Soulèvements d'Alter Ego - 1-54 Marrakech 2020

FEMMES PARCOURS

WOMEN COURSES

Amina Benbouchta Deborah Benzaquen Soumiya Jalal Seloua Ejjennane

Organisation / Organization Galerie Dar El Bacha Dar Moulay-Ali, Maison de la France l‘Institut Français de Marrakech Partenaires / Partners Le Consulat Général de France à Marrakech, 1-54 Contemporary African Art Fair Date Vernissage / Inauguration date 21 février (18h-22h) lors du programme VIP de la 1-54 Contemporary African Art Fair February 21 (6 pm. to 10 pm) during the VIP program of 1-54 Contemporary African Art Fair Date d‘ouverture / Opening date 22 février au 30 mars 2020 February 22 to March 30, 2020 Lieu / Location Dar Moulay-Ali, Maison de la France, 1 rue Ibn Khaldoum, à côté de la Koutoubia, Marrakech Commissaire / Curator Elisa Ganivet Directeur artistique / Artistic director Amine El Gotaibi Artistes / artists Amina Benbouchta Deborah Benzaquen Soumiya Jalal Seloua Ejjennane Graphisme / Graphic Design Rachid Benyaagoub

SOULÈVEMENTS

D’ALTER

EGO

Au cœur de Marrakech, à l’orée des jardins de la Koutoubia se cache une mystérieuse personnalité. Dar Moulay Ali retient une vive mémoire de la période Alaouite. Ce fut au XIXème siècle le palais du prince Moulay Ali puis il devint le témoin historique des relations entre le Maroc et la France comme maison des Généraux et désormais comme résidence du Consul général. La Galerie Dar el Bacha et l’Institut français poursuivent aujourd’hui le dialogue avec cette exposition collective pluridisciplinaire.

Soulèvements d’Alter Ego s’inscrit dans le désir de mettre à l’honneur la pluralité des artistes femmes marocaines simultanément qu’au refus de toute stigmatisation. Le rôle visuel participe à une collectivisation de la pensée autour de la figure féminine comme réponse aux enjeux sociétaux. Sans s’être passé le mot, le rouge est ici en filigrane entre les artistes. La couleur circule entre toutes, entre leurs veines et leur propre architecture. La féerie baroque d’Amina Benbouchta ébranle les non-dits saccageurs. L’exploration intime de Deborah Benzaquen sonne l’entendement de l’amour éternel. Les tissages de Soumiya Jalal amène la transmission artisanale à une portée transcendantale. Les sculptures décalées de Seloua Ejjennane nous interpellent sur leur double-sens.

Leur corpus esthétique rappelle qu’un soulèvement suppose une force. C’est un geste physique instinctif ou réfléchis qui amène vers le haut pour un déplacement vers un ailleurs. Il peut être compris comme une revendication des consciences et cet ailleurs peut signifier l’inconnu. L’Alter Ego est cette voix qui vrombit et se dévoile. Il est ce double, comme entité individuelle et intégré à soi-même. L’être pensant est multiple car notre rapport à l’espace et au temps n’est nullement linéaire. On est, perçoit, ressent, se remémore en fonction d’états psychiques et contextuels particuliers. L’altérité est ce rapport à l’Autre, qui peut être nous-même.

L’altruisme est ce naturel généreux envers l’Autre qui tend à se dissoudre au profit d’un durcissement globalisé. Les artistes ici réunies savent approfondir l’expression artistique comme puissant garde-fou contrant cette tendance.

Elisa Ganivet

Amina BENBOUCHTA

Amina BENBOUCHTA Vit et travaille à Casablanca et Paris. www.aminabenbouchta.com Durant plusieurs années, Amina Benbouchta a développé un corpus d’œuvres qui trouve sa source dans l’exploration des limites de la peinture, transformant concepts et observations en image, sculpture et installation. La diversité des médiums qu’elle explore permet d’analyser pleinement la complexe structure sociale de la vie contemporaine.

Amina est née à Casablanca (Maroc) en 1963, vit et travaille entre Paris et Casablanca. Après l’obtention de son diplôme en Anthropologie et Études du Moyen-Orient à l’Université McGill, Montréal en 1986, elle suit les cours de divers ateliers de dessin, lithographie et gravure à Paris. Elle est également auditrice libre à l’’Ecole Nationale des Beaux-Arts de Paris de 1988 à 1990. Durant les années 1990, ses préoccupations artistico-culturelles l’ont amenée à diriger le magazine mode et culture. Les Alignés. En 2005, elle co-fonde le Collectif 212, organisation vouée à défendre l’émergence d’une nouvelle phase de l’art contemporain au Maroc.

Depuis 1986, son travail a été présenté au Maroc et à l’étranger dans de nombreuses institutions et manifestations d’art contemporain parmi lesquelles ; la Biennale du Caire, l’Institut français de Casablanca, Le National Museum of Women in the Arts – Washington D.C. USA, au Kerava Art Museum – Finlande, la Biennale Alexandrie, la Art Fair Bruxelles et Marrakech Art Fair, la

© Alex Bego

Docks Art Fair Lyon et dans le programme off de la Biennale de Lyon. Elle a exposé ses photographies à Paris, Amsterdam, Dubaï et Tokyo. Elle prend part à l’exposition inaugurale du Centre d’art contemporain de Viennes et à l’exposition inaugurale du Musée Mohamed VI d’Art Moderne et Contemporain de Rabat. Son travail est montré en solo show à Artissima Art Fair à Turin, elle participe à la East Wing Biennial de Londres ainsi qu’à l’exposition Waste Lands au Musée d’art Moderne & Contemporain de Palma - Espagne. Plus récemment, Interstices à l’Institut français de Rabat, Figures/le syndrome de SAUL (suis-je chasseur ou chassé ?) à la Villa Balthazar – Valence, Tribe: Contemporary Photography from the Arab World au Katzen Arts Center at the American University Museum in Washington-D.C, Les Marocaines : Du regard de l’autre au regard de soi…, Maison de la Photographie de Lille…

Amina BENBOUCHTA

LE BANQUET

Lors du Banquet de Platon et comme tout autre datant de la Grèce Antique, seules les courtisanes, danseuses et musiciennes étaient acceptées : parfaites distractions qui ne dérangeaient pas aux débats de fond. Si le dilemme d’une lecture contemporaine d’œuvres majeures reste la mise en contexte originelle, l’allégorie du Banquet d’Amina Benbouchta facilite de multiples rebonds discursifs.

Ironiquement, sans doute, l’installation est proposée dans la salle des noces de Dar Moulay Ali. C’est dans un suave enveloppement baroque à dominante rouge-noir-blanc que le mystère s’impose

en alvéole. Une main est tendue au visiteur à s’immiscer dans un récit qui pourrait débuter autour de l’élément central : la longue table à la nappe peinte et brodée. Ici, on imagine des invité(e)s précipitamment parti(e)s à l’annonce de quelque drame.

Dans l’agitation, les chaises et verres ont été renversés. Le témoin d’une scène qui n’est plus, est attiré encore et toujours à venir déchiffrer l’œuvre. Autour de lui des murs rouges, des compositions aériennes, des portraits en médaillon et un surplombant Mother. Le puzzle peut enfin être recomposé.

C’est à force d’observations que l’on comprend le monde. Benbouchta le sait pertinemment par les pistes ici laissées. Ce monde est celui de l’univers féminin, de leur en-soi, de leur douleur séquentielle et sanglante. L’hommage au Dinner Party réalisée entre 1974 et 1979 de la précurseuse féministe Judy Chicago est voulu. Ce banquet triangulaire retraçait le récit de trente-neuf femmes épiques. Chaque assiette et broderie était une variation esthétique autour de leur histoire et appareil génital comme met de prédilection, par là-même objectifié.

Chez Benbouchta la fête n’est plus et la noce est avortée. Nous autres animaux reproducteurs sommes pétris d’une culture, voire d’une religion, conditionnant nos faits et gestes au sein d’une société déterminée. La prise en considération d’une liberté individuelle peut signifier tiraillement interne et aboutir à des revendications, forcément politiques car remettant en cause tout un système. L’interruption de grossesse est en cela symptomatique car elle induit la femme à disposer viscéralement de son propre corps.

Ici, l’artiste manie des structures vaporeuses a priori anodines, pour insuffler au visiteur désarçonné par tant d’élégance, une dialectique engagée. Mieux faire entendre sa voix par une séduction des formes ? Les cages, les poupées, l’araignée de Louise Bourgeois ne sont pas loin.

Néanmoins dès ses débuts, Benbouchta a su s’en détacher pour construire une œuvre où l’intime féerique se lie aux paradoxes sociétaux, à ses empêchements corsetés. Le collectif 490 déclencheur du manifeste «Nous, citoyennes et citoyens marocains, déclarons que nous sommes hors la loi» enracine sa démarche. Il faut force

de bravoure et de générosité pour afficher ainsi sa posture. Avec son portrait en médaillon, Benbouchta en tant qu’artiste, femme, mère, citoyenne, personne publique, témoigne ellemême de son propre avortement. Son appel est à la bienveillance entre toutes et tous. Si De Beauvoir nous interpelle par son « On ne naît pas femme, on le devient », c’est que oui, on le devient, à force d’épreuves. Comme tout être humain. Seulement en ligne de front on discerne comment l’étiquette d’une vulnérabilité de la femme est entretenue.

Paula Rego dans ses peintures et pastels sur l’interruption de grossesse éliminait sciemment toute référence au rouge sang. Ici il est prédominant suggérant habilement l’ampleur des souffrances physiques et psychologiques liées à l’acte. Tel l’aspect végétal des broderies de la nappe qui se réfèrent aux plantes et racines abortives. A l’instar de Laia Abril dans son projet On abortion, Amina Benbouchta a minutieusement recherché comment cette solution ancestrale était utilisée au Maroc et sur le continent africain. Souvent ritualisée par les guérisseuses, la pharmacopée est prise en décoction ou de façon invasive. Cette réalité cachée est le quotidien de milliers de femmes, comme peuvent l’être l’emploi de liquide chimique ou caustique (alcool, javel etc.) ou l’intrusion d’objets contendants (aiguille à tricoter, cintre, baleine de parapluie etc.) dans l’utérus…

Made in Utero. La femme comme Origine du monde est physiologiquement corrélatif à l’homme. La toile du même nom de Courbet, peinte en 1866 fut l’exclusivité d’un public averti pendant des décennies. En histoire de l’art occidental, peu

s’aventurent à rendre explicite le sexe féminin. Les performeuses, icônes du Body art : Valie Export, Caroline Schneeman, Esther Ferrer ou récemment Roberta de Robertis s’y appliquent pour en interroger ses effets et défis au sein du patriarcat. En 1966, l’entrée par le vagin dans la sculpture monumentale Hon/Elle de Niki de Saint-Phalle incitait à un antre labyrinthique de loisirs, avec bar inclus. Moins frontal mais tout aussi décisif, le néon rouge Mother plane au-dessus de la table. Une épée de Damoclès?

Non, une réalité complexe mais fantastique. Et vice et versa.

Par cette subtile installation aux confins baroques, jouant entre surface et profondeur, poids et apesanteur, unité et multiplicité, courbe et contrecourbe, forme fermée et ouverte… Benbouchta nous apostrophe. Elle nous interroge sur la relation spatio-temporelle que nous entretenons avec ces violences tangibles et immatérielles en constance procréation.

Deborah BENZAQUEN

Deborah BENZAQUEN Vit et travaille à Casablanca www.deborahbenzaquen.com

La photographie est le médium de prédilection de Deborah Benzaquen. Elle y explore à la dérobé ou en intimité des portraits de personnages coups de cœur. Ses attaches au théâtre et au cinéma se retrouvent également dans ses judicieuses mises en perspective.

Deborah est née à Casablanca (Maroc) en 1973 et a vécu une grande partie de sa jeunesse à Paris. Entre 1997 à 2003, elle se forme à l’école de théâtre l’Herbert Berghof Studio de New York, arpente les rues avec son appareil argentique et développe en chambre noire. En 2002 elle présente sa série de grands formats en noir et blanc Casablanca Stories à la Bombora Gallery de Chelsea. Dès lors, elle signe des séries de photographies au fort impact : La Désenchantée ; Sweet Surrender ; Dancers in the Dark; Berberliner; Super Héros; Les inséparables… où la magie et une touche mélancolique radicalement opèrent.

Ses œuvres photographiques sont exposées à Marrakech, Casablanca, Rabat, Paris, Bruxelles, Madrid et au Japon.

Deborah BENZAQUEN

LA DÉSENCHANTÉE

Deborah Benzaquen a trouvé dans la photographie son medium. Celui qui capte, donc canalise ses émotions et impressions sur le monde. Ce monde, celui qui l’entoure et la bouleverse. L’artiste nous parle d’amour au pluriel. Et cela n’est en rien un cliché. Son spectre des sentiments s’oriente vers un amour inconditionnel, celui de la Storgé : la relation privilégiée entre la mère et l’enfant, de la Philia comme lien altruiste envers ses proches et bien sûr de l’Eros dans un attachement absolument romantique.

L’artiste s’emploie à un photo-langage où la poésie est vectrice de toute chose.

Ces choses qui justement sont les pierres angulaires de sa série La désenchantée.

Pourquoi ? Car par analogie, un objet prédéterminé : fleur, robe, poupée, baignoire, se convertit en une chose c’est-à-dire en un existant indéterminé dont la fonction est de durer. C’est bien la raison pour laquelle cette série photographique émeut toujours autant.

Elle touche les points sensibles, les émotions communes aux êtres humains.

En tant qu’être doué d’expériences, nous ne sommes déjà plus ce que nous étions cinq minutes auparavant. L’œil photographique, par la perception sensitive d’un objet compris dans sa forme, grandeur et espace, fige son instantanéité dans un cadre. L’acte sensoriel, invisible mais présent, sera ensuite figé et appréhendé suivant de nouveaux paramètres de perception.

Ainsi donc les grands formats adoptent une ampleur langagière. Ce sont des natures mortes, au sens classique du terme qui suggèrent plus qu’elles ne disent. L’image d’un objet récurrent est déclinée, il devient chose existentielle et sujet de contemplation. Amplifier une réalité subjective amène à son appropriation. On se fond dans l’agrément de chaque grain photographique, de poussière, de terre. Une goutte d’eau figée agite paradoxalement une démesure symbolique. De faux pétales de rose attisent soudainement la convoitise d’être là physiquement avec elles. Elles sont personnifiées, nous parlent et nous entourent d’ailleurs dans cette exposition.

Dans la peinture Les Trois Âges de la femme de 1905 du symboliste Gustav Klimt, trois femmes synthétisent le passage du temps: le bébé tenu par la mère resplendissante et à l’écart la grandmère en souffrance. Désormais La Désenchantée est une histoire transgénérationnelle, celle d’un hommage, d’un amour incommensurable, d’un passage fluide et logique entre toutes ces femmes.

Deborah Benzaquen les réunit paisiblement grâce à l’intervention en musique de son frère des poèmes de sa grand-mère Marie de Tschudi sur sa propre mère et le portrait en absence de sa mère.

Cette impériosité naît peut-être d’un inconscient épigénétique. Lorsque notre ADN, l’information génétique transmise par nos parents se conçoit

également comme transcription de ce qu’ont vécu nos aïeux (depuis l’alimentation jusqu’aux traumatismes). L’approche esthétique de son intime familial se réverbère en notre propre histoire, en notre sein. Par le biais de ce partage, l’artiste nous témoigne de son esprit de camaraderie, dignitaire de la Philia.

La Désenchantée confie une vision romantique du monde. C’est même sa quintessence en ce sens de l’aspiration vers l’absent, la valorisation du Soi, la dualité innée et l’intensité affective. Précisons les particularités de son champ d’action. Peu après le décès de sa mère, la photographe investit un ancien abattoir et s’exorcise du drame accouru. La mort en

étau. Celle des animaux qui ont nourri des générations d’enfants en parallèle à celle de sa mère. Le vertige du vide est comblé par l’appropriation d’une image puissante. La perspective du lieu, les allées aux poutres rouillées, le béton gris lissé, le carrelage froid des cuves sont autant d’éléments architecturaux qui contrastent avec la sélection des objets choisis. Allégorie du manque. La transposition faite à la robe est troublante. Confectionnée pour l’artiste par sa mère, la robe roserouge est d’aspect fragile, en dentelle transparente, jalonnée de fleurs en ornement. Elle est accrochée telle une carcasse suspendue. Un temps suspendu. On dépèce les peaux, pas l’âme ni ce qui reste dans le cœur.

Car au fond, il ne reste plus que les souvenirs.

Et l’amour ? Oui, toujours. Surtout les Eros éternels, perpétuellement jeunes et flamboyants qui se meuvent dans l’eau. Une eau narcissique nécessaire à leur salut.

Soumiya JALAL

Soumiya JALAL Vit et travaille Marrakech

Soumiya Jalal est architecte et s’est également formée à la technique du tissage à l’École des Métiers d’Art en Construction Textile de Montréal, Canada. De retour au Maroc en 1985, Soumiya exerce sa double expertise dans des projets d’urbanisme, d’architecture, de design, de création textile, d’art textile au Maroc et à l’étranger (Rothschild, Balenciaga, la Banque Mondiale, l’Institut du monde Arabe, le Musée d’Art textile de Barcelone…).

Elle mise sur la sauvegarde du savoir-faire traditionnel marocain tout en mettant en place des dispositifs facilitant son essor créatif contemporain.

Soumiya JALAL Fil rouge de la réparation La trame de fond est un fil rouge. Celui qui conduit vers la résilience, la réparation d’une indignité. A la différence de celui d’Ariane, il n’y a ici de retour envisageable car on tend vers une élévation de l’âme.

Elévation métaphorique aussi par l’exposition toute en suspension des pièces tissées. Le cheminement est l’expérience la plus ardue donc la plus formatrice. Le tissage, par ses gestes minutieux provoquent une confirmation de sa propre existence sur terre. Il fait le lien entre la matière organique terrestre et la fraction célestielle. A force de patience, la méditation agit, l’en-soi se fédère tout en élaborant une œuvre commune. Par leurs mains expertes sur la texture, les femmes tisserands conçoivent tout autant qu’elle se conçoivent librement, s’affranchissent. Paradoxe d’une trame géométrique qui facilite l’éclosion libératoire où l’ataraxie, absence de trouble, est d’or.

On extirpe pour délier. Soumiya Jalal nous l’annonce : « C’est donc un hommage que je souhaiterais rendre à toutes ces femmes qui passent leur temps à réparer par le fil les moments d’infortune, à parer leur fille du trousseau qui va garantir la réussite de leurs noces, à combler, à masquer, à maquiller les déchirures de la vie. » Ce qui a été abîmé, dépossédé est réparé grâce au tissage comme transposition littérale. C’est la Fasma qui panse les blessures.

Le credo de Soumiya est d’atteindre le sublime par la technicité artisanale et elle y parvient. Elle sait allier tradition, sauvegarde du patrimoine et réflexions philosophiques. La transmission du savoirfaire est un pouvoir conséquent. On part de rien : le Fil, pour créer une matière universelle toujours renouvelée. D’apparence anodin, le fil peut tout, il peut avec le Tout. Si bien de par sa nature protéiforme : résistant, fin, souple, rêche, soyeux etc. que par son

rapport intemporel et spatial. Cette chaise rouge assoie une poétique de l’espace à la Bachelard où la rêverie dépasse l’aliénation du geste répétitif sur le fil. Architecte de formation, Soumiya Jalal appréhende ses pièces tissées dans un lieu spécifique. Sa cohésion se profile par la résistance féminine et par un immense respect pour l’ouvrage qu’elle tisse elle-même et accompagnée.

La salle Mémoire de Dar Moulay Ali entretient cette prise en compte.

En effet, les empreintes sont vivantes d’humidité, brossées mais sciemment conservées pour l’occasion. Les murs demeurent malgré les cloques et les couacs et cette usure les magnifient.

De son passage de Casablanca à Marrakech, Soumiya s’est appropriée la couleur rouge des routes sinueuses de la médina et des murailles crénelées qui encerclent le grouillement de la vie.

Ainsi les dimensions de l’installation en imposent avec légèreté. Le lin s’unit au feutre, le rouge est l’allié du blanc. Ils dialoguent et s’exaltent mutuellement.

Parfois, l’aplat de couleur déborde comme par magie, ou à l’inverse il se fait discret. De la même façon, le duo chromatique se déploie en modalités grillagée, de transparence, d’opacité, de densité.

Le travail sur la matière convie à une sensation visuelle et les pixels photographiques accentuent ce champ de vision. Les panneaux tissés telles de vives racines craquelées, peuvent se lire depuis le sol jusqu’au plafond. Les compositions, quant à

elles, insistent sur la variation du rond rouge. Car le cercle est le fondement géométrique de l’identité architecturale marocaine. Coupole, arc en pleincintre, arc outrepassé… Faire du carré un cercle.

Là où la vision abstraite, iconoclaste, ne procure qu’allégresse et réconfort.

Aux mots de l’artiste : « Tout ceci pour traduire en texture l’inquiétude, la lenteur, la langueur, la fragilité, l’ennui.... et le passage vers l’apaisement, l’espoir et la joie, étape charnière où le savoir-faire devient expression plastique pure. »

Seloua EJJENNANE

Seloua EJJENNANE Vit et travaille à Rabat.

Le travail de Seloua Ejjennane consiste en une composition de figurines effectuée à partir de recyclages. On y découvre un univers fantasque et décalé, habité par des personnages divers. Ces œuvres sont réalisées à partir de matériaux en verre qui intègrent fossiles, céramique, bouchons, débris d’assiettes et « nous renvoient à la fragilité de l’existence », selon les mots de l’artiste.

Les personnages présentent un double visage rappelant tout à la fois l’unicité et la complexité des visages humains, ce qui a donné le nom de Vice et verre ça à l’une de ses expositions. Le détournement des objets, avec liberté et humour, est caractéristique de ses créations : vases art déco, masques et plumes ont été chinés à travers ses voyages en Europe, en Amérique du Sud, en Chine et au Maroc, dans les placards de sa propre famille ou au sein de brocantes. Les noms donnés aux figurines : El Haz, El Haza, El Bergag rappellent l’ancrage marocain de l’artiste. Pour cette artiste autodidacte, tout a commencé par un jeu consistant à imaginer les personnages, les objets et la nature sous un angle de vue inattendu. Après un bac scientifique, des études en économétrie et en coaching, elle s’est lancée dans la création.

Après le dessin, la décoration d’intérieur et la danse, c’est à la réalisation de personnages inspirés par sa vie qu’elle consacre la plupart de son temps.

Seloua EJJENNANE Le vrai c’est l’autre

L’artiste naïf « n’imite personne et c’est ce qui constitue le fait naïf ». 1 Chez Seloua Ejjennane, tout part d’une découverte personnelle et de fou-rires à soi-même. Quelle fraîcheur que ce non-conformisme ! Ce jardin d’objets curieux est un pied de nez aux sujets en rigueur dans l’art contemporain. Ceux qui sont à la mode aujourd’hui mais qui ne tiendront pas le coup demain. Ses figurines ludiques se suffisent à elles-mêmes, nous suggérant de ne pas prendre nous prendre au sérieux.

Les sculptures naissent dans l’imaginaire et l’expérimentation de l’artiste autodidacte.

Grande chineuse depuis toujours, Seloua trouve les éléments partout où elle flaire. La composition se fait à partir d’une accumulation, soit d’une répétition subtile de formes et de contenus. Pensons au facteur Cheval qui pendant trois décennies construisit son Palais, véritable chef d’œuvre d’architecture naïve grâce à son extraordinaire obsession à ramasser des pierres et cailloux.

1- Anatole Kakowsky, Les peintres naïfs, Bâle, 1967

Comment était-ce déjà cette Fable du cher De La Fontaine ? « Le Pot de fer proposa Au Pot de terre un voyage.

Celui-ci s’en excusa, Disant qu’il ferait que sage De garder le coin du feu ; Car il lui fallait si peu, Si peu, que la moindre chose De son débris serait cause.

Il n’en reviendrait morceau. » Ici la récupération est multiple. Comble d’un art écolo se dira-t-on. Sont énoncées des périodes de verre, de ferronnerie, de porcelaine chinoise… A chaque matériau son engouement.

Dans la formulation de ses histoires, l’artiste peut délibérément laisser aux intempéries ses sculptures à l’air libre, comme rappel d’une vie sujette aux accidents de parcours et à la vieillesse.

Ses collages tridimensionnels se lisent en un concept innovant de recto-verso. Les deux faces sont visibles et peuvent signifier leur contraire.

L’artiste suggère comment l’Etre est multiple.

Cela peut-être le fameux Je est un autre de Rimbaud. Etre Soi-même comme Etre conscient identifié tout en ayant conscience de sa propre altérité, en la laissant s’exprimer. Mais le titre de l’ensemble sculptural se réfère spécifiquement

à l’Aleph de Borges : Le vrai, c’est l’autre. Quand le relativisme existentiel se répercute dans l’audelà : « ils imaginèrent que tout homme est deux hommes et que le véritable est l’autre, celui qui est au ciel. Ils imaginèrent aussi que nos actes projettent un reflet inversé, de sorte que si nous veillons, l’autre dort, si nous forniquons, l’autre est chaste, si nous accaparons, l’autre est prodigue.

Après notre mort, nous nous unirons à lui et serons lui. » Voici un beau programme et laissez vivre en perspective.

www.47galeriedarelbacha.com

Galerie Dar el Bacha

Dar Moulay-Ali, Maison de la France, 1 rue Ibn Khaldoum, à côté de la Koutoubia, Marrakech