"Bienvenue dans la société de longue vie", de Jean-Pierre Fragnière

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Jean-Pierre Fragnière

Bienvenue dans la société de longue vie


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Du même auteur (ouvrages récents) (2002) Dictionnaire suisse de politique sociale, (avec Roger Girod), (Éds), Réalités Sociales, Lausanne (2003) L'avenir, (avec Stefano Cavalli), (Éds), Réalités Sociales, Lausanne (2004) Politiques sociales pour le XXIe siècle, Réalités Sociales, Lausanne (2005) Entre science et action. La démographie au service de la cité, (avec Maurice Nanchen), (Éds), Réalités sociales, Lausanne (2008) La boîte à outils, un guide pour le temps des études, Université de Neuchâtel (2010) Les solidarités entre les générations, Réalités Sociales, Lausanne (2011) Les retraites. Des projets de vie, Réalités Sociales, Lausanne (2012) Dictionnaire des âges et des générations, Réalités Sociales, Lausanne (2013) Retraites actives et solidaires en Valais, (Avec JeanPierre Salamin), Éditions À la carte, Sierre (2013) Une politique des âges et des générations, Éditions À la carte, Sierre (2015) Pratiques des solidarités, Éditions À la carte, Sierre

Adresse: info@jpfragniere.ch - www.jpfragniere.ch

Couverture : peinture de Jean-Pierre Fragnière Rodel

© ÉDITIONS À LA CARTE! - 3960 Sierre (CH) ww.edcarte.ch No 1683 - juin 2016 - ISBN!: 978-2-88924-267-2 Tous droits réservés 
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Jean-Pierre Fragnière

Bienvenue dans la société de longue vie

Collection : Enjeux de société Éditions À la Carte

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Remerciements Je tiens à exprimer ma reconnaissance à tous les retraités et groupements de retraités avec lesquels j'ai eu des contacts étroits depuis plus de deux décennies. Ces échanges ont constitué l'une des sources majeures des réflexions que je propose dans cet ouvrage. Des circonstances particulières ont encadré la rédaction de ce livre. Elle s'est faite pendant trois mois d’un lourd traitement de radio-oncologie avec les hospitalisations associées à ce type de pratique médicale. Je me plais à exprimer ma reconnaissance à toutes les soignantes et les soignants de radio-oncologie, du CTO et de médecine générale (au CHUV, Centre hospitalier universitaire vaudois) qui ont soutenu mes activités quotidiennes. En outre, les réflexions que je propose ici doivent beaucoup aux échanges établis depuis plus de trois ans avec l'ODAS (Observatoire national de l'action sociale décentralisée, à Paris), en particulier Jean-Baptiste de Foucauld et Estelle Camus. Ainsi qu'aux débats stimulés par l'initiative porteuse d'avenir qui porte le beau nom : Pacte civique : inventer un futur désirable pour tous. Enfin, mes réflexions ont été enrichies par une collaboration avec AGAPSY (Fédération nationale des associations gestionnaires pour l’accompagnement des personnes handicapées psychiques. Nancy) et avec sa présidente Marie-Claude Barroche. Et encore un grand merci à Madeleine Rouiller Gilliand pour la relecture du manuscrit.

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Accueil (il, un garçon) va naître au début du mois de septembre, nous ferons quelques pas avec lui dans cette société de longue vie. Il sera amusant pour lui de découvrir un bel « héritage » et tout ce que nous n’avons pas su imaginer. 
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Sommaire 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13.

Liminaire Entrons dans la société de longue vie Qui sont tous ces vieux ? Quand les « battants » prennent leur retraite Un nouveau monde : les survivants La retraite et les retraités Que vont-ils faire de tout ce temps ? Des professionnels pour la société de longue vie ! Le choix de la solidarité La question des générations Pour une politique des âges et des générations Et il faudra bien mourir Façonner le temps qui vient

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Le magnolia vient de déposer ses derniers pétales. La fête a déjà commencé. Ils se rencontrent tous les mardis après-midi. L'humeur semble chaleureuse et nostalgique à la fois. Le distributeur de journaux qui passe dans la rue du Mont-Tendre a repéré cette vaste pièce, dont les parois sont tapissées de livres. Là, plusieurs personnes déambulent, un verre à la main. Ils ne font pas leur âge, ils parlent, ils risquent quelques éclats de rire. Ils sont engagés dans la société de longue vie. Dessinent-ils un projet ? Ils viennent de tous les horizons. Ils cherchent des liens dans leur riche parcours de vie. Et ils en trouvent. Plusieurs évoquent leur engagement actuel et leurs projets. Ils se permettent quelques soupirs : « c'est fou ce que je suis occupé ». Pas une plainte, plutôt un clin d'œil de satisfaction. Dans ces milieux, on 9


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peine à reconnaître et à applaudir les « moments heureux ». Un « souci » s'exprime sous des formes très diversifiées : « être toujours présent, actif et autonome » ; mais, surtout, ne pas « peser trop ». Et dans un autre petit soupir : « c'est pas facile, mais il le faut ! ». La voix affirmée d’un « jeune retraité » en rajoute : « si nous ne jouons pas la solidarité, nous risquons de nous faire éjecter ». L'heure des petits gâteaux est arrivée, et aussi celle de la petite arvine, un coup de cœur de Jacques Bonvin.

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Entrons dans la société de longue vie Invitons-nous à vivre et partager une belle histoire, une histoire de succès. Beaucoup en ont rêvé, longtemps. Aujourd'hui, elle se met en place sous nos yeux, nous en cueillons les premiers fruits, inattendus peutêtre, mais bien réels. La société de longue vie s’installe inexorablement, elle impose ses besoins, elle creuse les clivages entre les générations, elle produit une forte différenciation. Nous sommes placés en situation de l'accueillir, de lui donner forme, de la gérer, de choisir les axes forts de son développement. Le mouvement est intense, il n'y aura pas ou peu de place pour des solutions statiques, pour les immobilismes.


Dans la société de longue vie

La société de longue vie, c’est un monde ouvert. Il invite à l’accueil, mais aussi au tri et aux choix. Il appelle une forte capacité d’adaptation à un ailleurs, à des possibles. C’est un monde « populeux » et éclaté, pressé par l'effet du nombre et son cosmopolitisme. C’est un monde inventif, créateur et porteur de solutions aux questions qui l’habitent.

Au menu, une histoire de succès Nous sommes engagés dans une aventure qui dégage toute les saveurs de la réussite. Offrons-nous un regard positif sur les acquis de ces dernières décennies. Nos sociétés ont conquis des avantages majeurs. 1. L'espérance de vie a fait un bond de 15 ans en quelques décennies. Pour les trois quarts de nos contemporains, la vieillesse n'est plus synonyme de privations et de pauvreté, (malgré les intolérables lacunes qu'il est urgent de combler). 2. Le progrès est encore plus marqué chez les personnes handicapées ; certaines catégories d'entre elles ont même vu leur espérance de vie doubler et beaucoup ont eu accès à une formation. 3. Divers groupes de populations ont accédé à une plus grande autonomie. C'est en particulier le cas des femmes dont les droits propres se sont renforcés et qui disposent d'une sécurité sociale à titre personnel. 4. L'accès à la formation s'est considérablement élargi. La proportion de jeunes diplômés a connu une progression coûteuse, mais déterminante pour l'avenir du pays. 5. La protection contre les conséquences de l'accident et de la maladie s'est nettement améliorée.

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6. Les souffrances et les cassures engendrées pas un chômage lourd et durable ont été atténuées (trop peu, il est vrai) grâce à des prestations d'assurances. 7. Nous nous sommes engagés sur la voix du respect de l’environnement. Salubrité, hygiène, sécurité alimentaire, normes de prévention, etc. Il reste tant à faire, mais l’avenir, c’est demain. Et cette liste d'apports précieux et irremplaçables de l’action collective et de la sécurité sociale est loin d'être exhaustive. Ces avantages et ces prestations ont un coût, souvent ils permettent des économies substantielles en termes de dépenses, de souffrances, mais aussi d'étiolement des femmes et des hommes. Les quelques dérapages qui ont pu se produire sont peu de choses en comparaison des contributions à l'amélioration du bien-être social. On ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre. Il est des factures qu'il faut savoir payer avec reconnaissance, confiance et optimisme. Tant de souffrances ont ainsi pu être évitées ou réduites ! Tant de femmes et d'hommes ont pu connaître une vie digne, jusqu'au bout !

Ce sont les parcours de vie qui se transforment Nous baignons dans un climat étrange. Il y a belle lurette que nous l'avons perçu, au moins vaguement : l'allongement de l'espérance de vie et la perspective de vivre beaucoup plus longtemps ne sont pas qu'une affaire de retraités. C'est toute la distribution des activités dans les parcours de vie qui se trouve bousculée. Beaucoup se souviennent d’un passé pas encore effacé : une longue jeunesse studieuse, précaire, souvent chahutée de projets en essais, d'échecs en rebondisse13


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ments. Suivent quelques décennies de pression épuisante : double journée de travail et tyrannie de la performance à l'ombre de l'agent-qualité. Et, bientôt, cette longue approche de la carrière finissante, entre la crainte diffuse de l'incompétence et le désir d'anticiper la délivrance. Quand l'heure de la retraite a sonné, un espace béant et long, malgré des propos tricotés pour embellir les projets et les rêves. Nous avons senti naître une impression qui s'est muée en certitude : il faudra redistribuer les diverses activités sur le parcours de vie, réduire les périodes d'insupportable concentration du travail professionnel, libérer des temps pour les bilans intermédiaires et la mise à jour des connaissances, prévenir la brimade des couperets de ces fins de carrière qui s'apparentent à un vide effrayant. Alors que monte la plainte de ceux qui, fatigués ou usés, peinent à tenir la distance réglementaire. Cela se passe à l'aube du XXIe siècle, au cœur de l'Europe industrieuse et opulente. Situation nouvelle ; du jamais vu, ni expérimenté ! Dans un tel contexte, il n'est pas facile de s'appuyer sur des références, de remonter les labyrinthes de l'oubli. Pour beaucoup, les figures parentales, toutes respectables qu'elles soient, peinent à servir de modèle.

La tentation de l’imprévision et de l’oubli L’oubli accompagne nos carrières, accordant cette sorte d’absolution qui permet de rebondir ou au moins de continuer. Il est aussi conçu, planifié et contrôlé par les organisations plus ou moins totalitaires qui accèdent au pouvoir, mais aussi par les petites communautés

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