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Le témoignage de cette descente aux enfers, livré dans sa nue vérité, est d’abord publié pour aider ceux qui vivent la même réalité : la dépression. Il vient leur manifester que d’autres aussi vivent ou ont vécu cela… et que l’on peut s’en sortir. Dans cette sincérité qui caractérise sa démarche, l’auteur pointe également quelques éléments qui lui ont permis de refaire surface : - la vérité envers soi-même et l’objectivité ; - la volonté et la persévérance ; - la proximité d’êtres chers ; - l’aide compétente du corps médical ; - et aussi la foi en la Transcendance, qui demeure alors que tout semble s’écrouler. L’originalité de l’ouvrage vient aussi du statut de son auteur : prêtre. Au plus profond de la dépression, il a renoncé à son sacerdoce. Une fois guéri, il est redevenu prêtre.

Jean-Marc de Terwangne

ISBN 978-2-87356-413-1 Prix TTC : 7,95 €

9 782873 564131

A la première personne

Né à Ixelles en 1970, ordonné prêtre en 1999, c’est comme vicaire qu’il débute son ministère dans différentes paroisses du Brabant Wallon. En 2004, il quitte et s’oriente professionnellement dans le domaine de la distribution. C’est en 2007 qu’il renoue avec le ministère laissé de côté quelques années plus tôt. Actuellement coresponsable au sein d’une unité pastorale à Bruxelles, son intérêt le porte également vers l’animation spirituelle hors paroisse.

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Dans la même collection : Adela Diaz, Faim de vie, 2001. Edith de Voghel-Jacques, Sur la touche, 2002. Marie-Jeanne Notermans, Le monde vu d’en bas, 2005. Claire Faucon, Des yeux bleu amour, 2005.

© Editions Fidélité • 7, rue Blondeau • BE-5000 Namur ISBN : 978-2-87356-413-1 Dépôt légal : D/2008/4323/22 Imprimé en Belgique Illustration de couverture : Isabelle Herpoel


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Ce livre est dédié à mes parents et amis. Ainsi qu’à ceux qui ont soigné le corps, le cœur, l’âme et l’esprit. Il est encore dédié à Toi qui as veillé sur tout cela de là-haut.


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Préface

Nous savons gré à Jean-Marc de Terwangne d’avoir livré au grand public les notes de ses carnets intimes. C’est une véritable occasion qui nous est offerte d’accompagner quelqu’un — un homme jeune, doué, rempli de vie et de générosité — dans sa descente aux enfers et dans sa remontée. L’érosion de son enthousiasme, auquel a succédé la perte de la joie de vivre, puis l’extinction de tout désir, y compris celui de se nourrir, et encore les affres de l’angoisse l’ont mené aux abîmes de la désespérance et jusqu’au seuil de l’irréparable. Et, paradoxe, ce qui devait devenir l’irréparable suscite le secret qui va lui donner, avec l’aide d’autres, de remonter du gouffre obscur où il se trouvait jusqu’à émerger, renaître à la vie… à la joie de vivre, à celle de vivre avec bonheur. Ce témoignage, livré dans sa nue vérité, a d’abord été publié pour aider ceux qui vivent la même réalité : la dépression. Il vient leur manifester que d’autres aussi vivent ou ont vécu cela… et que l’on peut s’en sortir. Il viendra aussi au secours des proches de ceux qui vivent cet enfer car, bien souvent, ils sont désorientés devant les comportements de celui ou celle qu’ils côtoient alors que leur attitude peut être importante. 7


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Tout lecteur ne pourra qu’être touché par la valeur profondément humaine de ce témoignage. Profond et véridique, il nous apprend ce qui est décisif pour toute vie. N’est-ce pas la mission du prophète ou du maître d’aller plus loin, peut-être jusqu’au bout de la voie, afin de mieux guider ceux qui se sont aventurés sur ce même chemin ? Dans ce livre, nous pouvons déceler ce qui permet à la vie, toute vie, de renaître et de se développer. Sans être complet, ni systématiser, nous pouvons pointer : - la vérité envers soi-même et l’objectivité, la volonté et la persévérance, car il faut vouloir vivre pour exister ; - la proximité d’êtres chers, parents, amis qui, par leur attitude de non-jugement et d’accueil parfois silencieux, ont fait des merveilles ; - l’aide compétente de médecins à qui l’on fait confiance ; - et aussi la foi en la Transcendance, certains l’appellent Dieu, qui demeure alors que tout semble s’écrouler. Dans un pays où le prix de la vie est banalisé et où le législatif favorise la démission, ce livre fait résonner un tout autre son… celui du courage, de l’exploration jusqu’au bout de ce que la vie peut encore apporter… et ce que vaut la persévérance et l’effort soutenu. Merci à Jean-Marc de Terwangne à la fois de l’avoir vécu et de nous le partager. Jean Simonart


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À toi, lecteur

À toi qui souffres de dépression, pourquoi un tel réalisme dans les pages de ce livre ? Sinon pour te donner la possibilité de te reconnaître dans la dimension crue de la souffrance que tu vis. Et, même si chaque dépression est unique, nous traversons des phases communes. Ce livre veut te dire qu’un chemin de libération existe pour toi, de même qu’il a existé pour moi. Sans ceux qui m’aimaient, pour celui que j’étais, et ceux qui m’ont soigné, forts de leurs compétences scientifiques et médicales, ce chemin n’aurait pas été le même. Aurait-il seulement existé ? J’ai cette foi qu’un tel chemin, certes différent du mien, mais tout aussi libérateur, existe aussi pour toi, sinon pourquoi te partager cette tranche de vie ? L’enfer, tu peux aussi le traverser et en sortir. Il ne s’agit pas d’une démonstration théorique. C’est la traversée de la maladie et de l’enfer qui me fait te parler ainsi. Si tu y crois, accroche-toi. Si tu n’y crois pas, laisse-moi y croire pour toi ! Peut-être liras-tu ces pages à petites doses, tant les efforts de lecture et de concentration te seront difficiles. C’est normal ! À toi qui es en bonne santé, ce livre ouvrira une fenêtre sur bon nombre de questions que tu te poses face 9


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à ce conjoint, ce parent, ce frère, cet ami ou ce collègue dont le comportement bizarre et le mutisme t’empêchent l’accès à la compréhension de ce qu’il vit. Ne sois pas gêné d’avoir un proche atteint de dépression. Certains voudraient te faire croire que cette maladie ne serait pas du même ordre que les autres. Évidemment, elle n’est pas du même ordre, tout comme un cancer n’est pas une thrombose. Derrière chaque maladie, il y a un être humain unique. Pourquoi y aurait-il honte d’être atteint ou de savoir un proche atteint de dépression nerveuse alors qu’aujourd’hui, les statistiques montrent que, malheureusement, dans nos régions, nombreuses sont les personnes confrontées à cette maladie au cours de leur vie ? « Lourdes et sans réponses » étaient sans doute les questions que mes parents devaient porter en euxmêmes, lorsque, des semaines durant, ils ont vu leur fils basculer dans le mutisme, l’inactivité, la dégringolade physique et psychique ? Que pouvait bien vivre leur fils ? Peut-être te poses-tu les mêmes questions que mes parents jadis. C’est aussi pour t’apporter quelques éléments de réponse et alléger ces questions que j’ai voulu retraverser ces années et les coucher sur papier. Ce que vit la personne pour laquelle tu te poses ces questions est forcément différent de ce que j’ai personnellement vécu, chaque histoire humaine étant singulière. Pourtant, si le diagnostic « dépression » fut posé, des points communs me semblent inévitables entre son histoire singulière et celle de toute autre personne ayant traversé la dépression. C’est ainsi que deux personnes ayant traversé la dépression peuvent parler de leur ma10


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À TOI, LECTEUR

ladie respective en se comprenant, parfois même audelà des mots. Le malade de la dépression n’est pas simplement déprimé comme il nous arrive à tous de l’être à certains moments où la vie semble plus contradictoire, plus pesante ! La grande majorité des êtres humains passe par de tels moments de « déprime » plus ou moins forts et plus ou moins réguliers. Ils font partie de la vie et ne constituent pas, en tant que tels, une maladie. Les pages qui suivent n’évoquent pas cette déprimelà. Elles relatent le parcours d’un homme qui ne fut pas déprimé mais malade. Diagnostic : dépression.


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La descente sournoise

L’« avant-crash » Après une formation longue et souhaitée de ma part afin de répondre à ce que je pressentais être l’appel de ma vie, me voilà plongé sans répit dans des difficultés dont je ne soupçonne pas qu’elles constituent progressivement l’engrenage qui me conduira au « crash ». Tel un avion qui, prenant son envol, se « crashe » malencontreusement au décollage, faute d’avoir utilisé la piste qui lui convenait, ou faute de l’avoir muni d’un équipage adéquat. Ainsi, au décollage de ma vie de prêtre en septembre 1999, me voilà nommé copilote d’une paroisse dans laquelle je vais, après six années d’études, pouvoir me donner pleinement au service de ma mission auprès des gens. Il faut sans doute au pilote de ligne de nombreuses heures d’écolage aux commandes de l’appareil, accompagné d’un pilote expérimenté, avant de mener à bien une mission de vol assumée pleinement. Il en va de même pour un prêtre fraîchement sorti des bancs 13


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d’écoles. Le pilote de la paroisse où je suis nommé a la mission de me former sur le terrain. Très vite, il me faut constater que, de façon incompréhensible, le pilote, tout humain qu’il soit, ne veut pas de copilote dans ses pieds et, encore moins, d’un jeune à former. Me voilà donc comme un futur pilote de ligne à qui l’on empêche de prendre connaissance pratique des commandes de l’appareil dont il devra un jour assurer le pilotage. Quoi de plus frustrant que d’être éteint dans toutes ses ambitions lorsqu’on déborde d’idées et d’énergie. C’est la consternation ! Après six mois vécus dans le même climat dépréciant, avilissant, je commence à sombrer. L’enthousiasme s’effrite. Le besoin de me perdre dans la foule anonyme d’une grande surface se fait de plus en plus fréquent ; je vois du monde, mais ne rencontre personne, cela me convient. Pourquoi ne puis-je rien faire ? Suis-je un incapable ? L’expression de mon point de vue au curé pilote ne fait qu’envenimer la situation. C’est pour éviter le « crash » au décollage que je lance un appel à la tour de contrôle. Le signal de détresse est reçu « cinq sur cinq » et, dans les deux semaines, on m’invite à rejoindre un autre équipage. Je déménage donc pour rejoindre la paroisse de ma nouvelle nomination. J’y trouve un équipage, en difficulté temporaire, auquel la tour de contrôle, qui a pris ma situation au sérieux, me demande de prêter main-forte.

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C’est déconstruit que j’arrive dans cette mission. Je prends soin de signaler, à ce nouvel équipage, ma situation antérieure et mes craintes que cela se reproduise. Des responsabilités me sont d’emblée confiées. Une réelle collaboration prend place dès le premier instant. Je réalise combien grande est ma chance de connaître ce nouveau pilote, d’être formé par lui au service de l’appareil qu’il dirige : une paroisse importante du Brabant Wallon. Assez vite reconstruit, j’œuvre au sein de cette équipe durant sept mois fabuleux au terme desquels l’équipage que nous formions est désagrégé, afin de confier une nouvelle mission au pilote qui venait de me former sur le terrain. N’ayant pas la force d’envisager un troisième déménagement en un an, j’accepte l’une des propositions de la tour de contrôle : rester dans la même paroisse avec un autre pilote connu pour être nettement moins commode. Je prends le risque ! Les mois et les années qui suivent voient se défiler de nouvelles incompréhensions entre ce nouveau pilote et moi-même. Très vite il me faut accepter d’être critiqué sans raison, démoli publiquement, et j’en passe ! Tout avait bien été durant sept mois et voilà que, du jour au lendemain, rien de ce que je fais n’est bien. Mes idées sont idiotes, mes raisonnements ne tiennent pas la route, etc. C’est du moins ce que le nouveau pilote ne cesse de me répéter ! Nombreux sont les paroissiens qui ne comprennent pas cette attitude du pilote à mon égard, comme au leur 15


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d’ailleurs, car les manières de faire de ce pilote vis-à-vis de ses passagers sont également incomprises par nombre d’entre eux. Ce sont eux qui me donnent la force de me battre durant près de trois ans. C’est pour eux que j’ai été envoyé là-bas, et je leur dois beaucoup. Jeunes et moins jeunes, ils sont là pour me soutenir dans les moments de copilotage difficile. Malgré leur soutien, les forces mentales s’épuisent et je tiens la tour de contrôle informée, lui disant mon impossibilité de résister au-delà du mois de septembre dans de telles conditions. Les données changent lorsque le pilote, gravement malade depuis plusieurs années, décède inopinément en avril. Il me faut donc assumer l’entièreté de la paroisse, de manière totalement imprévue. Ce qui est extrêmement motivant mais épuisant. Je consume mes forces physiques alors que les forces mentales semblent un peu revenir, car je ne suis plus sous cette pression qui était devenue insoutenable. Néanmoins, ces forces sont déjà trop entamées. À deux reprises, l’aide demandée à la tour de contrôle reste sans réponse concrète. Cette foisci, il ne semble pas y avoir de contrôleur pour éviter le « crash » ! Et pourtant, je m’en sors très bien. Sans encombre, je conduis cette paroisse d’avril à septembre, seul pilote à bord ! Pilotage visiblement satisfaisant, au point que bon nombre de passagers, paroissiens, pensent et souhaitent me voir rester parmi eux comme copilote, voire comme pilote pour certains. 16


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Les données paroissiales ayant changé depuis le mois d’avril, je manifeste également, de mon côté, le souhait de rester dans cette paroisse. Malheureusement, certaines personnes de ma hiérarchie directe, n’ayant pas pris en compte les nouvelles donnes paroissiales à leur juste mesure, en décident autrement. Le tout dans une absence d’écoute réelle. Les paroissiens vont jusqu’à réaliser pétition et autres démarches auprès des autorités dont je dépends directement, mais rien n’y fait. J’apprendrai ces démarches après coup, lorsqu’on me remettra copie de ces lettres et pétition. Je me souviens avoir consacré une partie de la nuit à parcourir les différents écrits des paroissiens. Dans ce contexte de tension cela me faisait du bien. Incompris d’une certaine hiérarchie, je bénéficiais du soutien de beaucoup d’autres personnes : celles et ceux pour qui j’avais été envoyé dans cette paroisse et pour lesquels j’avais tout donné. Mais je demeure profondément blessé par l’attitude de certaines personnes incontournables de ma hiérarchie directe, avec lesquelles je réalise que le dialogue en vérité est devenu impossible, que même les coups derrière le dos sont pratiqués par certains. Pareille attitude me tue ! Déjà épuisé par les épreuves quasi permanentes au cours des années précédentes, l’attitude de ces personnes-là, au sein de la tour de contrôle, m’achève. Je sombre, je sombre, je sombre ! Pauvre Église, faite d’ombre et de lumière ! En cette heure, c’est l’ombre que j’expérimente. En outre, alors qu’il me semble avoir fait mes preuves, c’est l’incompréhension totale pour moi d’être nommé dans une paroisse où il y a déjà plusieurs 17


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prêtres avant mon arrivée. Il est alors inévitable que je me pose certaines questions. Manque-t-on vraiment de prêtres ? Suis-je un incapable ? Qu’ai-je fait de mal ?

Le malade qui s’ignore ! Il y a une expérience terrible vécue par beaucoup de personnes, je pense, dans leur milieu professionnel : la manipulation ! À tout le moins, le sentiment d’être manipulé. Certains y résistent mieux que d’autres. Personnellement, je ne résiste pas à cette attitude, je ne la supporte absolument pas. J’ai besoin de comprendre le pourquoi d’une nouvelle nomination, surtout quand elle me semble dénuée de sens. N’ayant pas accès à ces explications, je me sens quelque peu manipulé ! De nature, je ne suis pas une marionnette qui se laisse guider aveuglément. Pourtant voilà bien ce qui m’arrive. Et je n’ai pas le choix, je dois m’y conformer ! Cela me mine et, en outre, cela se réalise dans un contexte malsain. Épuisé nerveusement, fatigué physiquement, je me résigne à ce troisième déménagement en à peine quatre ans. Il m’est cependant difficile de poser mes valises en un lieu que je ne peux investir. Rejoindre un équipage qui me semble déjà en surnombre est frustrant. Il y a un manque de clarté et, plus encore, un manque d’honnêteté qui entoure ce déplacement auquel il faudra rapidement constater que je ne me fais pas.

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Alors qu’il était crucial de pouvoir m’appuyer, à ce moment, sur un soutien hiérarchique fort, correct et humain, c’est plutôt l’inverse qui s’impose à moi tel un chemin de croix. Où ce chemin va-t-il mener ? Y a-t-il une issue, un guide, un mode d’emploi, une procédure ? Oui, c’est bien de mode d’emploi dont il s’agit, car en outre je ne comprends pas l’organisation de cette nouvelle paroisse. Elle fonctionne tel un avion équipé d’une nouvelle génération de moteurs, dont on tentera de me persuader qu’ils sont plus performants, mais dont je ne maîtrise pas les commandes parce que je ne les comprends pas. À bout, il me faudra donc découvrir ce mode d’emploi et, pour cela, me rendre à l’étranger durant plusieurs jours, dans une paroisse pilote équipée des mêmes structures. Un « voyage d’affaires » indispensable pour tenter de décrypter quelques règles du « jeu » dans lequel on veut me faire jouer. Était-ce raisonnable dans mon état ? Certes, j’en ai compris davantage sur l’organisation et la structure, mais je n’en peux plus et visiblement cela ne transparaît pas au sein de l’équipage ! Suis-je en train de cacher ma souffrance aux autres et à moi-même ? Cela n’est-il qu’un mauvais moment à traverser dont je minimise les symptômes ? Bien sûr, les symptômes sont là, mais je ne peux pas les décoder ? Celui qui n’a jamais eu la grippe, comment peut-il en reconnaître les symptômes ? À plus forte raison pour la dépression. Les symptômes sont pourtant là et bien là : je m’enferme sur moi-même au point que la rencontre avec les autres devient plus qu’un effort, ce qui, dans mon job, est 19


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cruel ; la mission du prêtre étant faite essentiellement de rencontres avec les gens. Les troubles de l’appétit, du sommeil, de la concentration sont déjà bien installés eux aussi. Tant d’indices auxquels je ne prête pas l’attention voulue. Il y a toujours bien une explication à ces symptômes et, en effet, je les explique d’une manière ou d’une autre. Après trois mois dans cette paroisse, je ne parviens toujours pas à me sentir chez moi. Je dispose pourtant de deux pièces dans une habitation commune. Mais il m’est impossible d’habiter ces pièces, au sens de les investir comme un « chez moi ». Me voilà donc tel un étranger en mon propre lieu de vie ! Cette sensation est très désagréable. Je vais mal, de plus en plus mal ! Le mur est tout proche et pourtant je ne le vois pas. D’autres, par contre, semblent l’apercevoir. Ma mère est l’une de ces personnes. Sans doute sent-elle ce que je vis de l’intérieur par les moments de partage que j’ai avec elle : « N’est-il pas temps que tu te fasses aider par la médecine ? » me dit-elle un jour. Je réponds : « Non, pourquoi ? Je ne suis pas malade. » Quelques jours plus tard, une personne de la « tour de contrôle », non directement mêlée aux difficultés de ma situation, mais néanmoins personne d’influence pour laquelle j’ai beaucoup d’estime, fera le déplacement, soucieuse de venir en aide à l’humain que je suis et qui est en péril. Cette personne est désireuse d’analyser en profondeur la situation afin de trouver une solution.

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Je ne le réalise pas encore, mais, à ce moment, à peine quelques jours avant la prise de conscience que rien ne va plus, c’est déjà trop tard ! Au cours du week-end suivant, je rassemble mon énergie et me rends à l’étranger, chez des amis à Nancy. Trois heures de route aller et trois autres pour le retour. Le tout en un jour ! Véritable folie, vu mon état. La météo est mauvaise et, sur l’autoroute, mon esprit s’emballe. Je suis seul dans la voiture et les idées noires me submergent. L’hypothèse de l’accident camouflerait bien un suicide ! Pourquoi pas cet arbre ? Pourquoi ne pas m’encastrer entre les deux essieux de ce camion ? Là au moins je serais plus ou moins sûr d’en finir. Ces trois heures m’ont paru durer une éternité ! Non, je ne peux pas faire cela, mes amis en seraient blessés à tout jamais ! Ce sont de tout grands amis, je ne peux leur infliger cela. Tant bien que mal, luttant contre l’envie d’en finir, par simple respect pour mes amis, me voilà enfin arrivé, crevé mais vivant ! J’ai toujours pu partager en profondeur chez eux et aujourd’hui c’est un sac d’épreuves et de souffrances que je viens leur partager. Lors du déjeuner la discussion se fait encore plus intense, comme d’ordinaire chez eux au cours des repas ; et, sans aucune hésitation, la voix de mon amie répétera, avec plus d’insistance encore, ce que ma mère me disait peu de temps avant : « Jean-Marc, tu dois aller voir un médecin. Tu ne peux pas rester comme cela ! » J’ai répondu que j’y réfléchirais. « Ne réfléchis pas trop longtemps », ajouta-t-elle. Après le repas du soir et un bon café — ils ne voulaient pas me laisser reprendre la route sans un café — 21


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je me retrouve au volant de ma voiture. Avant que je ne démarre, mon amie se tourne vers moi et me fait faire une promesse : « Tu nous téléphones quand tu es arrivé chez toi, d’accord ? » J’ai répondu : « OK ! » Elle a compris que mon désir de vivre ne tenait désormais qu’à un fil. Et c’est bien vrai ! Si je n’avais pas dû leur faire cette promesse, ils auraient sans doute été les dernières personnes rencontrées avant ma mort, tant le désir de suicide et d’accident fatal m’habitait durant tout le trajet de retour. C’est une promesse qui me fit arriver vivant à la maison, celle d’un coup de fil à passer. De retour chez moi je téléphone à mes amis. Ils sont heureux que je sois bien arrivé. Une fois le combiné raccroché, je fonds en larmes, je tremble plus fort des mains, j’ai l’estomac noué ! Cette nuit-là, je ne ferme pas l’œil et je pleure des heures durant. Première nuit blanche d’une longue série. J’ai froid, puis chaud. Je transpire comme jamais auparavant. Dans mon for intérieur, je sais que je ne suis vivant que parce qu’on m’a fait promettre de téléphoner à mon arrivée. Je réalise petit à petit que l’heure est grave et sérieuse. Je ne suis plus moi-même. Pourtant, je résiste encore à me rendre chez le médecin. Deux jours plus tard, un drame se produit dans la paroisse : un homme, jeune, fauché sur son lieu de travail, un chantier autoroutier, laisse une famille dans le deuil et le désarroi. L’équipage me demande de prendre en charge l’accompagnement de cette famille ainsi que la célébration des funérailles. Voilà trois nuits que je ne 22


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ferme plus l’œil, que je pleure, que je sue, que je tremble des mains. Je rassemble mes dernières énergies pour accompagner cette famille, préparer ensemble la cérémonie des funérailles et assumer la présidence de la célébration quatre jours plus tard. Au jour de ces funérailles, cela fait déjà sept nuits que je ne dors plus, tant les nuits sont devenues cruelles. Pas même une heure de répit par nuit. Épuisé, je pleure mais ne dors pas. Bien sûr, ces dernières nuits sans sommeil, j’ai vite fait de les mettre sur le compte de ce drame familial que j’accompagne depuis quatre jours, alors que c’était à mettre sur le compte de la maladie dont j’ignorais encore être atteint ! Je mène tant bien que mal cette célébration et tente, avec mes faibles moyens, de réconforter la famille devant ce vide, ce drame. Cet homme ne voulait pas mourir, il est mort sur une autoroute ! Quelques jours plus tôt, je voulais mourir sur une autoroute, je suis vivant ! Le monde est bizarre, très bizarre ! Aujourd’hui, je pense souvent à cet homme et cette famille, car ce fut, jusqu’au moment où j’écris ces lignes, la dernière famille que j’ai accompagnée dans l’épreuve du deuil. Tout fut donné dans cette célébration. Je suis épuisé comme après dix sessions d’examens universitaires, devenu incapable d’aligner deux idées à la suite. Je maigris de jour en jour, car je ne mange presque plus. Je me force à manger un peu en présence des autres, car il le faut bien, mais l’appétit est complètement éteint. Je décide alors de contacter une connais23


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sance psychologue qui m’a déjà aidé dans le passé. Cette personne me fait part de la nécessité de rencontrer un médecin qui pourra sans doute me donner les médicaments anxiolytiques et antidépresseurs qui pourront m’aider. Le message est donc clair : ne pas rester sans aide médicale ! C’est la troisième personne qui m’invite à consulter un médecin ; et pourtant — sans doute suis-je têtu —, j’attends encore trois jours, jusqu’au moment où…

Ils avaient vu clair ! Nous sommes le mercredi 17 décembre 2003 au matin. Nous prenons le petit-déjeuner entre prêtres lorsque la sonnerie du téléphone retentit. Chose étrange, cette sonnerie me fait peur, m’angoisse terriblement, me noue l’estomac, me fait respirer bizarrement, je sue sans raison. Subitement, je ne suis plus moi-même, je m’échappe à moi-même. Serais-je devenu incapable de répondre au téléphone ? Heureusement, ce n’est pas moi qui décroche le combiné. Presque instantanément, je prends conscience d’être au bout de toutes mes forces, en panne de ressources. C’est alors qu’en un instant, j’imagine l’objet du coup de fil et surtout ma totale incapacité d’y répondre : s’il s’agit de l’annonce de funérailles, je suis incapable de rencontrer une famille éprouvée par la mort d’un être cher ; pareil s’il s’agit d’une demande de baptême, impossible de rencontrer des parents pour préparer avec eux le baptême de leur enfant. 24


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Pour la première fois, je réalise, je prends conscience, dans mes tripes, de mon incapacité à faire face à quoi que ce soit. Il a fallu ce coup de fil pour que je décide, en un éclair, d’annuler mes engagements du jour et de me rendre à la consultation médicale en fin de journée. Je suis à bout de forces. Dans la salle d’attente, il y a des gens qui parlent, c’est insupportable ! Pourtant, ils ne parlent pas fort, mais ma tête réagit comme une caisse de résonance. Dans mon for intérieur, je sais que c’est aujourd’hui que je dois rencontrer le médecin. Je prends donc mon mal en patience. Le diagnostic tombe : dépression. Arrêt de travail pendant trois semaines. Je ne le sais pas encore, mais c’est le premier arrêt de travail d’une longue série. Les certificats se succéderont durant de nombreux mois. Au bout du rouleau, je soupire et suis quelque peu apaisé de ne plus devoir faire face à mes responsabilités durant trois semaines. C’était devenu impossible à porter. Je ressens donc presque immédiatement un certain soulagement. L’idée de devoir assumer une quelconque responsabilité, si minime soit-elle, était devenue audelà de mes forces. D’ailleurs, cela n’a rien d’étonnant : je n’ai plus la moindre force, je suis foutu ! La batterie est complètement à plat, ne répondant plus à aucun signal. Je suis tel une loque humaine, un chiffon inerte ! Comme il m’est impossible de vivre la maladie chez moi, car c’est également mon lieu de travail, je reviens en droite ligne de la consultation médicale chez mes 25


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parents. Ils sont en train de manger et je dépose sur la table de quoi leur couper l’appétit : la brochure remise par mon médecin, intitulée la Dépression, comprendre pour mieux s’en sortir. J’ajoute alors : « Voilà ce dont je suis atteint ! » Mes parents m’accueillent chez eux. C’est le début du traitement, mais pas encore la fin de la descente. Des jours durant — qui deviendront par la suite de longues semaines — me voilà assis et muet, bras croisés, dans un fauteuil du salon. L’objectif réduit de chaque journée est d’ingurgiter, au bon moment, les médicaments dont je réalise qu’ils ont pour effet de me faire passer de bonnes nuits. Peut-être me plongent-ils aussi dans un état second, ou cet état est-il celui de la maladie ? Assez curieusement, alors que je ne fais rien, le temps ne me semble pas long. Par-dessus tout, les moments les plus redoutés sont ceux des repas. Un vrai calvaire ! Non seulement je n’ai jamais faim, mais je ne digère plus rien ! Il faut une après-midi pour digérer le moindre quartier de pomme, l’une ou l’autre fourchette de nourriture, pourtant légère. Je perds vite du poids : vingt et un kilos au total en quelques mois ! Les médicaments me font dormir et c’est fondamental. Durant plusieurs semaines, ce sera le seul effet positif du traitement. En revanche, nombreux sont les effets indésirables qui voient le jour. Il faut « faire avec ». C’est un prix supplémentaire à payer pour sortir ce cette maladie, de cet enfer. Je m’accroche au traitement, comme un homme perdu au milieu de l’océan s’accroche à sa bouée de 26


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sauvetage. Et pourtant, c’est contradictoire, car le sens de ma vie semble m’échapper complètement. Les pulsions de mort et de suicide sont bien présentes, certains jours plus fortement qu’à d’autres. Ces pulsions, comme tout ce que je vis ces jours-là, font partie de mon jardin secret. En outre, je sais que je sortirai de cette maladie. J’en sortirai vivant ou mort, mais j’en sortirai. Aujourd’hui, sortir vivant de cet enfer me semble impossible, tant la vie n’a plus de sens pour moi. L’avenir est détruit, je suis désintégré. En même temps, force m’est de constater que je dois être un homme complexe : si la vie n’a plus de sens, pourquoi m’efforcer de prendre des notes quotidiennes chaque soir en attendant l’effet « somnifère » des médicaments ? C’est dès les premiers jours que je prends ces notes sur ce que je vis et ressens de la maladie dans mon corps, mon cœur, mon esprit. C’est au départ de ces notes, prises au long de la maladie et de la convalescence, que ce livre a vu le jour. Livre dont l’objectif est de vouloir parler sans tabou de la dépression, afin de montrer qu’on peut en sortir vivant et fortifié. Cet ouvrage n’a d’autre ambition que de porter un regard optimiste sur une réalité cruelle. Il veut te dire qu’un chemin de vie peut exister, aussi bas que tu sois dans la maladie. Crois-y ou laisse-moi y croire pour toi, si tu ne le peux aujourd’hui. N’étant pas artiste, je visualise cependant ma dépression. À ce stade, l’image que j’ai de cet enfer est celle d’un vase de verre brisé en d’innombrables morceaux. Ces débris de mon être étant plus ou moins ras27


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semblés, avec au centre une petite flamme bleue, telle une veilleuse qui les retient afin qu’ils ne se dispersent pas dans le néant vers lequel ils sont pourtant attirés. Isolé dans le monde de cette maladie, je ne souhaite rencontrer personne, n’être présent pour personne. Pas de visite, pas de coup de fil ! Mes parents vont jouer à merveille ce rôle de filtre social. Ils le feront avec tact et délicatesse vis-à-vis de ceux qui, bien intentionnés, veulent me rencontrer ou me parler pour prendre de mes nouvelles. Mes parents ne peuvent sans doute pas comprendre ce que je vis et, pourtant, ils le respectent et comprennent ce besoin. C’est aussi en pensant à ce qu’ils ont vécu, sans jamais se plaindre, des mois durant, sans doute habités par d’innombrables questions restées sans réponse, que j’ai voulu écrire ce livre. Voilà huit jours que je me soigne et les antidépresseurs ne donnent pas encore leurs premiers effets positifs. Certes, je dors la nuit, mais c’est sans doute davantage l’effet des anxiolytiques que celui des antidépresseurs. Replié sur moi-même, je fuis tout. Je suis assis toujours à la même place dans le salon. Si mes parents n’allument pas la lumière, je reste dans le noir et le silence. Le bruit est difficile à supporter. Le fauteuil que j’ai investi se trouve face au sapin de Noël. Le sapin clignote de son ornementation. Cela me laisse indifférent. Que signifie encore Noël pour moi ? Rien ! Noël est une fête et en moi tout est aux antipodes de la fête.

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C’est précisément en ce jour de Noël que je descends au plus bas de la maladie. Elle touche désormais en moi les racines de la vie. Je n’en peux plus de vivre et décide de mettre un terme à la maladie par le choix de la mort. Je suis au fond du fond. Chacun traverse la dépression comme il le peut ! Tous les malades de la dépression ne vivent pas cette décision que j’ai prise le 25 décembre, et heureusement, mais elle fait partie de mon histoire et il aurait été malhonnête de la masquer. Je te partage mon expérience jusque-là, pour te dire que si, toi aussi, tu en es là, il y a un point de rebondissement possible : il a existé pour moi, pourquoi n’existerait-il pas pour toi ? J’en ai la foi, la conviction.


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Un Noël bizarre

Jour de fête pour les autres, Noël est arrivé, comme chaque année, le 25 décembre. Je souffre de vivre et cette épreuve est peut-être d’autant plus cruelle qu’autour de moi d’autres font la fête. Fête à laquelle je ne sais pas et ne veux pas participer. Dans quel monde suis-je ? Qui suis-je moi-même ? Je ne sais plus. Dès le réveil, je sens, je sais qu’aujourd’hui ce sera fini. Ne me demande pas à quoi j’ai senti cela ; je ne saurais pas te répondre. C’est étrange ! Aujourd’hui ce n’est plus seulement une pulsion suicidaire, mais bien une décision suicidaire qui m’envahit et cela dès le réveil. Comme à l’accoutumée depuis huit jours, je descends et prends place au salon. Cette décision d’en finir s’accentue et se fait de plus en plus pressante au fil des heures. Un sentiment étrange m’habite, je pleure bien plus que d’habitude. Fin de matinée, mes parents se rendent chez ma sœur qui reçoit la famille pour le dîner de Noël. En partant, ils m’embrassent et je sais que ce sera la dernière fois. Me voilà seul à la maison pour plusieurs heures : l’après-midi et le début de la soirée. C’était dangereux de me laisser seul si longtemps, surtout ce jour-là, mais 31


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qui d’autre que moi pouvait se douter de ce qui se vivait et se préparait en mon esprit ? Justement, une fois livré à moi-même, mon esprit se met à galoper. Je sais que la voiture sera le moyen de sortir de la maladie, de mourir. L’endroit où certainement je ne me raterais pas avait déjà été repéré. Je caresse étrangement la clef de ma voiture dans la poche de mon pantalon, comme si cette clef devait être complice. Je revois sans cesse les visages de mes parents que j’ai embrassés pour la dernière fois, cela leur fera une peine énorme, mais je ne peux plus vivre, c’est devenu trop dur, trop lourd. Mon enfance a été heureuse et j’ai de bons souvenirs liés à cette maison dans laquelle je me réfugie depuis plusieurs jours. Assez curieusement, il me faut dire « au revoir » à cette demeure. Je quitte le salon et me rends dans chacune des pièces de la maison. Il me faut faire un dernier tour, un tour d’adieu. Je passe du temps à regarder les photos, les cadres. Je m’attarde davantage devant le pêle-mêle de la cuisine qui regroupe les photos récentes. Lorsque, de retour au salon, je prends une feuille pour rédiger ma lettre d’adieu, mon téléphone portable sonne. Juste une sonnerie annonçant l’arrivée d’un SMS. Un des rares hommes de la tour de contrôle, que j’ai toujours estimé pour son humanité et sa correction, vient de m’envoyer quelques lignes pour m’encourager dans l’épreuve de la maladie. Je m’assieds à nouveau dans le fauteuil. Je garde ce téléphone portable en main. C’est avec des sentiments 32


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UN NOËL BIZARRE

partagés que je lis et relis ce message. Chose étrange : je souhaite répondre et lui dire : « Je n’en peux plus, je m’en vais ». Pourtant, je n’envoie pas le message. Je demeure encore un certain temps dans le fauteuil, laissant mon esprit voyager. Vers seize heures, je reprends en mains cette feuille sortie une heure plus tôt, et c’est dans un sentiment de profonde tristesse et de soulagement d’en finir, de quitter cet enfer de vie, que j’écris cette lettre d’adieu à mes parents. Désormais, il n’y a plus la petite veilleuse bleue qui retient les débris de mon être afin qu’ils ne se dispersent pas dans le néant de la mort. Depuis ce matin, la veilleuse est éteinte ! D’ordinaire, le jour de Noël, nous ne rentrions pas avant dix-huit heures d’une réunion de famille. Je n’ai pas prévu un retour anticipé de mes parents et, pourtant, c’est bien leur clef que j’entends dans la serrure, alors même que j’écris ma dernière phrase. Ont-ils pressenti quelque chose ? Leur retour m’effondre, je plie rapidement cette lettre et la mets en poche. Je la garde précieusement, car elle servira cette nuit ou dans deux jours, lors d’une autre réunion familiale à laquelle je ne me rendrai pas. À ce moment-là, j’en veux profondément à mes parents. J’ai presque de la haine pour eux ! Pourquoi ne sont-ils pas rentrés ne fût-ce que dix minutes plus tard ? Intérieurement, je suis au plus mal. Ma mine est grave. Quelque chose doit transparaître dans ma manière d’être, car j’apprendrai plus tard que ma mère, en tout 33


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cas, avait remarqué que j’allais encore plus mal ce soirlà que les autres jours. Cette nuit-là, je ne ferme pas l’œil. C’est la nuit des contrastes cruciaux et bizarres ! D’un côté, je nourris le projet d’en finir effectivement dans deux jours. D’un autre côté, je m’interroge sur ce retour trop tôt de mes parents, sur ce message reçu qui a retardé d’une heure la rédaction de ma lettre d’adieu. Il y a quelque chose d’anormal qui me chipote. Certes, dans deux jours, ce sera fini et, en même temps, je ne peux m’empêcher de me dire : « Si ma tentative de suicide échoue un jour de Noël, serait-ce le signe que Jésus — dont Noël fête la naissance au cœur de la vie humaine — vient aussi pour me rejoindre dans l’enfer de ma vie aujourd’hui ? Serait-Il Celui qui vient me garder du geste fatal ? Serait-Il mon Sauveur ? Peut-être ! Qui sait ? » En tout cas, cela me travaille et ne me laisse ni complètement indifférent ni tranquille. Finalement, j’ai même plutôt tendance à le croire ! Cela remettrait-il en cause ma décision de mourir ? Je ne sais pas ! Il me faut parler de tout cela. Aussi, le lendemain, j’appelle un ami. Plus qu’un ami, c’est un frère avec qui je partage beaucoup. Il m’est un précieux soutien. La souffrance, il la connaît aussi. La dépression, il tente également de la traverser en ce moment. L’un et l’autre, nous nous épaulons ; tantôt l’un, tantôt l’autre. Nous nous fixons rendez-vous dans un café bruxellois. Je suis très mal à l’idée de lui partager ce que j’ai vécu hier. J’ai peur, je tremble, j’ai froid, je respire mal.


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Le rebondissement intérieur

Nous voilà donc attablés dans ce café bruxellois au nom bien symbolique : « L’Espérance ». Nous commandons les boissons. Je suis très mal, il ne m’a jamais vu comme cela ! Aligner deux phrases de façon cohérente est une épreuve. La poitrine toujours oppressée empêche une respiration normale. Les mains tremblent et le regard est vague. Je me confie à cet ami, ce frère. Sans hésiter, je lui raconte tout. Je suis habité par le besoin de ne rien lui cacher. Par la souffrance qu’il traverse lui-même, il peut me comprendre. En tout cas, il ne me juge pas, il m’écoute et prend au sérieux mon récit. Je lui partage aussi mes angoisses, dont celle, terrible, de parler au médecin de ma tentative de suicide. J’ai peur d’être interné et privé de liberté, parqué dans un asile psychiatrique. Peur d’une augmentation des doses médicamenteuses et, donc, des effets secondaires, déjà tellement désagréables aux doses actuelles ! Cette tentative de suicide m’a encore enfoncé plus bas que je ne l’étais auparavant. J’ai touché la mort, je l’ai non seulement désirée mais choisie. Peut-être que je la choisis encore à cet instant précis où je suis au 35


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café. D’ailleurs, j’ai toujours en poche ma lettre d’adieu dont je ne suis pas disposé à me défaire. Je suis perdu, noyé dans des sentiments mélangés et contraires. Pourtant, en parlant longuement avec cet ami, quelques idées se clarifient. J’ai, de plus en plus, tendance à croire que ce retour, anormalement tôt et sans raison, de mes parents, le jour de Noël n’est pas anodin. Le même sentiment m’habite concernant ce message qui me fit retarder la rédaction de la lettre. Mon esprit s’interroge et semble vouloir s’accrocher à mon regard de foi : Jésus serait-il aussi venu pour moi hier ? En parlant de tout cela à cet ami, une idée fait petit à petit son chemin, et ma foi me laisse finalement l’interpréter de la sorte et de manière forte : « Oui, Jésus est venu aussi pour moi ce 25 décembre, il m’a rejoint dans l’enfer de ma dépression pour me faire comprendre que je dois vivre. Il s’est servi pour cela de mes parents et d’un message », me dis-je. C’est curieux, mais, au terme de cette rencontre avec ce frère, cela me semble bien une certitude ! Jésus me veut vivant ! Tout ceci peut te sembler bien curieux si tu n’as pas la foi en Dieu, et je comprends fort bien ton étonnement. Je ne peux pas, bien sûr, t’imposer ma foi, je ne peux que t’y inviter. Te dire à toi aussi que Jésus est mort et ressuscité pour toi, comme Il l’est pour moi. Il te veut vivant, comme Il me l’a fait comprendre pour moi. Je n’ai pas mission de te convaincre de cela, mais simplement de te le dire. Il m’a sauvé la vie, Il peut sauver la tienne.

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C’est à cette idée devenue intuition, en quelques heures à peine, que je dois d’être vivant aujourd’hui et de te partager mon histoire. Je viens de faire une expérience de foi : Jésus, Sauveur de ma vie ! Désormais, je choisis donc de vivre. Le combat certes, reste terrible ! En soi, rien ne change, si ce n’est ma décision de vivre ! La vie ! Voilà le cadeau reçu à Noël au terme d’une journée marquée par la mort qui faisait son approche d’heure en heure. À ma décision de mourir succède en quelques dizaines d’heures la décision de vivre. Simultanément, je franchis le pas le plus important du processus de ma guérison : accepter ma maladie. Jusqu’ici, je ne l’ai pas faite mienne, je ne l’ai pas adoptée, je voulais la fuir, ne pas y faire face tant la subir est cruel. Je ne voulais plus la voir. Le meilleur moyen était donc de choisir la mort. Mais tout a changé ! Quittant le bistrot « L’Espérance », je pose un geste symbolique fort. J’ôte de la poche de mon pantalon la lettre d’adieu, conservée jusque-là tel un trésor. J’en fais une boulette et la jette avec détermination dans la poubelle publique du coin de la rue. Le poids de la mort en moins dans mes poches, je me retourne et lance un dernier regard vers cette poubelle : objet de métal sans importance et qui, pourtant, est devenu pour moi plus qu’une poubelle ordinaire. Icône concrète du rebondissement, du basculement, du retournement intérieur. Ce geste, je l’ai posé seul, mais accompagné de ce frère qui m’a aidé à voir clair, sans doute sans s’en rendre compte, en m’écoutant et m’accueillant. 37


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Mon état d’esprit ne peut être mieux décrit à cet instant que par l’unique poème écrit de ma vie, quelques jours plus tard. Poème dédié à ce frère de vie et de maladie. J’écris ce poème sur une carte, telle qu’on les trouve dans une grande surface. Il s’agit d’une carte anniversaire où tout est blanc à l’exception d’un cercle noir, massif, percé d’un petit rond blanc en son centre. « Il y a des amis Qui sont plus que des amis. Toi, mon frère, à qui beaucoup je dis Sache que tu fais partie de ceux-ci. De tels « amis frères » ne sont pas nombreux Mais chacun d’eux est unique et infiniment précieux. Un 24 décembre à dix-huit heures trente Sur l’épaule, une main vient me surprendre. Cette main était comme la main de Dieu Disant : « Pour toi aussi je suis là mon vieux ! » Main de Dieu, main d’un ami, main d’un frère Ensemble nous allions boire un verre. J’ignorais encore que le lendemain Je n’aurais plus le courage de prendre ma vie en main. Soudain, ce 25 décembre, | où tout pourtant devrait être joie Me voilà au sommet de la croix. 38


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Au cœur de cet enfer, c’est encore la présence de Dieu Camouflée par un retour trop tôt de mes deux vieux Qui m’ouvrit les yeux et me dit : Tu dois croire dur comme fer en la vie ! Portant cela trop lourdement sur le cœur Je te l’ai partagé sans peur, À toi l’ami à qui j’écris Ce que tu lis Ce geste symbolique Dans une poubelle publique, C’est toi mon frère Qui m’aida à le faire. Tu es aussi dans la maladie et la détresse Et pourtant tu t’intéresses ! Merci pour l’inestimable présent Celui de ta présence. Cette fichue dépression Dans laquelle nous nous retrouvons, Pour différentes raisons Nous en sortirons. Sache que tu as aussi un frère | sur qui tu pourras toujours compter Même si aujourd’hui je suis dans l’obscurité. »

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Désormais, je décide de la regarder en face, cette maladie de merde. Je suis décidé à lui faire face. Décidé à la subir pour la vaincre. Déterminé à ne pas me laisser entraîner dans la mort où elle veut m’attirer ; ce serait lui donner victoire ! Redoutant de parler au médecin de ma tentative de suicide, je me décide tout de même à le faire. Le médecin doit avoir en mains le maximum de données pour m’aider à vaincre cette maladie, puisque j’ai décidé de la vaincre, de la tuer et de ne plus me laisser tuer par elle. Cela fait beaucoup de rebondissements et d’émotions fortes en deux jours ! Je suis claqué, mais décidé à me battre et à vivre. Pourtant, c’est bien de survie dont il s’agira encore durant plusieurs semaines.


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Vivre demeure un combat

Une bouée dans l’océan : ma décision de vivre. Rien ne change dans ma souffrance tant mentale que physique. Désormais, je mène un combat contre cette maladie qui veut se faire partie de moi-même. Je suis à la fois celui qui a décidé de vivre et celui que tout pousse à vouloir la mort. Décidément, le traitement n’amenuise pas encore l’assaut des idées suicidaires. Ce temps est long, très long et sans répit ! Je dois vivre à chaque instant, tiraillé au plus profond de mon être, l’expérience d’un déchirement intérieur profond, entre le désir de mourir et l’appel à vivre auquel j’ai répondu positivement le 26 décembre. La seule décision de vivre, prise à la sortie de ce café bruxellois, est bien souvent celle qui me fait me coucher vivant au terme d’une journée où vivre est synonyme de cauchemar. C’est un combat de chaque instant. Je sais que je vais résister, que je sortirai vivant de cette crasse qui me colle à la peau, qui envahit l’intérieur même de mon être, mais qui n’est pas moi. Je l’ai décidé ! Lorsque tout est souffrance, la décision est cependant plus forte encore, et je m’y accroche bien plus qu’aux 41


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médicaments dont je ne perçois que peu d’effets positifs à ce jour. Certes, je respecte à la lettre les prescriptions médicales. Mais c’est à ma décision de vivre que je dois d’être aujourd’hui vivant. Cette décision, inséparablement liée à l’acceptation de ma maladie, est le premier médicament dont je perçois les effets positifs. Elle est pour moi la bouée première, dans l’attente des résultats positifs du traitement. Je m’accroche à cette bouée, mais je continue à m’épuiser. Les médicaments sont nécessaires ; ils agiront contre les idées suicidaires, je le sais. Ils seront tel l’hélicoptère qui vient au secours de l’homme, accroché à sa bouée, perdu dans l’océan qui se déchaîne autour de lui. Les minutes, les heures, les jours d’attente sont longs et épuisants. L’homme sait pourtant que l’hélico va arriver car il a eu confirmation de la réception de son signal de détresse. C’est pourquoi, envers et contre tout, il s’accroche à sa bouée. C’est exactement ce que je vis pour l’instant ! C’est aussi mon regard sur la maladie qui change. L’avoir acceptée change tout ! Décidé à la vaincre, je dis tout à mon médecin, sachant que, s’il décide de m’interner, ce sera pour m’aider à tuer cette maladie et me protéger d’un éventuel retour de flamme s’il en perçoit un trop grand danger. Ceci dit, je suis aussi décidé à le persuader de ce que je vis : ma décision de vivre est bien réelle et plus forte que l’océan déchaîné qui m’entoure. A-t-il confiance en ma détermination à vouloir sortir vivant de cet enfer ? Je ne sais pas. Comment pouvais-je savoir ce qu’il pensait à ce moment-là ? Toujours est-il qu’il ne prend pas 42


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de décision d’internement à mon égard. Ce jour-là, je quitte le cabinet médical, respirant la liberté dont je redoutais d’être privé. À un rythme soutenu et régulier, je rencontre le médecin. Il veille, décide de maintenir le traitement, d’ajouter tel antidépresseur, d’augmenter la dose de tel autre : tel le moteur d’une vieille voiture qu’il faut régler régulièrement. Suis-je déjà un vieux moteur à trente-trois ans ? Sans doute que non, mais le moteur, l’être dans sa totalité, nécessite un suivi de près. C’est ainsi. Je l’accepte. Le plus frustrant est de ne pas encore voir les effets attendus des antidépresseurs. Et ça, c’est épuisant ! Parfois même décourageant ! Durant les jours qui suivirent ma décision de vivre, je rencontre une personne qui me connaît bien, et qui est une personne de référence, de bon conseil, oseraisje dire de sagesse. Jamais je n’oublierai la parole de lucidité et d’encouragement reçue de sa part : « Au fond, tu as redécouvert ta vocation première : celle d’être un vivant, de vivre. C’est la vocation première de tout être humain. » Cette parole était significative pour moi qui avais fait le choix de répondre à la vocation de prêtre. C’est vrai, c’est là que j’en suis ; appelé à redécouvrir que je suis un homme dont la mission est d’abord de vivre, avant d’être prêtre. Cette personne aura aussi, à ce moment-là, une parole de confiance qui m’accompagnera tout au long de mon combat et de ma convalescence : « Aujourd’hui, le vase de ta vie est détruit en mille morceaux, mais il y a à nouveau cette petite veilleuse qui est ta décision de vivre. 43


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Un jour, ces morceaux de verre se remettront ensemble, portés par la vie, et ils formeront un vase nouveau, différent de l’ancien, mais il sera encore plus beau. » Merci à toi pour ces paroles qui m’ont porté, transporté, accompagné lorsque l’angoisse et le doute m’envahissaient durant les longs mois qui suivirent. Ce type de parole me fait du bien, m’aide à croire que ma décision de vivre n’est pas stupide et qu’elle a un sens en elle-même, quand bien même aujourd’hui je ne vois plus rien de l’avenir de ma vie. Je redécouvre ainsi ma vocation à vivre. C’est aussi la tienne puisque c’est celle de tout être humain. Pour toi aussi viendra un jour où les débris de ta vie actuelle, de ton être actuel, se rassembleront pour former un vase nouveau, encore plus beau ! Même si aujourd’hui tu n’y crois pas et ne vois pas comment cela serait possible. Laisse-moi y croire pour toi, comme ce sage rencontré sur ma route y a cru pour moi. Aujourd’hui, je peux te dire qu’il ne s’est pas trompé ! C’est la maladie qui t’empêche d’y croire, comme ce fut mon cas. Mais toi, comme moi, tu n’es pas la maladie, tu en es atteint. C’est toute la différence ! C’est lorsque je me suis identifié à la maladie que j’ai décidé de mourir. C’est lorsque je m’en suis reconnu atteint que j’ai décidé de vivre ! Je ne suis pas la maladie. Elle me ronge, m’étouffe par moments, me paralyse, car elle m’essouffle. Mais je ne suis pas elle. Je lui fais face, mais elle est en moi. En moi, mais pas moi ! 44


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À ce stade, en moi, elle veut la mort, mais moi je veux la vie. Elle veut la mort, car elle rend la vie aux limites du supportable. Mal dans la poitrine. Sensation d’étouffement, car impossibilité de respirer à pleins poumons, des heures durant. Troubles de l’équilibre. Tremblement des bras et des mains. Digestion difficile, voire impossible. Perte de poids significative. Perte totale de l’appétit en tout genre. Coupure des relations sociales. Plus la moindre ambition. L’idée de devoir manger me torture. Incapacité à supporter le bruit. M’arracher au fauteuil pour me rendre au coin du feu est un effort. Tout est lourd, et pourtant je ne peux pas dire que je sois fatigué de trop faire puisque je ne fais rien, apparemment rien. Serait-ce l’overdose de tout, en si minime quantité que ce soit ? Peut-être ? Oui, cette maladie veut ma mort, mais elle ne l’aura pas. Même si, certains jours, vivre et survivre sont synonymes. Heureusement, je ne suis pas tous les jours atteint de l’ensemble de ces maux. Le plus dur est lorsque plusieurs d’entre eux se combinent, et c’est fréquent. Mes parents se renseignent-ils de leur côté pour savoir comment réagir le plus adéquatement possible visà-vis de moi ? Je ne le sais pas, et je ne le leur ai jamais demandé. Ils ont certainement dû lire la brochure de vulgarisation reçue du médecin le jour du diagnostic. Toujours est-il qu’ils ont la bienséance de ne pas vouloir me forcer à faire ceci ou cela, de ne pas me lancer des phrases du type : « Allez ! secoue-toi un peu, tu ne peux tout de même pas rester à ne rien faire. »

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C’est le type de phrase que je ne pouvais absolument pas entendre à ce moment-là, et j’ai eu la chance de ne pas l’entendre à la maison, du moins durant les trois premiers mois qui furent les plus critiques. Bien sûr, l’entourage doit se poser des questions. Pour lui, le dépressif est oisif et ne fait rien. Quoi de plus normal de penser cela de moi lorsque je suis affalé dans un fauteuil du matin au soir, et dans mon lit du soir au matin ? Derrière cette oisiveté apparente se cachait la lutte la plus dure que je n’aie vécue jusqu’ici : la lutte pour vivre. Cela, mon entourage ne peut pas le percevoir, et je le comprends. J’étais déjà sans énergie lorsque j’ai décidé de vivre. Les semaines qui suivirent m’ont vu puiser dans les réserves de mon être pour mener cette lutte. Mes parents semblent s’inquiéter de mon amaigrissement, eux qui m’ont toujours vu plutôt bien portant. J’ai peut-être dû trop avaler dans le passé ! Aujourd’hui, je ne suis plus capable d’avaler quoi que ce soit. Chaque soir je m’endors vivant et, pour l’instant, c’est là que se trouve ma victoire quotidienne sur la maladie.

Un livre, un témoin, une espérance Décidant un jour de me rendre dans une grande surface, je me dirige vers le rayon librairie. Mon regard est comme aspiré par la couverture d’un livre sombre au titre accrocheur : Tomber sept fois, se relever huit, de Philippe Labro. 46


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Je saisis ce livre. Sans savoir de quoi il traite, je l’ouvre au hasard. Je lis une ligne, puis deux, trois, cinq, dix. Je dévore pour ainsi dire environ trois pages de ce livre. Je suis habité par le sentiment étrange de connaître et comprendre ce qui s’y raconte. Il parle de la « broyeuse ». C’est vrai que je suis broyé de l’intérieur. Je vis quelque chose de similaire à ce que cet homme partage. La jaquette du livre m’apprend que Philippe Labro y raconte l’expérience de sa traversée de la dépression nerveuse, pour montrer qu’on peut en sortir, comme lui-même en est sorti. Moi qui veux vivre, mais ne sais pas comment, j’ai à ce moment-là l’intime conviction que ce livre peut m’y aider. Sans hésitation, je le referme et l’emporte tel un trésor. Sortir vivant de la dépression ! C’est précisément ce que je veux, ce que j’ai décidé. Les jours suivants, je lis ce livre à petites doses tant la fatigue de lecture est grande. Je vis le sentiment étrange de me sentir bien, compris, rejoint, lorsque je le lis. Il m’arrive de pleurer en lisant, mais cela fait du bien. Son témoignage me rend confiance lui aussi et me fait croire encore davantage à l’issue de ma maladie alors que tout est encore brouillard et souffrance. Le titre de ce livre me fait beaucoup réfléchir. Tomber sept fois, se relever huit ! « Voilà le secret de la vie », me dis-je. Qu’importe le nombre de fois que l’on tombe, l’essentiel est de toujours se remettre debout pour être vivant. Je suis sérieusement tombé le 25 décembre et j’ai tendance à me culpabiliser, alors que l’essentiel est 47


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d’être une nouvelle fois debout et vivant aujourd’hui. Le titre de cet ouvrage est tout un programme pour moi, et je me laisse interpeller par lui tout au long de la maladie et de la convalescence. Il me pousse toujours à me relever pour aller de l’avant, même quand l’horizon est bouché, ce qui est très souvent le cas à ce moment-ci de la maladie. Mes parents, sans doute inconscients du combat qui est le mien contre les idées noires en ce moment, décident de partir trois jours chez des amis. Ils en ont sans doute bien besoin. Bien sûr, ils ne savent pas ce que j’ai vécu le 25 décembre, à peine une semaine plus tôt. Sans doute ne m’auraient-ils pas laissé seul s’ils avaient su. Mais ils ne savent pas ! Ainsi va la vie ! Je suis terriblement angoissé. La perspective de rester trois jours seul est effrayante. L’estomac est encore plus noué qu’à l’ordinaire, et pourtant je n’ai pas voulu leur montrer cette angoisse extrême. Je sais qu’ils tiennent à ce petit séjour. Après tout, il est vrai qu’ils me voient prendre en main de temps en temps le livre de Philippe Labro. Peut-être se disent-ils que je vais mieux. En réalité, je ne vais pas mieux, le combat demeure intense. Une phrase habite mon esprit lorsque je les embrasse : « Je reverrai mes parents parce que je l’ai décidé. » Le bruit de la porte qui claque me semble sinistre. Je suis seul, livré à ma décision de vivre et aux sévices de la maladie. Je me dirige vers la fenêtre, je les vois de dos se diriger vers la voiture. Je me dis alors, une fois encore, comme pour m’en convaincre : « Je reverrai mes 48


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parents parce que je l’ai décidé ; je serai vivant à leur retour. » Le lendemain soir, ma sœur et mon beau-frère, me sachant seul, m’invitent à passer la soirée chez eux. C’est bon pour moi, mais il s’agit d’une épreuve terrible, à cause du bruit. À table, les discussions d’une famille nombreuse se réunissant pour le repas familial vont bon train et c’est normal. Pour moi, c’est de trop. Je souffre et n’en dis rien. Le bruit est insoutenable ! Il est pourtant normal qu’il y ait de l’animation dans une famille avec trois enfants. Ils sont normaux ; je suis malade. À la maison, je suis protégé du bruit. À l’extérieur, c’est beaucoup plus difficile de ce côté-là. Je rentre épuisé et m’endors sur une nouvelle victoire : la vie !

Le temps de l’attente et de la persévérance Depuis de nombreuses années, j’ai l’habitude, plus ou moins régulière, de prendre des notes et tenir un journal de ce que je vis. Cette habitude est redevenue quotidienne quelques jours après mon retour à la maison. Je prends soin, chaque soir avant de m’endormir, d’ouvrir le grand agenda 2004 intitulé Réussir. J’y note à la page du jour ce que j’ai vécu et comment je l’ai vécu. Je note ce que je ressens comme douleurs, angoisses, stress, etc. Je note tout ce que mon être, corps, cœur et esprit, me dit de noter à son sujet. Chaque page commence par une appréciation de la nuit dernière et se poursuit par le reste. C’est presque un besoin d’écrire quotidiennement. Écrire chaque soir, 49


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c’est aussi prendre un recul, une distance par rapport à ma maladie. Cela m’évite, sans doute, de retomber dans le piège de me confondre avec elle. Je me pose ainsi chaque soir en « je » pour parler, plus exactement écrire, « d’elle » en ma vie, en mon être. C’est au départ de ces notes que j’ai voulu réaliser le témoignage que tu lis. Un témoignage de vie et de confiance absolue en celle-ci. Après quelques semaines, les effets secondaires des médicaments se sont faits plus discrets. Le corps s’habitue sans doute à ces agressions médicales nécessaires. Cependant, il faut adapter encore le traitement et, pour la première fois, on va baisser la dose d’anxiolytiques. Chaque modification nécessaire du traitement entraîne un nouvel équilibre à trouver et de nouveaux effets, temporaires, pas toujours agréables. Visiblement, c’est bien l’anxiolytique qui me faisait dormir jusqu’ici. Depuis qu’il est diminué, les nuits sont beaucoup moins bonnes. Sans doute ne faut-il pas trop s’accoutumer à ce médicament-là, même si la diminution est compensée par la prise d’un nouvel antidépresseur qui doit avoir un effet apaisant aidant à dormir. Certes, il aura cet effet, mais pas tout de suite. Il m’arrive d’être rongé de l’intérieur et de vivre chaque petite respiration comme un acte de survie, luttant contre la sensation d’étouffer. C’est ce mal-là qui m’angoisse le plus lorsqu’il se présente. Il me fait peur et m’effraie.

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Aujourd’hui, c’est un jour moyen et je rencontre quelqu’un à Bruxelles. Avant cela, je gare la voiture et fais un tour à la cathédrale. Tout à coup, à l’intérieur, je me sens mal. La respiration est subitement difficile, les tremblements s’accentuent, je transpire. Pourquoi ? Pourquoi ? Je décide de sortir et une nouvelle épreuve m’attend à l’extérieur : la perte de tout repère géographique. Cela dure un bon quart d’heure. Je ne vois plus où je suis. Une nouvelle et forte angoisse s’empare de moi. Je suis perdu. Je n’ai plus aucune idée d’où j’ai garé la voiture. Je la retrouverai cependant, presque par hasard. Le trajet que j’ai à faire pour rejoindre la personne qui m’attend est simple. Pourtant, je suis perdu, profondément perdu. Comme un con, je dois prendre mon plan de Bruxelles et le suivre comme si je me déplaçais au Japon ! Cette ville m’est devenue inconnue : sentiment très étrange. Les rues traversées ne me disent rien et pourtant, presque arrivé à destination, cette réalité étrange d’être perdu dans une ville que je connais, s’évanouit aussi brusquement qu’elle m’est apparue. Plus besoin du plan pour la fin du trajet. Est-ce un nouvel effet secondaire lié aux médicaments ou bien un effet de la maladie non encore rencontré jusqu’aujourd’hui ? Je ne sais pas. Cette perte complète de repères géographiques se reproduira à deux ou trois reprises, sans plus. Depuis la diminution de l’anxiolytique et les nuits moins bonnes, le découragement regagne petit à petit du terrain.

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Aujourd’hui plus qu’hier, je dois m’accrocher à la décision de vivre. Il s’agit de mon seul ressort. Ce soir, ce ressort existe encore, mais il est à plat ; je me couche en pleurant, avec le sentiment profond d’être perdu, noyé ! Je ne sais pas si c’est ce découragement qui me fait parler à mes parents de ce qui s’est passé le 25 décembre. Toujours est-il que nous sommes le 9 janvier, et, lors du repas de midi, je leur raconte ma décision de mourir le jour de Noël. Ils savent aussi que je leur en ai terriblement voulu d’être rentrés plus tôt que d’habitude ce jour-là. Je leur partage aussi ma décision prise le lendemain de Noël : sortir vivant de la maladie. Je suis soulagé d’avoir pu leur parler ouvertement. Ils m’ont écouté. Ce « non-dit » devenait sans doute trop pesant pour moi. Il me fallait être en vérité avec mes parents, quand bien même cette vérité devait être cruelle à entendre pour eux. Accepter de voir en face la dureté de la vie sans la masquer ! Peut-être est-ce aussi cela qui m’a poussé à en parler ? Les jours et les semaines s’additionnent et c’est toujours le même combat pour vivre et le même constat : plus de goût pour quoi que ce soit. Cela devient long, beaucoup trop long ! Il m’arrive de m’interroger au sujet de mon médecin. S’il devait se sentir dépassé par ma situation, aurait-il le réflexe de m’orienter vers une personne plus spécialisée dans la pathologie dont je souffre ? Je l’espère ! En tout cas, il me connaît depuis longtemps et j’ai con52


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fiance en lui. N’empêche que cette question me traverse l’esprit. Le temps devient long, m’a-t-il donné le bon traitement ? Cela fait tout de même vingt-quatre jours que je suis soigné ! Une vie de souffrance, et qui plus est, ne goûter à rien de la vie, est mon épreuve quotidienne jusqu’à ce jour. Peut-être est-ce aussi la tienne ! Accroche-toi, l’hélico de secours va arriver. Les médicaments produiront leurs effets attendus, comme ils finiront par les produire chez moi dans quelques jours.

Un objectif quotidien, si minime soit-il ! Mon médecin me pousse en avant. Il m’encourage à me fixer un petit objectif quotidien, selon mes forces. Je dois m’arracher au moins une fois par jour de mon fauteuil, pour une petite promenade, pour faire une course ou pour passer un bout de soirée chez des amis. Je m’efforce ainsi, petit à petit, à reprendre contact avec certains amis, peu nombreux, mais chez qui je peux être pleinement moi-même. Il m’arrive d’annuler certaines de ces rencontres, tant j’angoisse au moment de partir. Ces annulations de dernière minute sont des échecs. C’est plus fort que moi, je dois l’accepter. Ces amis sont précieux. Chez eux, je peux laisser libre cours à mes larmes, rester muet, ne pas être gêné de mes tremblements ni des pilules qu’il me faut avaler pendant le repas. C’est d’ailleurs deux d’entre eux qui m’ont offert un pilulier bien pratique qui m’accompagne dans tous mes déplacements. 53


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Un soir, je me rends chez cette amie comme c’était prévu, mais je ne suis pas capable de parler. C’est une soirée muette ! Je suis là, sans y être. Sans la moindre parole, le regard perdu. Chez de tels amis, j’ose être moi, sans devoir jouer un rôle. Cela ne doit pas être facile pour eux de m’accueillir ainsi, mais ils le font. À vingt-deux heures, c’est chaque soir le même rituel : celui des gouttes d’anxiolytique qui m’aident à dormir. On les a diminuées, mais pas encore supprimées. Je respecte scrupuleusement cette heure, aussi quand je suis à l’extérieur, je dois quitter au plus tard vers vingt et une heures trente, car pas question de conduire après avoir pris ces gouttes. Conduire est déjà suffisamment risqué. Je dois redoubler d’attention et je redoute parfois de prendre la voiture. Moi qui ai toujours aimé conduire, même cela, je le redoute aujourd’hui ! Un des amis que je rencontre le plus régulièrement a ceci de particulier qu’il est lui-même atteint de dépression. Peu de temps avant moi, la maladie l’envahissait, lui aussi. Plus qu’un ami, il devient un frère. Frère de maladie. Frère d’humanité. Lui peut comprendre ce que je vis et il m’est possible de comprendre ce qu’il vit. Régulièrement, nous faisons quelques pas ensemble, nous allons boire un verre, nous partageons au sujet de nos douleurs physiques, comme pour nous rassurer mutuellement. Nous nous épaulons. Tantôt l’un tire l’autre, tantôt l’autre tire l’un. Ce frère est un cadeau dans ma vie car, étrangement, je ne me sens pas seul à vivre ce que je vis en ce moment. Cela revêt un aspect rassurant : je ne suis pas seul dans l’océan déchaîné. 54


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Voilà donc un changement important : tous les jours, ou presque, je réalise une petite activité. Vivre demeure cependant un combat. Les idées noires sont encore bien présentes.

Une nouvelle dimension au traitement Le 15 janvier, lors de mon rendez-vous médical, mon médecin traitant semble satisfait de l’évolution et m’encourage : « Tu n’es plus le même qu’il y a un mois, il y a en toi des forces neuves, même si tu ne t’en rends pas compte. » Il est vrai que je ne m’en rends pas vraiment compte ! Fort de ces forces neuves qu’il décèle en moi mieux que moi-même, il m’invite à prendre contact avec un neuropsychiatre. La dose des antidépresseurs est également revue à la hausse. On me dit que j’ai des forces neuves en moi et, en même temps, on augmente les antidépresseurs. C’est curieux, bizarre ! Certes, je ne suis pas médecin. Le mot « neuropsychiatre » me fait peur et, pourtant, je suis en même temps rassuré, car je me demandais s’il viendrait un temps où je serais orienté vers un médecin spécialisé dans la pathologie dont je souffre. Visiblement, le temps est venu. Par rapport à cela, je développe un sentiment étrange : celui d’être rassuré tout en étant stressé, inquiet. Heureux et angoissé à l’idée de rencontrer ce nouveau médecin totalement inconnu, à qui il va falloir tout raconter pour

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qu’il comprenne qui je suis et puisse m’aider selon son savoir. Désormais, ils sont deux à me soigner. Ils le resteront jusqu’à la fin de la convalescence : le spécialiste n’effaçant pas le rôle du généraliste. Ils ont une mission complémentaire dans les soins qu’ils m’apportent, et travaillent pour ainsi dire ensemble. J’ai le temps de me préparer à cette rencontre avec le neuropsychiatre, car trois semaines sont nécessaires pour obtenir un rendez-vous. Pour prendre ce rendez-vous, il a fallu téléphoner. Chose pas simple. J’aurais préféré que le médecin le fasse lui-même. Mais non, c’est moi qui dois prendre ce rendez-vous. C’est moi qui veux sortir de cette maladie. C’est moi qui dois me prendre en mains. Le message est clair, mais pas facile à entendre ! Il me faut plusieurs jours avant que je décide de l’appeler. Le jour venu, je tourne en rond durant trois quarts d’heure, téléphone en main, avant de me décider à composer le numéro. C’est un tournant dans le traitement. Il est difficile de l’amorcer. Pourtant, quelque chose au fond de mon être me dit que cette nouvelle étape est nécessaire. Aujourd’hui, le rendez-vous est pris et je désangoisse. On verra bien, lors de la consultation dans trois semaines ! Ce coup de fil était l’objectif pour aujourd’hui. Il est atteint, mais il m’a pompé beaucoup d’énergie. Cela promet pour le jour du rendez-vous ! Mais « à chaque jour suffit sa peine ». Il s’agit là d’une citation de l’Évangile qui m’habite souvent lorsque j’angoisse pour telle ou telle chose dans le futur.


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Les prémices du printemps

Après plusieurs semaines de lutte au cœur de l’océan déchaîné, lorsque la tempête se calme, cela fait du bien. Telle est ma situation après cinq semaines de traitement. Certes, les maux physiques sont toujours bien présents. Je ne digère toujours rien. Je n’ai aucun appétit. Les sensations de nausées, fréquentes, me dérangent. Il m’arrive d’avoir mal dans le dos, le bas du dos. Les nuits demeurent très irrégulières, elles passent de bonnes à mauvaises, sans raison apparente. La respiration n’est pas toujours facile. Bref, c’est le ronron devenu quotidien, auquel je m’habitue difficilement. Il y a cependant des changements révélateurs de l’action positive des antidépresseurs. À table, lors d’une soirée chez des amis, me voilà surpris en flagrant délit de rire. Pleurer des larmes de rire ! Voilà des semaines, des mois que cela ne m’était plus arrivé. Rire est quelque chose de neuf qui, depuis des mois, était devenu étranger à ma vie. Serait-ce le premier signe positif tant attendu depuis si longtemps ? Les médicaments sont-ils donc ceux qui me conviennent ? Sans doute ! Aujourd’hui, je le crois davantage. 57


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Mon médecin avait donc raison, il y a quelques jours, lorsqu’il m’annonçait que j’avais, depuis un mois, acquis des forces neuves que je ne voyais peut-être pas encore. Non seulement il m’arrive de rire, mais je ne pleure plus ! Les crises de pleurs semblent disparaître. Par ailleurs, je réfléchis beaucoup à mon avenir. Je me vois de moins en moins prêtre. Lorsque je me projette dans le futur, je m’imagine davantage instituteur primaire, enseignant les rudiments de lecture, d’écriture et de calcul, dont tout être humain a besoin dans sa vie. Le contact avec l’enseignement primaire, je l’ai eu dans le passé lorsque, prêtre en paroisse, il m’arrivait régulièrement de passer dans les classes pour donner un cours occasionnel, pour assister le professeur de religion, ou tout simplement pour assurer une animation chrétienne au sein de l’école lors des moments forts de l’année. De six à douze ans, quels âges fabuleux ! L’enfant est réceptif. Il ne se pose pas encore en rebelle comme il le sera plus tard, lors de l’adolescence. Oui, je me vois bien instituteur à l’avenir. Penser au futur, à ce que pourrait être ma vie après la maladie, est aussi une nouveauté. Quel pas en avant ! Mais le plus beau, le plus réconfortant et le plus encourageant se trouve ailleurs. Les pulsions de mort m’assaillent nettement moins même si, chose étrange, il m’arrive de penser à des personnes, que je connais très bien, en les voyant mortes ! C’est neuf et désagréable comme sensation. Heureusement, cela ne durera pas plus de quelques jours. Il est

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très inconfortable de voir, mortes, des personnes qui sont vivantes ! Décidément, cette crasse de maladie dérègle tout. Aucune partie de mon être ne semble y avoir échappé. Bien sûr, elle n’est pas moi, je ne suis pas elle, mais elle m’a tout de même envahi sérieusement. C’est, en effet, au cours de cette sixième semaine de traitement que, de jour en jour, les idées suicidaires s’estompent de façon sensible et finalement définitive. Vivre, tout en demeurant un combat contre les maux physiques en tous genres, est de ce fait, devenu beaucoup moins lourd. Les maux de tête, quant à eux, se font moins présents. Il m’arrive de regarder, certains jours, une partie du Journal Télévisé. Je parviens aussi à marcher un quart d’heure, vingt minutes. Toutes ces nouveautés sont autant de succès et d’encouragements. Je le fais aujourd’hui, je ne le faisais pas hier ! Aujourd’hui, je pense à l’avenir ; hier, non ! Mais, par-dessus tout, le signe annonciateur du printemps nouveau est la disparition des pulsions de mort exprimées en idées suicidaires. C’est la fin d’une dichotomie cruelle ! Enfin, l’harmonisation se réalise entre mes pulsions les plus profondes et ma décision de vivre prise le 26 décembre. Cette harmonie signe la fin du combat le plus intense qu’il m’aura fallu mener durant la maladie. Le combat pour reprendre pied dans la vie est encore long et difficile, mais l’étape de la survie semble être fran-

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chie. Du moins tel est mon espoir : ne plus jamais revivre ces six semaines ! J’ai donné jusqu’à mes dernières énergies dans cette lutte pour vivre. J’en sors vivant, mais affaibli, épuisé, amaigri. Quinze kilos se sont envolés en six semaines ! Je perdrai encore six kilos, mais en plusieurs mois. Pour l’anecdote, je demandais certainement une fois par semaine, à mon père, de faire un trou supplémentaire dans ma ceinture. J’ai épuisé mes réserves. Heureusement j’en avais un peu, sinon où aurais-je été puiser l’énergie qu’il m’a fallu durant ces semaines ? C’est ainsi qu’un jour, pourquoi celui-là plutôt qu’un autre, le traitement commence à montrer son effet. Si tu ne vois pas encore l’effet de ton traitement, et que tu es dans cette période délicate de survie, accrochetoi ! Fabrique-toi une bouée. Pourquoi pas la même que celle que je me suis fabriquée jadis : décider de vivre, envers et contre tout ! Cette bouée est efficace, sinon je ne serais pas là pour témoigner qu’il est possible de sortir, vivant et heureux, de la dépression. Pour toi aussi, le jour viendra où le traitement te donnera du répit dans ta lutte. Peut-être est-ce demain, peut-être est-ce dans deux semaines, qui sait ? Je sais juste que ce jour existe. Je l’ai rencontré après six semaines de traitement ! Essaie durant ce temps long, trop long, de ne pas lâcher la bouée qui te retient à la vie. Et si tu n’as pas de bouée, peut-être te sens-tu rejoint par ce livre ? Si tel est le cas, prends-le comme bouée, comme compagnon de ta traversée de l’enfer que tu vis. 60


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N’aie pas peur d’interroger ton médecin si tu doutes de l’efficacité du traitement. Écoute ce qu’il te dit de l’évolution qu’il perçoit de ta maladie, même si toi tu ne la perçois pas. Peut-être n’as-tu plus d’énergie pour faire quoi que ce soit ? J’ai connu cela. Mais j’ai cette confiance qu’il te reste, aidé par les médicaments, l’énergie nécessaire et insoupçonnée de ta part, pour te poser en acteur de vie face à la maladie, plutôt que de la subir passivement. Je ne te fais pas la morale, loin de là ! Qui suis-je pour cela ? Moi qui ai décidé de mourir un 25 décembre, moi qui ai été spectateur de la maladie avant d’être acteur de vie face à elle ! Non, je ne donne ici aucune leçon. Au contraire, je comprends bien mieux qu’auparavant la terrible question du suicide, et jamais je ne m’autoriserai le moindre jugement. Mais c’est mon cœur qui te parle. Tellement heureux d’être sorti vivant de cette cochonnerie, j’aimerais tant que tu décides, comme je l’ai fait jadis, de vouloir t’endormir chaque soir sur la victoire quotidienne de la vie. Je ne te connais pas, je ne sais pas ce qui t’a plongé dans la dépression. Sache que, quel que soit ton choix, je te respecte. Je te partage simplement ce que fut le mien, auquel je ne résiste pas à l’envie de t’inviter. Il ne fut pas facile, mais aujourd’hui je peux t’assurer qu’il en valait la peine. Homme de foi, je suis accompagné spirituellement. C’est une dimension très importante pour moi. À un titre différent, mais complémentaire, je crois que cela m’aide. 61


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Je suis, pour ainsi dire, soigné par trois personnes. Ces trois accompagnements se respectent l’un l’autre. Il s’agit du médecin généraliste, du neuropsychiatre et de l’accompagnateur spirituel. Les différentes couches de mon être sont ainsi accompagnées dans la prise en charge de la maladie. Dans ma traversée de la dépression, j’ai pu expérimenter que la médecine n’évacue pas la foi, de même que la foi n’évacue pas la médecine. Ils furent deux piliers fondamentaux de mon rétablissement. Bien évidemment, il ne faut pas être croyant pour sortir vivant d’une dépression. Mais, dans mon cas personnel, cela m’a aidé.


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Fortifier mon corps Les batteries corporelles, sérieusement entamées, doivent être rechargées. Il convient donc d’envisager une cure de vitamines. J’ai le souvenir de gélules de grande taille, bicolores, difficiles à ingurgiter. Avec cette cure, je découvre que les vitamines, elles aussi, sont lourdes à digérer ! Chaque matin, la même épreuve : après l’administration de ces gélules, des nausées, parfois à la limite du supportable, m’indisposent des heures durant. Cependant, je résiste et suis conscient de l’importance et de la nécessité de cette cure. De même qu’une voiture ne démarre pas si sa batterie n’est pas chargée, de même je ne redémarrerai pas dans la vie si les batteries de mon corps demeurent plates ! Nous sommes le 29 janvier et mon certificat de maladie est prolongé d’un mois. Dans l’ensemble, ma vie est moins lourde à porter. Pourtant, je souffre encore régulièrement de maux de tête, comme si ma boîte crânienne allait exploser. Les autres maux n’ont pas non plus disparu. En outre, je n’ai toujours aucun appétit et la digestion demeure médiocre. 63


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La fortification de mon être prendra encore beaucoup de temps, mais le mouvement est entamé ; là se trouve l’essentiel, l’annonce du printemps !

Accepter mes limites Désormais, un véritable parcours de sagesse s’impose à moi : accepter mes limites ! À trente-trois ans, être ainsi limité est pour moi une lourde épreuve. Mais je n’en ai pas le choix ! Épreuve d’autant plus grande que, sentant la vie revenir petit à petit en moi, je suis habité par le désir d’en faire plus que ce que mon corps peut supporter, assumer. Difficile de se sentir vieux avant l’âge. Cependant, il n’y a pas d’alternative ! Je découvre mon propre corps comme un adversaire redoutable. Afin de bien mener le combat avec lui, il me faut apprendre à l’écouter, le prendre au sérieux et le respecter. C’est fondamental et cette cochonnerie de dépression m’apprend cela. D’ailleurs, quand il m’arrive de ne pas être à l’écoute de mon corps et de forcer, je le paie quasi instantanément. Je maintiens l’importance de me fixer un objectif quotidien. Quand il s’agit de rencontrer des amis, c’est souvent en soirée car, pour la plupart, ils sont actifs, professionnellement parlant. Moi qui, avant la maladie, étais couche-tard, voilà que systématiquement, à vingt et une heures trente, j’annonce mon départ. J’ose leur dire qu’étant claqué, il faut que j’y aille. Je ne suis plus le Jean-Marc d’avant, je dois en faire 64


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le deuil, c’est dur, très dur ! Le redeviendrais-je seulement un jour ? Je n’en sais rien. Mes amis doivent l’accepter et je dois l’accepter. Chemin très difficile. Je me découvre à ce point limité, alors que je devrais être en pleine force de l’âge ! Il m’arrive d’utiliser les médicaments comme excuse de départ lorsque je n’ose pas dire ma fatigue aux autres, parce que je l’accepte difficilement moi-même. Merci à vous, mes amis, d’avoir accepté ces limites de mon être, mieux que moi-même je n’étais capable de les accepter. Durant cette maladie, une amitié privilégiée est née avec un couple. Je ne peux que dire merci pour ce couple que je compte aujourd’hui parmi ceux qui, dans ma vie, se regroupent sur les doigts des mains. Tant elle que lui, chacun à leur manière, font preuve d’attention, de présence, de respect, d’acceptation de mes humeurs changeantes, de mes distances. Tantôt je suis celui qui pleure, tantôt celui qui rit. Certes, bon nombre de mes amis acceptent ces variations de mon être ; mais chez ce couple, il y a quelque chose d’un autre ordre qui s’installe petit à petit. Il n’est pas facile de recevoir chez soi un dépressif, de passer une soirée avec quelqu’un qui va se mettre à pleurer, qui va rester muet, qui va ne parler que de lui. Et c’est vrai, je passe des soirées complètes à parler de moi, de ce que je vis, de mes douleurs, de mes angoisses. Si bien qu’en rentrant, je réalise bien souvent que je ne sais rien d’eux, de ce qu’ils vivent. Je ne me suis pas intéressé à leur vie et j’en ai honte ! Et pourtant, je sais que ce n’est pas moi, c’est la maladie qui me fait être ainsi. 65


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Merci à tous ceux qui m’ont accueilli et respecté dans ma souffrance, dans mes limites. C’est vous qui m’avez aidé à accepter mes limites en les acceptant vous-mêmes. Je suis toujours installé chez mes parents. La situation ne doit pas être facile pour eux. Ils ne me le disent pas ; mais, de temps en temps, un mot, une attitude trahissent cette difficulté de gérer leur fils dépressif à la maison. C’est ainsi qu’un jour, lorsque maman annonce que l’on va manger des crêpes, presque instantanément je m’exclame : « Oh non ! » Voilà qu’elle me réplique aussi vite : « C’est là que ça se passe ! », en montrant la tête. Inutile de dire que j’ai très mal vécu cette remarque. « Sais-tu ce que signifie ne pas digérer ? » lui ai-je répondu. Et la conversation en est restée là. Il y a des remarques qui font mal. C’est comme cela, je dois les accepter. Ils font ce qu’ils peuvent et ils le font assez bien d’ailleurs. Je ne peux pas forcer quelqu’un qui n’a pas vécu la dépression, à comprendre ce que je vis. Lors de telles souffrances, je me réfugie dans le livre de Labro ou je prends contact avec mon « frère » de maladie. Eux me comprennent. Tous trois, Labro, mon « frère » et moi, nous vivons ou avons vécu la même maladie. C’est un soutien inestimable.

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« Projeter » un avenir Nous sommes en février et les grandes questions d’avenir me travaillent avec plus d’insistance. Lorsque je me projette, il m’est de plus en plus difficile d’envisager sereinement pouvoir sortir de la dépression et rester prêtre. Finalement, c’est ce chemin-là, ce choix de vie là qui m’a conduit sournoisement à la maladie, à la mort. Même si, pour moi, être devenu prêtre n’était pas une erreur. Cependant, la manière dont j’ai été considéré sur ce chemin-là par bon nombre de supérieurs auxquels j’ai eu affaire, m’a conduit là où j’en suis aujourd’hui. Leurs manques d’écoute, d’humanité, de respect, de correction m’ont tué ! Ce fut une désillusion complète pour moi. Un tel choc avec la réalité ecclésiale que jamais je n’aurais pu l’imaginer. Ce choc anéantissant totalement mon être. Je n’y étais pas préparé. Je n’étais pas armé pour y faire face. Dès la mi-février, je suis habité d’une intuition : décider de poursuivre ou non la prêtrise sera une étape importante dans mon processus de guérison. Je ne vois pas encore clair à ce sujet pour l’instant, mais l’intuition selon laquelle il est nécessaire de clarifier cette question pour sortir de la dépression est en moi. Il ne s’agit pas d’attendre la sortie de la dépression pour décider ! La décision sera étape de la sortie de la maladie ; c’est tout le contraire ! Je suis un homme d’intuition. On ne me l’enlèvera pas ! Visiblement je retrouve aussi du caractère ! 67


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Cependant, la question n’est pas simple, car être prêtre c’est bien plus qu’une profession, il s’agit d’un état de vie. Par ailleurs, je ne considère pas que ce fut une erreur d’être devenu prêtre. La vocation, je crois l’avoir eue réellement, mais elle a été détruite totalement jusqu’en ses racines. C’est du moins ce que je ressens, ce que je vis aujourd’hui. Si j’estime que la tour de contrôle et certains de mes supérieurs locaux ont contribué de façon significative à ce qui est arrivé, de mon côté, peut-être n’ai-je pas fait tout ce qu’il fallait pour éviter cette débâcle. En quoi alors aurais-je été négligent ? Sans doute ai-je aussi ma part de responsabilité dans le « crash » qui est arrivé. J’ai peut-être pris trop à cœur de vouloir être entendu par certains hommes insensibles, peu portés à comprendre en vérité ma situation. Je chiffre ma part de responsabilité à un faible pourcentage, pas davantage. La question de mon avenir me hante jusque dans mes rêves, dont on dit souvent qu’ils expriment ce qui se vit inconsciemment. Par ailleurs, l’étincelle sacerdotale s’amenuise de plus en plus. Par contre, je me vois de plus en plus dans la peau d’un instituteur. C’est ce métier, dans l’enseignement fondamental, qui revient sans cesse à l’avant-plan lorsque j’envisage un avenir professionnel possible. Ce discernement est crucial et difficile. Je sais que je dois y faire face et cheminer pour trouver la réponse, car cette réponse fera partie de ma guérison. Elle en sera une étape ! 68


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Si difficile que soit cette question, elle a néanmoins le mérite d’exister. Voilà en effet que je me pose en acteur, non seulement face à la maladie en ayant décidé de la vaincre, mais encore face à « l’après-maladie ». Le temps est donc venu d’envisager sérieusement la forme que prendra le nouveau vase de ma vie au-delà de la dépression. Désormais, le traitement, ou le stade d’évolution de la maladie, me fait pleinement entrevoir les questions d’avenir. Si ma première victoire sur la maladie était d’être vivant chaque soir, ma deuxième victoire est d’envisager un « après-maladie » et de m’interroger à ce sujet. Je remercie le neuropsychiatre et l’accompagnateur spirituel qui m’aident à mettre le doigt sur ce que sont les nœuds de mes problèmes ecclésiaux. À ce stade, s’il est vrai que je ne suis pas encore au clair avec cette décision à prendre, la balance penche cependant vers l’abandon de la prêtrise. Mais, quel que soit l’avenir que je déciderai de construire, les rencontres avec le neuropsychiatre m’aident à me connaître davantage. Il en ressort, entre autres, la nécessité vitale en ce qui me concerne de pouvoir trancher entre espace privé et espace professionnel. Ne pas mélanger les deux ! Cet enseignement est important, d’autant plus qu’il me faut tenir compte des exigences de mon être dans la reconstruction de ma vie, quelle qu’elle soit. Il est vrai que j’ai également souffert, précédemment, de n’avoir pas de « chez moi » ; le domicile d’un prêtre étant bien souvent son lieu de travail. 69


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Pourquoi te partager tout cela, même si tu n’es pas croyant ? Simplement pour te partager ce que j’ai vécu à ce stade de la dépression et les prises de conscience qui furent les miennes à ce moment-là. Je ne pouvais les passer sous silence tant ces questions et réflexions ont contribué à franchir une étape importante de ma guérison. Tu portes en toi les questions qui sont les tiennes ; je te livre simplement celles qui furent les miennes à ce stade de la dépression.

Parler à ceux qui peuvent entendre Nous sommes mi-février. J’éprouve de plus en plus le besoin de pouvoir parler autour de moi de l’enfer des premières semaines de traitement, y compris de ma décision d’anéantissement, par le suicide, le 25 décembre. Est-ce pour exorciser une culpabilité que j’éprouve le besoin de parler ainsi ? Peut-être. Il est vrai que je me culpabilise de cette décision et il m’est bon d’en parler à certaines personnes, bien choisies, qui peuvent entendre cela sans juger, même si j’imagine que cela ne doit pas être facile à comprendre pour elles. Si je me culpabilise, je n’ai cependant pas honte de ce que j’ai vécu et cela m’aide à en parler. C’est un besoin de dire aux autres combien j’ai pu être au plus mal. Il est vrai que, durant de nombreux mois, dans mes contacts avec les autres, je ne m’intéresse pas vraiment à eux. J’ai, avant tout, besoin de leur partager ma maladie. Oui, c’est d’un besoin qu’il s’agit.

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Quand je prends conscience de cet égocentrisme, cela me fait mal. Mais cela s’impose et je ne peux l’expliquer, sinon par la maladie. Cette parole de moimême aux autres est capitale, je sens qu’elle constitue un élément libérateur et facilitateur de mon avancée. Sans doute que ma rencontre du 11 février avec le neuropsychiatre joue aussi en faveur de la libération de ma parole. Je l’ai rencontré à sa consultation à l’hôpital, à dix-sept heures trente. Je n’ai quasiment pas fermé l’œil la nuit précédant cette consultation. De plus, j’ai été angoissé et stressé tout le jour à l’idée de rencontrer cet inconnu. Enfin, à dix-sept heures trente, un inconnu cite mon nom dans la salle d’attente et m’invite à le suivre. Quelle ponctualité ! Me voilà face à l’inconnu tant redouté. Au premier abord, grand et mince, il me semble froid. J’ai les mains moites, je sue plus que d’ordinaire. Le souffle se fait court. Mais très vite, par son attitude, je comprends qu’il est là pour m’aider. Cette première rencontre, tant redoutée, s’est finalement très bien vécue. Le courant est passé entre nous. Je me sens en confiance. Je demeure recroquevillé sur la chaise, mais la confiance établie fait que je lui livre sans réserve ce que je vis. Ce n’est pas facile de se livrer ainsi, à un inconnu, de ce que l’on vit de plus difficile dans sa vie. Mais il s’agit d’une démarche nécessaire et j’en ai pleinement conscience. Si je veux qu’il m’aide, il doit tout savoir. Aussi, je lui dis tout ! Il me confirme le diagnostic : dépression sé-

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vère. Il confirme également le traitement donné par le généraliste. Je suis donc soigné par deux médecins qui, généraliste et spécialiste, sont sur la même longueur d’onde quant au traitement médicamenteux qui convient pour combattre ma maladie. Tantôt l’un adaptera le traitement, tantôt l’autre. Je me sens pris en charge par une équipe médicale et cela me rassure.

Digestion et goût de vivre reviennent ensemble Progressivement, je commence à poser certains petits gestes de la vie quotidienne : aspirer les miettes de la table, cirer mes chaussures, aider à la vaisselle. Je suis crevé après avoir ciré mes chaussures, mais heureux de l’avoir fait. Tout m’épuise, mais ce qui est neuf est l’envie de faire ces petites choses toutes simples. À cette époque, l’action qui fut la plus fatigante pour moi, mais que je tenais absolument à réaliser, était de frotter et faire briller la bouilloire de cuivre se trouvant sur le poêle à bois. C’est l’amorce du goût de vivre qui se profile ainsi par ces petites choses. En outre, me voilà soudainement désireux de peindre ma maladie, alors que je ne dispose vraiment pas de prédisposition artistique. Mon médecin me dira qu’il est fréquent chez les dépressifs de vouloir peindre leur maladie. Il m’encourage à le faire. J’achète donc le kit du parfait débutant en aquarelle, mais il me faudra encore plusieurs semaines pour que je me décide à ouvrir ce kit et m’essaye à la peinture. 72


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Le fait de réaliser ces menues activités quotidiennes, et surtout d’avoir envie de les faire, est complètement neuf. Je ne dois plus me forcer pour réaliser l’objectif quotidien. D’ailleurs, certains jours il m’arrive de réaliser différentes choses, d’avoir plusieurs objectifs. J’y trouve une satisfaction, du plaisir, du goût ! Depuis plusieurs mois, plus rien de ma vie n’avait du goût. Et, tel un enfant qui découvre le monde dans lequel il vit et y prend plaisir, je redécouvre le goût des choses toutes simples et j’y prends plaisir. Je vis là un palier fondamental de mon retour à la vie. Une expérience fondatrice, de renaissance. Quand bien même le chemin est encore long et difficile, la vie reprend petit à petit saveur. Pour l’anecdote, je veux changer de lunettes alors que ce n’est pas nécessaire. Est-ce le signe d’un autre regard sur la vie ? Une chose est certaine : je fais mes premiers pas de redécouverte de la vie et je la perçois certainement autrement qu’avant. Cette vie que je redécouvre, je l’avais déjà découverte jadis, mais pas avec la même acuité, la même intensité. Oui, c’est bien la même vie et pourtant elle est différente. Du moins, mon regard sur elle est-il différent. Sans doute, suis-je différent, façonné, marqué par ce que je vis depuis longtemps, trop longtemps déjà. De jour en jour, je sens la vie reprendre ses droits, sa place, en mon être. Plus j’éprouve le retour de la vie en moi, plus me voilà désireux de la mordre à pleines dents comme jamais auparavant. Il m’arrive bien souvent d’être frustré car, dans ce retour à la vie, je dois rester à l’écoute de mon corps, lequel demeure faible ! Aujour73


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d’hui, ce corps ne me permet pas encore de mordre la vie sans retenue, comme je le souhaiterais, comme je la sens doucement m’y inviter. Si, il y a quelques semaines, la disparition des idées suicidaires me rendait le combat pour la vie moins lourd à porter, aujourd’hui c’est le grand cadeau : vivre a de nouveau du goût ! Je n’y croyais plus, mais je redécouvre le goût de ma première vocation, celle que je partage avec toi qui lis ce livre, comme avec tout être humain : vivre ! Le 26 décembre, j’ai choisi de répondre à cette vocation en décidant de vivre. Aujourd’hui, je goûte à cette vocation. C’est tout à fait différent, oh ! combien plus beau ! Un jour aussi, tu te surprendras à faire les lacets de tes chaussures, alors que tu les laissais défaits auparavant. Tu auras envie de faire ceci ou cela, tu retrouveras le goût de vivre, tu t’arrêteras dans le jardin face au forsythia dont les fleurs annoncent le printemps que tu crois perdu à jamais dans ta vie. Comme je l’ai cru perdu également ! Je croyais tout perdu et le plus incroyable m’est revenu : le goût pour cette vie qui fut une lutte affreuse, longtemps, bien trop longtemps. Si ce qui semble incroyable s’est produit pour moi, il n’y a pas de raison qu’il ne se produise un jour pour toi. Si tu n’y crois pas pour toi aujourd’hui, moi j’y crois à fond, pour toi, à partir de mon vécu. Accroche-toi à tes petites victoires quotidiennes sur la maladie, tu ne le regretteras pas. Chacune de ces pe74


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tites victoires est un pas énorme de retour vers la vie. Ma force a été de m’attacher à chaque petite victoire sur la maladie, à chaque palier de la lente remontée vers la vie. M’y accrocher comme à ce qu’il y a de plus cher au monde, tant l’enfer, dont chacune de ces petites victoires contribue à me sortir, est cruel. Si la vie reprend goût, le corps demeure fragile et affaibli. Les souffrances physiques sont encore bien présentes : oppressions, maux dans la poitrine. Les maux de tête, quant à eux, s’espacent et finiront par disparaître très bientôt. Parallèlement à cette éclosion du goût pour la vie, le dégoût pour la prêtrise s’accentue ! D’ailleurs, lorsque je regarde le prêtre en moi, il est de plus en plus glacial, froid, mort ! Progressivement, la question du discernement quant à mon avenir semble se préciser, se clarifier ; oserais-je dire « s’imposer » ? Après plus de deux mois de traitement, une autre étape est également franchie : la digestion. Je suis capable désormais de digérer quasi normalement. Je n’ai toujours aucun appétit alimentaire ; mais, au moins, je digère. Manger n’est donc plus le calvaire que c’était il y a encore quelques jours. La nourriture est ce qui recharge les batteries du corps. Que mon corps la digère à nouveau est donc prometteur. Pourquoi cela n’est-il pas revenu plus tôt ? Pourquoi aujourd’hui et non demain ? Tant de questions auxquelles je n’ai pas de réponse. Il me faut accepter de ne pas maîtriser, de ne pas pleinement comprendre la 75


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maladie dont je suis atteint. Continuer à faire confiance aux médecins, respecter scrupuleusement le traitement, l’heure de prise des médicaments. Depuis ma décision de sortir vainqueur de cette crasse, je ne m’autorise aucun écart quant aux prescriptions médicales. Je sais que ces prescriptions sont une des « béquilles » qui m’aideront à remarcher un jour de façon autonome. Quand cela va mieux, la tentation existe pourtant de laisser de côté un antidépresseur. Mais la raison me l’interdit ! Pour rien au monde je ne prendrais le risque de redescendre d’un palier en négligeant le traitement. Je ne peux pas jouer avec mes médicaments. Même s’il est parfois difficile d’accepter que ce retour à la vie soit lié à ces molécules chimiques qu’il me faut avaler plusieurs fois par jour. Cela n’est pas facile à accepter, mais c’est incontournable ! Je suis content d’avoir eu cette force. Il m’a fallu le décider. Tout comme j’ai décidé un jour de vivre. Nous sommes fin février. Ce doit être un grand soulagement pour mes parents de constater que je digère de nouveau la nourriture et prends plaisir à réaliser certaines petites activités domestiques. Sans doute pensent-ils aussi que ces signes de retour à la vie sont synonymes de guérison. Bien sûr, je peux les comprendre et, pourtant, la guérison est loin d’être là. Le processus semble bien entamé, mais il ne faut pas confondre processus et aboutissement. C’est ainsi qu’un jour mes parents me disent : « Il semble que

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cela va mieux et que tu reprends goût. Quand comptestu reprendre du service ? » Ils parlaient de mon service de prêtre en paroisse. Cette question est pour moi inaudible, d’autant plus que je suis dans la question du discernement de mon avenir. Mon avenir de prêtre justement ! Au risque de les décevoir je lance : « La question n’est pas quand, mais si oui ou non je reprendrai un jour du service et là, rien n’est sûr. » Ce jour-là, je comprends que ma convalescence doit se poursuivre ailleurs, en dehors de toute pression familiale. Je scrute, de façon déterminée, les annonces immobilières pour trouver un studio meublé. Il n’est pas facile de faire comprendre à mes parents qu’il me faut désormais poursuivre mon retour à la vie en dehors de chez eux. Je reçois, quant à cette démarche, l’appui et l’encouragement des deux médecins ainsi que de mon accompagnateur spirituel. Me voilà donc capable de prendre une décision relativement importante, et de mettre en œuvre les démarches nécessaires à son accomplissement. À cette période, un nouveau symptôme ou effet des médicaments apparaît : il m’arrive d’utiliser, sans m’en rendre compte, un mot pour un autre lorsque je parle. Comme si certaines connexions de mon cerveau n’étaient pas bien établies. Cela partira comme c’est venu, sans que je ne m’en inquiète trop. « Cela fait partie du lot », me dis-je ! Durant tout ce temps, je continue à noter quotidiennement ce que je vis et la manière dont je le vis. 77


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Au point de vue de l’alimentation, voilà des mois que je m’efforce à manger ne fût-ce qu’un minimum. C’est moins pénible depuis que la digestion est revenue. Cependant, de même qu’il est difficile de faire boire un âne qui n’a pas soif, il me reste difficile d’envisager le moment des repas, car je n’ai jamais faim. La sensation de faim m’est devenue complètement étrangère. Où est-elle ? La retrouverai-je un jour ? Je n’en sais rien. Au fond, j’ai bien retrouvé la digestion ! Pourquoi n’en serait-il pas de même avec l’appétit ? Je ne l’espère néanmoins pas trop. J’ai trop espéré dans le passé et ne veux pas mettre trop d’espoir en un retour de l’appétit. Nous verrons bien ! C’est comme par surprise que, le 27 février, cette sensation refait surface et, avec elle l’envie de manger. J’ai faim, oui, j’ai faim ! Je n’osais plus y croire et pourtant cela aussi revient. Quel cadeau ! Décidément, pourquoi aujourd’hui, c’est un jour pourtant comme les autres ? Une fois encore, je dois constater que chaque pas en avant est imprévisible, chaque retour à la vie est unique et, si petit soit-il, je le savoure à fond. Cette étape-ci est énorme ! L’appétit retrouvé procure en moi une sensation formidable. C’est un des signes de retour à la vie qui me marque le plus. Désormais, je ne mange plus seulement par nécessité, mais par envie. C’est ainsi que, petit à petit, j’emmagasine les éléments de mon retour à la vie. Je me réjouis de cet état de choses et ne me pose pas trop de questions quant au retour de l’appétit aujourd’hui plutôt qu’hier, demain ou il y a un mois.

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Ce sont, du reste, des questions auxquelles il n’y a sans doute pas de réponse. L’essentiel est qu’aujourd’hui j’ai de nouveau faim. Alors qu’hier, je n’osais pas trop espérer avoir faim un jour, de peur d’être déçu !

Assumer une nouvelle autonomie À force de recherches, je trouve un studio meublé qui me convient à merveille. Distant d’environ huit kilomètres de chez mes parents, il n’est pas trop loin de chez eux, ce qui représente pour moi une sécurité. Mais également pas trop proche, ce qui me donne de pouvoir reconstruire mon être et ma vie dans une certaine indépendance. À ce stade de la maladie, il n’est plus dangereux pour moi d’être seul ; néanmoins, le fait de vivre dans une maison animée est porteur de vie. Il est bon pour moi d’être entouré par cette famille qui habite la maison dans laquelle se trouve ce studio. Je suis autonome et indépendant, mais la vie grouille autour de moi et c’est bon ! Cette autonomie voulue et retrouvée est aussi l’heure des défis. Me prendre en mains ! Désormais je dois à nouveau faire la cuisine, nettoyer, faire les courses, etc. Des amis, dont je me suis rapproché, me proposent de les rejoindre le samedi matin pour faire du tennis. L’envie ne manque pas et j’accepte, sachant que j’aurai vite épuisé mes forces. Ils connaissent mes faibles res79


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sources physiques et acceptent ma présence. Ils m’accueillent dans l’état du jour. Le premier samedi, un quart d’heure en double sera suffisant. J’en sors épuisé, mais content de l’avoir fait. Je m’accroche à ce rendez-vous du samedi matin et, de semaine en semaine, je dresse un constat : le temps de résistance s’allonge ! Ce constat m’aide et me redonne confiance lorsque je suis découragé. Non, je ne suis pas foutu à tout jamais, même si aujourd’hui je suis terriblement limité ! La vie revient donc, et avec elle mes forces, même si c’est lent, trop lent à mon goût. Encore de la patience, beaucoup de patience à avoir, mais l’évolution dans le bon sens semble entamée irrémédiablement. Depuis la fin des six premières semaines, chaque palier est tremplin vers un avenir de vie. Et jusqu’ici je ne suis pas redescendu en arrière. Pourvu que cela dure ! S’il t’arrive de redescendre d’un palier, accroche-toi. En effet cela peut arriver. J’ai la chance de ne l’avoir pas vécu, mais j’aurais très bien pu le vivre. Ce n’est pas anormal. Progressivement, les différents maux physiques dont je souffre, certains jours plus que d’autres, s’estompent. Je teste le retour progressif de mes forces par le tennis, mais également par la marche et le vélo qui me deviennent quotidiens. J’ai la chance d’habiter proche d’un domaine naturel fabuleux, non loin de la forêt de Soignes. Des lieux qui rapidement me deviennent familiers. « Mon jardin », comme j’aime à l’appeler, m’est un 80


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lieu de reconstruction et de fortification physique indéniable. Quelle joie de sentir les forces revenir ! Je dévore les sentiers, usant mes souliers ou les moulures des pneus de mon VTT. Je suis aussi au plus maigre de ma maladie ! Cette fois-ci les vingt et un kilos sont partis. Cependant, je me sens en forme et réalise le cadeau que je vis : sentir les forces revenir. La convalescence est aussi la découverte des paysages suisses. Invité à rejoindre des amis à la montagne, j’ai longuement hésité à faire le pas. Mi-mars, je me décide à les rejoindre tout de même pour une semaine. Était-ce prudent de faire la route seul ? Huit cents kilomètres ! Certes ce n’était pas vraiment prudent, d’autant plus qu’avec les médicaments, il faut redoubler d’attention. Je décide de passer voir des amis à Nancy, chez qui j’étais allé quelques jours avant le « crash ». Je fais donc la route en deux jours. La première étape ne pose pas de problème, elle ne fait que trois cents kilomètres et je connais bien la route. Par contre, les cinq cents kilomètres restant pour la deuxième étape sont nettement moins faciles. Honnêtement, j’ai un peu surestimé mes capacités. Ceci dit, j’arrive tout de même sans encombre, mais épuisé. Mes amis ne cachent pas leur bonheur de me voir les rejoindre pour une semaine, dans cette montagne qu’ils connaissent bien.

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Mener à bien ce long trajet fut ma victoire sur la maladie pour ce jour-là. Merci à vous, chers amis, de m’avoir accueilli en vacances alors que vous étiez conscients de mes limites. Vous vous êtes mis à mon rythme, acceptant de faire des balades de trois quarts d’heure. Alors qu’en pleine forme, vous seriez partis pour des excursions d’une journée. Vous avez marché au rythme du maillon le plus faible, sans me forcer, mais en me stimulant. Tout un art ! Il m’arrive de pleurer au chalet lorsque, après une heure de marche, épuisé, je m’effondre dans un fauteuil pour le restant de la journée, mes limites physiques étant atteintes. Dur dur d’accepter cela ! Vous m’avez aidé à l’accepter, mettant de l’humour quand c’était nécessaire, et je vous en suis infiniment reconnaissant. Cependant, de jour en jour, à la montagne, la résistance se fait plus grande. Quelle source de joie, lorsque deux jours plus tard, je réalise avoir pu marcher une demi-heure de plus, rentrant au chalet fatigué, certes, mais pas anéanti ! Ces vacances à la montagne furent un tremplin fantastique. Comment le dire autrement, sinon que mon organisme s’est littéralement réveillé. Je me suis enivré de ces paysages, de ces écureuils venant manger dans nos mains les croûtes de fromage après le petit-déjeuner. Enivré aussi de cette amitié avec vous qui m’y avez accueilli. Le trajet de retour se passe sans le moindre problème. En deux fois certes, mais sans arriver épuisé chez moi. Quelle victoire que cette semaine !

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Dans ma guérison, il y a très nettement, un « avantmontagne » et un « après-montagne ». Un coup de punch inoubliable. Voilà sans doute la différence. De retour chez moi, le défi consiste à ne pas laisser retomber cette énergie reçue, à ne pas revenir en arrière. Ne jamais revenir en arrière, si possible ! Tel est mon espoir. Et ma détermination est grande pour mettre tout en œuvre afin que cela n’arrive pas. Je sais qu’il peut arriver de revenir en arrière. J’espère néanmoins que cela ne m’arrivera pas, sans en être sûr pour autant. Quotidiennement, je me rends dans « mon jardin » pour y faire des balades de plus en plus longues. De jour en jour, alors que le printemps météorologique pointe le nez, le printemps de la vie refait pleinement surface en mon être. Grande est ma chance d’évoluer dans la guérison en parallèle avec la nature qui témoigne sa force de vie en ces mois d’avril, mai, juin. Tout ce que je vis, découvre et vois devient cadeau. Cadeau de découvrir les jacinthes sauvages au détour d’un chemin du parc. Mais aussi les jonquilles qui, perdues dans la nature, m’invitent à les admirer. Cadeau également de contempler la beauté de ces lapins qui, par dizaines, semblent s’être adaptés, au fil du temps, à la présence des nombreux promeneurs en cet écrin de verdure. Le moindre bourgeon requiert toute mon attention. La beauté des fleurs, des feuilles, des arbres. La nature de façon générale me fascine comme jamais auparavant. Ayant voulu quitter définitivement ce monde le 25 décembre, me voilà en train de le redécouvrir dans toute sa beauté. Chaque pas dans cette nature est un 83


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merci à la vie. La beauté des azalées du parc. Tout me semble neuf, c’est étrange et agréable ! Je découvre la forêt de Soignes et, chaque fois, je m’y aventure plus profondément. Le VTT sera lui aussi un outil de reconstruction et de guérison. J’ai davantage tendance à l’utiliser que la voiture. Là, je ne me reconnais plus ! En outre, je n’arrive pas à rouler « pépère ». J’ai besoin d’avancer d’un bon rythme, comme s’il s’agit de me prouver quelque chose : oui, tu en es encore capable ! Capable de vivre et non seulement de vivoter ! Si cette soif, cette rage de vivre m’est revenue, il n’y a pas de raison qu’elle ne revienne pas aussi pour toi ! Quand bien même aujourd’hui tu es peut-être dans ce que j’ai personnellement vécu plus tôt : la soif de mort. Ce n’est pas une théorie, mais ma propre histoire qui me fait te dire cela. La force de ce livre est qu’il est témoignage, partage d’un vécu et non théorie. J’ai voulu l’écrire, afin de ne pas garder pour moi le cadeau de la vie retrouvée. Te partager mon parcours pour donner sens à ta vie d’aujourd’hui, même si pour toi elle est devenue non-sens à cause de cette crasse de maladie. De la même manière que, par son livre, Philippe Labro m’a partagé sa traversée de la dépression et m’a ainsi aidé à donner sens à ce que je vivais au plus dur de cet enfer. Durant ces mois d’après-Suisse, je trouve aussi l’énergie de mettre de l’ordre dans les documents accumulés depuis plus de quatre mois. C’est bien nécessaire ! Du point de vue administratif, il y a aussi l’éternel pro84


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blème chez moi : l’accumulation de photos non classées. Pourquoi ne pas y mettre ma convalescence à profit ? C’est ainsi que je prends un réel plaisir à classer les douze dernières années de photos. Tant de souvenirs, en parcourant ces photos. Des bons, comme des moins bons. Plusieurs albums et un pêle-mêle seront les fruits de ce classement. Une manière aussi de revisiter le passé, en ce moment où le discernement concernant mon avenir m’habite ; quand bien même il se clarifie petit à petit. Et, de fait, si la vie revient pleinement, je ne peux pas en dire autant de ma vocation sacerdotale qui semble morte et bien morte, sans espoir ni même souhait de la voir renaître un jour. Je dois me rendre à l’évidence, et d’ailleurs je n’en suis pas du tout malheureux. Pour la prêtrise, j’ai donné ma vie dans sa totalité, je ne peux donner plus ! Je ne me sens plus prêtre. Je me sens vivant, c’est bien plus grisant ! Je voudrais me marier et fonder une famille. Partager cette vie retrouvée et la donner. Voilà comment se profile mon espérance pour l’avenir de ma vie. Cette perspective me libère et me fait vivre encore davantage. Oui, quitter la prêtrise s’impose, ainsi que rompre tout lien hiérarchique ecclésial, en demandant la réduction à l’état laïc ! Pour le dire plus posément, en demandant la perte de l’état clérical. Cette perspective procure en moi une véritable libération et me propulse en avant. C’est exactement le contraire de ce que je ressens lorsqu’il m’arrive de m’imaginer rester prêtre. Demeurer prêtre 85


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me fera revenir en arrière et je n’y survivrais pas. Par ailleurs, ma vocation a été détruite jusqu’en ses racines ! Telle est ma conviction. Quitter la prêtrise pour vivre et honorer ma première vocation d’homme : être un vivant ! Voilà ma décision. Je suis en paix avec ce choix et je suis heureux qu’il se soit petit à petit clarifié, car il s’agit d’une étape fondamentale dans ma reconstruction, ma convalescence, ma guérison. Dans un tout autre domaine, je me décide un beau jour à ouvrir le kit de l’aquarelliste débutant, acheté il y a déjà plusieurs semaines. Avant de risquer la peinture de ma maladie, je me ravise et me tourne vers plus simple : une belle pomme sur une assiette avec son ombre, fruit du soleil qui la caresse. Pas simple pour un premier coup de pinceau ! Je trouve pourtant cela pas si mal. Par la suite, je me risque à peindre une primevère, une orchidée. De ces quelques tentatives, cette dernière est de loin la plus réussie. Elle sera offerte plus tard à mes parents. Finalement, jamais je ne peindrai ma dépression, quand bien même les tableaux qu’elle représente dans mon histoire sont gravés en ma mémoire. Depuis le 10 mai, je ne prends plus d’anxiolytiques. Certes, il reste les antidépresseurs. Cette suppression, qui fut progressive, a un effet quelque peu déroutant quant à la qualité de mes nuits. À chaque modification du traitement, c’est tout l’organisme qui doit s’adapter, se retrouver un équilibre, avec ce qu’on lui donne comme molé86


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cules et selon les quantités de ces dernières. Il en allait ainsi lors de chaque augmentation des doses. Il en va de même lors de chaque diminution. Le sevrage médicamenteux, qui dure des mois, bouleverse à chaque étape un équilibre. C’est ainsi ! Ce n’est pas toujours agréable ni facile à vivre et à accepter. Quand tout va bien et que la diminution de l’un ou l’autre antidépresseur occasionne le retour de certains symptômes physiques disparus, c’est la panique à bord ! Ce sont les seuls moments où j’ai parfois eu l’impression de faire machine arrière. Dans ma situation, cela n’a jamais duré plus d’une dizaine de jours : temps nécessaire à mon organisme pour retrouver son équilibre. Cette diminution du traitement s’est faite petit à petit, par paliers et dans le dialogue avec les médecins. Il ne m’a fallu revenir à la dose antérieure qu’une seule fois. En juin, invité à rejoindre des amis à la côte belge, j’équipe ma voiture et y fixe mon VTT. Je suis décidé à m’y donner à fond. Un bel après-midi, équipé d’une carte pour randonnées en vélo, me voilà parti seul. Quarante-huit kilomètres ! De retour à l’appartement, je suis heureux d’avoir relevé ce défi. Bien sûr, je suis encore soutenu par les médicaments, mais les forces sont là, pleinement revenues. De retour chez moi, après trois jours passés à la côte, ma petite voix intérieure me dit : « Puisque tu as décidé de quitter la prêtrise, il faut maintenant que tu l’annonces. »

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Oser décevoir ! Annoncer la rupture de mon engagement à la prêtrise équivaut pour moi à oser décevoir. Il ne s’agit pas de décevoir pour le plaisir de décevoir. Non ! Il s’agit de décevoir par nécessité pour vivre. Comme je viens d’en parler, quitter la prêtrise s’inscrit dans une nécessité pour que je puisse continuer à me reconstruire et me resituer pleinement dans la vie. Il me faut donc oser décevoir pour être moi-même. Tant pis si ce n’est pas compris. Décevoir la hiérarchie ecclésiale est le moindre de mes soucis, après avoir été blessé comme je l’ai été. Cependant, j’adresse ici certains remerciements à d’anciens confrères qui ont continué à s’intéresser à mon parcours de vie et de reconstruction. Merci à toi qui m’as souvent vu le dimanche dans ton assemblée dominicale, tu as toujours été disponible pour m’écouter au long de ces années. Merci à toi qui m’as invité près de Stockel, le temps d’un repas, dans ce resto où tu as pu entendre ce que je vivais au moment le plus critique de la maladie ; à l’heure où j’écris ces lignes, nous ne nous sommes plus revus ; mais jamais je n’oublierai cette rencontre, ton écoute, ta compassion. Merci à toi de m’avoir accueilli plus d’une fois pour partager le repas de midi ; tu es aussi venu partager mon repas chez moi quelques jours avant que je ne signe l’achat de ma maison. Merci à toi qui es resté en contact et qui, depuis toujours, me charries au sujet de mes origines ; on s’est parfois croisés, toi en auto et moi en vélo. Merci à toi qui, peu de temps avant le 88


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« crash », me proposais de rejoindre une petite fraternité de confrères, une fois par mois. Tu t’es aussi montré présent durant ces années. Merci aussi à deux anciens confrères plus âgés : toi qui es devenu vicaire de ton ancien vicaire, et toi qui fidèlement m’écrivais et que voilà aujourd’hui à la retraite. Enfin, merci à toi qui fus le seul homme de la tour de contrôle à avoir gardé le contact par un message de temps à autre. Décevoir mes parents est une chose plus délicate. Cette difficulté est sans doute liée à l’époque où, enfant et adolescent, je ressentais, à tort ou à raison, le fait d’être mis sur un piédestal. Époque au cours de laquelle j’entrais inconsciemment dans le jeu de ne pas décevoir. Certes, ce ne sont pas mes parents qui ont voulu que je sois prêtre, c’est moi. Mais l’étant devenu, j’imagine que le fait de rompre cet engagement, ce sacrement, ne peut que les décevoir. Pourtant, ce que je n’aurais jamais osé faire jadis, je n’ai aucun problème à le faire aujourd’hui vis-à-vis de mes parents : oser les décevoir et ne pas répondre à leurs espérances à mon égard. Du moins, c’est comme cela que je le perçois. Si, aujourd’hui, je peux le faire sans problème, c’est le fruit d’un travail personnel au terme duquel j’accepte que ma vie et mes choix puissent les décevoir. Quelle libération ! Quel souffle de vie ! Et ce, non pour faire tout et n’importe quoi, mais pour être tout simplement moimême. De même qu’il vient un moment où l’enfant doit accepter ses parents tels qu’ils sont et faire le deuil des pa89


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rents qu’il aurait aimé avoir. Cette étape est, je crois, fondamentale pour pouvoir aimer ses parents tels qu’ils sont. De même vient un jour où les parents doivent accepter leurs enfants tels qu’ils sont et faire le deuil des enfants qu’ils auraient aimé avoir, de ce qu’ils avaient rêvé pour eux. N’étant pas papa, je peux me tromper, mais je pense tout de même qu’il s’agit là d’une étape fondamentale pour pouvoir aimer ses enfants tels qu’ils sont. Si ces deuils ne se font pas de part et d’autre, il y a de fortes chances pour que les relations pourrissent vite au moindre accrochage. Une fois mes parents mis au parfum, je prends ma plume et mets un point d’honneur à annoncer ma décision, personnellement, à bon nombre de personnes. Les lettres partent le même jour, afin que le bruit se fasse connaître au même moment à tous ceux que je veux prévenir personnellement. Ensuite, le bouche à oreille fait le reste. Les réactions ne se font pas attendre et je les redoute. Mais il faut assumer cette décision et cela passe par l’acceptation des réactions. Mon médecin traitant me dit : « C’est maintenant que tu vas découvrir sans ambiguïté, parmi tes connaissances et amis, ceux qui tiennent à toi pour « l’homme Jean-Marc » et ceux qui tiennent à toi pour « le prêtre Jean-Marc », pour la fonction que tu as occupée auprès d’eux. Le tri se fera tout seul. » Moment donc de vérité et de tri au sein de mes relations. Ce que le médecin traitant avait annoncé se vérifie. Ceux qui peuvent l’entendre, même sans le compren90


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dre, l’acceptent. D’autres me lancent de vifs reproches et me font la morale. Qui sont-ils pour juger ? Ainsi, le tri s’effectue automatiquement entre ceux qui tiennent à moi pour l’homme que je suis, ceux qui tiennent à moi pour la fonction qui fut la mienne et qui, pour eux, doit le rester, et ceux qui ne tiennent pas à moi ou expriment leur malaise par le silence. Bien sûr, quittant la prêtrise, il est idiot de ma part d’espérer de la hiérarchie ecclésiale une aide au reclassement professionnel. Et pourtant, qui ne risque rien n’a rien. J’entretiens donc la hiérarchie ecclésiale de cette question. La réaction de mon ex-tour de contrôle a le mérite d’être claire : je ne dois pas espérer d’aide de leur part en la matière. Je sais donc à quoi m’en tenir de ce côté-là. À bien y réfléchir, il était illusoire d’espérer une telle aide ! Me voilà donc avec un préavis de trois mois. Il faut absolument tout faire pour trouver un boulot rapidement, car, au terme de mon préavis, je ne disposerai même pas du chômage puisque je quitte l’employeur de moi-même. Une nouvelle étape s’impose donc désormais dans mon processus de reconstruction. Mais cette fois-ci, je suis libéré du poids clérical, bien que je ne sois pas encore réduit à l’état laïc. La mise en route de cette procédure de perte de l’état clérical est aussi une lourde épreuve. Mais, décidé à ne pas sombrer à nouveau dans la déprime suite à des problèmes hiérarchiques ecclésiaux, je me résous rapi91


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dement à ne plus me battre avec mon ex-tour de contrôle et me considère désormais délié de tous les liens dus à l’état clérical. Après tout, ce n’est pas une simple signature sur un document romain qui effacera ce qui s’est vécu le 18 septembre 1999, lors de mon ordination sacerdotale. Si décevoir l’Église n’est pas un problème de conscience pour moi, je constate qu’une fois encore, dans la manière de gérer cette fin de prêtrise, l’Église me déçoit et me blesse. Cette fois-ci, j’impose moi-même les limites à ces blessures. Elles ne m’atteindront pas comme jadis ! Et tant pis si je ne suis pas réduit à l’état laïc. Cela ne m’empêchera pas de reconstruire ma vie sur des bases différentes.

À la recherche d’un emploi Le prêtre que j’étais, tant qu’il était prêtre, n’avait aucun souci à se faire pour son emploi. Certes, il y a bien des restructurations ecclésiales, mais pas de licenciement. Je passe donc d’une stabilité professionnelle à vie, à la situation que vivent la majeure partie des travailleurs : l’instabilité professionnelle accompagnée du stress et de l’angoisse que cette instabilité génère. C’est désormais une expérience difficile et peu agréable qui m’attend. Chaque chercheur d’emploi est confronté à la nécessité de se vendre. Cette expérience est difficile pour moi, d’autant plus que la dépression ne me 92


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fait pas avoir une image positive et confiante de moimême ! Comment se mettre en avant et se vendre, alors que soi-même on se demande si on vaut encore quelque chose ? Et pourtant, je n’ai pas le choix. Il m’est nécessaire d’avoir un salaire, d’autant plus que je n’aurai pas d’indemnités de chômage, le cas échéant. Nous sommes début juillet. Je dispose donc de trois mois pour trouver un job. Qui suis-je ? Quels sont mes atouts ? Quels sont mes points faibles ? Quel type d’emploi est-ce que je souhaite trouver ? Dans quel type de vie professionnelle pourrais-je m’épanouir ? Comment rédiger mon curriculum vitae ? Que mettre dans une lettre de motivation ? Tant de questions auxquelles je n’ai pas de réponse immédiate. Il me faut retrousser les manches et attaquer le problème par le commencement. D’abord, m’inscrire au FOREM comme demandeur d’emploi. Là, je prends subitement conscience de la galère de tant de gens : être confronté à la recherche d’un job. En ce moment, je participe à leur galère. Je suis des leurs. Il me faut de l’énergie pour pousser la porte du « Carrefour formation » du FOREM. Me voilà plongé dans cette immense salle. Novice en la matière, j’ai envie de ressortir aussitôt. J’ai presque la nausée, et pourtant ma voix intérieure me dit de rester. J’accroche le premier conseiller qui se libère et je lui demande où chercher pour ce qui concerne l’enseignement fondamental. Oui, la perspective d’être « instit », cela me botte. Enseigner les fondements à ceux qui seront les adultes de 93


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demain, quel beau métier ! Le conseiller me signale qu’il serait bon de suivre l’une ou l’autre formation. Je lui dis que, pour le moment, cela n’est pas envisageable. En effet, l’idée de devoir me concentrer pour me former, étudier, est encore bien au-delà de mes forces. Je quitte le FOREM en me disant que je viens de franchir la première étape : celle de m’inscrire comme demandeur d’emploi et d’en recevoir la carte ! Je viens de rejoindre la foule des gens qui cherchent et espèrent décrocher un job. Je suis déterminé à gagner, dans les temps, le combat de cette recherche d’emploi, car le contraire serait extrêmement pénible et me ferait certainement revenir en arrière dans la maladie. Je veux tout faire pour m’éviter cela ! En outre, si je ne peux plus assumer mon loyer, faute d’un emploi trouvé dans les délais impartis, j’imagine mal revenir vivre chez mes parents. L’étape suivante consiste en la rédaction d’un CV. N’ayant aucune expérience en ce domaine, je décide de me rendre dans une librairie. J’en ressors avec deux ouvrages. L’un expliquant en détail la manière de rédiger un CV, l’autre expliquant la bonne manière de se mettre en route pour un premier emploi. Après avoir lu ces ouvrages de manière approfondie, je me lance et rédige mon CV. Persuadé que la prêtrise sera un handicap dans la recherche d’un emploi, je n’en parle pas ouvertement. Je mets davantage en valeur ma formation économique antérieure ainsi que d’autres formations vécues en parallèle des cours de théologie.

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Étant donné que je dois trouver rapidement un emploi et que la période est mauvaise, car rares sont les entreprises qui embauchent en juillet et en août, je ne suis pas exigeant sur le type de travail recherché. Il s’agit de trouver un « emploi tremplin » et, en ce sens, je suis ouvert et réponds à différents types d’emplois proposés qui n’ont visiblement rien à voir les uns avec les autres : éducateur, professeur de religion, livreur en boulangerie, gestionnaire des stocks d’une fabrique de chaussures, caissier réassortisseur, vendeur, ouvrier dans un fast-food, employé administratif, secrétaire, conseiller en livres pour une librairie, etc. Pour ainsi dire, je ne laisse passer aucune annonce dont l’emploi me semble être à ma portée, même si le job ne me dit rien. Les journaux toutes-boîtes, Le Soir références, le Vif références, les sites Internet sont épluchés. Ces outils deviennent mes lectures quotidiennes jusqu’au jour où je décrocherai un emploi. Je me présente aussi dans les boîtes d’intérims, dont l’accueil est variable. Je ne les citerai pas ici, mais deux boîtes sur les quatre n’ont pas voulu m’inscrire, car mon profil ne les intéressait pas. Quelle indélicatesse sur le plan humain vis-à-vis d’une personne qui, puisqu’elle est en recherche d’emploi, est en situation difficile. Les deux autres boîtes m’ont inscrit. Je n’ai jamais eu de leurs nouvelles, mais il est vrai que mon parcours est tout de même un peu particulier. Je postule également à l’État pour des fonctions administratives. Jamais je n’oublierai ce grand palais du Heysel bondé. Nous étions plusieurs centaines, peut-être un mil95


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lier ou davantage à passer, cinq heures durant, le même examen. Tous ne sont sans doute pas chômeurs. Certains espèrent décrocher ce poste pour changer d’emploi. En tout cas, c’est impressionnant, très impressionnant ! Le résultat vous parvient froidement par courrier quelques semaines plus tard. Je n’ai malheureusement pas le score nécessaire pour entrer dans la réserve de recrutement. Je vis difficilement cet échec. La concentration durant autant d’heures fut une rude épreuve : je suis toujours malade ! Mais il faut rebondir. Je n’ai pas le choix, car je suis déterminé à prendre ma vie en main. Des amis et des connaissances se mobilisent pour me venir en aide dans cette recherche. C’est ainsi que j’aurai la chance d’être mis en contact avec des personnes d’influence. Quel encouragement ! Dans une recherche d’emploi, cela fait chaud au cœur, même si, en fin de compte, ce ne sera pas par ces relations que je décrocherai mon emploi. De tels soutiens, de tels investissements de la part d’amis et connaissances pour m’aider, cela m’a « boosté » ! S’ils s’investissent pour moi au point de déranger des personnes afin qu’elles me reçoivent, c’est qu’ils croient en moi. Là se trouve le plus grand cadeau reçu dans cette recherche d’emploi. Merci à vous qui vous reconnaissez dans ces lignes. Vous m’avez aidé à croire en moi-même, par votre confiance en moi. Ce fut une force inestimable dans cette recherche d’emploi. Et vous qui aidez les sociétés dans leur délicate mission de recrutement, jamais je n’oublierai cette soirée où 96


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vous m’invitiez chez vous pour passer un examen d’embauche « bidon ». Examen que nous avons pris le temps d’analyser ensemble pour mettre le doigt sur les points faibles et forts qui sont à faire ressortir ou non lors d’un examen d’embauche. Merci à vous, vos conseils m’ont accompagné en chacun des examens « réels » qui suivirent. J’ai donc la chance d’être accompagné, soutenu et aidé dans cette recherche d’emploi. Pourtant la démarche est pénible. Peu de réponses m’invitent à un entretien. Par moments et petit à petit, le découragement gagne du terrain lorsque, après un mois et demi de recherche, très peu de résultats concrets se manifestent. Je suis déjà à la moitié de mon temps de préavis ! C’est alors qu’une connaissance m’invite à changer mon CV, et surtout la manière de rédiger mes lettres de motivation. Cette personne me conseille de mettre en exergue, ce que je masquais : le fait d’avoir été prêtre. Elle me dit : « Tu as la chance d’avoir vécu une expérience que peu de gens ont vécue. Considère cette expérience de la prêtrise comme un atout et non comme un frein. Dans ton CV, il faut quelque chose de particulier, d’unique, qui le fasse se démarquer des centaines de CV qui arrivent au service de recrutement des entreprises. Ton CV doit sortir du lot pour passer la première étape, celle du premier tri. Ton passé le fera sortir du lot ! » Fort de cet encouragement, mon CV et mes lettres de motivation sont revus en ce sens. Cette personne a raison et son conseil est judicieux, au point que je souhaite te dire à toi aussi, si tu es en recherche d’emploi : « Mets l’accent sur ce qu’il y a d’unique en toi. Ose te présenter de ma97


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nière originale, tout en restant toi-même, afin que ton CV sorte du lot comme le mien a fini par sortir du lot ! » En effet, les résultats de cette deuxième mouture sont bien meilleurs et, dans plusieurs cas, l’objectif est atteint : obtenir un entretien. Entre-temps, fin août, je vis une expérience tout à fait inattendue, et plutôt agréable lorsqu’on cherche un emploi. Le téléphone sonne. De l’autre côté du fil, un membre de la direction d’un grand collège, ayant appris ma décision de quitter la prêtrise, souhaite me rencontrer, car son établissement est à la recherche d’un professeur de religion. Il s’agit d’enseigner dans le cycle supérieur des humanités. Je connais bien ce collège pour y avoir étudié pendant plusieurs années. L’entretien se passe bien et, quelques jours plus tard, la direction me fait comprendre que je suis engagé. C’est un « ouf » de soulagement et je me réjouis à l’idée d’être enseignant. Certes, ce n’est pas être « instit » dans l’enseignement fondamental, mais il s’agira de rencontrer des jeunes ados dans le cadre d’un cours que je ne devrais pas avoir de problème à construire et à donner. Il est vrai que je ne dispose pas de l’agrégation, mais il est possible de la passer durant les premières années de cours. Pour le reste, mon parcours antérieur de prêtre donne les garanties nécessaires pour exercer cet enseignement. C’est du moins ce dont la direction et moi-même sommes convaincus. Mal nous en a pris, car deux jours avant la rentrée scolaire, un problème apparaît ! En effet, pour ensei98


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gner la religion dans l’enseignement secondaire supérieur, il faut soit être prêtre en exercice, soit être titulaire d’un grade de « licencié ». Or, je ne suis plus prêtre en exercice et je ne dispose pas d’une licence universitaire. On touche là une dimension incompréhensible du système : un ancien prêtre, toujours croyant, ne peut pas donner ce cours de religion, alors qu’un licencié en chimie et incroyant dispose de ce qu’il faut pour enseigner la religion dans les humanités supérieures. Le tout, dans un collège catholique ! Du moins, si j’ai bien compris ! J’ai secoué le vicariat de l’enseignement, mais en vain. Il s’agit d’un nouveau coup dur ! Néanmoins, le positif dans cette expérience qui a échoué, c’est tout de même qu’on soit venu me chercher. Cette démarche du collège à mon égard fut, elle aussi, importante pour m’aider à restaurer petit à petit la confiance en moi-même. Si on vient me chercher, c’est sans doute que j’en vaux la peine ! C’est ainsi que progressivement, par la confiance des autres en moi, je retrouve confiance en moi-même. Il s’agit de tout un chemin qui ne se fait pas en un jour ! Depuis une dizaine de jours, j’avais diminué mes efforts de recherche. Il faut absolument reprendre le flambeau et poursuivre, car nous sommes déjà début septembre !

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Engagé pour gérer C’est dans le domaine commercial que j’ai le plus d’échos à mes CV, et c’est finalement par un franchisé, travaillant sous l’enseigne d’une grande surface, que je suis embauché début octobre pour un poste bien audelà de mes espérances. En effet, je postulais auprès de cet employeur pour un job de « caissier réassortisseur » et ce fut la mission de gérer l’un de ses points de vente qui me fut proposée et confiée. Moi qui ai certes l’esprit commercial, mais qui n’ai jamais exercé dans ce domaine, me voilà du jour au lendemain à un poste de responsabilité dans ce secteur. Cet homme ne sait pas que je suis soigné pour dépression depuis presque un an, mais je suis renversé par la confiance qu’il m’accorde. Oui, je ne peux plus en douter : je vaux encore quelque chose ! Cela fait du bien ! Ayant tellement été blessé par certaines pratiques vécues antérieurement, je prends mes précautions et mes assurances vis-à-vis de cet employeur. Aussi, avant de signer le contrat de travail, je pose une condition à mon futur patron : « Lorsqu’on a des choses à se dire, on se les dit en face et non derrière le dos par personnes interposées. Si vous acceptez cela, je signe. » Il me répond : « Nous allons faire du bon travail. » Cet homme a été de parole durant plus de deux ans pendant lesquels j’ai travaillé à son service. Moi, ancien prêtre et croyant, j’ai pour patron un incroyant, humain, pour lequel les différences de convictions philosophiques et religieuses ne sont pas un obstacle à une collaboration professionnelle efficace. 100


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Il ne saura jamais rien de ma maladie. C’est une chance d’être ainsi engagé par un homme humain, qui sait dire merci, qui sait aussi être exigeant, qui, lorsqu’il m’arrive de faire une « bourde », dit : « Ne t’en fais pas pour cela, j’ai fait les mêmes erreurs à mes débuts. » Quelle humanité ! Le travail est exigeant, les horaires sont lourds. Durant un an, le rythme est soutenu. Environ soixante heures par semaine, réparties sur six jours de travail. Je découvre que, lorsqu’on est porteur du statut de « cadre » ou assimilé, on est taillable et corvéable à merci. Après dix mois d’inactivité, me voilà donc pleinement plongé dans la vie active. Je suis sans doute quelque peu sous-rémunéré, mais cet emploi me permet de quitter mon studio de trente mètres carrés pour un spacieux appartement. Me retrouvant ainsi dans mes meubles, je poursuis la reconstruction de ma vie. Je suis heureux de ce travail dans lequel je me donne à fond, sans compter. Le patron y fait sans doute son affaire ; mais moi aussi, car cet emploi est un vrai tremplin pour ma guérison. D’ailleurs, je suis animé du désir de gérer ce point de vente comme si c’était le mien ! Assez rapidement, voyant que cela fonctionne bien et que mon boss est satisfait de ma manière de travailler, je retrouve pleinement confiance en moi. C’est le cadeau de ce job : la pleine confiance retrouvée en moi-même. C’est une promotion qui me fait devenir, un an plus tard, gérant d’un autre point de vente dont la clientèle 101


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est plus facile et dont le fonctionnement me permet de prendre congé deux jours par semaine. Je peux également réduire mon nombre d’heures par semaine de quinze unités. Il est bon pour moi, dans mon processus de guérison, de me sentir ainsi reconnu et valorisé pour ce que je suis et pour ce que je fais. « Oui, Jean-Marc, tu vaux encore quelque chose, ta maladie ne t’empêche pas de pouvoir assumer des postes à responsabilités », me dis-je. J’ai voulu te partager de manière relativement détaillée cette recherche d’emploi et son heureuse issue, car ceux qui m’ont aidé à trouver du travail et celui qui m’a engagé m’ont redonné confiance en moi. Sur ta route, tu croiseras aussi des personnes qui seront pour toi tremplin dans ta reprise de confiance en toi-même. Pour cela, il m’a juste fallu accepter que d’autres aient confiance en moi, lorsque moi-même je n’avais plus cette confiance. Cela n’a pas toujours été simple à accepter. Mais le choix ne m’était pas donné de le refuser si je voulais m’en sortir. Finalement, ce fut salutaire ! Je me suis laissé faire et cela a marché ! Toi aussi, accepte que d’autres puissent avoir confiance en toi. Ils ne s’en rendent pas compte, mais ils te font alors le plus grand cadeau qu’ils puissent te faire. Dire que cet emploi a fait partie de mon chemin de guérison n’est pas un abus. J’en suis plus que convaincu. Parallèlement, et progressivement, dans le dialogue avec les deux médecins qui me soignent, nous décidons 102


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de réduire les doses médicamenteuses. Cela se fait sur plusieurs mois et par paliers. À chaque changement, le corps doit s’adapter à un nouvel équilibre, comme je l’écrivais plus haut. Ce n’est pas toujours facile, mais cela ne se passe pas trop mal. Petit à petit, le grand jour de la guérison arrive : le jour où le traitement n’est plus nécessaire ! Ce jour où je peux marcher sans « béquilles ». Ce jour qui sera aussi le tien ! Dans mon histoire, après le « crash », le traitement fut indispensable et nécessaire durant vingt-deux mois. Un matin d’octobre 2005, j’ingurgite l’antidépresseur pour la dernière fois. Il s’agit d’une grande joie, mais aussi, paradoxalement, d’une grande panique. Un peu à l’image de l’enfant qui, sachant désormais rouler en vélo, n’a plus besoin des deux petites roues arrière qui le stabilisaient. C’est une sécurité qui s’en va pour l’enfant sur son vélo. De même, c’est la sécurité d’une « béquille » qui s’en va pour moi. Mais j’ai confiance dans mes médecins. Ils savent ce qu’ils font. Ils avaient raison. Depuis ce matin d’octobre, plus aucun médicament ne me fut nécessaire. C’est désormais avec un autre regard sur la vie que j’essaie de la reconstruire. La santé est revenue, le travail me plaît et me convient : c’est déjà pas mal !

Nomade depuis sept ans, je me fixe Nomade depuis sept ans, je décide de me poser et de stabiliser quelque peu mon lieu d’existence. Pour réali103


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ser cela, je me lance à la recherche d’une maison. Investir dans des briques pour me stabiliser et cesser de payer des loyers à fonds perdus : voilà bien le double objectif. C’est ainsi qu’en février 2006 j’acquiers une petite maison. Ni trop grande pour y vivre seul si je demeure célibataire. Ni trop petite pour pouvoir envisager d’y vivre en couple avec deux enfants. En effet, l’espoir qui m’habite à ce moment-là est de fonder une famille. J’ai désormais toutes les clefs en main pour envisager de reconstruire ma vie de manière libre et indépendante par rapport à mon passé. – La vie peut maintenant pleinement refleurir –


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À toi qui souffres

C’est à toi et à tous ceux qui vivent la dépression que j’ai pensé en écrivant ce livre. Non, tu n’es pas une loque, tu es un être Humain aussi blessé sois-tu ! Laisse les autres te le dire, puisque toi, tu ne le peux plus. Un jour, tu auras faim comme j’ai eu faim. Le traitement qui te convient produira tôt ou tard son effet, si ce n’est pas encore le cas. Alors, accroche-t’y, comme un enfant qui, apprenant à nager, s’accroche à sa bouée. Ose tout dire à ton médecin et engage-toi à suivre à la lettre le traitement qu’il te donne. Il est pour toi « béquille », parfois inconfortable, mais nécessaire ! N’aie pas honte de vivre une dépression. Il n’y a rien de honteux à cela. Nombreuses sont les personnes qui passent par là au cours de leur vie. Accepte qu’un mal étrange te ronge, regarde-le en face et combats-le. Surtout, ne t’identifie pas à lui, ce serait lui donner victoire. Tu es bien davantage qu’une maladie, alors ne te réduis pas à elle ! Il y a quelque part quelqu’un qui t’aime pour ce que tu es. Il te dit au creux de l’oreille, même si tu ne l’entends pas : vis ! Peut-être cette personne est-elle proche de toi, ou peut-être est-elle loin de toi. Peut-être ne vois-tu même pas qui pourrait être cette personne. Mais j’ai l’intime conviction et foi en son existence. Pour cette per105


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sonne, tu peux décider de vivre, même si tout en toi te pousse à vouloir mourir. J’ai connu cette déchirure cruelle, mais je suis aujourd’hui heureux d’avoir eu la force de la vivre des semaines durant. Un jour, tu seras toi aussi heureux de « ta » traversée et peut-être la partageras-tu à d’autres pour les aider à vivre la leur. Encore, je ne peux que trop te conseiller de prendre un grand agenda. Notes-y chaque soir le vécu du jour : tes symptômes, tes peurs, tes angoisses, ta victoire du jour sur la maladie quand il y en a une, la manière dont ta nuit s’est passée, ton moral, ton mental, tes actions, si petites soient-elles, etc. Il s’agit de dialoguer avec ta maladie, de te poser en face d’elle. Écrire ce que tu vis de la maladie, c’est déjà la sortir de toi. Quotidiennement, avant de m’endormir, je prenais quelques minutes pour faire cela et je sentais qu’il était bon de le faire. Enfin, ne compare pas le rythme de ton évolution avec celui qui fut le mien. Tous les enfants arrivent un jour à rouler à vélo sans les deux roues stabilisatrices. Mais ils n’y arrivent pas tous au même rythme. L’important n’est pas le rythme, mais le résultat : pour toi aussi, ta vie peut refleurir !


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Postface

Pourquoi être redevenu prêtre ?

25 mars 2006 Tout est installé dans ma vie pour que je puisse sereinement envisager de la reconstruire sur de nouvelles bases, complètement indépendantes du choix de vie antérieur qui fut le mien. C’est à ce moment-là que se produit un choc semblable à un séisme de grande amplitude et dont l’épicentre se situe au plus profond de mon être. De même que, dans certains cas, les séismes revêtent un caractère d’imprévisibilité, de même en fut-il ainsi ce jour-là pour moi : un véritable tremblement de terre intérieur, imprévisible, non souhaité, déstabilisant ! Ce séisme ayant à ce point touché mon être profond, il est difficile de trouver les mots justes pour le partager. Aussi, c’est à gros traits que je me risque à le coucher sur papier. C’est ma vocation sacerdotale, de prêtre, qui refait subitement surface ! Tel un volcan éteint qui refait irruption de façon inattendue au cœur d’un océan devenu calme et paisible. En l’espace d’une heure, cette voix, au plus profond de mon être, semble me dire et me montrer 107


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que le chemin de bonheur qui m’attend est celui du retour à la prêtrise. Cela s’accompagne de l’intuition qu’il ne s’agira pas pour moi de trouver le bonheur en fondant une famille. Toi qui me lis, sans doute ne comprends-tu pas ! Moi-même, ce 25 mars, je ne comprends rien à ce qui m’arrive ! J’ai tracé un trait définitif sur ce cheminlà, quelques années plus tôt. Alors pourquoi cela me revient-il aujourd’hui tel un boomerang, en pleine figure ? Que se passe-t-il ? Est-ce un coup de mon imagination ? Depuis ma décision de quitter la prêtrise, j’ai toujours été profondément en paix avec ce choix, sans plus y penser. Content de reconstruire petit à petit ma vie sur d’autres bases et avec d’autres projets. Or, voilà que subitement, le projet qui me tient le plus à cœur et qui consiste à fonder une famille, est mis à mal par ce séisme. Ce soir-là, je ne parviens pas à fermer l’œil. C’est un véritable défilé d’interrogations, d’incompréhensions qui habite mon esprit. Suis-je occupé à dérailler ? Une voix venue d’ailleurs, peut-être de Dieu, est-elle en train de me parler ? Certes, le 25 mars est le jour où l’Église catholique fête l’Annonciation. S’agirait-il alors d’une nouvelle « annonciation » de ma vocation à la prêtrise ? Je n’en sais rien et cela ne me laisse pas en paix. « Je ne suis tout de même pas masochiste au point de retourner sur un chemin de vie qui m’a conduit à la dépression », me dis-je ! À partir de ce moment-là, je commence à m’interroger plus finement sur les causes de ma dépression. Estce ce chemin de vie qui me conduisit jadis au « crash » ? 108


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N’est-ce pas plutôt la rencontre, sur ce chemin, de certaines personnes bien précises ? S’il s’agit d’un véritable appel renouvelé à la vocation sacerdotale, comment pourrais-je envisager de travailler à nouveau au sein de l’Église, de plonger dans cette hiérarchie, sans que cela me démolisse comme ce fut le cas jadis ? C’est précisément cette question-là qui m’effraye, me freine, m’angoisse. Voilà quelques questions qui m’habitent désormais et qui me feront passer quelques nuits blanches. À bien y réfléchir, le « crash » de 2003 n’était pas tant lié à la hiérarchie de l’Église prise en bloc qu’à certaines personnes en son sein. Au fil des semaines, cet appel renouvelé à la vie sacerdotale semble se confirmer. Les trois mois qui suivirent le 25 mars furent le temps nécessaire à mon discernement, par rapport à cette question qui chamboule tous mes projets. Durant cette période, mes angoisses s’estompent progressivement, pour laisser place à une paix intérieure grandissante. Cette paix s’imposant petit à petit sera un des signes qui ne trompent pas. Un autre sera le bonheur retrouvé. Trois mois, durant lesquels un travail de réflexion voit le jour et me conduit à envisager un retour serein à la vie de prêtre, à laquelle je réalise de plus en plus que je suis rappelé. Cet appel renouvelé ne vient pas de moi : il vient de Dieu ! Lorsque j’envisage ce retour à la prêtrise, c’est fortifié par mon expérience passée et par l’épreuve de la traversée de la dépression. J’y ai beaucoup appris sur moimême, mes limites et mes fragilités, mais aussi sur mes 109


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forces. J’y ai également beaucoup appris sur la réalité fort humaine et parfois décevante de certains hommes d’Église. Je suis tombé de très haut il y a quelques années ! Mais, au fond, qui n’a pas ses limites ? Aujourd’hui, par ce nouveau regard sur moi-même et sur la réalité ecclésiale, si je retombe, ce sera de nettement moins haut et cela ne produira plus les mêmes dégâts. Je sais et j’accepte aujourd’hui que je ne dois pas attendre plus de la hiérarchie ecclésiale que ce qu’elle peut effectivement donner, comme il en est pour toute autre hiérarchie. Ce qui est également valable dans l’autre sens. La hiérarchie ecclésiale ne doit pas attendre de moi plus que je ne puis donner. C’est donc davantage en connaissance de cause, et nettement moins naïf, que fin juin 2006 je prononce à nouveau intérieurement le « oui » que j’avais prononcé le 18 septembre 1999 lors de mon ordination sacerdotale. Pour prononcer explicitement ce « oui » il me faut écraser mon orgueil. Ce n’est pas d’emblée évident ! Je dois accepter de faire savoir aux autres, famille, amis, personnes d’Église, que je souhaite redevenir prêtre alors que plus de deux ans auparavant ils ont reçu un courrier dans lequel je leur faisais part de ma décision ferme et définitive de quitter la prêtrise. En outre, il faut encore que l’Église accepte ce retour, car j’ai tout de même pris une décision qualifiée par moi-même de « non-retour » en quittant la prêtrise. Vis-à-vis de la hiérarchie ecclésiale, cette décision était également accompagnée de mots durs qui, sans doute, n’auront pas dû être très ap-

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préciés, mais que je ne regrette cependant pas, car ils correspondaient à ce que fut mon vécu. L’Église pourrait-elle m’accepter de nouveau comme prêtre ? Ceci étant, je suis un être bien humain et il m’est aujourd’hui difficile, voire impossible, d’envisager la collaboration avec certaines personnes d’Église.

13 juillet 2006 Dans cet esprit-là, début juillet 2006, je prends contact avec le secrétariat de l’archevêché afin d’obtenir un entretien avec le cardinal, évêque du diocèse. Un rendez-vous me fut accordé le 13 du même mois, tôt dans la matinée, afin de ne pas devoir prendre congé pour cette rencontre. Être reçu si rapidement m’étonne ! Comme d’ordinaire durant les années d’avant le « crash », le cardinal me reçoit comme si de rien n’était. Entre cet homme et moi-même, le courant est toujours bien passé. C’est du moins l’impression que j’ai des rencontres vécues avec lui. Au cours de cet entretien, je lui livre le parcours de mes trois dernières années, et plus précisément l’expérience spirituelle du 25 mars 2006, ainsi que le discernement qui s’ensuivit. Discernement au terme duquel je viens lui demander si l’Église peut accepter mon retour à la prêtrise. Visiblement, sans avoir besoin de beaucoup y réfléchir, mais en s’enquérant tout de même de mon état de santé actuel, il me fait comprendre qu’un retour à la prêtrise ne pose pas de problème. 111


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Par ailleurs, sans que je doive insister, il comprend qu’il m’est actuellement impossible d’envisager certaines collaborations. Il en tiendra compte pour mon retour effectif dans le ministère. Il me faudra encore quelques mois pour quitter mon travail civil, et quelques autres pour apprivoiser un rythme de vie convenant davantage à un prêtre qu’à un gérant de distribution, avant de me voir confier un nouveau ministère ecclésial.

Un « oui » qui ouvre au bonheur Ce « oui » est l’aboutissement d’une remise en question qui m’ouvre au bonheur. En effet, avant le 25 mars, tout me souriait. La santé était pleinement revenue. Le travail professionnel était bon et j’envisageais dans un avenir proche de postuler pour davantage de responsabilités au sein d’un groupe de distribution plus large. De plus, mon lieu de vie se stabilisait enfin par l’achat d’une maison. Bref, tout allait bien. Et pourtant, je ne pouvais pas dire que j’étais heureux. Dernièrement, un ami me parlait de nos rencontres d’avant le 25 mars : « Tu me disais que tout allait bien, mais que tu n’étais pas pour autant heureux. » Il est vrai que mon projet étant de fonder une famille, je n’aurais pas pu être heureux tant que je restais célibataire. Sans doute aurais-je pu me marier un peu plus tard. Auquel cas je crois que j’aurais également trouvé le 112


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bonheur. Si tel avait été le cas, je pense que le Seigneur aurait eu la délicatesse de ne pas me faire vivre ce séisme d’un retour à la vocation sacerdotale. Ceci dit, n’étant pas encore marié et donc libre de tout engagement, c’est un autre scénario qui s’est produit, Dieu s’autorisant à me faire vivre ce séisme d’un retour à la vie de prêtre. Certes, je ne suis pas Dieu, mais il me plaît à le penser ainsi. Si la Vie m’est revenue le 25 décembre 2003, le bonheur est de retour suite au 25 mars 2006. Jour de la redécouverte de ma vocation profonde : être prêtre — avec mes richesses, mais aussi mes limites et mes faiblesses — à la suite du Christ, dans l’Église faite d’ombre et de lumière, au service des femmes et des hommes de toutes conditions. Était-ce une erreur de quitter la prêtrise ? Depuis toujours, je suis habité par une conviction : je suis aujourd’hui celui que je suis parce que j’étais hier celui que j’étais. Je ne peux concevoir ma vie comme la superposition d’étapes n’ayant rien à voir les unes avec les autres. Tout doit y être lié quelque part ! Il s’agit là d’un souci d’unification de mon être et de ma vie qui m’habite. Ce souci d’unification me fait me poser une question : si, aujourd’hui, j’ai repris le chemin de la prêtrise, cela veut-il dire qu’hier j’ai fait erreur en le quittant ? Il me faut réfléchir à ce sujet et me faire éclairer. J’ai besoin de savoir cela pour unifier ces années passées. Mon premier regard sur cette réalité sera sans doute celui qui est le tien et que je qualifierais de regard extérieur : si aujourd’hui je reviens à la prêtrise, c’est que j’ai 113


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fait erreur en quittant la prêtrise. Ce pourrait être le cas. Il me faudrait alors reconnaître cette erreur humblement. Du reste, qui vit sans faire d’erreurs ? Ceci étant, il est un autre regard sur cette réalité. C’est un « sage » qui m’a aidé à découvrir cet autre regard que je qualifierais d’intérieur tant ce regard ne peut être perçu qu’à partir de la réalité intérieure vécue ces dernières années : un regard selon lequel quitter la prêtrise était pour moi question de survie au moment où j’ai pris cette décision. À reconsidérer l’histoire de mes dernières années, je réalise combien le regard de ce sage est juste : je n’aurais pas pu faire autrement dans le contexte qui fut le mien il y a trois ans. Quitter la prêtrise s’imposait pour que je puisse sereinement, pas à pas, travailler à la reconstruction de ma vie. Ce ne fut donc pas une erreur que de quitter la prêtrise, quand bien même j’y suis revenu aujourd’hui. Prendre conscience de cela est pour moi fondamental. Autant quitter que revenir sont porteurs de sens. Ce qui m’impressionne le plus dans ce retour à la prêtrise, c’est la constance de l’appel de Dieu dans ma vie. Il ma laissé prendre les chemins que je devais prendre pour me soigner ; mais, au moment venu, il m’a rappelé l’appel qui était le mien. C’était alors à moi d’accepter d’entendre à nouveau cet appel et d’écraser mon orgueil. J’aurais pu ne pas le faire. Mais, aujourd’hui, quelle joie pour moi de redécouvrir ce chemin de bonheur qui pourtant ne fera pas

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l’économie de la souffrance, car aucun chemin de vie n’en fait l’économie. J’avais dit : « Plus jamais prêtre ! » Aujourd’hui la vie m’apprend : « Ne jamais dire jamais ! »

Un retour fortifié C’est fortifié par ce passé que je reprends aujourd’hui du service comme prêtre. L’expérience de la maladie m’ouvre à pouvoir, davantage qu’auparavant, rejoindre l’autre dans la souffrance de la maladie qui est la sienne. C’est du reste l’objectif premier de ce livre. L’expérience d’avoir quitté un engagement de vie, même si j’y suis revenu, fait désormais partie de mon histoire. Elle m’aidera certainement à rejoindre celles et ceux qui, au cours de leur vie, ont quitté, pour survivre ou par erreur, un engagement du même ordre. L’expérience d’avoir choisi la mort au début de ma maladie m’aide sans doute à approcher un peu plus la dure réalité qu’est celle du suicide. L’expérience professionnelle me donne de comprendre le stress du lendemain. Avant cette expérience, je croyais naïvement que, dans le monde professionnel, il relevait de chacun de s’investir comme il l’entendait, afin, par exemple, de préserver sa vie de famille… Aujourd’hui, je sais, pour l’avoir vécu, qu’il n’en est pas ainsi. J’aurais sans doute été viré rapidement si je n’avais pas accepté de faire mes soixante heures répar115


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ties sur six jours semaine durant plus d’un an. Certaines personnes n’ont pas le choix de travailler moins, sous peine de perdre leur emploi. Quel dilemme cela doit être pour un époux et père de famille, par exemple. Déchiré qu’il peut être entre le besoin de faire vivre sa famille d’une part, et le peu de temps qu’il peut y consacrer d’autre part, tant son travail le dévore. Je réalise aujourd’hui combien tous n’ont pas le choix d’agir autrement. Cela m’ouvre les yeux sur une société devenue complexe à l’heure de la mondialisation qui génère une demande de flexibilité de plus en plus forte, avec tout ce que cela peut entraîner sur les plans personnels, familiaux, mais aussi économiques et sociaux. L’expérience de la foi restée vive au travers des épreuves les plus cruelles, m’invite à prier différemment, de façon plus incarnée. C’est ainsi que l’expérience de ces années ne pourra que marquer de son empreinte l’exercice de mon ministère auprès des gens, dans ce qu’ils vivent d’heureux et de malheureux. Telle est mon espérance !

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Table des matières Préface .................................................................................. 7 À toi, lecteur ........................................................................ 9 1. 2. 3. 4. 5. 6.

La descente sournoise .................................................. 13 Un Noël bizarre .............................................................. 31 Le rebondissement intérieur ........................................ 35 Vivre demeure un combat ............................................ 41 Les prémices du printemps............................................ 57 Le retour à la vie ............................................................ 63

À toi qui souffres .............................................................. 105 Pourquoi être redevenu prêtre ? ...................................... 107

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Achevé d’imprimer le 29 octobre 2008 sur les presses de l’imprimerie Bietlot, à 6060 Gilly (Belgique)


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Le témoignage de cette descente aux enfers, livré dans sa nue vérité, est d’abord publié pour aider ceux qui vivent la même réalité : la dépression. Il vient leur manifester que d’autres aussi vivent ou ont vécu cela… et que l’on peut s’en sortir. Dans cette sincérité qui caractérise sa démarche, l’auteur pointe également quelques éléments qui lui ont permis de refaire surface : - la vérité envers soi-même et l’objectivité ; - la volonté et la persévérance ; - la proximité d’êtres chers ; - l’aide compétente du corps médical ; - et aussi la foi en la Transcendance, qui demeure alors que tout semble s’écrouler. L’originalité de l’ouvrage vient aussi du statut de son auteur : prêtre. Au plus profond de la dépression, il a renoncé à son sacerdoce. Une fois guéri, il est redevenu prêtre.

Jean-Marc de Terwangne

ISBN 978-2-87356-413-1 Prix TTC : 7,95 €

9 782873 564131

A la première personne

Né à Ixelles en 1970, ordonné prêtre en 1999, c’est comme vicaire qu’il débute son ministère dans différentes paroisses du Brabant Wallon. En 2004, il quitte et s’oriente professionnellement dans le domaine de la distribution. C’est en 2007 qu’il renoue avec le ministère laissé de côté quelques années plus tôt. Actuellement coresponsable au sein d’une unité pastorale à Bruxelles, son intérêt le porte également vers l’animation spirituelle hors paroisse.

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