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FUSION TROPICALE

Editoriaux / Atelier Marc Vaye

Printemps 2020


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ALLIAGE

Produit de caractère métallique résultant de l’incorporation d’un ou de plusieurs éléments métalliques ou non à un métal.

HYBRIDATI METISSAGE CULTURE Phénomène de composition à partir d’éléments dis

Production culturelle résultant de l’influence mutuelle de civilisations en contact.

SYMBIOSE

Association étroite de plusieurs organismes, mutuellement bénéfique voire indispensable à leur survie.

MELANGE

Action de mettre ensemble des substances diverses. Réunion de choses ou d’êtres de nature différente.

COMPOSITE Formé d’éléments hétéroclites.


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SYNCRETISME Système philosophique ou religieux qui tend à faire fusionner plusieurs doctrines différentes.

TION EL disparates.

FUSION

Passage d’un corps solide à l’état liquide sous l’action de la chaleur. Procédé de regroupement des sociétés consistant à en constituer une nouvelle avant de se dissoudre.

Fusion tropicale est dédié au Brésil, à la culture brésilienne, aux arts au Brésil. Par son histoire composite, il est d’abord luimême, mais sa position excentrée lui confère une originalité absolue qui s’observe dans tous types de créations : poésie, cinéma, architecture, musique, littérature, arts plastiques, danse ... et ceci se constate surtout à travers leur transversalité. Son originalité pourrait s’accorder avec le terme Tropicaliste tant elle est marquée par l’empreinte de son climat et de sa géographie. Mais c’est peut être aussi dans son histoire que se trouve la clef. Le poète Oswald de Andrade date le début de l’histoire du Brésil au 2 juin 1556. L’évènement est un festin où les indiens Caétés dévorent Sardine, D. Pedro Fernandes Sardhina, le premier évêque du Brésil, ainsi que ses 90 compagnons eux aussi naufragés. L’histoire du Brésil débute par une incorporation rituelle.


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Bois de braise / Haematoxylum brasiletto


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Brazil Pour le plus grand nombre, Brazil est le titre anglophone d’un film de science-fiction dystopique réalisé en 1985 par Terry Gilliam. Il décrit un monde futuriste totalitaire dans la veine du roman de George Orwell 1984. A la suite d’un incident - un insecte tombe dans l’imprimante de l’ordinateur du Service des recoupements - qui transforme un T en B. Archibalde Tuttle, un plombier dissident joué par Robert de Niro devient Archibalde Buttle, un innocent, qui est brutalement et injustement arrêté à son domicile. Le thème musical, omniprésent tout au long du film, est une chanson composée en 1939 par Ary Barroso qui déclare l’avoir écrite alors qu’un orage tropical l’empêchait de quitter sa maison. Aquarela do Brasil est présentée comme une tentative de libérer le samba des tragédies de la vie, le rythme de la pluie y est amplifié. Plus tard elle fut interprétée entre autres par Antonio Carlos

Jobim cocréateur avec le poète Vinicius de Moraes de la Bossa nova, la Nouvelle vague, Joao Gilberto le chanteur et guitariste bahanais ou Gal Costa, une des égéries du Mouvement Tropicaliste. Initié un article sur le Brésil par une introduction musicale, par le rôle conféré à la musique dans l’identité brésilienne est un cliché. L’alternative serait d’évoquer le pau-brasil, bois de braise ou bois-brésil, un arbre du Nordeste du Brésil qui a donné son nom au pays. Le Brésil est un arbre. C’est bien le minimum pour ce pays tropical, territoire de l’immense Amazonie, réserve mondiale de biodiversité, et de la forêt primaire nommée mata atlântica. Des arbres et du bois, mais aussi des fleurs et des fruits inconnus. Une nature luxuriante. Pour Caetano Veloso, le Brésil est une île qui fut découverte en 1500 par Pedro Alvares Cabral, huit ans après la découverte de l’Amérique. Un monde autre, l’Autre absolu.


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Ces oiseaux ne nous fuya reries errant parmi les l torrents feuillus, ils con tuer devant mes yeux ét l’atelier des Brueghel où une intimité tendre entr et les hommes, ramène à êtres n’avait pas encore

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yaient pas; vivantes pierlianes ruisselantes et les ontribuaient à reconstiétonnés ces tableaux de ù le Paradis, illustré par tre les plantes, les bêtes à l’âge où l’univers des re accompli sa scission. Claude Lévi-Strauss Tristes tropiques 1955


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Salvador da


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a Bahia de Todos os Santos Saint Sauveur de la Baie de la Toussaint est la capitale de l’état de Bahia, dans le Nordeste brésilien. Elle fut aussi, de 1548 à 1763, la première capitale du Brésil. Surnommée a Roma negra, la Rome noire, ou encore la ville aux mille églises qui sont en réalité 366, une pour chaque jour de l’année y compris pour les années bisextiles. Salvador est une ville baroque, un chaudron ardent où trois cultures ont fusionnées : l’amérindienne, l’européenne et l’africaine. Une ville métisse. Sa population a été multipliée par dix depuis 1948 et atteint aujourd’hui plus de trois millions d’habitants, faisant au-

jourd’hui de Salvador la troisième ville du Brésil. Disposant d’une bénédiction topographique, à la fois ouverte sur l’Atlantique et à l’entrée d’une immense baie, jalonnée de collines et vallons et faisant face à l’île d’Itaparica, son centre historique, perché sur une falaise, domine la mer, le port et le quartier des affaires, le Commercio. La ville haute, le Pelourinho, qui signifie le petit pilori, est un des plus beaux fleurons de l’architecture coloniale brésilienne. Il est inscrit par l’Unesco au Patrimoine Mondial de l’Humanité, mais aujourd’hui il se meurt. Enclavé, déserté par les classes aisées, les multiples tentatives pour le rénover se sont toutes révélées être des échecs.


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Pelourinho


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L’Elevador Lacerda, le premier ascenseur public du Brésil, construit entre 1869 et 1873 par l’ingénieur Augusto Frederico de Lacerda, relie la ville basse à la ville haute en quelques secondes et domine le paysage de sa structure de béton vertigineuse, un parfait landmark. L’ascenseur, une tour de 72 mètres, est un ouvrage unique par sa typologie et hors du temps par sa facture stylistique qui s’apparente au style Art Déco avec un demi siècle d’avance. En réalité, c’est une œuvre d’ingénierie où la rationalité constructive prime sur toutes autres considérations. C’est simple et c’est tout.

Landmark XIX

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Salvador comme toutes les métropoles des pays en voie d’urbanisation accélérée est pour une part une forêt de tours, une ode à la théorie urbaine de Le Corbusier, un chaos spatial de discontinuité, une primaire et aléatoire juxtaposition de monades urbaines. Pour une autre part une ville horizontale : illégale, spontanée, organique, hyperdense mais tout autant chaotique. Au Brésil, cette ville autre, est appelée favela, du nom des plantes qui poussent sur les collines où les pauvres s’établissent. A Salvador un tiers de la population vit dans 280 favelas et deux tiers dans l’asphalte, le nom donné à la ville viabilisée par les habitants des favelas. Trois institutions gèrent la favela : l’école de samba, le soft pouvoir de la culture, le candomblé, le pouvoir spirituel et la mafia, le pouvoir de l’argent.

Skyline XXI

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Fushka da Bahia Dans les années 70, tous les taxis de Salvador sont des Coccinelles Wolkswagen. Elles sont surnommées Fushka et sont à elles seules à la fois une institution et un objet culturel fétiche.


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Les Tupis habitent le Pindorama, la zone comprise entre l’Amazone et le Rio de la Plata, c’est-à-dire ce qui correspond au Brésil d’aujourd’hui. A l’arrivée des Européens, en 1500, leur nombre est estimé à environ un million réparti en plusieurs confédérations qui se partagent une large bande cotière. Ce qui les unis est leur langue commune, le tupi. Ils respectent la terre, la défriche, la cultive pendant quelques saisons et l’abandonne lorsque le sol s’épuise. En conséquence les populations se déplacent constamment ce qui provoque des guerres quasi permanentes. Redoutables guerriers, ils ré-

duisent temporairement les prisonniers à l’esclavage, puis les tuent pour les manger selon un rituel qui doit permettre de s’approprier la puissance de la victime. Pendant les premiers temps de la cohabitation avec les Européens, les Tupis fournissent le bois-brésil et reçoivent en échange des outils de fer et des babioles. Quand le bois vient à manquer, il apparait que les Tupis refusent de faire tout autre travail ainsi que de se convertir au christianisme. Alors les Européens achètent aux Tupis des prisonniers de guerre pour les faire travailler dans les plantations de canne à sucre. Rapidement, guerres indiennes et


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Café Candido Portinari 1935

Tupi - Nago maladies européennes provoquent leur décimation. Les survivants se réfugient au plus profond de la forêt tropicale. Les indiens ont-ils une âme, doit-on les évangéliser ? En 1550, la controverse de Valladolid qui oppose le dominicain Bartolomé de las Casas et le théologien Juan Ginès de Sépulveda conclu à l’humanité des indiens. Ce qui paradoxalement ouvre la voie à la généralisation de la traite des africains. Nago, originaire de Guinée, entre dans l’histoire du Brésil comme esclave. Toutefois la co-existence des européens et des Tupis, associées aux coutumes de polygamie et de cunhadismo,

formation de liens de parenté par mariage, ont constitué la première source de métissage qui à partir d’un faible nombre de colons européens a permis de former une population aux caractéristiques mixtes, les caboclos, qui se sont répandus sur l’ensemble du territoire brésilien en parlant une langue tupi et en incorporant des techniques et des outils européens aux méthodes autochtones de culture. L’héritage du peuple originel est largement présent dans le Brésil d’aujourd’hui tant sur le plan ethnique et biologique, que sur les plans linguistique, gastronomique et plus généralement culturel.


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Oshala Nanan

Shango

Orishas africains

Ogoun Ondo

Syncrétisme En Afrique de l’Ouest, les Orishas sont les divinités familières d’une multitude de groupes ethniques qui, dans les régions des rivages du golf de Guiné, parlent une langue commune, le Yorouba. Outre la langue, ils partagent une même culture et des traditions. Bien qu’ils ne constituent pas à proprement parler une nation, ils ont la ville d’Ifè au Nigeria comme origine commune. C’est une civilisation de villages plutôt que de cités. Selon l’histoire locale, le Panthéon des Orishas est variable et leur hiérarchie différente. En tant que religion, elle n’est pas unifiée et n’est devenue que graduellement homogène. La religion des Orishas est liée à la notion de famille étendue issue d’un ancêtre commun qui englobe les vivants et les morts. L’Orisha est un bien familial. C’est un ancêtre divinisé ayant établi un contrôle sur certaines forces de la Nature : tonnerre, vents, eaux douce ou salée, ou exerçant


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Oshala

Omolou Oshoun

Orishas brésiliens

Oshossi Outils de Ogoun

certaines activités : chasse, travail des métaux, connaissance des vertus, utilisation des plantes. L’Orisha est une force pure, immatérielle, qui ne peut se rendre perceptible aux êtres humains qu’en prenant possession de l’un d’eux par la transe. Le monde de l’au-delà est proche, les croyants peuvent parler directement avec leur dieu protecteur, doté d’un esprit de tolérance et qui ne pratique pas le prosélytisme. Au-dessus des Orishas règne un dieu suprême, une tentative d’élaboration d’un système qui unifie ce qui était divers et harmonise ce qui semblait incompatible entre Orishas, Olodumaré, lointain, inaccessible, indifférent aux prières et aux sorts des hommes. Les Orishas sont leurs intermédiaires. Depuis leurs lieux d’origine (Nigeria, Benin, Togo) les captifs sont amenés par la traite des esclaves au Nouveau Monde (Brésil, Antilles). Là ils sont contraints d’adopter la religion chrétienne de leurs maîtres. Les danses qu’ils étaient autorisés à faire le dimanche étaient dédiées aux saints du paradis catholique, en apparence. En réalité, elles célébraient les Orishas. Un syncrétisme était né, nous en connaissons mal le moment, mais une chose est sûre, il a permis aux esclaves de garder le souvenir de leurs origines, de résister à leur condition d’esclaves. Candomblé à Bahia, Santeria à Cuba, Vaudou à Haïti, tous ces rites sont des syncrétismes africano-européens. Leurs paroisses sont des Terreiros, leurs clercs des Pères ou des Mères des Saints.


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Yémanja est syncrétisée avec la Sainte Vierge de l’Immaculée

Notre-Dame de la Conception


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ée Conception.

Yémanja

L’ethnologue et photographe français Pierre Fatumbi Verger, découvre Bahia en 1946 et entreprend une recherche qu’il poursuivra pendant plus de trente ans. Il participe au Candomblé, est accepté et initié. Il est Ogan à Bahia et Babalawo au Benin et reçoit le nom de Fatumbi, né à nouveau par l’Ifa. Il est l’auteur des photographies de ces six pages.


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“La colonisation du Brésil se c un effort persistant d’implante péanité adaptée à ces tropiqu dans ces métissages. Mais elle sur la résistance opiniâtre de les caprices de l’histoire, qui malgré ces desseins, tels que n opposés aux affaires de blancs de manière tellement intériori péens, tout comme non-Indiens O povo


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constitua comme er ici une euroques et incarnée a toujours buté la nature et sur i nous ont faits, nous sommes, si s et aux civilités, risée non-Euros et non-Afros.” Darcy Ribeiro ovo brasileiro. A formaçao e o sentido do Brasil. Companhia das Letras Sao Paulo 1995


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Art Déco Né au début du XXe siècle, le Mouvement Art déco s’épanouit à partir des années 20 comme le premier mouvement mondial d’architecture-décoration. Le mouvement concerne aussi la mode vestimentaire, la typographie, le design, la joaillerie... Marqué par l’Exposition Internationale des Arts décoratifs et industriels modernes à Paris en 1925, il fait suite à l’exubérance de l’Art Nouveau. Les courbes organiques d’inspiration végétale deviennent des formes géométriques abstraites d’inspiration cubiste, mais l’approche décorative persiste. Ce qui le distingue de l’architecture du Mouvement Moderne qui la bannit comme en témoigne la déclaration fondatrice d’Adolf Loos “L’ornement c’est le crime”. L’Art Déco valorise le luxe, les métiers d’art : tapisserie, ébénisterie, ferronnerie, mo-

saïque, céramique, vitrail, peinture, sculpture en ronde-bosse. C’est avant tout un art de motifs géométriques : floraux, spirales, hublots, faisceaux, éventails, chevrons, zig-zag. C’est aussi un art du fronton, qui laisse une grande place à l’interprétation, à la déclinaison locale. Ordre, géométrie, couleurs vives et contrastées : orangé, vert, noir et or deviennent des éléments structurant du décor. Ses villes sont Paris, Bruxelles, Londres, New-York, Chicago, Miami, Tunis, Casablanca, Shanghaï, Rio de Janeiro. A Bahia il est plus tardif et concerne des programmes domestiques, des petits équipements publics comme des cinémas, des cafés, des hôtels. Ici le mouvement est à la fois universel et local. Le Mouvement Moderne s’articule autour de la question de la structure, l’Art Déco de l’ambiance.


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Salvador Itaparica Nova Viรงosa 1978


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Il est des pays où les friches sont agricoles. C’est le cas dans la région d’Itacaré à Bahia, dans le Nordeste du Brésil, où la culture du cacao, après avoir été fleurissante, a périclité sous les coups de la surproduction, de la concurrence, puis de la maladie. Il reste des fermes fantômes construites dans les années 20 en style Art Déco, des pistes désertes, perdues dans la forêt tropicale, rongées par l’humidité et la faune sauvage. Là quelques personnes font sécher de rares fèves, comme pour se rappeler l’époque regrettée, par nostalgie. Il y a longtemps qu’il n’y a plus de panache de fumée qui s’échappe des cheminées. Les fours de torréfaction sont éteints. On croit entendre derrière la sourde rumeur du maquis les héros du roman de Jorge Amado : Cacao...

CACAO

Jorge & Zelia Amado Rémy Kolpa Kopoul 1988


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Sao Paulo - Groupe Ruptura / Rationalisme, fo Rio - Groupe Frente / Expressionnisme, subje

Modernisme / Concrets & Néo Au Brésil, le Modernisme dans les arts plastiques est marqué par deux programmes esthétiques. Le premier datant des années 20 puise son origine dans la Semaine d’Art brésilien de Sao Paulo (1922) organisée par Di Cavalcanti et Mario et Oswald de Andrade. Il se caractérise par un changement de langage littéraire et artistique, tantôt cubiste tantôt expressionniste, associé à la valorisation du brésilien, à la spécificité et à la singularité du Brésil, une quête qui semble avoir pris le dessus sur la recherche d’un langage artistique. Le second qui apparaît dans les années 40 est marqué par son universalisme, son goût pour les formes, les lignes, les couleurs et les plans, au détriment des figures et de la disposition des objets dans l’espace. Les deux visions entrent en conflit et suscitent, en 1952, la publi-

cation du Manifeste de la rupture de Waldemar Cordeiro, à l’occasion de l’exposition du groupe Concrétiste au Musée d’Art moderne de Sao Paulo, qui déclare : La fin de la construction de l’espace héritée de la Renaissance. Le naturalisme scientifique de la Renaissance, la méthode de représentation du monde extérieur (trois dimensions) sur un plan (deux dimensions), a épuisé sa tâche historique. Le Modernisme des années 20 a forgé une identité visuelle, le Modernisme concrétiste inaugure un nouveau chapitre de l’Art Constructiviste (Piet Mondrian, Kazimir Malevitch, Walter Gropius, Théo Van Doesburg, Max Bill). Le mouvement est accompagné par les processus accélérés d’urbanisation et d’industrialisation qui entrainent de


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formalisme, objectivisme. jectivité, sensualité.

Le Baiser / Waldemar Cordeiro 1967

éo-concrets profonds changements dans la structure économique et sociale du pays qui s’incarne par la création en 1960 de la nouvelle capitale, Brasilia (Lucio Costa, Oscar Niemeyer, Roberto Burle Marx), la multiplication des musées d’Art Moderne et la création en 1951 de la Biennale de Sao Paulo. Le Brésil s’affirme alors comme un acteur de la scène artistique internationale. L’Art Concret rejette les motifs nationaux dans les arts visuels. La lutte entre valeurs spécifiques et valeurs universelles, et en arrière plan, les frontières entre normalité et anormalité, art et raison, académisme et expérimentation, va alors connaître une nouvelle étape et entrainer la scission de l’avant-garde. A Rio, le critique Mario Pedrosa soutient que la création artistique qui s’appuie sur l’imagination, l’intuition et la sensibilité s’éloigne

naturellement des conventions. Avec quelques autres, il rejoint l’Atelier libre de peinture d’Ivan Serpa qui se traduira par la création du groupe Frente, ambivalent sur les valeurs du Concrétisme et qui se distingue du groupe Ruptura de Sao Paulo clairement concrétiste. Rio, l’artisanale et l’empirique. Sao Paulo, l’industrielle et la théoricienne. La distinction mènera à deux écoles : Concrets et Néo-concrets et à la publication en 1959 du Manifeste Néoconcret par le poète Ferreira Gullar.

Ferreira Gullar


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Tupi or not tupi, that is the ques Manifeste Anthropophage

. Oswald de Andrade est un des co-initiateur du Modernisme brésilien. Poète, romancier, essayiste, agitateur rebelle, il est notamment influencé par Filippo Tommaso Marinetti, le fondateur du Mouvement Futuriste italien. En 1922, date anniversaire de l’indépendance po-

litique du Brésil, il a été un acteur majeur de la Semaine d’Art Moderne de Sao Paulo, festival de littérature, musique et arts plastiques qui occupe une place symbolique dans la quête de l’identité brésilienne, de son âme et de ses modes d’expression. En 1923, de passage à Paris, il rencontre Blaise Cendrars qui prépare son premier voyage au Brésil et à qui il dédira le Manifeste de poésie Pau Brasil publié en 1924. En 1928, il publie le Manifeste anthropophage, la plus radicale des propositions esthétiques de la décennie. Il y développe la métaphore de la dévoration, l’idée de cannibalisme culturel et prône l’assimilation des cultures étrangères. La façon dont le premier évêque du Brésil, fut dévoré par les Indiens Caétés est pour de Andrade la scène inaugurale de la culture brésilienne.


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bois du coca cola bave du coca cola bois du coca bave cola débris débris cola cloaque Poème visuel / Décio Pignatari 1957

estion

Poésie concrète L’acte fondateur de la poésie concrète est la création en 1952 du groupe et de la revue Noigrandes par Augusto et Haroldo de Campos et Décio Pignatari. le Concrétisme est une poésie expérimentale qui ne fait appel, ni à la syntaxe, ni au rythme, et considère le texte comme un objet sensible, indépendamment de son sens. Elle s’inspire des arts plastiques non figuratifs et explore la spatialité de la page, le traitement calligraphique, le dessin à la manière des idéogrammes. Elle permet d’allier l’imagination visuelle à celle portée par les mots. Il est question de murogrammes, tatoèmes, logogrammes, calligrammes. Elle puise ses racines à l’étranger chez Stéphane Mallarmé, Guillaume Apollinaire, Ezra Pound, E. E. Cummings, James Joyce, avec des résurgences de rebellion Dadaïste et de destruction Futuriste. Au Brésil, la filiation

est à chercher chez Oswald de Andrade et son esprit de dévoration critique. Ils publièrent en 1958, à l’image du Plan Pilote de la construction de Brasilia, plan qui fut porteur d’espoirs, un Plan Pilote pour la poésie concrète qui joua le rôle de manifeste du mouvement. Il a laissé de fortes empreintes dans la poésie et la littérature brésiliennes. La poésie concrète entretiendra des liens directs avec l’Art Conceptuel des années 60. Poème visuel / Augusto de Campos


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Je n’ai aucun intérêt pour l’aspect fonctionnel des escaliers mais je suis fascinée par la portée de ces volées de marches : escaliers de trônes, de lieux sacrés, de cités. Les escaliers ont une valeur symbolique, ils relient les hommes.

Maison de Verre 1951


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Bowl Chair 1951

Lina Bo Bardi Italienne née à Rome en 1914, Lina Bo Bardi est brésilienne d’adoption et considérée comme une architecte majeure du Mouvement Moderne dont elle revendique le rationalisme tout en l’associant à la plasticité de l’art vernaculaire brésilien. Pour la Maison de Verre, Casa de Vidro, sa propre maison construite en 1951 dans un nouveau quartier du parc Morumbi à Sao Paulo, elle expérimente dans une esthétique minimaliste la fusion de l’air, de la lumière, de la nature et de l’art. Des substances plutôt que des matériaux, dira-t-elle. Deux éléments la structurent et sont à la base de l’articulation spatiale : un arbre et l’escalier. Le salon s’ouvre sur un jardin intérieur dans lequel l’arbre s’épanouit. Toutes les pièces de vie sont à hauteur de canopée comme

une cabane dans les arbres. Designer, elle dessine la Bowl Chair (1951), mais aussi curatrice, scénographe, journaliste, directrice de musée. Provocatrice, elle se disait stalinienne antiféministe. La Maison de Verre est aujourd’hui une Fondation culturelle.


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Plan Pilote de Brasilia Place des trois pouvoirs

Brasilia Oscar Niemeyer Brasilia, une Utopie Moderniste, une nouvelle capitale pour le Brésil en plein milieu du Planalto Central pour conquérir les territoires de l’intérieur du souscontinent sud-américain. Le Plan pilote d’urbanisme est confié à Lucio Costa, Oscar Niemeyer dessine les principaux bâtiments publics : le Congresso nacional (1958/1960), le Palacio do Planalto (1960), la Catedral Metropolitana Nossa Senhora Aparecida (1970). Oscar Niemeyer est une figure décalée du Mouvement Moderne, son travail est distinct de celui des maîtres européens et nord-américains, marqué par l’héritage baroque du Brésil et les approches sensuelles d’artistes comme Pablo Picasso et Jean Arp. C’est un architecte quasi au-

todidacte, l’enseignement reçu à l’Ecole Nationale des Beaux-Arts de Rio est lacunaire. L’homme de la Machine à habiter l’intéresse, via Lucio Costa une collaboration s’installe mais Oscar veut tropicaliser le style de Le Corbusier. Né à Rio en 1907, communiste de toujours, sa foi progressiste lui a permis de vivre et travailler jusqu’à 105 ans moins dix jours. Il a reçu le Pritkzer Price en 1988 et construit dans le monde entier. Nous lui devons une reécriture de l’antique édifice à portique méditerranéen, une architecture symbolique et monumentale, distinguée et élégante, audacieuse et innovante, puissante et légère. Il est l’auteur du Sambodrome, ce qui est le plus bel hommage au Brésil.


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Palais prĂŠsidentiel du Planalto / Brasilia 1960


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Congrès National BrÊsilien / Brasilia 1958-60


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CathÊdrale Notre Dame de l’apparition / Brasilia 1970


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Palais de Itamaraty / Brasilia 1970


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Chaise longue Rio 1978

Le maître de la courbe Quand je dessine, seul le béton me permettra de maîtriser une courbe d’une portée aussi ample. Le béton suggère des formes souples, des contrastes de formes, par une modulation continue de l’espace qui s’oppose à l’uniformisation des systèmes répétitifs du fonctionnalisme international. Oscar Niemeyer / Les courbes du temps, 1997.


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Casa das Canoas / Rio de Janeiro 1951

Musée d’Art Contemporain / Niteroi 1996


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Sambodrome Marquês de Sapucai Construit en 1984, appelé selon les circonstances Piste Professeur Darcy Ribeiro, en hommage à l’initiateur du projet, Piste du Samba ou Avenue des défilés, le sambodrome est un dispositif scènique composé d’une avenue de 800 mètres de long par 12 mètres de large, bordée de gradins à ciel ouvert coté Est et de loges sur trois niveaux coté Ouest. Le Sambodrome est capable d’accueillir plus de 88 000 spectateurs et s’achève par la Place de l’Apothéose qui abrite un musée du Samba surmonté d’une double arche.

C’est là que chaque année à l’occasion du Carnaval de Rio, ouvert par le Roi Momo et durant deux nuits, les meilleures Ecoles de Samba défilent et sont classées. On en compte environ 80, réparties en six groupes. En 2003, l’Ecole de Samba GRES Unidos de Vila Isabel a mis en scène la vie d’Oscar Niemeyer dans leur parade, c’est le premier hommage à une personnalité de son vivant. Le thème musical, composé par Martinho da Vila, s’intitule O Arquiteto no Recanto da Princesa, L’architecte dans le jardin intime de la princesse.


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Roberto Burle Marx Roberto Burle Marx est né à Sao Paulo en 1909. Lors d’un voyage à Berlin en 1928-29 où il étudie la peinture et la musique, il visite le Jardin Botanique de Dahlem et voit ce que ses yeux ne pouvaient pas voir au Brésil : la flore tropicale. Il découvre aussi la pensée écologique de Adolf Engler, spécialiste de biogéographie botanique. De retour à Rio en 1930 il fréquente l’Ecole Nationale des BeauxArts et entreprend une carrière de peintre alors que la tourmente Moderniste submerge le Brésil mais qui, au lieu d’opérer une tabula rasa comme en Europe, cherche à découvrir ce qui est proprement brésilien, à valoriser l’artisanat populaire, la culture et la nature du Brésil. En tant qu’artiste plasticien, ses objets d’études sont l’art de la couleur et la géométrie, mais son modernisme s’exprimera par leur mariage avec la botanique, l’art des jardins. C’est sa rencontre avec l’ur-

baniste Lucio Costa qui lui permettra de donner corps à ce qui va devenir son activité : architecte paysagiste. Un peintre qui dessine des paysages dans l’esthétique de son époque, cubiste et abstraite. Un jardin est une peinture dans laquelle on peut se promener, c’est mettre en espace le double registre esthétique de l’expérience du corps et de la perception visuelle. Il participe à des expéditions dans la forêt tropicale brésilienne pour récolter des spécimens de plantes et créer une collection aujourd’hui devenue Monument national nommée Sitio Roberto Burle Marx. Son œuvre est le dialogue entre plantes et pierres, entre plantes locales et exotiques, entre le biologique et la forme. Le jardin a été une manière d’organiser et de composer des œuvres picturales en utilisant des matériaux non conventionnels. Pour lui, il n’y a pas de différence entre l’objet peinture et l’objet paysage.


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Peintre Sculpteur

Joaillier


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Peintre


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Paysagiste


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Promenade de Copacabana Réalisée en 1970, le plus emblématique des projets du paysagiste, la promenade de la plage de Copacabana à Rio visible depuis tous les immeubles de l’Avenida Atlântica, est une peinture de quatre kilomètres de long, entre le sable de la plage et l’asphalte de l’avenue. Surnommée la Princesinha do Mar, la Petite Princesse des mers, c’est une mosaïque abstraite géante en pierre portugaise, pavés de granit, inspirée de motifs africains et indiens. Roberto Burle Marx est un passeur, d’un coté, il transfert au sud les messages du Bauhaus et de l’écologie naissante, de l’autre il creuse inlassablement les spécificités du paysage naturel brésilien. Utilisation de la végétation tropicale. Rupture des symétries dans la conception des espaces ouverts. Traitement coloré des chaussées. Utilisation de formes libres s’inspirant des caractéristiques de l’eau.


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Les formes dites géométriques perdent le cara de la géométrie pour devenir un véhicule de l’i

Lygia Clark Née en 1920 à Belo Horizonte, Lygia Clark est à l’origine une artiste peintre prolongeant les recherches abstraites du Constructivisme russe. A Rio, à partir de 1947, elle étudie avec Roberto Burle Marx et, à Paris, en 1950/52, elle étudie avec Fernand Léger. En 1953 elle est co-fondatrice du groupe Frente et en 1957 elle participe à la première exposition Nationale d’Art Concret à Rio. En 1959, elle est cofondatrice du Mouvement Néo-concreto et proche des Tropicalistes. Sa démarche artistique est un détachement progressif du cadre, celui du tableau, mais aussi le cadre mental, celui qui fixe les limites de l’art plastique, c’est ce qu’elle appelle la ligne organique. Avec les contre-reliefs, Contra-revelos, et les Cocons, Casulos, elle aborde la troisième dimension, des

peintures dépliées. Au début des années 60 les Créatures, Bichos, ne sont plus fixés au mur, n’ont ni face ni envers. Ce sont des sculptures en aluminium articulées par des charnières qui ne sont pas destinées à être exposées sur un socle mais à être manipulées par le spectateur et adopter une infinité de positions. Elle pense que l’art doit être subjectif et organique et interroge la relation entre l’art et la société. Son désir sera de faire fusionner l’art et la vie. Elle inventera ce qu’elle a appelé des Objets relationnels, Objectos relacionais, ouvrant la voie aux performances conçues comme des rencontres thérapeutiques individuelles. Son art devient une expérience multisensorielle. A la fin de sa vie elle se consacre à l’art thérapie et enseigne l’art plastique à la Sorbonne.


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ractère objectif l’imagination. Lygia Clark & Helio Oiticica Dialogue de mains 1966 Dialogue Lunettes 1968 Créature / Monument de toutes les situations 1964


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Le Livre de la Création 1959 Le Livre de l’Architecture 1960 Le Livre du Temps 1961


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Relief en orange et bleu 1956

Lygia Pape L’emballage fou Née à Nova Friburgo en 1929, elle est diplômée en philosophie et esthétique. Elle participe au Mouvement d’Art concret marqué par l’abstraction géométrique et fondé en 1930 par Théo van Doesburg, qui défend l’objectivité et proscrit les formes naturelles, le lyrisme et la sentimentalité. Puis elle devient membre du groupe Frente fondé par Ivan Serpa (1954) et participe à la fondation du groupe Neoconcreto (1957). Entre 1959 et 1961, elle réalise trois œuvres majeures, le Livre du Temps, un ensemble de 365 pièces, chacune d’un bois différent, le Livre de la Création et le Livre de l’Architecture. Dans les années 60, elle s’exerce au cinéma (affiches, scénarios, montage, réalisation).


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Lygia Clark et Lygia P chent à l’abstraction co naliste d’avoir préféré l’ l’œil-machine à la sensib corps. Elles marquent l l’œuvre à l’événement. A tion des objets relationn viseurs, elles ouvrent architectures du corps, de l’architecture et du v


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Pape reprooncrète ratiol’exactitude de bilité de l’œille passage de Avec l’invennels et des dila voie aux , aux hybrides vêtement.

Lygia Clark Le Moi et le Toi 1967

Lygia Pape Divisor 1968


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Bossa nova La Bossa nova, la Nouvelle vague ou la Nouvelle tendance, est un genre musical carioca né à la fin des années 50, du croisement du samba et du cool jazz. Elle se présente comme une alternative à une culture musicale composée principalement de sambas de carnaval marquées par une présence massive des percussions. Ses inventeurs sont le compositeur Antônio Carlos Jobim, le chanteur Joao Gilberto et le poète Vinicius de Moraes. Elle est popularisée auprès de la jeunesse de Rio de Janeiro par le disque de Joao Gilberto Chega de Saudade, Assez de nostalgie, enregistré en 1958 et vendu à partir de Sao Paulo en 1959. Grâce à la collaboration avec le saxophoniste Stan Getz, la Bossa nova remporte un succès planétaire à partir de 1963 avec The Girl from Ipanema. Son âge d’or prend fin en 1964 avec le coup d’Etat militaire.


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Cinema Novo Glauber Rocha est la principale figure de la Nouvelle vague cinématographique brésilienne des années 60, né à Vitoria da Conquista à Bahia en 1939, il est à la fois réalisateur, scénariste, producteur et compositeur. Il est l’auteur de la trilogie fondatrice du Cinema Novo. Le dieu noir et le diable blond (1964), qui raconte l’épopée des bandits du Nordeste, les Cangaceiros, Terre en transe (1967) qui se déroule dans un pays imaginaire où un poète écartelé entre sa quête conjointe de la beauté et de la justice se donnera la mort, Antonio Das Mortes (1969) où un tueur à gage exécute un agitateur politique et finira, conseillé par un instituteur, par se retourner contre le commandiataire de l’assassinat. Les thèmes politiques sont combinés à des éléments mystiques et folkloriques. En 1971, Glauber Rocha connaîtra l’exil.


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Lit / Maison du Brésil Cité Internationale Paris 1956-59

Version originale 1953 Bibliothèque & Table / Rio 1962


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Charlotte Perriand En 1962, Jacques Martin, le mari de Charlotte Perriand, devient surintendant général de Air France pour l’Amérique latine. Il emménage dans une résidence au milieu d’une nature exubérante au-dessus d’une crique de la plage de Leblon à Rio. Charlotte Perriand aménage et meuble l’appartement. L’imagination se révèlant défaillante devant cette nature exubérante, elle décide, pour se ressourcer, de découvrir le nord du Brésil. Elle voyage à Bahia où elle assiste à des cérémonies du Candomblé et en Amazonie. Elle s’imprègne de tout : la vie, la nature, l’architecture baroque, l’architecture vernaculaire, l’artisanat. Elle entreprend de créoliser ses créations antérieures. L’aluminium

devient cannage de jonc tressé, inspiré des tressages des objets des Indiens d’Amazonie, le sapin devient jacaranda, bois tendre pourpre foncé, la polychromie est remplacée par les trames géométriques du tressage. Elle dessine la bibliothèque et la table basse Rio avec ces matériaux autres. Signe prémonitoire, en 1959, elle dessine les équipements des chambres de la Maison du Brésil de la Cité Universitaire de Paris. C’est devenu une tumultueuse histoire avec Lucio Costa qui en avait la charge mais avait passé un accord de collaboration avec Le Corbusier qui entendait imposer ses vues. Charlotte Perriand n’entendait plus être cantonnée à un rôle de simple exécutante.


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Helio Oiticica Né à Rio de Janeiro en 1937 dans une famille d’activistes, Helio Oiticica est une figure de l’avant-garde moderniste brésilienne des années 50 et 60. Il étudie la peinture auprès de Ivan Serpa à l’école des Beaux-Arts de Rio de Janeiro et devient membre de l’école de samba de Mangueira en 1964. Théoricien, il participe au mouvement Néoconcrétisme et sa peinture, influencée par le Constructivisme et les travaux de Malévitch, est une expérimentation géométrique abstraite en gouache sur carton avec des variations de couleur bleu, rouge et noir nommés Métaschémas (1957). Il expérimente une première série des travaux tridimensionnels en bois peint de couleurs jaune orange et rouge nommés Relevo espacial, Relief spatial (1959). Puis une deuxième, toujours en bois peint, suspen-

due à des grilles par des fils de nylon et flottante au-dessus d’une surface de gravier et de résine nommée Grand Nucleus (1960 / 66). Ces travaux inaugurent ce qu’il appellera bientôt l’art de l’environnement, des installations labyrinthiques qu’il nomme Pénétrables comme le célèbre Tropicalia (1967), une scène tropicale (plantes, animaux, sables, graviers) à la fois globale et locale. Avec les habitants des favelas de Rio il expérimente l’art à porter et à danser, le comportementcorps selon ses termes, les Parangolés (1964 / 68), des capes-manteaux versions multicolores des costumes de carnaval. En 1968 il créé la bannière Soit marginal, Soit un héros en référence au anti-héros anonyme, un petit délinquant qui s’est suicidé et dont le corps a été exposé dans la rue par la police.


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De l’objet à la relation

Métaschémas1957

Soit marginal - Soit un héros Sérigraphie 1968


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Bolides 1965


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Relevo espacial 1959 Grand Nucleus 1960


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Pénétrable Tropicalia 1967 Pénétrable Magic square n°5 de luxe 1977


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ParangolĂŠs / 1964-68


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Tropicalia Le mouvement Tropicalia est né dans les années 60 à Salvador. Le catalyseur de son déclanchement en 1967 est le film de Glauber Rocha Terre en transe. L’idée de cannibalisme culturel convient aux tropicalistas. Le projet musical manifeste de Tropicalia ou Panis et Circensis, du pain et des jeux, est de cannibaliser la beauté et la richesse extraordinaires du passé musical du Brésil, Samba, Bossa nova, mais en même temps, d’assimiler de façon éclectique les éléments les plus originaux de la pop anglo-américaine. Le Tropicalisme est un syncrétisme qui a dévoré le rockpsychédélique et le mouvement hippie pour l’adapter à la réalité brésilienne. Les Tropicalistas, c’est une nébuleuse aux contours incertains et fluctuants de créateurs multi-disciplines. La chan-

teuse Maria Bethania, le chanteur compositeur Gilberto Gil, la chanteuse Gal Costa, le chanteur compositeur Caetano Veloso, le violoncelliste Rogerio Duprat, le groupe rock pauliste Os Mutantes, le compositeur et multi instrumentisme Tom Zé, le chanteur compositeur carioca Jorge Ben, les poètes José Carlos Capinan qui introduit le mouvement des poètes concrétistes et Torquato Neto qui reprend l’invention de Décio Pignatari, Geléia geral, Marmelade générale pour en faire l’hymne des Tropicalistas, le graphiste et écrivain influencé par le Pop Art Rogério Duarte, le performer et créateur d’installations Helio Oiticica. Ensembles, ils initient un mouvement artistique foutraque dont la naissance coïncide avec la vague de la contre-culture, la dictature, puis l’exil.


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Itapoa Baroque Casa Carlos Bastos Il est des lieux qui inspirent la joie, la casa Carlos Bastos appartient à cette catégorie rare où l’émotion est franche, immédiate et sans détour. C’est un pavillon de plage bordé de cocotiers élancés qui ondulent sous la brise de mer avec l’océan comme horizon. Située à Itapoa en marge du port de pêche, à quelques kilomètres du centre de Salvador, il appartient à la catégorie des Folies. Téléscopages spatiaux-temporels. Sphinx et obélisques cotoient des Saints chretiens. Des chiens de faience blanche se toisent du haut de leurs colonnes brutalistes. Un monde à la fois savant et vernaculaire, Baroque et Moderne où l’esprit méditerranéen dialogue avec l’art rustique des fermes locales, les fazendas.

Hugo Pratt l’auteur de Corto Maltèse et de Bouche dorée, la magicienne sans âge qui aurait deux cents ans, la sorcière de la Macumba qui dispose de dons divinatoires, la baianne qui déclare “je me conserve bien parce que je vis toujours entourée de gens heureux”, habite à Itapoa. Stratège remarquable, elle contrôle la Compagnie Financière Atlantique, fomente des conspirations politiques et fait parvenir armes et argent aux noirs et indiens du Brésil.


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Carybé Né en 1911 en Argentine, Hector Julio Paride Bernabo dit Carybé était peintre, graveur, dessinateur, illustrateur, potier, sculpteur, peintre mural, chercheur, historien et journaliste. Il s’installe à Salvador en 1950. C’est un étranger qui est tombé amoureux de la culture Afro-Brésilienne. Il a illustré les livres de Jorge Amado et Pierre Verger ainsi que Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez. Comme Verger, il est Oba de Shangô. Il s’est éteint à Salvador en 1997.


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Linha Z & Chaise longue / Bois lamellé métal cuir 1950 Tabourets Organic Modern / Cypré métal cuir 1950 Namoradeira / Tête à tête Rocker 1965

Jose Zanine Caldas (1919-2001) est un architecte bahianais polyvalent. Il deviendra rapidement un professeur d’architecture et d’urbanisme à l’Université de Sao Paulo et dirige un atelier de maquette architecturale où il créa des prototypes pour Lucio Costa et Oscar Niemeyer. Constructeur, menuisier, sculpteur, designer, Caldas embrasse toutes les disciplines. Le bois, source d’énergie, est au cœur de ses réflexions. L’œuvre de Caldas est aussi une plongée

dans la mémoire et l’identité brésilienne. Sa foi dans la Nature, le conduit à penser que l’utilisation du bois serait à même de résoudre la pénurie d’habitation. De 1950 à 1953, associé à Sebastiao Pentes, il crée la Fabrica de Movies Z, la Fabrique de meubles Z, où ils explorent les possibilités offertes par le contreplaqué et l’aggloméré. Il utilise des bois natifs comme le pequi, l’acajou et le vinhatico. Les conditions industrielles sont considérées comme précaires.


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Jose Zanine Caldas

Conscient que les ressources matérielles doivent être utilisées avec retenu, il crée le Centre pour le développement des applications du bois qui lui vaut une reconnaissance internationale. Son approche environnementale, soucieuse des raisons écologiques, le dirige vers des habitations “tout bois” en prise avec le territoire et en harmonie avec le paysage. Technique et esthétique, utilité et beauté, fusionnent avec la création de meubles massifs où la configuration de la

souche, du tronc, de morceaux de bois récupérés, détermine la forme. Caldas aime à travailler avec des outils rudimentaires, ceux de la tradition artisanale. Il accepte l’accident, le brut, l’exécution du temps long. Il aime créer des pièces uniques comme moyen atteindre l’universalité. Il pratique un design sculptural et organique. Toutefois touché par l’Utopie moderniste, il participera à l’aventure de Brasilia avec Oscar Niemeyer mais se détachera rapidement du Fonctionnalisme.


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Nova Viรงosa 1978 Maisons de plage banc coffre fauteuils


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Masques Afro-Brésiliens Renato da Silveira

Bruxa fashion La sorcière branchée

Baba Mambo Djambo Père Mambo Djambo

Guerreiro gueiro Guerrier Gue Gue

Eshu vai rolar, o senhor da improvisaçao Eshu ça roule, le maître de l’improvisation

O satânico doutor Yes Le satanique docteur Oui

Oba Nbokolo, bispo do rasario Oba Nbokolo, l’évêque du chapelet


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Né à Salvador en 1944, Renato da Silveira est docteur en anthropologie, sa thèse (1986) dirigée par Marc Augé s’intitule La force et la douceur de la force. Il est aussi graphiste, professeur de communication et invente des créatures, des représentations contemporaines des Saints du Candomblé ou des figures populaires de Salvador. Pour réaliser ces masques hybrides, ces images fantasmatiques, l’artiste pratique le collage numérique en quatre bandes horizontales (front, yeux, nez, bouche).

Anjo banjo Ange mélancolique

Anfrisia, a diaba light Anfrisia, la diablesse light

A torre de Madame Babel La tour de Madame Babel

Nelson o espectro timido Nelson le spectre timide

Oxumaré Omô a fofinha Oxumaré Omô la mignonne

Conan o civilisado Conan le civilisé


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Sebastiao Salgado Sebastiao Salgado est né en 1944 à Aimorés dans l’Etat du Minas Gerais. Il obtient une maîtrise d’économie et d’économétrie à l’université de Sao Paulo. Militant, en 1969, il doit s’exiler et part pour Paris où il prépare un doctorat d’économie agricole. De 1971 à 1973, il travaille à Londres pour l’Organisation internationale du café. Mais il doit s’avouer que faire des images lui donnaient beaucoup plus de plaisir que d’écrire des rapports économiques. A partir de 1973, en autodidacte, il se dédie à la photographie et intègre de prestigieuses agences photographiques comme Sygma, Gamma et Magnum. Salgado choisit toujours luimême ses projets et travaille en argentique noir et blanc. Il finira par créer une technique hybride argentique-nu-

mérique originale lui permettant de rajouter du grain argentique à ses tirages. Sa sensibilité sociale et humaniste le porte à dresser un constat de la réalité de ceux qui vivent et travaillent dans des conditions difficiles comme en témoigne ses ouvrages Exodes, Gold, Genesis. Une solide conscience sociale doublée d’une conscience environnementale en acte. Avec sa femma Lélia, ils créent en 1998 une ONG Instituto Terra qui leur permettra de reboiser 700 hectares de terres épuisées par des années d’exploitation en plantant quatre millions d’arbres dans le domaine familial de Bulcao que son père avait dû déboiser pour financer les études de son fils. Juste retour des choses. Il a reçu de nombreux prix et depuis 2016, il est membre de l’Académie des Beaux-Arts de Paris.


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Publications Exodes / 2000 Genesis / 2013 Gold / 2019

Calendrier-carte de l’opÊration de reboisement.


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Trancoso Trancoso est ancien village de pêcheur devenu lieu prisé de villégiature. Il est situé à Bahia près de Porto Seguro où, en 1500, le Brésil fut découvert par une flotte commandée par le navigateur portugais Pedro Alvares Cabral. Cette terre fut nommée Ilha de Vera Cruz, Ile de la Vraie Croix. Le Brésil est une île, isolée dans l’Atlantique Sud. Cette région comme toute la zone cotière est le domaine des indiens Tupi et de la mata Atlântica, la forêt originelle. Le cœur historique de Trancoso est perché en haut d’un promontoire, d’où il domine la mangrove et la plage qui ensembles forment le rivage, la zone tampon entre la terre et l’océan. Le Quadrado, le Carré, est une place publique en terre couverte d’herbe où paissent des animaux et où, en fin de journée, jouent des footballeurs. De part et d’autre de la place, deux rangées de maisons mi-

toyennes à un seul niveau et aux couleurs vives et variées se font face. Au fond de la perspective la chapelle du village, d’un blanc virginal, la maison de Dieu et de la communauté. La quatrième face plus informelle sert d’accès où se pressent les commerces. Ce dispositif urbain qui exclu la circulation automobile puise son dessin dans les archétypes fondamentaux des cités antiques de la Méditerranée. Arpenter ce lieu, agrémenté de l’ombre colorée des bougainvilliers, c’est entrer en relation avec l’histoire de l’humanité dans ce qu’elle a à la fois de plus intime et de plus sacré.


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Q


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Quadrado & Rivage


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Trancoso Street Art H. Lucatelli


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Wabi Sabi Située à Trancoso, Wabi Sabi, la demeure de la famille Coudert, est une réalisation de l’agence locale d’architecture Vida de Vila dont le maître mot est recyclage (remodelage d’une maison existante, matériaux de récupération) et l’esthétique ainsi que la spatialité d’inspiration japonaises : engawa, shojis, micro-jardins, larges toits, volumes primaires. Les matériaux utilisés bruts seront patinés par le temps : bois, terre crue et cuite. Dépouillement, sobriété et patine. Il règne dans cette maison une atmosphère à la fois tropicale et orientale.


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Anthropophagie Zombie Suely Rolnik Suely Rolnik est une psychothérapeute et critique d’art. Proche de Félix Guattari avec qui elle écrit en 2007, Micropolitiques. Elle publie en 2011 Anthropophagie Zombie dont voici un extrait :

“Si nous concentrons maintenant notre regard micropolitique sur le Brésil, nous découvrirons une caractéristique encore plus spécifique dans le processus d'installation du néolibéralisme, et de son clonage des mouvements des années 1960-70. Au Brésil, ces mouvements avaient une particularité, en raison de la réactivation d'une certaine tradition culturelle du pays, connue sous le nom d'anthropophagie. Certaines des carac-

téristiques de cette tradition sont : l'absence d'une identification absolue et stable à un répertoire particulier et l'inexistence de toute obéissance aveugle aux règles établies, générant une plasticité dans les contours de la subjectivité (au lieu des identités); une ouverture à l'incorporation de nouveaux univers, accompagnée d'une liberté d'hybridation (au lieu d'une valeur de vérité assignée à un répertoire particulier); une agilité d'expérimentation et d'improvisation pour créer des territoires et leurs cartographies respectives (au lieu de territoires fixes autorisés par des langues stables et prédéterminées) - le tout réalisé avec grâce, joie et spontanéité.”


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Beam Drop / Chris Burden 2009 Jardin de Narcisse / Yayoi Kusama 1966 L’oeuf brisé / Ingo Maurer 2013

Institut Inhotim

Un centre d’art contemporain et un jardin botanique dans un site de 1000 hectares situé à Brumadinho (Minas Gerais). Galerie tropicale ou musée-jardin, considéré comme le plus grand à ciel ouvert au monde. Le projet de Bernardo Paz, qui a ouvert ses portes au public en 2006, est une collection de projets paysagers inspirée par les travaux de Roberto Burle Marx qui rassemble mille variétés de plantes : palmiers, orchidées, cactus, nénuphars géants. C’est aussi une galerie d’art in situ avec des œuvres de Hélio Oiticica, Dan Graham, Yayoi Kusama, Giuseppe Penone, Chris Burden, Olafur Eliason. Fusion démesurée d’un jardin botanique et de l’art.


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RB 12 / Rio de Janeiro 2015


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Triptyque Architecture Créée en 2000 par Grégory Bousquet, Carolina Bueno, Guillaume Sibaud et Olivier Raffaelli, quatre diplômés de l’ENSALS, dans un premier temps à Sao Paulo et en 2008 à Paris, Triptyque Architecture explore les outils de l’architecture contemporaine durable. Le Mouvement Tropicalis universalis est une collection d’expressions et de pratiques manifestes d’une nouvelle sensibilité. Il émerge dans les métropoles situées entre les tropiques du Cancer et du Capricorne comme une nouvelle condition urbaine qui embrasse l’intensité de la vie. Pour Triptyque Architecture, la tropicalisation peut : contester l'abîme artificiel des villes contemporaines; fournir une expérience humaine par rapport à l'observation du paysage; favoriser les systèmes entropiques, les matériaux de

corruption; montrer le passage du temps et le vieillissement; favoriser l'exubérant et l'immoral; ne pas avoir peur de l'hybride ou du maladroit; adopter l'étude de l'ignorance durable en tant que moyen créatif et la limite de la connaissance, ou l'absence de celle-ci, en tant que facette à étudier; préférer le sauvage à la technologie; oublier le verdict pour être bon ou mauvais goût; privilégier l'expérimentation et l'improvisation; considérer chaque projet comme un être vivant; concevoir des projets qui sont plus créatures que la création; attribuer une certaine autonomie aux projets, afin qu'ils soient étrangers à leurs concepteurs, pour qu'ils puissent s'échapper. Elle reprend la notion de cannibalisme culturel du Manifeste anthropophage de Oswald de Andrade.


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Urban Forest / Sao Paulo 2020 En association avec Amata


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Colombia / Sao Paulo 2007

Associé avec la société de boisement Amata, Triptyque Architecture propose, pour 2020 à Sao Paulo, le projet Urban Forest, premier bâtiment de treize étages réalisé en bois au Brésil. Programme mixte, espaces de co-working, de co-living, magasins et restaurants. Un prototype de démonstration des performances structurelles, mécaniques, acoustiques et thermiques, de la résistance au feu du bois. Avec Colombia, un bâtiment de bureaux réalisé en 2007 à Sao Paulo, Triptyque aborde une question essentielle en situation tropicale, le brise-soleil, et propose une membrane en bois, organique et fluide. Tropical Tower s’inscrit dans un master plan organisé autour d’un parc universitaire de Sao Paulo, c’est l’une des quatre tours programmées, haute de 45 étages, elle comprend des lofts et hôtels. Végétations, serres, terrasses, brise-soleil sont les arguments principaux de ce projet actuellement en cours.

Tropical Tower / Sao Paulo 2019


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Fidalga / Sao Paulo 2010

Tempo / Trancoso 2017


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Fidalga est un projet de 2010 réalisé à Sao Paulo pour le promoteur Idea Zarvos qui s’inscrit dans une recherche de stratégie pour le tissu urbain pauliste marqué par le chaos et la discontinuité. Le corps du bâtiment est fragmenté en trois parties dont la centrale accueille les circulations verticales et horizontales. Un retrait permet de restituer une place à l’espace urbain. Ce sont des appartements-maison avec accès individuel, un lot par niveau, plateau libre, duplex, patio-terrasse. Tempo, réalisé en 2017, est un ensemble de neuf pavillons de villégiature situé à Trancoso.

Harmonia, une résidence d’artiste qui articule deux bâtiments autour d’une place-terrasse, est située à Sao Paulo dans un terrain régulièrement inondé. Réalisée en 2008, elle met en scène le système hydrique avec des élements lowtech : tubes de plomberie, réservoirs, diffuseurs. Conçu comme un organisme vivant, elle questionne la construction comme un objet fini donnant à voir les phases de son évolution. Les parois sont percées de pores qui abritent des pousses végétales dont l’esthétique évolutive provoquera, au fil du temps, des moisissures et coulures.

Résidence d’artistes Harmonia / Sao Paulo 2008


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Collection Inconfortable / 1989 Fauteuil Favela / 1991. Edition Edra 2003 Fauteuil Corallo / Edition Edra 2004 Sushi IV / Edition Edra 2002 Panda Banquette Chair / 2002 Chaises Transplastics / 2006


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Frères Campana

Humberto est né à Sao Paulo en 1953 et a étudié l’architecture. Fernando est né à Sao Paulo en 1961 et a étudié le droit. En 1983, Humberto sollicite l’aide de son frère pour réaliser des meubles. Ils ne se quitteront plus et seront connus sous le nom des Frères Campana. Leur première collection, qui date de 1989, s’intitule Inconfortable, des chaises lourdes, peu fonctionnelles. Ils pratiquent le détournement de produits artisanaux, le recyclage (bois, tissus, papiers, peluches, plastiques) et la transgression des canons de l’esthétique. En 2002, tout en continuant à concevoir des objets produits en série, le studio, un atelier laboratoire, crée

une marque de pièces uniques faites main diffusée par des galeries internationales. Les Frères Campana, c’est un marque qui travaille pour d’autres marques comme entre autres, Alessi, Edra, Lacoste, Bernardaud, Artecnica, Louis Vuitton, Baccarat, Artemide. Ils sont aisément qualifiés de Baroque, à la limite du Kitsch et du Régionalisme, mais en réalité ils sont plutôt éclectiques tant leur travail est marqué par le primat du matériau, dont ils expérimentent toutes les variétés (fer, bambou, verre, cuir, rafia, plastiques, liège, osier, caoutchouc). Tel des alchimistes ils cherchent à transformer des matériaux pauvres ou modestes en objets opulents.


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Lit Cabana Sofa de NoĂŠ en aluminium / Exposition Hybridisme Fauteuil Sushi / Edition Edra 2002


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La culture du Brésil est leur première source d’inspiration : diversité des influences, mixité sociale, économie de moyens, artisanat, improvisation et hommage au chaos. Le fauteuil Favela est réalisé en tasseaux récupérés de bois de pin ou de teck collés et fabriqué en petite série de façon artisanale. Récupération des chutes, surplus et déchets. Un design d’urgence, spontané. Si le design de meubles et autres objets a été leur premier domaine d’activité, celuici s’étend aujourd’hui à l’architecture d’intérieur, la scénographie, l’évènementiel, la mode, le paysage, la sculpture. En 2013, une exposition leur est dédiée au musée des Arts Décoratifs de Paris, ils l’intitule Barroco Rococo, parfaite définition pour ce duo anticonformiste. D’autres les identifient au Design Povera comme il y a un Arte Povera ou encore un Design à la Duchamp dans l’esprit Ready-made.

Chemise Jacaré / Lacoste

Nuven, Nuage / Edition Alessi Fauteuil Vermelha Edition Edra 1993-98 500m de corde nautique sur une structure d’acier inoxydable


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New Hotel / Athènes Grèce 2011 Bamboo Pavillion / 2015


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Installation au Superstudio Piu / Milan 2010 Café Campana / Musée d’Orsay Paris 2011 Firma Casa / Sao Paulo 2012 En association avec SuperLimao Studio


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Collection Cangaรงo Edition Casa, 2015. Maitre artisan du cuir / Espedito Seleiro.


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Lampiao & Maria Bonita sa compagne 1920

Cangaçeiros Entre le dernier quart du XIXe siècle et le début des années 40, le Cangaço est le mode de vie des bandes de paysansbandits de la région désertique et très pauvre de l’intérieur du Nordeste du Brésil nommée Sertao, la brousse. Le mot canga désigne le harnais et le joug que l’on met aux bœufs pour les travaux des champs. Les bandits, qui sont bardés d’harnachement, rappelent l’attirail des bêtes de somme, on dit qu’ils portent le cangaço. Peu à peu le mot a désigné à la fois le champ d’action et l’activité des bandes. Cangaço peut se traduire par maquis, prendre le cangaço, c’est prendre le maquis. A l’origine, ce sont des mercenaires, qui dans un contexte féodal, vivent de contrats, agissent au bé-

néfice des pouvoirs locaux, pour agrandir les possessions territoriales, récupérer du bétail volé, punir les violations des codes d’honneur. Au tournant du XXe siècle, ils deviennent indépendants et agissent pour leur propre compte, vivent dans le maquis en petites bandes nomades et pratiquent des actes de brigandages. Jusqu’en 1940, les Cangaceiros sont les véritables maîtres du Sertao. Ils sont révoltés contre les conditions de vie qui leur sont imposées tant par la société que par la nature. Le Cangaceiro est un hors la loi, un persécuté, mais aussi c’est un héros populaire, un noble bandit, un justicier. Virgulino Ferreira da Silva, dit Lampiao, Lampion, est considéré comme le Roi du Sertao.


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Epilogue

L’histoire du Brésil est liée au bois et à la forêt, à des plantes comme la canne à sucre, le café, l’hévéa et aujourd’hui le soja, qui firent et défirent l’économie du pays. La déforestation modifie les climats et les microclimats. La destruction de la fertilité des sols et la disparition de la faune entrainent un processus de désertification irréversible. La Terre avec ses 21% d’oxygène est la condition de la vie, en tout cas telle que nous la connaissons, et l’activité des plantes la maintient. La culture brésilienne et notamment sa part artistique s’articule fondamentalement autour de la question du rapport à la nature, autour de la


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question du milieu tropical avec la flore, la faune et la population humaine comme le montrent les travaux littéraires et sociologiques de Euclides da Cunha ou les créations d’un grand artiste comme Roberto Burle Marx. La forte présence de la nature dans la définition des composantes de la culture est l’originalité du Brésil. En Europe la Modernité a pris forme d’une table rase dans une période de reconstruction post-guerre, au Brésil elle a permis de s’interroger sur l’identité du pays, sur la valeur des modes de vie, propres aux diverses régions de ce pays continent, intégrées aux rythmes naturels. La Mo-

dernité brésilienne inaugurée dans les années 20 et qui a éclos dans les années 60 a ouvert la voie à une prodigieuse créativité dans tous les domaines et sous les hospices d’une transdisciplinarité qui a bousculé les catégories académiques. Cet éditorial présente la rencontre devenue passion d’un Boomer européen avec un monde autre, une Europe Antarctique, et comme le dit si justement Suely Rolnik, “ouvert à l’incorporation, à l’hybridation, à l’expérimentation et le tout dans la joie”. Fusion tropicale vise à travers un témoignage autobiographique à montrer une voie pour le XXIe siècle.


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Bibliographie Jorge Amado Le pays du carnaval, Gallimard 1931 Cacao, Stock 1933 Suor, Gallimard 1934 Bahia de tous les Saints, Gallimard 1935

Burle Marx - Jardins lyriques / Marta Iris Montero, Actes Sud 2001

Tristes tropiques / Claude Lévi-Strauss, Plon 1955

Lygia Clark - L’enveloppe. La fin de la modernité et le désir de contact / Sylvie Coëllier, L’Harmattan 2003

Sous le signe du Capricorne - Corto Maltese / Hugo Pratt, Publicness 1971 Dans les jardins de Roberto Burle Marx / sld Jacques Leenhardt, Crestet Centre d’Art Actes sud 1994 Les courbes du temps-Mémoires / Oscar Niemeyer, Gallimard 1999 Rouge Brésil / Jean-Cristophe Rufin, Gallimard 2001

Pop tropicale et Révolution / Caetano Veloso, Le serpent à plumes 2003

Lygia Clark / De l’œuvre à l’évènement, Musée des Beaux-Arts de Nantes 2005 Roberto Burle Marx, La modernité du paysage / sld Lauro Cavalcanti, Fares elDahdah, Francis Rambert, Actar / Cité de l’architecture & du Patrimoine 2011 Manifeste Anthropophage / Anthropophagie Zombie, Oswald de Andrade / Suely Rolnik, BlackJack éditions 2011


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Fusion Tropicale

© Claude Lévy-Strauss © Pierre Verger © Lucio Costa © Oscar Niemeyer © Roberto Burle Marx © Oswald de Andrade © Décio Pignatari © Augusto de Campos © Lina Bo Bardi © Waldemar Cordeiro © Lygia Clark © Lygia Pape © Joao Gilberto © Glauber Rocha © Helio Oiticica

Editoriaux / Atelier Marc Vaye

© Tropicalia © Hugo Pratt © Carybé © Renato da Silveira © Jose Zanine Caldas © Charlotte Perriand © Sebastiao Salgado © Vida de Vila © H. Lucatelli © Suely Rolnik © Inhotim Institute © Triptyque Architecture © Frères Campana © Wikipedia © Marc Vaye

Printemps 2020


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