s’intéresser au régionalisme pendant la Première Guerre mondiale, notamment lors du concours de 1917, où il présente un projet de ferme dans la Meuse, lequel lui permettra d’être lauréat. En 1919, il participe ainsi au concours de la reconstruction de Cambrai, où il se verra récompensé du premier prix. Il continue sa carrière dans la ville, d’abord en collaboration avec Laurent Fortier, puis en installant son propre cabinet. Au début des années trente, il délaissera cependant Cambrai pour se recentrer sur des projets à Paris, comme la Fondation des Etats-Unis (1929) et à l’étranger, le Musée National du Liban (1930-1937).

2. Travaux pour la Banque de France : les succursales de Solesmes et de le CateauCambrésis.

Nous avons vu, dans le premier chapitre, que Fortier fut architecte de la Banque de France pour l’arrondissement de Cambrai, et qu’il fut amené à superviser la construction des succursales de Cambrai, Le Cateau et Caudry, sous le regard attentif de l’architecte en architecte en chef de ce service, Alphonse Defrasse. Lors de son retour à Cambrai en 1918, Fortier est donc chargé de restaurer ou de reconstruire les succursales du Cambrésis. Il bénéficie de la collaboration de Leprince-Ringuet, à qui il transmettra son titre d’architecte de la Banque de France à Cambrai à sa mort en 1923.

1 LEPRINCE RINGUET (Pierre), Travaux d’architecture, Edition d’Architecture, D’Industrie et D’Economie Rurale, Strasbourg, 1934.

2 MEREAU (Mathilde), Entre Régionalisme et Art Déco, l’architecture de Pierre Leprince-Ringuet (1874-1954), architecte, décorateur et urbaniste, mémoire de master sous la direction de M. le professeur Barthélémy Jobert et M. Simon Texier, université Paris-Sorbonne, septembre 2008, 2 tomes.

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Ill.93 - Archives de la Banque de France, Solesmes.

Dessin de l’élévation, signé Fortier.

Ill.94 - Archives de la Banque de France, Solesmes.

Chantier de la succursale, 1922.

Ill.95 - Archives de la Banque de France, Solesmes.

La succursale en 1925.

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a. Les conséquences de la succursales du Cambrésis3.

guerre

sur

les

La guerre a détruit de nombreux bâtiments dans le Cambrésis, et les succursales de la Banque de France ne sont pas épargnées. Dès 1918, Defrasse effectue une tournée des succursales se situant sur le front et rédige des rapports sur leur état au Gouverneur.

Il déclare l’immeuble de Cambrai profondément touché par trois obus qui ont traversé les murs et la charpente pour éclater à l’intérieur. Cependant l’immeuble est préservé de la ruine totale, aussi l’on compte sur les prisonniers pour effectuer les travaux, et sur l’aide de la ville de Caudry, moins touchée par les dégâts.

La succursale de Caudry est quant à elle intacte et ne nécessite pas de réparation.

Au Cateau, les conséquences de la guerre sont plus tragiques. La succursale est partiellement démolie, et demande de tels travaux qu’il vaut mieux reconstruire un nouveau bâtiment, selon le rapport de Defrasse (ill. 88). Les bureaux sont provisoirement logés dans un immeuble de la ville, en attendant de trouver un nouveau terrain à bâtir.

La succursale de Solesmes est également extrêmement détériorée, comme le montre l’état des lieux que Fortier a dressé le 6 novembre 1919. La construction d’un nouveau bâtiment est également envisagée. b. La Succursale de Le Cateau4.

En 1920, la Banque de France acquiert un nouveau terrain attenant à celui qu’elle possédait et comprenant l’ancienne succursale, en très mauvais état (ill. 89). On projette alors de reconstruire une nouvelle succursale, plus vaste, occupant les deux parcelles réunies.

Les plans de la nouvelle succursale, dressés en 1921, sont signés Fortier et LeprinceRinguet, bien que l’on reconnaisse aisément le style graphique de ce dernier, plus «moderne» que celui de Fortier (ill. 92). Le style de la façade du bâtiment reste néanmoins régionaliste et pourrait s’apparenter à ceux que dessinait Fortier (ill. 91). L’organisation du plan reste quant à elle nettement influencée par le modèle de plan-type imposé par Defrasse, déjà avant la guerre : on retrouve en effet l’idée du hall éclairé par une verrière autour duquel sont disposés les différents bureaux et comptoirs.

Le chantier démarre la même année, et on utilise le béton armé pour certaines structures intérieures (comme le hall), afin d’amoindrir les coups de construction. (ill.

90). L’utilisation de la brique a néanmoins été choisie pour la façade et pour répondre à la tendance régionaliste de l’époque. c. La succursale de Solesmes5.

Suite à l’état des lieux dressé par Fortier en 1919, le Contrôleur général décide d’édifier une nouvelle succursale à Solesmes. Dressés en 1921, les plans de la série A sont co-signés par Fortier et Leprince-Ringuet, tout en s’inspirant d’une proposition faite par Defrasse. Le projet ressemble étonnamment à celui de la succursale du Cateau, dont le style graphique des plans est encore celui de Leprince-Ringuet (ill. 95). On retrouve cependant un dessin de la façade principale, signé uniquement Fortier, ressemblant presque à l’identique à celui de la façade finale. Cela témoigne de l’implication de notre architecte dans ce projet (ill. 93).

Cependant, de nouveaux plans, ceux de la série B, paraîtront en 1922 et seront 3 Archives de la Banque de France, dossiers concernant les succursales de Cambrai, Le Cateau, Caudry et Solesmes.

4 Id, Le Cateau.

5 Id, Solesmes.

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Ill.96 - LEPRINCE RINGUET (Pierre), Travaux d’architecture Projet de maisons et d’ateliers pour le comptoir Linier à Cambrai.

Ill.99 - LEPRINCE RINGUET (Pierre), Travaux d’architecture Projet del’archevêché de la rue de Noyon.

Ill.97 - Source : site Tourisme-Cambrésis.

L’église Saint-Martin d’Abancourt.

Ill.98 - Source : site Tourisme-Cambrésis.

L’église Saint-Géry de Flesquières.

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uniquement signés par Leprince-Ringuet. Comme le souligne Mathilde Méreau dans son mémoire6, le style s’est allégé, et se contente de décors plus sobres, sans doute plus représentatifs du penchant «art déco» de Leprince-Ringuet.

Les travaux débutent en 1922 et s’achèveront un an plus tard, juste après la mort de Laurent Fortier. Leprince-Ringuet, en charge des dossiers des succursales, succédera à Laurent Fortier en tant qu’architecte de la Banque de France de l’arrondissement de Cambrai, le 2 août 1923.

3. Autres réalisations communes.

L’auto-publication des travaux de Leprince-Ringuet7 précise aussi que les deux architectes ont construit ensemble les ateliers et maisons ouvrières du comptoir de l’industrie Linière à Cambrai (1923). Il s’agit d’une usine de tissage, autour de laquelle sont construites des maisons pour les ouvriers, selon la doctrine paternaliste de l’époque.

L’usine affiche un style régionaliste affirmé en se dotant de pignons à redents, très typiques de l’architecture flamande (ill. 98). Le style de l’ensemble du bâtiment est néanmoins assez épuré et rappelle celui des succursales de Solesmes et du Cateau, fruits de la collaboration des deux architectes.

Dans son mémoire, Mathilde Méreau affirme aussi que Fortier et Leprince-Ringuet ont collaboré pour la construction des églises Saint-Géry de Flesquières édifiée entre 1922 et 1926 (ill. 98) et de Saint-Martin d’Abancourt bâtie entre 1923 et 1933 (ill. 97). On peut aussi en apprendre davantage en se rendant aux Archives Départementales du Nord8. Ces deux églises diffèrent complètement de celles de Saint-Louis et Saint-Joseph dessinées par Fortier : bien que l’emploi de la brique et de la pierre et que leur aspect massif et roman fassent penser au style de notre architecte, la simplification des volumes et des lignes, la recherche de la sobriété et la stylisation des figures d’ornementation suggèrent plutôt le style Art Déco de Leprince-Ringuet.

Aux archives municipales de Cambrai, nous avons découvert que Fortier avait également co-signé les plans de l’archevêché de la rue de Noyon, ce que ne précise pas Leprince-Ringuet dans son ouvrage9. Celui-ci, situé dans un bâtiment adjacent de la cathédrale, fut réquisitionné par les allemands en 1914. On déménagea l’archevêché dans l’hôtel Bonnel-Quinchon de la rue de Noyon. La guerre endommagea fortement les deux bâtiment, et la nécessité de reconstruire l’archevêché s’affirma en 1922. On décide de le laisser demeurer rue de Noyon : les plans de Fortier10, accompagnés d’un permis de construire datant du 8 avril 1922, montrent une restructuration du bâtiment et le dessin de la façade sur la rue de Noyon. Cependant, ces dessins ne correspondent plus à la réalité actuelle : les plans ont peut être évolué avec l’intervention de Leprince-Ringuet ou le bâtiment a peutêtre été reconstruit après la Deuxième Guerre mondiale (ill. 99). Fortier aurait aussi cosigné un dessin de l’église évangélique de la rue du marché aux poissons, en mars 192211.

Les deux architectes ont également collaboré pour la construction de plusieurs maisons individuelles, essentiellement dans le centre-ville de Cambrai, notamment celle du 28 rue Sadi-Carnot, remarquable de par ses ornements en béton armé. Ces derniers MEREAU (Mathilde), Entre Régionalisme et Art Déco, l’architecture de Pierre Leprince-Ringuet (1874-1954), architecte, décorateur et urbaniste, mémoire de master sous la direction de M. le professeur 6

Barthélémy Jobert et M. Simon Texier, université Paris-Sorbonne, septembre 2008, 2 tomes.

7 LEPRINCE RINGUET (Pierre), Travaux d’architecture, Edition d’Architecture, D’Industrie et D’Economie Rurale, Strasbourg, 1934.

8 Archives Départementales du Nord, série O : administration et comptabilité, O201/21 et 22 (Abancourt) et O232/94 (Flesquières).

9 LEPRINCE RINGUET (Pierre), Travaux d’architecture, Edition d’Architecture, D’Industrie et D’Economie Rurale, Strasbourg, 1934.

10 Archives Municipales de Cambrai, 1 O 528.

11 Ibid, série O.

109

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permettent de donner à la lucarne une forme semblable à la façade de la cathédrale de Cambrai, de style baroque.

Il serait étrange que Fortier ne collabore pas davantage avec Leprince-Ringuet pour les grands chantiers de la reconstruction de Cambrai. Dans le tome 105 de la S.E.C.12, dans son article biographique sur Laurent Fortier, André Leblon affirme que leur collaboration aurait fait naître les projets de l’Archevêché de la rue de Noyon, la Salle des Concerts, le Collège Fénelon et l’école nationale de Musique. Cependant, cet article ne mentionne aucune source vraiment fiable, aussi nous avons voulu nous assurer de son exactitude en nous rendant aux archives municipales de Cambrai. Là-bas, nous avons appris que Laurent Fortier avait en effet co-signé certains plans de l’archevêché de la rue de Noyon ainsi que des maisons individuelles, mais aucune des autres réalisations citées par Leblon, qui seraient donc plutôt l’œuvre de Leprince-Ringuet seul.

12

Société d’Émulation de Cambrai.

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Ill.100 - M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, II C 13.

Façade et coupe de l’immeuble 22 rue d’Alger

Ill.101 - Achives municipales de Cambrai, 1 O 219.

Plan du rez-de-chaussée, façade sur la route du Cateau, coupe transversale.

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E. FIN DE CARRIERE ET POSTERITE DE LAURENT FORTIER.

Parallèlement à sa collaboration avec Leprince-Ringuet, Laurent Fortier continue de concevoir des projets seul. Nous avons répertorié ses différentes œuvres d’après-guerre en dépouillant le fonds Fortier et en s’appuyant sur les inventaires des archives municipales de Cambrai. Peut-on y déceler une évolution de style, notamment grâce à l’influence de Leprince-Ringuet ? Quel souvenir Laurent Fortier laissera-t-il au sein de sa ville après son décès en 1923 ?

1. Projets style ?

personnels :

une

évolution

de

Lors de son retour à Cambrai en 1918, Fortier reprend très rapidement ses activités d’architecte, d’autant plus que les dégâts provoqués par la guerre sont très importants et que par conséquent, la clientèle afflue. Il construit alors plusieurs maisons individuelles, davantage dans le centre de la ville, là où les destructions sont les plus importantes. Il est notamment l’auteur d’une maison bourgeoise, typologie ayant fait sa renommée, au 17 boulevard Vauban en mars 1922.1 On constate, à travers cette dernière oeuvre, que le style de Fortier s’est allégé et se caractérise par des lignes plus courbes (pour les encadrements de fenêtres notamment). Les tendances Art Déco de son collaborateur, Leprince-Ringuet, semblent avoir influencé notre architecte dans ses projets personnels.

Selon le fonds Fortier, il aurait également été l’auteur d’un immeuble au n°22 rue d’Alger en 19222. Cet immeuble, dont il semble avoir été le propriétaire, témoigne également de l’influence de Leprince-Ringuet et de son style Art Déco sur Laurent Fortier (ill. 100).

L’activité industrielle devant également reprendre après la guerre, Fortier construisit deux maisons ouvrières3 pour l’industrie Messian, fabriquant des engrenages. Ces maisons, situées sur la route du Cateau, sont mitoyennes par leur garage et sont dotées d’une façade assez étudiée. Un dispositif d’entrée avec escaliers et auvent viennent enrichir la façade, signalant la pièce de vie au milieu de chaque maison (ill. 101).

Le fonds Hennebique de la Cité de l’Architecture et du Patrimoine mentionne Fortier également comme l’architecte mandataire de la ferme de Rambourlieux4 au Cateau-Cambrésis et du Grand Séminaire Saint-Michel à Cambrai5. Il s’agirait sans doute d’une rénovation pour le premier bâtiment, et d’une esquisse n’ayant pas donné lieu à une construction pour le deuxième. Nous n’avons pas trouvé d’informations complémentaire au sujet de ces deux projets, le centre d’archive étant fermé pour travaux.

Malgré l’entrain que Fortier a manifesté lors de la Reconstruction de la ville de Cambrai, on ne peut pas dire que cette période ait constitué l’apogée de son oeuvre. Il semble avoir eu quelques difficultés à moderniser son style, peinant à le faire évoluer vers l’Art Déco, en vogue à cette époque.

1 Archives municipales de Cambrai, inventaire.

2 Cambrai, M.A.C., S.C.P., fonds Fortier, II.C.13.

3 Archives municipales de Cambrai, 1 O 219.

4 Bibliothèque de la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, Fonds Béton Armé Hennebique, Objet BAH-17-1920-65668. Ferme de Rembourlieux, Le Cateau-Cambrésis (Nord) : écurie. 1920 5 Id, BAH-17-1920-65463. Grand séminaire Saint-Michel, Cambrai (Nord). 1920

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Ill.102 - Tombe de Fortier au cimetière de la Porte Notre-Dame, photo personnelle.

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2. Décès et postérité de Laurent Fortier.

Laurent Fortier décède finalement à l’âge de 56 ans, le 21 juin 1923, lors d’une visite de chantier, où il chuta violemment. La mort de Laurent Fortier apparaît comme la fin d’une figure marquante et appréciée de la ville. Plusieurs éloges funèbres sont récitées par des confrères architectes ou par des membres de la Société d’Émulation de Cambrai. Cellesci soulignent le caractère admirable de son œuvre, ainsi que l’honnêteté dont il a su faire preuve en tant qu’architecte.

Mr. H. Prudent, qui succéda à Fortier dans le rôle de président du Groupement des Architectes de l’Arrondissement de Cambrai, rend hommage à son œuvre et à sa personne :

« S’il est une considération qui puisse adoucir la douleur que nous cause sa perte, c’est la pensée qu’il n’est pas mort tout entier. Nous laisserons ici, tout à l’heure, sa dépouille terrestre ; mais lui survivront ses œuvres, faites de raison, de science, d’art aimable, précieux souvenirs sur lesquels nos yeux s’arrêteront chaque jour avec piété, et aussi la mémoire de sa droiture, de la sagesse, de la bonté, de la conscience professionnelle, marques insignes du caractère de celui qui fut notre cher ami et notre bon camarade, et qui restera à jamais notre guide respecté et à jamais regretté. »6

La dépouille de Laurent Fortier repose au cimetière de la Porte Notre-Dame à Cambrai. Son monument funéraire (ill. 102), tenant une place centrale dans le cimetière et témoignant ainsi de l’importance de l’architecte, revêt un style classique, comme Fortier en fit l’usage pour ses projets d’art funéraire.

Bien qu’il fut très connu de son vivant, Fortier tombe assez rapidement dans l’oubli, contrairement à Leprince-Ringuet, qui a davantage marqué les esprits de par son travail ancré dans contexte troublant qu’est celui de la première guerre mondiale. Ils ont pourtant tous deux énormément construit dans Cambrai, et chacun, selon sa vision du régionalisme et son époque, a su embellir le paysage de la ville.

6 M.A.C., S.C.P., Fonds Fortier, I.A.2. : Bulletin de la Société des Architectes Diplômés, 01/10/1923, Voire page 258-261 «Biographie Laurent Fortier».

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CONCLUSION GÉNÉRALE

En résumé, ce mémoire a principalement cherché à répondre aux deux questions suivantes : «Qui était Laurent Fortier ?» et «Est-il représentatif des architectes de la fin du XIXe et du début du XXe siècle ?». Une longue investigation au sein de différents centres d’archives a permis d’apporter de nombreux éléments biographiques répondant à la première question. La mise en relation de ces informations avec certaines lectures a contribué à répondre à la seconde. On a pu ainsi voir que Laurent Fortier, de par son parcours académique à l’École des Beaux-Arts de Paris, son rôle dans diverses fonctions et sociétés et son œuvre, mêlant à la fois éclectisme et régionalisme, styles en vogue à l’époque, paraît s’inscrire dans la norme des architectes de son temps. Au vu de l’histoire de l’architecture, il ne semble donc pas se démarquer des autres architectes, en comparaison avec les grandes figures de l’architecture du XIXe et du début du XXe siècle que l’on connaît bien, comme Hector Guimard (1867-1942) ou Auguste Perret (1874-1954). Cependant, lorsque l’on analyse la figure de Laurent Fortier au regard de l’histoire locale, celui-ci tient une place toute particulière. Il s’agit en effet d’un des rares architectes diplômés par le gouvernement à avoir exercé l’essentiel de sa carrière à Cambrai entre 1894 et 1923, période riche en évènements pour la ville, avec le démantèlement des remparts à la fin des années 1890 et la reconstruction du centre-ville après la Première Guerre mondiale. De plus, la réelle notoriété et l’implication de Fortier dans diverses sociétés renforcent son importance dans l’histoire locale. Son œuvre, ayant façonné le paysage actuel du Cambrésis, suscite toujours l’intérêt et la curiosité des visiteurs ou des historiens. Finalement, la notoriété de Fortier à l’échelle locale constitue un fabuleux témoignage de la figure de l’architecte dans une ville moyenne de province comme Cambrai, de la fin du XIXe siècle au lendemain de la Grande Guerre.

Cette réflexion semble en fin de compte répondre à une troisième question, implicitement posée : «En quoi est-il intéressant d’écrire et de lire un mémoire sur Laurent Fortier ?». Le présupposé de la question n’a pas semblé évident au début, puisque cet architecte, apparemment conventionnel et beaucoup moins connu que Pierre LeprinceRinguet, ne pouvait faire l’objet d’une problématique très spécifique. Cependant, de fil en aiguille, nous avons pu nous rendre compte de l’opportunité que ce sujet offrait : les archives municipales et départementales de la région du Nord étant souvent très lacunaires à cause des dégâts engendrés par les deux guerres mondiales, la mise à disposition d’un fonds d’architecte ayant exercé sa carrière antérieurement constitue une véritable chance pour l’histoire de l’architecture de cette période et dans cette région. Il ne faut donc pas considérer uniquement ce travail au premier degré, comme biographie de Laurent Fortier, mais aussi comme une mise en abyme de ce que représente une monographie d’un architecte comme Laurent Fortier. En effet, les nombreuses recherches dans divers centres d’archives et le croisement de toutes ces informations constituent un véritable récit d’investigation, dont on a voulu expliciter la teneur. A titre personnel, je dirais que cette sorte d’enquête sur un «parfait inconnu» m’a fait découvrir de nombreux aspects de l’histoire générale et de l’histoire de l’architecture, en parcourant une grande variété de centres d’archives. De plus, ce travail m’a donnée la possibilité d’étudier l’histoire de ma région d’origine, le Cambrésis, que je connaissais finalement assez peu et dont j’ai pu apprécier la richesse et la valeur patrimoniale.

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SOURCES ◊

ANGERS - ARCHIVES MUNICIPALES : ·· Documents iconographiques de format supérieur à 21 x 29,7 cm, 1657-2016.

-- 2 Fi 110 : «Ville d’Angers (Maine-et-Loire). Concours pour la construction d’un abattoir. 3e prix : M. Laurent-Fortier, architecte à Cambrai (Nord)». – Paris : Librairies - Imprimeries Réunies, 1904. – 1 impression sur papier : Données techniques : photogravure ; Dimensions : 28.1 x 37.9 cm

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CAMBRAI - ARCHIVES MUNICIPALES : ·· Sous-série 1 O : administration -- 1 O 219 : Maison bourgeoise du 17 boulevard Vauban en mars 1922.

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CAMBRAI - SERVICE DES COLLECTIONS PATRIMONIALES. ·· Fonds Fortier.

-- I.A.: --1 : DAILLIEZ (G.) et GARET (Fernand), Laurent Fortier, Eloge funèbre, livret biographique, Société d’Émulation de Cambrai, 1923.

--2 : PRUDENT (H.) et MAILLARD (J.-B.), «Biographie Laurent Fortier», Bulletin de la Société des Architectes Diplômés, Paris, octobre 1923.

--3 : Rapport présenté par Fortier au Groupement des Architectes de l’arrondissement de Cambrai, «Sapes et galeries souterraines», 29 avril 1923.

-- I.D. : --1 : Propriété de M. A. DEVILLERS, rue Saint-Georges prolongée, 1903.

-- I.E. : --4 : Propriété de M. Wiart, boulevard Faidherbe, étude façade.

--14 à 30 : Propriété de M. Duroyon, boulevard Faidherbe, plans, coupes et élévations.

-- I.F. : --2. : Propriété de M. Deron, étude de façade intérieure, 1894.

--4 à 9 : Propriété de Mlle. Vallez, façade et détails.

--10 à 16 : Propriété de M. Mairesse, façade et détails.

--24 à 26 : Propriété de M. Maroniez, façade et détails.

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-- II.A. : --1 à 3 : Planches de Fortier pour un projet d’Hôtel de Ville, extraites de la revue L’Architecture aux Salons, 1904.

--4 à 23 : Croquis d’étude et proposition de Fortier pour le concours de la Reconstruction de Cambrai (1918)

-- II.B. : -- 8. : Façade de Maillard-Stievenard, 1895.

--44 : Façade de Mme Libouton.

--45 : Propriété de M. Germe, façade intérieure en chêne, 1895.

-- II.C. : --1 à 13 : Propriété de L. Fortier, rue d’Alger, 1923.

-- III.C. : -- 1 à 26 : Propriété de Laurent Fortier sur la place de la Porte Notre-Dame.

-- IV.A. : -- 1-2 : Monument à Emile Macarez.

--3 à 6 : Monument funéraire à la famille Delcroix.

--7 à 11 : Monument funéraire à la famille Deloge

-- IV.B. : --1 à 7 : Monuments religieux non identifié : couvent du bon pasteur ? Séminaire St-Druon ? Ecole Supérieure de Théologie ?

--8 à 10 : Eglise non identifiée.

--11 à 26 : église Saint-Joseph.

--27 à 36 : église Saint-Louis.

-- V.A. : --50 à 53 : cirque Ducos.

-- VI.A. : --2 : Caisse d’épargne d’Avesnes ?

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·· Fonds Delcroix.

--Photographies présentes dans les classeurs mis à disposition.

·· Fonds Faille.

--Photographies présentes dans les classeurs mis à disposition.

·· Ouvrages à valeur de source.

-- Annuaires Ravet-Anceau, Ville de Cambrai, 1894-1914 et 1921-1923.

-- Société d’Emulation de Cambrai, Mémoires, tome 56, Cambrai, 1901.

-- Société d’Emulation de Cambrai, Mémoires, tome 57, Cambrai, 1902 -- Société d’Emulation de Cambrai, Mémoires, tome 59, Cambrai, 1904.

-- Société d’Emulation de Cambrai, Mémoires, tome 65, Cambrai, 1910.

-- Société d’Emulation de Cambrai, Mémoires, tome 71, Cambrai, 1923.

-- LEPRINCE RINGUET (Pierre), Travaux d’architecture, Edition d’Architecture, D’Industrie et D’Economie Rurale, Strasbourg, 1934.

-- Librairie Oscar Masson, Après la guerre, la reconstruction de Cambrai – Projets, Cambrai, 1919.

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LILLE - ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU NORD. ·· Sous-série 4/N : Edifices départementaux - organisation et affaires générales.

-- 4/N//13 : Dossier sur les architectes du département (conditions d’admission et de démission de Fortier au poste d’architecte départemental).

-- 4/N//214 : Sous-préfecture de Dunkerque (concours, plans, déroulement du chantier...) ·· Sous-série 9/R/.

-- 9/R/1158 : archives du Comité des réfugiés du département du Nord.

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LILLE - BIBLIOTHEQUE MUNICIPALE. ·· Fonds périodiques.

-- P-74 : L’Architecture et la Construction dans le Nord, 1890-1914.

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PARIS - ARCHIVES NATIONALES. ·· Sous-série AJ/52.

-- Documents numérisés sur le site de l’I.N.H.A. concernant l’admission de Fortier aux BeauxArts et les mentions qu’il y a obtenu.

121

·· Ouvrages à valeur de source.

-- AGACHE (Alfred-Donat), AUBURTIN (Jean-Marcel) et REDONT (Edouard), Comment reconstruire nos cités détruites. Notions d’urbanisme s’appliquant aux villes, bourgs et villages, Paris, A. Colin, 1915.

-- Fermes et habitations rurales, projets primés au concours ouvert entre les architectes français, Librairie générale des arts et des arts décoratifs, C. Massin, Paris, 1918.

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PARIS - BANQUE DE FRANCE. ·· Dossier Cambrai. ·· Dossier Le Cateau. ·· Dossier Caudry. ·· Dossier Solesmes

◊ PARIS - BIBLIOTHEQUE DE LA CITE DE L’ARCHITECTURE ET DU PATRIMOINE. ·· Revues numérisées.

-- La Construction Moderne, n°45, 1903.

-- L’Architecture, n°54, 1903.

-- Le Béton armé, n° 75, août 1904 (rubrique «Travaux du mois») : n° d’affaire 23352. Poutres de fondations sur puits, à la gare de Cambrai. Propriétaire, la Compagnie du Chemin de fer du Cambrésis. Ingénieur, M. L. Fortier. Concess., la Société de Fondations. ·· Fonds Béton armé Hennebique.

-- BAH-17-1904-54491. Gare ferroviaire, Cambrai (Nord) : bâtiment voyageur. 1904.

-- BAH-17-1920-65668. Ferme de Rembourlieux, Le Cateau-Cambrésis (Nord) : écurie. 1920.

-- Objet BAH-17-1920-65463. Grand séminaire Saint-Michel, Cambrai (Nord). 1920.

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PARIS - BIBLIOTHEQUE NATIONALE DE FRANCE. -- Bulletins des réfugiés du département du Nord : paraissant deux fois par semaine (…), 19151921.

-- Journal Officiel de la République Française, 14 septembre 1919, p10056 -- Journal officiel de la République française, no 107, 18 avril 1919, p. 4050

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PARIS - INSTITUT NATIONAL D’HISTOIRE DE L’ART. ·· Ouvrages numérisés.

-- DE PENARUM (David), ROUX et DELAIRE, Les architectes élèves de l’Ecole des Beaux-Arts, Paris, Librairie de la construction moderne, 1907, p39.

-- Concours Rougevin et Godeboeuf, Ouvrage publié sous la direction de M.V.Boucaut, Paris, Auguste Vincent, 1910.

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VALENCIENNES - BIBLIOTHÈQUE MUNICIPALE. ·· Patrimoine numérique.

-- E-F19FOR0001 : Laurent Fortier, Sport Nautique Valenciennois : Menu, estampe, 1892.

-- PEF 1889-03-19, L’Echo de la Frontière, n°11018 du 19 mars 1889.

-- PEF 1893-01-07, L’Echo de la Frontière, n°11660, le 7 janvier 1893.

-- PCDN, Le Courrier du Nord, 14 mars 1890.

-- PCDN, Le courrier du Nord, le 1er décembre 1892.

-- PCDN, Le Courrier du Nord, le 2 mars 1893. ·· Fonds Poinsignon.

-- Dossier Fortier : 17 Fi 2008.

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BIBLIOGRAPHIE ◊

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-- DEMOUVEAUX (Jean-Pierre) et LEBRETON (Jean-Pierre), La naissance du droit de l’urbanisme 1919-1935. Les grands textes du droit de l’urbanisme, Direction des Journaux Officiels (DJO), Paris, 2007.

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-- VIGATO (Jean-Claude), L’architecture régionaliste, France, 1890-1950, Paris, 1994.

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-- DOLLE (Catherine), « L’enseignement du dessin sous la Troisième République : introduction du dessin industriel à Valenciennes », Livraisons d’histoire de l’architecture, n°2, 2001, p. 117-130 - disponible en ligne : http://www.persee.fr/ doc/lha_1627-4970_2001_num_2_1_887 ·· Sites internet.

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-- MEREAU (Mathilde), Entre Régionalisme et Art Déco, l’architecture de Pierre Leprince-Ringuet (1874-1954), architecte, décorateur et urbaniste, mémoire de master sous la direction de M. le professeur Barthélémy Jobert et M. Simon Texier, université Paris-Sorbonne, septembre 2008, 2 tomes.

-- DUFOURMANTELLE (Maurice) cité dans RISLER (Georges), « De la reconstruction des Cités détruites », rapport de séance du 17 novembre 1915, Société française des habitations à bon marché, la question de la Reconstruction dans des villes et villages détruits par la guerre (…), Paris, 1916, p23-24. ·· Articles.

-- ALBARET-GILSON (Françoise), « Cambrai à l’épreuve de la Grande Guerre », Jadis en Cambrésis, n°100, Septembre 2009, p. 5 à 23.

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-- CROSNIER LECONTE (Marie-Laure), «Biographie Laurent Fortier», base de donnée AGHORA, INHA, saisie le 21/12/2005 et modifiée le 26/01/2016.

-- LEBLON (André), «Les architectes cambrésiens du XIXe» in Mémoires de la Société d’Emulation de Cambrai, tome 105, Cambrai, 1965.

-- LEVEUGLE (Maurice), «Le démantèlement des remparts» in Mémoire de Cambrai, Société d’Emulation de Cambrai, Cambrai, 2004.

-- WALLART (Claudine), conservateur en chef du patrimoine aux Archives Départementales du Nord, article « la reconstruction de Cambrai », dans Chemin de Mémoire, http://www.cheminsdememoire-nordpasdecalais.fr/lhistoire/lareconstruction/la-reconstruction-de-cambrai.html ·· Sites internet.

-- Site de la paroisse de Cambrai, consulté le 30/12/2018. http://www. paroissesdecambrai.com/ -- «Cambrai en cartes postales anciennes», site créé par Daniel Carré, version 2014, consulté le 29/12/2018. site : a-cambrai.fr -- «Blog de Chris Trelon», sur l’histoire de l’Avesnois, créé par Chris Trelon, créé en 2010, consulté le 20/12/2018. Site : http://chris59132.canalblog.com/ -- Site de l’A.S.P.E.C. (Association pour la Sauvegarde du Patrimoine et de l’Environnement dans le Cambrésis, nombreux articles et images de l’histoire locale, consulté le 17/10/2018. https://www.aspecambrai.org/ -- Site de la ville de cambrai, comportant de nombreux articles sur le patrimoine de la ville, consulté le 10/10/2018. http://www.villedecambrai.com/

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