Eustache van Lieshout

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Né en Hollande en 1890, Eustache van Lieshout entre chez les Pères des Sacrés Cœurs vingt-trois ans plus tard. Il commence son ministère en accompagnant les verriers wallons qui travaillaient à Maasluis, aux Pays-Bas. Il est envoyé ensuite comme missionnaire au Brésil, à Agua Suja puis à Poá. Sa réputation est notamment due aux soins qu’il prodigue aux malades. Il prend progressivement la stature d’un faiseur de miracles, d’un thaumaturge. Des milliers de personnes venues de tout le Brésil accourent chaque jour pour le voir ! Il est décédé en 1943 et, depuis ce jour, son tombeau est devenu un important lieu de pèlerinage. Béatifié le 15 juin 2006, Eustache incarne une sensibilité toute particulière pour les joies et les espoirs des plus pauvres. ISBN : 2-87356-342-7 Prix TTC : 5,95 €

Editions Fidélité 61, rue de Bruxelles BE-5000 Namur

Edouard Brion

Eustache van Lieshout

van Lieshout Des verriers wallons aux chercheurs d’or du Brésil

Eustache van Lieshout

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Eustache

Sur la route des saints

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Sur la route des saints

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Sur la route des saints

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Eustache

van Lieshout Des verriers wallons aux chercheurs d’or du Brésil 1890–1943

Edouard Brion

fidélité 2006


Dans la même collection (derniers titres parus) : Lambert Louis Conrardy Alberto Hurtado Ignace de Loyola, François Xavier, Pierre Favre Eustache van Lieshout

Du même auteur : Un étrange bonheur. Lettres du Père Damien, lépreux, Paris, Cerf, 1988 et 1994 (traduit en allemand, en espagnol, en indonésien, en néerlandais et en polonais). Comme un arbre au bord des eaux. Le Père Damien, apôtre des lépreux, Paris, Cerf, 1994.

Cum permissu superiorum

Maquette et mise en page : Jean-Marie Schwartz Photo de couverture : D.R.

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fidélité

61, rue de Bruxelles • BE-5000 Namur fidelite@catho.be Dépôt légal : D/2006/4323/08 – ISBN 10 : 2-87356-342-7 Imprimé en Belgique


Introduction qui atterrit dans la grande métropole de Belo Horizonte, capitale de l’état de Minas Gerais au Brésil, est certes étonné de lire, sur les autobus, les trams et les taxis, les mots « Padre Eustaquio » comme indication du terminus. C’est le nom du quartier et plusieurs entreprises, boulangeries ou autres, se parent également du nom du saint homme. A l’église paroissiale des Sacrés-Cœurs où repose son corps, le défilé des dévots surprend, surtout si c’est un samedi ou un dimanche. Le 30 août, jour anniversaire de sa mort, des milliers de pèlerins se pressent aux messes célébrées les unes après les autres. On est bien au Brésil des thaumaturges qui, déjà de leur vivant, rassemblaient les foules : le padre Cicero, le frei Damião et d’autres. Ces pages retracent l’histoire peu banale de ce fils de paysan, né dans une Hollande méridionale farouchement attachée à la religion définie par Rome. Parti propager ce type de catholicisme tridentin dans un Brésil encore largement tributaire des pratiques médiévales répandues par les colonisateurs, il sera emporté dans un tourbillon religieux que lui-même avait amorcé en toute bonne foi. Une aventure qui aboutira à sa béatification : dans un premier temps, « vox populi, vox Dei », son corps sera solennellement transféré et son tombeau deviendra un lieu de pèlerinage très fréquenté ; dans un second temps, les plus hautes autorités de l’Eglise reconnaîtront l’héroïcité de ses vertus, l’authenticité d’un mi-

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racle attribué à son intercession et l’inscriront officiellement au nombre des bienheureux. Le présent ouvrage reprend et adapte la biographie écrite par le père Cor Rademaker, historien hollandais, membre de la même congrégation que le père Eustache. Elle a été publiée par épisodes entre 2003 et 2004 sous le titre « Rond Eustachius » dans le périodique Inter nos de la province hollandaise des pères des Sacrés-Cœurs. Elle a été ensuite traduite en français par le père Henk ter Huurne.


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Avec les verriers wallons ’IL Y A un milieu où le jeune père Eustache, ordonné prêtre depuis à peine un an, ne s’attendait pas à être envoyé, c’est bien celui des ouvriers wallons de Maassluis. Cette ville industrielle, située à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Rotterdam, avait été choisie par une entreprise des environs de Charleroi, en Belgique, pour y installer la première usine de verre à vitre des Pays-Bas. Quelle entreprise ? Pour le moment on ne peut le préciser. A cette époque, il existait au nord de Charleroi, à Jumet, Lodelinsart, Dampremy, de nombreuses verreries indépendantes dont les archives sont devenues inaccessibles suite à leur concentration progressive. A la fin du XIXe siècle et au début du XXe, la Wallonie était une des premières productrices et exportatrices du verre dans le monde, en concurrence avec les Etats-Unis, où de nombreux verriers wallons avaient d’ailleurs émigré. En 1910, elle occupait 24 200 ouvriers. Dans l’entre-deux-guerres, treize fabricants de verre à vitre se regroupèrent dans Univerbel et plusieurs glaceries dans Glaver. En 1961, les deux groupes fusionnèrent pour former Glaverbel. La fondation de l’usine de Maassluis remonte à 1911, pour profiter des avantages du change. Elle entraîne l’arrivée des ouvriers wallons et de leur famille. Ils logent dans de petites maisons regroupées à proximité de l’usine, au bord de la rivière en face du port. Un quartier dont les rues portent les noms des héros de la guerre des Boers : Paul Kruger, Dutoit… L’éclatement de la guerre 1914-1918 ferme les

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usines en Belgique et la production se renforce à Maassluis. Plusieurs amis et connaissances des verriers s’empressent d’y chercher refuge. Par la suite, des soldats internés, qui connaissent le métier, viennent remplacer les premiers arrivés qui, suivant les mœurs propres à la classe ouvrière, en particulier wallonne, sont allés chercher du travail dans d’autres pays. Suite aux ennuis des camps, de plus en plus de soldats internés sont amenés à accepter des activités qui, en temps de paix, n’occupent que les gens du pays, soit à la verrerie, soit dans d’autres usines, soit chez des fermiers. Ils n’ont de cesse de faire venir de Belgique femmes, enfants et parents : ils peuvent ainsi vivre en famille et supporter ensemble les tristesses de l’exil. En outre, Maassluis accueille également un bon nombre de réfugiés du grand exode d’octobre 1914, d’où il ne reste, à la fin de la guerre, que quelques familles. En tout, environ sept cents personnes. Devant cet afflux de population catholique dans une ville principalement protestante, une assistance religieuse se met en place. A partir de novembre 1914, la messe est célébrée tous les dimanches, avec sermon et catéchisme en français. On se réunit d’abord dans une grange avant que le gouvernement belge ne construise une vaste école chapelle. A la fin de la messe, l’organiste hollandais fait retentir la Brabançonne. En 1915, un aumônier est nommé, le père Gérard Richters, de nationalité hollandaise, des Prêtres du SacréCœur de Saint-Quentin. Le nombre des fidèles augmente. Des prêtres et des religieux viennent prêcher et entendre les confessions. Après quelques hésitations, les parents se décident à laisser faire la première communion à leurs enfants loin de la famille et en pays étranger. Ce sont des fêtes pleines d’émotion pour toute la colonie belge, dans le souvenir des fêtes du passé en Belgique. Pour donner une éducation vraiment nationale aux enfants, on fonde l’école « Al6


bert et Elisabeth » qui occupe quatre enseignants et compte jusqu’à cent soixante-huit élèves. Un patronage y est attaché. On donne des conférences sur divers sujets : l’organisation ouvrière, le sac de Dinant, la victoire de Tabora dans l’Est africain allemand, l’avenir de la Belgique… On organise des fêtes patriotiques à l’occasion de la fête du roi… Une association ouvrière verrière, la « Fraternité belge de Maassluis » est fondée. Elle est affiliée au « Volksbond » catholique de Maastricht et à la Fraternité belge chrétienne en Hollande. Elle a pour but de défendre les intérêts matériels et moraux de ses membres et d’apporter des améliorations aux conditions sociales de ses ouvriers par les voies légales et selon les principes de l’Eglise catholique. Une « Ligue du Sacré-Cœur » est mise sur pied pour sanctifier le premier vendredi de chaque mois, réaliser l’intronisation du Sacré-Cœur dans les familles, contribuer à la diffusion de la bonne presse, etc. C’est dans ce petit monde que le père Eustache vient remplacer le père Gérard en mars 1920. Il n’y trouve qu’un groupe fort réduit : la fin de la guerre a occasionné le retour en Belgique d’un certain nombre de ses ouailles et il ne reste que le personnel lié à la verrerie. L’école ayant cessé ses activités, il se limite à célébrer la messe et administrer les sacrements. Il est rattaché au couvent de Vierlingsbeek, situé à l’autre bout du pays, à la frontière allemande, où il retourne de temps en temps. Tout ce qu’on sait de son ministère parmi les Wallons vient des souvenirs des novices d’alors à qui il a raconté ses expériences. Les Wallons forment un groupe turbulent : durant la messe, ils bavardent, chahutent et parfois en viennent aux mains. Une fois, au moment de donner la communion, excédé, il se tourne vers l’assistance et, d’une voix grave, profère en un français malhabile : « Le Bon Dieu doit pleurer sur votre irrévérence ! » Il semble que

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la leçon ait porté et que l’assistance se soit montrée dorénavant plus respectueuse. Du ministère pastoral d’Eustache, on n’a pas retenu beaucoup de faits concrets. Le premier baptême a eu lieu le 25 avril 1920 et le dernier, le 4 octobre. Malgré la brièveté de son ministère, il semble avoir exercé une bonne influence. Il essaie de gagner d’abord les enfants, et par leur intermédiaire les parents. On ne devait guère compter de pratiquants parmi ceux-ci, mais ils respectaient leur curé qui les rapprochait de la foi et de l’Eglise. Même si parfois ils riaient dans leur barbe en écoutant le français approximatif d’Eustache, ils le trouvent néanmoins très sympathique. Son activité ne se limite pas aux Wallons. Il aide le curé du lieu surtout en visitant les malades. Il essaie aussi de propager l’intronisation du Sacré-Cœur dans les familles ou les écoles. Ainsi, il préside celle-ci dans une école catholique de filles à Maassluis. Ce qu’on en a retenu, c’est que la statue, mal fixée, est tombée par terre et s’est brisée en mille morceaux, à la grande désolation d’Eustache ! En octobre 1920, l’usine regagne la Belgique : les avantages financiers n’existent plus et il faut relancer la production au pays. Cela entraîne la fin du ministère d’Eustache, mais non la fin de l’histoire. En effet, quelle ne fut pas sa surprise, deux ans plus tard, de se voir convoqué pour recevoir une décoration en raison de ses bons et loyaux service. Le 18 octobre 1922, le baron Kervyn de Meerendré, secrétaire du consulat belge se rend au couvent de Ginneken, près de Breda, pour décerner au religieux médusé le titre de Chevalier de l’Ordre de la Couronne belge. Celui-ci ne peut s’empêcher de remarquer : « C’est moi qu’on honore maintenant, mais d’autres le méritent également. » Le bon Eustache ne se doute pas combien il dit vrai. Il semble bien que le destinataire n’était autre que le père Gérard Richters, qui avait 8


plusieurs années de service à son actif : c’est par erreur que la distinction est arrivée à son successeur, qui lui n’avait presté que quelques mois. Devant la levée de boucliers suscitée chez les prêtres du Sacré-Cœur, quelques années plus tard réparation fut faite et on épingla sur la poitrine du père Richters la médaille du Roi Albert, beaucoup moins prestigieuse.



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Les premières années ’EST LE 3 novembre 1890, à Aarle Rixtel (Brabant Septentrional), que naît le futur père Eustache. A son baptême, il reçoit le nom de Hubert, pour les intimes Bert ou Bertje. Sa famille est le type même de celles qui serviront de vivier pour les vocations missionnaires, jusqu’à ces dernières années. Nous sommes à la campagne et les parents, Wilhelmus van Lieshout et Elisabeth van den Meulenhof, sont agriculteurs, propriétaires de leurs terres, qu’ils augmenteront progressivement. Les enfants sont très nombreux : treize, dont onze survivront. Trois filles entreront au couvent. Dans cette Hollande calviniste, les catholiques forment une minorité sur la défensive. Leur foi est vive, solidement incarnée dans des pratiques et encadrée dans des institutions propres. On prie beaucoup. Le dimanche, il n’est pas rare d’assister à deux messes : le matin, où l’on peut communier si l’on estime être en état de grâce, et en fin de matinée à la grand-messe chantée. A la maison, on récite le chapelet en épluchant les légumes ou en tricotant. Durant la saison, les statues de la Sainte Vierge et du Sacré-Cœur sont quotidiennement décorées de fleurs. Dans le jardin on construit une petite grotte en l’honneur de Marie. On travaille en famille, sauf à la moisson où quelques saisonniers sont engagés. La grande vertu hollandaise, la parcimonie, est à l’honneur. Mais si on hait le gaspillage, on a toujours une aumône prête et les pauvres ne frappent jamais en vain à la porte. Quand on reproche à la maman de donner à tort et à tra-

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vers, elle répond : « C’est peut-être à Notre Seigneur que je suis venue en aide. » Bertje n’a pas encore cinq ans quand il entre à l’école maternelle chez les bonnes sœurs du village. Sur la photo, s’il tient la tête un peu penchée, ce n’est pas par piété, comme ce sera le cas plus tard, mais parce qu’un camarade lui tire l’oreille. A l’école primaire, il est tout sauf un élève brillant. Un camarade de classe se rappelle : « Bert van Lieshout était vraiment un gros bêta, bouché à l’émeri. Le maître avait toutes les peines du monde à lui faire entrer la matière dans sa caboche. Il avait beau suivre des cours particuliers. Il copiait sur son voisin et répétait mécaniquement les fausses réponses qu’on lui soufflait. » Le travail à la ferme lui déplaît. Bon gré mal gré, quand il ne peut y échapper, il se plie au ramassage du bois mort ou à la cueillette des fèves. Mais pas question de nettoyer l’étable. La saleté lui fait horreur. Son activité préférée est le bricolage ou les jeux avec le chien. A moins qu’il ne joue à célébrer la messe au grenier devant ses trois sœurs — futures religieuses — édifiées par de petits sermons. On comprend que les plans du papa, qui le voyait prendre sa succession à la ferme, soient tombés à l’eau. En route pour le séminaire et l’enseignement secondaire. Les moyens intellectuels de Bert sont réduits, mais sa volonté inébranlable. Dix ans au lieu de six, quelle importance ? Le principal est d’arriver au terme. Le long chemin se divise en deux étapes, au cours desquelles le but se précise. Les deux premières années, il les passe au séminaire diocésain, « l’école latine » de Gemert, dans un cadre rural, non loin de la maison paternelle. Bert fait le trajet tous les jours : une heure à pied quand tout va bien. Peu attiré par les études, il lui arrive souvent de traîner en route. A midi, il prend le re12


pas dans une famille, et parfois il y passe la nuit. Les enfants de la maison garderont le souvenir d’un fils de paysan très maladroit, chaussé de gros souliers, au pantalon démodé et trop court, affreusement timide. Néanmoins, il a bon caractère et est incapable de tenir rancune à qui que ce soit. A la fin de la deuxième année, durant les vacances, il suit des cours de français chez les Jésuites exilés au château de Gemert. Après ces deux années assez difficiles, on comprend que Bert se tourne vers un internat qui garantirait une meilleure formation. D’autant plus qu’il vient d’apprendre l’existence d’une école tenue par la congrégation dont avait fait partie le père Damien, l’apôtre des lépreux. Une figure qu’il a appris à connaître en lisant une brochure trouvée à Gemert. C’est à Grave, à l’Institut Damien, que Bert se retrouve en 1905. Au lieu de poursuivre en troisième année ou de reprendre la première, il est même rétrogradé à l’année préparatoire. Péniblement, chaque année, il parvient à passer à la classe suivante, jusqu’à l’avant-dernière année qu’on lui demande de recommencer ! Après quelque hésitation, il décide de continuer. Il avait lu dans L’imitation de Jésus Christ un encouragement à accepter l’humiliation. Interpréter un rôle, faire du théâtre, voilà ce qui plaît à Bert. Sur son lit de mort encore, il évoquait les pièces de théâtre qu’il avait jouées. A Grave, ce sont des mélodrames ampoulés sur des thèmes très catholiques. Dans Le persécuteur des chrétiens, Bert joue le rôle du cardinal légat de Grégoire VII. Ailleurs, il est le grand vizir du sultan menaçant de démolir les remparts de la ville à coups de canon. Mais on le retrouve aussi dans des comédies, notamment en directeur de cirque. Sur scène, il est méconnaissable : ce n’est plus le paysan de Beek, gauche et emprunté, mais un être passionné, gesticulant avec fougue, déclamant son texte d’un ton so13


lennel et affecté avec une voix de basse profonde. Il adopte alors un air hautain et distingué. Il en restera quelque chose plus tard dans sa prédication et dans l’allure qu’il pourra prendre en certaines occasions. On retrouvera ce pathétique ampoulé et pieux dans les poèmes que Bert se met à composer dans ses dernières années d’humanités. Quitte à se faire moucher brutalement par tel ou tel compagnon d’études moins romantique. Voici Bert à la fin de ses études secondaires. Il va maintenant faire le pas décisif : l’entrée dans la vie religieuse. C’est le moment de dire un mot sur la congrégation religieuse dont il a décidé de devenir membre. Les Pères des Sacrés-Cœurs de Jésus et Marie, surnommés Pères de Picpus, sont arrivés en Hollande en 1880. La branche féminine les rejoint plus tard, en 1905, chassée de France par les lois Combes. La congrégation avait été fondée à Poitiers durant la Révolution française par un prêtre du lieu, l’abbé Pierre Coudrin et par une jeune aristocrate, Henriette Aymer. Après la chute de Napoléon, les pères se sont orientés vers les missions étrangères, en l’occurrence l’Océanie orientale. C’est pour recruter des vocations que les premières maisons sont fondées aux Pays-Bas. Apparemment, le chemin est tout tracé vers les îles. Mais nous verrons que l’évolution de la congrégation ouvrira d’autres perspectives. Pour le moment, il s’agit de commencer l’année de noviciat.


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Noviciat et vœux ’EST LE 10 septembre 1913, date mémorable, qu’Hubert van Lieshout, âgé déjà de vingt-deux ans, arrive, plein d’enthousiasme, à la maison du noviciat. Elle est située à Tremelo, en Belgique, non loin de Louvain. A cette époque, en effet, les communautés hollandaises et allemandes dépendent encore de la Belgique. En vue de recruter des missionnaires pour les îles, les deux premières maisons y sont fondées en 1840 : Nivelles, qui ne subsistera que quatre ans, et Louvain. C’est là qu’a été formé le père Damien De Veuster et c’est près de sa maison natale à Tremelo qu’est établi le noviciat en 1908. Hubert fait partie d’un groupe de dix-huit candidats, appelés « postulants » : sept Hollandais, cinq Allemands, quatre Belges, un Français, tous futurs prêtres. Le 23 septembre, le noviciat débute par la prise d’habit. A cette occasion, Hubert reçoit un nouveau prénom, signe de son changement d’état de vie : Eustache. Pourquoi ce choix ? Nous l’ignorons. Ce groupe international est confié à un maître des novices allemand, le père Médard Kaiser, qui est également assistant du Supérieur provincial de Belgique. C’était une autorité, un homme tranquille, qui laisse les coudées franches à ses disciples et ne fait prévaloir son autorité qu’en cas de nécessité. En vrai Allemand, il ne fait confiance qu’aux produits de son pays et fait même venir d’Allemagne les plants d’asperges. Il est secondé par deux assistants, un Allemand et un Flamand.

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Celui-ci, le père Macaire Timmermans, malgré un visage rébarbatif, comme taillé à la hache, est toujours à l’écoute de chacun. D’Eustache, il n’a gardé que de vagues souvenirs, si ce n’est qu’on l’avait parfois surnommé Mater Dolorosa. L’autre, le père Clément Marie Saxowsky, a une tout autre personnalité. Très émotif, il a un faible pour le mysticisme et les faits merveilleux. Avec lui, Eustache s’entend bien, sans qu’il n’en soit trop marqué. Comment se comportait Eustache en tant que novice ? Les témoignages conservés concordent sur certains points. Il prend son noviciat au sérieux. Il est particulièrement obéissant à toutes les règles et tous les règlements qu’un novice doit observer. C’est vraiment un homme de prière, en particulier dans l’adoration du Saint-Sacrement, que les novices pratiquent à tour de rôle, de demi-heure en demi-heure, au cours de la journée. Quand son remplaçant fait défaut, il continue simplement sa prière. Sa dévotion à Marie frappe ses co-novices. Mais il n’a rien d’un bigot, est toujours prêt à rendre service et est d’un commerce agréable. Son sens du théâtre ne l’a pas quitté et provoque des rires à gorge déployée. Les notes que le maître des novices et ses assistants donnent régulièrement sont toujours positives : piété, esprit religieux, obéissance à la règle et au règlement, santé. Petit bémol pour ses capacités : on les qualifie de médiocres sans être mauvaises, mais il est un bourreau de travail. Quant à son caractère, on le décrit comme dévoué, charitable, ayant un bon jugement, même s’il est un peu obstiné et un rien original. La fin du noviciat approche : il est autorisé à prononcer ses vœux temporaires (trois ans) de pauvreté, chasteté et obéissance. Mais un événement imprévu va tout bouleverser. Début août 1914, les Allemands envahissent la Belgique ; immédiatement les frères allemands partent d’abord vers les 16


Pays-Bas et ensuite, pour la plupart, vers l’Allemagne. C’est le cas des novices, de leur maître et d’un de ses assistants. Le père René De Baetselier, un Belge, est nommé à sa place. Le 19 août, à l’approche des troupes allemandes, il décide de prendre la fuite avec toute la communauté. A Malines, les novices hollandais peuvent prendre de justesse le dernier train qui les amène dans leur pays, à Roosendaal. Ils continuent à pied jusque Tilburg, où les frères du lieu offrent l’hospitalité. Ceux dont la famille habite à proximité s’y rendent. Les autres continuent jusqu’à l’Institut Damien à Grave. De là, ils gagnent leur famille. C’est le cas d’Eustache. En cours de route, il rencontre ses compagnons d’étude et confrères d’autrefois : Gil van den Boogaart et Alexis van de Sande, qui se sont aussi échappés de Belgique où ils poursuivaient leurs études de philosophie et de théologie. Rentré au foyer, le novice préfère ne pas s’éterniser dans ce « monde de perdition », comme on disait chez les pères. Il se replia à Den Dungen, au couvent de sa sœur, chez les religieuses de Schijndel. Là, il se rend utile par mille petits services, visitant les personnes âgées et les malades, même les tuberculeux, sans tenir compte des avertissements de la sœur infirmière. Entre-temps, Grave devient le lieu de rassemblement de tous ceux qui ont fui les couvents de la congrégation en Belgique : élèves des écoles apostoliques, novices, frères étudiants, frères convers, pères… Pour les novices, on loue en ville une maison qui appartient aux Pères de la Sainte-Famille, dans l’Oliestraat. Le père René De Baetselier sera remplacé à la fin octobre par le père Sigismond van den Berg. Durant ce mois d’octobre, les novices viennent petit à petit occuper la maison. Mais un problème surgit : l’interruption du noviciat a été si longue qu’il faudrait envisager de le recommencer. Heureusement, le 3 17


novembre, un message arrive de Rome et précise qu’il suffit de compléter les mois manquants. Huit Hollandais, deux Belges et un Allemand sont concernés. Tout n’est pas rose durant ces derniers mois précédant la profession. La maison, vieille et sinistre, n’est pas le couvent rêvé. Le dortoir exigu offre aux novices maintes occasions de se mortifier, que l’on dorme sur la paillasse ou que l’on ait glissé à terre durant le sommeil. Souvent, on y grelotte. On reste confiné la plupart du temps à l’intérieur. Pour la récréation, on ne dispose que d’un petit jardin à l’arrière de la maison, d’où l’on est épié par les voisins. Cela manque de discrétion et d’intimité. Et pour peu que le temps soit mauvais, toute sortie devient impossible. Il ne reste que la salle d’étude comme refuge. Occasionnellement, on peut tout de même s’offrir une promenade. De son côté, le père Sigismond n’a pas la tâche facile : outre ses conférences et entretiens avec les novices, il assume la responsabilité de l’institut Père Damien. Mais tout est bien qui finit bien. Le 27 janvier 1915, le jour tant attendu de la profession religieuse arrive : avec le frère Eustache, sept Hollandais, deux Belges et un Allemand revêtent l’habit religieux complet. Celui-ci consiste, en plus du camail et de la soutane blanche, en un scapulaire — large pièce d’étoffe blanche couvrant le dos et la poitrine presque jusqu’aux pieds — sur lequel est fixé un médaillon d’étoffe en couleur représentant les cœurs de Jésus et de Marie entourés d’une triple couronne d’épines. Après la vêture, les frères prononcent leurs vœux temporaires. Une lettre de frère Eustache évoquant cet événement a été conservée : « Mes chers parents, frères et sœurs, le beau jour est passé. Ce fut un jour qu’aucun autre peut-être ne pourra effacer de ma mémoire. Je puis le comparer avec ma première communion, la plus belle journée que vous ayez 18


connue jusque maintenant. Mais en un certain sens, ce jour-ci est plus beau encore, car ce jour-ci nous avons donné, et au jour de notre communion nous avons reçu… Dorénavant, je porte donc le médaillon des Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie sur ma poitrine. Ce jourci, je fus revêtu du scapulaire et fus ceint d’un cordon blanc au lieu du noir. Nous avons aussi reçu un manteau blanc que nous porterons pour certains exercices religieux. Nous entrâmes dans la chapelle avec un cierge allumé dans la main en chantant le psaume : « Je me suis réjoui quand on m’a dit : j’entrerai dans la maison du Seigneur ; nos pieds ont foulé vos parvis, Jérusalem. » Puis le Père Supérieur (Sigismond) entama le Veni creator, et à pleins poumons nous avons chanté : « Venez Esprit Saint Créateur. » S’ensuivit une harangue touchante qui nous stimula à faire notre saint sacrifice. Puis eut lieu la bénédiction des cordons blancs, des scapulaires et des manteaux, dont nous nous sommes revêtus ensuite. Puis nous mîmes nos mains dans celles du remplaçant du très révérend Père Général, le père Sigismond, en prononçant en même temps nos trois vœux. Après eut lieu la prestation de serment avec les mains sur l’évangéliaire. Vous comprenez avec quelle joie nous avons terminé en chantant le Te Deum, Dieu nous te louons. Nous avons commencé nos études de philosophie. Les anciens novices ont été déplacés dans une autre maison, aussi à Grave. Ainsi nous avons maintenant trois maisons à Grave. Vous comprenez ! Jaantje (sa petite sœur) ne doit pas nous oublier. Merci beaucoup à vous tous pour vos prières et vos bons vœux ! Priez pour la paix ! Votre fils et frère en Jésus Christ, fr. Eust. ss.cc. » 19


Ainsi a commencé pour Hubert van Lieshout, alias frère Eustache, ss.cc., la vie religieuse à part entière (« ss.cc. » est l’abréviation pour Sacrorum Cordium, « des Sacrés-Cœurs », qui désigne la congrégation).


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Vers la prêtrise IN JANVIER 1915, après leurs vœux, Eustache et ses compa-

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gnons entament la philosophie. Ils restent toutefois dans la maison de l’Oliestraat, car le noviciat a déménagé. C’est une solution provisoire, le temps de trouver une maison suffisamment vaste pour accueillir novices et philosophes. On croit l’avoir trouvée à Tilburg, dans un ancien couvent de sœurs trappistines. On y emménage le 25 juillet et ceux qui viennent de terminer leur noviciat ne tardent pas à les rejoindre. Entre-temps, on remue ciel et terre pour trouver une maison valable. C’est à Ginneken, près de Breda, que l’on s’installe le 29 janvier 1916. Le 9 février arrivent de Tilburg les étudiants en philosophie et, cinq jours plus tard, les étudiants hollandais en théologie. Ils avaient trouvé refuge jusque-là dans la maison des confrères allemands de Simpelveld. En septembre 1916, à la fin de leur année de philosophie, Eustache et ses compagnons commencent la théologie. Le programme comprend les cours de dogmatique, d’exégèse biblique, d’histoire de l’Eglise, de théologie morale, d’éloquence sacrée, de liturgie et de droit canonique. Ces cours consistent en commentaires de manuels. Presque aucun professeur n’a reçu de formation particulière, à part le Supérieur, le père Norbert Poelman, qui a étudié à Rome. Tous sont néanmoins des hommes studieux et soucieux de donner le meilleur d’eux-mêmes. De leur côté, il n’est pas sûr que les étudiants débordent d’enthousiasme pour la ma21


tière. Eustache, lui, se tire assez bien d’affaire, même si c’est à l’arraché. Deux événements marquent ces années-là à Ginneken. D’une part, la grippe espagnole de 1918-1919 qui provoque la mort de trois de ses confrères. D’autre part, la construction d’un nouveau bâtiment, comprenant une chapelle, donnant ainsi une grande extension à la villa primitive. Le 18 mars 1919, la bénédiction de la chapelle clôture les travaux. Le frère Eustache y sera ordonné prêtre le 10 août suivant. Mais avant cette étape marquante, examinons d’un peu plus près l’attitude d’Eustache pendant ses études. Voici la vue synthétique que propose le document romain préparatoire à la béatification : « Au début, le frère Eustache avait du mal à suivre : sa mémoire n’était pas trop bonne, et il avait peu de propension à comprendre les problèmes philosophiques ; graduellement cependant, il prit goût à la théologie. Son approche des questions pastorales était plus que suffisante. Aussi ses professeurs n’eurent pas de mal, vu ses capacités intellectuelles, à l’admettre à l’ordination sacerdotale. Il était un bon religieux, et ses professeurs et ses compagnons d’étude le tenaient pour un bon confrère. Il était un compagnon d’étude agréable, serviable et zélé. Son équilibre était stable. » Pourtant, les témoignages de ses anciens condisciples ne sont pas unanimes. Tout en l’estimant, un camarade de promotion émet des objections. Ainsi, lorsque Eustache construit une petite chapelle mariale et y rassemble ses compagnons pour des cantiques ou des prières, il n’entend pas les rejoindre. A son grand étonnement, il découvre une sorte de 22


fouet dans la cellule d’Eustache, sans doute pour des mortifications. Tout en appréciant son zèle, son dévouement en tant que religieux et sa piété, il trouve celle-ci tout de même exagérée et il supporte mal sa manière solennelle de parler et d’agir, signe, à ses yeux, d’un manque de simplicité et d’une certaine arrogance. D’autres sont plus positifs. Ils ne voient pas malice dans son ton solennel. Ainsi, un jour, comme s’il rendait un oracle, il affirme au professeur de la plus humble classe, la classe préparatoire, combien cette tâche est exigeante. D’autres anecdotes font ressortir son élocution affectée ou sa maladresse. Bref, rien de bien méchant. Les diverses histoires de ses compagnons d’étude donnent plutôt une image sympathique du futur bienheureux. Bien sûr, les études lui pèsent et il n’a pas le goût des livres, mais c’est somme toute assez courant chez les jeunes plus portés sur l’action et l’apostolat. Fort de son jugement équilibré et de son sens pastoral, il parvient néanmoins à réussir aux examens. Son commerce est agréable et il aime rendre service. A l’occasion, son esprit pince-sans-rire détend l’atmosphère. Ainsi, bon an mal an, il arrive au terme tant attendu : la prêtrise. Outre la réussite des examens, il lui a aussi fallu recevoir les divers ordres préalables. Le 23 juillet 1916, il fait le premier pas et reçoit la tonsure. Le 17 mars 1918, il reçoit les ordres mineurs (portier, lecteur, exorciste, acolyte) dans la chapelle du couvent et, le lendemain, il prononce ses vœux perpétuels. Le surlendemain, il est ordonné sous-diacre par Mgr Hopmans, évêque de Breda. L’ordination au diaconat a lieu l’année suivante, le 11 mai 1919. Elle sera suivie par l’ordination sacerdotale, par le même évêque, le 10 août, avec six compagnons. Le 15 août suivant, fête de l’Assomption, le nouveau prêtre célèbre sa première messe dans l’église de sa paroisse de Beek 23


en Donk. C’est une fête grandiose. L’essentiel de sa vie est retracé par de beaux dessins, du berceau à la prêtrise. L’harmonie de Beek vient lui jouer la sérénade, ce qui lui donne l’occasion de faire de sa voix de stentor l’éloge solennel des musiciens. On perpétue le souvenir de la fête en distribuant des images pieuses sur lesquelles le nouveau prêtre demande : « Vous tous qui m’avez accompagné par vos prières sur la route vers l’autel du Seigneur, ne cessez pas maintenant vos prières pour moi qui me suis engagé à offrir à Dieu un sacrifice qui lui plaise. Le souvenir de ceux qui m’ont fait du bien m’accompagnera à l’autel tous les jours de ma vie. » Après quelques jours de vacances dans un climat idyllique en famille et en paroisse, il rejoint sa première obédience.


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Apostolat aux Pays-Bas premières années de la vie sacerdotale du père Eustache, de 1919 à 1924, sont mal connues, en dépit des efforts soutenus et des recherches opiniâtres menées par le père Jan Van Westerhoven, l’archiviste de la Province hollandaise des pères des Sacrés-Cœurs. Elles donnent l’impression d’une grande diversité d’activités de courte durée. Avant de passer en revue cette période, peut-être pourrait-on avancer une explication à ce manque de stabilité. Jusqu’à la guerre 1914-1918, comme on l’a vu, les religieux hollandais dépendent de la Belgique qui assurait l’envoi en mission en Océanie ou en Amérique du Nord. Suite à la guerre et à la difficulté des communications, les confrères hollandais sont amenés à prendre une plus grande indépendance, ce qui leur permettra, en 1923, d’accéder au statut de Province. La suite logique implique la prise en charge d’une mission, mais cela ne se fait pas en un tournemain. En même temps, les vocations affluent de plus en plus alors que les nouveaux champs de mission sont encore dans le cœur de Dieu. C’est pourquoi, durant quelques années, le temps de recevoir ou de choisir ces terrains d’action, on peut comprendre que les nouveaux ordonnés aient eu des difficultés à s’occuper. Dès que la nouvelle Province hollandaise aura accepté une mission en Indonésie et aura décidé de partir au Brésil, le problème sera résolu. En tout cas, il s’agit d’un problème structurel. On ne peut mettre en cause ni le manque de zèle de

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ces nouveaux prêtres, ni l’incapacité des supérieurs à leur trouver du travail. Donc, après son ordination sacerdotale, Eustache se rend au couvent de Vlieringsbeek, comme assistant du maître des novices. Sa tâche principale est l’accompagnement des futurs frères convers, destinés aux travaux manuels et non à la prêtrise. Il s’absente souvent pour prêcher des retraites et des triduums. A partir de 1920, on l’a vu, il a la charge des verriers de Maassluis. La maison ferme en août 1920 et Eustache se retrouve dans la communauté de Ginneken. Là, durant l’année 1921, il se livre à divers ministères pas toujours faciles à identifier : a-t-il été actif à la paroisse SainteHildegarde à Rotterdam ? La seule chose que l’on sache, c’est qu’un confrère a raconté qu’Eustache s’était un jour plaint en famille de la jalousie et d’une certaine antipathie des vicaires de cette paroisse à son égard. A cette époque, la maison de Ginneken donne des conférences sur le Sacré-Cœur illustrées par des diapositives. Eustache se met parfois en route pour les présenter, bien qu’il ne soit pas très adroit à manier le projecteur : un jour, celuici prend feu. Une autre fois, un télégramme arrive à Ginneken : notre homme se trouve à Oostburg, en Flandre Zélandaise, donc très loin de là, et demande qu’on vienne d’urgence à son secours parce qu’il ne sait plus comment faire fonctionner le projecteur… Le 25 février 1922, il est nommé par l’évêque de Haarlem vicaire de la paroisse de Roelofarendsveen, pour aider le curé et le vicaire. N’ayant pas de secteur propre, il rend visite à tous les paroissiens, surtout aux malades et aux personnes en difficulté. Le souvenir en est resté. Par ailleurs, Eustache est très engagé dans la vie associative catholique de la paroisse. Ainsi est-il directeur spirituel de l’Action so26


ciale catholique et intervient dans l’association Sainte-Barbe qui aidait à la préparation des enterrements. Il promeut aussi l’intronisation du Sacré-Cœur. Cette œuvre, dont il a déjà été question, est propre à sa congrégation. Elle se réclame d’un confrère latino-américain, le père Mateo Crawley-Boevey, qui avait reçu l’appui du pape Pie X. Elle consiste à faire reconnaître par une famille la royauté du Christ. Cela se fait au cours d’une cérémonie présidée par un père des Sacrés-Cœurs. Elle peut également se faire dans une école ou une entreprise. Elle connaîtra un grand essor en Hollande. Le sommet de cette période est certainement la participation d’Eustache et de plusieurs paroissiens au premier congrès eucharistique national à Amsterdam, en octobre 1922. Ils s’y rendent en bateau, brandissant drapeaux et étendards. Après la grand-messe et le sermon dans l’église Vondel, et après un agréable pique-nique, la foule retourne au Nieuwezijds Voorburgwal, où les bannières étaient restées. Drapeaux au vent, on se rend en procession au stade, à la cérémonie de clôture, le père Eustache en tête, débordant d’enthousiasme. Un trajet d’une heure qui attira les regards des habitants d’Amsterdam, toujours à l’affût de nouveautés. Une mention spéciale doit être attribuée au ministère d’Eustache en tant que directeur spirituel de l’Action sociale catholique. Il milite énergiquement pour l’édition d’une petite brochure hebdomadaire, intitulée Ons streven (« Notre ambition »). Il y signe des récits édifiants. Chaque numéro contient un épisode de son roman feuilleton intitulé Son Sacrifice. Il invente les épisodes au fur et à mesure, sans savoir la suite. Assez rapidement, les lecteurs estiment que le plaisir a assez duré et qu’il est temps que l’auteur arrive au dénouement. 27


C’est vers cette époque qu’il est rappelé brièvement à Ginneken pour recevoir la décoration du consul de Belgique. Il travaille dans cette paroisse jusqu’au 18 août 1923, date où il est congédié honorablement par l’évêque. Au moment de son départ, le curé l’appelle, dans la chronique de la paroisse, Raptor cordium (« le conquérant des cœurs »). En guise d’adieu, Ons Streven publie un article bien senti : « Au début de cette semaine, une triste nouvelle se répandit dans la paroisse comme une sombre rumeur : « Notre père s’en va ! » Il s’agit vraiment de notre père ! Car dans le court laps de temps qu’il a passé dans notre paroisse, il est devenu l’un des nôtres, par sa fonction de directeur spirituel de plusieurs associations religieuses, par sa présence au confessionnal, en chaire, à l’église ; il a été nôtre dans sa chambre, où il recevait tout le monde ; il a été nôtre dans nos propres maisons, où il venait consoler les malades, donner conseil quand la situation était difficile, apporter un soutien financier ; il était nôtre par son exemple d’humilité et de modestie, par sa piété et son sens religieux. Il était des nôtres, sans exception, que l’on soit pauvre ou riche. » Le 1er septembre 1923, Ons Streven annonce que l’on peut commander au comité local de l’Action sociale catholique une photo d’Eustache pour un florin. Elle le représente assis à côté d’une table fleurie sur laquelle trône une statue du Sacré-Cœur. Certains trouvent qu’on en fait quand même un peu trop. Pourtant, plus de vingt ans plus tard, un grand nombre de paroissiens manifestaient encore leur reconnaissance pour ce que le père van Lieshout avait fait pour eux. Il revint d’ailleurs dans la paroisse en 1936, lors d’un retour du Brésil, et prêcha les Quarante Heures avec beaucoup de succès grâce au bon souvenir que les gens avaient gardé de lui. En 1945, le curé de la paroisse affirmait qu’il y avait encore dans certaines demeures des photos d’Eustache prises 28


lors d’une intronisation. Il semble bien que sa dévotion au Sacré-Cœur et son apostolat aient fortement marqué les mémoires. Après son ministère à Roelofarendsveen, Eustache se retrouve à Ginneken fin août 1923. Par la suite, il est vicaire durant quelques mois dans la paroisse de Voorschoten. On a peu d’informations de ce moment. Par contre, on a gardé quelques traces des retraites qu’il a prêchées durant ces années. Pendant le carême de 1924, Eustache prononce des sermons à Bergen, en Hollande du Nord, comme en témoigne cette lettre adressée à sa famille : « De Bergen. Je suis déjà habitué ici. Hier, j’ai commencé les sermons de carême à sept heures du soir. Une église magnifiquement remplie. Un public très attentif ; la graine semée semblait tomber dans une terre fertile. Je ne sais pas combien de temps je resterai encore ici, car le vicaire va prendre un peu de repos durant quelque temps. C’est une paroisse où il y a beaucoup à faire. La région est belle, mais avec, comme je l’ai écrit, un air marin frais, qui est agréable pendant l’été, mais froid durant l’hiver. Quand on vient du sud, il faut s’y habituer. » De début mai 1924 jusqu’à fin juillet, Eustache séjourne dans l’île de Schiermonnikenoog. Là se trouvait la maison catholique de vacances et de convalescence Saint-Egbert qui accueillait aussi des colonies de vacances. Des laïcs et des religieuses prenaient soin des enfants, sous la direction d’une certaine madame Jo Reinhardt, surnommée « la papesse Jeanne ». C’est elle qui a harponné Eustache, car elle recrutait des prêtres pour ses colonies sans même consulter l’archevêché. 29


A peine arrivé à la colonie, le père Eustache apprend la mort de son père, le 3 mai 1924. Heureusement, il avait eu le temps de lui porter la communion avant de le quitter. Celui-ci avait alors dit : « J’ai été tellement fier de voir Hubert monter à l’autel ! » Retenu par son apostolat, Eustache n’a pu assister aux funérailles. De son séjour sur l’île, on a gardé quelques échos. Ainsi une petite fille qui passait là ses vacances écrit à un père de la congrégation : « D’abord il y avait ici un saint père ; maintenant, il y en a un qui rit partout, même au confessionnal ! » Le saint père en question n’est autre qu’Eustache.


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Vers l’Amérique latine ses origines, la congrégation des Sacrés-Cœurs est présente et active en Amérique Latine. La première équipe missionnaire en route vers Hawaii, en 1824, fait halte à Valparaiso, au Chili, et y fonde une communauté. Rejoints peu après par leurs consœurs, ils se sont développés sur place et ont essaimé au fil du temps dans plusieurs pays du souscontinent : au Pérou, en Equateur, au Mexique, en Bolivie et sous peu en Argentine. Dès lors, le Supérieur général de la congrégation, le père Flavien Prat, écrit en 1923 à la Province des Pays-Bas nouvellement érigée pour l’inviter à se rendre au plus tôt en Amérique latine. Il y voit un double intérêt : de nombreuses vocations pour la congrégation et la fondation d’écoles qui assurera la viabilité financière du projet. Tant du côté de la maison générale que de la Province, on rassemble des informations et on examine les possibilités. Dans le courant de 1924, il semble que des perspectives intéressantes se dessinent du côté de l’Uruguay et du Brésil. Dans un premier temps, les deux possibilités sont retenues, en commençant toutefois par l’Uruguay. Peu après, des propositions arrivent aussi du Vénézuela. Eustache est désigné comme membre de l’équipe des pionniers, avec Gil van den Boogaart et Matthias van Rooij. Voici ce qu’il écrit à l’une de ses sœurs religieuses :

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EPUIS

« Des nouvelles ? Oui. Au mois d’août, je viens pour quelques jours en famille pour des vacances ; cela veut dire 31


aussi que je viens passer une petite journée chez mes chères Sœurs, mais après… après j’irai plus loin encore que là où je suis maintenant, d’abord en Espagne, puis en Amérique du Sud (Etat d’Uruguay). Départ pour l’Espagne : vers le 15 août (c’est surtout pour apprendre la langue que je serai chez mes confrères espagnols). Le père Egidius van den Boogaart sera mon compagnon. » Le 1er septembre 1924, nos trois confrères partent pour l’Espagne, à destination de Miranda de Ebro. Là, la congrégation possède une maison et un établissement scolaire. Ils apprennent les rudiments de la langue espagnole par des cours et une immersion dans la vie de la communauté. Le français qu’ils ont appris durant leurs études secondaires leur permettra de ne pas être trop dépaysés ; de plus, les confrères espagnols connaissent aussi le français, langue officielle de la congrégation à cette époque. Les trois missionnaires prennent le train, en quatrième classe comme il convient à des religieux qui ont fait vœu de pauvreté. En bons Hollandais habitués à une propreté impeccable, ils sont horrifiés par la saleté des trains espagnols. Sous les banquettes, on peut même trouver des « choses » malodorantes qu’on a coutume d’éliminer ailleurs. Eustache, pince-sans-rire, en fait l’objet d’un jeu de mots à partir d’une expression hollandaise difficile à traduire en français. « Ici, dit Eustache, on n’a pas peur de mettre les choses sous les banquettes » ; en néerlandais, « mettre quelque chose sous les banquettes » veut dire au figuré « tenir une chose secrète ». Eustache lui, parle au sens littéral ! Finalement les supérieurs décident de concentrer les forces sur le Brésil. Comme on y parle le portugais, l’apprentissage de l’espagnol n’a plus de raison d’être. Aussi, en février 1925, les trois pères sont rappelés. Ils laissent de bons 32


souvenirs, comme on peut le percevoir dans la lettre que le père José Palomero, de la communauté de Miranda, écrivit plus tard. « Ils firent des progrès rapides dans l’étude, surtout le père Gil, qui déjà trois mois après son arrivée fit un sermon remarquable par l’aisance avec laquelle il le prononçait. Le père Eustache avait plus de mal, mais sa persévérance et la peine qu’il se donnait étaient grandes, et il profitait de la récréation et des promenades pour parler avec les étudiants et s’exercer dans la prononciation des mots appris. Quelques jours à peine après leur arrivée, ils allèrent se promener ensemble et parlèrent avec les gens du village. Au retour, ils faisaient part de leurs impressions. Tous trois marquaient par leur piété et leur attitude réservée. Ils parlaient peu de la situation de leur patrie et se conformaient parfaitement aux règlements et coutumes du couvent. Le père Eustache se distinguait par sa grande humilité, sa charité et sa grande délicatesse. Il veillait toujours à ne vexer personne. Je crois que c’est au cours de cette période qu’il fit le sacrifice de ne plus fumer afin d’attirer ainsi la bénédiction du ciel sur son apostolat futur. » Il reste à préciser le lieu où la fondation brésilienne se fera. Plusieurs offres alléchantes sont faites, parmi lesquelles celle du salésien dom Antonio de Almeida Lustosa, nouvel évêque d’Uberaba. Le Supérieur provincial se rendra sur place avec les trois missionnaires. Le moment du départ approche. Rentrés d’Espagne, les pionniers sont à Ginneken le 19 février et à Valkenburg le 31 mars pour la cérémonie des adieux aux scolastiques. Ceux-ci composent un chant de circonstance. Voici l’extrait qui concerne Eustache : 33


Très cher et révérend oncle Eustache Chevalier de Schiermonnikenoog Longtemps regretté et jamais oublié Qui garderait ici les yeux secs ? Beek et Donk, Maassluis, Voorschoten Ont vu votre gloire Vous y avez tenu le pot droit Travaillant comme dix hommes C’est pourquoi le Roi des Belges Vous honora de l’Ordre de chevalier Pour avoir pris soin de ses sujets. Remarquable aussi, le passage portant sur les trois compagnons : Nous allons à Uberaba, mon bon Sans nous faire de mouron. Si ça rate, on ne sera pas moroses On essaiera de trouver autre chose. Le chant exécuté à l’occasion de la remise des croix de mission durant l’adieu officiel à Ginneken, le 21 avril 1925 est beaucoup plus solennel et émouvant. En voici quelques extraits : « Partez donc, messagers de la Bonne Nouvelle, pour vous, l’aube s’est levée ! Donnez à vos cœurs ardents une voix sonore Et faites éclater votre amour sur la terre entière. Vos pieds, nets comme le vert printemps, Reçoivent maintenant de notre bouche un baiser. Vos pieds vers les plages lointaines portent la paix A des âmes blessées, face au trépas. » 34


Lors de la reprise du refrain, les assistants ne peuvent retenir leurs larmes : Adieu donc, mes amis, pour cette vie terrestre ! Portez le nom de Dieu au-dessus de la mort et de l’enfer ! Nous nous reverrons dans le pays que Dieu nous veut. Adieu, mes frères, adieu ! » Le 22 avril 1925, l’heure du grand départ est arrivée. A Amsterdam, le Supérieur provincial et les trois missionnaires montent à bord du Flandria, de la Lloyd hollandaise. Pendant la première partie du voyage — d’Amsterdam à IJmuiden, par le canal de la mer du Nord —, quelques hôtes peuvent naviguer avec eux : les pères Aloys Ceelen et Alexis van de Sande. Ce jour-là, Eustache envoie à sa famille une carte postale ainsi rédigée : « Vive le Sacré-Cœur de Jésus ! Tout va bien. Le bateau est déjà en route pour IJmuiden. Jusque maintenant il n’y a pas de problèmes. Le temps est magnifique. A bord, il y a plusieurs ecclésiastiques. Les cabines sont magnifiques. Nous avons beaucoup de plaisir. En ce moment, le père Aloysius se trouve à côté de moi. Jusqu’à la prochaine fois. Souvenons-nous les uns des autres. Votre fils et frère reconnaissant, Eustache, ss.cc. » La carte est contresignée par les pères Aloysius, Alexis et Gil van den Boogaart. En cours de route, on apprend que le navire a augmenté sa vitesse pour essayer de rattraper son retard et arriver à temps au port français. Comme Eustache estime que ce sera en vain, il lança comme d’habitude un de ses oracles solennels : « C’est idiot : plus vite on va, plus vite on sera en retard » !



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Une paroisse appelée « dépotoir » provisoirement nos quatre voyageurs au bercement des vagues et posons-nous une question : cette préférence hollandaise pour le Brésil se comprend-elle ? Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un coup d’œil sur les relations qui se sont tissées entre les deux pays. Sans remonter jusqu’au XVIIe siècle et aux conquêtes de Maurice de Nassau, on peut constater, chez les catholiques hollandais, un large mouvement en direction du Brésil déjà à partir de la première partie du XIXe siècle. Au début, ce sont des religieux qui vont remettre sur pied couvents et abbayes dépeuplés et fonder des écoles. Après la première guerre mondiale, c’est par centaines que prêtres, religieux et religieuses traversent l’océan. Ils s’investissent dans l’enseignement et le ministère paroissial, dans la formation du clergé et les missions populaires, voire même dans l’évangélisation des Indiens de l’Amazonie. Nos confrères s’insèrent donc dans un large courant. A la mort d’Eustache, on compte cinq cent nonante-neuf missionnaires hollandais au Brésil. Le nombre des membres des Sacrés-Cœurs est passé de trois à septante-sept à cette époque. C’est même la mission la plus importante des pères des Sacrés-Cœurs : en Indonésie, le nombre ne dépassa pas vingt missionnaires. Après la deuxième guerre mondiale, le nombre total des missionnaires hollandais au Brésil connaît encore une forte augmentation. A cette époque, sur dix prêtres actifs au Brésil, un est hollandais. Certains sont devenus des figures connues, comme l’exégète Carlos Mesters, de l’ordre des Carmes.

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ONFIONS

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Revenons à nos passagers du Flandria. Pour eux, le voyage est une vraie partie de plaisir. On conserve un récit de la plume d’Eustache, dont voici quelques extraits. « Maintenant, on longe la côte de l’Afrique, le pays de saint Augustin et de sa sainte mère Monique. Puis deux jours sans pouvoir voir la terre, mais inoubliables furent la beauté du soleil et la surface bleue de l’eau. » « Dimanche 3 mai. Déjà deux saintes messes : à six heures et six heures trente. A neuf heures trente, une sainte messe dans la troisième classe. Beaucoup ont demandé d’aller à confesse et à la communion. A dix heures et demie, j’ai dit moi-même la sainte messe dans la première classe. » « Ce soir, les Brésiliens nous ont invités à célébrer avec eux le 425e anniversaire de la découverte du Brésil. Ce fut une grande fête et nous avons offert à nos Brésiliens une boîte de cigares hollandais avec un lot de barres de chocolat Kwatta. Un délicieux régal pour eux ! On chantait et déclamait, et l’un de nous les remercia pour leur invitation, les félicitant aussi de ce curieux anniversaire. » Le 12 mai 1925, le navire entre dans le port de Rio de Janeiro dans une ambiance festive. Le père Venance Hulselmans, ss.cc., arrivé au Brésil en 1932, écrit dans sa biographie du père Eustache : « Des milliers de personnes se trouvaient sur le quai, et des centaines de petits bateaux décorés venaient à la rencontre du Flandria. Des harmonies jouaient et le peuple poussait des cris de joie en l’honneur des héros 38


du football, que le navire ramenait d’une tournée victorieuse en Europe. Les compagnons d’Eustache disaient en riant : « Ces gens pensent qu’ils sont venus rendre hommage à leurs footballeurs, mais en réalité, c’est notre congrégation qu’ils sont venus saluer. » L’occasion pour Eustache de prophétiser : « Oui, je n’ai jamais pensé que la congrégation des Sacrés-Cœurs serait accueillie dans une telle ambiance de fête. Ce doit être le présage de choses miraculeuses ! » Dès leur arrivée, le Supérieur provincial et ses trois compagnons peuvent séjourner le temps qu’ils voudront au collège des Prémontrés hollandais de Petropolis. Il faut maintenant envisager l’avenir avec l’évêque d’Uberaba, dom Antonio de Almeida Lustosa, un prélat extrêmement compétent et sympathique. En même temps, ils étudient la langue portugaise, qu’ils n’ont guère eu le temps d’approfondir jusquelà. Pour Eustache, c’est le même casse-tête que l’apprentissage de l’espagnol. A un moment donné, à bout de patience, il ferme ses livres et décide d’apprendre sur le tas, en parlant avec les gens dans la rue. Le 15 juillet, les accords ayant été pris avec l’évêque, Norbert Poelman installe ses confrères dans le presbytère de la petite localité d’Agua Suja. Littéralement, ce nom, qu’on pourrait traduire par « dépotoir », signifie « eau sale » ; nous verrons pourquoi. Ils auront la charge de cette paroisse et de Rio das Velhas, et plus tard de Nova Ponte. Cela signifie trois églises et six chapelles, en tout seize mille âmes. Leur champ d’action correspond à la superficie de la province du Brabant hollandais. Cela nécessite de longues courses à cheval, pouvant durer de six à huit heures.



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Le curé d’Agua Suja (1925-1934)

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son arrivée sur place, Eustache communique ses premières impressions à sa famille :

EU APRÈS

Il est sûr et certain que la main de Dieu nous a conduits par ici. Jusque maintenant, le climat me plaît beaucoup. Pourtant le soleil peut taper ferme. On s’en rend surtout compte quand on doit aller à cheval durant sept ou huit heures d’affilée dans une plaine où il n’y a pas le moindre arbre pour donner de l’ombre. Vous devriez voir quel progrès nous avons déjà fait comme cavaliers. Heureusement, nous avons nos propres chevaux, qu’on trouve ici à bon marché. Quand on est arrivé à destination, le garçon mène les chevaux à la prairie, pendant que le père sonne la cloche. Ainsi les gens savent que le père est là et qu’on peut venir pour un mariage, des baptêmes, une confession… Deux ans plus tard, Eustache fait l’acquisition d’une petite voiture. Voici ce qu’en dit un des pères : « A Araguari, nous avons vu aussi l’auto d’Eustache et nous l’avons essayée. Quelle vieille Ford ! Pas de phares, pas de klaxon, pas de vitres, seulement l’indispensable pour pouvoir avancer. Trois pneus avaient été empruntés et il y avait sur l’auto plus de rouille que de vernis. 41


Pourtant on a fait plusieurs petits tours à Araguari, mais il a d’abord fallu que chacun aide à pousser jusqu’à ce que la machine démarre. Eustache peut être fier. Il dit que c’est le système automobile le plus simple qu’on puisse trouver. En quoi on ne peut lui donner tort ! » Les paroisses à gérer se trouvent dans le Triangulo Mineiro, une partie de l’Etat de Minas Gerais. La recherche de l’or et des diamants est une des activités importantes du lieu. C’est l’eau sale provoquée par le rinçage du minerai qui a donné son nom à la localité. La fièvre de l’or ne va pas sans violences, rixes et homicides. On y a la gâchette facile. Eustache garde la tête froide et n’hésite pas à intervenir énergiquement pour faire respecter les lois de l’Eglise telles qu’il les a apprises dans sa lointaine Hollande. L’histoire du décès de ce gros propriétaire de l’arrière-pays est restée célèbre. Deux hommes armés et à cheval viennent au presbytère demander à Eustache de l’enterrer sur-lechamp, le cortège funèbre se trouvant déjà à la porte de l’église. « De qui s’agit-il ? » s’enquit le curé. « Peu importe, lui répond-on, c’est un catholique et nous voulons qu’il ait des funérailles. — Si vous ne me dites pas qui c’est, je ne bouge pas », dit Eustache. En entendant le nom du défunt, Eustache reste de marbre : « Enterrez-le si vous voulez, mais ne comptez pas sur moi. Qui n’est pas entré dans l’église durant sa vie n’y entrera pas après sa mort. » Malgré les menaces et les coups de feu tirés en l’air, le curé ne fait que répéter la même sentence et le fermier est enterré sans la moindre goutte d’eau bénite. Impressionnés par cette attitude intransigeante et craignant de subir le même sort, les paroissiens se mettent à fréquenter l’église. En fait, cet épisode témoigne du choc entre deux conceptions du catholicisme. D’une part, celle vécue en Europe et 42


caractérisée par l’importance de la pratique dominicale et du rôle du curé ; d’autre part, celle habituelle au Brésil, centrée sur les processions, les fêtes annuelles autour d’une chapelle dédiée à un saint, notamment saint Vincent de Paul, et où le prêtre n’intervient qu’épisodiquement, comme on l’a vu plus haut, pour les baptêmes, les mariages et les confessions. Une journaliste originaire d’Agua Suja, Maria das Dolores Damasceno, rapporte un épisode curieux qui montre clairement le type de catholicisme promu par notre Hollandais : « Le père Eustache voulait que ses fidèles, chaque jeudi à quinze heures, allassent à l’église pour prier devant Jésus présent dans le Saint-Sacrement. Mais il n’y avait que peu de gens dans l’église. Un des dimanches après un tel jeudi, le curé dit dans son sermon : « Les fidèles ne sont pas intéressés par Jésus dans son Saint-Sacrement, mais les animaux viendront pour l’adorer ! » Le premier jeudi suivant, à quinze heures, c’était la même histoire : il n’y avait que quelques fidèles présents. Alors le galop d’une bête attira l’attention des gens. Un cheval arriva, trottant sur la place de l’église, puis entra dans l’église, se posta dans la nef centrale en face du Saint-Sacrement. Durant plus de quinze minutes, l’animal resta là sans bouger, de sorte que quelques fidèles eurent le temps d’aller chercher d’autres personnes pour voir ce qui se passait. Beaucoup de gens ont donc vu cela. A la fin, le cheval quitta tranquillement l’église et rentra à son écurie. Tous ceux qui avaient entendu le sermon du curé en connaissaient l’explication. » Agua Suja est typiquement un lieu de la « religiosité brésilienne », tellement différente de celle qu’Eustache essaie d’instaurer. C’est un centre de pèlerinage important, mar43


qué par la fête annuelle le 15 août. On y invoque la Sainte Vierge sous le vocable de Nossa Senhora de Abadia. D’ailleurs, le nom peu reluisant de la localité sera remplacé quelques années plus tard par Romaria, c’est-à-dire « pèlerinage » ou « kermesse ». A cette occasion, quelque cinquante mille pèlerins arrivent de partout accompagnés de trois mille chars à bœufs. Beaucoup veulent accomplir leur vœu fait à Marie. L’évêque, accompagné de plusieurs prêtres, y vient pour les cérémonies. Outre la procession et les offices à l’église, il y a sur la place une foire, des cortèges, des fêtes, des feux d’artifice, sans oublier les maisons de passe. Insensiblement, Eustache et ses compagnons parviennent à mettre un peu plus de profondeur dans les rites du pèlerinage. Il y a maintenant une procession du Saint-Sacrement avec bénédiction personnelle de chaque malade. En 1928, bousculant la confrérie dont relevait le terrain du pèlerinage, il fait démolir le grillage d’enceinte et installe un chemin de croix. Au milieu du terrain, il érige une statue du Sacré-Cœur auquel les pèlerins se consacrent solennellement. Il veille aussi à ce qu’on ne vienne plus voler l’argent du tronc. A cet effet, il installe un pistolero qui lui a offert ses services. Cet homme est tellement enchanté de cette marque de confiance qu’il jure par tous les saints du ciel que cette année, pas un centime ne manquera. Mais ce qui impressionne encore plus les gens, c’est la grande préoccupation d’Eustache pour les malades. Bien sûr, c’est surtout le salut de leur âme qui le préoccupe, mais il n’a pas peur non plus de leur offrir une aide physique. Pour cela, il consulte un petit manuel hollandais datant de 1650 ! Il prend aussi le risque d’aider des malades contagieux. Ainsi, au péril de sa vie, il suce le venin mortel d’un serpent qui avait mordu un jeune homme. Un jour, au retour d’une tournée pastorale, il visite un malade qu’on disait démoniaque. 44


Enfermé dans une cage comme un animal, il recevait sa nourriture à travers un guichet. La femme du malheureux, soumise à ses cris et ses hurlements, était au désespoir. « Je l’aspergeai d’eau bénite, dit Eustache, ce qui causa un changement considérable, ainsi que les prières de l’Eglise. Il se mit à prier et à me parler. » Voici un autre épisode sur le même sujet, tel qu’Eustache le raconte dans une de ses lettres : « Le dernier jour de l’année passée m’a enlevé un petit malade de treize ans que j’avais soigné deux fois par jour durant trois mois. Le gosse avait été atteint d’une balle de revolver. Ses plaies étaient incurables et la partie inférieure du corps paralysée. Quelles ne furent pas les souffrances de ce gamin ! Il était pauvre, et en plus abandonné par ses parents. Sur sa tombe, je pense faire apposer l’inscription suivante : « Mes parents m’ont abandonné, mais Dieu a eu pitié de moi ! » Certes, il ne faut pas croire qu’Eustache est le seul à se dépenser dans la vigne du Seigneur. Ses confrères aussi contribuent à améliorer la situation, à commencer par ses deux premiers compagnons : Gil van den Boogaart et Matthias van Rooij. Lorsque l’un et l’autre partent successivement pour fonder un collège, le premier à Araguari, l’autre à Patrocinio, d’autres viennent en renfort. Il y eut aussi quelques frères convers pour les travaux ou la sacristie, comme le frère Michel Stoop. D’autre part, la vieille église d’Agua Suja, étant tombée en ruine, un confrère prêtre, Everard Molengraaff, qui a fait des études d’architecture, dessine les plans d’une nouvelle église. L’ancienne est démolie en 1931 et, dès l’année suivante, la nouvelle est déjà utilisable, du moins partiellement. Les gens apportent, de temps en temps, des char45


retées de pierres, ce qui s’accompagne chaque fois d’une fête. La construction prend vingt ans et le résultat peut être qualifié de majestuoso santuario. En 1931, Eustache apprend la mort de sa mère, décédée le 12 février des suites du diabète. Sa mort l’a beaucoup affecté, comme en témoigne la lettre qu’il écrit à sa sœur Patricia : « Souvent déjà, j’ai craint le moment de la mort de maman, mais je ne sais pas quelle grande grâce m’a soutenu dans les jours qui ont suivi ce faire-part de décès, de sorte que j’ai pu le supporter avec calme et résignation. Les gens d’ici ont tellement prié pour maman et célébré les obsèques religieuses si solennellement ! Voir tant de sympathie de la part de mes paroissiens et de mes connaissances m’a été d’un grand réconfort. Les pères des Pays-Bas se sont coupés en quatre pour me donner toutes les informations et m’offrir leurs condoléances. » En conclusion de ce chapitre sur l’apostolat d’Eustache à Agua Suja, on peut reprendre ce que l’évêque dom Lustosa écrivait déjà au Supérieur provincial des Pays-Bas en août 1927, deux ans à peine après l’arrivée d’Eustache et de ses compagnons. « Je suis allé de nouveau à Agua Suja pour vivre les fêtes de Nossa Senhora da Abadia. Chaque année je constate ici chez les gens un grand progrès spirituel consécutif au dévouement intense des pères, qui sont très bien vus des gens. Je tiens à dire que notre diocèse reçoit un bien immense de la congrégation des Sacrés-Cœurs. Les pères — je ne sais pas si c’est à cause de leur caractère ou bien à cause de leur vertu — s’adaptent de manière presque 46


miraculeuse à nos habitudes, ce qui facilite leur apostolat. Ils réussissent surtout à faire le bien par leur commerce agréable avec le peuple. Je ne cesse pas de remercier le Seigneur pour la miséricorde qu’il répand sur notre évêché par l’intermédiaire de ces pères si dignes d’éloges. » Dans la même ligne, et de façon encore plus précise, l’ami d’Eustache, le père Gil van den Boogaart écrivait à la sœur d’Eustache en 1931 : « Tu ne dois pas t’en faire pour ton frère : c’est un saint. Les gens ne l’appellent pas Padre Eustaquio, mais ils parlent toujours du saint Père. »



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Un tout nouveau champ d’action 24 octobre 1930, Eustache se trouve de passage à Rio de Janeiro pour accueillir des pères qui viennent d’arriver, quand il est témoin d’un bouleversement inattendu. Voici ce que l’un d’eux écrit :

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« On venait de dire la messe, quand le grondement des canons se fit entendre. Des avions ronronnaient loin dans le ciel. Les rues étaient pleines de gens, en proie à une folle panique. Je suis resté tout le temps dans la rue et j’aurais aimé aller jeter un coup d’œil jusqu’au palais du président, qui venait d’être victime d’un coup d’état. Mais Eustache n’était pas d’accord, et c’était lui qui tenait la bourse. Il était blanc, d’émotion ou de peur, je ne sais. Je lui dis alors : « Eh bien, dans ce cas, dirigeonsnous vers la maison. Ils ne nous feront quand même pas de mal. » Lui : « Tu peux te laisser tuer par un coup de feu si tu veux. En tout cas, moi je ne bouge pas d’ici. » Et nous sommes restés sur place. » Le pays était en train de vivre ce qu’on a appelé « la révolution de 1930 ». Elle aura des conséquences importantes pour l’Eglise et la vie quotidienne des prêtres. Le nouveau président, Getúlio Vargas, fait appel à la collaboration de l’Eglise pour la mise en place de son projet de « Nouvel Etat ». Jusque-là, la république instaurée en 1889 pratiquait la séparation de l’Eglise et de l’Etat dans un climat passablement 49


hostile. Dorénavant, elle va s’appuyer sur l’Eglise. Celle-ci est incarnée par un homme de grande envergure, le cardinal Sebastião Leme, qui a aussi son projet d’Eglise baptisé « Nouvelle Chrétienté ». Pour lui, Eglise et Etat ne doivent pas être séparés, mais au contraire collaborer à construire une société meilleure. A partir de 1934, l’Eglise obtient un certain nombre de droits : alignement du mariage ecclésiastique et civil, interdiction du divorce, présence d’aumôniers dans l’armée, exemption des religieux de l’impôt et subventions pour les écoles. Ainsi l’Eglise se voit soutenue dans son effort contre sa faiblesse interne, l’ignorance religieuse, et protégée contre ses ennemis extérieurs tels que le spiritisme, le protestantisme, le marxisme et l’athéisme. En ce qui concerne la société, on assiste alors à un développement extraordinaire de l’industrialisation aux abords des grandes villes. Les paysans ruinés y affluent en masse. De ce fait, ils perdent le lien qui les unissait au catholicisme de leur village ou de la grande propriété terrienne dont ils relevaient, comme c’était le cas à Agua Suja. Une sorte de marché religieux s’ouvre. Toutes sortes de croyances rivalisent entre elles : catholicisme populaire, spiritisme, cultes afro-brésiliens, protestantisme importé des Etats-Unis… Un tout nouveau champ d’apostolat se présente. Le catholicisme ne va plus de soi. Il faut réagir, notamment par un effort de catéchèse. A ce changement général dans le pays correspond un élargissement de la présence de la congrégation des SacrésCœurs au Brésil. En effet, de nouveaux missionnaires sont arrivés. En 1934, on compte au Brésil trente-trois pères et frères convers hollandais. Les années suivantes, le nombre augmentera encore. On dispose ainsi des forces nécessaires pour de nouvelles fondations. On se tourne vers les abords de la grande ville de São Paulo. Avec les évêques, on ébauche un projet dont le centre serait établi à Poá, une banlieue pous50


siéreuse dont Eustache sera nommé le premier curé. D’autres pères résideront avec lui, chargés de lieux alentour se situant tous le long de la voie ferrée centrale reliant São Paulo à Rio de Janeiro. On y compte vingt églises et chapelles : Itaquera, San Miguel Paulista, Suzano, Itaquaquecetuba, Arujá et Mogi das Cruzes, centre du doyenné, avec un couvent de carmes libre d’occupation. Eustache n’a plus qu’à quitter Agua Suja pour rejoindre Poá. Mais là, les choses se révèlent moins faciles que prévu. Le 28 décembre 1934, il écrit à une de ses sœurs : « Encore ceci : on vient de me nommer pour une nouvelle fondation au Brésil, près de São Paulo, où je partirai au mois de février prochain. Il faut y exercer le ministère dans quatre paroisses, dont la majorité se trouve le long de la voie ferrée, et encore dans un couvent de carmes. J’espère pouvoir t’écrire davantage sur cette fondation dans peu de temps. Les pères de nos collèges prépareront à Agua Suja une fête d’adieu. Cet adieu me sera sûrement pénible, mais Dieu le veut, Il nous aidera aussi. » Le dessein de Dieu ne correspondait pas aux désirs des gens d’Agua Suja. Les notables de la paroisse décident de laisser aux pères des collèges d’Araguari et de Patrocinio le soin d’organiser la fête d’adieu tandis qu’ils écrivent à l’évêque et au supérieur religieux pour s’opposer au départ de leur cher curé. Face à l’échec de leur démarche, ils changent de tactique et organisent en secret la résistance. On n’aura pas recours à la violence et on ne portera pas les armes, car il est question de prêtres. Cette révolution-ci sera blanche. Tout doit se dérouler dans le calme. Aussi, une centaine d’hommes encercleront le presbytère, afin qu’aucun des pères ne puisse s’éloigner. D’autres groupes monteront la garde près des 51


ponts de bois ; lorsqu’une voiture approchera, on soulèvera les poutres pour empêcher le passage. La fête d’adieu est célébrée avec faste : deux soirées théâtrales, une dernière visite aux malades, une eucharistie solennelle, le tout accompagné de discours bien sentis tant de la part du berger que de ses ouailles. Mais le lendemain de la fête, lorsqu’Eustache veut se mettre en route, on constate l’opposition farouche des gens : ils occupent le presbytère, prenant au piège les nombreux pères présents. Après moultes négociations, ceux-ci n’obtiennent qu’une chose : que les occupants regagnent leur maison dans le calme. Quant à Eustache, il faisait les quatre cents pas autour de la maison en marmonnant : « Quelle chose étrange ! Quelle chose étrange ! » Voulant haranguer la population au sujet de son départ, il est interrompu par des cris et des hurlements. Face à une telle situation, les pères décident de tenter une sortie dans deux voitures. La première peut passer, mais celle où se trouve Eustache est arrêtée par la foule et encerclée. On se met à tirer en l’air et la situation prend des allures inquiétantes. Aussi décide-t-on de surseoir au voyage. Une réunion de conciliation entre les meneurs de la révolte et les supérieurs religieux ne peut avoir lieu. La situation est bloquée, quand l’inattendu se produit. Il y avait là deux hommes qu’opposait une inimitié de vieille date. L’un d’eux avait été ramené dans le droit chemin par Eustache, alors que son ennemi refusait tout contact avec l’Eglise. Le converti était un des adversaires les plus farouches au départ d’Eustache. Dans le tumulte ambiant, il eut un geste provoquant pour son adversaire qui le tua. Eustache, pâle d’émotion et de tristesse, accourut et administra en hâte les derniers sacrements au mourant, puis il récita les prières des agonisants. Au moment où l’homme rendit le dernier soupir, la foule menaça de se venger sur l’assassin. A 52


ce moment, Eustache ne put s’empêcher de crier : « Pendant dix ans, j’ai pu empêcher cela. Maintenant mon ministère est mort, tout comme mon meilleur ami, Agénor. Je ne puis plus rester ici. Personne ne m’en empêchera ! » L’opposition est brisée. C’est la punition de Dieu. Le père ne peut pas rester dans un repaire d’assassins. Ce lieu n’est pas digne du père Eustache ! Le lendemain, Agénor est enterré et Eustache célèbre les funérailles en présence d’une foule nombreuse. Au cimetière, Eustache invite à nouveau les gens à pardonner à leurs ennemis. La cérémonie terminée, pour donner le change, il met sa plus vieille soutane, dîne sur le pouce et va, comme d’habitude, se promener dans le village en récitant son chapelet et en saluant les gens. Sur son chemin, il visite quelques malades et, tout en continuant sa route, se retrouve dans les collines aux abords de la ville. Là, il monte dans la voiture des pères qui le conduisent à Poá. Ce soir-là, les fidèles dirent aux pères de la paroisse : « Le père Eustache s’en est donc allé, n’est-ce pas ? Il pensait que nous ne nous en rendrions pas compte. Mais lorsqu’il est entré dans les collines, nous nous sommes dit : le voilà qui part pour toujours ! C’est inutile de le retenir. S’il n’a plus d’amis ici, inutile de le retenir ! S’il veut s’en aller maintenant, cela ne nous fait plus ni chaud ni froid ! » Une quinzaine de jours plus tard, les opposants au départ accueillirent en fête leur nouveau curé, le père Willibrord Meeder.



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Débuts à Poá 15 février 1935, Eustache, est accueilli à Poá dans la joie, tout comme Ernest de Boer et Jérôme Roozen. L’église Notre-Dame de Lourdes reçoit le titre d’église paroissiale et Eustache est installé comme curé. Bientôt ses deux confrères le quittent pour une autre destination et sont remplacés entre 1935 et 1938. Eustache a presque toujours travaillé à Poá même, mais il lui arrive d’aller donner un coup de main ailleurs. D’emblée, avec ses collaborateurs, il se met à explorer son nouveau champ d’action, à la recherche des meilleures formes d’apostolat. Le but est de toucher le maximum de gens, en particulier les jeunes, les pauvres et les malades. Mais avant de se mettre à la tâche, Eustache doit encore prendre ses premières vacances au pays natal. Le 13 novembre de l’année précédente, il avait déjà annoncé à une de ses sœurs religieuses son retour à venir. Mais plus d’un an se passe, jusqu’à son départ en décembre 1935. A ce moment, on peut déjà mesurer à quel point Eustache et ses compagnons ont pu gagner la sympathie de leurs nouveaux paroissiens. On le voit à la façon émouvante dont les adieux se sont passés. Un témoin de la scène raconte :

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« A son départ vers la Hollande, tout un cortège l’accompagna, une grappe d’enfants pendus à chaque 55


main. Certains étaient en larmes, parce qu’il leur manquerait. Et cela après un séjour pourtant bref chez eux ! » Le 24 décembre, il est à Anvers et, pour Noël, à Ginneken. Le lendemain, il est accueilli de manière très solennelle à Beek en Donk. « Le père van Lieshout est d’abord accueilli par sa famille près de la nouvelle église. Des retrouvailles bien émouvantes ! Après quelques discours, le cortège se dirige au son de la fanfare vers le hameau De Dung, où se trouve la maison paternelle. Du pont sur l’Aa jusque-là — ce qui représente une distance considérable — les gens du quartier avaient arboré de magnifiques ornements et, çà et là, des arcs de triomphe ornés d’inscriptions adaptées. Arrivés à la maison natale, quelques jeunes filles adressent à nouveau de gentilles paroles au révérend père. A dix-huit heures, le père van Lieshout, avec plusieurs membres du clergé, se rend à l’exposition missionnaire organisée au profit de sa mission au Brésil. » Eustache a bien profité de ces premières vacances, qui seront d’ailleurs les seules et les dernières de sa vie. Une de ses sœurs raconte qu’à son arrivée, il fait plutôt piètre impression. Il porte une écharpe pleine de trous et un manteau trop large. C’est dans sa famille qu’il passe la plus grande partie de ces sept mois de bonheur. Tout ce qui lui rappelle ses parents et sa jeunesse émeut son cœur. Il peut aussi parler durant des heures de son travail au Brésil, souvent jusqu’à minuit. Il écoute la radio et se délecte des sermons de carême. Les enfants le trouvent sympathique et apprécient son humour taquin. Le jour où Eustache bénit le mariage de sa petite sœur Jaantje avec Anton van den Boomen est un mo56


ment fort. Les malades de la famille reçoivent souvent sa visite et il insiste pour leur rendre tous les services possibles. Sa sollicitude va aussi vers d’autres malades que ceux de sa famille et vers les personnes âgées. Un épisode est resté célèbre. Un paysan avait un cancer au visage qui dégageait une telle puanteur que son infirmière et le curé avaient du mal à le soigner ou à venir le voir. Suite à une visite, Eustache lui confectionne un masque qui met fin au problème. Il faut dire que le curé du village n’appréciait pas les manières pseudo-niaises et un peu affectées d’Eustache, avec ses « mines de mijaurée ». Par la suite, il revint sur ses préjugés et laissa le père exercer son ministère. Comme tout missionnaire en congé, Eustache profite de toutes les occasions, en prêchant ou autrement, pour mendier pour ses œuvres. Que ce soit dans sa famille, chez ses sœurs religieuses ou ailleurs. Au point qu’on ferme soigneusement les armoires quand on le voit arriver, tant tout ce qui peut tomber sous sa main risque de terminer dans sa poche. Il prêche dans plusieurs paroisses, à Aarle Rixtel et Beek en Donk, cela va de soi, mais aussi dans celle où il avait travaillé autrefois, Roelofarendsveen. Ces vacances sont vraiment paradisiaques. La seule chose qui chiffonne Eustache, c’est qu’il n’a pu participer au retour solennel des restes du père Damien en Belgique le 3 mai. On a oublié de l’inviter ! En juillet 1936, le moment du départ arrive. Sa famille l’accompagne jusqu’au bateau à Anvers et le provincial fait route avec lui jusqu’en France. Le dernier dimanche de juillet il est accueilli à Poá par ses paroissiens en fête. Il ramène avec lui douze caisses pleines de matériel utile et la coquette somme de huit mille florins. Voici comment il raconte son arrivée à sa famille :

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« Grâce à Dieu, je suis arrivé sain et sauf à destination. A l’entrée de Poá, je rencontrai une grande foule d’hommes, de femmes et d’enfants qui venaient me souhaiter la bienvenue. Plusieurs drapeaux ornaient le cortège vers l’église. Là je fus accueilli par une petite fille et un jeune homme qui m’adressèrent des paroles chaleureuses au nom de la paroisse. Puis, à mon tour, je me suis adressé à eux. Des fusées explosèrent en l’air. Me voici à nouveau dans ma paroisse et j’ai déjà visité un grand nombre de malades… Depuis mon séjour en Hollande, je me sens bien plus fort pour accomplir mon travail. Quel plaisir pour moi de me souvenir des jours où nous étions tous ensemble ; cela semble un rêve que Notre Seigneur nous ait tous réunis à la maison paternelle ! » L’argent qu’Eustache ramène de Hollande est dépensé à la construction d’un presbytère qui comprend au rez-dechaussée une salle paroissiale et au premier étage quelques chambres pour les pères. Dans les caisses qu’il a rapportées, on trouve notamment des vêtements, des jouets, des objets de dévotion et des bonbons. A peine rentré, Eustache se met à son travail. Outre son ministère à l’église, il est chargé de l’école catholique. Il doit aussi surveiller les constructions. Ce qu’il préfère, c’est solenniser les fêtes liturgiques, comme le fait remarquer avec humour un confrère : « Notre curé aime le tapage. Pour la fête de Notre-Dame de Lourdes, il a invité un orchestre pour animer la messe, ce qui est la forme suprême de liturgie. Je dois avouer que cet orchestre a joué passablement la messe des anges, à tel point que l’on entendait à peine la chorale des en58


fants. On a célébré la messe à trois prêtres : j’étais diacre et un carme sous-diacre. Il s’emmêlait continuellement les pinceaux. Lorsque j’entonnai l’Ite missa est, Eustache se mit à m’accompagner à tue-tête sur un autre ton. Tapage, vous disais-je ! » Aux jours de grandes fêtes, Eustache est dans son élément. Aux mois de juin et d’octobre, il y va chaque soir d’un bref sermon sur le Sacré-Cœur ou la Sainte Vierge. Il y a aussi la « tombola eucharistique » : à la veille de chaque premier vendredi du mois et au mois de juin, on trouve sur le banc de communion une boîte contenant des billets pliés qui expriment les désirs du Sacré-Cœur, par exemple « Je t’attends, après le chapelet, au confessionnal », ou bien « Vendredi prochain, j’attends de toi une sainte communion réparatrice ». En 1937, pas moins de mille cinq cents désirs divins sont distribués. Et les gens font ce qui est demandé. De même, on tire des billets pour une demi-heure d’adoration dans l’église. Voici à nouveau quelques témoignages d’un confrère sur certaines facettes de notre héros : « Nous avons fêté la Saint-Sylvestre par une Heure Sainte devant le Saint-Sacrement de vingt-trois heures à minuit. L’église était bondée. L’heure a passé très vite. Comme autrefois à notre école apostolique de Sint-Oedenrode, on a lu un passage du livre du père Mateo, ss.cc., on a chanté un peu, puis le père Eustache se mit à prier de façon spontanée. C’était si beau, si prenant, comme si lui-même était le plus grand pécheur. Dans l’église régnait un silence absolu, surtout quand il demanda pardon pour ses ouailles, pour leurs péchés. Oh mes amis ! Comme c’était beau ! Comme ces paroles débordaient de l’amour brûlant de Jésus ! Qu’est-ce que Jésus aura pris du bon temps 59


à cause de cette petite heure réparatrice ! Oui, je suis heureux de pouvoir partager ma vie avec un prêtre si saint et si fervent. Et il n’est pas ennuyeux comme un bonnet de nuit, pas du tout. C’est un homme vraiment agréable et dans nos courts temps de détente, nous nous amusons pour dix. Quant à ses sermons, il n’a pas besoin de les apprendre par cœur. Il a la langue bien pendue, et les exemples lui viennent à foison. »


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Le faiseur de miracles la typologie élaborée par Pedro A. Ribeiro de Oliveira, le catholicisme brésilien repose sur quatre « constellations » de pratiques : sacrements, dévotions, protections et constellation évangélique. Celle-ci consiste essentiellement dans la lecture de la Bible. Dans celle des sacrements, le contact de l’homme avec le sacré s’établit par l’intermédiaire des clercs. La constellation dévotionnelle inclut toutes les pratiques qui permettent d’entrer en relation directe avec le sacré, soit de manière individuelle (prières, neuvaines, culte des images de saints), soit collectivement (fêtes, processions). Par ce biais, le croyant noue ou renforce une relation déjà existante avec celui qu’il considère comme « son » saint et dont il espère une intercession pour l’autre monde. Enfin, la constellation des protections, à visée plus utilitariste, comprend les pratiques par lesquelles les croyants prient les saints pour en obtenir des avantages bien concrets. Nous avons vu comment les constellations sacramentelle et dévotionnelle ont été prépondérantes dans le milieu relativement stable d’Agua Suja. Maintenant, au sein de la population déracinée et mouvante des environs de São Paulo, ce sera plutôt la constellation protectionnelle. Il s’agira surtout de pratiques destinées à recouvrer la santé. Nous verrons comment Eustache sera, bon gré mal gré, entraîné dans ces mécanismes. Au début de son ministère à Poá, il reprend une activité qui lui est chère depuis toujours : visiter les malades. Dans la

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première lettre qu’il envoie après son retour de vacances, il écrit qu’il en a déjà visité beaucoup. Tout comme à Agua Suja, les malades restent son grand souci. Il les voit souvent et fait pour eux ce qu’il était à même de faire, pour leur âme, mais aussi pour leur corps. Il a ramené de vacances une foule de médicaments qu’il a pu utiliser à maintes reprises, comme il l’écrit : « Chaque jour, de tout côté, des gens viennent pour recevoir des médicaments… Les médicaments sont venus à point : ils sont une solution pour beaucoup de pauvres. » Il ne s’en tiendra pas seulement à la distribution de médicaments. En avril 1939, il écrit à sa famille : « Nous avons construit une grotte de Lourdes. Les paroissiens l’ont édifiée le soir, après journée, à la lueur des lampes et à titre gracieux. Vous savez qu’ici on ne connaît pas de longues journées : après dix-huit heures, il fait noir. Moi-même, je n’ai pas encore attrapé de maladie, je ne connais que celles d’autrui, et cela jour et nuit, mais cela ne me coûte guère. » Dans cette même lettre, il décrit aussi l’influence croissante du spiritisme : « Le spiritisme agit ici de façon étonnante, et parfois il est nécessaire de pratiquer des exorcismes. » On voit donc émerger trois axes importants qui marqueront de plus en plus l’activité d’Eustache : son grand amour pour les malades, sa lutte contre le spiritisme, et la recherche de moyens chrétiens propres à couper l’herbe sous le pied des spirites. De Hollande, Eustache a emporté une relique de saint Joseph, munie des documents établissant son authenticité. Il 62


frotte dessus une grande pièce d’étoffe qu’il découpe en minuscules morceaux. Il les fait coudre sur de petits cartons avec la mention : « Saint Joseph, priez pour nous », en ajoutant que le morceau a touché la sainte relique. Ce sera très prisé par les malades. Sur cette voie, Eustache va faire un pas de plus, qui sera lourd de conséquences. Il a rapporté de ses vacances quelques bouteilles d’eau de Lourdes et invite les malades à en boire. C’est avec cette arme chrétienne qu’il veut battre les spirites sur leur terrain. En effet, pour leurs séances de guérison, ils pratiquaient souvent des aspersions d’eau accompagnées de formules mystérieuses. Pour éviter que la réserve ne s’épuise, il suit la « recette » utilisée pour l’eau bénite. Il suffit d’allonger l’eau de manière à ce que la partie ajoutée ne dépasse pas les quarante-neuf pour cent de l’eau d’origine. A la longue, l’eau a été tant de fois allongée qu’Eustache lui-même ne croit plus qu’elle ait un quelconque rapport avec la grotte de Bernadette. Il se met alors à utiliser de la simple eau bénite : en tant que prêtre, il peut en assurer la production. Au fil du temps, la renommée d’Eustache dépasse les limites de sa paroisse. Des régions environnantes, des malades et des personnes en danger affluent toujours plus auprès de celui qui acquiert progressivement la réputation d’un faiseur de miracles, d’un thaumaturge. Voici ce qu’écrit le père Venance Hulselmans le 15 avril 1941 : « Depuis quelque temps, il court des bruits au Brésil et surtout parmi nos gens, qu’à Poá arrivent des choses presque miraculeuses. Le curé, qui depuis toujours consacrait une attention spéciale aux malades en leur donnant des palliatifs et même de temps en temps des remèdes, ce qui provoquait souvent la guérison du corps 63


et de l’âme, abandonna tout à coup tous les médicaments, se limitant seulement à la bénédiction des malades et à la bénédiction de l’eau qui coulait d’un petit robinet placé dans une petite grotte de Lourdes qu’il avait construite lui-même. « Cette eau, disaient les gens, a une force miraculeuse, et qui en boit est guéri, quelle que soit sa maladie ! » Les gens de Poá racontaient l’histoire de paralysés qui se remettaient à marcher, d’aveugles qui recouvraient la vue, de muets qui se mettaient à parler… L’affluence de malades devint énorme. Chaque jour des centaines de personnes venaient chercher de l’eau dans des bouteilles ou des cruches, puis ils faisaient la file afin d’être reçus chez le saint homme qui devait bénir leur eau, écouter leurs misères, connaître leur maladie et leur donner un bon conseil. Ils se recommandaient à ses prières. Lui imposait les mains à tous, leur disant de dire un Pater et un Ave quand ils boiraient l’eau et il les congédiait avec une petite relique de saint Joseph. » Dans la même lettre, l’auteur décrit de quelle manière les choses commencent à dégénérer à Poá : « Je suis allé voir moi-même. En un mot : effarant ! Cinq mille personnes avec bouteilles et cruches, dans et autour du presbytère, tous fermement convaincus qu’ils seraient guéris après avoir touché le saint homme. Le père Eustache lui-même s’occupe toute la sainte journée de donner des bénédictions debout, car s’il était assis les malades l’accapareraient trop longtemps. Par rangées, ils défilent un à un selon les bons que le frère Wilfried remet. Il y a des policiers de São Paulo pour maintenir l’ordre, lequel pourtant, malgré l’affluence, n’a jamais 64


été troublé. La place de l’église est pleine d’échoppes pour les liquides et les denrées solides, pour les bouteilles et les cruches. Les pères sont tous occupés. Le père Alfred s’occupe de la construction de toilettes, absolument nécessaires, d’un nouveau puits, de réservoirs d’eau et d’un grand hangar qui permette de s’abriter de la pluie. Le père Guido est occupé toute la journée à répondre aux lettres des malades. Le père Eustache en reçoit une quarantaine par jour, demandant la guérison de malades qui ne peuvent se déplacer ; en outre, il y a les billets que les pèlerins ont laissés derrière eux et les télégrammes. J’ai demandé à Guido depuis combien de temps tout cela durait. Il répondit : « Depuis environ un mois, deux à trois mille personnes se pressent chaque jour. Mais depuis que les journaux s’en sont occupé, cela devient intenable. Dimanche, on a distribué cinq mille bons, et aujourd’hui ce ne sera sûrement pas moins. Si cela continue ainsi, où finira-t-on ? Au début, il n’y avait que quelques centaines de personnes par jour, ce qui était chouette. Mais maintenant, il est absolument impossible que le père Eustache tienne le coup. » Un mois plus tard, Eustache écrit lui-même à sa famille : « Dites à tout le monde que, grâce à Dieu, nous nous portons toujours bien, que nous sommes débordés de travail et que nous avons besoin de beaucoup, beaucoup de prières. Nous vivons ici des moments hors du commun : chaque jour, il y a des milliers de malades qui me rendent visite, et je reçois des centaines de lettres qui me demandent une prière. Dieu m’a donné beaucoup de grâces à distribuer à mon prochain. » 65


Eustache vit des journées pénibles. Chaque train déverse à Poá des foules de pèlerins, qui courent immédiatement au presbytère pour obtenir un bon. Il en vient de partout, de tous les Etats de l’énorme Brésil. Durant la sainte messe d’Eustache, l’église est toujours bondée. Puis il reçoit les fidèles en confession, et ensuite les pèlerins dans la petite salle paroissiale jusqu’à six heures du soir. Entre-temps, il mange un quignon de pain et des bananes. Pour éviter de tomber, il appuie de temps en temps son genou sur une chaise. A dix-huit heures, la porte de la cure est fermée. Les pèlerins qui n’ont pas pu être reçus cherchent un endroit où passer la nuit. Eustache s’en va alors dans une grande voiture privée vers São Paulo en lisant son bréviaire. Là, suivant un parcours déterminé, il rend visite à des malades qu’il bénit. Rentré vers vingt-deux ou vingt-trois heures, il prend un peu de détente et lit le journal pour voir ce qu’on a écrit à son propos. Il doit également trouver le temps de lire le courrier et prendre connaissance des dons que les malades lui envoient. Pour eux, en tout cas, il s’agit de vrais miracles. On pourrait les énumérer. De ce qu’on peut lire dans la presse, il est plus difficile de discerner le vrai du faux, tant le degré d’exagération prend des proportions inouïes. Cette démesure croissante ne pouvait qu’amener une réaction.


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Retour à l’ordre établi

U

de juin 1941, conservée par la famille d’Eustache, raconte ce qui s’est passé le mois précédent à

NE LETTRE

Poá :

« A la mi-mai, l’affluence était devenue telle qu’on estimait la foule à environ douze mille personnes par jour. Il va de soi qu’il n’était pas question de les faire défiler devant le père van Lieshout. Toute la commune était vraiment sens dessus dessous. De São Paulo arrivaient des policiers, mais aussi des journalistes, des marchands et des mendiants. L’eau commençait à manquer. L’hygiène faisait déjà défaut : partout on trouvait des excréments. Par camions on apportait de la nourriture de São Paulo, qui, à l’occasion, était de qualité insuffisante, de sorte que la Commission sanitaire devait la déclarer impropre à la consommation. Les lépreux d’une grande colonie, domiciliés dans les environs, risquaient de s’évader pour rencontrer le père van Lieshout. Alors le gouverneur de l’Etat s’est rendu chez l’évêque ; il lui a dit qu’on ne pouvait continuer de la sorte, que le danger de contagion était trop grand. » Poá ne satisfaisait d’aucune manière aux exigences de l’ordre public ni de l’hygiène nécessaire devant une telle affluence. Les équipements sanitaires font presque entièrement défaut, les hôtels et les restaurants sont trop peu nom67


breux. Par manque de surveillance policière suffisante, les pèlerins sont exploités et escroqués commercialement. C’est un miracle — c’est le cas de le dire — qu’il n’y ait pas encore eu de troubles ou d’accidents. La direction des chemins de fer fait savoir que les trains ne pouvaient plus accueillir ce flot de voyageurs et que le trafic ferroviaire entre les banlieues de São Paulo risque d’être complètement désorganisé. Le Secrétariat de la Santé publique craint l’explosion d’une épidémie à cause du nombre croissant de malades en ce lieu. Et un ministère paroissial normal devient impossible. Le 7 juin 1941, le père Gil van den Boogaert, qui a l’autorité sur les communautés brésiliennes en qualité de proprovincial, écrit au père Marie-Joseph Bisschop, le Supérieur provincial des Pays-Bas, dont il dépend. Il lui fait part des dernières nouvelles concernant Eustache : « Encore une chose sur le père Eustache. Vous en saviez déjà quelque chose sans doute. Selon plusieurs centaines de milliers de personnes, c’est un thaumaturge. Il est certain que des guérisons ont eu lieu, quant à dire si ce sont des miracles, je ne pourrais répondre. Je sais pourtant avec certitude que de nombreuses conversions ont eu lieu et que le spiritisme a reçu un rude coup, ce qui est déjà beaucoup. Ces derniers temps, des milliers de personnes sont arrivées à Poá. A une seule gare de São Paulo, on a vendu en avril cent vingt mille billets pour Poá. Le 8 mai, l’archevêque m’a donné un coup de téléphone me demandant de venir sur le champ. Il avait eu la visite du gouverneur de l’Etat. Poá, vu son équipement sanitaire insuffisant, était un danger pour la santé publique, et la direction des chemins de fer n’était pas à même de transporter régulièrement tant de personnes. Tout cela était vrai ! Alors, en accord avec 68


l’archevêque, j’ai décidé d’envoyer le père Eustache pour un mois à Minas. » Eustache obéit immédiatement, quittant discrètement Poá le 13 mai 1941 pour l’Etat de Minas Gerais et les maisons de ses confrères. Mais que ce soit à Mogi das Cruzes, Campos do Jordão, Campinas, Uberaba, Agua Suja ou Araguari, partout on le reconnaît immédiatement et les gens accourent en masse. Un de ses confrères écrit : « Le voyage vers l’intérieur s’est transformé en marche triomphale. Les chefs de train donnaient un coup de fil à la gare suivante disant que le saint homme allait arriver ; résultat : à son arrivée, tout était comble. A Riberão Preto se trouvaient dans la foule le vicaire général et une délégation du clergé pour demander qu’Eustache donne sa bénédiction à des malades. Certains semblent avoir été guéris. Cela se passait ainsi partout. Quand Eustache arriva finalement à Araguari, des voitures de São Paulo l’attendaient pour l’enlever de force. Après avoir passé un mois à l’intérieur, il rentra à São Paulo. » Les supérieurs ont déjà prévu la suite. Dans la lettre citée plus haut, le père Gil van den Boogaart écrit : « Quand ce mois de vacances sera passé, il sera transféré provisoirement dans notre paroisse de Villa Prudente (São Paulo), d’où il visitera peut-être différents lieux. Je vous écrirai plus tard sur la suite. Je vais essayer d’intégrer tout cela dans l’apostolat des malades, dans l’esprit de l’Intronisation du Sacré-Cœur. Je pourrais en écrire un livre, mais le temps me manque. Priez pour nous et faites prier, car on se trouve parfois devant des cas difficiles. » 69


C’est ainsi qu’Eustacle se retrouve à São Paulo chez ses confrères, au quartier de Villa Prudente. L’un d’eux, le père Herménégilde Verhoeven, écrit le 11 juillet 1941 : « Ici à Villa Prudente, les bénédictions et les faits miraculeux redémarrent. Mais ici aussi, cela n’a pas duré longtemps, car l’archevêque y a mis le holà. En ce moment, le mouvement continue de la même façon à Rio de Janeiro, la capitale du Brésil. Nous attendons maintenant de voir comment cela se terminera là-bas. Mais je remercie le ciel que tout soit fini ici. La sonnette et le téléphone n’arrêtaient pas. Il n’y avait plus de calme dans la maison. De temps à autre les gens faisaient aussi irruption chez nous, de sorte qu’il nous fallait appeler la police. Nous avions coupé le téléphone, mais quelques heures après, une voiture se trouvait à la porte : les agents des postes venaient voir si notre appareil était tombé en panne. Et de toutes les régions du Brésil, on recevait des réclamations disant qu’il était impossible d’avoir notre presbytère au bout du fil. » Du séjour du père Eustache chez ses confrères de Rio de Janeiro, on a un compte rendu très détaillé. Voici comment il commence : « Pour nous tous, ce fut une surprise quand, le lundi 30 juin au soir, nous avons eu un coup de téléphone provenant de São Paulo annonçant la visite du père Eustache pour le lendemain. Le père Gil l’accompagnerait et ils rendraient d’abord visite au Cardinal. » Le mardi 1er juillet, de bon matin, Gil et Eustache arrivent à Rio. Dans l’après-midi, ils sont reçus par le cardinal Leme. 70


Ce prélat demande de garder secrète autant que possible la présence d’Eustache pour éviter toute affluence. Il vaudrait mieux qu’il se contente de visiter les gens à domicile. Il faudrait éviter aussi que cela paraisse dans les journaux. La veille et ce mardi-là, Eustache rend visite à plusieurs reprises au docteur Henrique Lage, qui était gravement malade et qui avait fait appel à lui. Il lui administre l’extrême onction et, le mercredi, résigné et abandonné parfaitement à la volonté de Dieu, cet homme mourait. Ce jour-là, à la demande de Gil van den Boogaart, il visite encore quelques malades, mais pour le reste, la journée se passe dans le calme. « Le jeudi suivant, la famille Lage voulut faire célébrer dans la chapelle de leur château un service funèbre, mais ce fut refusé. A dix heures, le père Eustache célébra la messe dans la chapelle de Sainte Marguerite Marie Alacoque. Il y avait beaucoup de monde, ce qui fit que beaucoup apprirent que le père Eustache était en ville. Les journaux disaient seulement que le père avait célébré la messe. Mais à la maison, le téléphone commença à sonner : chacun voulait voir le père. Les autres pères faisaient de leur mieux pour tenir les gens à distance, mais sans grand succès. Les visites à domicile se révélaient également impossibles, tant le père Eustache était inondé de demandes. » Le premier vendredi du mois de juillet arrive. C’est le 4. Beaucoup de personnes se rendent à l’église paroissiale dédiée au Sacré-Cœur, non pas à cause de cette dévotion, mais parce que le père Eustache confesse et que tout le monde veut lui parler et recevoir la communion de ses mains. Lorsqu’on apprend que, grâce au père Eustache, une dame paralysée a recouvré l’usage de ses membres, c’est à nouveau la folie. Le téléphone sonne toute la journée, des voitures 71


vont et viennent. Dans le jardin, les jolies fleurs du frère Michael sont piétinées. De son côté, le père Eustache reçoit hommes et femmes à longueur de journée. On apprend qu’il célébrerait la messe samedi en un autre lieu. La nouvelle s’étant répandue en un clin d’œil, une foule se rassemble au point que les trams ne peuvent plus avancer et que le trafic est bloqué. Tout le monde veut savoir où Eustache célébrera la messe le dimanche 6 juillet. De guerre lasse, les pères vendent la mèche et les carmélites se trouvent, elles aussi, submergées. En se rendant le lendemain chez elles pour célébrer la messe, Eustache se trouve dans une bousculade. Les journalistes prennent des photos et relatent l’événement. Impossible, pour Eustache, de rentrer à son couvent. Il erre de-ci de-là, rendant visite à la veuve Delage dans son château, où de nombreux malades l’attendent, écoutant les confessions dans une église, prêchant chez les jésuites… Finalement revenu à la maison à neuf heures et demie du soir, il se trouve devant une foule qui l’attend. Ce n’est qu’à onze heures qu’Eustache supplie ces gens de le laisser se reposer et prier son bréviaire. Alors seulement le calme revient. A minuit, le Supérieur dit à Eustache qu’il vaudrait mieux quitter Rio sur-le-champ. En voiture il pourrait encore visiter quelques malades, puis prendre un peu de repos, célébrer la messe au couvent des bénédictins de Rio et puis partir avec le Supérieur dans une propriété appartenant à des amis. Malgré sa grande fatigue, Eustache accepte. Cela n’empêcha pas la cohue de continuer encore plusieurs jours devant la maison. On ne voulait pas croire que le père était parti. Certains venaient récupérer leur bouteille d’eau bénie par le père la nuit précédente. Somme toute, la semaine avait été agitée, mais l’église et la paroisse des pères avaient été bien mises en vedette. 72


Le soir du 9 juillet, Eustache arrive à la propriété São José à Rio Claro. Le maître de maison, le Dr Lineu Machado, se met en quatre pour satisfaire son hôte. Sous le pseudonyme de « Padre José », Eustache célèbre chaque jour la sainte messe à la fazenda et visite les ouvriers et les gens des environs. Mais l’inaction lui devient insupportable. Après une semaine, il se rend avec le secrétaire de l’évêque dans un couvent de religieuses, à Campinas, pour voir s’il peut se rendre utile de quelque manière. Mais on le reconnaît immédiatement et les gens accourent. Il ne reste plus à Eustache qu’à se résigner et à accepter que toute apparition hors de la propriété provoquerait des scènes d’hystérie collective. Il se met à réfléchir à sa vocation. Sa réflexion débouche sur un écrit bref et lapidaire daté du 25 juillet 1941. Il se sent élu par Dieu pour une mission spéciale : endiguer l’hérésie du spiritisme et, par ses bénédictions et sa sollicitude pastorale, ramener à l’Eglise beaucoup de ceux qui s’en étaient écartés. Dans ce but, il doit pratiquer la prière, la prédication, le ministère sacerdotal, la sollicitude pour les pauvres, les malades et les personnes en danger. Dieu l’a doté pour cela de talents particuliers. Durant quelques mois, il parvient ainsi à se tenir coi dans la fazenda.



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Les dernières années UELQUES mois se passent en toute tranquillité, mais l’inac-

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tion va devenir de plus en plus insupportable à Eustache. Il doit trouver une solution à tout prix. Dans un premier temps, c’est lui-même qui prend l’initiative. Il pense quitter le Brésil et se dévouer ailleurs. Le 24 septembre, passant au-dessus de la tête de son pro-provincial, il écrit directement au Supérieur provincial, le père Marie-Joseph Bisschop : « Il y a déjà quelque temps que j’ai proposé au père Gil de me laisser aller au Portugal, où personne ne me connaît, mais mon supérieur n’y a pas consenti. Alors j’ai demandé l’Argentine ou le Chili, mais le supérieur n’a pas accepté non plus cette proposition. Il est tellement difficile de rester caché dans un pays où tout le monde vous connaît, et d’être puni pour cela. J’aimerais que vous preniez maintenant une décision et que vous acceptiez que je me rende au Portugal ou dans un autre pays, si les circonstances ne changent pas ici. » De son côté, le Supérieur pro-provincial, Gil van den Boogaert, écrit, lui aussi, une lettre au père Bisschop, disant qu’il ne voulait pas perdre son ami Eustache mais le garder au Brésil où il pourrait encore faire beaucoup de bien, pourvu qu’il s’en tînt rigoureusement aux mesures prises pour éviter l’hystérie des foules. D’ailleurs, serait-il le bienvenu au 75


Portugal ? Suite à ces deux lettres, le provincial des Pays-Bas répond le 16 octobre au père Eustache : « Dans cet état de choses, j’estime qu’il est désirable pour vous d’être ailleurs pour un petit temps, où vous pourrez exercer, sans être dérangé, votre ministère sacerdotal. En même temps que celle-ci, j’envoie une lettre au Portugal. Je vous écrirai leur réponse et eux aussi vous répondront. Entre-temps, vous pouvez déjà, en accord avec le père Gil, vous y préparer. » Le 6 décembre, le provincial des Pays-Bas fait savoir au père Gil qu’Eustache serait le bienvenu au Portugal. Le cardinal Cerejeira, de Lisbonne, l’accueillerait dans une paroisse près de son grand séminaire, où travaillent déjà les pères de la congrégation des Sacrés-Cœurs. Eustache pourrait résider chez eux. Quand cette lettre arrive à destination, Eustache a déjà quitté sa retraite. On a découvert où il se trouve et les foules se sont à nouveau mises en branle. Aussi décide-t-on de le transférer vers le diocèse d’Uberaba, à Patrocinio, où les pères ont un collège et une paroisse. Ainsi, une double solution se dessine. D’une part, on évite de le renvoyer dans cette banlieue de São Paulo, avec sa population déracinée et déboussolée. On l’oriente vers l’intérieur du pays, parmi les gens où il a fait ses premières armes. Cette région est moins marquée par le spiritisme. D’autre part, il devra respecter des consignes très strictes qui rendront tout débordement impossible. C’est ainsi qu’il se trouve dans un premier temps comme aide-vicaire à la chapelle Santa Lucia, située au centre de la ville. Il peut y œuvrer assez tranquillement du 13 octobre 1941 au 12 février 1942. Il réside au couvent de Patrocinio, sous la houlette du Supérieur local, le père Gérard Thiessen. 76


Il ne lui est permis d’accueillir et de bénir les gens qu’au confessionnal. Quant aux visites de malades, il doit se limiter à répondre aux demandes. Heureux de pouvoir à nouveau exercer son ministère, Eustache se soumet volontiers à ce règlement, qui ne lui interdit pas de continuer sa lutte contre le spiritisme. Il peut ainsi ramener à l’église et à la pratique beaucoup de gens qui avaient perdu la foi de leur jeunesse. En outre, il est un confrère apprécié dans la communauté, laquelle veille à lui éviter de redevenir l’objet de l’hystérie populaire. C’est alors que se dessinent d’autres perspectives, qui vont transformer définitivement son existence. A cette époque, l’archevêque de Belo Horizonte, la capitale de l’état de Minas Gerais, est venu frapper à la porte de la congrégation pour lui demander d’y fonder une paroisse. Il l’a proposé aux dominicains, qui ont d’abord accepté, mais se sont ensuite désistés, faute de moyens de subsistance. Les pères des SacrésCœurs acceptent et proposent Eustache comme premier curé, moyennant les restrictions en vigueur. Dom Antonio dos Santos Cabral se dit d’accord. En attendant sa nomination, Eustache est envoyé provisoirement comme curé à Ibiá, au diocèse d’Uberaba. De la mi-février à la mi-avril 1942, il y travaille avec son zèle habituel, sans provoquer d’attroupements gênants. Là aussi, plusieurs reviennent au bercail sous son influence. Il acquiert un terrain où sera bâti plus tard l’Hospital Padre Eustaquio. Il était assisté par le vicaire général du diocèse, dom Almir Marques Ferreira, qui se reposait là. Le 2 avril 1942, Eustache reçoit sa désignation définitive comme curé de la paroisse Saint-Dominique à Belo Horizonte. Il est assisté du père Herménégilde Verhoeven, un homme pragmatique et dynamique. Lorsque les foules commencent à affluer à nouveau, celui-ci prend des dispositions 77


pour conjurer le danger. Il lance un système de billets d’entrée numérotés de un à cinquante pour chaque jour. Ainsi les gens qui ne font pas partie de la paroisse peuvent, pendant les heures fixées, rencontrer Eustache au confessionnal et recevoir conseils et bénédiction. Grâce à cette sage limitation, Eustache a tout son temps pour le ministère paroissial normal : culte, sacrements, visite des malades, mise sur pied des associations paroissiales, démarches pour la construction d’une nouvelle église suffisamment vaste. En outre, l’archevêque l’autorise à visiter, à leur demande, les malades habitant hors de la paroisse. Voyant que le ministère d’Eustache ne provoque plus de désordre, l’archevêque lui permet aussi de donner des conférences, de prêcher des retraites et des neuvaines dans tout le diocèse. Dans une longue lettre à sa famille et à ses amis, écrite en 1946, quelques années après la mort du père, le vicaire Herménégilde rappelait ses expériences au temps d’Eustache. Voici quelques extraits. « Une nouvelle paroisse, cela signifie : manque de travail. En effet, nous n’avions pas d’église paroissiale et ne disposions que d’une petite chapelle qui pouvait contenir seulement une centaine de personnes. De plus, elle était loin, à vingt minutes à pied du presbytère, et au sommet d’une côte abrupte où on arrivait la langue pendant jusqu’à terre. On s’est mis à y célébrer la messe, à réciter le chapelet le soir et parfois faire le salut au SaintSacrement. On mit sur pied les associations religieuses habituelles. Les paroissiens étaient de très bonne volonté et tout contribuait à la réussite. » « En plus de l’église paroissiale, nous avions charge de trois couvents de religieuses et quatre chapelles dans la roca, c'est-à-dire la brousse. Trois d’entre elles se trou78


vaient à une heure de l’église, la dernière à deux heures. Ainsi, je disais trois messes tous les dimanches : la première à l’église, la deuxième chez les sœurs, la dernière dans une chapelle. Ces chapelles avaient bien sûr leur fête patronale, avec leur procession et un sermon festif. J’ai toujours aimé les chapelles : le travail était lourd, mais magnifique, avec des gens vraiment bons et simples. » « On était débordé de travail. De plus, il fallait penser à construire la nouvelle église. Le père Eustache était souvent occupé à prêcher des neuvaines, des triduums et des retraites en dehors de la paroisse, si bien que tout le travail de celle-ci retombait sur moi. Comment ai-je pu tenir le coup, Dieu seul le sait. Heureusement, fin 1942, j’ai reçu une moto, sinon je n’en serais pas sorti. » « Un bon côté du mouvement autour du père Eustache c’est qu’il amenait du beurre dans les épinards et élargissait le cercle des relations. Beaucoup de gens riches ou de membres du gouvernement invitaient le père à dîner. J’étais souvent invité aussi et nous en profitions pour obtenir de l’argent pour la construction de l’église. La première pierre étant posée le 16 mai 1943, elle allait devenir la plus grande de la ville : mille huit cents mètres carrés de superficie, deux mille places assises et un grand nombre de places debout. On commença la construction, mais quand les fondations furent plus ou moins achevées, le père Eustache tomba malade. »



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In paradisum USTACHE,

bâti à chaux et à sable, avait toujours joui d’une bonne santé. A part quelques affections, il n’avait jamais été malade. Personne ne pouvait prévoir qu’il mourrait bientôt, à peine âgé de 52 ans. Lui-même pourtant a eu le pressentiment de sa fin prochaine. Le 18 août 1943, il se rend au collège du Sacré-Cœur de la ville pour y prêcher une retraite aux filles. Ce sera, comme il le dit expressément, sa dernière retraite prêchée. Le dimanche 22 août, revenu dans sa paroisse, il se sent fatigué et faible. Comme c’est la fête du Cœur Immaculé de Marie, il tient à célébrer la grand-messe solennelle. Tout en se sentant vraiment malade, il veut néanmoins prendre part à la procession et prononcer le sermon de clôture. Ce sera sa dernière prédication, un dernier honneur à Marie, la mère de Jésus. Rentré à la maison, sur le conseil d’Herménégilde, il se met immédiatement au lit. Le lendemain, il veut dire la messe, mais il est incapable d’arriver jusqu’au bout et va se recoucher, en proie à une forte fièvre. Au début, il refuse de faire venir un médecin. « Ce n’est plus nécessaire, dit-il, car cette fois, je ne me rétablirai plus. » Mais devant la montée de la fièvre, on fait quand même venir un médecin. Il constate une pneumonie et prescrit les médicaments usuels. Son diagnostic est confirmé par un autre médecin. Le mardi 24 août, Eustache profite de la présence d’un confrère en visite pour se confesser. Le même jour, il est trans-

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porté au sanatorium Docteur Alberto Cavalcante, qui se trouve dans la paroisse et est géré par des clarisses franciscaines. Une équipe de médecins examine le patient et constate un typhus exanthématique. Le corps est plein d’exanthèmes et de taches rouges, et le sang était empoisonné. A cette époque on ne disposait pas des moyens pour combattre ce mal fatal, à moins de procéder à une transfusion avec le sang d’un malade se relevant d’un typhus. Mais un tel malade appartenant au même groupe sanguin qu’Eustache s’avéra introuvable. Les saignées veineuses nécessaires, qu’il faut pratiquer sans anesthésie, sont extrêmement douloureuses. Le père Hubert Lahaye, qui est venu remplacer le père Herménégilde, incapable de supporter ce spectacle, témoigne : « Pendant trois jours, le père Eustache souffrit d’un hoquet très oppressant. Pour ma part, j’aidais le médecin aux saignées. Il les faisait au moyen de lames de rasoir parce que les instruments habituels étaient incapables d’absorber le sang noir coagulé. Le père souffrait affreusement. Il s’accrochait à ma main au point de presque l’écraser, tant il souffrait. En ces moments pénibles, il m’a vraiment édifié. » Le samedi 28 août, Herménégilde transmet à Eustache le verdict des médecins : il n’y a plus d’espoir, la mort viendra bientôt. « Loué soit notre Seigneur Jésus Christ » chuchote-til. « Combien de temps me reste-t-il encore ? » Au maximum quarante-huit heures, lui répond-on. Il aurait préféré être administré par son ami et supérieur, Gil van den Boogaart, mais celui-ci se trouve à Rio de Janeiro. Bien qu’on attende son arrivée d’un moment à l’autre et qu’il y ait aussi sur place le

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père Herménégilde, c’est le curé d’une paroisse voisine, le père franciscain Zacharie, qui décide de le faire sur-le-champ. En apprenant qu’il vit ses dernières heures, Eustache renouvelle ses vœux de religion en présence d’Herménégilde. Après les paroles «… les Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie au service desquels je veux vivre et mourir » il dit : « Grâce à Dieu, je suis sauvé. Mais pourquoi le père Gil ne vient-il pas ? » Celui-ci n’arrive que le lundi 30 août au matin. Eustache le reconnaît immédiatement. Il peut encore murmurer : « Père Gil, Deo gratias ! » Ensuite, il rend paisiblement l’esprit, avec un sourire et un profond soupir. Sa volonté obstinée lui a permis d’attendre cette dernière rencontre. Donnons maintenant la parole au père Gil, qui écrit la lettre suivante aux confrères du Portugal, peu après la mort d’Eustache. Celle-ci, suite à la guerre, n’arriva aux Pays-Bas qu’au début 1944, d’où elle fut transmise aux destinataires. « Je viens de rentrer de Belo Horizonte. Le 29 août, on m’avait demandé de venir. A mon arrivée à Belo Horizonte, je suis allé immédiatement en voiture au sanatorium, où on avait transporté notre bon confrère une semaine avant. J’allai tout droit à la chambre du malade. Eustache donna des signes de grand contentement et dit « Grâce à Dieu ! » Mais au même moment il sembla être frappé d’une décharge électrique et mourut. » Le corps fut exposé dans le bâtiment qui servait provisoirement d’église. Des milliers de personnes, de toute classe sociale, défilèrent devant la dépouille. Ce n’est que le lendemain que cela s’arrêta, au moment de commencer la messe solennelle d’enterrement, célébrée par l’archevêque. Le cortège vers le cimetière fut triomphal. Jamais Belo Horizonte n’avait vu chose pareille. Les secrétaires d’Etat ou ministres tenaient à porter eux83


mêmes les précieux restes vers le corbillard. Le long des larges artères de la ville se pressaient des foules immenses. Au passage du cercueil, beaucoup fléchissaient les genoux. On prononça des discours qui furent repris à la radio. Les journaux publièrent de longs articles. On pourrait résumer tout ce qui a été dit et écrit en une seule phrase : « Le saint père est décédé ! » On parle déjà de grandes faveurs obtenues par son intercession. Pour la congrégation, pour moi-même, le coup est dur. Mais l’église des SacrésCœurs, dont Eustache a commencé la construction, a maintenant ses fondations. La messe du septième jour fut célébrée dans l’église Saint-Joseph, chez les pères rédemptoristes. Celle-ci était comble au point que la chaire elle-même était remplie. Il y avait des représentants du gouverneur de l’Etat et du préfet de la ville. L’archevêque avait envoyé une délégation du clergé avec son vicaire général à leur tête. Selon les spécialistes, le père Eustache a été mordu par une tique (un carrapato en portugais), qui lui a communiqué le typhus pétéchial. Nous avons maintenant un protecteur de plus au ciel, mais un père en moins sur la terre ! »


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Sur les autels d’Eustache est inhumé au cimetière communal de Belo Horizonte. Chaque jour, durant cinq ans, une multitude originaire de tous les Etats du Brésil vient visiter le tombeau. On y dépose toujours des fleurs fraîches et on brûle des cierges. Le 30 août surtout, anniversaire de la mort d’Eustache, le tombeau et le cimetière sont assaillis. Beaucoup de personnes viennent rendre grâce pour les faveurs obtenues par l’intercession du Padre Eustaquio. L’argent qui est déposé en abondance dans le tronc, à proximité du tombeau, est consacré au parachèvement de l’église paroissiale. Celui-ci réalisé en janvier 1949, on procède alors au transfert du corps. L’archevêque vient lui-même voir où serait placé le tombeau dans l’église. Les pères ont prévu de le mettre derrière le maître-autel, ainsi les pèlerins pourraient faire leurs dévotions sans empêcher la poursuite des offices de la paroisse. Cette proposition interpelle le prélat :

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« Juste ciel ! Après quinze ans de présence au Brésil n’avez-vous pas encore vu ce qui va se passer ? Croyezvous vraiment que les gens qui viendront de l’intérieur tiendront compte qu’on est en train de célébrer la messe ou de faire le salut au Saint-Sacrement ? En plein milieu du sermon, ils se mettront à prier tout haut le chapelet, 85


comme ils ont fait vœu de le faire et pour quoi ils sont venus. Non, non, il faut trouver une autre solution. » Avec son sens pratique, c’est l’évêque lui-même qui trouve un endroit mieux situé : un espace en-dessous de la tour qui n’a pas encore reçu de destination. C’est exactement ce qu’il faut : dans l’église, tout en étant pratiquement en dehors, et près de l’entrée principale. Une fois les préparatifs terminés, on procède aux premiers travaux de l’exhumation, avec interdiction stricte de faire la moindre publicité. Le secret est bien gardé ; radio et presse ignorent la date. Seules les personnes impliquées dans les travaux sont au courant. Le 31 janvier 1949, de grand matin, l’exhumation commence. Les assistants sont le double du nombre prévu : environ cent vingt (des autorités, des confrères et quelques parents venus des Pays-Bas). A six heures et demie, le cercueil est ouvert et les restes sont enlevés. On essuie les ossements avec un grand rouleau de linge long de quarante mètres. Plus tard, ce rouleau sera coupé en petits morceaux pour faire des reliques. Au moment même, des spectateurs emportent chez eux tout ce qui vient du tombeau : des lambeaux de la soutane, l’étole, la barrette, le cordon de laine, la ceinture de cuir… Cet événement impressionnant se déroule au milieu d’un silence absolu, dans une ambiance sereine, au rythme du chapelet récité par les assistants. Quand tous les os sont remis dans le cercueil, après avoir dit une prière, on le ferme. Le lourd cercueil noir est transporté à l’église et placé sur une grande table de granit reposant sur quatre petites colonnes. La nouvelle de cette exhumation se répand dans la ville comme une traînée de poudre : « On peut visiter le père Eustache dans l’église ! » Le bruit court aussi que le corps du saint homme a été trouvé entièrement intact et qu’on peut 86


le voir sous une paroi vitrée. Aussi l’affluence dure toute la semaine, alors que le travail n’est pas encore tout à fait terminé : il faut achever l’assèchement des os pour les enfermer dans le cercueil qui sera définitivement installé et entouré d’une grille. On fait appel à un expert célèbre en anatomie pour mettre le point final à l’opération. D’après lui, il faudrait trois jours entiers pour cela. C’est difficilement acceptable : on ne peut sortir les ossements de l’église durant tout ce temps et des bruits courent que la famille va emporter la dépouille en Hollande. Un autre anatomiste, qui peut faire le travail en une nuit, est choisi. Cela commence le vendredi 4 février à vingt et une heures devant une vingtaine de témoins. A vingt-trois heures trente, tout est fini et le cercueil est refermé. Depuis ce moment-là, les visites au tombeau du Padre Eustaquio ne se sont plus interrompues jusqu’à nos jours, surtout les samedis et dimanches. Pendant les premières semaines, les pèlerins peuvent encore toucher le cercueil, jusqu’au 26 février, jour où une grille est placée. Au cours de ces journées ferventes le maire de Belo Horizonte confie au père Venance Hulselmans qu’il a fait une promesse au père Eustache. Il veut connaître les frontières exactes de la paroisse pour édicter un décret dénommant cette partie de la ville « Quartier Padre Eustaquio ». Ainsi fut fait. Depuis lors, tous les moyens de transport qui prennent cette direction, trams ou bus, et même taxis, portent l’indication « Padre Eustaquio ». Durant cette période, l’archevêque fait part au père Venance que, quelque temps auparavant, il a échappé à la mort après avoir prié le père Eustache. Au moment le plus critique il a prié : « Mon père Eustache, si vous me rendez la santé, je m’occuperai, le reste de mes jours, de votre procès 87


de béatification ! » Quelques jours après, l’évêque lui dit : « Il n’y a plus de doute, c’est le père Eustache qui m’a guéri, et hier soir, j’ai commencé à tenir mes promesses : j’ai nommé le père Orlando Machado promoteur du procès. » Le 30 mai 1956, le Supérieur provincial du Brésil, Gérard Thiessen, communique à ses confrères que le procès aura lieu à Belo Horizonte. Du côté de la congrégation des Sacrés-Cœurs, la cause relève du postulateur résidant à Rome et chargé des contacts avec le Saint-Siège. En février 1956, il nomme un vice-postulateur au Brésil, le père Alfred Elfrink. Celui-ci se dépense corps et âme à sa tâche, rassemblant la documentation nécessaire. Pour cela, divers procès informatifs ont lieu au Brésil et aux Pays-Bas entre 1962 et 1966. Ceux-ci sont clôturés et les dossiers prêts, lorsque survient un obstacle qui interrompt provisoirement la poursuite de la démarche. Lors du chapitre général de la congrégation des Sacrés-Cœurs de 1970, la décision est prise de suspendre tous les procès de béatification en cours, sauf celui du père Damien. Dans le climat du concile Vatican II, on fait des objections au type de procédure en vigueur, aux dépenses qui pourraient être mieux utilisées. Pour le père Damien, vu sa popularité mondiale, on ne se sent pas libre de lui appliquer la même décision. Mais ce n’est que partie remise. Douze ans plus tard, le procès peut redémarrer. A la demande d’évêques brésiliens, le chapitre général de 1982 permet de reprendre le procès du père Eustache. Le postulateur général se remet courageusement à la tâche. Celle-ci aboutit en 1994 à la publication d’un gros ouvrage intitulé Positio super virtutibus (« position sur les vertus »), qui, comme son nom l’indique, doit prouver l’héroïcité des vertus du père Eustache. Le 14 avril 2004, le procès arrive à son terme et le père Eustache était proclamé « vénérable » par le pape Jean88


Paul II. Ensuite le miracle requis est reconnu par les instances romaines. C’est le 19 décembre 2005 que le pape Benoît XVI autorise la publication du décret portant sur un miracle attribué à l’intercession du vénérable Eustache. Il s’agit de la guérison d’un cancer du larynx dont fut gratifié, en 1962, le père Gonçalo Belém, curé de paroisse à Belo Horizonte. Tout est donc prêt pour la béatification.



Considérations finales la mort d’Eustache en 1943 jusque tout récemment, l’Amérique Latine a occupé le devant de la scène chrétienne, en particulier durant les années qui ont suivi le concile Vatican II. Au Brésil, les héros du catholicisme populaire se sont vu alors supplantés par d’autres figures prophétiques ou par les champions de la théologie de la libération, qu’ils soient autochtones, comme dom Helder Camara, Leonardo Boff, Ivone Gebara, ou européens, tel Joseph Comblin. L’accent est mis sur les communautés de base et sur la lutte contre l’injustice structurelle. L’histoire du continent est marquée par un combat sans merci entre les forces de la répression et celles de la subversion. Pinochet est l’emblème des premières, Che Guevara, des deuxièmes. Dans le Brésil actuel, on assiste depuis quelques années à un changement d’orientation dans les diocèses. Il ne s’agit plus, comme au temps d’Eustache, d’introduire les pratiques et les conceptions du concile de Trente, mais de faire barrage à la théologie de la libération et de promouvoir une interprétation stricte du concile Vatican II. Disparus Helder Camara et consorts, place à de nouvelles vedettes. Ainsi peut-on penser à certains prêtres qui animent des célébrations liturgiques à grand spectacle, inspirées par celles des communautés évangéliques et des Etats-Unis. Faut-il penser aussi à des figures mises en avant par leur béatification ? Du fait que leur célébration n’est plus assumée par le Pape, mais par le préfet de la Congrégation pour la

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cause des saints, celles-ci ont, certes, moins de retentissement, mais elles sont plus directement reliées au contexte local qui leur donne sa signification. Eustache est-il une de ces figures ? On peut se poser la question. Souvenons-nous que les évêques du Minas Gerais étaient assez réticents aux initiatives et aux idées de dom Helder Camara. C’est d’ailleurs le candidat originaire de cette région qui lui a succédé. Dans la gestion de cette béatification, il importe donc d’être attentif aux enjeux qu’elle comporte. Elle pourrait être utilisée par certains comme porte-drapeau d’une offensive néo-conservatrice qui a pris l’habitude de prendre à son service le code de droit canonique de 1983 et le Catéchisme de l’Eglise catholique comme levier de ses stratégies. C’est tout autre chose de mettre en valeur la sensibilité du nouveau bienheureux aux joies et aux espoirs des pauvres, comme à leurs tristesses et leurs angoisses.


Table des matières 1. Avec les verriers wallons. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 2. Les premières années. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 3. Noviciat et vœux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 4. Vers la prêtrise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21 5. Apostolat aux Pays-Bas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25 6. Vers l’Amérique Latine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 7. Une paroisse appelée « dépotoir » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37 8. Le curé d’Agua Suja . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41 9. Un tout nouveau champ d’action . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49 10. Débuts à Poá . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 11. Le faiseur de miracles. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61 12. Retour à l’ordre établi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67 13. Les dernières années . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75 14. In paradisum . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81 15. Sur les autels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85 Considérations finales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91 Table des matières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93

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Achevé d’imprimer le 12 avril 2006 sur les presses de l’imprimerie Bietlot, à 6060 Gilly (Belgique).



Né en Hollande en 1890, Eustache van Lieshout entre chez les Pères des Sacrés Cœurs vingt-trois ans plus tard. Il commence son ministère en accompagnant les verriers wallons qui travaillaient à Maasluis, aux Pays-Bas. Il est envoyé ensuite comme missionnaire au Brésil, à Agua Suja puis à Poá. Sa réputation est notamment due aux soins qu’il prodigue aux malades. Il prend progressivement la stature d’un faiseur de miracles, d’un thaumaturge. Des milliers de personnes venues de tout le Brésil accourent chaque jour pour le voir ! Il est décédé en 1943 et, depuis ce jour, son tombeau est devenu un important lieu de pèlerinage. Béatifié le 15 juin 2006, Eustache incarne une sensibilité toute particulière pour les joies et les espoirs des plus pauvres. ISBN : 2-87356-342-7 Prix TTC : 5,95 €

Editions Fidélité 61, rue de Bruxelles BE-5000 Namur

Edouard Brion

Eustache van Lieshout

van Lieshout Des verriers wallons aux chercheurs d’or du Brésil

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Eustache

Sur la route des saints

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fidélité

Sur la route des saints

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