CAHIRE DES TERRITOIRES 7

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Cahierdes territoires PUBLICATION DU PREDAT MIDI-PYRÉNÉES

#7 / Janvier 2011 / Séminaire du 04 juin 2010

Villes et universités le rayonnement universitaire dans la ville


Sommaire / #7 - Janvier 2011 / Séminaire du 04.06.10 > A t el i er 1

> A t e li er 2

> At e l i e r 3

L’UNIVERSITÉ, UN OUTIL D’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE MÉTROPOLITAIN

LES ÉTUDIANTS, LA VILLE, ”LEUR VILLE” ?

ORGANISATION ET VIE D’UN SITE UNIVERSITAIRE : VERS UN MODÈLE DE CAMPUS À LA FRANÇAISE ?

05 / Territorialisation des activités universitaires Christelle MANIFET 10 / Lisibilité, synergie entre activités de formation, de recherche et industrielles Marie-France BARTHET 14 / Un centre universitaire dans une ville moyenne François TAULELLE et Benoît LACROUX 18 / Réactions de la salle...

21 / Eléments de comparaison internationale des sociabilités et des modes de vie étudiants Séverine CARRAUSSE 25 / Être étudiant à Toulouse Chamseddine NAïB 28 / Etudier à Albi... Emilie NICOULES 30 / Le lien “ville-université” dans le Grand Toulouse Daniel POULOU 34 / Réactions de la salle...

37 / Les nouveaux enjeux des campus universitaires français Jean-Noël LARRÉ 41 / La forme urbaine du campus de Rangueil Christophe SONNENDRUCKER 45 / Le projet urbain du campus du Mirail Nicolas GOLOVTCHENKO 5 0 / Réactions de la salle...


L’université en France cherche à faire évoluer son image parfois dévalorisée et sa visibilité dans un système d’études supérieures national et international. Dans le même temps, les tensions et les luttes qui peuvent encore découler du fait de posséder et de renforcer cet attribut majeur de vitalité urbaine démontrent tous les jours l’actualité du rapport entre une ville et son université. Si l’université en France ne peut pas se reconstruire sur les modèles du Campus à l’anglo saxonne, les réflexions en cours tendent à montrer que tous, collectivités comme milieu universitaire, ont pris conscience de l’impérieuse nécessité à réfléchir de nouveau et de façon concrète les modes de faire et de vivre , dans une perspective d’attractivité allant au delà des territoires nationaux et européens. Comment alors s’inscrit le rayonnement universitaire dans la ville de demain ? Comment la ville prend en compte l’organisation des savoirs, la vie étudiante, les flux et les usages qui sont liés ?

Problématique de la journée

Introduction

La fin d'une époque... Nicolas GOLOVTCHENKO / Vice-président délégué au patrimoine immobilier, Université Toulouse-Le-Mirail L’université de Toulouse le Mirail est heureuse d’accueillir ce séminaire du PREDAT Midi-Pyrénées, lequel manifeste d'une part, la capacité de l'université à s'inscrire dans une relation de service à l'égard de la société civile, et d'autre part, l'intérêt de cette même société civile, ou en tout les cas de certaines de ces entités pour cette université.

plus souvent ces derniers souhaitent intégrer les pôles universitaires dans le champ de leurs politiques publiques ; ou tout au moins s’inscrivent dans leurs préoccupations. De leur côté, les universités répondent parfois à cette demande politique et sociale, confirmant un rapprochement de vues bipartites.

En revoyant le thème de ce séminaire, je me suis aperçu que la région Midi-Pyrénées allait être le théâtre en ce mois de juin de pas moins de trois journées de travail consacrées à cette question des relations « territoires et universités ». C’est dire, si le thème intéresse aujourd’hui de nombreuses personnes, ici et ailleurs. Mais à quoi tient cet intérêt ? Nous pouvons formuler un certain nombre d'hypothèses.

L’autre élément qui marque l'intérêt croissant des autorités publiques territoriales pour l'université, réside dans l'avènement de la fameuse société de la connaissance. A l’aune de cette révolution, il est clair qu’il serait malvenu de faire comme si les universités n'existaient pas et ne jouaient aucun rôle en la matière. Nous assistons donc à une ré-articulation du local et du global, provoquant un nouveau regard des territoires à l’égard de l'université ; celle-ci devient clairement un élément urbain significatif, participant d’un effet de levier pour la transformation des territoires. La problématique de l'université de Toulouse le Mirail est particulièrement saillante en l’état puisqu’il semble que les destins à la fois, de l'université, de la ville de Toulouse et de son agglomération sont intimement liés. Ainsi la revitalisation de cette université n'aura de sens que si le territoire au sein duquel elle a pris place, il y a une quarantaine d'années, se trouvera en capacité de connaître luimême un processus de revitalisation.

La première repose sur la « fin d'une époque » et plus exactement sur la fin d'une certaine conception de l'université en tant que « territoire hors du territoire ». A distance, ce caractère d’extra-territorialité est en train de s'effriter face à l'intérêt que porte le local - les territoires locaux - à une institution qui est longtemps apparue comme une entité « pilotée, gouvernée ailleurs ». Ainsi lorsqu'on était à Toulouse, il était fréquent de penser que « tout se décidait à Paris » ! Désormais, accompagnant le mouvement de décentralisation, les universités trouvent un nouvel intérêt aux yeux des territoires locaux et de plus en

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Atelier 1 .

L’UNIVERSITÉ, UN OUTIL D’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE MÉTROPOLITAIN

Problématique de l’atelier

A l’heure où les campus doivent rivaliser au niveau mondial, la politique de l’Etat ne semble plus au redéploiement de sites sur les villes moyennes mais au renforcement des grands pôles universitaires. Comment ces évolutions influent-elles aujourd’hui sur l’espace régional, où de nombreux pôles secondaires se sont installés dans les deux dernières décennies pour aujourd’hui se recentrer sur l’agglomération toulousaine ? Le lien entre enseignement, recherche et pôles d’activités est de plus en plus mis en évidence comme moteur d’un dynamisme territorial . Les pôles de compétitivité -AgriMip Innovation / Aerospace Valley/ Cancer BioSanté - dans la métropole toulousaine en est l’illustration. En quoi ces logiques de réseaux d’acteurs recomposent l’organisation des savoirs et leurs lieux d’implantation ?


1.1.Territorialisation des activités universitaires Christelle MANIFET / Maître de conférence, Université Toulouse-Le-Mirail, CERTOP

Christelle MANIFET est membre du laboratoire Certop (Centre d’étude et de recherche sur le Travail, les Organisations et le Pouvoir), une UMR associée à l’Université Toulouse-Le-Mirail et au CNRS. Elle étudie les dynamiques de la gouvernance territoriale contemporaine à partir de travaux initiaux sur le développement universitaire des villes moyennes françaises et d’autres, dans les années 2000, sur les politiques d'aménagement du territoire universitaire, notamment la mise en oeuvre des PRES (pôle de recherche et d’enseigne-ment supérieur)1. Elle s’intéresse également aux évolutions managériales des politiques d’enseigne-ment supérieur et de recherche et du service public universitaire.

La question « ville et université » et/ou « université et territoire » est embarrassante pour le chercheur2. Ces expressions devenues communes dans le champ de l’action publique territoriale ne sont pas des objets scientifiques directement accessibles. Elles peuvent recouvrir des réalités variées et poser des problèmes de définition. Leur pertinence peut faire polémique. L’université est dite a-territoriale, ce qui est à la fois faux et vrai. Ces entités « université » et « territoire » n’ont de cohérence et d’existence que par les relations en partie spatialisées d’acteurs marqués par leur homogénéité ou, au contraire, leur hétérogénéité. Les universitaires qui travaillent à l’université vivent dans la ville où celle-ci est localisée ou non et vivent et traversent les territoires. Les étudiants viennent de la région, d’une région limitrophe ou d’ailleurs en France ou de l’étranger. Les campus ne peuvent être alimentés qu’en appui du système urbain, régional, national et international, que ce soit en matière de transports, de logements, d’eau, de réseaux de télécommunications ou encore de services. Les interdépendances avec l’environnement sont évidentes. A-territoriale toutefois, car l’université n’a pas vocation première à construire des territoires et des frontières. Ces questions de « ville et université » et/ou d’« université et territoire » doivent alors être comprises dans leur dimension politique. Elles se conçoivent ainsi et en premier lieu à partir des ambitions politiques qu’elles recouvrent : • de développement et d’attractivité des villes, des régions ; • d’aménagement des territoires ; • d’innovation technologique et de création d’emploi ; • de dynamisme urbain, culturel et social… Les universités, en tant qu’entités collectives, ont des relations évidentes et spontanées avec les villes et les territoires mais le thème « université et territoire » fait davantage

appel à des relations volontaires, construites et stratégiques. On espère que les universités, les universitaires et les étudiants animent la vie urbaine et locale au-delà des consommations de première nécessité et/ou qu’ils participent au renouvellement urbain. On projette que se construisent des synergies formation-emploi et recherche-innovation technologique en appui des formations et des laboratoires. On attend que les activités universitaires et, en leur sein, les activités scientifiques assurent la visibilité et l’attractivité des territoires, qu’elles projettent des images positives à l’extérieur. Dès lors, les liens « Ville-université » et/ou « université et territoire » ne sont jamais établis une fois pour toutes mais constituent des processus politiques toujours problématiques, dédiés d’un côté à la localisation de ressources universitaires, et de l’autre à la construction de transversalités, d’échanges et d’hybridation à partir d’elles-mêmes mais aussi avec d’autres composantes des villes et des régions. La multiplication et l’emboîtement des échelles de décision et d’action publique, la multiplication, l’autonomisation et la responsabilisation des établissements publics autant que la généralisation de l’accès aux études universitaires, la diversification des attentes d’études, la complexification et l’imprévisibilité des pratiques sociales... mettent les acteurs engagés dans les politiques territoriales de l’enseignement supérieur et de la recherche à l’épreuve d’une science de l’action territoriale. Dans ces conditions, comment mettre en place une politique d’enseignement supérieur et de recherche à visée territoriale? Sous quelle gouvernance et quelle organisation? Sur quelles missions ? Avec qui et à quelles conditions ? Comment travailler dans des contextes d’hétérogénéité de pratiques, de logiques et d’intérêts ?

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Il est impossible de répondre de manière satisfaisante et définitive à ces questions pourtant cruciales pour les acteurs impliqués dans la gouvernance des villes et des territoires. Il est cependant possible de chercher à mieux comprendre ces processus de territorialisation universitaire si l’on tient compte des dynamiques qui les animent, ce qui est l’objet de cette intervention. En premier lieu, la territorialisation universitaire n’est pas sans lien avec la territorialisation de l’action publique et plus largement avec une variation des échelles de gouvernance3. Deuxièmement, la territorialisation rend compte de dynamiques sociales spatialisées qui ne sont qu’en partie des effets de l’offre politique et qui construisent de la différenciation et des sentiers de dépendance en même temps que des possibles. Enfin, la territorialisation prend toujours des formes opératoires à la fois comparables entre elles et singulières, comme l’illustre la politique de constitution des PRES.

TERRITORIALISATION ET VARIATION DES ÉCHELLES DE GOUVERNANCE Le replacement du lien « université / territoire » dans l’histoire des politiques publiques d’enseignement supérieur et de recherche permet de mieux saisir les enjeux qu’il recouvre. Dans les années 1980 déjà, la question du soutien à la recherche universitaire questionnait l’émergence de systèmes productifs locaux. Les préoccupations territoriales rattachées à l’enseignement supérieur et à la recherche sont une constante. Mais, ce sont les politiques des années 1990 qui ont fait du territoire, pas seulement un objectif mais, un mode de production et d’organisation de l’action publique. On peut dire qu’elles ont créé une rupture dans les modes de production de l’action publique universitaire. La croissance des effectifs étudiants dans les années 1980 ainsi que l’insuffisance et la dégradation des équipements et services universitaires vont conduire le gouvernement Rocard et son ministre de l’Éducation nationale et de l’enseignement supérieur, Lionel Jospin, à faire de l’enseignement supérieur une priorité nationale. Face à l’ampleur des besoins, le ministre va entamer des démarches de rapprochement avec les régions dès 1989 dans le cadre du schéma post-baccalauréat et finalement les solliciter officiellement dans le cadre du lancement du programme Université 2000 (U2000). Fortes de cette invitation et au regard de l’intérêt qu’elles portent à ce secteur, les collectivités territoriales, les régions mais aussi les départements et les villes vont s’impliquer de manière inattendue dans ce programme. Le Plan U2000 marque ainsi une vraie rupture dans les modes de planification et de programmation universitaire. D’une part, il repose sur de nouvelles règles du jeu territorial que l’on peut résumer par le vocable de « méthodes contractuelles »4. D’autre part, après ce programme, plus rien ne sera comme avant. Les règles du jeu instaurées avec lui seront reconduites et perfectionnées dans le cadre de l’élaboration des schémas régionaux en 1995 et du Plan Université du troisième millénaire (U3M) en 1999. L’État reste porteur de grands

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projets d'aménagement mais prend un rôle d’animateur et de régulateur de l'action collective. Le rôle des universités et des collectivités locales s’affirme. Les établissements deviennent les porte-parole pertinents des milieux universitaires régionaux en même temps qu’ils sont mis en situation de face-àface avec les collectivités pour la programmation de leurs projets. Les relations entre élus et universitaires s’accentuent et se transforment: de liens inter-individuels plutôt informels, on passe à des relations plus institutionnelles entre collectivités territoriales et universités. Ces relations sont aujourd’hui quasi banales et les présidents d’universités comme les porteurs de projet universitaires ne conçoivent pas leurs politiques ni leurs projets sans tenir compte, en amont, de leurs partenaires territoriaux. Il va de soi que cette territorialisation des cadres de production du service public universitaire contribue largement à la territorialisation de ce service, à des raisonnements universitaires comme politiques plus polycentrés qui embrassent des objectifs plus transversaux tant au plan de l’enseignement que de la recherche. Anthony GIDDENS dit que « le lieu est un espace de rencontre multi-sectorielle permettant de résoudre des problèmes de cloisonnement et d'interdépendance »5. Cette citation traduit bien les enjeux de la gouvernance territoriale et les préoccupations qui animent les acteurs publics territoriaux, élus et agents administratifs. Depuis 2000 il est vrai, la variation des échelles de gouvernance trace un portrait de l’action publique universitaire territoriale un peu différent (Loi du 18 avril 2006 d'orientation et de programmation pour la recherche et l'innovation, Loi du 10 août 2007 sur la liberté et la responsabilité des universités, l’Opération Campus de 2008, le grand emprunt lancé en 2010 équivalant pour la recherche à environ 11 milliards d’euros). Un nouveau cycle politique - qu’il conviendra de rationaliser et d’expliquer - est en marche. A travers ces décisions de grande ampleur pour le secteur, l’État aménageur, mis en sommeil depuis l’entrée dans le XXIe siècle, s’est de nouveau manifesté. Il a pu sembler que ces « nouvelles » politiques d’enseignement supérieur et de recherche ne reposaient plus sur les territoires. Si la place donnée par l’État aux collectivités y est réduite –c’est vrai que l’État a, semble t-il, renoncé à co-agir- la création des PRES et des RTRA (Réseaux thématiques de recherche avancée) comme le renforcement de l’autonomie des universités participent à poursuivre autrement le processus de territorialisation engagé dans la décennie 1990. Cette histoire rapidement tracée montre l’importance des cycles politiques dans le rapport que les universités et leurs membres entretiennent avec leur territoire. C’est bien sûr l’Etat qui participe à imposer son rythme à ces histoires régionales et locales même s’il ne faut pas sous-estimer la force structurante des sentiers pris dans les périodes précédentes. Ainsi, les changements de référentiel des politiques nationales n’ont pas interrompu les relations qui se sont sédimentées durant les années 1990 entre les dirigeants des universités et


il s’est passé des choses et où il se passera encore des choses »6 ; « le milieu, c’est un certain nombre d’effets qui sont des effets de masse portant sur tous ceux qui y résident. C’est un élément à l’intérieur duquel se fait un bouclage circulaire des effets et des causes, puisque ce qui est effet d’un côté va devenir cause de l’autre. »7. La perspective historique permet de comprendre ces dynamique de l’« avant » et de l’« après » sans sombrer pour autant dans une vision déterministe ou fataliste. L’offre politique procède d’effets plus ou moins forts de « cliquet » sans pour autant que les implications des décisions passées ou présentes ne puissent être totalement maîtrisées. Les dynamiques de territorialisation s’inscrivent dans le temps - il y a un avant, il y a un après, des sentiers de dépendance en même temps que des cycles politiques- et dans l’espace - il y a des effets de concentration et de densification, de différenciation et d’inégalités, de différenciation et de spécialisation.

> Carte de localisation des sites universitaires. Source : atlas régional du MEN, 2008_09

ceux des collectivités. Ces cycles politiques sont aussi alimentés par une série de facteurs. Les politiques contractuelles des années 1990 ont pu montrer leurs limites en même temps que les priorités et les conceptions de la régulation politique changeaient. Ce sont aussi les problèmes inscrits sur les agendas politiques qui évoluent. En caricaturant quelque peu la réalité, si les décennies 1980 et 1990 étaient marquées par la généralisation de l’accès aux études universitaires et la nécessité de trouver des solutions d’accueil dans les campus et dans les villes, les années 2000 sont plus marquées par l'internationalisation des enjeux universitaires. En conséquence, les frontières nationales qui étaient relativement pertinentes pour comprendre les dynamiques de territorialisation des années 1990, ne le sont plus tant aujourd’hui pour comprendre la nouvelle phase de territorialisation des années 2000.

TERRITORIALISATION ET DYNAMIQUES COLLECTIVES Nous avons insisté précédemment sur la dimension politique de la territorialisation universitaire. Bien sûr, celle-ci dépend plus largement des activités individuelles et collectives des étudiants et de leurs familles, des professionnels de l’université et de leur entourage. L’offre politique participe à façonner ces activités en même temps qu’elle doit « faire avec ». C’est le cœur de la problématique de l’aménagement du territoire qui doit tenir compte du fait que les « lieux », les « territoires » ou encore les « milieux » que l’on cherche à construire sont aussi des milieux déjà là : « un espace où

Les cartes et leur évolution historique sont de ce point de vue très instructives qui donnent à voir, à la fois, des effets des politiques passées et des rencontres entre ces politiques et les pratiques sociales liées. La juxtaposition des cartes des sites universitaires en France à différentes périodes et depuis l’après seconde guerre mondiale8 montre que celles-ci résultent d’interactions complexes entre des décisions politiques et des options de localisation des professionnels des universités comme des étudiants. Ces cartes sont le fruit croisé de décisions politiques (nationales & locales), sectorielles (jeu des disciplines…) et sociales (familles, étudiants). Si à la carte de localisation des sites, régulièrement mise à jour par les services de la Direction de la prospective du Ministère9, est superposée la carte du poids démographique de ces mêmes sites, il apparaît clairement que les choix et les flux de populations et d’étudiants peuvent valider et/ou sanctionner les choix politiques. Logiques d’offre politique et logiques sociales sont distinctes bien qu’interdépendantes. D’autres cartes permettent d’appréhender ces effets de différenciation à l’échelle nationale, qui bien sûr prennent une autre dimension à l’échelle de l’Europe ou à l’échelle des régions. Tout dépend du curseur que l’on prend, des priorités politiques que l’on se donne, de la réalité et de l’intensité des problèmes à traiter. Si l’on poursuit l’observation des cartes et que l’on compare, par exemple, la présence étudiante en région avec la présence des chercheurs (publique et privée)10, on remarque que les dynamiques de territorialisation du supérieur ne sont pas semblables à celles de la recherche. A regarder ces cartes, il apparaît que la différenciation constitue un élément important des processus de territorialisation. Dans le cadre de logiques d’aménagement des territoires, ces différenciations territoriales de l’enseignement supérieur et de la recherche sont souvent perçues comme des inégalités, inégalités d’accès aux études supérieures, inégalités de conditions d’étude, inégalités face au développement

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d’économies régionales et locales de la connaissance… La création des sites universitaires en villes moyennes dans les années 1990 a ainsi ouvert des possibilités aux universités et aux territoires en même temps qu’elle a pu construire de nouvelles centralités et périphéries. Pour autant, la qualification de situations d’inégalité n’est pas aussi simple qu’il y parait et implique de tenir compte de plusieurs critères qui peuvent complexifier, finalement, l’évaluation. Par ailleurs, la territorialisation alimente également un phénomène de spécialisation des sites universitaires et des territoires qui peut paraître de bon augure. Les politiques de territorialisation universitaire ont contribué à la diversification des situations et à la production d’identités universitaires qui ne sont pas sans s’appuyer sur les ressources des territoires en la matière. Ainsi, entend-on parler de l’université de Lyon ou de l’université de Bretagne. Le passage en revue de clichés photographiques de différents sites universitaires permet de percevoir cette « colorisation locale » des universités11.

TERRITORIALISATION ET INSTITUTIONNALISATION DES PREMIERS PÔLES DE RECHERCHE ET D’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR (PRES) La politique de mise en œuvre des PRES peut être considérée comme une forme opératoire de territorialisation universitaire. Il s’agira ici de présenter quelques unes des caractéristiques du «processus d’institutionnalisation»12 des neuf13 premiers pôles constitués14. Au niveau national, les PRES constituent en priorité des dispositifs dédiés à la mutualisation des moyens et au rassemblement sectoriel avant d’être d’éventuels outils d’hybridation inter-sectorielles, par exemple dans le cadre de partenariat recherche-industrie. Ce fût une politique qui eut dans les faits un certain mal à s’installer. Les orientations ministérielles n’étaient pas très précises au départ, ni stabilisées et l’interprétation de la loi15 et du rôle des PRES pouvait varier. Le rôle d’aménagement du territoire des Pres a ainsi pu être explicite dans les premiers textes puis s’estomper. Dans la loi, les PRES sont un moyen pour les établissements de « regrouper tout ou partie de leurs activités et de leurs moyens, notamment en matière de recherche, afin de conduire ensemble des projets communs ». Les missions y sont évoquées avec une insistance sur la recherche, les écoles doctorales et l’international : « la mise en place et la gestion des équipements partagés entre les membres participants au pôle, la coordination des activités des écoles doctorales, la valorisation des activités internationales du pôle et la promotion internationale du pôle ». Dans les projets observés en 2007-08, les priorités sont la visibilité internationale, la coopération Universités-écoles, la mutualisation, la rationalisation et la gestion partagée (écoles doctorales…), la rationalisation du paysage universitaire (fusion ?) et la politique territoriale (Aménagement du territoire, économie de la connaissance,

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> Carte des effectifs des sites universitaires sur le territoire national. Source : atlas régional du MEN, 2008_09

intégration urbaine). De la sorte, si au départ il a pu être question de préoccupations axées sur le développement économique territorial, les projets se sont par la suite resserrés sur des logiques plus strictement sectorielles et se sont centrées sur des enjeux de politiques de site (de recherche et d’enseignement supérieur). A Toulouse, par exemple, il s’agissait du regroupement des universités et des écoles d’ingénieurs. Cette restriction à des priorités sectorielles s’explique par les véritables moteurs de ces regroupements universitaires, à chercher du côté de la concurrence accrue entre les établissements à l'échelle mondiale. En lien à cette pression internationale, on a pu entendre que, cette fois -si l’on tient compte du passif des pôles européens dans les années 1990-, les universités ont été plus promptes à s’engager dans des politiques de site. Poser la question des dynamiques de territorialisation de la politique des PRES revient ensuite à interroger la place des régions et des agglomérations dans leur mise en place. Si les collectivités ont indubitablement été des entrepreneurs importants des politiques conduites dans les années 1990, elles ont eu un rôle plus indirect dans l’installation des PRES. Ce qui ne signifie pas qu’elles n’y voient aucun intérêt. Elles ont pu faire connaître leurs préférences en matière de périmètre territorial des PRES. Mais globalement, les motivations universitaires faisaient corps avec les enjeux des régions et des villes en termes de visibilité internationale des territoires notamment. C’est sans doute une des raisons de leur attitude bienveillante mais à distance. On peut imaginer aussi que Les initiatives passées menées sur ces enjeux du regroupement et leurs effets mitigés ont servi de leçon de prudence aux élus locaux.


En revanche, les présidents d’université ont joué un rôle majeur dans la mise en place des PRES en appui d’un discours performatif destiné à améliorer les places de chacun au niveau international. Ce sont eux les réels entrepreneurs des PRES, notamment grâce à la mobilisation de la CPU. Les organismes de recherche ont eux, été relativement écartés de ces premières étapes de regroupement. Ils ont pu avoir eux-mêmes des positions variées de coopération avec les universités. Un troisième et dernier indicateur de territorialisation est le rôle de coordination que peuvent jouer les PRES, d’abord au plan intra-sectoriel, ensuite au plan inter-sectoriel. Or, sur ce dernier aspect, les pôles, en grande partie fondés sur des préoccupations de visibilité internationale, ont finalement peu traité les problématiques d’aménagement du territoire régional et national. Leur création n’a pas non plus été l’occasion des réflexions sur l’articulation entre politique économique et politique d’enseignement supérieur de recherche, comme peuvent l’être les pôles de compétitivité ou les RTRA. Les plus grandes avancées en matière de coordination ont été du côté des rapprochements entre universités mais aussi entre universités et écoles. Pour conclure sur les dynamiques de territorialisation, nous ne retiendrons que quelques éléments. Premièrement, territorialiser peut se concevoir comme une problématique de pilotage de l’hétérogénéité sociale. La territorialisation des universités donne lieu à des construits composites fait de couches de rationalités distinctes et combinées. L’état, les collectivités, les universités, les acteurs de la vie sociale étudiante, les étudiants et les partenaires économiques n’impriment pas de la même façon les territoires et participent pourtant à construire les territoires universitaires tangibles que l’on connaît aujourd’hui. Il est clair que cette hétérogénéité sociale crée des problèmes de coordination ; en même temps, il n'y a pas d'enjeu de coordination s'il n'y a pas d'hétérogénéité sociale, les deux vont de pair. Toute la difficulté de la gouvernance territoriale est dans sa capacité à favoriser les rencontres sans annihiler les frontières identitaires, sources de plus-value des échanges. Il faut également retenir toute l’importance du temps sédimenté dans ces processus sédimentés de territorialisation : il y a « un avant » et « un après », des sentiers de dépendance (et d’indépendance). Ainsi, pour la politique des PRES, on aurait sans doute pu prévoir grossièrement la façon dont allaient se constituer les PRES et quels allaient être leurs périmètres. C’est vrai que dans les grandes régions, ce sont des PRES métropolitains ou des PRES régionaux. Dans les petites régions, ce sont plutôt des PRES régionaux ou inter régionaux. Il y a toutefois également l’importance des cycles politiques qui ne changent pas fondamentalement les équilibres et les hiérarchies mais qui restent des facteurs de mouvement et d’animation de ces processus de territorialisation universitaire.

> Carte des effectifs des chercheurs publics et privés, 2006. Source : atlas régional du MEN, 2008_09

NOTES 1

Les pôles de recherche et d’enseignement supérieur, créés en 2006 par le Pacte de recherche, permettent aux universités, grandes écoles et organismes de recherche, de mettre en cohérence leurs projets, de mutualiser leurs activités et leurs moyens. En mai 2010, on compte 17 PRES. 2 La réflexion s’axera d’ailleurs plutôt sur le lien « université et territoire » qui n’embrasse pas complètement la problématique « université et ville ». 3 Ce qui en anglais se traduit par le « political rescaling », voir B. Jouve, « Le political rescaling pour théoriser l’État et la compétition territoriale en Europe » in Faure A. et alii.., Action publique et changements d’échelles : les nouvelles focales du politique, Paris : L’harmattan, 2007, p. 45-55. Voir aussi sur ce thème : Faure A. et Négrier E. Les politiques publiques à l’épreuve de l’action locale, Paris : L’Harmattan, 2007. 4 Gaudin J.-P., Gouverner par contrat, Paris : Presses de Sciences po, 1999. 5 Giddens A., La constitution de la société, Paris : Presses universitaires de France, 1987. 6 Foucault M. Sécurité, territoire, population, Paris : Gallimard, 2004, p. 23. 7 Ibid. 8 Filatre D. L’université face à ses territoires, (HDR), Université de Toulouse-Le Mirail, 1998: 425 p. 9 L’état de l’enseignement supérieur et de la recherche et en France, n°3, 2009. Disponible sur : [http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/pid20312/atlasregional-les-effectifs-d-etudiants.html]. 10 Ibid. Disponible sur: [http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid50603/ l-etat-de-l-enseignement-superieur-et-de-la-recherche-n-3-decembre-2009.html]. 11 Voir notamment les clichés réalisés par Pierre Dubois et rassemblés sur son blog. Disponibles sur [http://histoireuniversites.blog.lemonde.fr]. 12 Précision importante si l’on tient compte des échanges qui ont eu lieu lors de ce séminaire. En effet, l’enquête dont il s’agit de rendre compte ici a été menée sur les premiers temps de la mise en œuvre des Pres. Les conclusions apportées qualifient cette étape d’institutionnalisation de ces nouveaux partenariats universitaires mais devraient être révisées s’il s’agissait de qualifier les étapes suivantes, caractérisées plutôt par des enjeux de production d’activités mutualisées. 13 Parmi les neuf PRES constitués, la plupart réunissent des établissements universitaires et des grandes écoles (Paris Est, Universud Paris, Université de Lyon, Université européenne de Bretagne, Université de Bordeaux, Nancy Université, Université de Toulouse). Seuls deux pôles réunissent uniquement des universités (Aix Marseille Université) ou uniquement des grandes écoles (Paris Tech). 14 Aust J., Crespy C., Manifet C., Musselin C., Soldano C. (2008), Rapprocher, intégrer, différencier. Éléments sur la mise en place des PRES, Rapport de recherche, Diact (Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire)- CSO-Sciences Po Paris - CERTOP-Toulouse 2 - Paris XIII, mars, 124 p. 15 Loi du 18 avril 2006 d'orientation et de programmation pour la recherche et l'innovation.

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1.2. Lisibilité, synergie entre activités de formation, de recherche et industrielles Marie-France BARTHET / Directrice du PRES Université de Toulouse

C’est un point de vue praticien que propose Marie-France BARTHET à l’assistance. Initialement professeur d’université dans le domaine de l’informatique, son parcours n’aurait jamais dû la confronter à la question du lien entre « université et territoires ». Pourtant au fil de sa carrière, son parcours professionnel l’a conduit à réfléchir sur cette question : « la première fois c’est lorsque j’ai été nommée DRRT (Délégué Régional à la Recherche et la Technologie). J’ai alors découvert le mot « territoire ». C'est-à-dire que jusqu’ici, en tant que chercheur en informatique, ce mot n’avait strictement aucun sens. Ce qui avait du sens, c’était les « réseaux »».

«Travaillant sur les phénomènes d’interaction « homme-machine », j’avais l’habitude de participer à des réseaux nationaux et internationaux » témoigne Marie-France BARTHET en introduction. Ainsi en dehors des relations avec ses homologues grenoblois, parisiens ou bostoniens, l’intervenante ne collaborait jamais avec « des gens du territoire ». Pour elle un « territoire », était tout simplement un lieu où l’on implantait une université ou un laboratoire, et à l’instar d’une grande partie des membres universitaires, elle vivait sa vie « hors sol - comme la culture des tomates » ajoute-t-elle ! Pourtant par la suite, sa vision du territoire va évoluer. Un poste dédié à l’évaluation nationale des pôles de compétitivité lui a d’abord été confié à la DATAR, puis, alors qu’elle « se trouvait très bien où elle était », la direction du PRES de Toulouse – sa région d’origine - lui a été proposé. C’est à ce titre qu’elle intervient aujourd’hui… avec son regard de praticienne.

ÉTENDRE L’UNIVERSITÉ… Les années 80 ont constitué une période charnière pour les politiques publiques inhérentes à la question universitaire. Comme bien d’autres, l’université toulousaine a alors suivi une phase d’extension territoriale commune aux unités d’enseignement supérieur, liée à l’augmentation conséquente du nombre d’étudiants. A l’évidence, il devenait alors urgent de désengorger les sites universitaires afin de mieux gérer un afflux d’étudiants qui ne pouvait être absorbé en l’état ; c’est d’ailleurs à ce moment là que furent créées les antennes universitaires. « Précisons que le critère de sélection était alors l’enseignement supérieur et non la recherche ». C’est un élément qui a toute son

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importance lorsqu’on sait que l’un des problèmes qui colle encore aux sites dits « secondaires », réside justement dans le fait que le lobbying des élus est parvenu à intégrer la recherche dans cette phase d’extension. Percevant dans cette opportunité une chance de développement unique pour leur territoire, les édiles n’ont pas hésité à « monter à Paris pour avoir leur IUT, leur BTS ou encore leur école d'ingénieur ». Pourtant lorsqu’elle était DRRT (en 1998), Marie-France BARTHET a bien vu que l’une des caractéristiques des sites secondaires n’était autre que la faiblesse du développement de la recherche. En fait la conséquence somme toute normale d’une offre d'enseignement plutôt axé sur le premier cycle. « En opérant de la sorte, on finit par concevoir des ensembles universitaires très hétérogènes, proposant un peu de droit, un peu de langues, un peu d'informatique… bref un peu de tout » ajoute celle qui est aujourd’hui la directrice du PRES de Toulouse. Or avec « un peu de tout », il devient difficile de construire des synergies de recherche. Chacun sait désormais que répartir l'enseignement supérieur est une opération assez facile mais qu’en revanche répartir la recherche s’avère bien plus compliqué. Pourquoi ? « Parce qu’il existe un « seuil de bon fonctionnement » pour un laboratoire universitaire ». C’est notamment le cas dans le domaine des sciences exactes où les laboratoires affichent des besoins en équipements importants et surtout coûteux ; dès lors seuls les « gros laboratoires » (comptant un certain nombre de chercheurs) peuvent se payer ce matériel. Au final il faut bien comprendre qu’il existe un vrai souci relationnel entre enseignement supérieur et recherche. Et pourtant malgré ces difficultés, depuis 2004, ce lien dual a été élargi à un troisième « domaine-partenaire ».


DU DIPTYQUE AU TRIPTYQUE… C’est l’arrivée des pôles de compétitivité (en 2004) qui a transformé le diptyque « enseignement supérieur / recherche » en triptyque « enseignement supérieur / recherche / entreprise ». Toutefois, il faut préciser que lorsqu’on parle « d’enseignement supérieur et de recherche », il s’agit plutôt, dans le cadre des pôles de compétitivité, de formation. Cette élargissement fût en tous les cas primordial : à partir de cette date les territoires ont été pensés au regard de cette triple synergie.

« La nouvelle philosophie politique, basée sur l'innovation et motivée par la compétitivité économique, a effectivement créé une nouvelle géographie : autrement dit l'innovation a eu besoin d'une territorialisation. » Deux raisons principales expliquent que l’on ait souhaité cette synergie des trois composantes. La première c'est l'innovation - elle-même liée à la forte tension provoquée par la compétition internationale. Pour faire court, à partir du moment où il était acté que les territoires entraient en compétition permanente, la seule façon pour les pays européens de rester « dans la course », par rapport aux pays émergents, passait par une innovation constante. Dans ces conditions il était impossible à ces pays de se contenter de posséder un « bon enseignement supérieur », « une bonne recherche » et des entreprises « qui fonctionnent bien ». Il était nécessaire de mettre tous ces domaines en synergie… pour innover toujours plus et ainsi conserver un train d'avance sur les autres pays. La deuxième raison (conséquence de la première) n’est autre que la proximité. La nouvelle philosophie politique, basée sur l'innovation et motivée par la compétitivité économique, a effectivement créé une nouvelle géographie : autrement dit l'innovation a eu besoin d'une territorialisation. Les travaux de la nouvelle économie géographique le montrent très clairement. Selon ses instigateurs, diffuser des informations, par l’intermédiaire des réseaux modernes, n'est plus un frein ; en revanche produire de nouvelles connaissances, de nouvelles technologies, nécessite une proximité géographique des « inov-acteurs ». D’ailleurs si les pôles de compétitivité sont territoriaux — ce ne sont pas des réseaux mais des pôles — c'est bien parce qu'il est maintenant évident que chaque fois que l'on souhaite produire des innovations de rupture, la proximité géographique des acteurs, issus des divers domaines de notre triptyque (formation, recherche et entreprise), s’avère indispensable. Et encore, lorsqu’on évoque la proximité, il est fait allusion à une proximité de premier degré, à l’échelle de villes comme Albi, Toulouse ou Tarbes pour Midi-Pyrénées. Le processus d'innovation ne peut décidemment pas être éparpillée : « le fait d’avoir une entreprise située à Rodez, un laboratoire à Toulouse et une unité d'enseignement à Tarbes, ne permettra pas de créer la

synergie suffisante pour innover » explique l’intervenante. Ce besoin de proximité géographique est essentiel pour la création des pôles, sachant qu’une fois ces derniers installés, les réseaux suivront naturellement. « S'il y a des pôles forts, il y a des réseaux forts, et de la même façon nous savons que les réseaux renforcent les pôles et vice-versa ». Reste que le préalable demeure bien la construction de pôles solides. Le phénomène de territorialisation est très nouveau puisque pendant très longtemps, la politique industrielle française s'est basée sur des filières dont les composantes étaient totalement déterritorialisées - au même titre que la recherche dans l'enseignement supérieur. Dorénavant, c'est très différent. L’un des objets figurant dans le récent « grand emprunt » de l’Etat, est un bon exemple de ce changement de concept : l’Institut de Recherche Technologique – lequel fait la jonction entre le Ministère de l'industrie et le Ministère de la recherche - s’appuie sur un cahier de charge dans lequel il est stipulé que le périmètre d'implantation de l'IRT doit avoir un rayon de 2 km. N’est-ce pas là un formidable exemple de la démarche de territorialisation engagée. Pour Marie-France BARTHET, « c'est même légèrement excessif !? L’'échelle d'une agglomération marcherait certainement aussi bien » ! En tous les cas ce besoin de proximité renforce l’idée que l’innovation suppose que les acteurs se connaissent davantage, travaillent dans une relation de confiance, échangent des idées ; la création se cristallisant dans ce choc de connaissances différentes, de points de vues différents.

LE FAVORITISME DES GRANDS… Abordons à présent, les retombées territoriales de ces concepts. A l'heure actuelle, on constate des retombées territoriales assez diverses. En préambule, il faut bien dire que mélanger la compétition, l’innovation et la synergie avec la formation, la recherche et l’entreprise… conforte les grands centres. Dès lors, si dans les années 80, 90 la politique de l'Etat (par le biais de la DATAR) visait à aménagemer le territoire égalitairement – on répartissait alors au maximum les diverses entités afin que l'ensemble des territoires continue de vivre -, aujourd’hui nous sommes entrés dans une phase qui conforte largement les grands centres ; et ce dans le but de rester compétitif au niveau international. C’est tout l’esprit des pôles de compétitivité à vocation mondiale - qui s’opposent en quelque sorte à une deuxième catégorie à ambition plus restreinte. Ces derniers sont largement favorisés. « Dans l’évaluation nationale des pôles de compétitivités, nous avons pu constater que 70% des crédits étaient concentrés sur les 6 pôles de compétitivité à ambition mondiale » précise Marie-France BARTHET. L’explication de ce favoritisme est simple : ce sont les pôles où se trouvent les grandes entreprises et les grands laboratoires ; par ricochet ce sont ceux qui présentent le plus de projets et, méca-

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niquement, ceux qui ont le plus de chance de rapporter des succès et la notoriété internationale. Dans ces conditions nous ne pouvons plus vraiment parler d’aménagement du territoire égalitaire.

« Les PRES relèvent de la volonté de l'Etat de créer de grands pôles visibles (une quinzaine en France) mais aussi de la volonté des acteurs locaux tels que les présidents d'université. » Autre élément d’importance concernant les grands centres : les PRES. Ici aussi, cet outil est une réponse à un classement international (classement de Shanghaï) prenant en compte la visibilité internationale, la compétition internationale. Il s’agit ni plus ni moins de faire en sorte que nos grands centres soient les plus visibles possibles. Si initialement, cet objectif concernait uniquement enseignement supérieur et recherche, ce n’est plus tout à fait le cas aujourd’hui. Les PRES relèvent de la volonté de l'Etat de créer de grands pôles visibles (une quinzaine en France) mais aussi de la volonté des acteurs locaux tels que les présidents d'université. En effet, il est difficile de dire que l'Etat ait vraiment été prescriptif sur cette question là : il a laissé les acteurs de terrain décider des périmètres des PRES, entraînant de fait une très grande variabilité. Il existe des PRES qui ne sont que métropolitains – par exemple l’un des derniers PRES créés, le PRES de Montpellier, n'inclut pas Perpignan. Il y a également des PRES régionaux comme c’est le cas pour celui de Toulouse, qui comme son nom ne l'indique pas, est un PRES régional, réclamé par l’ensemble des présidents d’universités. L’une des autres caractéristiques des PRES se matérialise dans le rapprochement entre universités et écoles d’ingénieurs. C’est entre autre chose la conséquence d’une trop grande méfiance de l’Etat vis-à-vis des universités. En créant des écoles d’ingénieurs pour chacun de ses Ministères, l’Etat pensait pouvoir mieux contrôler que les universités, ses différents établissements d’enseignement et de recherche. Mauvaise piste puisqu’aujourd’hui, on se retrouve avec pléthore d’écoles d’ingénieurs et d’universités qui, de plus, s’ignorent ou tout du moins éprouvent des difficultés à travailler ensemble. Or ces cultures différentes auraient tout intérêt à mieux communiquer pour s’apprendre mutuellement. Le projet des PRES contient justement l’idée d’un renforcement entre universités et écoles d’ingénieurs. Le PRES de Toulouse, université de Toulouse, est un bon exemple en la matière : il regroupe toutes les universités, toutes les écoles d’ingénieurs ; sans compter que le bureau du PRES est constitué de trois membres issus des universités et de trois autres issus d’écoles d’ingénieur (6 membres en tout). C’est d’ailleurs un cas unique dans l’hexagone.

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Si les collectivités territoriales n’ont pas immédiatement adhéré à la logique des PRES, les choses sont en train de changer. Elles ont réalisé qu’il s’agissait d’un outil formidablement efficace et plus encore simplificateur. Pour donner un exemple de ce pouvoir simplificateur, Marie-France BARTHET évoque le cas de la région Midi-Pyrénées qui compte seize établissements relevant de six ministères de tutelles différents. « Grâce au PRES, les collectivités n’ont plus à s’adresser aux six Ministères de tutelle pour piloter une politique à seize établissements » explique la directrice du PRES. « Elles s’adressent directement au PRES qui joue le rôle d’intermédiaire ». L’efficacité de cet outil est tant et si bien reconnu que l ’appui des collectivités aux PRES est à présent, acté dans l’ensemble des régions. Les PRES de Lyon et de Grenoble par exemple sont financés à 50% par les collectivités locales qui ont parfaitement perçu tout l’intérêt d’avoir un organe fédérateur, capable d’absorber la complexité de l’enseignement supérieur et de la recherche. En Midi-Pyrénées, une convention cadre a été signée en 2009 entre le Conseil Régional et le PRES : elle permet de mutualiser un certain nombre d’actions pour l’ensemble des établissements d’enseignement et de recherche mais aussi des actions concernant certaines universités uniquement. Une deuxième convention cadre de même type, devrait prochainement voir le jour avec la Communauté urbaine du Grand Toulouse ; et, dans la logique des choses, il n’est pas exclu qu’il y ait un jour des conventions équivalentes signées à Albi ou à Tarbes. De manière plus pragmatique, ces conventions cadres permettent d’ausculter et de s’intéresser à toutes les facettes de l’université : la formation, la recherche, mais également la vie étudiante. Cette dernière est une dimension primordiale puisqu’elle croise les thèmes prépondérants que sont le logement, la culture, le transport ou encore l’impact économique.. Autre élément qui conforte la politique des grands centres : « l’Opération Campus ». Cette démarche aurait pu concerner tous les sites (grandes villes et les villes moyennes) où préexistaient enseignement supérieur et recherche. Dans les faits ce ne fût rien de tout cela. A contrario, il y a eu une volonté de concentrer ce nouvel effort sur dix centres en France. Dans le cas midi-pyrénéen (appelé « opération Toulouse Campus »), le périmètre s’est limité à Toulouse, écartant dès le début Albi, Tarbes, Rodez ou encore Castres. Intégrer ces campus satellites aurait sans aucun doute annihilé les chances du dossier midi-pyrénéen. Pourtant ce n’est pas faute d’avoir mené une réflexion préparatoire à l’échelle du territoire, incluant la question du déplacement des étudiants, du logement, des liens avec le monde économique, des transversalités entre recherche et formation. Un exercice qui n’avait jamais été engagé auparavant et qui rend d’autant plus dommageable ce phénomène de concentration : les villes dites secondaires auraient pu bénéficier de la synergie entre enseignement supérieur, recherche, monde économique et vie étudiante.


> Carte des premiers dossiers de l’Opération Campus retenus à l’échelle nationale. Seuls les “grands centres universitaires” sont présents. Source : Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche / mai. 2008

Le « Grand emprunt » - dont nous avons déjà parlé - constitue un autre facteur de concentration. Les laboratoires d’excellence, localisés dans les grands centres, seront une nouvelle fois les destinataires privilégiés de la distribution limitée - des crédits dégagés. Seuls sept à dix centres seront concernés. Preuve supplémentaire – s’il en fallait une - de la volonté de l’Etat de conduire la politique des grands centres ; politique par ailleurs, très cohérente et parfaitement suivie, avec un calendrier d’initiatives triennal (2004, 2007, 2010).

LES AVANTAGES DES PETITS… Cette concentration continue pourtant d’interroger. Même la DATAR se pose (ou tout du moins se posait lorsque MarieFrance BARTHET en faisait partie) la question des autres sites. « C’est bien beau de conforter les grands sites, mais on connaît très bien le pouvoir structurant de l’enseignement supérieur et de la recherche sur les territoires » argue l’interlocutrice. Reste que d’un point de vue démographique, la politique de concentration ne semble pas totalement incongrue. Nous sommes aujourd’hui en phase de stabilisation, voire de régression, du nombre d’étudiants. Dans ces conditions comment maintenir et plus encore développer dans les sites secondaires l’enseignement supérieur, la recherche et la formation ?

vail réalisé sur les grands centres à l’occasion de « l’Opération Campus »… mais cette fois-ci sur les villes secondaires. Même objectif : montrer que la formation doit être connectée à la recherche, qui doit être elle-même connectée à son environnement économique… C’est le moyen le plus sûr d’ancrer ce triptyque dans les villes de ce niveau. Il s’agit également de clarifier le concept de spécialisation (ou qualification). Il faut abandonner l’idée selon laquelle un site doit être absolument qualifié, spécialisé dans tous les domaines Au contraire il serait bien mieux d’essayer de voir quels sont les domaines à développer, sur lesquels il existe une véritable spécificité, une spécialité qui améliorera l’attractivité d’un établissement, d’un territoire. C’est peutêtre cela la différenciation.

La DATAR a justement lancé, il y a un an et demi, un appel à projet réservé aux villes moyennes afin de les aider à mieux se structurer sur différents secteurs. Au final, un grand nombre de dossiers a penché sur le volet de l’enseignement supérieur et la recherche. Le 24 juin 2010 aura lieu à Tarbes, une journée de restitution de la DATAR visant à faire le point sur toutes les expériences en passe d’être conduites sur les villes moyennes. L’idée de base consiste à reproduire le tra-

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1.3. Un centre universitaire dans une ville moyenne François TAULELLE / Professeur des Universités en géographie-aménagement, CUFR Jean-François CHAMPOLLION-Albi, et Benoît LACROUX / Responsable de communication, CUFR Jean-François CHAMPOLLION-Albi

Benoît LACROUX et François TAULELLE nous présentent une étude de cas construite autour de « témoignages d’un vécu », visant à expliquer « les atouts et les limites d’un centre universitaire de taille moyenne » comme celui d’Albi. En creux ils répondent à une question : est-il avantageux ou désavantageux d’étudier dans un site universitaire secondaire ?

EMERGENCE ET DÉVELOPPEMENT DU CENTRE UNIVERSITAIRE Le dossier de création d’une unité d’enseignement supérieur à Albi apparaît au milieu des années 80. Il n’est pas un cas isolé puisqu’il se positionne dans un contexte privilégiant la création d’un réseau constitué à partir d’antennes délocalisées d’universités de premier plan dans des villes moyennes. Cette diversification de l’offre universitaire est le résultat à la fois d’une poussée des effectifs étudiants mais aussi et surtout, d’un investissement croissant de la part des décideurs locaux dans l’enseignement supérieur. Ces derniers y voient clairement une occasion d’aménager le territoire, affichant une grande confiance dans la capacité d’une université à fixer une nouvelle population mais aussi à développer une dynamique urbaine ou encore à initier un transfert de technologie. Durant cette période, la région MidiPyrénées présente un contexte singulier : elle est la seule région de France à ne compter qu’une seule ville universitaire hors IUT. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 1988, 94 % des étudiants sont concentrés sur Toulouse. Forte de ce constat, la ville d’Albi va se saisir de ce dossier et tenter de mobiliser divers partenaires pour obtenir l’implantation de la première antenne universitaire régionale. Deux facteurs vont alors jouer en sa faveur : d’abord le classement du bassin sidérurgique Albi-Carmaux en pôle de reconversion va constituer un élément de poids pour capter des ressources sur le dossier universitaire ; ensuite le départ du 7ème régiment parachutiste et la mise à disposition de la caserne à la ville d’Albi.

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La première délocalisation intervient en 1992. Il s’agissait d’un DEUG de droit ouvert en partenariat avec l’université de Toulouse1. A partir de cette date, bénéficiant du soutien des collectivités locales, les universités vont progressivement implanter toute une série de DEUG, des DESS et un IUP. En quelques années, on passe de 250 à 1500 étudiants et à partir de 1997 le projet prend une autre tournure lorsqu’une forte mobilisation politique milite pour la création d’un « être juridique » à part entière, défendant ainsi l’idée de créer non pas une simple antenne mais une université de plein exercice. Le syndicat mixte pour la cinquième université, regroupant différentes collectivités midi-pyrénéennes, a fait pression pour obtenir la création d’un établissement positionné sur trois départements et reposant sur un axe fort, Albi-Rodez, tout en intégrant Castres et Figeac. Cet épisode de lobbying s’est appuyé sur un discours autour des technologies d’information et de communication, sensées gommer les contraintes de territoire. Il s’agissait d’un projet ambitieux non sans ambiguïté. Celui-ci arrivait en fin de course par rapport à la seconde phase de massification de l’université. Se posait également la question de la pertinence du territoire du nord-est midi-pyrénéen. En réalité les zones d’implantation de l’université regroupent des bassins d’emploi qui ont très peu de liens les uns avec les autres, révélant une difficulté dans l’articulation d’un projet d’établissement et d’un projet de territoire même s’il s’agit davantage d’une difficulté concernant l’articulation de la carte des formations. En effet, l’implantation des antennes répond davantage à une logique d’opportunisme plutôt qu’à une carte de formation raisonnée. Ainsi plusieurs questions se posent : l’articulation avec les IUT déjà implantés ou encore l’implantation


> Le Centre universitaire Jean-François Champollion compte aujourd’hui près de 2800 étudiants, tous sites confondus. Source : photo La Dépêche - J.M.L

d’activités de recherche pérennes sur ces territoires se révèle difficile avec des transferts de postes, notamment, qui avaient été avancés par les universités toulousaines et se sont révélés assez complexes à gérer. Au final l’ambition première du projet sera abandonnée mais aboutira cependant à la création d’un être juridique prenant la forme d’un établissement public administratif. C’est le statut actuel l’établissement dénommé « centre universitaire de formation et de recherche Midi-Pyrénées Jean FrançoisChampollion ». Ce n’est ni une antenne, ni une université de plein exercice. L’établissement contracte avec l’Etat et reste dépendant des universités toulousaines pour ce qui est de la délivrance des diplômes. Par conséquent, il fait preuve d’une faible autonomie, notamment dans l’habilitation de nouvelles formations. C’est également un statut qui induit une gouvernance assez complexe dans laquelle interviennent de très nombreux acteurs qui font partie prenante du projet. Ainsi on peut remarquer que le Conseil d’administration ne compte pas moins de huit collectivités, trois universités, deux grandes écoles et quatre IUT.

« [...] l’établissement cherche à faire valoir sa petite taille, sa proximité ou encore sa capacité à mettre en place des actions ciblées pour favoriser la réussite en licence, comme des atouts distinctifs. A coup sûr il s’agit là d’une réelle source de valeur ajoutée pour les étudiants. » Avec 2600 étudiants, le centre universitaire reste aujourd’hui un établissement assez modeste par son budget - treize millions d’euros - et par ses ressources humaines. La carte des formations est directement héritée des trois antennes. Elle est essentiellement centrée sur le niveau « licence », avec 16 mentions regroupées dans 5 domaines d’études différents. On retrouve par ailleurs 10 licences professionnelles qui sont articulées, dans la plupart des cas, avec des lycées et un secteur d’activité ; la dernière en date étant une licence professionnel-

le créée autour de la filière « ovine » dans l’Aveyron. Enfin la carte est complétée par quelques Masters - qui portent encore l’empreinte des anciens DESS puisqu’ils ne proposent pas le M1 - et une école d’ingénieur à Castres. Sur le « niveau L » majoritaire (en référence à la réforme Licence-MasterDoctorat), l’établissement cherche à faire valoir sa petite taille, sa proximité ou encore sa capacité à mettre en place des actions ciblées pour favoriser la réussite en licence, comme des atouts distinctifs. A coup sûr il s’agit là d’une réelle source de valeur ajoutée pour les étudiants.

LE CONTEXTE UNIVERSITAIRE NATIONAL AUJOURD’HUI DÉFAVORABLE AUX « PETITS CENTRES UNIVERSITAIRES ». Comme il l’a été dit ce matin, nous nous trouvons aujourd’hui dans un contexte défavorable en matière d’enseignement supérieur pour les établissements des villes moyennes. Ceci est lié à une focalisation de la politique nationale sur les grands pôles d’excellence. Ce contexte peu favorable est par ailleurs à croiser avec la singularité et de l’illisibilité du statut de l’établissement. Qu’est-ce que le CUFR ? Qu’est-ce qu’un EPA ? C’est, à vrai dire, extrêmement compliqué. Cependant, il est facile de retourner l’argument et affirmer que si un grand pôle est conçu avec intelligence, comme la mise en réseau d’établissements à l’échelle d’une région, en évitant des doublons éventuels et en choisissant des domaines précis, la présence du CUFR dans le PRES peut apparaître comme une chance. Dans ce cas, il s’agit là, ni plus, ni moins, que d’un élément important d’une offre régionale de formation. En effet, un pôle étriqué et ramassé sur quelques sites de la métropole constituerait une vision restrictive de l’offre universitaire régionale, ce qui n’est certainement pas l’ambition du PRES. Comment peut-on opposer la distance à l’effet de pôle ? Dans le premier débat de ce séminaire, il a été question d’un pôle toulousain dont le rayon des investissements ne dépasserait pas 2 km ! Dans cette vision, se trouver à 70

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km de Toulouse exclut l’intégration de Champollion dans le pôle alors que 70km constitue parfois la distance-temps de la desserte du réseau que forment les grandes universités parisiennes. Comme on le voit, la distance kilométrique est une notion peu pertinente : n’entend-on nous pas dire que la Turquie ne fait pas partie de l’Europe… à cause d’un détroit qui empêche la jonction d’une grande partie de ce pays à l’Europe, détroit dont la largeur à Istanbul n’est que de quelques centaines de mètres ?! Il serait donc très dommage de ne pas considérer le pôle à l’échelle de la région, intégré dans un réseau de villes.

le de qualité même si elle ne peut pas, bien entendu, égaler le bouillonnement culturel métropolitain. Si certains éléments figurent à l’actif du site, d’autres le desservent forcément. Le premier d’entre eux s’échafaude sur l’idée que les lycéens ne rêvent souvent que d’une chose une fois leur BAC en poche : étudier dans la métropole régionale ! Il existe en effet, une vraie fascination pour la grande ville. Dès lors le slogan « small is beautiful » peut se retourner contre le centre universitaire. Pourtant, une fois qu’ils ont choisi le site universitaire de Champollion et qu’ils vivent à Albi, les étudiants valorisent très souvent ce critère de petite taille.

ATOUTS ET CONTRAINTES

Une autre conséquence négative à la taille de l’établissement se manifeste par une sur-implication des enseignants-chercheurs dans le collectif. En effet, compte tenu de la petite taille de l’établissement, les enseignants-chercheurs sont très sollicités pour offrir de leur temps aux différentes instances. En contrepartie, les enseignants bénéficient tout de même d’une grande réactivité de l’administration sur toute une série de dossiers. Le thème de la recherche, est évidement lui aussi fortement corrélé à la taille. Si le site albigeois connaît une montée en puissance de sa force de recherche - avec notamment l’édification d’un bâtiment dédié à celle-ci – il faut bien reconnaître que les équipes, physiquement installées sur place, sont rares. Celles ayant franchi le pas sont essentiellement issues des sciences dures. Le positionnement des sciences humaines s’explique par l’appartenance presque systématique des enseignants-chercheurs de ce domaine à des laboratoires toulousains. Singularité géographique peu étonnante puisqu’en sciences humaines, la recherche est classiquement un jeu de réseau, ne nécessitant pas toujours un regroupement identifié dans un même lieu. En revanche, l’ancrage territorial des enseignants-chercheurs en sciences humaines n’est pas nul : il se réalise plutôt par une participation dans des projets portés par des commanditaires locaux.

Nous pouvons également nous interroger, dans le contexte de la politique universitaire de l’Etat, sur les atouts et les limites de l’établissement. Le principal atout et à la fois la principale limite du pôle universitaire J-F Champollion réside dans sa taille. La campagne actuelle du centre universitaire pour le recrutement des futurs étudiants est d’ailleurs « small is beautifull » ! C'est dire que l’on joue pleinement de cet argument de taille pour attirer les étudiants. Mais pour quelles raisons ? Au cours de l’été 2010, un rapport commandité par le Ministère de l’enseignement supérieur, révélé par Le Nouvel Observateur, a classé le CUFR Champollion premier établissement de France pour la réussite en Licence. Même s’il convient de prendre ses distances par rapport à tout classement, il faut croire que « l’écosystème albigeois » favoriserait la réussite. Nous pourrions débattre longuement des causes qui ont fait de ce centre universitaire le premier s’agissant de la réussite en licence… Quelles qu’elles soient, ce classement tient compte d’une particularité incontestée du CUFR : l’établissement a reçu des points de bonification pour son taux d’élèves boursiers très supérieur à la moyenne. Les statistiques montrent clairement que le taux d’accès des élèves d’origine sociale plus modeste, bénéficiaires de bourses est beaucoup plus élevé que partout ailleurs (environ 48 % des étudiants). Ce chiffre est en rapport avec la mission de service public que se fixe ce centre universitaire c'est-à-dire la facilitation d’accès aux études supérieures des lycéens qui ne se dirigeraient pas forcément vers les études supérieures. Le critère de la taille fait également référence à la proximité et à la possibilité d’un vrai fonctionnement collectif, peut-être moins anonyme que dans une grande structure. Cette qualité va de pair avec la grande sociabilité que l’on prête aux villes moyennes. L’engagement fort des étudiants dans les structures associatives est peut-être un signe de cette sociabilité : environ 10% des étudiants sont membres de l’AFEV. C’est encore une fois un record en France. La taille c’est aussi une qualité de vie compte tenu des moyens matériels dont dispose le site. La question du logement est par exemple plus facile à résoudre dans les villes moyennes. Enfin, cette taille n’est pas limitative dans l’existence d’une vie culturel-

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Dans le même temps, le site est conçu comme un lieu d’expérimentation de grandes questions vues depuis l’échelle locale. Le Tarn est par exemple un excellent terrain d’application pour la question des services publics en milieu rural. La question des villes moyennes, avec l’expérimentation qui a été menée par la DATAR ou bien encore le développement durable dans les transports, sont d’autres thématiques qui trouvent une opportunité à être conduites prioritairement en ville moyenne. Les laboratoires de recherche les conçoivent comme tels, sans pour autant que les chercheurs s’enferment dans des projets trop locaux. Un commentaire sur les liens entre CUFR et la ville s’impose. Si aucune étude fouillée n’existe sur ce thème d’importance, on peut noter l’attachement très fort des collectivités locales à l’établissement. Ce lien s’explique d’abord par le financement qu’octroient ces dernières au centre universitaire. Même si c’est l’Etat qui finance en très grande proportion (90% des financements de Champollion proviennent de cré-


> Comme en atteste cette “illustration communicante”, la petite taille de l’université constitue un avantage... Source : CUFR

dits Etat), les collectivités locales ne sont pas en reste et financent un certain nombre de bâtiments. Toutefois leur implication en termes de marketing territorial, en jouant sur la carte universitaire est plus conséquent. Il est par ailleurs intéressant dans les relations entre la ville et l’université, de voir que les habitants sont sensibilisés à cette question. Une enquête, réalisée au moment des élections municipales à Albi, le prouve : à la question « Quelles sont selon vous les mesures qui doivent être adoptées en priorité par la prochaine équipe municipale ? » - posée à un échantillon de 891 habitants - 77% souhaitaient qu’elle contribue au développement de l’université Jean-François Champollion. Signe vivace d’un attachement fort de la population au centre universitaire. On retrouve le même plébiscite dans les résultats du travail récent de la DATAR évoqué par Marie-France BARTHET. Dans son dossier de demande, la ville d’Albi faisait de l’enseignement supérieur l’une de ses priorités d’avenir. Loin d’être un hasard, cette réponse traduit bien l’intérêt des décideurs locaux pour cette thématique.

EN CONCLUSION... Nous pouvons dire que la question de l’avenir du centre Champollion, et plus globalement des universités en ville moyenne est incertaine. Ni métropoles, ni petites villes, elles sont dans une position d’entre-deux qui lie le devenir de l’université au dynamisme de la ville. Si la ville moyenne périclite, la présence universitaire peut être remise en cause. Mais avant de penser le pire des scénarios, il faut rappeler les trois types d’intérêts qui peuvent conforter le développement de ces universités dites « secondaires ».

• Le premier type d’intérêt, est celui des villes moyennes, elles-mêmes. Il existe aujourd’hui un véritable lobby de ces villes moyennes, qui s’affiche notamment dans le manifeste de la Fédération des maires des villes moyennes. Celui-ci comprend tout un passage qui présente l’enseignement supérieur et la recherche comme un élément constitutif de la vitalité en ville moyenne. • Vient ensuite, le positionnement très clair de la Région MidiPyrénées. La volonté de jouer la carte de l’offre de formation c'est-à-dire d’avoir une offre de formation en réseau sur tout le territoire en évitant les doublons et en valorisant des Masters spécialisés sur un certains nombre de sites – est un objectif affiché par l’institution régionale. • En revanche, le positionnement de l’Etat est beaucoup moins évident. Si le gouvernement semble donner des indices positifs sur ce sujet, faisant croire à une certaine détermination - notamment par l’intermédiaire d’expérimentation d’universités de l’enseignement supérieur en ville moyenne – nous sommes en droit de nous demander si ces signes de bonne volonté ne sont pas des supplétifs à une tendance de fond qui va à l’encontre de la présence des universités en ville moyenne. Le flou qui entoure la mission de ce service public peut d’ailleurs interroger sur les objectifs que l’Etat assigne à ces établissements. Créer, recruter mais pour quoi faire ? Pour finir, il faut évoquer une question fondamentale, dont nous n’avons pas encore parlé, et qui est pourtant déterminante : c’est la question de la culture. Le triptyque « enseignement, recherche et culture » est tout simplement un point essentiel pour valoriser la présence de ces établissements en ville moyenne.

Cahier des territoires # 7 / Villes et universités 17


réactions dans la salle Les diverses interventions proposées lors de cet atelier 1 ont donné lieu à plusieurs réactions dans la salle. Nous avons réalisé une synthèse de ces dernières, organisée par séquences thèmatiques.

La polarisation n’est pas si nouvelle que cela... “Premier point, je trouve qu’effectivement, cette idée de polarisation est intéressante, mais elle concerne surtout les sciences dures avec leurs gros besoins en matériel. C’est vrai qu’en sciences humaines, on se sent un peu différents parce qu’on n’a pas besoin d’avoir de grosses machines pour travailler. Deuxième point, lorsqu’on observe l’aménagement du territoire, on s’aperçoit que nous avons déjà connu ce phénomène de « polarisation ». En effet, il existait déjà dans les années 60 lorsqu’on réalisait de grandes opérations industrielles qui devaient « irriguer » l’espace alentours. On a eu aussi les technopôles : cette idée des années 80 où il fallait diffuser selon une synergie « chercheurs-enseignants ». Ce sont donc des choses qui sont connues dans l’aménagement. Et il est vrai que l’aménagement réagit aussi selon « la mode ». Par la suite nous sommes passés aux systèmes productifs locaux dans lesquels finalement, ce qui était petit était bien parce qu’on se trouvait en phase avec les territoires. Donc il y a des modes qui reviennent. Dès lors il est un peu troublant de nous présenter la polarisation comme une nouveauté ; en fait c’est quelque chose qui réapparait comme une sorte de serpent de mer. Troisième point, les conséquences et les limites que vous avez évoquées, nous les mesurons grâce à un mouvement de fond. En effet l’université n’est pas la seule à avoir engagé ce mouvement de concentration : c’est également le cas des tribunaux, des casernes,… C’est une concentration de toute

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une série d’équipements, de services publics au sein des villes. Dès lors, il est nécessaire de mettre en perspective la concentration de l’enseignement supérieur avec d’autres réformes de service public. Enfin, quatrième point, il est vrai que l’on parle beaucoup de compétition, de compétitivité, de classement de Shanghaï, néanmoins je pense qu’il ne faut pas oublier « les humanités » ; c'està-dire finalement, l’université dans sa vocation généraliste : celui qui consiste à donner une base, un dénominateur social et culturel commun, former des citoyens.”

L’université bon conseil des territoires... “Je rebondis sur ce qui vient d’être dit. Personnellement, je ne fait pas parti du monde universitaire : je travaille dans un CAUE - un organisme de conseil aux collectivités. Or j’ai l’impression que l’université, en tous les cas à Toulouse,

Produire des systèmes productifs de connaissance ascendants. “Ce serait une bonne chose que d’interroger également la question de la métropole et de ses relations avec les villes moyennes. Ce que j’entends à l’instant dans cet atelier, c’est qu’il existe une politique de fond de polarisation qui est un petit peu descendante de l’Etat, avec ces lieux de régulation et son économie de moyen... Mais il persiste des lieux de résistance,

ressemblant

plutôt au système productif industriel de l’Italie, qui sont plutôt des systèmes ascendants. Or j’estime qu’il y a quelque chose à trouver entre ces deux mouvements car il me semble que dans un contexte de compétition internationale, nous avons besoin d’avoir une économie de la connaissance extrêmement dynamisée ; or les systèmes descendants ne sont pas les plus efficients qu’il soit.

est tout de même très précieuse pour

Ce qui ce passe sur les territoires des

un territoire, justement en matière de

villes moyennes est drôlement intéres-

conseils, d’études, d’informations... C’est

sant : il y a de la proximité, de la proxi-

d’autant plus intéressant qu’il s’agit de

mité d’acteurs,... les étudiants s’y appro-

conseils territorialisés ; je veux dire qu’il

prient un territoire. Je pense qu’il y a

n’y a que l’UTM qui peut faire une étude

peut-être là des systèmes d’un autre

sur place, avec des étudiants qui sont là

niveau à explorer. Je ne sais pas lequel,

pour une année. Ceci ne va pas tout à

je ne sais pas si le PRES est à l’interface

fait avec la logique que vous avez

des deux ? Il me semblait que les pôles

annoncé ; si on concentre pour écono-

de compétitivité avaient essayé de tra-

miser, on perdra cette matière grise sur

vailler là-dessus, tout en étant quand

de nombreux territoires.”

même un système très descendant, s’accrochant sur l’industrie aéronautique, sur des gros pôles industriels et pas sur n’importe quoi. Sommes-nous au carrefour des ces choses là ?


DES TERMES À RETENIR. 1. Polarisation − Au fig. Attraction vers ou autour d'un ou plusieurs pôle(s),

sujet(s), thème(s); concentration des efforts, des pensées autour d'un ou plusieurs point(s). 2. Système productif local − (SPL) est un groupement d’entreprises, en majorité des PME/PMI qui mutualisent des moyens et développent des complémentarités sur un territoire de proximité, pour améliorer leur efficacité économique. 3. Ville moyenne - [extrait de “La notion de "ville moyenne" en France, en Espagne et au Royaume-Uni” par Frédéric SANTAMARIA] - "Selon les auteurs, la catégorie "villes moyennes" commence à partir de 20, 30, ou 50 000 habitants. Elle s'achève à 100 000 ou 200 000 habitants" dans l'agglomération (MICHEL, 1977, p. 642

Y a t-il encore de la place pour les villes moyennes, notamment sur la question universitaire ? Et c’est un vrai enjeu pour la métropole parce que celle-ci devrait exister aussi en s’appuyant sur ces villes moyennes. Elle ne peut pas exister toute seule dans l’agglomération toulousaine.“

Le PRES, système régulateur ? “Je vous ai dit toute à l’heure que le PRES avait signé une convention cadre avec le Conseil Régional. Dans cette convention cadre, il y a un « axe » qui concerne l’aménagement du territoire et il est notamment question «d’actions » qui pourraient être engagées sur d’autres villes universitaires hors Toulouse. Malheureusement cette idée n’a pas été décliné dans la convention d’application de 2010 ! Espérons que cela sera chose faite en 2011 et que nous conforterons ainsi les sites secondaires qui font partie du PRES. Nous avons toutefois des circonstance atténuantes à ce délaissement :nous avons été absorbés à 100% par cette « Opération Campus » ; mais on doit pouvoir mener les deux de front. En tous les cas je reste persuadée que le salut des sites universitaires secondaires passera par le triptyque « formationrecherche-entreprise » voir le triptyque « enseignement-recherche-culture ». Je pense que c’est effectivement une idée intéressante capable d’aider ces territoires à créer une synergie ? On l’a fait au niveau de la métropole, ça veut dire qu’on peut le faire aux niveaux des villes moyennes. C’est ici que le PRES doit jouer un rôle et qu’il souhaite le jouer : la volonté de ne pas rester centrer uniquement sur la métropole existe bel et bien.

Pour faire le lien avec les pôles de compétitivité, nous avons en Midi-Pyrénées, un pôle de compétitive mondial de dimension très métropolitaine mais le pôle « agri-innovation » est beaucoup mieux répartie. D’ailleurs il faut savoir que les systèmes productifs locaux ont désormais une suite : la DATAR a inventé « les Clusters » qui ne sont rien d’autres que des systèmes productifs locaux revisités, présentant un triptyque « formation-recherche-entreprise » très fort. En conséquence, je crois qu’il faudrait s’appuyer sur cette dynamique là pour initier une synergie au niveau des sites hors métropole. On connaît donc deux phénomènes qui se jouent en même temps et c’est le moment d’agir, sinon nous allons arriver à une fossilisation au niveau de la métropole ; ce qui, à mon avis est contradictoire avec ce que l’on peut attendre d’une politique

Très chers sites universitaires secondaires ! “Le concept de compétitivité est un constat. Ce n’est pas pour autant quelque chose que j’approuve. Je ne l’approuve pas, parce que — et vous l’avez bien démontré sur le site d’Albi, mais on pourrait faire la même chose sur le site de Tarbes — il y a une qualité de vie et un très bon taux de réussite sur les sites universitaires de petite taille. Donc, il faut bien se rendre compte qu’effectivement, il existe une qualité dans ces sites dits « secondaires », qu’on ne peut pas retrouver dans les grandes masses. Ils sont donc complémentaires et il serait absurde de les laisser tomber.

qu’une recherche compétitive, pour

Nous avons la chance d’avoir des villes secondaires qui se sont développées et il faut continuer à les développer parce que c’est une question d’avenir. C’est pour cela qu’il est absolument nécessaire d’augmenter les synergies entre la métropole et ces sites secondaires. A Tarbes par exemple, on a pu développer un laboratoire de recherche avec ALSTOM qui s’est appuyé sur des grands laboratoires toulousains ; mais, la recherche a bel et bien été « décentralisée » sur Tarbes. Et du coup, c’est un des endroits extrêmement productifs au niveau des brevets. Si on avait fait la même chose sur Toulouse on ne l’aurait même pas vu ! Donc, moi je pense au contraire qu’il y a des choses à faire pour développer les sites secondaires.

laquelle les « petits » viennent, quoi

C’est là que le PRES peut jouer un rôle.”

régionale.”

La recherche... de l’excellence ! “Lorsque vous dites « tout est axé sur la compétition internationale », je m’interroge un peu : faut-il absolument tout axer sur la compétition entre quelques-uns, pour quelques-uns ? Au contraire, ne faudrait-il pas également développer un concept de la « recherche d’excellence » - concept

appropriable par tous, où

chacun peut trouver sa place - plutôt

qu’on en dise, « nourrir les gros » ? Cette recherche de la compétition élitiste systématique me semble parfois quelque peu dangereuse.”

Cahier des territoires # 7 / Villes et universités 19


Atelier 2 .

LES ÉTUDIANTS, LA VILLE, “LEUR VILLE” ?

Problématique de l’atelier

S’ils constituent un public majeur non seulement de la vie universitaire, mais aussi de la vie urbaine, les étudiants entretiennent cependant des rapports complexes et dynamiques à la ville de leurs études. En quoi le processus de leur devenir adulte, le temps des études, influence-t-il leur inscription territoriale, tant d’un point de vue spatial que symbolique ? Comment ceci peut, pour la collectivité, entrer en résonance, ou pas, avec son projet urbain ?


2.1.Éléments de comparaison internationale des sociabilités et modes de vie étudiants Séverine CARRAUSSE / Doctorante, laboratoire CADIS-EHESS (Paris) - LISST-CIEU (Toulouse II)

Les recherches de Séverine CARRAUSSE explorent les sociabilités étudiantes, sur un mode de passage à l’âge adulte de la population étudiante, et examinent notamment... • les dimensions d’insertion, d’intégration à la vie universitaire et à l’institution universitaire ; • mais aussi les dimensions socio-culturelles qui participent de l’accès à l’autonomie (problématique du logement et des sociabilités familiales et amicales par exemple) ; • et comment cela s’articule à des dimensions plus identitaires de rapport aux études, aux pairs, à l’avenir et à l’âge adulte, mais aussi à la ville. L’étude présentée en ce jour, réalisée à partir d’un travail d’observation participante sur des temps relativement longs, a été menée dans trois pays représentatifs des principales diversités en matière de modèle institutionnel.

Séverine CARRAUSSE propose ainsi de faire un rapide tour d’horizon des sites universitaires étudiés (l’université de Toulouse II - Le Mirail en France, l’université de Coimbra au Portugal, et l’université nationale de Séoul en Corée du Sud) avant de recentrer ses propos sur les sociabilités et les modes de vie des étudiants. L’objectif final vise à éclairer les principales caractéristiques distinctives de la jeunesse étudiante toulousaine et en particulier de comprendre comment les étudiants toulousains se distinguent de leurs homologues européens et asiatiques, par une construction identitaire brouillée, ainsi qu’un statut d’étudiant peu marqué.

TROIS MODÈLES INSTITUTIONNELS L’université de Toulouse II – Le Mirail est une université de masse implantée dans une ZUP des années 60. En effet, si l’université toulousaine a une histoire très ancienne, l’université de Toulouse le Mirail a, elle, une histoire bien plus récente puisque c’est au début des années 70 que les lettres et les sciences humaines s’installent dans le quartier périphérique du Mirail afin de répondre à la forte augmentation du nombre d’étudiants. L’université de Coimbra est une université traditionnelle (et sélective) créée en 1290 à Coimbra (ville de résidence des rois), elle est transférée à plusieurs reprises de Lisbonne à Coimbra (éloigner les étudiants) pour s’établir définitivement au cœur de la ville de Coimbra en 1537. C’est donc

une des plus anciennes universités d’Europe qui a longtemps été la seule université du Portugal (jusqu’en 1911). Comme en France, le système portugais de l’enseignement supérieur est binaire ; sélectives, les universités sont préférées aux institutions polytechniques (politécnicos). À l’instar d’Oxford et Cambridge, de fortes traditions académiques perdurent à Coimbra ; divers rituels académiques accompagnent l’étudiant tout au long de son cursus universitaire. L’université nationale de Séoul est une université élitiste installée à flanc de montagne, éloignée du centre ville. Toutefois les différents quartiers qui composent la mégapole sont autant de centres villes satisfaisant les besoins étudiants. L’université nationale de Séoul tire ses origines de l’université impériale japonaise fondée durant la colonisation ; nationalement réinvestie dès la fin de la seconde guerre mondiale, l’institution universitaire déménage alors du centre ville vers son emplacement actuel en 1975. Cette implantation périphérique est guidée, comme à Coimbra et à Toulouse, par la volonté d’éloigner les étudiants. Il s’agit donc de repousser les risques de contestation étudiante loin du centre ville, et dans le même temps de palier à une demande très forte en termes d’enseignement supérieur. Il est important, dans ce dernier contexte socio-culturel très spécifique, de souligner la ferveur toute particulière que l’ensemble de la population voue à l’éducation. En Corée du Sud, l’examen d’entrée à

Cahier des territoires # 7 / Villes et universités

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> Situation des universités étudiées dans leur ville respective. Source : enquête Séverine CARRAUSSE, Les sociabilités étudiantes, 2004-2005

l’université constitue l’objectif de toute une vie : « intégrer une université prestigieuse, c’est construire une vie meilleure » explique l’intervenante. Plus qu’ailleurs, entrer dans la meilleure université autorise l’espoir d’un diplôme de valeur, d’une bonne situation professionnelle et d’un salaire adéquat, d’un mariage réussi ; finalement, cette réussite sociale par des études supérieures parvenues garantit à l’ensemble d’une famille une existence confortable. C’est dans cette perspective que les parents financent l’éducation scolaire de leur enfant, investissant d’importantes sommes dans les cours privés que proposent de nombreux instituts (hagwon) sur le temps libre des élèves. « C’est une véritable frénésie de l’éducation qui motive et pousse à la concurrence l’ensemble des jeunes Sud-Coréens » appuie Séverine CARRAUSSE. Au-delà de cet investissement pécuniaire direct et conséquent, nombre de parents n’hésitent pas à fonder leurs mobilités résidentielles sur la proximité d’une bonne école ou d’un bon institut privé… En Corée du sud le « prix social » de l’éducation est fréquemment pris en charge par les mères. Elles renoncent ainsi à leur propre carrière professionnelle, et gèrent intégralement les activités éducatives et ludiques de leurs enfants. Elles s’inscrivent et les insèrent dans différents réseaux sociaux qui constituent des espaces-ressources : ceux-ci offrent diverses informations liées à la scolarité des enfants, encouragent la compétition entre les enfants et finalement instaurent un contrôle social. Les mères initient également un rapport spécifique à la ville, car en guidant la scolarité et les sociabilités des enfants, ces derniers développent une connaissance « spécialisée », très scolaire de la ville, ainsi qu’une connaissance pragmatique des espaces pratiqués par les diverses communautés, et des manières dont les réseaux peuvent être abordés et entretenus (les trois princi-

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paux réseaux sociaux étant institués selon le lien du sang par la famille, le lien du sol par la ville d’origine, et le lien de l’école par les rencontres qui seront déployées dans le cadre scolaire, en particulier à l’université).

DES RAPPORTS ENTRE VILLE ET ÉTUDIANTS DIFFÉRENCIÉS La configuration de chaque site universitaire est différente, ainsi que l’organisation institutionnelle des systèmes universitaires étudiés. Et, logiquement, il en est de même dans les rapports qui lient le mode de vie étudiant à la ville : le logement, les loisirs, le transport, l’activité salariée… Séverine CARRAUSSE a choisi de s’arrêter plus longuement sur deux thèmes en particulier : la question de l’ancrage institutionnel et celle du logement dans le rapport ville / étudiants. La problématique de l’ancrage institutionnel est cruciale puisque l’accès à l’université induit des changements, voire même des ruptures plus ou moins conséquentes, qui brouillent nombre de repères familiers jusqu’alors établis : « même si l’étudiant ne fait que changer de lieu scolaire – si par exemple il réside sur Toulouse et s’inscrit à l’université du Mirail –, il existe d’autres obstacles » explique Séverine CARRAUSSE. Ces ruptures concernent la scolarité, le mode de vie, ou encore le système relationnel et affectif « d’avant l’université ». Elles constituent toutes des étapes difficiles qui nécessitent une adaptation. Or les universités répondent différemment aux difficultés rencontrées par les étudiants. Ainsi, pour tenter de palier à ces ruptures, l’accueil institutionnel est très fort dans les universités sélectives. L’intégration, l’acculturation des étudiants à un corps, voire à une élite, est particulièrement soutenue.


À Coimbra, l’accueil des étudiants se fait conjointement par l’institution et par une coutume académique que l’on appelle ‘Praxe’. Il s’agit d’un ensemble de pratiques et de rituels extrauniversitaires qui vont accompagner l’étudiant tout au long de son cursus, et l’impliquer ainsi dans ses études comme dans la vie et dans la ville universitaires. La spécificité du site universitaire (intra-muros) et de ses coutumes étudiantes participe à l’intégration de l’étudiant à l’institution et à la ville, et lui confère un attachement très fort à ces deux entités socio-spatiales. À l’université nationale de Séoul, les étudiants sont également incités à cultiver leurs relations au sein de cette institution élitiste, et bénéficient de deux supports : d’une part, les « membership training » (ou ‘MT’) - équivalents aux « week-ends d’intégration », et d’autre part, les « dongaris » - des cercles sociaux étudiants, très nombreux sur le campus. Ces manifestations permettent d’étendre les réseaux des étudiants en même temps qu’elles ancrent ces derniers dans l’université et dans la ville, puisqu’il est question à chaque fois de sortir ou de découvrir de nouvelles zones, de sortir ensemble et d’aller boire des verres, etc. La sociabilité des étudiants de l’université de Toulouse II – Le Mirail est davantage informelle et en appelle aux initiatives individuelles ; leurs activités, plutôt tournées vers la ville et dispersées, mobilisent davantage la structure urbaine.

« À Toulouse où la quête d’un logement constitue aussi pour de nombreux étudiants une réelle difficulté, la chambre en cité universitaire (« la piaule ») reste un modèle d’habitat estudiantin encore très convoité. » Concernant la question du logement, une enquête par questionnaire menée auprès des étudiants (450 individus par site universitaire) a révélé trois types d’habitat communs aux trois sites étudiés, mais investis selon des modalités socio-culturelles spécifiques. À Séoul il existe une interdépendance familiale très forte. Presque un étudiant enquêté sur deux vit chez ses parents ; et hormis les étudiants qui habitent à proximité de l’université dans de toutes petites chambres étudiantes, les jeunes Sud-Coréens quittent généralement le cocon familial lorsqu’est venu le temps de se marier. La « vie chez les parents » est marquée par les codes sociétaux ; ainsi, en Corée du Sud, la forte démarcation existant entre « vie privée / vie publique », « intérieur / extérieur » limite par exemple les invitations dans la maison familiale. Et puisqu’il n’est pas plus évident de recevoir dans un logement étudiant exigu, les sociabilités et la vie étudiante s’expérimentent surtout à l’extérieur, dans les divers espaces que compte la mégapole pour satisfaire les besoins des étudiants ayant trait aux études ou aux loisirs.

Une forme de logement communautaire en quelques points comparables à la colocation à la française caractérise l’habitat conimbricense : les « repúblicas », des maisons autogérées par une dizaine d’étudiants, avec le soutien de l’université de Coimbra. Ces repúblicas furent instituées à l’époque de la fondation de l’université, alors que les logements étudiants s’avéraient insuffisants ; aujourd’hui, elles demeurent financièrement intéressantes mais restent peu sollicitées. Avec l’essor des petites chambres individuelles, la convivialité et l’« être ensemble » de ce mode d’habiter traditionnel apparaissent comme des valeurs surtout partagées dans les rues de la ville. À Toulouse où la quête d’un logement constitue aussi pour de nombreux étudiants une réelle difficulté, la chambre en cité universitaire (« la piaule ») reste un modèle d’habitat estudiantin encore très convoité ; il s’est adapté aux pratiques de ce public, parallèlement à l’évolution sociale (cité ou résidence universitaire mixte, chambre pour couple, appartement dédié à la colocation, etc.), et alors que la solution du « provisoire » tend parfois à se prolonger.

LES ÉTUDIANTS DE L’UNIVERSITÉ DE TOULOUSE II - LE MIRAIL ET LA VILLE : MANIFESTER UNE IDENTITÉ ÉTUDIANTE “DISSÉMINÉE”, ÊTRE JEUNE AVANT TOUT, DEVENIR ADULTE La relation de l’étudiant à la ville des études est avant tout fonctionnelle ; en outre, elle se joue surtout dans les sociabilités qu’il déploie, pendant le temps de ses études – une période charnière dans son devenir adulte. L’appropriation de la ville est ainsi liée à la perception que les étudiants ont de leurs pratiques (et) de la ville. Séverine CARRAUSSE oriente sa réflexion sur la relation des étudiants de l’université de Toulouse II – Le Mirail au territoire. Ces étudiants se présentent avant tout comme des jeunes : ils sont étudiants parce qu’ils suivent des études à l’université, mais la diversité de leurs activités et de leurs conduites festives, dispersées dans la ville, les caractérise davantage en tant que jeunes. Et finalement, les étudiants de l’université de Toulouse II – Le Mirail se sentent étudiants lorsqu’ils participent à des mobilisations étudiantes et s’approprient des espaces de l’environnement institutionnel, en temps de grève notamment. Ainsi, en dehors de ces « temps forts » au sein des locaux universitaires, la ville de Toulouse constitue le terrain privilégié de la vie étudiante. Le sentiment d’adhésion identitaire à la ville passe alors par diverses formes, au-delà de leurs profils, en fonction du niveau d’intégration de l’étudiant dans la ville des études ; celui-ci s’inscrit selon trois modalités, intrinsèquement liées : > une inscription dans le temps ; > une inscription affective ; > une inscription par les pratiques et dans les symboles.

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> Fréquentation des rues de la ville par les étudiants dans le cadre des sorties – Étudiants de l’université de Toulouse II – Le Mirail Source : enquête Séverine CARRAUSSE, Les sociabilités étudiantes, 2004-2005

L’inscription dans le temps, ou plutôt dans la durée, renvoie à l’image qu’ont les étudiants de « vivre la ville » autant que de « vivre en ville », d’y habiter, de s’y établir – y compris l’été. En filigrane émerge l’idée de s’inscrire historiquement dans la ville des études, d’y avoir un passé – souvent en cours de construction, d’ailleurs, par l’expérience qu’ils font de la ville des études. Au-delà d’une simple acculturation ou expérience urbaine, c’est la dimension affective de ce « vivre (dans) la ville » qui semble entériner l’identité des étudiants par rapport à la ville des études – en l’occurrence Toulouse, en fonction d’une intégration plus ou moins désirée. Les notions de naissance, de racines, de famille sont alors très fortes, et marquent le lien à un territoire. L’étudiant peut être plus ou moins attaché à son lieu d’origine, à sa famille, à son cercle amical, quel qu’il soit ; auquel cas s’en détacher (quitter la ville d’origine pour la ville des études), ou au contraire la renforcer (cultiver la continuité en changeant seulement d’établissement scolaire, par exemple) marquent inévitablement l’intégration à la ville de Toulouse. Il peut également manifester une « émotion du territoire » par l’absence d’intégration, soit que l’étudiant ne désire pas vivre « dans la grande ville », préférant le cadre de vie qu’il connaissait jusqu’alors ; soit au contraire en ne manifestant aucun attachement territorial, se proclamant plutôt « citoyen du monde ».

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Enfin, pour beaucoup d’étudiants, la pratique même de la ville participe de leur intégration à la ville des études ; consciemment, par leur expérience de la ville, par les sorties, par un investissement territorialement (et socialement) marqué, par la connaissance qu’ils ont ou développent de la ville ou par l’intérêt qu’ils lui manifestent, l’intégration est en jeu. Elle est alors souvent vécue par des actions ou des détails symboliques forts (y avoir « son » banquier, « son » médecin, « son » coiffeur, etc. ; se stabiliser quant au logement, s’inscrire sur les listes électorales, apposer sur son véhicule une plaque d’immatriculation au numéro du département…). Progressivement, ces pratiques évoluent et font refléter dans la ville leur devenir adulte. Stratégie et adhésion identitaires se dessinent ainsi entre l’attractivité pragmatique d’un territoire et la « sentimentalisation » de ce dernier, qu’il soit d’ailleurs l’objet d’une implication de l’étudiant ou non... Mais émotions et évènements importants de la vie, a fortiori alors que les étudiants progressent vers leur autonomie d’adulte, apparaissent inextricablement dépendant de leur rapport au territoire.


2.2.Être étudiant à Toulouse... Chamseddine NAÏB / Ancien étudiant élu au CROUS et au CNOUS, membre de la Fédération PDE

Chamsseddine NAÏB, ancien élu étudiant, propose ici de dépeindre la vie étudiante toulousaine, et l’impact qu’ont les étudiants sur la ville, leurs universités, les services qui peuvent leur être fournis,… bref sur leurs propres vies.

Toulouse, c’est bien connu, est une ville étudiante. Avec à peu près un habitant sur huit qui est étudiant, la ville rose est actuellement la quatrième ville universitaire de France. De fait, elle propose un réseau d’universités et un pôle de recherche d’enseignement supérieur qui affiche un rayonnement national et même international. Sa grande attractivité n’est plus démentie : « les étudiants provenant des régions alentours, mais aussi de nombreuses universités étrangères sont relativement nombreux » fait remarquer l’ancien élu étudiant du CROUS et du CNOUS pour la Fédération Promotion et défense des étudiants. Toulouse est aussi une ville connue pour son ambiance festive et sa douceur de vivre. Caractéristique qui participe également au « pouvoir recruteur » de la capitale haut-garonnaise chez les étudiants et plus globalement chez l’ensemble des nouveaux venus. Autre vecteur vertueux, Toulouse est une ville sportive : la grande majorité des sports sont représentés par les associations de la ville et d’un point de vue universitaire, les équipes locales affichent des palmarès tout à fait honorables ; avec notamment une université championne d’Europe de rugby ou encore une équipe de foot championne de France universitaire.

UN ÉTUDIANT À TOULOUSE... C’est par la description de la vie étudiante dans son cadre universitaire – lieu où l’étudiant passe le plus clair de son temps, que ce soit pour sa formation mais aussi pour sa vie périscolaire – que démarre l’intervention de Chamsseddine NAÏB. « Lorsqu’on parle de vie étudiante, on fait tout d’abord allusion à l’implication des étudiants dans les universités »

explique ce dernier. C’est plus précisément leur présence dans «les Conseils» - Conseils d’administration, Conseil des études et de la vie universitaire, ou encore Conseil scientifique pour les doctorants - qui donnent le « la » de leur premier investissement. Celui-ci passe évidemment par des élections qui se tiennent tous les deux ans, et qui malheureusement comptabilisent un taux de vote assez faible - en moyenne autour de 10%. « Ceci constitue un vrai problème » renchérie l’intervenant. Cependant, ce désengagement électoral ne signifie pas pour autant que les étudiants ne se sentent pas du tout intéressés par la vie universitaire ; certains d’entre eux se sentent même réellement concernés par les orientations de leurs universités respectives. « Nous avons pu le constater dans le cadre du « Plan campus », même si malheureusement ils ont été très peu consultés » confie l’interlocuteur. Ainsi peut-on dire, qu’en général, les étudiants savent s’investir lorsqu’il est question de « leur université » et que leur volonté de faire évoluer ne relève pas du fantasme institutionnel. Pourtant cette envie de faire bouger les choses ne se manifeste pas forcément dans le domaine de la formation, mais de manière beaucoup plus large, dans le dessein de contribuer à la construction d’une université de qualité. Reste qu’à l’heure actuelle, l’étudiant ne fait pas preuve d’un sentiment d’appartenance à son université ; ce qui n’empêche de se sent impliqué dans sa formation. « Prenez n’importe quel étudiant – nous dit Chamsseddine NAIB - et demandezlui ce qu’il fait… Il vous répondra « histoire de l’art, biologie cellulaire,… », mais en revanche ne vous donnera jamais le nom de son université ».

Cahier des territoires # 7 / Villes et universités 25


C’est justement cette référence à l’identité de l’établissement que de nombreuses universités tentent d’instituer par le biais des BAIP (Bureau d’Aide à l’Insertion Professionnelle). Cette instance vise à mettre en place - tel que cela existe dans les universités de Coimbra ou de Séoul - un lien plus étroit entre les étudiants et l’institution universitaire. La vie étudiante ne repose pas exclusivement sur la seule question de la formation. La vie associative a également une grande importance dans la vitalité de l’université et de la vie étudiante. « Plus le nombre d’associations est élevé, plus les étudiants s’investissent dans celles-ci, et plus ils cherchent à faire bouger leur campus et surtout à le faire vivre » témoigne l’intervenant. C’est ce qui va faire qu’un lieu de formation va être l’élément déclencheur du lien d’appartenance à une université. Plusieurs exemples illustrent cette règle : si on prend l’exemple du Mirail, on a axé plutôt sur des foyers qui sont plutôt des associations filiéristes, donc un foyer d’histoire, un foyer de langue. Et prenons un exemple qui est complètement contraire, l’université Toulouse 3 qui a 54 associations, qui va de l’association de vélo à l’association de théâtre, avec quelques associations filiéristes à l’intérieur mais qui ne sont pas la majorité de ces associations.

UNE UNIVERSITÉ, UNE VILLE Vivre à l’université est une chose, vivre sa vie étudiante est une autre chose et insinue avant toute chose la fréquentation d’autres lieux, hors le campus universitaire. Le rapport entre la ville et les étudiants se réalise presqu’exclusivement autour des services que la ville propose à l’étudiant. Il est indéniable que malheureusement, l’étudiant a actuellement très peu d’impact sur sa ville et surtout qu’il ne s’y attache pas plus ça. C’est d’abord une question d’identité : l’étudiant se sent toulousain et participe à la vie citoyenne toulousaine lorsqu’il est issu du berceau toulousain. Pour les « étudiants étrangers », en revanche peu nombreux sont ceux qui s’impliqueront et feront par exemple les démarches pour aller voter — souvent par désinformation notamment sur les démarches à suivre pour changer de domiciliation et voter dans sa nouvelle ville. C’est aussi parce que cette deuxième catégorie d’étudiants sait que leur « vie à Toulouse » sera sans doute éphémère. « L’étudiant ne sait évidemment pas de quoi son avenir sera fait ». C’est ici un problème plus social, qui fait référence au projet professionnel et plus globalement à l’insertion de jeunes diplômés ne sachant pas où aller. Cette démarche là n’est pas entreprise. Malgré ses freins à l’appartenance à sa ville universitaire, il n’en demeure pas moins que les rapports entre la ville et les étudiants existent… presque contraints et forcés. Le transport… L’un des principaux rapports qui noue la ville et les étudiants n’est autre que le transport. A Toulouse, les transports en commun sont beaucoup plus utilisés par les étudiants pour se déplacer. Il faut dire qu’un grand nombre d’entre eux n’habitent pas forcément à proximité immédiate

26 Cahier des territoires # 7 / Villes et universités

des universités et dès lors sont de grands consommateurs de transports en commun … vélib’ toulousain compris. Ce n’est pas parce que les étudiants empruntent fréquemment les transports en commun, qu’une politique tarifaire particulière a été mise en place. « Il est dommage que les étudiants bénéficient des « tarifs jeunes » et non pas de « tarifs étudiants » » regrette l’intervenant. En effet, une fois ses 25 ans révolus (limites du tarif jeune), un étudiant en thèse ou en retard se verra appliquer un tarif normal. Cette forme d’injustice a déjà été dénoncée et plaidé par les étudiants auprès de leurs élus. Malheureusement, jusqu’à l’année dernière, ceux-ci n’avaient pas beaucoup de poids. Il faut espérer que la création récente, par la nouvelle majorité municipale de Toulouse, du Conseil de la Vie Etudiante changera certaines choses. Le logement… Le rapport ville-étudiant se matérialise également au niveau du logement ; qu’il soit universitaire ou privé. Le CROUS Midi-Pyrénées (Centre Régional des Oeuvres Universitaires et Scolaires) compte près 8700 chambres ; 6600 chambres sont situées à Toulouse. Le reste des étudiants (donc l’immense majorité) se trouve dans l’obligation de trouver leur bonheur (ou tout du moins un toit) dans le secteur privé. Ces étudiants là, pour se loger, prennent en compte la distance entre l’université et leur logement mais aussi – et c’est d’ailleurs le point principal - la présence de « commodités » autour de leur « lieu de couche » ; qu’il s’agisse de commodités du quotidien (épicerie, laverie, magasin de reprographie…) ou de commodités culturelles en principe moins vitales.

« Les logements des CROUS constituent la seule forme de logement sur laquelle les étudiants peuvent avoir un impact sur la qualité et l’emplacement. » Les logements des CROUS constituent la seule forme de logement sur laquelle les étudiants peuvent avoir un impact sur la qualité et l’emplacement. Ce pouvoir d’intervention s’explique très administrativement par la présence de sept représentants étudiants au Conseil d’administration du CROUS, dont l’un a été élu Vice-président. Au sein du CROUS, les étudiants peuvent réellement influer sur tous les paramètres de la construction de logements ; qu’il s’agisse du choix du lieu, de la mise en place de commodités ou encore de la taille des chambres. Ces deux dernières doléances sont les « traductions politiques » des désirs formulés par l’ensemble des étudiants interrogés. Ils sont une majorité à souhaiter des lieux de vie dans ces logements, afin que ceux-ci ne soient pas qu’une simple chambre pour dormir. Un logement digne de ce nom doit permettre des échanges entre les étudiants au sein d’ensembles, qui peuvent tout de même regrouper 5 à 600 étudiants dans les tripodes de Rangueil. On sent véritablement que les étudiants se trouvent en demande de rencontres et de liens sociaux.


d’ailleurs fait beaucoup parler d’elle, il y a quelques années : Toulouse a alors été jugée comme une ville très, trop festive, connue pour l’ouverture très tardive de ses bars et ses ambiances nocturnes délurées et bruyantes. La population étudiante « a très mal vécu » la réduction des heures d’ouverture et la mise en place de contrôles un peu plus sévères. Cet épisode peut être considérer comme anecdotique mais démontre le faible impact des étudiants face aux politiques des collectivités locales, dès lors qu’ils ne se réunissent pas en association ils bénéficient de très peu d’écoute.

> Chambre étudiante dans la résidence universitaire de Toulouse I - Capitole. Source : photo DDM, Thierry Bordas

L’offre du CROUS a par ailleurs cette capacité à fournir plusieurs types de logement qui s’adapte aux besoins et surtout aux moyens financiers des étudiants. A Toulouse par exemple, le parc de logements va du 9 m² jusqu’au soixante mètres carrés en collocation. Les contraintes budgétaires étant bien réelles, le premier type est le plus plébiscité par les étudiants. C’est la raison pour laquelle, ces 9 m² ont connu une vague de rénovation qui ont tendance à agrandir la surface de vie (on passe de 12 à 13 m²) avec des aménagement appropriés - des systèmes de lits rétractables notamment. La culture… L’étudiant toulousain est enfin énormément demandeur d’évènements, de manifestations culturelles, et il est vrai que Toulouse est une ville particulièrement bouillonnante en la matière. L’offre proposée aux étudiants par l’intermédiaire des CROUS ou de la mairie est importante mais globalement les tarifs ne sont pas encore assez attrayants pour les étudiants. Dans ce domaine là aussi, on ne prend pas suffisamment en compte la spécificité étudiante ; « un jeune et un étudiant sont deux personnes qui ont une problématique totalement différente » insiste Chamsseddine NAÏB. A Toulouse comme dans de nombreuses villes de cette taille, le développement culturel s’agite autour d’un monde associatif très présent, mais qui est malencontreusement quasi-uniquement aidé par les seules universités - via le FSDIE (Fonds Social de Développement Initiative Etudiante). Les aides des collectivités locales à destination des associations étudiantes sont le plus souvent faméliques, si ce n’est lorsqu’il s’agit d’une aide logistique, au demeurant très utile. Une caractéristique de la vie étudiante toulousaine s’invite sur le thème de la vie culturelle. C’est une question qui a

La citoyenneté… La citoyenneté étudiante est l’un des sujets qui préoccupe le CROUS. « C’est une citoyenneté globale, basée sur la ville certes, mais aussi sur les universités où les étudiants vivent la plupart de leur temps » intervient le représentant du CROUS. De manière générale, c’est malheureusement une citoyenneté sous-développée, qui connaît des taux de vote étudiant catastrophiques. « On navigue autour des 10% pour les Conseils d’université, et on atteint même des participations qui frôlent les 2, 3% dans certains Conseils d’UFR » raconte Chamsseddine NAÏB. Pour ce dernier la communication est trop souvent mal pensée. Lorsqu’elle n’est pas absente, elle n’informe pas suffisamment bien les étudiants sur les éléments que peuvent leur fournir les différents Conseils et toutes les autres institutions - notamment les collectivités locales : sans parler du calendrier électoral qui est tout simplement inconnu, « le fait que les étudiants ne voient pas quelle est leur relation vis-à-vis des collectivités ou des conseils, ils se sentent de moins en moins impliqué ». En définitive, les étudiants peuvent être demandeurs pour faire bouger leur université, leur ville, mais l’opacité du système est tel qu’ils ont du mal à s’investir.

EN CONCLUSION... L’implication étudiante est plutôt faible et pis encore, n’a que très peu de poids lorsqu’elle est effective. Les masses étudiantes n’ont pour ainsi dire aucun moyen efficace pour faire infléchir les collectivités ou les universités. Encore une fois, le manque de communication de la part des collectivités locales vis-à-vis du monde étudiant est flagrant ; le fait que les institutions locales raisonnent en « jeunes » et non en « étudiants », alors que ce sont deux populations distinctes, revient très souvent dans les « revendications étudiantes ». Le seul moyen de faire passer leur message reste finalement le milieu associatif et universitaire, avec l’existence de « conseils » où les associations étudiantes sont assez bien représentées. Une implication qui au final leur est ouverte… une fois qu’ils seront diplômés, tant bien même ils restaient dans la région.

Cahier des territoires # 7 / Villes et universités 27


2.3.Étudier à Albi... Emilie NICOULES / Etudiante en Master Recherche de sociologie - Université Toulouse-Le-Mirail

Emilie NICOULES est étudiante en sociologie (Master 1). Ses travaux universitaires portent sur les étudiants dans les villes moyennes et notamment sur l’exemple du CUFR d’Albi.

La population Albigeoise, et plus particulièrement celle du centre universitaire de formation et de recherche Jean-François CHAMPOLLION, n’est pas tout à fait la même que celle que l’on peut retrouver dans les grandes universités toulousaine. Comme l’ont soulignés Benoît LACROUX et François TAULELLE précédemment, le centre albigeois compte un taux d’élèves boursiers supérieur à la moyenne nationale : 43.5 % selon les données administratives du CUFR. L’autre aspect caractéristique du centre universitaire concerne l’approche territoriale de son recrutement étudiant : « le CUFR recrute essentiellement dans le département du Tarn ou dans ses départements limitrophes » explicite l’oratrice.

« L’autre aspect caractéristique du centre universitaire concerne l’approche territoriale de son recrutement étudiant : « le CUFR recrute essentiellement dans le département du Tarn ou dans ses départements limitrophes. » Le centre universitaire est situé dans une ville moyenne qui recouvre des avantages certains par rapport à une grande métropole régionale telle que Toulouse, qui ne correspond pas forcément aux attentes d’étudiants satisfaits d’étudier à proximité de leur domicile. En partant de ce constat, qui permet d’identifier un public particulier pour cette ville, Emilie NICOULES a tenté de savoir « si ces jeunes gens adoptaient les attitudes identifiés dans la littérature sociologique comme étant des comportements et modes de vie étudiants ». Pour cela, la chercheuse s’est appuyée sur des données statistiques issues de l’observatoire de la vie étudiante d’Albi, complétées par une série d’entretiens passée auprès d’étudiants albigeois. Trois niveaux de résultats sont présentés dans son exposé : ils permettent d’éclairer l’inscription territoriale des étudiants à Albi.

28 Cahier des territoires # 7 / Villes et universités

Tout d’abord en observant leur rapport au logement. 39,6% des étudiants albigeois déclarent vivre chez leurs parents durant l’année universitaire. Parmi les décohabitants — c’est-à-dire ceux qui ne vivent pas chez leurs parents durant l’année universitaire et qui habitent un logement indépendant — 67,9% vivent seul, 17.7% vivent en collocation et 14% vivent en couple. Le retour chez les parents reste très fréquent chez les étudiants albigeois. En effet, plus de la moitié des étudiants y retournent une à plusieurs fois par semaine. Ainsi, les décohabitants adoptent un processus d’indépendance mais restent très liés au foyer familial et à la ville d’origine. Ce lien avec la ville d’origine peut être varié. Il est lié à soit la famille, à l’emploi, au sport ou aux liens de sociabilité souvent hérités du lycée. Cette « double vie » - l’une dans la ville des études et l’autre dans la ville d’origine - reste très prononcée surtout chez les jeunes étudiants de niveau licence, qui représentent la population majoritaire à Albi. Dans ces conditions, bien qu’elle soit souvent synonyme d’étude et de sortie, l’inscription dans la ville reste alors très aléatoire d’un étudiant à l’autre. Le rapport aux déplacements constitue un deuxième niveau d’analyse. Contrairement aux grandes villes, bien plus étendues qu’Albi, le campus et le centre ville sont relativement proches, puisque les deux lieux sont séparés d’à peine un peu plus d’un kilomètre. « Lieu d’étude et lieu de résidence des décohabitants sont par conséquent la plupart du temps très proches » ajoute Emilie NICOULES. On comptabilise d’ailleurs autour de la faculté, de nombreux logements étudiants facilitant les déplacements à pied ou à vélo. Les transports en commun, quant à eux, sont très peu sollicités par les étudiants. Pour l’autre catégorie – ceux qui cohabitent chez leurs parents - la distance est un peu plus importante puisqu’ils vivent souvent


> Carte mentale déssinée par une étudiante qui n’habite pas Albi. Source : Emilie NICOULES

dans les alentours d’Albi. Néanmoins cette distance reste en général inférieure à cinquante kilomètres. Compte tenu des réseaux de transport en commun qui sont peu étendus dans les zones rurales, les cohabitants se déplacent majoritairement en voiture comme le confirme d’ailleurs les enquêtes menées par l’observatoire national de la vie étudiante. « Selon cet outil statistique, plus la taille de la ville est petite, plus les étudiants utilisent un véhicule personnel pour se déplacer » cite l’intervenante. Le rapport des étudiants aux loisirs et aux sorties constituent un autre thème d’importance. Pour Emilie NICOULES, loin des pensifs dilettantes, « ces deux éléments de la vie urbaine vont systématiquement de pair avec les modes de vie des étudiants ». Bien entendu, les « distractions oisives » sont beaucoup moins riches que dans une ville comme Toulouse, et pourtant l’offre est jugée suffisante par les étudiants : « comparé à la taille de la ville et à ses 4000 étudiants, c’est pas mal du tout » témoigne l’interlocutrice.

« Très vite on se rend compte que les cartes dessinées par les étudiants qui habitent Albi depuis un certain temps, au sein probablement d’un logement indépendant, proposent des cartes très fournies sur lesquelles ils font apparaître un réseau de sorties assez dense. »

Dans cette approche là, on note des inscriptions territoriales très différentes selon le mode de résidence des étudiants. Cette conclusion s’appuie sur une étude axée sur l’élaboration de cartes mentales réalisées par les étudiants de L3 sociologie du CUFR Champollion. « Nous avons plus précisément demandé à ces étudiants de représenter une carte d’Albi avec leurs lieux festifs, les endroits où ils sortent » explique l’étudiante. Très vite on se rend compte que les cartes dessinées par les étudiants qui habitent Albi depuis un certain temps, au sein probablement d’un logement indépendant, proposent des cartes très fournies sur lesquelles ils font apparaître un réseau de sorties assez dense. Celles représentées par ceux qui n’habitent pas Albi mais ses environs, est beaucoup plus légère. On peut supposer que les étudiants qui n’habitent pas à Albi sont plus souvent chez leurs parents. D’autres différences apparaissent : on voit bien notamment que la représentation des cohabitants est un peu moins centrée sur les sorties et surtout que celle-ci est très marquée par la présence de l’axe routier principal. En définitive ces cartes des représentations - en fonction de la géographie du logement - montrent clairement que les étudiants qui ont une vie sur Albi perçoivent la ville comme leur « lieu d’étude » mais aussi leur « lieu de sortie et de festivité ». A contrario, les étudiants qui n’habitent pas Albi, utilisent la ville et la fac comme leur « lieu d’étude » mais pas comme leur « lieu de vie et de sociabilité ».

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2.4. Le lien “ville-université” dans le Grand Toulouse Daniel POULOU / Directeur de projet à la Communauté Urbaine du Grand Toulouse

C’est d’abord dans l’optique d’échanger avec « les autres » que Daniel POULOU a souhaité participer à cette journée. Il faut dire que les interrogations sur le sujet ne manquent pas : « la question de l’appropriation de la ville par les étudiants, comme celle des étudiants par la ville, c'est-à-dire cet échange entre collectivités et étudiants, ne date pas d’hier » confie l’intervenant.

Que Toulouse ne soit pas la seule ville où se soit installée une affirmation politique forte autour d’un lien si complexe [le lien ville-université] ne surprend pas Daniel POULOU. Tant et si bien qu’en entendant l’exposé consacré à des exemples étrangers, il dit avoir « parfois eu l’impression de reconnaître la pluralité sociologique et culturelle qui anime le territoire de l’agglomération toulousaine ». Le fonctionnement élitiste de l’université de Séoul, où les gens se retrouvent autour d’une vie culturo-associative foisonnante, lui a par exemple rappelé « certains territoires toulousains gérés par de grandes écoles ». C’est encore le lien privilégié de l’université de Coimbra avec son centre qui lui a fait un peu penser « à celui qui noue nos étudiants et notre propre centre ville ». Certes, ce ne sont que des lumières qui s’allument et surtout pas des analogies directes. Il n’en reste pas moins que pour l’intervenant, toutes ces questions ne peuvent faire l’économie d’études sérieuses : « Ne parle-t-on pas de l’université, lieu de la recherche par excellence ? Nous avons tout intérêt à creuser la connaissance sur la diversité de l’attente et de l’état sociologique du monde étudiant, du monde de la recherche et plus largement du monde universitaire ».

débat ». D’ailleurs « la machine administrative et technique n’a jamais été autant avancée pour développer des projets cohérents en la matière ». La maturité des liens entre les collectivités et le PRES en est la meilleure preuve. « Personnellement, je travaille d’ailleurs davantage avec le PRES qu’avec la plupart de mes autres collègues » rapporte Daniel POULOU. En tout état de cause, une chose est claire, une telle évolution technique n’aurait pu exister sans l’émergence d’un acteur comme le PRES.

Toutefois, ses interrogations ne l’empêche pas, lui et surtout la ville de Toulouse, d’intégrer cette dimension dans la réflexion urbaine de la ville. C’est pourquoi, il livre un témoignage sur l’état d’avancement de l’engagement de la Communauté Urbaine du Grand Toulouse sur cette dimension.

LA FABRIQUE TOULOUSAINE... POUR RÉFLÉCHIR COLLECTIVEMENT À LA RELATION VILLEUNIVERSITÉ

UNIVERSITÉ ET COLLECTIVITÉ, L’INDISPENSABLE ÉCHANGE Selon lui, « le lien entre ville et université, est aujourd’hui suffisamment affirmée politiquement pour qu’elle fasse l’objet d’un

30 Cahier des territoires # 7 / Villes et universités

« Ce matin Marie-France BARTHET racontait qu’au début de sa carrière, elle se considérait comme un « chercheur hors sol ». Or j’ai l’impression que l’on trouve nombre d’étudiants « hors sol » ! » lance l’intervenant. Il est vrai que finalement ces derniers sont peu souvent proches de leur université… Quoi que… on y trouve quelques nuances : la situation française est loin d’être uniforme. Par conséquent, encore une fois, il y a nécessité à poursuivre l’actualisation et le partage des connaissances parce qu’il est certain que les laboratoires possèdent une connaissance extrêmement plus poussée que celle des services de collectivités… qui pourtant structurent de nombreux projets. Mais faut-il encore que cet échange se développe.

A Toulouse, la collectivité tente de stimuler cette interconnexion. « Vous avez certainement entendu parler du processus d’élaboration collectif et de partage de l’information sur le mode de création d’un projet urbain communal dans un premier temps, puis à vocation communautaire dans un second temps » demande Daniel POULOU à la salle. Il fait référence à « la


> La Fabrique Toulousaine : un lieu de débat et d’exposition. Source : photos © La Fabrique Toulousaine

Fabrique Toulousaine » : une démarche qui a pour vocation de traduire le projet politique dans les documents de planification classiques (PLU, PADD, SCOT, PLH...) en tenant compte des réflexions portées par les documents existants et plus largement par toutes les autres politiques publiques qui ne sont pas des exercices directs de planification ; tels que le projet culturel, le plan Campus, la politique de la Ville... « Toutes ces questions alimentent les débats (d’abord entre professionnel - de Février 2009 à Novembre 2009 puis avec la population ensuite), qui nourrissent eux mêmes la démarche conduisant progressivement à un projet urbain pensé à l’échelle des 25 communes » ajoute l’interlocuteur. Durant les nombreux débats tenus entre professionnels, la question de la « ville campus » a souvent été discutée. Ce fût même le thème d’un atelier animé par des universitaires et des urbanistes extérieurs à la collectivité. La question principale était très précise : « comment faire entrer la ville dans l’université et l’université dans la ville ? ». Initialement intitulé « la ville campus », cet atelier souleva en sus toute une série de questions sous-jacentes : « est-ce que toute la ville pouvait être considérée comme la « ville campus » ? » ; « est-ce que la « ville campus » est vraiment la ville où vivent les étudiants ? » - sous entendu le centre-ville. D’autres questions de fond, pré-opérationnelles, se sont également posées : par exemple « serait-il pertinent de renforcer le phénomène de concentration centrifuge ? » ; ou encore « est-ce que les autres dimensions urbaines sont suffisamment considérées (transports, logement, loisirs…) ? ».

A ce sujet c’est d’ailleurs avec beaucoup d’intérêt que Daniel POULOU a observé les cartes matérialisant la perception étudiante de la ville d’Albi. « Il serait intéressant qu’on puisse réaliser le même exercice perceptif à l’échelle de Toulouse, voire à l’échelle des 25 communes de l’agglomération ». Pour le représentant de la Communauté urbaine, « cela permettrait de connaître les différents types d’appropriation du territoire, et ce en fonction des différences sociologiques de la population étudiante toulousaine ». En tous les cas, voilà les types de questionnement qui ont été débattus lors de cet atelier et auxquels les organisateurs n’ont pu toujours répondre. Il n’en reste pas moins que ce dispositif a permis d’avancer et que comme le répète Daniel POULOU, « les chercheurs sont invités à venir présenter leurs travaux dans le lieu public que constitue la « Fabrique urbaine », afin de partager et échanger leurs analyses ». Le débat avec la population fût également très riche. Selon l’intervenant « le niveau de débat avec les toulousains a même été généralement d’un excellent niveau, parfois supérieur aux échanges avec les professionnels ». Il y a eu une prise de parole habitante extrêmement avertie. Toutefois, une question demeure : « ceux qui se sont exprimés représententils toute la population » ? Certainement pas. Quoi qu’il en soit, ils ont participé à élever le niveau de débat, y compris sur la question du lien ville / étudiants. Une participation souvent mâtinée d’un esprit constructif quant à la dynamique étudiante pour Toulouse. Ce fût aussi, inévitablement, des réactions plus contraires, exprimant un « ras-le-bol » à l’encontre, notamment, de « certaines places bien trop bruyantes ».

Cahier des territoires # 7 / Villes et universités 31


< Carte illustrant la concordance du développement urbain et du projet universitaire. Source : dossier Toulouse Campus déposé pour approbation définitive / fév. 2010

Toute cette phase de questionnement, en prise avec la réalité, était indispensable. « Chacun sait bien qu’aujourd’hui, on ne peut plus faire du projet urbain et de l’aménagement sans débattre, partager mais aussi accepter de « trancher » certains choix d’aménagement au regard des avis émis par la population ».

DES PROJETS UNIVERSITAIRES DANS LE GRAND PROJET D’AMÉNAGEMENT TOULOUSAIN A l’heure actuelle, les choix qui ont été pris, affirment deux grandes lignes de force, garantes de l’identification du développement toulousain. La première d’entre elles porte sur la connaissance et l’économie d’avenir. Centres de développement qui font écho à l’image de « Toulouse ville créative », au sens très large, et qui fait notamment le lien entre l’université, les étudiants, l’économie mais aussi la culture et la créativité.

32 Cahier des territoires # 7 / Villes et universités


La deuxième ligne de force, peut être plus habituelle, porte sur l’eau et de manière plus large sur les espaces qu’elle occupe ou qu’elle jouxte, constituant un patrimoine bâti ou non bâti, créant des usages, des pratiques développées sur les rives ou dans des endroits davantage marqués par la présence végétale. Par la suite, l’évolution de la réflexion visait à chercher une structuration de tout ce qui fait projet. Pour Daniel POULOU, « il y a toujours sur un territoire, énormément de choses qui bougent, qui sont proposées, qui s’aménagent parfois toutes seules, quasiment sans l’intervention de la collectivité, quelques fois même a contrario de ce qu’elle souhaite ». L’idée consistait à proposer une clef d’entrée collective, une vision commune, ou tout du moins une boîte à outils permettant de mieux organiser les choses. Quatre premiers projets doivent façonner la ville-campus : « Axe Garonne » qui est un projet d’aménagement courant sur 31 kilomètres, à l’échelle communautaire ; le projet Matabiau avec son rôle de futur centre « Mirail Garonne » avec une université qui, située au cœur du quartier, doit absolument servir de liens avec le territoire GPV, mais aussi avec tous les autres territoires adjacents ; enfin le projet « Plaine Campus », créé autour des sciences dures sur le sud-est toulousain, s’appuiera sur l’université Paul Sabatier et le complexe scientifique de Rangueil existant. Ce dernier projet est un territoire naturel d’extension sur lequel le Grand Toulouse travaille en collaboration avec le PRES. Plusieurs opérations d’urbanisme publiques portées par la Communauté Urbaine y sont prévues ; dont certaines opérations d’urbanisme, certains bâtiments - notamment l’espace Clément Ader - seront portés par le PRES. Preuve que les deux entités avancent main dans la main. Bien sûr, ces quatre projets ne seront pas les seuls à se nourrir des deux lignes de force évoquées plus haut. D’autres projets, extrêmement importants pour les quartiers qu’ils vont restructurer (la Cartoucherie, la rue Alsace-Lorraine, la ligne Garonne, Niel, et bien d’autres), seront guidés par ces principes. On peut notamment parler du quartier des sciences qui doit justement assurer un lien entre les sciences, au sens large du terme, et la population ; en espérant développer un sentiment d’appropriation dans les deux sens. Il est notamment prévu un lieu d’information capable de faciliter l’appropriation administrative, voire citoyenne, des étudiants vis-à-vis de la collectivité et de son territoire. Il y a là l’ambition de répondre à toutes les questions étudiantes, et à favoriser leur insertion au sein du territoire du Grand Toulouse. Voilà un projet d’ambitieux qui n’est pas encore opérationnel mais qui est lancé sur la base d’un constat probant et symptomatique de la volonté politique qui anime les différents acteurs de la question ville / universités à Toulouse : un besoin d’échanges et de connexions entre les lieux mais aussi entre les différentes catégories de population.

Cahier des territoires # 7 / Villes et universités 33


réactions dans la salle Les diverses interventions proposées lors de cet atelier 2 ont donné lieu à plusieurs réactions dans la salle. Nous avons réalisé une synthèse de ces dernières, organisée par séquences thèmatiques.

Les sites universitaires secondaires sont-ils différents ?

c'est-à-dire quitter le lieu de résidence

Est-ce que je dis que « c’est ma ville » ?

des parents pour aller se fondre dans

Est-ce que j’en suis citoyen ? Est-ce que

une sociologie différente ; mieux enco-

j’y vote ?“

“L’avantage des sites universitaires

re la liberté ! La vie d’étudiante, c’est

secondaires réside dans le fait qu’ils off-

également la construction de sa per-

> “Dans le cas de Toulouse, on se sent

rent une inter-connaissance, au départ

sonnalité.“

étudiant à partir du moment où l’on

beaucoup plus importante que celle développée dans les grandes universités. Cette inter-connaissance, et les sociabili-

développe

Etudiants et toulousains ? > “Il y a une spécificité propre

un

certain

nombre

d’activités concrètes et pragmatiques. à

Par exemple « mon coiffeur est à

tés qui en découlent, sont facilitées par la

l’université de Toulouse Le Mirail. Disons

Toulouse », « mon médecin est à

taille de l’université mais également par

qu’une des choses qui m’a particulière-

Toulouse », « mon spécialiste est à

la taille des promotions qui restent relati-

ment marqué lorsqu’on compare cette

Toulouse », « ma plaque est immatricu-

vement petites - de l’ordre d’une trentai-

université toulousaine aux autres cam-

lée 31 » ! Ainsi avec ce genre de démar-

ne d’étudiants en Licence 3. Cela res-

pus, c’est le fait que l’étudiant de cette

ches d’ordre social ou administratif,

semble un petit peu au Lycée !“

université a une vie plutôt « atomisée » ;

l’étudiant se sent d’avantage toulousain

une « vie atomisée » qui, identitairement

qu’étudiant.

> “Le

fait que ces universités présen-

parlant, ne lui assure pas son statut

tent une petite taille entre dans le critè-

d’étudiant. En effet les étudiants suivent,

[…] En venant s’installer à Toulouse, on

re de choix des étudiants ; surtout par

certes, des cours à l’université mais c’est

embrasse une forme de précarité qui

rapport aux grandes universités qui

essentiellement dans les temps de mobi-

doit être normalement ponctuelle ;

paraissent trop impersonnelles et « où

lisation étudiante qu’ils se sentent vérita-

mais c’est du « ponctuel » qui s’éternise

l’on perd tous ses repères ». En effet

blement étudiants ; autrement dit, c’est

un petit peu ! C'est-à-dire que lorsqu’un

beaucoup d’étudiants proviennent de

lorsqu’ils bloquent la présidence de

étudiant loue un logement à Toulouse,

petites villes ou de villages dans lesquels

l’université qu’ils se ressentent étudiants

il se dit qu’il va peut-être changer de

l’inter-connaissance est un élément de

parce que c’est le seul moment où fina-

lieu d’étude et occupe finalement une

sociabilité essentiel. Dans ces condi-

lement ils se rencontrent. Ils sont alors «

certaine ambivalence ; il reste dès lors

tions, la ville moyenne apparaît comme

entre étudiants » et initient une action

très attaché à sa ville d’origine. Au bout

une transition avant de se diriger vers la

qui se fait dans le « cadre estudiantin » ,

d’un moment quand bien même les

métropole lorsqu’on visera l’intégration

dans les locaux mêmes de l’université. La

allers-retours sont moins fréquents

d’un Master.“

> “ C’est surtout le critère de la proximi-

« prise des locaux » fait alors émerger

entre ville d’étude et ville d’origine,

quelque chose de nouveau au niveau

l’étudiant affiche encore des difficultés à

identitaire.“

se projeter dans l’action citoyenne de sa

té — souvent décidé par les parents —

ville universitaire : « ça fait longtemps

qui joue. Critère qui fait indirectement

>“

J’ai l’impression que soit « on est

que je fais mes études à Toulouse, mais

référence à la qualité de vie. Mais bien

étudiant », soit on est « quelqu’un qui

après il me faudra de toute façon trou-

évidemment le critère premier reste le

étudie » ! Pourtant dans notre rapport à

ver un travail qui me poussera sans

coût de la vie étudiante, et notamment

la ville il n’y a pas que cela ; il peut y

doute à partir ; à ce moment là, j’aurais

le coût du logement qui constitue la

avoir le rapport citoyen. Est-ce que je

tout le temps de faire un certain nomb-

dépense principale pour les décohabi-

suis intégré - lorsque je suis étudiant ou

re de démarches administratives ». C’est

tants. Je ne sais pas ce qui en était pour

lorsque je suis quelqu’un qui étudie - en

notamment vrai pour l’inscription aux

d’autres générations, mais pour moi,

tant que citoyen à la ville dans laquelle

listes électorales.“

l’université représentait l’autonomie —

j’habite ?

34 Cahier des territoires # 7 / Villes et universités


DES TERMES À RETENIR. 1. Conseil de la vie étudiante − (CVE) Initiée en 2009, la ville [de Toulouse] ne comptait auparavant aucune structure de ce type offrant l’occasion aux étudiants de participer à la vie démocratique locale. L’objectif de ce conseil est de se faire l’écho des paroles étudiantes et de mettre en place une étroite synergie entre élus et étudiants, un réel débat et pour que naissent des propositions de qualité). 2. Fabrique toulousaine − Une démarche participative, animée par les élus, qui croise les visions politiques, techniques et citoyennes et qui en fera la synthèse. Après les professionnels de l’aménagement et de l’urbanisme, elle interpelle les toulousains à travers de multiples lieux et espaces de concertation (ateliers, site @, exposition…).

>“Spontanément, je pense qu’il y aurait

Reste qu’il demeure une autre popula-

Mirail. […] Il existe vraiment une carac-

trois modalités d’appropriation des étu-

tion de jeune défavorisée, qui n’est pas

téristique propre aux étudiants de

diants à la « ville universitaire ». D’abord

étudiante et qui peut dès lors expliquer la

l’université du Mirail. C’est le fait des

par le temps ou plutôt la durée. Il existe

volonté de parler de catégorie « jeune »

campus un petit peu excentrés de la

également une appropriation liée à

et non pas « étudiante ». Ce qui ne veut

ville elle-même. Et c’est vrai que dans

l’affect ; c'est-à-dire que certains vien-

pas dire forcément qu’il n’existe pas de

certaines filières où il y a beaucoup

dront étudier à Toulouse mais conti-

politiques initiées à destination des étu-

d’heures de cours, les étudiants sont

nueront à préférer leurs vertes vallées

diants. Je crois d’ailleurs que c’est

d’abord, intégrés à l’université et dans

de l’Ariège. A l’inverse, d’autres aime-

davantage une question sémantique

un second temps à la ville.“

ront rapidement le dynamisme de cette

qu’une question d’action.“

ville. Enfin on ne peut écarter la proxi-

Les étudiants, acteurs de l’aménagement urbain ? > “ Il y a eu débat autour de la Fabrique

mité du lieu d’étude avec sa famille, ses

> “La

amis,.... Mais plus globalement, il est dif-

c’est moins de vingt cinq ans. Nous

ficile de figer quelque chose à un

avons par conséquent une large palette

Toulousaine, sur le processus, sur

moment donné parce que l’étudiant

de « jeunes » dont « les constituants »

l’affirmation du projet urbain avec le

définition du vocable « jeune »,

évolue au fil de son cursus, parce que

connaissent chacun des problématiques

Conseil de la vie étudiante, comme il y a

ses sociabilités évoluent… ses « sociabi-

particulières. C’est notamment le cas des

eu débat avec d’autres instances qui

lités amicales » ou encore ses « sociabi-

étudiants qui, bien qu’affichant des pro-

représentent d’autres thématiques ou

lités amoureuses » vont progressive-

blématiques proches de celles connues

groupements d’intérêts. Maintenant, le

ment s’établir et finalement largement

par « les jeunes en général », font état

Conseil continue de vivre, et je suppose

participer à l’appropriation de la ville.“

d’une condition très spécifique : « pro-

qu’il continue à débattre sur le sujet. […]

blématique de formation », mais égale-

Il y a plusieurs organes dans le Conseil

Les étudiants, des jeunes à part ? > “Je souhaiterais revenir

ment difficultés pour subvenir à leurs

de la vie étudiante et ces organes ont

besoins.“

un pouvoir d’interpellation vis-à-vis du

sur la ques-

maire. Néanmoins c’est une instance

tion du refus de la mise en place de poli-

> “Quand

j’ai dit que « l’étudiant tou-

qui est quand même naissante et donc

tiques destinées aux étudiants stricto

lousain s’identifiait davantage à un

je pense qu’il va falloir attendre encore

sensu, et sur l’idée de considérer cette

jeune qu’à un étudiant », c’est parce que

quelques années avant qu’il ne soit vrai-

catégorie comme faisant partie inté-

concrètement, l’université du Mirail

ment efficace.“

grante de la jeunesse. C’est une préoc-

offre des filières où il y a peu de cours.

cupation assez constante notamment

Donc, le reste du temps, ils vivent en

dans les villes qui étaient dirigées par des

général à l’extérieur de l’université ou à

équipes socialistes : il s’agissait de ne pas

la bibliothèque universitaire. Mais c’est

différencier les étudiants parmi les

vrai qu’on se trouve davantage dans

populations jeunes, pour justement ne

une dissolution de l’identité étudiante.

pas favoriser de vision inégalitaire du

Je sais que le sentiment d’apparte-

monde des jeunes. Plus largement, je ne

nance à la faculté est différent à

pense pas qu’il y ait autant de distinction

l’université Paul Sabatier ; parce que les

entre jeunes et étudiants ; surtout qu’une

étudiants ont davantage d’heures de

grande majorité des jeunes sont des

cours. Dès lors, ils investissent un peu

étudiants !

plus dans leur cursus et leurs pratiques étudiantes sont différentes de celles du

Cahier des territoires # 7 / Villes et universités 35


Atelier 3 .

ORGANISATION ET VIE D’UN SITE UNIVERSITAIRE : VERS UN MODÈLE DE CAMPUS À LA FRANÇAISE ?

Problématique de l’atelier

L’université est à la fois un lieu spécialisé, avec une organisation spécifique, mais peut aussi être vu comme un microcosme de la ville, intégrant différentes fonctions et espaces urbains. Entre densité des activités scientifiques et injonction d’ouverture sur la ville, comment se recomposent les sites universitaires ? Entre sécurité et gestion des installations sur certains sites, espaces d’accueil de fonctions métropolitaines sur d’autres, intégration possible ou non de plate-forme économique, les sites universitaires s’interrogent sur leur modèle en même temps qu’ils améliorent leurs bâtiments et réaménagent leurs espaces d’implantation.


3.1. Les nouveaux enjeux des campus universitaires français Jean-Noël LARRÉ / Directeur de l’immobilier et de l’aménagement, PRES Université de Toulouse

« Va-t-on vers un modèle de campus à la française ? » ; « s’agit-il d’un problème urbanistique ou d’un simple problème architectural ? » ; « y-a-t-il, à un moment donné, des déterminants qui influencent la réalisation de certaines choses sur le terrain ? ». Voilà quelques unes des questions que se pose d’emblée Jean-Noël LARRÉ.

A QUOI SERT LE PROJET UNIVERSITAIRE ? Pour Jean-Noël LARRÉ, le point de départ de la réflexion de la question universitaire part de très loin : « comment a-t-on ressenti à un moment donné, la place et le rôle de l’université au sein du système d’enseignement et au sein de la société française ? ». Une petite phrase d’accroche, empruntée à Alain RENAUD, lance ensuite le débat : « l’université française est un bateau ivre ». L’interprétation du directeur de l’immobilier et de l’aménagement au PRES de Toulouse est tout aussi lapidaire : cela lui rappelle « que le moindre écueil peut la faire chavirer ». Dès lors une profonde réforme est nécessaire face à la paralysie qui frappe cette institution. Ce qu’il est intéressant de voir c’est qu’en définitive cette phrase prononcée en 2004, a largement inspiré en 2009 - c'est-à-dire hier – Valérie PECRESSE. La Ministre de l’Education reposait la question sous une autre forme : « des universités, oui bien sûr. Mais pourquoi ? Pour qui ? Pour quel projet de développement économique, social et culturel ? ». Jean-Noël LARRÉ croit en la nécessité de ce questionnement de fond, « pour qu’il se passe quelque chose ». Et pour ce, il est indispensable d’interroger le terrain. « Il faut savoir d’où ça vient » dit-il simplement. Mais ce n’est pas tout, pour que les choses changent réellement, il faut surtout une volonté politique, accompagnée de moyens financiers adéquats ; « sinon on est dans le discours le plus total » prévient-il. Plus concrètement, la Ministre propose dans son discours de 2009, une réponse politique ; une réponse qui va avoir une influence sur la question du « modèle de campus ».

Les objectifs de cette politique y sont très clairement affirmés : « il était urgent de rassembler notre paysage de recherche - c'està-dire 83 universités et 225 écoles - pour lui donner enfin une visibilité mondiale ». « C’est dans cet esprit que le Président de la République a souhaité que notre pays se dote de campus universitaire digne de ce nom » poursuit-elle. Dans les faits, la traduction opérationnelle de ce discours, annonçant la volonté de fédérer les universités, porte le nom d’« Opération campus ». Pour « fédérer les campus », ont été sélectionnés au niveau national, 12 campus d’excellence ; 10 se partageront les 5 milliards d’euros provenant d’une partie de la vente des actifs de l’Etat en Ile-de-France - les 2 derniers étant des campus sélectionnés sur d’autres sources de financement. Quid des laisser pour compte ? « Se sont tenues à Paris, quelques jours avant ce séminaire du PREDAT, deux journées organisées par l’AEF » lance le représentant du PRES. Etait notamment présent le maire de Bordeaux ; lequel expliquait très clairement devant l’assemblée, dont de nombreux conseillers du Ministère, qu’il considérait l’idée des campus d’excellence comme une bonne idée. Pour autant il précisait que ceux qui ne seraient pas retenus dans cette notion « d’excellence » - notamment dans le cadre du Grand emprunt – ne devaient pas dramatiser cet échec. Au contraire, ce ne serait pas grave, les perdants auraient travaillé et pourraient tirer partie de leur investissement. « Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit bien d’un système sélectif » commente Jean-Noël LARRÉ.

Cahier des territoires # 7 / Villes et universités 37


L’autre sujet d’importance se résume à un vocable d’actualité : « la visibilité internationale ». La question est capitale : « nos universités sont-elles visibles au niveau mondial ? L’université de Toulouse est-elle lisible au plan mondial ? Est-elle au moins lisible au niveau national ? ». Ces questions sont importantes parce que l’étudiant est basique. Quand il se réinscrit d’une année sur l’autre, il regarde les conditions de la réussite. Or figurent dans ces conditions de réussite, un certain nombre de paramètres constants. L’engagement financier est le premier d’entre eux, et sur ce point « on peut être certain que « l’Opération Campus » va respecter ses engagements » explique l’intervenant. Il s’agit de 5 milliards d’euros, auxquels s’ajoutent 4,6 milliards d’euros correspondant à l’engagement financier du MESR (Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche) sur la partie immobilière jusqu’en 2013. Malgré tout l’Etat semble découvrir que l’investissement immobilier ne suffit pas : « maintenant il faut se préoccuper de la vie étudiante, il faut se préoccuper de l’aménagement, il faut s’occuper d’équipement, et c’est assez intéressant à voir parce qu’on a presque l’impression de découvrir le fait qu’un système universitaire est un système complexe, qui s’apparente à des morceaux de ville au sein d’une ville comme Toulouse » explique-t-il circonspect. Ainsi par delà l’émergence de signes architecturaux forts, la création de l’éco-campus – « thème un peu tarte à la crème » ! - on commence à voir poindre des inflexions sur le modèle urbain futur.

UN PROJET GLOBAL... C’est que depuis très peu de temps le Ministère a mis en place des « ateliers campus » animés par un comité d’orientation stratégique, réunissant des architectes et des urbanistes de renom. C’est dans le cadre de ces ateliers que Bruno FORTIER – urbaniste - et Olivier GALLAND - sociologue - sont venus à Toulouse. « Leur avis sur notre projet a été plutôt favorable » confie Jean-Noël LARRÉ. Le projet toulousain s’inscrit dans une génération de projets universitaires « de plus en plus complets face à un système de plus en plus complexe ». L’opération campus toulousaine s’appuie sur une gouvernance partenariale et une approche transversale des différents thèmes qui tournent autour de l’urbanisme, de l’architecture et des ambitions scientifiques et pédagogiques. Cette gouvernance partenariale s’organise autour du Comité de pilotage partenarial présidé par le Préfet, où siègent les représentants des 5 collectivités territoriales, le Ministère, le président du PRES, le bureau du PRES, les établissements de recherche de type CNRS, INRA et autres, et le CROUS. Tous les documents d’orientation – le schéma directeur immobilier Grand Sud-Est, le schéma directeur immobilier et aménagement du Mirail, et le schéma directeur du logement étudiant l’agglomération toulousaine – ont été élaborés, en commun, avec toutes les parties prenantes.

38 Cahier des territoires # 7 / Villes et universités

« Cela parait évident et pourtant j’ai déjà vu beaucoup de projets où tout le système de décision et de communication était complètement hétérogène ; et à un moment donné ça produit des choses négatives » complète le directeur de l’immobilier et de l’aménagement du PRES. Autre point important dans l’organisation toulousaine : une convention partenariale de site qui sera signée le 8 juin 2010 par les différents acteurs. Par ailleurs l’ensemble de l’engagement financier, y compris celui qui figure dans le volet « pôle d’activité » du CPER, est validé par les élus. Bruno FORTIER n’a pas visité que les sites universitaires toulousains ; il a réalisé un « instantané national » après avoir fait le tour de tous les campus français. Pour résumer le tout, il a produit un rapport qui met en lumière trois choses importantes.

« [...] dans les 20 ans qui viennent, nous aurons besoin de 520 millions d’euros pour les travaux d’entretien qui ne sont pour l’instant absolument pas financés. » Le premier point fait la thèse que, d’une manière générale, le domaine universitaire constitue un domaine immobilier assez important ; « cela concerne 1 million de m² sur Toulouse ». Or ces « morceaux de ville » sont assez peu intégrés au reste de la ville. La question des transports collectifs est une première explication de cette « mauvaise greffe » : « si des choses ont été faites en la matière, on n’avait jamais pensé faire passer un transport collectif au milieu d’un campus » constate l’intervenant. C’est justement le projet en cours sur « Rangueil ». Au final Bruno FORTIER parle de « projets immobiliers étroits, réalisé sans réflexion globale ». C’est aussi l’avis de Jean-Noël LARRÉ. Dès lors le travail à accomplir, notamment dans le cadre des PPP, est conséquent. Cela commence en premier lieu par un effort financier sur la gestion du patrimoine universitaire, jusqu’ici cinquième roue du carrosse. Et Toulouse n’échappe pas à la règle : « dans les 20 ans qui viennent, nous aurons besoin de 520 millions d’euros pour les travaux d’entretien qui ne sont pour l’instant absolument pas financés ». Le PPP pourrait être la solution. « Entre un bâtiment en loi MOP, qui faute de décision de financement ne sera pas entretenu et un bâtiment réalisé en PPP entretenu de façon quasi quotidienne, il n’y a pas photo » livre l’intervenant. Il faut donc investir dans l’entretien des bâtiments. D’ailleurs la forme partenariale imposée par « l’Opération Campus », construite sur le mode de la dévolution immobilière, va nous obliger à réfléchir sur la durabilité des bâtiments. Evolution qui risque de ne pas être toujours facile pour des présidents d’université à qui « on a annoncé qu’ils allaient devenir autonomes, à l’intérieur d’un système fédéral de type PRES, et que dans le cadre de la dévolution immobilière, ils devaient rénover leur université ».


> Plan de “l’inscription territoriale à l’échelle de l’agglomération du projet universitaire”. Source : Schéma Directeur Immobilier et d’Aménagement Grand Sud-Est et Quartier des Sciences - janv.2010

Plus globalement c’est la philosophie d’aménagement des campus qui est en train de changer. Alors qu’il y a encore quelques temps les présidents d’université refusaient en bloc que leur « sanctuaire universitaire » – malgré des problèmes d’insécurité – entre dans la domanialité publique, aujourd’hui ils sont prêts à en discuter. De la même manière, certains d’entre eux commencent à appréhender l’aménagement de leur territoire à l’échelle de l’agglomération. « C’est quand même assez intéressant parce que ça veut dire que ces idées-là, petit à petit, ont fait leur chemin, et qu’en interne on arrive effectivement à expliquer qu’il faut changer les choses et s’ouvrir un peu à la vie » ajoute Jean-Noël LARRÉ. Et s’ouvrir à la vie c’est d’abord dynamiser une vie étudiante quelque peu atone sur les campus. Pour le comprendre, le représentant du PRES nous invite à arpenter le Campus de Rangueil à partir de 17 heures. « Il ne s’y passe strictement plus rien ». Dès lors ce constat pose une question : « peut-on réintroduire une ville – une vie urbaine - sur un secteur de cette échelle » ? Il s’agit bien de développer une vie étudiante sur des campus d’une certaine taille ; chose qui n’est pas évidente sur des surfaces qui font près de 150 ha – c’est le cas de Rangueil qui pose des problèmes bien différents de ceux que posent les 20 ha de l’INSA. Le problème des logements étudiants fait partie des principaux. A Toulouse, malgré l’élaboration d’un « schéma directeur du logement étudiant » il y a quelques mois, les idées reçues sur le sujet sont encore nombreuses. Pourtant cet outil d’orientation a permis d’éviter la construction de résidences étudiantes mal implantées et surtout ne correspondant pas aux attentes des étudiants. Un questionnaire envoyé à 1500

étudiants, des entretiens semi directifs - ont bien montré qu'aujourd'hui ils préfèrent de grands appartements en colocation, plutôt que de minuscule logements, du type chambre universitaire de 9 m² - laquelle testé pendant 3 mois par un sociologue a livré ses limites ! Comme c’est souvent le cas, le modèle scandinave est peut être le bon exemple à suivre pour les universités françaises : « une résidence étudiante qui ne coûte pas plus cher que ce que nous faisons à l'heure actuelle mais qui répond aux besoins de ses bénéficiaires ». Tout ce travail d’adaptation a été mené avec les différents acteurs du projet « Opération Campus ». Participation on ne peut plus normale pour Jean-Noël LARRÉ : « Lorsque la région finance le logement étudiant, désormais elle souhaite savoir si l'argent public est dépensé au bon endroit, sur le bon produit ». Une transparence partenariale nécessaire et surtout efficace puisqu’elle permet d’établir une stratégie globale à l’échelle de tout le territoire, avec tous les acteurs ; les universités mais aussi les écoles d’ingénieurs. Ces dernières ont d’ailleurs pris conscience – grâce aux schémas directeurs – qu’elles avaient des problématiques à résoudre :« c’est par exemple une école qui s’est aperçue qu’il manquait 50 % de locaux de recherche alors qu’une université comptait 150 % de bâtiments à vocation administrative ». Cette remise à plat était fondamentale avant d’investir. Elle a donné lieu à des analyses très pointues : « nous avons même essayé de comprendre pour quelles raisons certains locaux étaient occupés à 50% de l'année ! ». Des remises en questions qui n’ont pas toujours été faciles. Chose bien compréhensible dans un système où nombre de choses se font « de façon un peu souterraine ».

Cahier des territoires # 7 / Villes et universités 39


> Exemple de logement étudiant danois présenté dans le Schéma Directeur du Logement Etudiant de l’Agglomération Toulousaine. Source : SDLEAT - Sémaphores et Latitude étudiante Conseil - déc. 2009

Mettre le doigt sur les problèmes ne les résolvent pas pour autant. Aujourd’hui les besoins en gestion dépassent très largement le coût des équipements. Aujourd'hui tout les acteurs ont pris conscience de l’enjeu urbain que représenté l’aménagement de ces morceaux de ville. « si la profession, globalement le savait, il fallait le faire admettre aux maîtres d'ouvrage » renchérit l’intervenant. Pour la première fois, Frédéric BONNET – architecte-urbaniste du cabinet OBRAS - a pu dire au président de l'université Paul SABATIER, « vous devez penser à l'échelle de l'agglomération, il faut faire entrer la ville dans le campus ». Si au départ la réaction ne fût pas des plus cordiales, aujourd’hui chacun sait que si cette étape n’est pas franchie, il sera impossible d’influencer le modèle global. Pour autant penser l’aménagement d’un site universitaire à l’échelle d’une agglomération ne signifie pas que les universités n’ont plus leur mot à dire. Au contraire, autonomes, elles sont maîtres de leur destin financier et ont tout intérêt à exploiter toutes les potentialités de leur trésor foncier. Ainsi le président de l’université Paul Sabatier doit pouvoir exploiter ses 150 ha ajoute Jean-Noël LARRÉ. Dans le cas de l’université scientifique, cette ouverture, matérialisée sous la forme d’une autorisation d'occupation temporaire octroyée à une personne privée, pourrait par exemple permettre la construction d’un bâtiment permettant à l'institution de récupérer de l'argent mais aussi d’offrir des fonctions urbaines qu'elle ne possède pas jusqu’alors.

40 Cahier des territoires # 7 / Villes et universités

Un point important va porter sur l'évaluation des projets. « Nous avons élaboré un schéma directeur de l’immobilier et de l’aménagement ; nous avons discuté avec les architectes et les urbanistes pendant plusieurs mois… mais ces projets répondent-ils aux besoins, aujourd’hui et surtout dans quelques années ? » demande Jean-Noël LARRÉ. Ce n'est pas de la paranoïa. C’est simplement faire en sorte de ne pas construire et entretenir un patrimoine à côté de la plaque. Cet objectif passe notamment par le renforcement des missions d'assistance à maîtrise ouvrage. Pour l’intervenant, « il est nécessaire d’avoir un back-office au niveau des professionnels qui permette d'accompagner les projets sur de très longues durées ». De la même façon qu'il existe une gouvernance partenariale, cette prise de recul favoriserait une réflexion partenariale à long terme, incluant à la fois les décideurs au niveau des aménageurs publics, mais aussi au niveau de la collectivité publique. « A un moment donné conclut l’intervenant - il faut savoir prendre ses responsabilités : il faut agir aujourd’hui même si dans 30 ans, assurément nous n’aurons pas fait tout à fait ce qu'il fallait faire. Peu importe, il y a toujours une part de risque... à maîtriser le plus possible ».


3.2. La forme urbaine du campus Rangueil Christophe SONNENDRUCKER / Chef de projet, PRES Université de Toulouse

C’est finalement en solitaire, sans Frédéric BONNET (architecte-urbaniste en charge de la coordination générale du projet), que Christophe SONNENDRUCKER a présenté les principes d’aménagement du campus de Rangueil. Ce dernier est plus particulièrement revenu sur ce qu’il appelle le « coeur du sujet », c'est-à-dire l'origine du campus et la manière dont sa forme urbaine a muté, s'adaptant au fur et à mesure des décennies, au gré des stratégies. « Celle des lendemains de guerre où il fallait construire les campus universitaires français dans le contexte d’une politique de reconstruction à tout va ; celle des années 90, avec ses plans directeurs intitulés « université 2000 » ; et maintenant, l’«Opération Campus » enfin, dont nous avons déjà largement parlé ».

LA CROISSANCE UNIVERSITAIRE Un graphique extrait d'un mémoire de maîtrise de géographie urbaine, rédigé par un étudiant de l’université de Toulouse le Mirail en 1971, permet de montrer l’évolution de la situation du site de Rangueil, et plus largement des universités toulousaines, « 50 ans en arrière ». La courbe rouge représentant l'évolution de la population universitaire est sans appel : si en 1950, environ 8000 étudiants étudiaient à Toulouse, en 1970 leur nombre frôle les 45 000. En 20 ans, la part des effectifs universitaires par rapport au reste de la population urbaine est passée de 2,8% à 10%. Si depuis la population universitaire n’a guère augmenté (le rapport population universitaire / population totale est aujourd’hui de 13 %), le contexte a en revanche sacrément évolué. Cette progression étudiante exponentielle d’après guerre coïncidait avec une croissance urbaine importante, la croissance démographique dites baby-boom, une politique de construction volontariste, des disponibilités foncières importantes qu’il fallait aménager ou encore une politique scientifique et industrielle forte… Autant de facteurs qui ont conduit les décideurs de l’époque à déménager la faculté des sciences – jusqu’alors située sur les allées Jules GUESDE, en centre ville - sur Rangueil. « Quarante ans plus tard, on parle du “quartier des Sciences”, et on retourne aux allées Jules Guesde ! » relève le chef de projet du PRES. Il faut dire que dans les années 60, les besoins fonciers ont fortement marqué l'extraterritorialité du campus. « On l'a construit à l'extérieur ». En tout, ce sont plus de cent vingt hectares qui ont été aménagés pour accueillir le campus scientifique. C’est René EGGER qui fût l'architecte en chef de ce projet, secondé par C. MONTAGNE, E.F. CHABANNE et Y BOUDARD.

« Finalement, on parle toujours de CANDILIS pour le Mirail, pourtant le projet de EGGER a laissé une trace marquante et ce, même si elle ne fût pas aussi célèbre que celle laissée par son confrère » lâche Christophe SONNENDRUCKER. Le projet suit en tous les cas les mêmes principes urbanistiques, propres au mouvement fonctionnaliste. Il est construit selon la logique du grand ensemble orthogonal. C’est quelque chose de très géométrique, de très académique avec une approche de type zonage organisée autour de quatre groupes de bâtiments constitués en fonction des quatre grandes matières scientifiques (sciences naturelles, physique, mathématiques et chimie). Le plan est complété par deux cités universitaires, elles aussi au style très académique et respectant « l’imperméabilité des sexes » : la cité universitaire des garçons fait face à la cité universitaire des filles. Le campus, très marqué par les bâtiments assez monolithiques – « sans qu’ils soient dépourvus d’une certaine valeur architecturale » précise l’intervenant – n’en est pas moins agréable. Les espaces de détente et de loisirs avaient été pensés dès l'origine et plus globalement les espaces verts étaient très nombreux : « seuls 10% de l'espace du plan masse initial n’étaient pas occupés par des espaces verts ». Toutes les tranches ont été achevées en 1967. L’école de chimie, voisine fût réceptionnée la même année ; suivie en 1968 par l’INSA avec le bâtiment d’enseignement géotechnique, l’IUT de Rangueil en 1969. En 1970, le CNRS, le LAAS, l’Ecole nationale de l’administration civile (l’ENAC) sont construits en parallèle, et viennent élargir la zone du campus de l’autre côté du canal. Cette unité de l’Université de Toulouse devient alors l’Université Paul Sabatier.

Cahier des territoires # 7 / Villes et universités 41


> Plan d’évolution du campus de Rangueil (au-dessus) et photo des premiers bâtiments de l’université Paul Sabatier (à droite). Sources : Power Point de présentation de C. SONNENDRUCKER

LE TEMPS DE LA MATURITÉ URBAINE « Pendant vingt ans, cet espace a très bien vécu » explique Christophe SONNENDRUCKER. Ce n’est qu’à partir des années 1990 que l’État émet le souhait de transformer cet espace universitaire « en quelque chose de plus structuré, de plus humain aussi ». Cette volonté de réaménagement s’apparente également à une reprise en main réglementaire : le campus universitaire est alors réintégré au POS de Toulouse. C’est à ce moment là que l’idée de réaliser un schéma directeur du quartier – alors appelé « le quartier universitaire de Rangueil » - née. Confiée à Frédéric BONNET, cette mission a pour objectif, sur les 12 prochaines années et sur plus de 300 hectares, de préserver la structure du campus tout en encadrant son évolution. Les grands thèmes génériques qui ont animé le travail des années 90 sur le campus sont divers. D’abord, « tisser le quartier universitaire avec de nouveaux liens » énumère l’intervenant urbaniste. « Il s’agissait de créer un véritable réseau de nouveaux liens : véhicules, piétons, transports en commun ». Dans les faits, les dispositions du schéma doteront le quartier d’une véritable infrastructure de liaison entre ses différentes parties et le reste de l’agglomération. « On était déjà à la recherche d’un lien avec le reste de la ville » fait remarquer Christophe SONNENDRUCKER. « Rendre l’espace public fondateur » constituait le deuxième axe de travail. A l’avenir, le nouveau paysage de Rangueil avec ses allées, ses mas, ses squares et ses cours - sera le support de l’identité territoriale. « Nous étions à ce moment-

42 Cahier des territoires # 7 / Villes et universités

là, à la recherche d’une identité s’appuyant sur la revalorisation et la requalification des espaces dans lesquels s’inscrivent les bâtiments » commente l’intervenant. La question de la circulation et du stationnement étaient également pointées du doigt. Il s’agissait « de mieux gérer les accès, de réorganiser le stationnement en vaste cours, de créer des ensembles paysagers incorporant le stationnement, les pistes cyclables, les cheminements piétons, d’installer de nouveaux éclairages, de recomposer la logique de la circulation et la manière de se garer à Rangueil ». Enfin, l’amélioration générale du cadre de vie était envisagée : « il est prévu de réaménager les vastes étendues, jusqu’alors mal déterminées, comme de véritables lieux d’intégration de la vie étudiante au quotidien. Des mails et les squares devaient prendre place dans les secteurs stratégiques afin de conforter les activités limitrophes déjà existantes ». Par ailleurs, « l’orthogonalité d’origine devait être renforcée afin de faciliter le repérage pour les piétons et les cyclistes ». Au final cette phase de réorganisation a fait appel à une véritable logique de projet urbain axée sur la revalorisation d’une entité urbaine existante ; c'est-à-dire conforter son maillage, créer des points capables de devenir des lieux de rencontre, améliorer le plan de circulation ou encore rechercher une certaine densité. « Reste que l’on était tout de même dans une logique visant à répondre à des besoins immédiats, tout en essayant de les organiser et de les transposer dans les règlements d’urbanisme » tempère l’intervenant.


« Le Rangueil d’aujourd’hui » est cet agglomérat de bâtiments issus de différentes époques, dédiés à différents domaines scientifiques : le groupe « Sciences naturelles », le groupe « Physique », « Mathématiques », « Chimie », « Médecine » mais aussi des écoles à part entière telles que l’INSA, l’Enseignement Supaero, la Faculté pharmaceutique et la Faculté de chirurgie dentaire. Toute cette diversification universitaire et géographique qui peu à peu a considérablement élargi l’échelle de territoire : « on n’est plus sur l’Université Paul Sabatier, on n’est presque plus sur Rangueil, on est réellement sur un territoire que l’on appelle Grand Sud-Est, plaine commune ou vallée de sciences ». Le poids de ce complexe scientifique est d’ailleurs considérable : « c’est un site aussi important qu’une ville moyenne comme Cahors, Périgueux, ou Tarbes ; c'est-à-dire entre de 20 000 et 40 000 habitants. C’est un campus qui est équivalent à toute la surface du centre ville de Toulouse ».

> Plan illustrant l’inscription territoriale du projet Rangueil à l’échelle du Grand Toulouse. Source : Schéma Directeur Immobilier et d’Aménagement Grand Sud-Est et Quartier des Sciences - janv.2010

L’OPÉRATION TOULOUSE CAMPUS L’Opération Toulouse Campus validée en 2009 a d’autres ambitions. « Derrière ce « nouveau plan », il y a une stratégie qui ne consiste pas uniquement à améliorer l’état des bâtiments » explique le représentant du PRES toulousain. On parle de « campus d’excellence », « d’améliorer de lisibilité internationale » et « de répondre aux défis de l’innovation ». Par « innovation », on entend la construction ou la rénovation de laboratoires, de bâtiments d’enseignement et de recherche en informatique, en mathématiques, en physiques, en matériaux… « Tout ceci dans une certaine proximité » ajoute Christophe SONNENDRUCKER en faisant allusion à l’intervention matinale de Marie-France BARTHET. Durant celle-ci, la directrice du PRES de l’Université de Toulouse avait alors mentionné le cas de l’Institut de la recherche et de la technologie (IRT) dont le rayon géographique ne dépasserait pas les 2 km et ce afin que « le monde économique et le monde scientifique puissent travailler ensemble d’une manière cohérente et réactive ». Désormais c’est bien cette logique de proximité mais aussi d’adaptation qui prévaut… tout en utilisant la forme urbaine initiale qui était celle de René EGGER en 1960. Christophe SONNENDRUCKER parle « d’une intégration globale : intégration à la ville mais aussi intégration au monde économique - tant dans un sens que dans l’autre ». En effet l’effort n’est pas à produire dans un seul sens, les étudiants doivent également mettre la même implication à s’approprier le monde économique et à s’y adapter du mieux possible.

« Le poids de ce complexe scientifique [Grand sud-est] est d’ailleurs considérable : “c’est un site aussi important qu’une ville moyenne comme Cahors, Périgueux, ou Tarbes ; c'est-à-dire entre de 20 000 et 40 000 habitants. C’est un campus qui est équivalent à toute la surface du centre ville de Toulouse”.» C’est aussi un site qui s’inscrit dans une métropole d’un million d’habitants connectée à d’autres pôles urbains. La notion de connexion a d’ailleurs été largement mise en avant par le travail de Frédéric BONNET. En effet, dans le cadre du projet campus, le schéma directeur immobilier d’aménagement a bien mis en évidence ces notions de réseaux et de sites interconnectés. Ce sont d’abord des connexions classiques avec une maille constituée de pistes cyclables, de cheminements piétons et autres voiries automobiles. Ce sont aussi de nouveaux modes d’interconnexion qui peuvent être imaginés, comme par exemple « utiliser le canal avec un « navibus » permettant d’accéder au centre ville ou profiter d’un téléporté pour mettre en relation le Cancéropôle avec le CHU de Rangueil ». C’est enfin mieux utiliser le métro depuis que la ligne B dessert le campus en 2007. Un seul regret : que celui-ci contourne le campus sans le pénétrer. « Il existe bien la station de la faculté des pharmacies et celle de Paul Sabatier, mais toutes deux contournent le campus ». Toutefois une petite révolution est en route : la LMSE (Liaison multi-modale sud-est), ligne de transport commun en site propre va être inaugurée en 20112012. « Son deuxième tronçon entrera dans le campus » se réjouit l’interlocuteur « et cette fois-ci, la ville ose entrer dans cette « forteresse » qu’est Rangueil ! ». Opération Toulouse Campus, c’est un réseau de sites interconnectés mais aussi une « ville parc » qui se déploie autour du canal de Midi qui redevient un élément structurant. Le

Cahier des territoires # 7 / Villes et universités 43


> Principes d’aménagement du concept de “ville parc”. Source : schéma Directeur Immobilier et d’Aménagement Grand Sud-Est et Quartier des Sciences - janv.2010

choix de cette « figure d’appui » – terme utilisé par Frédéric BONNET – conforte la stratégie d’ouverture du complexe scientifique. « A un moment donné – explique le chef de projet – il a fallu choisir : le scénario de l’île, c’est-à-dire laisser l’université dans sa forteresse, en densifiant ses franges pour que les commerces, les services mais aussi le monde des entreprises économiques puissent s’en approcher ; ou bien le scénario de la densification interne, c’est à dire travailler sur l’orthogonalité de la trame initiale, en la structurant autour du canal qui devient le nouveau centre de gravité ? ». Cette alternative retenue, il a été question de trouver d’autres manières de franchir un canal jusqu’à la traversé par un seul pont ; franchir le canal et relier d’une manière intelligente l’UPS, l’INSA et plus largement encore l’Aerospace Campus. Cette voie d’eau pourrait alors créer un axe est-ouest dont l’extrémité serait le bâtiment de l’administration, dans l’axe du château de Bellevue. Support de la représentation institutionnelle, cet axe-là pourrait être aménagé pour accueillir les institutions principales du campus. Un deuxième axe, nord-sud, serait quant à lui le support des liens entre l’université et les entreprises. Traversant le campus depuis métro de la Faculté des pharmacies jusqu’au terminus de Ramonville, il passera par le cœur de l’Université. « Si l’on superpose l’ensemble de ces figures d’appui – explique l’interlocuteur - nous avons bien un nouveau socle qui s’appuie sur la forme urbaine initiale ». Bien entendu celuici prend toutefois une autre valeur en devenant le support

44 Cahier des territoires # 7 / Villes et universités

de nouveaux principes d’aménagement, tels que les cheminements piétons et cyclables associés à certaines continuités paysagères. « On renforce des perspectives. On structure ces liens pour créer des îlots ». Notion d’îlot qui était déjà évoquée en 1990 dans le schéma directeur : preuve que l’on revient toujours à des fondamentaux. Le temps passe et l’îlot-rue, avec ses alignements, reste un support pour la constructibilité et la densification, mais aussi pour la circulation et le paysage. Il permet d’éviter une juxtaposition de bâtiments sans cohérence, à l’image de ceux que l’on a laissé construire ces derniers temps : « des bâtiments non alignés, qui cohabitent sans vraies règles ». Ainsi derrière l’Opération Campus, nous voyons bien qu’il existe une volonté de s’appuyer sur une forme urbaine initiale - pour qu’elle s’adapte à une dynamique conjoncturelle marquée par l’innovation - et l’ambition de densifier intelligemment en respectant le principe d’alignement, la trame, les perspectives, mais aussi et surtout des espaces verts qui constituent l’atout numéro un de ce campus… anciennement campus de Rangueil.


3.3. Le projet urbain du campus du Mirail Nicolas GOLOVTCHENKO / Sociologue, Vice-président délégué au patrimoine immobilier, Université Toulouse-Le-Mirail

Nicolas GOLOVTCHENKO a exposé le projet du campus de la deuxième grande université toulousaine - après Rangueil. C’est à travers deux dimensions qu’il l’a fait : la dimension urbanistique dans un premier temps et la dimension sociale dans un second temps... avec en question de fond : comment ouvrir le campus sur la ville ?

Très rapidement l’universitaire pose une question : « pourquoi avoir reconstruit une université au Mirail, sachant qu’on aurait pu profiter du « blast » de 2001 pour déménager ? ». Cette solution fût en effet proposée par la municipalité précédente mais c’est finalement la municipalité actuelle, avec le soutien de la Ministre de l’enseignement supérieure actuelle et du Président de l’université, qui a décidé de rester sur place et d’essayer plutôt de revitaliser le site existant. Une fois « cette ligne politique forte » décidée, c’est en septembre 2009 que le Conseil d’administration de l’université du Mirail vote un schéma directeur qui selon Nicolas GOLOVTCHENKO, affiche « des principes par principe » sans les décliner véritablement, et surtout en esquivant la question des liens entre l’université et la ville. « A croire qu’il s’agissait d’une logique incantatoire » ajoute l’intervenant.

UN NOUVEAU SCHÉMA URBAIN En y regardant de plus près, il s’agit « d’un schéma organisationnel habituel », construit à partir des composantes pédagogiques autour desquelles se greffent les éléments de la vie étudiante - avec notamment des services, des espaces d’activité, de circulation, des logements… Or comme le précise très vite l’universitaire, ce schéma directeur est aujourd’hui obsolète ; « il n’est plus d’actualité ». Il y a sept ou huit mois, il a même été dépassé. Il faut dire que tel qu’il était pensé, il ne permettait pas à l’université de se dégager d’un certain carcan géographique matérialisé par la rocade, le rond-point giratoire de La Cépière et un quartier pavillonnaire. « Le campus est emprisonné au milieu, avec très peu d’échappatoire » résume l’intervenant. La révision du schéma, doit justement permettre de spatialiser des principes d’interdépendance et d’interaction « ville-université ».

L’étude de réaménagement – sur laquelle sera fondé le nouveau schéma directeur - a été confiée aux bureaux d’études URBANE et ARPP. La première innovation proposée prend corps dans la réaffirmation des entrées de l’université. Le nouveau schéma d’aménagement propose en premier lieu de spécialiser une entrée. Il s’agit plus expressément de l’entrée existante dans le prolongement de la station de métro ; « accès principalement piéton » ajoute Nicolas GOLOVTCHENKO, rappelant la volonté d’aménager un éco-campus axé autour d’une forte dimension « déplacements doux ». « Ceci impliquait de signaler que cette entrée était réservée aux piétons et interdite aux véhicules » poursuit-il. Toutefois il n’était pas question d’éluder la question de l’accessibilité automobile ; question on ne peut plus capitale pour une université au recrutement régional : « il suffit d’observer le taux d’occupation des parkings de l’université pour s’apercevoir que le nombre d’étudiants rejoignant leurs cours en voiture est encore important ». Dès lors, l’ensemble des acteurs – et plus particulièrement la mairie de Toulouse – a plaidé pour une meilleure prise en compte de l’automobile et notamment la création d’aires de stationnement aux quatre points cardinaux, de telle sorte à faciliter l’accès par la rocade. « En créant un parking et surtout une connexion vers le rond point de La Cépière, on élimine l’appréhension d’un espace fermé. Avec une seule entrée – essentiellement raccordée au métro - nombreux étaient ceux qui avaient l’impression de se trouver dans un cul-de-sac, loin de tout ». S’il s’agit de faciliter l’accessibilité à l’université, le réaménagement vise, dans le même temps, à accentuer la visibilité du campus : « en effet à l’heure actuelle lorsqu’on circule sur la rocade en voiture, qu’on

Cahier des territoires # 7 / Villes et universités 45


> L’université de Toulouse le Mirail, située en ZUP, a commencé sa mue urbaine et architecturale Source : non renseignée

accompagne des amis pour leur montrer l’université, on a très souvent tendance à dépasser l’université sans s’en rendre compte ». Et pourtant, même si elle n’a pas la taille de Rangueil, ses 22 hectares occupent un large espace. Selon Nicolas GOLOVTCHENKO « cette discrétion involontaire tient essentiellement à la qualité de l’architecture, basse et noyée dans le paysage ». Aujourd’hui il est question de renforcer cette visibilité depuis la rocade ; « concevoir une sorte de vitrine sur la rocade ». Pour ce, les urbanistes ont conseillé aux responsables de l’université de créer un vrai quartier avec ses fonctionnalités au nord du campus ; autrement dit, donner une dimension urbaine à ce parvis nord. Il y a une volonté « d’arrêter de laisser croire qu’il s’agit d’une zone, d’un espace délaissé ». Aussi existe-t-il un investissement dans le vocabulaire, dans le choix, dans la toponymie et la qualité de traitement de l’architecture mais également de l’aménagement des espaces publics. « Ce qui participe grandement de l’urbanité » indique l’universitaire. Ce dessein implique, primo, une réflexion forte sur « les espaces entre les bâtiments » et secundo un engagement financier significatif. Jusqu’à présent, les Contrats de Plan État-Région ne permettaient pas d’engager de financements sur les espaces publics. « Nous avons eu un exemple récent avec la Fabrique culturelle dont le financement s’arrêtait en pied d’immeuble ; résultat, pendant un an, entre ce pied d’immeuble et le reste de l’espace universitaire, on avait un sol recouvert des gravillons » témoigne le sociologue. Au final il a fallu que l’université prenne sur ses fonds propres pour aplanir le terrain et le rendre simplement accessible aux personnes à mobilité réduite.

46 Cahier des territoires # 7 / Villes et universités

Plus largement, « l’université du Mirail a l’ambition de faire ville » rappelle Nicolas GOLOVTCHENKO. Si les responsables de Rangueil ont longtemps entretenu une image de « campus forteresse », replié sur lui-même - redoutant l’entrée du métro dans ses tréfonds - au Mirail l’idée de « laisser entrer la ville » fût plus facilement acceptée. Cette invitation réclame néanmoins des transformations, car « ici aussi on a l’impression que les bâtiments ont été posés au gré des opportunités financières, des contrats de plans Etat-Régions et des grands plans universités 2000 ». Selon le représentant de l’université de Toulouse 2, le bâtiment qui accueille cette journée d’échanges en est l’exemple : « posé au milieu d’un parking, il offre un magnifique panorama sur des voitures » ironise-t-il. Or d’aucuns ne contredira que cette organisation ne peut correspondre à l’image que l’on peut avoir aujourd’hui d’une ville de qualité. Il est donc nécessaire de faire mieux. « Mais comment faire ville ? » interroge l’universitaire.

VIVE L’UNIVERSITÉ OUVERTE ! Ce projet de dimension sociale passe donc en premier lieu par la restructuration de la forme urbaine et plus précisément de la forme architecturale des bâtiments. Jusqu’à présent s’est installée, au gré des opportunités, ce que l’on appelle une façade urbaine sud, mais « désormais, les bâtiments qui la composent ont vocation à être ouverts davantage sur la ville » prévient l’intervenant. Ils présentent des formes architecturales particulières et notamment des hauteurs de bâtiments qui contribuent à les distinguer et même « à construire une identité par rapport à ce que l’on trouve derrière ». Leur somme constitue aujourd’hui une espèce de front situé en vis-à-vis d’un quartier pavillonnaire, séparé par une vraie clôture. L’ambition d’urbanité se trouve d’ailleurs ici : diluer les frontières.


> A l’avenir, les équipements sportifs de l’université pourraient être utilisés par des jeunes habitants du quartier. Source : Université de Toulouse /J.P.G.

Les allées de l’université constituent une rue privée - « comme dans une copropriété en quelque sorte » - et cette configuration n’est pas très intéressante d’un point de vue urbain. Par conséquent, à terme, le projet ambitionne de rétrocéder cet espace privé au domaine public ; de telle manière que la frontière recule en limite de bâtiments. Apparemment, cette suggestion apparaît comme une pièce importante de l’ambition visant à créer une nouvelle urbanité sur le site. Or, si l’on souhaite organiser des relations spatialisées entre cette façade et le quartier de La Reynerie, « cela implique que la réhabilitation de l’université s’accompagne d’une revitalisation du quartier tout entier ». En effet pour Nicolas GOLOVTCHENKO, cela n’aurait pas grand sens, qu’une fois sorti de la station de métro, les usagers arrivent comme c’est le cas aujourd’hui, dans un espace illisible, où l’on se repère difficilement et dans lequel on ne se sent pas forcément très à l’aise. « Il est nécessaire que le niveau architectural et urbain du quartier soit équivalent à celui qu’atteindra l’université. ». Car une chose est sûre : le campus sera confortable et agréable à vivre. L’école d’architecture devrait déménager de son emplacement actuel jusque dans le campus, à côté de laquelle viendra s’installer « l’université ouverte ». On va y trouver les nouvelles formes de service d’enseignement à distance et « l’université à tous les âges de la vie » - un bâtiment dont les fonctions sont appelées à accueillir des publics différents. « Toutefois - fait remarquer l’universitaire - si l’université ouverte sera une université qui s’adressera à distance à des étudiants du Monde entier (à Nouméa, en Guyane, en Russie, en Afrique du Sud…), on peut imaginer qu’elle se tournera également vers le quartier et qu’elle pensera à offrir des services dans l’immédiate proximité sans utiliser les outils numériques ! »

Ce pourrait par exemple être le cas du nouveau restaurant universitaire qui remplacera celui qui existe aujourd’hui. « En l’ouvrant le week-end aux jeunes du quartier, ces derniers pourraient le fréquenter plutôt que d’aller au Quick ! ». C’est en tous les cas une piste plausible dans la mesure où le CROUS est capable de réformer son offre. D’autant plus que le restaurant universitaire est situé en façade sud, donc a priori, dans le domaine public. Cette idée d’ouvrir les équipements universitaires – et plus globalement l’université - à l’ensemble de la population s’applique également aux équipements sportifs localisés au centre du campus, « de telle sorte qu’on ira à l’université pour faire du sport ». L’université pourrait même accueillir des clubs sportifs : c’est notamment l’exemple de l’Académie de boxe Christophe TIOZZO à Bellefontaine. Cette structure privée compte 400 jeunes boxeurs qui « ne sont pas franchement intéressés par l’idée de pratiquer les lettres anciennes mais qui en revanche seraient heureux d’accéder aux équipements qui ne se trouvent que dans cette université » explique Nicolas GOLOVTCHENKO. Aussi est-il prévu de localiser l’équipement sportif capable d’accueillir cette activité de pugilat sur le campus. « Pour peu qu’on y mette les moyens, on peut imaginer qu’avec ce type d’expérience les jeunes trouveront un autre intérêt à fréquenter cette université, transformant ainsi le regard qu’ils ont sur elle ». On peut même escompter des effets leviers à partir de la mise en place de ces dispositifs. « Evidemment cela implique de changer également les mentalités universitaires et notamment de changer l’image que nous, universitaires, pouvons avoir du campus : un espace privilégié, hors la ville, hors du temps ».

Cahier des territoires # 7 / Villes et universités 47


> La fabrique culturelle affiche l’ambition d’être ouverte sur le quartier, sur la ville. Source : Université de Toulouse

Les velléités d’ouverture prévoient également la création de lieux de convivialité et de débat comme les cafés Géo ou les cafés Science, tels qu’ils existent en centre-ville et plus récemment à Balma, Auzeville et Tournefeuille, etc. « L’idée serait de faire revenir la population toulousaine dans le campus, l’accueillir dans de bonnes conditions notamment avec un bistrot et un café Géo qui soit localisé sur le campus ». Chose possible avec le métro qui met l’université à dix minutes de la place Esquirol. « C’est vraiment tout proche – se réjouit l’intervenant - encore faut-il que lorsqu’on arrive, on découvre un espace qui ressemble à quelque chose ! ». Déjà édifié, le bâtiment de la Fabrique culturelle affiche d’ores et déjà l’ambition d’être ouvert sur la ville et particulièrement sur le quartier ; « la programmation intéresse directement les habitants du quartier ». Elle se fait aussi – et surtout - en direction des étudiants avec l’idée de les capter et de les maintenir sur le campus en leur offrant quelque chose d’intéressant à faire entre midi et deux heures tout en grignotant leur sandwich. Si l’université fait des efforts pour ouvrir son campus aux non étudiants, et accueillir en son sein des activités qui, aujourd’hui, se déroulent dans le quartier, est-elle capable de projeter des équipements en dehors du campus, dans le quartier même et ainsi participer à la vie du quartier ?

L’UNIVERSITÉ EN VILLE ? Selon Nicolas GOMOVTCHENKO, il existe dans cette université, un contexte historique et médiatique qui tourne autour d’un discours - sur les relations entre l’université et la ville – qu’il caractérise de « convenu ». Cette université aurait ainsi

48 Cahier des territoires # 7 / Villes et universités

la réputation d’un lieu tourné vers son quartier. De fait, entend-t-on régulièrement certains acteurs universitaires faire état de cette tradition, « de cette mission au sens messianique, qu’aurait l’université envers les habitants des quartiers sensibles particulièrement ». Il se trouve que lorsqu’on regarde objectivement les choses, on peut constater que depuis plus de vingt ans beaucoup de choses ont été dites, mais peu ont été réalisées. Sans parler d’équipements, très peu de dispositifs manifestent la présence de l’université hors de ces murs. « On va trouver quelques expérimentations socioculturelles portées par certains universitaires ici et là, mais globalement peu de projets universitaires se concrétisent sur le quartier, alimentant une certaine déception des habitants à son égard ». Et les habitants ne sont pas les seuls à attendre davantage de l’institution universitaire : la ville croit à la capacité de l’université à exercer un effet de levier sur le quartier du Mirail. « On voit bien que les deux espaces sont interdépendants et que si l’un se relève, il risque d’entraîner l’autre ». De la même manière, si un seul des deux était réhabilité, cela aurait un impact négatif sur l’espace choyé. Penser cette capacité à se projeter hors les murs passe également par une transformation de l’offre universitaire ; « et transformer l’offre universitaire signifie pour les universitaires, se penser autrement » lance l’intervenant, avant d’ajouter « c’est notamment penser son rôle social, sa responsabilité citoyenne à l’égard de la société civile. Ce n’est pas simplement se faire plaisir, c’est rendre un service, apporter quelque chose de mesurable ». La première idée qui surgi fût une crèche qui accueillerait les enfants de professeurs mais aussi d’étudiants et d’habitants du quartier.


Malheureusement une grande partie des personnels n’y était pas vraiment favorable. « Il faut avouer, confesse l’universitaire, que les enseignants chercheurs appartiennent à des catégories sociales qui, a priori, ne sont pas toujours enclins à la mixité sociale ». Et ce qui est vrai pour la crèche l’est bien évidemment pour l’école, le collège et le lycée ; « les classes moyennes supérieures intellectuelles ont des stratégies pour leurs enfants qui sont éminemment sélectives. Rares sont les collègues qui se disent spontanément “je vais tenter l’expérience de la mixité scolaire et scolariser mon enfant à Bagatelle” ».

« Enfin de manière plus large mieux intégrer l’université dans la vie du quartier passe d’abord par la réinstallation des étudiants sur le quartier, or le Schéma directeur du logement étudiant - produit par le PRES toulousain au mois de janvier 2010 - fait certes état d’une offre quantitative suffisante mais qualitativement gravement déficitaire. » Il n’en reste pas moins que les projets d’ouverture existent. Celui de la maison de l’image en est un. « Ce pourrait être un lieu de production, un lieu de diffusion, un lieu d’accueil autour des métiers de l’image » explique l’orateur. Et les conditions de départ semblent réuni pour favoriser le succès : l’université possède une école supérieure d’audiovisuel délocalisée rue du Taur en centre ville et qui a véritablement des compétences à transmettre ; mais « encore faut-il que les collègues fonctionnent autrement. L’idée de se localiser dans un quartier dont on parle, ce n’est pas la même chose que d’aller travailler en centre-ville ! ». Un autre projet vise à créer une espèce de « parcours des châteaux » - le château du Mirail, le château du Barry situé à La Reynerie… - qui deviendraient des lieux de mémoire ou des résidences d’artistes. L’université est très attentive à la question du traitement de la mémoire. Il y a là la possibilité d’enrôler les personnels dans ce projet qui semble mobilisateur, mais assez déstabilisant du point de vue des identités professionnelles.

d’exporter un certain nombre de savoir-faire que possède l’université dans le domaine des arts plastiques et des arts de la mise en scène notamment. Par ailleurs deux autres équipements ont vocation à s’ouvrir sur la ville. C’est d’abord la Maison de l’archéologie : un bel exemple d’hybridation public-privé puisque l’université doit accueillir une unité de formation de recherche en archéologie privée. C’est un bâtiment qui a vocation à devenir un espace scénographique, un espace de diffusion, « un espace ouvert aux toulousains et aux toulousaines, pas simplement aux habitants du quartier ». Le deuxième projet est porté par la psychologie. Inspirée par le modèle nordique et nord américain, il est envisagé d’ouvrir une clinique de consultation psychologique qui sera à la fois une école d’application pour les étudiants titulaires de Master en psychologie et un lieu de consultation pour les pathologies relevant du champ de l’enfance en souffrance. « Encore une fois, ce n’est pas qu’un bâtiment. D’ailleurs je ne sais pas quelle forme aura celui-ci et cela m’intéresse peu. Ce qui m’intéresse, c’est que les fonctions soient pensées et localisées sur le campus et connues à l’extérieur du campus ». Enfin de manière plus large mieux intégrer l’université dans la vie du quartier passe d’abord par la réinstallation des étudiants sur le quartier, or le Schéma directeur du logement étudiant - produit par le PRES toulousain au mois de janvier 2010 - fait certes état d’une offre quantitative suffisante mais qualitativement gravement déficitaire. Par ailleurs celui-ci ne crée aucun lien entre la population étudiante et la vie du quartier. Il se trouve que depuis quelques temps, l’université travaille avec l’AFEV sur un projet qui consiste à réfléchir à un mode de logement solidaire. D’origine belge, ce dispositif mobilise un accompagnement autour des étudiants - « qui seraient volontaires et prévenus de l’endroit où ils vont atterrir » - et qui, en contrepartie leur demande un investissement dans la vie du quartier. Une façon de faire du Mirail un quartier avec davantage de mixité.

Autre idée initialement portée par l’université et qui commence à être repris par le portage technique et financier du Grand Toulouse, c’est l’Institut de la Ville. Il s’agit d’imaginer une intégration des différentes instances travaillant autour du thème de la Ville dans un institut fédérateur - dont il reste à déterminer la forme juridique. Hélas, au regret de Nicolas GOLOVTCHENKO, l’Institut de la Ville localisé au Mirail ne fait pas l’unanimité : « on s’entend dire : ça va stigmatiser l’Institut et renvoyer l’idée qu’il est spécialisé sur les quartiers sensibles ». D’autres ambitions plus socio-culturelles se font jour autour d’un réseau associatif étudiant particulièrement riche. L’une des idées vise – avec le concours de la DIVE (Division de la vie étudiante) - à développer du théâtre hors les murs, une résidence d’artistes, et plus généralement

Cahier des territoires # 7 / Villes et universités 49


réactions dans la salle Les diverses interventions proposées lors de cet atelier 3 ont donné lieu à plusieurs réactions dans la salle. Nous avons réalisé une synthèse de ces dernières, organisée par séquences thèmatiques.

Les sites universitaires : des morceaux de ville... > “Quand on parle d’université, on sou-

jamais avoir parlé de problèmes com-

PRES. De la même, le PRES compte dans

muns entre deux écoles agissant dans

son équipe un chef de projet spécialiste

un même domaine de compétences

du développement durable. Ce dernier

haite que ce soit un « morceau de ville »,

proche. Aussi, la première chose qu’il

est régulièrement consulté et associé à

mais nous avons tout de même cons-

était important de faire par l'inter-

cette question pour laquelle l’université

cience qu'on ne va pas faire une ville qui

médiaire du Schéma directeur d'amé-

n’a pas les mêmes compétences. Nous

fonctionne 365 jours par an, 24h/24h.

nagement, consistait déjà à expliquer

avons les mêmes relations privilégiées

Ce qu'on veut plus simplement, c'est

aux acteurs de l’enseignement supé-

avec Jean-Noël LARRE - directeur

faire prendre conscience à « la collecti-

rieur exerçant dans une même zone de

immobilier du PRES – avec lequel je dia-

vité universitaire » qu'elle gère un mor-

Toulouse, qu'il existe tout un tas d’inter-

logue quasiment tous les jours, sans

ceau de ville et qu'elle ne peut pas

connexions entre eux. C'était le premier

compter les relations que nous avons

continuer à aménager son domaine

travail à faire. Par la suite, une fois cette

avec les autorités publiques que ce soit

sans observer ce qui se passe autour. De

première étape franchie, nous pourrons

au niveau local ou au niveau ministériel.

la même façon, nous voulons faire

oeuvrer à d’autres échelles du territoire ?

Notre réflexion porte sur les principes

comprendre aux élus, qu'on ne peut

Je crois qu’il faut d’abord commencer

de coopération, sur des questions tech-

avoir une ville qui se développe parallè-

par asseoir le b.a.-ba.”

niques, des questions architecturales, des questions d’aménagement, des

lement à l'université sans qu'il n’y ait à un moment donné d’interconnexion.”

> “Quand

... intergouvernés... > “Christelle MANIFET disait

questions de développement durable ce matin

on emploi le terme « mor-

pour caractériser les relations entre uni-

ceau de ville », c'est pour que les

versité et PRES : « ce sont les universités

acteurs appréhendent mieux l'échelle

qui impulsent les dynamiques du PRES

des enjeux qui s’y jouent. Il y a d’ailleurs

et le PRES n’est pas autonome ». Dans le

mais aussi sur les questions stratégiques et organisationnelles.”

... vivants... > “Il faut se

donner la possibilité

une comparaison que je reprends tou-

domaine de la reconstruction, nous

d’accueillir des entreprises sur les cam-

jours parce qu'elle est percutante pour

avons fait le choix avec le PRES, ici à

pus parce que c’est dans la logique des

les gens : « Rangueil c'est la taille d’une

l’université de Mirail, de travailler en

choses. Et qui dit « accueillir les entre-

ville comme Périgueux ».”

coopération ; alors même que les lignes

prises », dit aussi « apporter de la vie ».

... interconnectés... > “Aujourd'hui, une étape a été franchie, c'est que quand on parle de « sites », il

budgétaires sont différentes. La coopé-

Ce qui signifie faire vivre cet espace au-

ration, c’est quoi ? C’est d’abord consi-

delà de 18 heures, 19 heures, 20 heures.

dérer qu’a priori, nos intérêts sont com-

On peut se contenter de ne parler que

patibles

divergents.

de « la vie étudiante », il faut également

et

non

pas

faut bien comprendre que ces sites for-

Deuxièmement que nous avons intérêt

envisager « la vie des entreprises », de «

ment un système d’interconnexion.

à dialoguer le plus possible ; enfin que

la vie économique » tout court. Nous

Pourtant les différents sites qui compo-

nous gagnerons à mutualiser nos affai-

sommes donc à la recherche d’une cer-

sent le grand sud-est comptent une

res et nos efforts.

taine mixité qui va répondre à la fois aux

multitude de gens qui s'ignorent

Cela se traduit par des moments de

besoins pédagogiques et scientifiques

presque d'un côté à l'autre de la rue. J’ai

réflexion commune. Ainsi j’invite régu-

du monde universitaire, et aux besoins

vu, il y a encore 8 jours, deux DGS qui se

lièrement Christophe SONNENDRUC-

économiques mais aussi de sociaux et

sont rencontrés et ont fait le constat

KER - chef de projet PRES - à assister au

sociétaux des entreprises qui pourraient

qu’ils travaillaient depuis 5 ans l'un face

Conseil d’administration, et à participer

s’installer. Il n’y a qu’en France où l’on

à l'autre sans jamais avoir franchi la rue

à l’élaboration du projet. Dés lors, il le

s’interroge sur la place des entreprises

qui séparait leur établissement, sans

connaît et peut le juger au nom du

sur les campus ; que ce soit aux Etats-

50 Cahier des territoires # 7 / Villes et universités


Unis, au Canada, en Norvège ou ailleurs,

ouverts jusqu'à 20h30, et encore il faut

par l’occupation de cette faculté et par

vous avez des campus qui sont totale-

avoir le badge après 17h30 ! Le campus

l’impossibilité justement de se sentir

ment mixtes et qui sont de véritables

n'est pas non plus ouvert le samedi et le

chez soi. Donc, quand on leur parle

quartiers.”

... mutualisés ... > “Le PRES travaille

également à la

dimanche et durant les vacances scolai-

aujourd’hui d’ouverture, leurs premiers

res c’est presque fermé tout le temps.

réflexes consistent à dire : « ne parlez

En gros, une université c'est ouvert 50%

pas de ça. Nous voudrions simplement

du temps de l'année. C’est donc un

travailler tranquillement. » On voit bien

localisation d’équipements mutualisa-

morceau de ville à mi-temps – et sou-

que la question de l’ouverture de

bles entre les universités. Pour autant ils

vent de sacrés morceaux vu leur super-

l’université n’est pas aisée. C’est délicat

ne se trouveront ni à Rangueil, ni dans

ficie (260 hectares à Bordeaux soit

à négocier et cela nécessite de solides

le quartier Est, ni ici au Mirail, mais en

l’équivalent du centre-ville) ! Dans ces

arguments.”

centre ville. C’est-à-dire que la mutuali-

conditions, ne pourrait-on pas réviser

sation ne se fera ni sur l’un ni sur l’autre

cette temporalité urbaine et faire en

> “Moi,

sorte que ces espaces profitent plus

Mirail] le week-end, de temps en temps.

longuement

Il faut venir le samedi parce que tous les

mais sur un lieu tiers.”

> “La

mutualisation porte beaucoup

et

plus

largement

à

l’ensemble des habitants ?”

sur les services aux étudiants pour leurs

je viens ici [sur le campus du

étudiants s’en vont, les profs aussi et donc ne sont visibles que ceux qui sont

démarches administratives, financières,

> “Je reprends le terme d’« Université

relativement

ou encore celles consistant à trouver un

ouverte » parce que vous comprenez

semaine. On s’aperçoit alors que ce

logement. Ce qui va être mutualisé sur

bien qu’il est très sympathique lors-

campus là, le samedi, est un campus qui

les allées Jules Guesde, outre le fait qu’il

qu’on est élu d’une collectivité territo-

est effectivement traversé par des

invisibles

pendant

la

soit le futur siège du PRES, ce sont les

riale de venir inaugurer un bâtiment qui

populations qui habitent le quartier. Ils

services pour que les étudiants puissent

se nomme « Université ouverte ». C’est

prennent le métro et plutôt que

avoir toute une palette de services sur

extrêmement valorisant ; idem pour les

d’emprunter un réseau routier peu

place et leur éviter ainsi qu’ils aillent

personnels qui y travaillent. Toutefois

agréable pour les piétons, ils traversent

courir au CROUS. Même la préfecture va

maintenant que l’on a trouvé ce slogan,

le campus. On a un parc, vous l’avez vu

délocaliser un service au siège du PRES

il s’agit de le faire vivre et de ne pas

tout à l’heure, c’est hyper agréable.”

– sur les allées Jules Guesde - pour

décevoir les attentes de ceux qui croient

pouvoir traiter les passeports, les visas,

encore aux mots car si elle est ouverte,

les cartes de séjour pour les étudiants

il est nécessaire qu’elle soit réellement

du Mirail était une université qui tour-

étrangers.”

ouverte ; de la même façon il faut que la

nait le dos à la ville - ce qui est vrai -, il

fabrique culturelle soit réellement une

ne faut pas oublier qu’elle regardait

... mais peu ouverts ? > “Vous dites que le campus est « un

fabrique culturelle.”

aussi la ville nouvelle que constituait le

morceau de ville ». C’est vrai, mais seu-

> “Je

contexte : à l’époque, le projet avait

lement 50% du temps. Parce qu’un

Schéma directeur de septembre 2009

conçu dans cette perspective de ville

campus, c'est fermé. Je ne sais pas à

qui ne pense pas l’accessibilité ; mais il

nouvelle.”

> “Lorsque

vous dites que l’université

Grand Mirail. Il faut se replacer dans le vous ai remis en mémoire le

Toulouse à quelle heure ferment les

faut dire qu’il y avait une difficulté

campus universitaires, mais à Bordeaux

psychologique à penser l’accessibilité

III, les bâtiments sont fermés avec des

de cette université [celle de Toulouse le

cadenas dès 19h ; à la limite il y a une

Mirail]. En effet, l’an dernier, les universi-

petite exception pour les labos qui sont

taires ont été gravement traumatisés

Cahier des territoires # 7 / Villes et universités 51


Cahier des territoires # 7 / Villes et universitĂŠs NOTES


Découvrez l’intégralité de la collection “Cahier des territoires” n° 1 “La rénovation urbaine en Midi-Pyrénées” n° 2 “Dialogue entre chercheurs et praticiens de l’urbain” n° 3 “Les mobilités” n° 4 “Les risques naturels et industriels dans la ville” n° 5 “La crise du logement est-elle durable ?” n° 6 “Le commerce et la ville”

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Cahier des territoires # 7 / Villes et universitĂŠs NOTES


Cahierdesterritoires # 7 VILLES ET UNIVERSITÉS : le rayonnement universitaire dans la ville Les synthèses ont été réalisées à partir d’enregistrements audio // Directrice de publication : Anne PÉRÉ (APUMP) // Secrétariat de rédaction : Pascale ROSSARD (APUMP) // Rédaction, conception éditoriale et graphique : Dominique PASTRE - échocité (echocite@free.fr) // Imprimé à Toulouse par Imprimerie LECHA en janvier 2011 //

ISSN 1967-0494


Cahierdes territoires Revue financée par le Ministère de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement Durable et de l’Aménagement du Territoire (MEEDDAT) Revue publiée par le Pôle régional d’Echanges sur le Développement et l’Aménagement des Territoires en Midi-Pyrénées (PREDAT) L’animation du PREDAT Midi-Pyrénées est assurée par l’association des professionnels de l’urbanisme de Midi-Pyrénées (APUMP)

(5, rue Saint-Pantaléon - 31000 Toulouse / 05 62 27 24 12 / contact@apump.org / www.apump.org)


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