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Magazine bimestriel • no 1 septembre-octobre 2010 • Ed. resp. : Charles Delhez, 1 rue de la Houe, 1348 Louvain-la-Neuve • Bureau de dépôt : Namur 1 • No d’agr. : P 301046 •

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D i ve ieu R

Du souffle pour aujourd’hui

RENCONTRE

Sortir de la violence… BIBLE

Accueillir la Parole en personne FIGURES DE SAINTETÉ

Cher saint François, …

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Sommaire Rencontre | Benoît & Ariane Thiran-Guibert. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

Témoignage | Baptisée à 17 ans . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8

Bible | Accueillir la Parole en personne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10

Figures de sainteté | Cher saint François . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12

Arts | Ivoire aux petites figures. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14

Conte | La souris. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16

Spiritualités | La Parole . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17

Jeune génération | Un coin Dieu dans la maison . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21

Histoire | Litanies. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24

Questions de familles | Il n’est pas interdit d’obéir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26

Médias | Des dieux et des hommes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28

Courrier | Pardonner . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30

Dieu Rive

– no 1 - septembre-octobre 2010

Éditeur responsable Charles Delhez, 7 rue Blondeau, 5000 Namur f Secrétaire de rédaction Jean Hanotte f Comité de rédaction Pascal André, Alain Arnould, Chantal Berhin, Dominique Collin, le Cardinal Danneels, Charles Delhez, José Gérard, Jean Hanotte, Marie-Raphaël de Hemptinne, François Lear, Nancy de Montpellier, Claude Raucy f Maquette et mise en page Jean-Marie Schwartz f Abonnements Isabelle Calay, Christophe Houessou et Brigitte Hendrick, 7, rue Blondeau, 5000 Namur, abonnements@fidelite.be, www.fidelite.be, 081 22 15 51 f Prix 24,50 EUR, 1 an, 6 numéros f Paraît tous les deux mois. RiveDieu est une publication des éditions Fidélité. Photo de couverture : Mer de Galilée, © Ellah | Dreamstime.com

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Éditorial

Il en faut, de nos jours, de l’audace pour lancer une nouvelle revue.

On a beau dire que la spiritualité est de retour,

Charles Delhez, jésuite Rédacteur en chef

ce n’est sans doute pas le premier lieu de nos investissements. Et, qui plus est, comment s’y retrouver dans les nombreuses propositions sur le marché, en ces temps où plus aucune institution n’a le pouvoir d’imposer ? Pourtant, les éditions Fidélité s’y risquent ! Elles ont entendu un appel : passons sur l’autre rive ! La rive, lieu des commencements… Rive de la mer Rouge où retentit l’appel de la liberté : Quitte les esclavages de l’Égypte, traverse ! Mais la mer était si impressionnante. Rive du lac de Galilée, où le pêcheur est invité à aller au large et à jeter ses filets. Rive des recommencements. Celle de l’aube pascale, où un feu de braise attend avec du pain et du poisson, après une nuit de vaine pêche. Mais il y a aussi d’autres rives tout au long de l’histoire. Celles de l’Asie Mineure, des côtes grecques ou italiennes pour les jeunes communautés chrétiennes, celles du Nouveau monde à l’époque de Colomb et, aujourd’hui, les rivages d’une culture qui se cherche, d’une humanité qui se mondialise. Passons de l’autre côté, sans avoir peur des tempêtes de la traversée. Dieu nous devance toujours, il donne rendez-vous dans l’avenir, sur l’autre rive. Dieu, ce grand inutile de nos sociétés en quête de rendement et de chiffres. Et pourtant, sans ce « je ne sais quoi » de gratuit, l’être humain a-t-il encore du charme ? Merci de nous garder votre fidélité ou de nous rejoindre pour la traversée ! Merci d’oser lire en direct l’aventure de la foi et de la confiance. Cinglons vers le large, avec audace, gardant en mémoire le feu de braise…

La RiveDieu, l’audace d’une nouveauté


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Rencontre

Benoît & Ariane Thiran-Guibert Sortir de la violence au nom de l’Évangile Propos recueillis par Chantal Berhin ; photos : Bruno Arnold

Benoît & Ariane iranGuibert animent des sessions-retraites centrées sur la relation non-violente et vécues à la lumière de l’évangile. Tous les domaines relationnels y sont abordés. De préférence ceux de la vie de tous les jours et sans carcan théorique. Leur conviction : rien ne remplace l’expérience d’un « autre possible » pour améliorer nos relations. 4

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Le parcours que vous proposez se base sur la lecture d’un évangile. Celui de Marc. Pourquoi celuilà en particulier ? Ariane : Marc, l’évangéliste, est en quelque sorte le secrétaire de Pierre, témoin direct de la vie de Jésus. Nous partons de cette idée que c’est donc bien Pierre qui s’exprime à travers cet évangile. Nous lisons le récit du début à la fin, verset par verset. L’ensemble possède une grande cohérence, autour d’une trame de conflit. Le point de vue que l’on adopte pour lire et comprendre cet évangile, c’est celui de la relation. Prenons le texte de l’aveugle. Un épisode où, derrière la figure de l’homme privé de la vue, se profile Pierre. Et même vous et moi. L’aveuglement n’est pas seulement physique. Il concerne la manière de se considérer soi-même, les autres et Dieu, aussi. D’où vient votre intérêt pour la question de la violence ? Benoît : En relisant notre enfance, nous nous apercevons que nous avons chacun été marqués par une situation de violence. Entendons-nous : nous n’avons pas été des enfants battus ! La violence qui se voit, c’est comme la partie visible de l’iceberg : une toute petite partie seulement. Ariane : Je suis le quatrième enfant d’une famille qui en compte sept. Au cours de débats mémorables, on pinaillait sur les mots et je cherchais toujours à avoir le dernier. À tel point que j’étais « accro » aux dictionnaires pour ne pas être prise en défaut sur le sens des

mots. Quand je gagnais la partie, j’étais contente. Mais après, je ne pouvais pas dormir si j’avais l’impression d’avoir fragilisé la relation. Benoît : Mes parents sont très différents l’un de l’autre. Et moi, je voyais un mur entre eux. Je voulais le faire tomber. C’était ma vision des choses. Ma sœur Isabelle est morte accidentellement, fauchée par une voiture. Elle avait treize ans. Un drame qui a conduit mes parents à créer l’association « Parents désenfantés ». Mais le vrai déclic a lieu en Amérique latine… Ariane : Notre départ a eu lieu dans le cadre d’une coopération et du service civil de Benoît. Je suis architecte, Benoît ingénieur commercial. Nous avons monté un projet de coopération en Équateur. Après trois ans, nous avons emmené les « Iles de paix » là-bas et continué de travailler avec eux. Benoît : Nous avons vécu avec les indiens, dans des milieux très pauvres. Ils n’ont aucune sécurité, aucune assurance. La précarité et la promiscuité dans laquelle ils vivent engendrent des violences « domes-

tiques ». Deux questions se sont posées à nous : Qu’est-ce qu’on peut faire ? Et que fait Dieu ? Comment les indiens font-ils face à l’injustice ? Ariane : Les Indiens, qui représentent cinquante pour cent de la population équatorienne, fonctionnent sur le mode de la non-violence. Ils sont organisés en communautés avec des liens familiaux très solides. Une force pour se mobiliser, sans GSM, ni autre méthode de communication « moderne ». Ils bloquent les routes et font entendre leur voix. Sans faire de mal à une mouche. Avec eux, vous avez appris à mettre en pratique une certaine lecture de l’Écriture… Benoît : Grâce aux communautés de base, familiarisées avec l’Écriture, nous avons beaucoup cherché et beaucoup appris. Personne n’est théologien là-bas. L’Écriture fait sens si la parole résonne dans notre vie. Et quand on ne comprend pas une question, un point du texte, il faut accepter d’être interrogé. De ne pas comprendre tout de suite. On porte alors la question dans la patience.

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Puis un événement non planifié va se produire… Ariane : En 1992, nous avons été « les invités de la dernière heure » au rassemblement du Mouvement international de la réconciliation (MIR), à Quito. Nous y avons rencontré des gens qui travaillaient à la paix depuis de nombreuses années. Leurs références varient suivant les pays, les cultures, les religions, les affinités spirituelles : Gandhi, Martin Luther King, Jésus… Leurs chemins portent des noms différents : non-violence active, amour des ennemis, force de l’amour ou de la vérité… Des milliers de gens avaient mis des mots sur ce que nous voulions. Nous avons vécu cet événement comme un appel personnel. Benoît : Même si le travail sur place relevait du domaine de la coopération au développement, et donc sans caractère

religieux dans la démarche, ce que nous avons vécu là-bas a fortement influencé notre foi. Nous avons alors écrit un texte. « Comme des vœux », nous diront plus tard des religieuses. Ensuite, vous revenez en Belgique… Ariane : C’était en 1997. Nous sommes alors une famille, avec trois enfants. Nous avons pris le temps de la relecture de notre vécu. Et celui de mettre des mots sur cette expérience. Nous avons cherché à discerner notre vocation et les formes concrètes qu’elle allait prendre. Benoît a travaillé à l’Arche de Jean Vanier, à Bruxelles. Un ami prêtre nous a suggéré de suivre pendant un an des cours à l’Institut d’études théologiques (IET), à Bruxelles. Pour Jean Radermakers, notre directeur d’études, nous ne pouvions pas garder tout ce chemin pour nous. Avec son écoute et ses conseils, nous avons pu faire des liens entre notre expérience et les Écritures. Benoît : J’ai relu les deux cahiers écrits au cours de l’année précédente. C’était l’année liturgique pendant laquelle les textes de Marc sont proposés. Dans ce que j’avais écrit, tout cet évangile y était, en filigrane. La pédagogie de Jésus par rapport à la non-violence. J’ai dit à Ariane : « On va approfondir cela à nous deux. » Elle m’a répondu que c’était mon cheminement, écrit dans mes cahiers… Mais pour moi, cette expérience est aussi celle de

notre couple. En 2001 est né le manuscrit des trois futurs livres dont deux sont sortis à ce jour. Et puis, il y a eu la création de l’association « Sortir de la violence »… Benoît : En 2004, à plusieurs, nous avons créé cette association. Petit à petit, nous avons développé différents programmes de formation. En partant de la formule de base, d’un ou de trois jours, suivant le public auquel nous nous adressions. Ces sessions font référence à l’évangile. Puis nous avons proposé une session à destination du monde associatif (écoles, hôpitaux), sans référence explicite à l’évangile. Depuis 2009, nous avons également préparé un programme pour le monde des entreprises. Et là, nous avons adapté le vocabulaire et parlé de « management humain durable ». Dans


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proches car une seule porte d’entrée dans la compréhension des mécanismes de la violence, ce serait trop réduit. Grâce à ces moyens, chacun peut mieux comprendre, dans la relation qu’il entretient avec l’autre, où sont les germes de violence. Mon ennemi n’est pas toujours bien loin : mon préféré, c’est Ariane !

chacune de ces « formules », nous parlons de relation nonviolente. Avec comme outil visuel, la roue du changement de regard [cf. photo ci-dessous ; nous vous renvoyons au livre de Benoît & Ariane Entrer dans l’Évangile pour sortir de la violence pour une explication détaillée de cette roue du changement de regard, nde]. Et nous utilisons aussi d’autres ap-

Être engagé en couple, ce n’est pas fréquent. Qu’est-ce que cela vous fait vivre ? Ariane : Vivre cette expérience à deux, c’est une grâce. Au cours des retraites et des formations, nous donnons des exemples de notre vécu personnel. Nous portons les utopies de la non-violence ensemble. Ce qui ne veut pas dire que nous soyons non-violents… Benoît : En étant mari et femme, nous sommes les meilleurs amis… et aussi les pires ennemis, comme on l’a vu ! mais la démarche que nous vivons nous fait évoluer. Nous cherchons à permettre à l’autre de développer ses différences. D’être lui. Il y a un écho du chemin de l’un sur celui de l’autre. Notre parcours peut inspirer à d’autres un voyage qui leur est propre. Ils peuvent s’engager avec leur propre vécu. Si nous y trouvons du bonheur, peut-être le trouveront-ils aussi ? ●

Pour en savoir plus… L’association « Sortir de la Violence » a été créée pour tenter de répondre à ces questions en se mettant au service des personnes ou des groupes qui portent en eux le désir d’agir face à la violence. Elle propose des retraites-formations et des journées à thèmes. Benoît & Ariane Thiran Sortir de la Violence asbl 365, rue au Bois, bte 17 1150 Bruxelles Tél. : 02 646 09 83 info@sortirdelaviolence.org www.sortirdelaviolence.org LIVRES • Entrer dans l’Évangile pour sortir de la violence, Préface de Jean Vanier, Namur, Fidélité, 216 p. • Jésus non-violent. Changer notre regard (tome 1), Préface de Jean Radermakers, Namur, Fidélité, 200 p.

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Témoignage

Baptisée à 17 ans « Un puits au fond de moi » Propos recueillis par Charles Delhez « Maintenant que j’y pense, mon chemin vers la foi n’a pas commencé cette année, mais depuis ma plus tendre enfance. » Justine se souvient en effet que, âgée de 6 ou 7 ans, elle disait déjà : « Je veux être baptisée. » Terminant ses humanités et se préparant à partir un an à l’étranger, elle sera baptisée ce mois de septembre. Rencontre.

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es contacts de Justine avec le christianisme et la foi ont été nombreux : via le scoutisme, la chorale, la famille, les grands-parents et même, ajoute-t-elle, via la société qui l’entoure. Son professeur de religion, qu’elle a choisi comme parrain, a aussi joué un grand rôle. Grâce à ses cours, son esprit s’est ouvert de plus en plus. Elle se souvient notamment qu’il parlait d’Etty Hillesum. La future baptisée s’est préparée à ce grand jour par la lecture de l’Évangile, mais aussi en fréquentant Etty Hillesum, cette jeune juive morte à Auschwitz, passée de l’incroyance à la foi en Dieu. « Elle a peut-être servi de déclic. Je me suis un peu reconnue en elle. Je trouve fou que cette femme à la vie dévergondée ait pu, en deux ans seulement, faire un pareil chemine-

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ment. Cela paraît relever de l’impossible. J’aurais tellement de choses à lui demander. Hélas elle n’est plus, mais sa mort pour accompagner ses compatriotes fait aussi sa beauté. » La catéchumène — nom que l’on donne traditionnellement à ceux qui se préparent au baptême — n’a cependant pas été élevée par des parents croyants. Pas question pourtant de leur en vouloir. Au contraire. « Vous m’avez transmis de nombreuses valeurs qui sont la base de celle que je suis maintenant, leur a-t-elle confié. Vous m’avez profondément aimée et je pense que c’est en partie l’amour que vous me portez qui me mène à Dieu. » En partie. Il y a en effet aussi, et peut-être d’abord, ce mystérieux chemin que chacun peut faire à l’intérieur de lui-même et qui le conduit vers la Rencontre qui change la vie. Elle raconte : « Il était une fois une petite fille qui ramassait des cailloux et les conservait tels des trésors. En grandissant, elle a gardé une puissante vie intérieure et un lien magique avec l’enfance. Cette enfant, c’est moi. Et ce lien que j’ai gardé avec mon enfance m’a menée à demander le baptême. Au fil des ans, j’ai gardé ce contact d’enfance avec les pierres, no-

tamment lors des nombreuses visites d’églises en famille. Je m’y suis toujours sentie attachée et à l’aise et j’ai passé de nombreuses heures, assise, à profiter du silence et à prier. » Sa retraite de rhétorique l’a amenée à La Viale (Lozère, France) en février dernier. « Làbas, j’ai pu me retrouver et découvrir une sérénité profonde. J’ai fait une belle rencontre avec le prêtre qui nous accompagnait et une, plus merveilleuse encore, mais cette fois-ci, au plus profond de moimême. »

Avec d’autres jeunes À son retour, les choses s’emballent. Elle va trouver son futur parrain et, par deux, fois lui dit son désir d’être baptisée. C’est lui qui la met en contact avec le curé de la paroisse voisine qui débutait un groupe de préparation à la confirmation pour des jeunes de son âge. Elle lui téléphone et, dès le lendemain, elle participait à la réunion. « La suite de mon cheminement, c’est auprès d’eux que je l’ai accompli et honnêtement, je n’aurais pu rêver une meilleure préparation. Ce que nous avons partagé était vraiment magique. Entre jeunes aujourd’hui, on n’affiche pas sa foi. C’est


La Viale, Lozère, France

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tabou. Dans ce groupe, j’ai pu en parler et la vivre. Je n’aurais pas été si loin sans eux. » Justine a ainsi trouvé sa « famille proche », mais sans oublier la communauté plus large… C’est devant elle que, le lundi de Pentecôte, jour de la confirmation, elle faisait sa demande d’entrée en catéchuménat. Moment d’intense émotion. L’assemblée ne s’y est pas trompée quant à la vérité et la force de la démarche : les applaudissements furent particulièrement intenses. Justine en est bien consciente, le baptême est l’entrée dans l’Église, si décriée aujourd’hui. Sans être toujours tout à fait à l’aise avec les expressions de la hiérarchie, elle se dit triste de tout ce qui arrive à cette institution. « Cela me blesse. » Pourtant, estime-t-elle, l’Église peut apporter beaucoup. « J’ai les mêmes valeurs qu’elle, les mêmes

❝Une rencontre plus merveilleuse encore, au plus profond de moi-même❞

principes, la même foi. On ne peut vivre la foi toute seule. Sans la partager, on perdrait l’une de ses dimensions, qui en fait la beauté. Il y a l’amour entre Dieu et moi, mais aussi avec la communauté. »

L’amour omniprésent « Ce qui me touche le plus dans la foi chrétienne, explique la catéchumène, c’est cet amour omniprésent. L’amour est la base de la vie, aussi vital que la respiration ou l’alimentation. S’il me manque l’amour, je ne suis rien, dit d’ailleurs saint Paul. Choisir le baptême, ce n’est pas choisir la simplicité, loin de là ! Dans un monde où l’individualisme prime, vivre la foi est un défi que l’on se lance à soimême. Je choisis de suivre les

pas du Seigneur, et qu’importe si le sentier est long et rocailleux, je sais que chaque seconde de la vie est emplie de richesses. » Dans l’Évangile, un épisode a sa préférence, celui de la Samaritaine. « Je peux t’offrir une eau qui t’abreuvera », lui dit Jésus. Et la femme de répondre : « Je veux boire de cette eau. » Cette eau, commente Justine, je peux aujourd’hui encore la trouver au fond de moi. Joyeux baptême, Justine ! ●

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Chronique biblique

Accueillir la Parole en personne Sœur Marie-Raphaël, o.s.b.

A

lors qu’il était en route avec ses disciples, Jésus entra dans un village. Une femme appelée Marthe le reçut dans sa maison. Elle avait une sœur nommée Marie qui, se tenant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. Marthe était accaparée par les multiples occupations du service. Elle intervint et dit : « Seigneur, cela ne te fait rien ? Ma sœur me laisse seule à faire le service. Dis-lui donc de m’aider. » Le Seigneur lui répondit : « Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et tu t’agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part : elle ne lui sera pas enlevée » (Luc 10, 38-42).

Jésus entra dans un village

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ésus monte à Jérusalem. Luc vient de le montrer accueillant les disciples à leur retour de mission et remerciant le Père qui les reçoit dans son intimité. Jésus rencontre alors un spécialiste de la Loi : un dialogue s’engage sur la façon d’obtenir la vie éternelle. Comment interpréter la Loi qui parle de l’amour de Dieu et du prochain ? La parabole du bon Samaritain est une réponse. Le récit de l’hospitalité de Marthe et de Marie illustre un autre aspect de cet amour. Au lecteur de se laisser surprendre par la complémentarité de ces deux récits, invitant à l’engagement et au service, mais aussi à l’intériorité d’un accueil qui se rend attentif à la personne même de l’hôte.

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De l’hospitalité

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’évangile de Luc présente de nombreuses scènes d’hospitalité. Dès le récit de l’enfance, Marie visite Élisabeth : elle y reste trois mois. Jésus lui-même entre dans les maisons, invité par les publicains ou les pharisiens. D’autres, parfois, s’invitent avec lui, telle cette femme en pleurs à ses pieds, qui accomplit en plus fort les gestes d’hospitalité omis par l’hôte pharisien (7, 3650). Zachée, curieux, avait laissé entrebâillée la porte de son cœur : Jésus s’y invite (19, 1-10). Jésus enseigne aussi comment accueillir : paroles sur l’ami importun, le bon Samaritain, le père du fils prodigue, les invités qui prennent la première place ou ceux qui déclinent l’invitation… Il encourage à inviter les pauvres, qui ne peuvent rendre la pareille (14, 7-24). Jésus invite enfin à son propre festin, table des noces préparée par son Père : la dernière Cène en est l’annonce ultime (22, 7-18). « N’oubliez pas l’hospitalité, car, grâce à elle, certains, sans le savoir, ont accueilli des anges » (He 13, 2).


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Servir et aimer

L’un et le multiple

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Le Christ dans la maison de Marthe et Marie, vers 1654-1656 (National Gallery of Scotland, Édimbourg)

arthe est tiraillée. Beaucoup de femmes — et d’hommes ! — peuvent se reconnaître en elle. Le service, cette grande chose, est à double tranchant : lorsqu’il se « démultiplie », il peut faire perdre de vue le but lui-même qu’il se proposait. Marthe est « accaparée par un service multiple » quand Jésus lui rappelle « l’unique » nécessaire. Accueillir, recevoir l’autre, est à double sens : il s’agit aussi de recevoir de l’autre sa précieuse présence, sa parole, son silence. Jésus est la Parole de la Grâce qui entre dans nos maisons.

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a tradition a souvent comparé — voire en les opposant — Marthe, l’active, et Marie, la contemplative. Or, l’expression traduite par « meilleure part » désigne simplement la « bonne » part, celle qui est adaptée, juste. Des deux sœurs, Jésus ne fait pas deux rivales. Il invite plutôt à convertir nos inquiétudes en y mettant la dimension d’écoute et d’intériorité. Alors, le service deviendra vraiment la visibilité de l’amour et nous fera goûter la joie qui « ne nous sera pas enlevée ».

Mettre Marthe dans Marie, et Marie dans Marthe.

« Solo Dios basta ! » Que rien ne te trouble, Que rien ne t’épouvante. Tout passe, Dieu ne change pas. La patience triomphe de tout. Celui qui possède Dieu ne manque de rien. Dieu seul suffit ! Sainte érèse d’Avila

Dans le silence et la vie cachée, le service, et dans le service, un rayonnement de vie cachée. Surtout ne pas se laisser surprendre par le démon de tristesse ou par celui de l’orgueil. L’une te rendra plus humble, l’autre, toujours plus joyeuse ! Marthe le sait par expérience, Marie comprend de l’intérieur : « tout est grâce » !

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Figures de sainteté

Cher saint François, Cardinal Godfried Danneels

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uel bonheur de t’avoir reçu pour l’Église et de t’avoir encore pour l’époque que nous vivons. « Surgit au monde un soleil. » C’est avec ces paroles que Dante, dans sa Divina Commedia (Paradis, Chant XI), salue ta naissance à la fin du XIIe siècle, une période noire dans l’histoire de l’Église. Oui, ta lumière a lui dans notre monde occidental. Et elle éclaire aujourd’hui encore l’Église. Tu indiques la fin de la nuit que nous traversons ces derniers temps. Nous l’espérons. C’est vers toi que se lèvent nos yeux pour voir poindre l’aurore.

Jeunesse dorée

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u commences ta vie comme tant de jeunes de nos jours. Tu connais toi aussi ce temps de la « jeunesse dorée ». Car tu es ce jeune « prince carnaval » charmant qui, à la tête d’une bande d’amis, sillonne les rues d’Assise. Tu es à la tête de ce cortège qui, lors des fêtes nocturnes, dé-

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range les habitants et les empêche de trouver le sommeil. Mais on raconte que, rentrant aux petites heures à la maison de ton père — un riche marchand drapier —, tu sens ton cœur envahi par une immense tristesse. Non, ce n’est pas ça, le bonheur. Il doit y avoir autre chose, un surplus, une autre joie au-delà du bruit des fêtes et des randonnées nocturnes. Sans doute tant de jeunes le ressentent-ils encore actuellement au retour de leurs fêtes. Oui, François, il y a dans ton cœur un idéal et un esprit chevaleresques qui furent l’un des meilleurs fruits de l’esprit du Moyen Age. Avant toute considération religieuse ou chrétienne, cet idéal témoigne de cette bonté naturelle qui marque la nature de l’homme telle qu’il est sorti des mains de son Créateur. C’est un esprit d’honnêteté, de générosité, un esprit de gratuité qui garde la porte ouverte sur la sainteté chrétienne. Comme chevalier, et dans ta générosité, tu mènes la guerre contre Pérouse et tu y es fait prisonnier. Tu tombes malade et c’est peut-être cela qui te rend vulnérable aussi spirituellement. Dieu frappe à

la porte. Tu entres dans une nouvelle jeunesse, celle du cœur. Finies les années dorées, tu découvres une autre générosité, une autre gratuité, une autre fougue.

Dieu frappe à la porte

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ar deux fois, Dieu frappe à ta porte. Poussé par ta générosité naturelle, tu franchis le seuil pour entrer dans le monde de l’amour qui va beaucoup plus loin que l’esprit chevaleresque. Tu embrasses un lépreux sur le bord du chemin. Tu te sens habité tout à coup par une force qui va au-delà de la générosité naturelle et qui vient d’ailleurs. Elle s’appelle grâce. Dieu, en effet, porte à une perfection plus grande toutes les vertus naturelles et humaines. Car la grâce élève la nature et l’ennoblit. Dieu frappe à la porte de ton cœur, mais c’est le Christ qui pousse la porte et te fait entrer dans l’Église. Le Crucifié, dans l’église de San Damiano, te dit : « Va, François, et répare mon Église en ruine. » Ton cœur réagit, mais d’abord ton cœur de chevalier. Tu montes sur le toit de la petite église et tu commences à le réparer. Pro-


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gressivement, tu comprends. Le Crucifié au-dessus de l’autel te demande de prendre soin d’une autre église. Il te confie la grande Église en état de délabrement total. Sa situation est, à cette époque, dramatique et très préoccupante. La foi est devenue superficielle. Elle ne forme plus les hommes ni ne les transforme. Le clergé est peu zélé, l’amour s’est refroidi. Partout naissent des hérésies. Nous sommes en 1205. Deux ans plus tard, le grand pape Innocent III voit en rêve la basilique Saint-Jean de Latran — mère de toutes les églises — s’écrouler. Mais un petit religieux soutient le bâtiment de ses épaules pour qu’il ne s’effondre pas. Un petit religieux insignifiant. Lorsque tu rends une visite au pape un peu plus tard, celui-ci te reconnaît tout de suite. Cher saint François, en ces temps difficiles pour notre

sainte Église, reviens et mets tes épaules sous cette Église bien-aimée comme le Christ te l’a demandé. Je crois en avoir fait moi-même le rêve. Rappelle-nous que, dans cette vision, ce n’est pas le pape Innocent III — ni un évêque — qui apporte son aide afin que l’église du Latran ne s’écroule pas. C’est « ce petit religieux insignifiant ». Un saint François. Envoie-le nous à nouveau : lui ou quelqu’un qui lui ressemble. Mais ce petit religieux insignifiant n’a pas voulu sauver l’Église sans le pape : il l’a fait avec lui et en communion avec lui. Les deux réalités vont de pair. Il y a le charisme des pasteurs — le pape, les évêques, les prêtres… — de cette Église fondée sur les apôtres. Il y a aussi la foi, l’espérance et la charité des tout petits dans l’Église. C’est ensemble qu’ils répondent à la demande du Crucifié de San Damiano : « Répare mon Église en ruines. »

Donne-nous la joie…

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her saint François, jamais notre terre n’a porté un homme plus joyeux que toi. Pourtant, tu as aussi vécu des jours noirs et tu as connu ta période de dépression. Tu as cherché refuge dans le petit jardin du monastère de San Damiano. Claire t’avait aménagé une cabane de feuilles pour te retirer. Tu y as passé un temps considérable. Jusqu’à cette nuit où le Christ t’est apparu et t’a

donné l’ordre de te lever et de sortir dans la belle lumière du petit matin. C’est alors, après un long temps de détresse et de découragement, que tu as composé ton Cantique des créatures : « Béni sois-tu dans toutes tes créatures, spécialement messire frère Soleil, par qui tu

« Répare mon Église en ruine » donnes le jour, la lumière. Il est beau, rayonnant d’une grande splendeur et de toi, le Très-Haut, il nous offre le symbole. » Et par cette joie, toute la création retrouve sa splendeur : la lune, les étoiles, la terre et l’eau, et même « notre sœur la Mort corporelle ». ●

Prière Cher saint François, obtiens-nous un cœur de chevalier, sensible au vrai, au bien et au beau dans notre quête de bonheur véritable. Fais-nous la grâce d’embrasser le lépreux. Parle-nous et dis-nous : « Allez, réparez mon Église. » Par-dessus tout, donne-nous la joie qui peut nous guérir et nous faire sortir de la nuit du découragement. Alors, avec messire Soleil et notre sœur la lune, avec toutes les étoiles, avec l’eau et la terre, nous pourrons te louer et te bénir en toute humilité. Amen. G.D.

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Art religieux

Ivoire

aux petites figures Alain Arnould, o.p.

C

ette petite œuvre en ivoire, qui couvrait peut-être une reliure d’évangéliaire, illustre bien l’apogée qu’atteignit la production artistique dans la vallée de la Meuse au début du deuxième millénaire. L’artiste y montre non seulement sa grande maîtrise technique, mais il manifeste également ses connaissances théologiques en reprenant à son compte des éléments iconographiques issus d’œuvres datant de l’époque carolingienne et ottonienne. La disposition des figures, évitant soigneusement les visages en position frontale, reflète l’influence de l’art de l’Antiquité romaine tandis que le remplissage de l’espace disponible est plus typique de l’art médiéval de l’époque. C’est une catéchèse que l’artiste de cet ivoire présente ici. Les quatre évangélistes accompagnés de leur symbole respectif écrivent sur leurs tablettes le résumé de la foi chrétienne qui se déroule

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de bas en haut devant eux. La nativité ouvre le narratif. On y voit Marie et une sage-femme qui lui tire la couverture, alors que l’enfant est gardé au chaud par l’âne et le bœuf évoquant ainsi la prophétie du Livre d’Isaïe (1, 3) : Le bœuf reconnaît son bouvier et l’âne la crèche de son maître. Au centre, ce sont différents moments de la crucifixion qui sont mis en image : le porteur d’éponge répond à la demande du Christ assoiffé en lui offrant du vinaigre. Le soldat romain que la tradition a appelé Longin transperce son côté. Marie et Jean l’évangéliste contemplent, les larmes aux yeux, les souffrances de leur bien-aimé. À la droite du Christ, le bon larron oriente son regard vers celui qui a été injustement condamné à mort. Entre eux, une femme portant étendard et lampe personnifie l’Église. À sa gauche, le mauvais larron et une femme personnifiant la synagogue détournent leur regard du Christ. Dieu vient bénir son fils crucifié d’une couronne impériale. Dans la scène du haut, la Mère de Dieu et les apôtres assistent à l’ascension du ressuscité qui va ouvrir les portes des cieux et tracer le chemin du salut pour tous les hommes représentés par quatre hommes et femmes qui s’éveillent de leur tombeau, sauvés par l’incarna-

tion, la crucifixion et la résurrection de l’envoyé du Père. Jusqu’au XIVe siècle, les artistes ont évoqué avec pudeur le mystère de la résurrection en montrant le tombeau vide ou, comme ici, en représentant l’ascension. Dans la tradition biblique et théologique, la résurrection s’exprime en effet de manières différentes : le tombeau vide, les apparitions du ressuscité ou l’ascension. L’artiste de notre ivoire a choisi l’ascension pour synthétiser tout l’élan de la résurrection. En nous ouvrant les portes du salut, Dieu qui s’est fait homme et qui est mort sur une croix nous entraîne vers la gloire de Dieu. De condition divine, il est devenu semblable aux hommes, obéissant jusqu’à la mort et la mort sur une croix. Dieu l’a exalté pour que toute langue proclame de JésusChrist, qu’il est Seigneur à la gloire de Dieu le Père (Lettre aux Philippiens 2, 6-11). ●

Bruxelles, Musées royaux d’art et d’histoire, Atelier liégeois, 1030– 1050, Ivoire sculpté en relief. H 17,5 cm × L 11,3 cm


© Musées royaux d'Art et d'Histoire, Bruxelles

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Conte

La souris U

ne souris rêvait d’être quelque chose de plus qu’une souris, quelque chose de grand, d’invincible. Elle alla trouver un vieillard dont on disait qu’il était très sage et lui dit : — Je suis fatiguée de n’être qu’un misérable animal. Pourrais-tu m’aider à changer de condition ? Devenir le soleil, par exemple. Si j’étais le soleil, qui pourrait quelque chose contre moi ? Personne, rien, j’en suis sûre. — Si, dit le sage : les nuages. Dès qu’un d’eux a décidé de cacher le soleil, il le fait. Et les rayons de l’astre sont impuissants contre lui. — Alors, je voudrais être un nuage, dit la souris. Mais quelqu’un serait-il plus fort que moi ? Je suis sûre que non. — Oh si, dit le sage. Le vent. Regarde comme il est fort. Il décide de souffler et aussitôt les feuilles des arbres s’agitent, la surface des lacs se ride et le nuage qui se croyait si fort quand il cachait le soleil est envoyé à l’autre bout du ciel ! — Et rien n’arrête le vent ? — Bien sûr que si. Vois cette montagne. Le vent court dans la plaine. Il fait s’envoler les chapeaux, enlève les toits des maisons, déracine les arbres les plus puissants. Il se croit le maître du monde. Et puis soudain sa course s’arrête au pied de la montagne. Il a beau souffler, souffler, se transformer en tempête, la montagne n’est pas impressionnée. Elle at-

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tend que le vent se calme. Il ne peut rien contre elle. — Vraiment, dit la souris, chacun trouve donc quelqu’un de plus fort que lui ? Personne n’est plus puissant que tout. — Est-ce si important ? dit le sage. Est-ce cela qui rend heureux ? — Je ne sais pas, dit la souris, mais je voudrais quand même savoir s’il y a quelque chose contre quoi la montagne ne peut rien. — Bien sûr, dit le sage. — Tu en es sûr ? Je t’en prie : dis-moi quoi. — La souris. — Pardon ? — La souris. Elle est plus forte que la montagne. — Tu te moques, dit la souris. — Mais non. Elle peut creuser des trous dans la montagne, faire des galeries autant qu’elle veut. La montagne ne peut rien contre elle. La souris la chatouille, l’énerve, la met en rage. Elle est impuissante contre la souris. — Une montagne impuissante contre une souris ? Ce que tu me dis est incroyable. Alors, je n’ai besoin d’être ni le soleil, ni le nuage, ni le vent, ni la montagne ? Simplement rester… — C’est ça, dit le sage : rester ce que tu es. C’est vraiment très simple.

Écrit par Claude Raucy d’après le Panchatantra, un très vieux recueil de contes indiens. Illustration de Boris Servais


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Spiritualités

Au commencement est la Parole Dominique Collin, o.p.

Ouvrir une brèche

«N

otre cœur ne brûlait-il pas en nous tandis qu’il nous parlait en chemin et nous ouvrait les Écritures ? » (Lc 24, 32). Seule la Parole qui ouvre une brèche a la saveur d’une « heureuse annonce » (ce que signifie le mot « évangile »). Deux disciples en ont fait l’expérience. Découragés, ils ressassaient les événements dont ils avaient été témoins et qui leur laissaient comme un goût de cendre… Tout aurait pu être si différent si leurs rêves avaient tenu toutes leurs promesses. Mais ce messie auquel ils avaient cru, leurs prêtres le considéraient comme un blasphémateur, un charlatan ! Perdus dans leurs désillusions, ils ne peuvent reconnaître l’homme qui s’approche d’eux. Cet homme est

désormais libre, vivant. Il a connu la réduction au silence et l’enfermement dans le tombeau de la mort. Mais il ne tient pas en place, cet homme de Parole, il rejoint désormais tous ceux qui vivent des moments difficiles. Corps en mouvement, on trouve désormais le Ressuscité dans tous les lieux d’impasse où l’homme cherche son chemin. La Parole s’invite alors dans la discussion des deux compagnons : « Quels sont ces propos que vous échangez en marchant ? » (Lc 24,

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LeChrist et ses disciples en route vers Emmaüs, huile sur bois, Pieter Coecke

Si, comme le dit Pierre Emmanuel, « la parole est l’être de l’homme », alors peut-être est-elle aussi l’être de Dieu, que l’évangile de Jean appelle le Verbe. Dieu et l’homme s’entendent parce qu’ils sont faits de parole, ils n’existent — oserais-je dire pour Dieu —, que dans l’ouverture que crée la parole, dans l’adresse qu’elle donne, dans le monde qu’elle invente. Oui le Verbe s’est fait chair pour que toute chair devienne parole !

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Lectio divina surabondance de l’Eucharistie toujours offerte, ne s’appliquent-ils pas à la profusion des Écritures et par elles de la Parole ? Jésus lui-même ne dit-il pas, en saint Jean, qu’il est le Pain vivant ? Il y a toujours du pain pour chaque jour sur la table de la Parole, il en reste toujours. Celui qui le mange est rassasié à la mesure de sa faim, il en devient même capable de pétrir et de cuire son propre pain quotidien et de l’offrir en partage » (Lire et prier les Écritures. La tradition monastique de la lectio divina, éd. Lumen Vitae) ! Ainsi, la lectio divina ensemence patiemment le jardin intérieur du lecteur. On pourrait même dire qu’alors c’est l’Écriture qui lit le lecteur ! Au lieu de la déchiffrer, c’est elle qui nous déchiffre ! Au lieu de la découvrir (la mettre à jour — et parfois au jour !), c’est elle qui nous découvre, nous met à nu. Au lieu de l’exposer, c’est elle qui nous expose à la vérité profonde de notre être. La lectio divina n’est donc pas la spécialité des moines, mais l’art authentique pour chaque croyant de toute lecture inspirée de la Bible.

© N.JUNG esprit-photo.com

Jésus n’a rien écrit. Comment être en contact avec son évangile si ce n’est par le témoignage des textes ? Grâce à sa mise par écrit, l’« heureuse annonce » est à portée de toutes les mains, elle peut continuer à ensemencer les cœurs et les esprits. Elle peut encore nous toucher aujourd’hui et rejoindre notre vie de tous les jours. C’est ce qu’ont bien compris les moines et les moniales d’hier et d’aujourd’hui qui pratiquent ce qu’ils appellent la lectio divina, qu’on pourrait traduire par « lecture spirituelle » de la Bible. Il s’agit de méditer les Écritures afin d’y trouver une parole qui nous met en mouvement, qui nous invite à élargir notre existence. Le moine Bernard Poupard écrit : « Revenir au puits creusé par d’autres pour en laisser jaillir l’eau à nouveau et creuser ses propres puits, c’est tout le voyage de la lectio divina. Il y a toujours à lire et toujours à interpréter. C’est ainsi que j’aime à comprendre le récit de la multiplication des pains : la table ouverte, la foule rassasiée sans même compter tout le monde, les corbeilles pleines de morceaux restants, avant de signifier la

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mutisme. Les disciples expérimentent ainsi un premier signe de délivrance : la parole, toute parole a le pouvoir d’ouvrir une brèche dans l’opacité de l’existence marquée par le mal-heur.

« Au bout du rouleau… la vie ! »

E

t lui leur dit : « Esprits sans intelligence, cœurs lents à croire tout ce qu’ont déclaré les prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela et qu’il entrât dans sa gloire ? » Et, commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur expliqua dans toutes les Écritures ce qui le concernait (Lc 24, 25-27). Les deux compagnons étaient littéralement « au bout du rouleau », incapables de percevoir un sens à tout ce qui était arrivé et donc incapables aussi d’envisager un avenir. Alors, le Ressuscité va dérouler sa Parole et montrer qu’une espérance pointe au bout du rouleau de l’Écriture. Il lui revient aussi de faire son propre « conte-rendu ». D’interpréter l’histoire des relations entre Dieu et son peuple, de relier les différentes harmoniques des récits bibliques afin de découvrir le fil d’or de l’Alliance. En dépit de tout, la fidélité de Dieu écrit une confiance qui rejoint les deux disciples en chemin. Ils font dès lors l’expérience du salut : ils ne sont plus seuls dans le tragique car un souffle nouveau les a rejoints. Ils peuvent enfin respirer un autre air ! Mais ils ne sont pas, pour autant, délivrés du tragique. La vie continuera à être, par moments, difficile à vivre, mais quand le cœur est tout brûlant, alors tout change… Dieu ne nous sauve pas du tragique pré-

Une Parole qui fait grandir

sent dans la vie ; il n’enlève pas les aspérités de l’existence. Seul le cœur change. La Parole qui les fait renaître à l’espérance devient es disciples peuvent dès lors synonyme de la foi. Consumant relire les événements de la leurs regrets et leurs désillusions, vie de Jésus et se souvenir de la Parole fait ressentir sa brûlure l’étonnement qui saisissait les et la force de son envoi. Elle peut foules quand elles écoutaient le enfin — pour reprendre une ex- Maître : « Ils étaient frappés de pression de Daniel Sibony — son enseignement ; car il les ens’ignifier, prendre feu, changer seignait en homme qui a autoles mots de cendres en paroles rité et non pas comme les incandescentes. scribes » (Mc 1, 22). Quelle différence enfin ! Voilà du neuf, de l’inouï ! La Parole de Jésus a la saveur et la force d’une genèse, d’une aube qui se lève et recouvre le monde de sa jeunesse. Au début de l’évangile de Marc, la Parole est déjà au commencement d’une Bonne Nouvelle (cf. Mc 1, 1), puisque « re-suscitée », elle rattrape le lecteur au tout début du récit pour lui faire entendre une parole haute de vie ! Bassinés par une parole « scribouillée », les gens sont fatigués par des paroles qui engendrent l’ennui. Tout ce que les scribes pou-

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Une Parole qui délivre

Une Parole qui relie

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a Parole brûlante réinvente la fraternité. Sans cette brûlure au cœur qu’ils ont éprouvée, les deux disciples n’auraient pas pu continuer ensemble et reprendre le chemin qui retourne à Jérusalem où se « retrouve » la nouvelle communauté de l’Église. En effet, le seul signe qui manifeste la « vérité » de la Parole qu’ils ont échangée avec l’Inconnu-Reconnu est celui de la fraternité, du compagnonnage retrouvé. Dans le récit, la fraternité est signifiée par le partage du pain à la même table. La Parole brûlante devient le pain chaud de l’amitié quand elle permet le

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veau-né inaugure un monde de paroles, ainsi la Parole crie sa délivrance et enfante les mots. La poésie de la Parole déploie toute sa musique quand elle est dite à voix haute, c’est-à-dire portée à hauteur d’homme. Comme toute poésie ou parabole, la Parole a une haute idée de la vie. Sans naïveté, sauf si on La Parole brûlante devient le pain se rappelle que ce mot vient de chaud de l’amitié… novus, en latin, qui signifie dépassement du tragique, du « nouveau ». Ainsi renouvelée, chaos, du mal-heur. Alors, l’eu- la vie fait monter un chant charistie de la vie est enfin cé- unique, singulier — une poésie. lébrée ! Tout devient bénédic- Modèle de la Parole priante qui tion et action de grâces ! En- reçoit ses mots de la vie et les lui core aujourd’hui, les hommes renvoie neufs ! Prier Dieu selon et les femmes éprouvent la ré- l’admirable mot de Louise Misurrection et la présence mys- chel écrivant à Victor Hugo : térieuse du Christ quand ils vi- « Je vous envoie tout ce qui n’est vent des liens authentiques pas éteint de poésie en moi. » dans lesquels la parole passe et Prier, c’est hausser les mots jusqu’à ce qu’ils deviennent porl’amitié nourrit. teurs de poésie. Qui n’est pas le lyrisme romantique d’une parole d’artifice, mais Parole sobre, pudique, blessée, joyeuse. Ainsi enfantées par le Verbe, a Parole s’apparente à la Pa- nos paroles humaines possèrabole (dont elle provient dent un pouvoir de vie étonétymologiquement), à la poésie, nant : elles relèvent et consolent, à la prière. Elle devient déli- elles guérissent, pardonnent et vrance comme on dit d’une annoncent à tous : « Le Monde mère qui vient d’accoucher. Dé- nouveau de Dieu (traduction livrance d’une nouvelle créa- de « Royaume des cieux ») est tion. Comme le cri d’un nou- au-dedans de toi ! » ●

vaient transmettre, c’était des explications savantes, des justifications rituelles, des exhortations morales, de la casuistique. Bref, tout ce qui anémie la Parole vive. Maintenant, la Parole se réveille et s’autorise à parler au cœur des auditeurs comme une parole originelle, inaugurale ; elle fait remonter en eux la possibilité de la nouveauté. Les scribes d’hier et d’aujourd’hui sont enfermés dans la défense de la pureté religieuse et de l’observance de la loi tandis que Jésus ne pensait qu’à l’être humain, à sa libération, à son épanouissement. Et les gens de Capharnaüm se demandaient les uns aux autres : « Qu’est-ce que cela ? Voilà un enseignement nouveau, plein d’autorité ! » (Mc 1, 27). Une Parole qui fait grandir — auctoritas, en latin, signifie cela. Parmi le flot incessant des bavardages de toutes sortes, c’est toujours frappant.

Comme le cri d’un nouveau-né inaugure un monde de paroles…


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Jeune génération

Un coin Dieu dans la maison Nancy de Montpellier « Là où deux où trois se réunissent en mon nom, je suis au milieu d’eux » (Mt 18, 20). Que ce soit dans sa chambre ou dans une église, que ce soit une prière personnelle ou collective, le temps réservé à Dieu pendant la journée construit et fortifie l’homme intérieur, ouvre à la vie trinitaire et enrichit les relations familiales. Dieu nous aime tels que

© esprit-photo.com

L

ors d’une visite chez ses amis Marthe, Marie et Lazare, à Béthanie, Jésus, voyant Marie assise à ses pieds pour l’écouter parler, dit à Marthe : « Une seule chose est nécessaire : Marie a choisi la bonne part » (Lc 10, 38-42). Que retenir concrètement de cette parole évangélique ? Est-il possible de s’arrêter au milieu de nos activités diverses et multiples pour prendre rendez-vous avec Dieu, notre Créateur et notre Père, regarder et écouter Jésus dans l’Évangile et accueillir l’Esprit Saint au plus profond de notre être ? La première chose à faire est d’aménager un espace pour Dieu dans la maison, un lieu visible, beau et respecté. Enfants de Dieu depuis notre baptême, aimés de manière personnelle et privilégiée par Dieu et appelés à aimer à notre tour, prenons du temps pour nous mettre en présence du Seigneur et recentrer notre vie quotidienne sur son projet. C’est un temps précieux de respiration spirituelle et d’ouverture à l’amour de Dieu jaillissant en flots de vie. Ensuite, offrons à nos enfants et adolescents le cadeau de la prière : le bonjour du matin et l’offrande de la journée, la bénédiction et la louange au moment des repas, le merci et le pardon du soir. Instaurons un rituel qui touche les cinq sens et nourrit l’intériorité.

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nous sommes, avec nos richesses et nos limites. Il est toujours fidèle et Il frappe à la porte de notre cœur pour y demeurer et y déverser son amour gratuit qui s’épanouira dans le bonheur partagé avec Lui pour toujours. « Je me tiens à la porte et je frappe : si quelqu’un écoute ma voix et m’ouvre, j’entrerai chez lui et nous dînerons en tête-àtête » (Ap 3, 20). En conclusion, retenons les cinq « R » qui

nous aideront à déployer la grâce de notre baptême : Rendez-vous (place dans l’agenda), Recueillement (jardin secret), Rencontre (amitié : écoute et parole), Renouveau (éclairage divin), Ressort (nouveau départ) ●

10 propositions

e

Allumer la bougie qui rappelle la présence

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de Jésus ressuscité : « C’est moi la lumière du monde ; celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie » (Jn 8, 12). r Tracer le signe de la croix qui nous relie à Dieu notre Père et nous envoie vers nos frères. La

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croix rappelle aussi l’amour de Jésus et le don de l’Esprit. t Appeler l’Esprit Saint : « Toi qui habites notre cœur, éclaire-nous et guide notre prière. » u Remercier le Seigneur pour tout ce qu’il nous a donné et donne chaque jour : la beauté

de la création, les gestes de bonté reçus et partagés, sa Parole et son Pain de vie… i Écouter la Parole de Dieu, parole d’amour de Dieu pour ses enfants, et l’intérioriser. Avant la lecture, se signer de trois croix : sur le front (la comprendre), sur les


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Famille et paroles Créer et favoriser des temps d’échange dans une famille est très important, surtout dans la vie agitée que la plupart de ses membres mènent. Parler, non seulement des banalités entendues dans les médias et des questions matérielles bien nécessaires, mais aussi du sens de ce que nous entendons, lisons, voyons et vivons. Qu’est-ce qui, dans le monde qui nous entoure, est porteur de vie, renvoie à plus grand que nous, nourrit le cœur, élève l’âme et rend heureux ? Partager une phrase entendue, un poème lu, une photo découverte, une œuvre d’art admirée, un morceau de musique apprécié, une expérience vécue ou rencontrée… qui font du bien et qui font grandir. Afficher ce qui touche au Beau, au Bien et au Vrai dans un coin de passage de la maison : le hall d’entrée, la cuisine, par exemple, pour en faire mémoire. Le père Pierre Theilhard de Chardin, jésuite savant et mystique, écrit ceci : « La seule réalité qui soit au Monde est la passion de grandir. » Pour être heureux — ce que Dieu veut pour chacun de nous — il

lèvres (la répéter) et sur le cœur (la garder). « Heureux ceux qui écoutent la Parole de Dieu et la mettent en pratique » (Lc 11, 28). o Élargir la prière à des intentions particulières : prier pour des personnes souffrantes, pour la paix

propose trois règles fondamentales, résumées en trois verbes : ÊTRE : je nais et je meurs seul. Heureux es-tu si tu es un homme « debout », qui se développe lui-même, qui s’épanouit dans le travail quel qu’il soit ! AIMER : je vis avec d’autres. Heureux estu si tu luttes contre l’égoïsme qui ferme à l’appel d’autrui et domine l’autre ! Dans une famille ou une communauté, nous nous donnons à un autre égal à soi. ADORER : je reçois la vie d’un Autre. Heureux es-tu si tu places ton existence dans le « plus grand que toi », si tu discernes l’Infini qui t’attire, si tu adores ! Être, aimer et adorer, un formidable programme de bonheur et de croissance humaine et spirituelle à réfléchir en famille… Heureux ceux qui accueillent le Seigneur dans leur maison, ils seront comblés et soutenus dans les épreuves, car ils ont choisi la bonne part !

et la justice dans le monde… p Prévoir la possibilité de demander pardon dans le silence de son cœur ou verbalement : « Que le soleil ne se couche pas sur votre ressentiment » (Ep 4, 26). a Prier ensemble le Notre Père, la prière en-

seignée par Jésus à ses disciples, la prière par excellence des enfants de Dieu. L’accompagner d’un geste : celui de l’orant (mains levées) ou se donner la main. s S’adresser à la Vierge Marie, notre maman du ciel, toujours à l’écoute pour nous conduire à

Jésus. Prier ou chanter un ou plusieurs Je vous salue Marie. d Donner et recevoir une bénédiction. Tracer une petite croix sur le front du conjoint et des enfants : « Jésus t’aime et te bénis. Dors dans la paix du Seigneur. »

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Histoire

Litanies P

remier jour de classe. Je suis rentré avec Hortense. Elle n’a pas pété un mot tout le long du parcours. — Un problème, ma vieille ? — Suis pas ta vieille. J’ai un prénom. Enfin, je préférerais pas. Elle préférerait pas ? C’est quoi, ça ? Mais j’ai vite compris ! — Maman, c’est affreux. Il y en a une autre ! — Une autre quoi, ma chérie ? — Une autre Hortense. Dans ma classe. C’est terrible. Je ne sais pas comment je vais faire… — Vais faire pour quoi ? J’ai pouffé de rire. Hortense m’a jeté ce regard torve dont elle a le secret. Puis, au milieu d’horribles hoquets elle a dit que ça valait pas la peine de lui trouver un beau prénom si après l’avoir porté pendant 14 ans, elle apprenait que c’est le prénom de n’importe qui. — Mais ce n’est pas le prénom de n’importe qui, ma chérie. Chaque enfant a le prénom d’un saint de l’Église. Moi, je m’appelle Marthe, comme la sœur de Marie et… — Et sainte Hortense, c’est qui ? Là, maman a été prise au dépourvu. Elle a téléphoné à oncle Ernest pour expliquer le drame. Oncle Ernest a dit qu’il arrivait. Il sait tout, oncle Ernest. Il n’a que

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cela à faire d’ailleurs. Sans femme, sans enfant, il peut bien tout savoir. — En fait, il n’y a pas de sainte Hortense. Mais il n’y a pas non plus de sainte Violette. Hortense a dit qu’elle s’en fichait de sainte Violette, mais qu’elle, elle voulait quelqu’un à prier, à admirer, à imiter. Je me demande où elle trouve tout ça. — Et puis, ma fête, c’est quand ? Elle a pleuré à nouveau. Heureusement qu’oncle Ernest sait tout. — Dans son infinie bonté, ma chérie, l’Église a tout regroupé. Ta fête, c’est le 3 octobre. La Sainte Fleur. Hortense, hortensia, c’est une fleur. Comme Pâquerette, Capucine, Lilas… Sainte Fleur était une femme extraordinaire. Nous serions heureux si tu lui ressemblais… — Elle a été décapitée ? j’ai demandé. — Mais pas du tout. Elle est morte bienheureuse après une vie d’extases mystiques. Hortense a dit qu’elle ne voulait pas d’extases mystiques mais qu’elle voulait changer de classe. — Moi, j’ai de la chance. Personne ne s’appelle Lorrain dans mon école. Mais ma fête, c’est quand ? — Le jour des saints Innocents, a crié Hortense. Pas vraiment une sainte, ma sœur. Claude Raucy


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Paru récemment aux éditions Fidélité

Johannes Maria Steinke

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Contemplatifs dans l’action • La voie jésuite

Si vous avez des décisions à prendre, ce livre est fait pour vous ! Bourré de conseils pratiques, il vous propose méthodes et critères pour prendre de bonnes décisions. Cet ouvrage envisage l’homme dans tous ses aspects, puisque les bonnes décisions se prennent surtout lorsque toutes les dimensions de l’homme sont prises en compte : l’intelligence, la sensibilité et l’expérience spirituelle. Sa particularité est de tenir compte des valeurs, des convictions et ses orientations de vie de chacun, et d’intégrer les expériences de la philosophie et de la tradition chrétienne. La structure de base de ce livre est « un livre d’exercices », car il ne s’en tient pas à la seule théorie. D’où ce conseil : expérimentez ce que vous lisez.

La Compagnie de Jésus a joué un rôle significatif dans la vie d’un grand nombre de personnes, de communautés et de cultures. Elle continue à exercer une grande influence. Quelle est la source de sa vitalité ? Pourquoi évoque-t-elle encore loyauté sans faille ou féroce opposition ? « Je ne peux imaginer meilleure introduction à la spiritualité jésuite : en peu de mots, mais qui disent l’essentiel, ce livre présente les dons et les grâces des Jésuites » (Ron Hansen et Gerard Manley Hopkins, s.j., professeurs à l’université Santa Clara). « Contemplatifs dans l’action plaira aux lecteurs simplement curieux ou intrigués par « ces fameux Jésuites » (William J. O’Malley, s.j., écrivain, professeur à l’université Fordham).

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Cardinal Godfried Danneels – Iny Driessen

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Relève-nous • Lorsque vivre fait mal

1500 dessins pour la catéchèse et la liturgie

La fragilité est inscrite dans nos gènes. Par la confrontation de notre propre indigence avec les exigences de plus en plus dures de la vie sociale, ce sentiment de fragilité dégénère souvent en tristesse, mal-être, peur de la vie. Beaucoup de nos contemporains se résignent à cette morosité. Mais ne sommes-nous pas créés pour être heureux, même dans notre vulnérabilité ? Bien plus : n’estce pas de notre faiblesse et de nos blessures mêmes que peut naître une nouvelle vie — pour nous-mêmes et pour les autres ? Pendant de longues années, le cardinal et Iny Driessen ont réfléchi et travaillé à ce livre, à partir de la conscience de leur propre fragilité et de l’accompagnement commun de personnes souffrantes. Ils ont pu être témoins d’une force de résurrection. Voici un livre vulnérable, aussi vulnérable que vous et moi.

Plus de 1500 dessins au trait « prêts à l’emploi » pour illustrer vos documents de catéchèse, vos feuillets paroissiaux, vos feuilles de chants… En quelques clics, vous importez du CD-Rom, joint à ce livre, le ou les dessins dont vous avez besoin. Concrètement, vous repérez, dans le livre, les dessins que vous cherchez grâce à l’index. Ces dessins illustrent tous les grands thèmes de l’Ancien et du Nouveau Testament, tous les dimanches des années A, B et C, ainsi que des éléments liturgiques et de la vie de l’Eglise. Il vous suffit alors, grâce à un simple « copier-coller », d’insérer le dessin choisi dans votre propre document, quel que soit le logiciel utilisé. • 14,5 × 21 cm • 144 p. • ISBN 978-2-87356-464-3 • 19,95 €

• 17 × 24 cm • 400 p. • ISBN 978-2-87356-430-8 • 24,95 €

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Questions de familles

Il n’est pas interdit d’obéir José Gérard L’obéissance paraît d’un autre âge. Pourtant, l’autorité est au cœur des réflexions actuelles sur l’éducation. Faut-il en revenir aux bonnes vieilles méthodes ou inventer de nouveaux chemins ?

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adis, on éduquait les enfants comme des petits chiens. L’éducation s’apparentait à un dressage. Cela paraissait normal. Tant qu’un petit enfant ne parlait pas, on considérait qu’il ne pouvait pas comprendre. Les parents savaient ce qui était bon pour lui et il fallait le conditionner à obéir par un système de punitions et de récompenses. Françoise Dolto (1908-1988) a révolutionné cette conception de l’éducation. Pour elle, l’enfant est une personne et il faut l’écouter. Même s’il ne parle pas encore avec des mots, ses pleurs et ses autres comportements disent quelque chose de ce qu’il vit, de ce qu’il ressent, de ce qui le fait éventuellement souffrir. Auparavant, si un enfant pleurait, c’est parce qu’il avait faim ou, s’il avait déjà eu son repas, c’est qu’il devait « se faire la voix ». Elle a incité les parents à se mettre davantage à l’écoute de leur enfant. Dolto a connu un énorme succès dans les années soixante

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et septante et ses conceptions se sont répandues à la faveur d’un courant plus général de libéralisation de la société.

Ne pas frustrer l’enfant Petit à petit, les parents ont donc changé leur fusil d’épaule. Ils évitent aujourd’hui de brimer leur enfant en lui imposant des règles trop rigides, surtout s’ils ont souffert eux-mêmes d’une éducation stricte. Ils cherchent à favoriser son épanouissement et à le stimuler ; ils ne veulent pas le frustrer, le faire souffrir. Pour eux, aimer, c’est donner, c’est faire plaisir, être gentil, protéger, défendre. Et cela se renforce encore lorsque les parents se sentent un peu coupables de ne pas passer assez de temps avec leurs enfants, à cause du boulot ou parce qu’ils sont séparés. Pour préserver la magie des moments passés ensemble, ils évitent tout conflit, ils cherchent avant tout à répondre aux aspirations de l’enfant.

Le problème est qu’à force d’écouter, on en vient parfois à une sorte de vénération de l’enfant. Ce sont les enfants qui choisissent les vacances, les articles que l’on met dans le caddie au supermarché, le programme que l’on regarde à la télé, etc. Les parents obéissent en fait aux désirs de leurs enfants. Ce n’est pas par hasard que l’on parle parfois d’enfants rois. En fin de compte, la famille vit dans un système où plus personne n’est vraiment à sa place. L’enfant dicte sa loi et les parents répondent à ses désirs.

Enfants angoissés Mais en voulant faire le bonheur de leur enfant de cette manière, les parents développent en fait son insécurité. C’est très angoissant pour un enfant de ne pas avoir de limites. Il a besoin pour se construire d’un environnement où chacun est à sa place, où les règles sont claires, où le cadre est rassurant. Pour Philippe Béague, président de l’Association Dolto, un grand nombre des enfants que l’on qualifie aujourd’hui d’hyperkinétiques, qui n’arrivent pas à rester en place, sont en fait des enfants


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angoissés de vivre dans un environnement où les règles ne sont pas claires, où les adultes ne tiennent pas leur place d’adultes. Dans d’autres cas, ce manque de repères se traduit par des comportements violents ou asociaux, qui posent de grandes difficultés, par exemple à l’école.

Obéissance ou soumission ? Si l’enfant est bel et bien une personne, ce n’est pas un adulte. L’enfant est animé par le principe du plaisir : s’il veut quelque chose, il le prend ; si quelque chose ne lui plaît pas, il ne le fait pas. Il ne se donne pas spontanément de limites. C’est le job des parents de fixer des interdits, en un mot de se faire obéir. Mais ils sont sou-

vent réticents, parce qu’ils confondent obéissance et soumission. Dans le rapport de soumission, c’est le plus fort qui dicte sa loi au plus faible, soit par la force (la fessée de jadis), soit par la séduction (fais-le pour me faire plaisir). L’obéissance, au contraire, est un rapport d’autorité. Dans cette relation, le parent s’interdit d’utiliser la force ou la séduction vis-à-vis de l’enfant. Et l’autorité consiste tout autant à « autoriser », c’est-à-dire à ouvrir à l’enfant de nombreux champs de découvertes, qu’à lui fixer quelques limites. Dans ce cadre, l’enfant peut nouer une relation de confiance avec les adultes et comprendre qu’ils ne lui donnent pas des contraintes de manière arbitraire, parce qu’ils ont le pouvoir, pour le plaisir… mais dans la recherche de son intérêt.

Évolution progressive Bien sûr, l’autorité ne s’exerce pas de la même manière visà-vis d’un enfant de 2, de 8 ou de 15 ans. À 2 ans, même s’il

• Philippe Béague, Aimer à perdre la raison. Aimer, éduquer… Est-ce compatible? Couleurs livres, 2010.

n’est pas inutile de lui expliquer par des mots que les voitures sont dangereuses, il convient surtout de le tenir par la main quand on se promène avec lui le long de la route. Quand il sera plus grand, les explications qu’on lui donnera lui permettront d’une part de comprendre, mais aussi de renforcer la relation de confiance entre parents et enfants. À l’adolescence, la fixation des limites sera de plus en plus souvent une affaire de dialogue et de négociation, mais sans que cela supprime le rôle d’autorité de l’adulte. Pour le pédopsychiatre Daniel Marcelli, il ne faut pas avoir peur de l’obéissance, mais le but n’est pas d’obtenir une obéissance systématique, ce qui ressemblerait fort à de la soumission. Permettre à un enfant de grandir, c’est aussi lui permettre d’accéder progressivement à la possibilité de choisir : obéir ou désobéir. Il se forgera ainsi petit à petit sa propre réflexion, pourra considérer que telle règle est secondaire par rapport à une autre, pour en arriver à se construire sa propre échelle de valeurs. Mais passer de l’obéissance à l’autonomie ne se fait pas sans heurts. Les portes claquent de temps en temps… ●

• Daniel Marcelli, Il est permis d’obéir, Albin Michel, 2009.

• Claude Halmos, L’autorité expliquée aux parents, NiL éditions, 2008.

À LIRE

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Médias

C Des hommes et des dieux

© Mars Distribution

Un film de Xavier Beauvois

pose alors avec acuité : ouronné par le Grand prix du jury partir ? rester ? La décision doit être collective. du festival de Mais pour eux, le choix Cannes, le film Des hommes et des dieux de de rester ou non sur Xavier Beauvois évoque place, malgré les menaces, est lourd de les trois dernières années des sept moines conséquences. C’est en prenant en trappistes de Tibhirine compte ces considéra(Algérie), enlevés et tions humaines, poliexécutés en 1996. tiques et religieuses, Encensé par la critique qui salue sa sobriété et que chacun des moines forgera sa décision en sa profondeur, le film son âme et conscience. s’attache davantage à Cette forte tension draretranscrire l’esprit des matique accompagne la événements et des vie quotidienne et mysenjeux qu’a connu la tique de la commucommunauté, plutôt qu’à relater avec exacti- nauté, ses liens profonds avec la poputude les détails de la lation, l’esprit de paix réalité historique. et de charité qu’ils veuL’histoire débute lent opposer coûte que quelques semaines avant l’ultimatum lancé coûte à la violence qui gangrène le pays. Le par les terroristes qui film témoigne ainsi de ordonnent aux étrangers de quitter le pays. la réalité de l’engagement de ces moines et Un groupe menaçant de la force du message fera même irruption de paix qu’ils souhaidans le monastère la tent transmettre en resnuit de Noël… Le dilemme des moines se tant vivre avec leurs

www.artway.eu

S

i vous maîtrisez la langue de Vondel ou celle de Shakespeare, le site www.artway.eu pourra vous offrir une multitude d’informations sur les liens entre la foi chrétienne et les arts. Lancé sur la toile à la Pentecôte 2010 par un groupe de théologiens néerlandais, il propose des méditations basées sur des œuvres d’art contemporaines et anciennes, un calendrier avec des

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expositions et conférences, des recensions de livres, des présentations d’artistes ainsi que des réflexions théologiques sur l’art et la foi. L’équipe en charge de ce site veut ainsi contribuer à une réflexion sur la place de l’image dans l’Église. Ce site bien ficelé se concentre principalement sur les arts plastiques européens, aussi bien anciens que contemporains et offre

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des pistes accessibles à tous pour parcourir un chemin de spiritualité chrétienne par le biais des arts. La musique y a aussi une petite niche que les internautes futés trouveront après quelque recherche ! Bonne découverte ! Alain Arnould, o.p.

frères musulmans : la possibilité d’une entente fraternelle et spirituelle entre chrétiens et musulmans… Les moines appelaient l’armée «les frères de la plaine» et les terroristes «les frères de la montagne», sans naïveté, conscients d’avancer sur un étroit chemin de crête entre ces deux camps aux positions ambiguës. «Ces hommes étaient des aventuriers, explique Xavier Beauvois dont c’est le cinquième film, des artistes de l’amour, des gens qui vont jusqu’au bout des choses, de leur pensée, avec une foi, une rigueur... C’est très rare aujourd’hui, de faire don de soi. » Paul de Theux


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Etty Hillesum. Quand souffle l’Esprit

Joseph André. Audace et don de soi

Armand Duval

Didgé

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ans le cadre des Festivités du 450e anniversaire du Diocèse de Namur, le projecteur a été mis sur quelques personnalités des Provinces de Namur et Luxembourg. Parmi celles-ci, l’Abbé Joseph André, « Juste parmi les Nations » pour avoir caché des enfants juifs durant la guerre, et qui fut après aumônier de prison tout en hébergeant des réfugiés hongrois. C’est au début des années soixante que j’ai entendu parler de ce prêtre habitant place de l’Ange, raconte l’auteur. En effet, plusieurs de mes compagnons novices (nous étions plus de 50 dans un grand couvent à Arlon) allaient faire un « expériment », c’est-à-dire une « expérience sociale », durant un mois, auprès de l’Abbé André. Le scénariste a tenu compte de cette réalité dans la BD. Un dialogue entre un jeune et un vieux détenu de la prison de Namur permet de retracer toute la vie de ce prêtre qui n’hésitait pas à réquisitionner une voiture, selon les besoins, ou qui oubliait régulièrement son billet d’avion quand il arrivait à l’aéroport. Il dormait (peu) dans un vieux fauteuil, ayant depuis longtemps

ulius Spier, un «psychochirologue un peu charlatanesque», avait incité Etty Hillesum, une jeune juive de 27 ans vivant à Amsterdam, à tenir un journal intime. «Eh bien, allons-y», commence-t-elle le 9 mars 1941. Un journal assez extraordinaire qui retrace l’évolution de la «de la fille qui ne savait pas s’agenouiller» et qui va se retrouver priant un Dieu dont elle s’était jusqu’alors bien peu souciée. Le 7 septembre 1943, après avoir servi plusieurs mois dans le camp de Westerbork, transfigurée par son cheminement intérieur, Etty partait pour Auschwitz où elle mourut le 30 novembre. En quelques mois, elle a parcouru le chemin qu’il nous faut parfois toute une vie pour réussir… Elle a découvert Dieu sans adhérer à une religion établie (ce qui peut se produire si souvent aujourd’hui), mais elle a vécu intensément le commandement de l’aimer plus que tout et son prochain comme soi-même. Ce petit livre est comme un bouquet spirituel des plus belles phrases d’Etty. De Jésus, on ne trouve le nom qu’une seule fois sous la plume d’Etty. Pourtant, elle est plei-

Jungles Photos de Jean Revillard

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nement habitée par son Esprit. Les neuf chapitres de cette véritable retraite à domicile offerte par Armand Duval, père blanc, sont un tissage de citations d’Etty Hillesum et de textes bibliques et autres auteurs chrétiens. À chaque fois, à partir d’une expérience et d’une attitude intérieure de cette juive, une méditation sur des thèmes universels: foi, espérance, amour, patience, joie et paix, bienveillance, douceur et maîtrise de soi, recueillement… Ces thèmes traversent chacune de ses journées comme des nôtres. «Ne vivons-nous pas chaque jour une vie entière et qu’importe-til vraiment que nous vivions quelques jours de plus ou de moins?» Charles Delhez, s.j.

Armand Duval, Etty Hillesum. Quand souffle l’Esprit, François-Xavier de Guibert, 2010.

donné son lit à ceux qu’il hébergeait ! La BD, qu’on lit en une demi-heure, permet de se faire une première idée d’un personnage que d’autres livres permettront d’approfondir. Didgé n’en est pas à sa première œuvre. Né à Verviers en 1953, il était d’abord dessinateur humoristique dans les années 70, chez Tintin (Monsieur Edouard) et Spirou (BB de BD), puis chez Joker (comme scénariste) et Casterman (Caméra cachée), enfin chez Coccinelle BD (Ozanam, À travers les montagnes et La plus petite ville du monde).

Roland Francart, s.j.

Didgé, Joseph André. Audace et don de soi, Durbuy, Coccinelle BD, avril 2010, 48 pages, 13,50 €. Témoignage et photos de Jacques Offen, un des enfants juifs sauvés par l’abbé André. Postface de Mgr AndréJoseph Léonard, archevêque de Malines-Bruxelles.

Jean Revillard est né en 1967 à Genève. Il se passionne pour la photographie et fait le choix courageux de s’engager dans la photographie engagée. Sa série de photos intitulée « Jungles » est remarquée et lui vaut un World Press Award. Pendant plusieurs nuits, il explore les dunes autour de Calais où les réfugiés attendent une occasion pour traverser la Manche. Découvertes par le galeriste carolingien Jacques Cérami, ces photos ne sont pas de banales prises de vues de ces habitations indignes de ce nom. Jean Revillard a photographié ces cabanes au projecteur à la tombée de la nuit, obtenant ainsi un regard intrusif et violent qui évoque la persécution policière à laquelle ces migrants sont soumis. Ses clichés dénoncent la précarité dans laquelle vivent ces hommes en quête d’un el Dorado qu’ils imaginent trouver au Royaume-Uni. Sensibilisé à la problématique des réfugiés, Jean Revillard a également promené sa caméra dans les centres de détention grecs. Les conditions de vie pénibles des migrants qui y sont rassemblés lors de leur arrivée en Grèce, à Patras, lui livrent des clichés poignants. A. Arnould, o.p. Exposition : Cathédrale de Bruxelles, du 21 octobre au 22 novembre 2010. Entrée libre tous les jours en dehors des offices liturgiques. Publication : Jungles, Labor et Fides, 2007.

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Courrier des lecteurs COMME NOUS PARDONNONS… Pardon de l’homme, condition de celui de Dieu ? Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés… Qui peut dignement dire cette phrase sans un peu d’hypocrisie ? Etienne de Paul 5190 Spy

Qu’il faille pardonner, voilà une évidence pour tous. Mais cette démarche est-elle condition du pardon de Dieu ? Demanderions-nous à Dieu de nous imiter ? La réponse est évidente : non. Le pardon est toujours gratuit, sans condition. Celui de Dieu à plus forte raison. Il ne s’agit donc pas d’acheter son pardon par le nôtre. Rappelons-nous cette parabole où un gérant, s’étant vu remettre ses dettes, refusa de faire grâce à son débiteur. Le pardon de Dieu précède celui de l’homme. Il nous a aimés le premier, alors que nous étions encore pécheurs. Pourtant, le Notre Père a l’air d’inverser : ce serait à nous de

Une lectrice de Direct, apprenant le titre de la revue, nous a envoyé ce très beau poème.

pardonner en premier lieu. Ce n’est qu’une impression : le pardon de l’homme ne sera jamais la monnaie d’échange contre celui de Dieu. Il est le signe que sa demande est vraiment sincère. Le débiteur jouait une comédie égoïste en mendiant le pardon d’un côté et en le refusant de l’autre. Le pardon, comme le pain, ne peut être reçu qu’en le partageant. L’image des vases communicants pourra nous être utile. Si j’empêche l’eau de s’écouler du récipient, si je bloque la sortie, je bloque aussi l’entrée, je rends impossible le remplissage. L’amour est un flux dynamique. A fortiori le pardon. Si je refuse de pardonner et qu’ainsi, j’empêche Dieu de pardonner aux autres par moi, je ne suis pas capable d’accueillir le pardon. J’entre dans un cercle infernal de rancœur, de vengeance, d’amertume visà-vis de tous ceux que je côtoie. Je suis une bête traquée et qui traque. Cela se vérifie aisément dans nos relations quotidiennes. Quand je refuse de pardonner à quelqu’un, je suis

Sur la Rive Dieu t’attend Sa Parole est annoncée Et son Pain est partagé Hâte-toi et rejoins-nous Sur la Rive où Dieu t’attend. Sur la Rive Dieu t’attend Les malades sont guéris Les pécheurs sont pardonnés Le Royaume est déjà là Sur la Rive où Dieu t’attend.

mal dans ma peau et les relations avec les autres en deviennent difficiles. La règle qui vaut dans nos relations humaines est aussi valable dans notre vie de foi. Dieu donne et pardonne sans mesure, mais nous disposons du redoutable pouvoir de régler le débit. Il ne s’agit donc pas d’en avoir fini avec le pardon des autres — cette démarche est souvent de longue haleine — pour pouvoir demander celui de Dieu. Il faut être dans une dynamique de pardon lorsque je prie, me situer dans le « champ de force » du Dieu qui pardonne. Nous ne pouvons sincèrement demander à Dieu de nous pardonner que si nous désirons, vis-à-vis des autres, entrer dans la même logique. Le refuser nous situe hors de la circulation de l’amour. Notre demande en devient hypocrite (votre mot !). N’y être pas encore parvenu, mais le vouloir, invite Dieu à nous y aider. « Ce qui est impossible à l’homme est possible à Dieu. » C.D.

Sur la Rive Dieu t’attend Et la barque est avancée Prends la mer avec tes frères Et ramène tes filets Vers la Rive Dieu où t’attend. Béatrice Gahima

N’hésitez pas à nous envoyer vos questions ou réactions à RiveDieu, 7 rue Blondeau, 5000 Namur.

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Un jour a germé…

U

n jour a germé, dans la tête de quelques membres de l’ANPAP (Anciens et amis du Patro) et des éditions Fidélité, un projet un peu fou : créer, en Belgique francophone, une nouvelle revue de spiritualité qui donnerait le goût de Dieu. Persuadé que c’est la qualité d’une équipe de rédaction qui fait la réussite d’une revue, le groupe porteur a cherché, pour

chaque rubrique retenue, la personne qui serait le plus à même de rendre cette thématique attractive et intéressante. Par bonheur, presque tous ceux qui ont été sollicités ont répondu favorablement à l’appel. Il ne restait plus qu’à trouver un titre. C’est à l’issue d’une troisième réunion qu’a surgi RiveDieu. Très vite, il a fait l’unanimité, tant pour tout ce qu’il évoque (cf. l’éditorial de Charles

Delhez, en page 3) que par la musicalité du terme. Mais toute revue, si bien pensée soit-elle, ne vaut que si elle rencontre des lecteurs. N’hésitez donc pas à réagir aux articles, à donner votre avis, à proposer des améliorations. RiveDieu, nous le ferons ensemble ou il n’existera pas ! Jean Hanotte

L’équipe de RiveDieu i erh al B Chant

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• Pascal André, journaliste à Dimanche • Fr. Alain Arnould, dominicain, aumônier des artistes à Bruxelles • Chantal Berhin, responsable de la bibliothèque du CDRR aux Facultés de Namur • Fr. Dominique Collin, dominicain, pastorale étudiante à Liège • Mgr Danneels, ancien archevêque de MalinesBruxelles • P. Charles Delhez, jésuite, directeur de la rédaction des médias catholiques en Belgique francophone • Nancy de Montpellier, inspectrice des cours de religion • José Gérard, directeur des Nouvelles Feuilles Familiales • Jean Hanotte, directeur des éditions Fidélité • P. François Lear, bénédictin de Maredsous • Sœur MarieRaphaël, bénédictine d’Hurtebise • Claude Raucy, romancier, poète, dramaturge • Jean-Marie Schwartz, graphiste de Fidélité.

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Conduis-moi jusqu’à l’autre rive Je ne pourrai jamais oublier une bribe de chanson que j’entendis une fois au point du jour : « Batelier, conduis-moi jusqu’à l’autre rive ! » Dans toute l’agitation de notre travail retentit cet appel : « Conduis-moi jusqu’à l’autre rive. » Dans l’Inde, le charretier qui conduit sa voiture chante : « Conduis-moi jusqu’à l’autre rive ». Le petit colporteur qui vend de l’épicerie à ses clients chante : « Conduis-moi jusqu’à l’autre rive »… Mais où est l’autre rive ? Est-ce autre chose que ce que nous avons ? Non, c’est au cœur même de notre activité que nous cherchons notre but. Nous appelons pour qu’on nous fasse traverser, là même où nous sommes… Où pourrais-je Te trouver sinon dans ma maison devenue Tienne ? Où pourrai-je me joindre à Toi, sinon dans mon travail transformé en Ton travail ? Si je quitte ma maison, je n’atteindrai pas Ta maison ; si je cesse mon travail, je ne pourrai jamais Te rejoindre en Ton travail. Car Tu habites en moi, et moi en Toi. Rabindranath Tagore (Extraits de Sadhana, éd. Albin Michel)

Magazine bimestriel • no 1 septembre-octobre 2010 • Ed. resp. : Charles Delhez, 1 rue de la Houe, 1348 Louvain-la-Neuve • Bureau de dépôt : Namur 1 • No d’agr. : P 301046 •

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