Cahier des territoires #1

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Cahierdes territoires

La rénovation

urbaine en Midi-Pyrénées

Publication du PREDAT Midi-Pyrénées #1 / Mars 08 / Séminaire du 1er juin 07



La rénovation

urbaine en Midi-Pyrénées Compte-rendu du séminaire du 1er juin 2007 à Toulouse



Préambule

es praticiens et les chercheurs en urbanisme dans la région de MidiPyrénées, engagés à divers titres dans les programmes de rénovation/ renouvellement urbain(e) des quartiers sensibles, ont souhaité développer une observation des opérations en cours, en commençant par celles où des bâtiments neufs étaient déjà habités et permettaient d’observer un vécu.

L

La mise en place d’un atelier spécifique tout au long de l’année universitaire 2006-2007 a permis de réunir des travaux réalisés au sein du Pôle Ville de l’Université de Toulouse Le Mirail et de l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Toulouse. Des groupes d’enseignants et d’étudiants des deux lieux de formation, centrés, l’un sur le social, l’autre sur le cadre bâti, ont observé ces opérations. Parallèlement l’Association des Professionnels de l’Urbanisme de Midi-Pyrénées a organisé une visite de tous les sites

concernés, incluant une rencontre-débat sur place avec leurs principaux acteurs (chefs de projets, élus, bailleurs, urbanistes, représentants des habitants). Ce travail a été conclu par un séminaire le 1er juin 2007, dont nous vous proposons ici une restitution. Ce séminaire s’organise autour d’un regard croisé présentant les enquêtes/ études menées par les étudiants sur chaque site (dans les limites d’un travail universitaire ponctuel) et des éclairages plus spécifiques apportés par des experts chercheurs ou praticiens sur les enjeux majeurs repérés. Nous souhaitons prolonger ce travail un peu plus tard quand les opérations seront plus avancées, quand leurs habitants et les acteurs publics concernés pourront établir des bilans d’étape de ces opérations afin d’en tirer le plus d’enseignement possible pour l’achèvement des programmes d’accompagnement de la rénovation des quartiers.

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Sommaire Introduction

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La rénovation urbaine au service d’une transformation durable des quartiers par Anne PERE

1.1 Etat des lieux

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Quartier Bagatelle à Toulouse

1.2 Paroles d’expert

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Démolir, reconstruire : pour qui ? Le relogement, contrainte ou opportunité ? par Marie-Christine JAILLET

1.3 Réactions de la salle

23

2.1 Etat des lieux

25

Quartiers Est à Montauban

2.2 Paroles d’expert

31

Mixité, mixités par Philippe GUITTON

2.3 Réactions de la salle

35

3.1 Etat des lieux

37

Quartiers Aillot et Bisséous à Castres

3.2 Paroles d’expert

43

Unités résidentielles : l’espace de l’habitant par Philippe PANERAI

3.3 Réactions de la salle

47

4.1 Etat des lieux

49

Quartier Laubadère à Tarbes

4.2 Paroles d’expert

55

Ouvrir les quartiers : l’exigence de l’espace public face au risque des espaces communs par Fabrice ESCAFFRE

4.3 Réactions de la salle

59

5.1 Etat des lieux

61

Quartier En Gach à Graulhet

5.2 Paroles d’expert

67

L’ordre des rénovateurs par Renaud EPSTEIN

5.3 Réactions de la salle Quelques mots de conclusion

73 75

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Introduction

La rénovation urbaine au service d’une transformation

durable des quartiers Anne PÉRÉ / Urbaniste

ans les années 60 70, l’impérieuse nécessité de juguler la crise du logement (travailleurs des bassins industriels, rapatriés d’Algérie, résorption de bidonvilles…) engendre la création de “grands ensembles” à la périphérie des grandes villes françaises. Ces quartiers, créés de toutes pièces sur des terrains souvent vierges, se construisent le plus souvent suivant les préceptes du mouvement moderne en architecture, en rupture avec la ville existante, en ouverture sur des espaces libres ouverts à tous. La plupart d’entre eux vont devenir, à la suite des différentes crises sociales, des quartiers “difficiles”, où l’état va tenter d’intervenir pour réhabiliter, équiper, prévenir… sans arriver à enrayer les phénomènes de rejet et de ghettoïsation.

D

Après plus d’une décennie où le Développement Social des Quartiers devait passer essentiellement par l’action en direction des populations, l’intervention urbaine redevient le moteur du changement attendu,

avec des injonctions à la fois de mixité sociale, d’amélioration de la vie quotidienne des habitants , de lien avec la ville. Les quartiers “sensibles” sont aujourd’hui l’objet de projets de restructurations parfois très importantes, redéfinissant l’espace public, le niveau d’équipement, l’accessibilité, les typologies de logements et leur rapport aux espaces privatifs… dans le but affiché d’une réintégration durable dans la dynamique de l’ensemble de la ville. Pour autant, cette volonté affichée dans le programme de rénovation urbaine engagée par Jean-Louis Borloo ne contient-elle pas également certains risques : utilisation de la démolition comme simple exorcisme du problème des grands ensembles, sous-estimation de la valeur de l’action sociale, prise en compte du temps dans la transformation urbaine, difficulté d’association des populations en place…

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Montauban Graulhet

Toulouse Castres Tarbes

(Ci-dessus) > 1. Les 5 opérations midi-pyrénéennes de rénovation urbaine analysées

L’ambition de cette journée d’étude et d’échanges est de développer un double regard sur ces questions : • en restituant une démarche d’observation engagée sur des opérations de renouvellement urbain en midi Pyrénées par les professionnels de l’urbanisme à travers des visites et débats locaux sur les projets en cours, par un travail conjoint mené par l’université de Toulouse le Mirail et l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Toulouse • en croisant ces analyses avec l’apport de regards d’experts, chercheurs ou praticiens sur les enjeux majeurs des transformations en cours, au delà de contextes particuliers.

Les sites de renouvellement urbain en Midi-Pyrénées : des contextes très divers Si les quartiers en difficulté en Midi Pyrénées peuvent poser des diagnostics relativement similaires en termes social : appauvrissement de la population, augmentation des tensions sociales, et en terme de formes urbaines : barres ou tours d’habitation organisées dans des espaces publics souvent indifférenciés, ils se situent dans des contextes socio économiques, géographiques, des échelles de villes et de quartiers très différenciés. Les cinq exemples choisis pour l’observation illustrent cette diversité. • Le quartier Bagatelle fait partie des cités en difficulté de Toulouse, intégré dans le Grand Projet de Ville. L’importance du quartier - près de 7000 habitants - dépasse largement celle des autres sites de Midi Pyrénées. Construit dans les années 70 aux limites de la ville, il se retrouve aujourd’hui dans des quartiers très proches du centre, avec un lien direct par le métro.

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Depuis plusieurs décennies, des actions ont été menées sur le quartier, par la réhabilitation d’une partie des logements ,par le déplacement du cœur de quartier sur un axe urbain de la ville… Les opérations actuelles prolongent ces interventions en renouvelant fortement le parc de logement au profit d’une diversité de types et de statuts d’occupation. • Les « quartiers Est » à Montauban sont situés dans une ville attractive, 2ème ville de Midi Pyrénées. Ils sont formés de trois cités différenciées, aux formes urbaines marquées, situées dans un tissu pavillonnaire de faubourg. Jusqu’à ces dernières années, les actions entreprises étaient essentiellement d’ordre social avec l’action d’associations, la mise en place d’une régie de quartier… Le centre ville, qui posait et pose encore des problèmes importants d’insalubrité et de dégradation sociale, était ciblé dans les opérations d’interventions urbaines. Le projet actuel propose une reconversion complète des « quartiers Est » basé sur une évolution de la mixité des logements. Sur 1000 logements existants, 600 seront détruits et 300 reconstruits sur place dans des typologies différentes. • Le quartier d’Aillot-Bisseous à Castres s’est formé au fur et à mesure des opportunités foncières dans le nord de la ville, en lien avec l’implantation des laboratoires Fabre. Des interventions ciblées ont déjà eu lieu dans ces quartiers, en particulier par la démolition d’une tour “symbole” dans les années 90. Les projets actuels restent dans une démarche de proximité, focalisée sur deux sites d’intervention comprenant chacun environ 200 logements. • Le quartier de Laubadère à Tarbes est situé à proximité des usines GIAT, industrie de l’armement dans un quartier enclavé par rapport à la ville, séparé par la voie de chemin de fer.


Le contexte économique est difficile et le marché du logement peu attractif. Après une première phase d’actions visant à ouvrir le quartier sur la ville avec, en particulier, l’arrivée d’un équipement d’agglomération : le siège du Grand Tarbes, l’étape récente veut changer plus radicalement le quartier en reconstruisant sur place un habitat intermédiaire. • Enfin, le quartier En Gach se trouve dans la commune de Graulhet, ville de 14000 habitants dans le bassin industriel Tarnais. De nombreux logements sociaux se sont construits dans les années 70 en lien avec la mono industrie locale, la mégisserie, actuellement en déclin. Dans ce contexte, l’intervention sur la cité a pour but de dédensifier et de valoriser un quartier situé en limite de ville.

(Ci-dessus) > 2, 3, 4, 5, 6. Photos des “quartiers en rénovation” (dans l’ordre Bagatelle à Toulouse, quartiers Est à Montauban, Aillot et Bisséous à Castres, Laubadère à Tarbes et En Gach à Graulhet)

Des réponses urbaines relativement similaires La démolition / reconstruction est l’ outil phare de la restructuration urbaine devant amener, par le biais d’une mixité typologique, une mixité sociale. Cela se traduit sur l’ensemble des sites par des opérations importantes de démolition, avec des reconstructions prévues ou non sur le site existant. Les projets composent un tissu urbain plus traditionnel, où les nouveaux logements s’intègrent formellement au tissu environnant. La volonté présente de changement d’image va sur certains projets jusqu’à l’idée d’une disparition complète de l’identité formelle de l’ancienne cité. L’ouverture du quartier sur la ville et le “désenclavement” restent des éléments dominants des programmes, même si ces quartiers sont parfois proches du reste de la ville et relativement bien pourvus en équipements publics. L’amélioration de l’accessibilité est chaque fois préconisée, par des traversées possibles des sites souvent en cul de sac, par des cheminements piétons améliorés, par des transports en commun plus efficaces. L’implantation d’équipements et d’activités ouvrant sur les quartiers environnants est l’autre outil du désenclavement. Ils sont également positionnés le plus souvent en limite de quartier, affichant ainsi spatialement le lien attendu avec la ville.

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A l’intérieur même des quartiers, l’amélioration de la qualité urbaine et des relations de proximité se traduit dans une réorganisation des espaces publics et privés, comme outil d’évolution du foncier pour la reconstruction, comme facteur de sécurisation et de gestion des abords des logements existants par la résidentialisation. Cette démarche, qui devrait renvoyer à une qualité résidentielle, est différente suivant les sites, allant du réaménagement en espaces verts et stationnement des abords à la fermeture d’îlots par des grillages ou grilles dont on ne sait plus si elles enferment l’espace privé ou l’espace public, l’habitant de la résidence ou le promeneur. Le réaménagement des espaces publics est l’autre face de cette valorisation, par un travail sur les espaces verts, la place de la voiture, les matériaux et éclairages utilisés dans l’espace public.

Des interrogations sur les questions sociales traitées par les opérations en cours Comme partout en France, le mouvement fort pour une évolution des quartiers, démarré depuis un moment sur certains, a été largement amplifié par les volontés actuelles de la politique de la ville, concrétisées par l’Agence Nationale de Rénovation Urbaine. L’entrée par le projet urbain avec un mode de financement « à guichet unique » a le double intérêt de mobiliser rapidement des crédits pour une intervention forte ; et de la rendre visible dans l’espace. Les habitants des quartiers en difficulté sont marqués pour la plupart par le nombre de promesses de changement, d’amélioration alors que leurs conditions de vie ont continué à se dégrader. Le partenariat public / privé a été mobilisé sur certains sites, permettant d’augmenter le potentiel d’intervention dans des opérations obligatoirement complexes. Cependant , le processus même de la rénovation : affirmation de changements radicaux, rapidité des démarches, porte un certain nombre d’interrogations qui méritent d’être soulevées :

Les projets à quelles fins ? Pour les habitants eux mêmes ou pour les autres catégories sociales qu’il convient de faire revenir ou d’attirer , pour améliorer leur qualité de vie ou pour réincorporer le quartier dans la dynamique du reste de la ville, au prix de sa transformation. Les quartiers de la géographie prioritaire ont-ils un rôle spécifique dans la ville comme quartiers populaires ou sont-ils des quartiers comme les autres ? De ses présupposés, découlent souvent les diagnostics faits sur les quartiers, mettant en avant les handicaps et les manques, posant plus difficilement les atouts et spécificités, et les réponses apportées, en particulier en matière de démolition et reconstruction. Par ailleurs, dans les zones de forte tension immobilière, comme à Montauban ou Toulouse, démolir au moment où la production s’avère de plus en plus nécessaire et difficile à mettre en œuvre s’accompagne d’une réflexion nécessaire sur l’accès au logement social à l’échelle de l’aire urbaine

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Les projets avec qui ? La construction collective des projets de rénovation urbaine est une nécessité, que cela soit pour la conduite des projets, leur partage par tous les acteurs, leur mise en œuvre. Du travail reste à faire à la fois pour simplifier les instances de pilotage et de décision, pour l’organisation d’équipes de projet relayées dans les différentes maîtrises d’ouvrage ( villes, organismes HLM, etc.), pour le passage rapide et réussi de la décision de subvention à la réalisation. Dans ces démarches, la concertation avec la population a été souvent de fait malmenée par les délais, en particulier sur le relogement et la démolition. Les populations en place voient souvent moins que les partenaires la nécessité des démolitions et les relogements se font de plus en plus difficilement avec l’avancée de celles-ci. Entre information, concertation, participation aux processus de décision, les avis sont partagés et les frontières mal déterminées. Les associations présentes sur le terrain dressent des bilans mitigés des projets et l’aide aux initiatives locales semble en retrait. Ces ambiguïtés vont se retrouver dans les présentations plus précises faites par les étudiants, qui vont montrer les logiques parfois contradictoires entre les différents acteurs des opérations, ainsi que la perception des habitants .


1.1

Etat des lieux

Toulouse (31)

Quartier Bagatelle Tristan BLIN, Laurène PARENT, Jacinthe RICHARD, Laurence VIRACADOU / Master 2 pro “Villes et Habitat, Politiques d’Aménagement” (Université Toulouse Le Mirail)

’est à la fin des années 60 que le quartier Bagatelle, jusque là composé d'un habitat pavillonnaire, a été l’objet d’une ambitieuse opération d’urbanisme. Axée sur la construction de 2500 logements sociaux, de type grand ensemble, celle-ci a été réalisée selon les principes utilisés au lendemain de la guerre. Implanté sur des terres agricoles, le quartier se caractérise dès le départ par une forte densité, par la juxtaposition de tours et de barres et par un réel déficit d’équipements et d’espaces publics. Ces caractéristiques urbaines fragilisent rapidement le quartier, nécessitant rapidement l’intervention des pouvoirs publics. C’est ainsi que dès 1977, la procédure Habitat et Vie Sociale avait déjà comme objectif de redynamiser le quartier. Par la suite, ce sont les différents dispositifs labellisés “politique de la Ville” (Développement Social des Quartiers, Développement Social Urbain, et trois générations de Contrat de Ville) qui se seront mobilisés ; tant sur le plan urbain que social.

C

Le Grand Projet de Ville de Toulouse, officialisé par la signature de la convention territoriale du 1er mars 2002, est le dernier en date. “Adjuvant territorial» du Contrat de Ville de l’Agglomération Toulousaine 2000-2006 - aujourd’hui devenu Contrat Urbain de Cohésion Sociale - ce dispositif fortement tourné vers le traitement des dysfonctionnements urbains, concentre de lourds moyens sur les zones les plus en difficulté. Insuffisants aux yeux de certains, puisque à partir de 2004, les ambitions de ce projet ont été revues à la hausse grâce à la signature de trois conventions ANRU. Bagatelle bénéficie de cette nouvelle manne financière.

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(Ci-dessus) > 1. Plan de situation du quartier Bagatelle dans l’agglomération toulousaine. (Ci-contre) > 2. Plan de composition du projet de rénovation urbaine de Bagatelle.

Bagatelle : quartier sensible Sans conclure au caractère pathogène de son organisation urbaine, il n’est pas faux de dire que Bagatelle présente un certain nombres d’handicaps architecturaux et urbanistiques. Dès que l’on pénètre le quartier, on s’aperçoit de la relative complexité urbaine qui l’anime : les rues s'entrecroisent sans organisation spécifique, rendant la circulation automobile - et piétonne - parfois périlleuse. Par ailleurs, ce réseau de communication est peu ouvert sur le reste de la ville, accentuant l’isolement du quartier. Ainsi, la rue principale, Henri Desbals, longe le quartier dans la longueur alors qu’au nord plusieurs rues coupent Bagatelle du reste de la ville ; c’est notamment le cas de la rue Saint Simon (surtout depuis la coupure de la sortie nord de la rue du Lot près de la Cépière) et de la rue Tellier. De manière différente, l’illisibilité de la trame urbaine participe d’un certain sentiment d'insécurité. Il est vrai que l’environnement architectural a une facheuse tendance à soutenir ce sentiment : avant la mise en oeuvre du GPV, Bagatelle était essentiellement composé d’immeubles de plusieurs étages, dont deux tours de 20 étages qui contribuaient au caractère anxiogène des lieux. Cette composition architecturale est alors d’autant plus troublante qu’elle contraste avec une zone pavillonnaire pré-existante, située aux franges du quartier. Construits à la hâte dans les années 60, pour faire face à un besoin urgent en logement, la majorité des unités d’habitation

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sont la propriété de l'OPAC de la ville de Toulouse (1583 logements) et de la SA Patrimoine (734 logements). Cette forte présence du mouvement HLM conduit à une concentration de logements sociaux sur le quartier : en 1999, Bagatelle comptait 63% de logements sociaux. Il s’en suit une stigmatisation urbaine et sociale. Et malheureusement, cette mauvaise réputation est souvent soutenue par l’état parfois déplorable du parc d’habitation. Il faut dire qu’à l’instar de la très grande majorité des quartiers de grands ensembles, la médiocrité des matériaux utilisés pour leur édification a conduit à une rapide dégradation des logements : chauffage insatisfaisant et insonorisation de mauvaise qualité. Dégradation intérieure à laquelle se rajoute celle de l’environnement urbain proche. Et la “déliquescence urbaine” n’est pas seule. Elle est accompagnée par une bien plus inquiétante précarité sociale. Le quartier concentre les populations les plus en difficulté de l’agglomération toulousaine. Ainsi, les habitants, majoritairement issus de l'immigration, connaissent un taux de chômage des plus sévères (46,73%). Les ménages (sur)vivant grâce aux minimas sociaux sont nombreux et l’économie souterraine a tendance à se développer plus facilement qu’ailleurs. Par opposition la population active demeure faible et occupe des postes peu qualifiés. En se référant à la classification par PCS (Profession et Catégorie Socioprofessionnelle), il est intéressant de noter que 12,1 % de la population active appartient à la catégorie “employés” et prés de


(Ci-contre) > 3. Principes d’aménagement d’un ilot rue du Lot.

16,1% à celle des “ouvriers”. Le quartier compte peu de professions intermédiaires et encore moins de cadres. L’effet de ricochet jouant pleinement son rôle, les difficultés économiques rencontrées par les adultes ont d’inévitables répercussions sur la réussite scolaire des enfants. Ainsi on peut constater un taux d'échec scolaire important qui conduit parfois à une déscolarisation précoce.

Un projet... de centralité

Enfin, il est évident que le double handicap - social et urbain pose irrémédiablement des problèmes d’attractivité. Pour preuve, le taux de vacance n’a de cesse d’augmenter, alors que le marché immobilier du quartier est lui plus qu’atone.

• l'ouverture de la rue du Lot sur la rue Saint- Simon, favorisant la connection du quartier avec le reste de la ville. Cette rue constitue l'axe principal, le long duquel s'affiche la nouvelle diversité urbaine du quartier : le changement des formes du bâti et des typologies d’habitat est flagrant. Les petits collectifs sont privilégiés, se démarquant totalement des anciennes formes d’habitat. De la même manière, les résidences privées - vouées à la location ou à l'accession non conventionnées - intègrent peu à peu le paysage urbain et participent à un “ré-équilibrage social” du quartier. La fin du “tout logement social” a sonné. Des locaux d’activité sont notamment aménagés en bas d'immeuble. Ils sont entre autre chose destinés à des commerces susceptibles d’attirer une nouvelle clientèle.

Toutefois, malgré ces larges faiblesses, Bagatelle peut également compter sur des atouts non négligeables. Grâce à l’ouverture de la ligne A du métro, le quartier n'est situé qu'à une quinzaine de minutes de l'hyper-centre, et la présence de la rocade à l'arrière du quartier, bien que constituant une fracture physique supplémentaire, n’en offre pas moins une potentialité de développement économique intéressante. Ainsi, la proximité de la voie rapide contribue à faire du quartier une zone stratégique pour l'implantation d'entreprises... Et c’est encore plus vrai depuis la création de la ZFU toulousaine en 2004. Enfin la proximité de structures d'importance telles que l’université du Mirail, le Zénith, et dans une moindre mesure le stadium, le parc des expositions, et bientôt le futur Cancéropôle, plaide en faveur du quartier.

Le projet de renouvellement urbain plébiscite le retour vers un urbanisme à taille humaine. La réorganisation du système viaire et la création d’une centralité forte constituent les pierres angulaires de cette nouvelle philosophie d’aménagement. Pour être plus précis, cette dernière s’appuie sur :

• la restructuration de la rue Henri Desbals - entreprise sous le mode d’une ZAC - vise à développer un pôle de centralité commun aux quartiers de Bagatelle et de la Faourette. Traversé par un axe de circulation participant au désenclavement du quartier, ce pôle regroupe les équipements publics existants, jusqu’alors disséminés dans Bagatelle et Faourette (La Poste, les centres sociaux, le commissariat de police, les mairies de quartiers...).

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Par ailleurs, de nouveaux équipements tels que le centre culturel, la médiathèque ou encore des commerces et autres activités de service diversifiées renforcent cette centralité. • la démolition et la reconstruction de nombreux logements devraient compléter ce renouveau urbain. Parmi ceux-ci, 60% seront reconstruits sur place, 40 % sur le reste de l'agglomération toulousaine. Une partie des nouveaux immeubles construits sur place sont destinés à l'accession à la propriété avec des bâtiments R+2/ R+4 et duplex. Cette diversification des formes et des statuts d’habitat doit encourager la mixité sociale.

Sans évoquer le bruit et autres dérangements provoqués par les travaux, les opérations de démolition-reconstruction particulièrement mal séquencées sont à l’origine de nouvelles problématiques. Ainsi, les bâtiments détruits font place à des terrains vagues... parsemés de rochers sensés empêcher les rodéos automobiles et l'installation sauvage de caravanes. Les immeubles destinés à la démolition sont murés, détériorant fortement l’image du quartier auprès des “toulousains de passage” mais également auprès des investisseurs et autres entrepreneurs potentiels.

A l’heure actuelle, de nombreuses opérations ont débuté. La gestion du changement n’est d’ailleurs pas toujours évidente.

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Relogements en cascade C’est la convention du GPV, signée en février 2002, qui prévoit les modalités de relogement. A la lecture du document, cette question fait figure de formalité. Pourtant dans la réalité, l’exercice apparaît bien plus compliqué. L’ingénierie de relogement ne s’improvise pas. Selon plusieurs bailleurs, un temps de maturation aura été nécessaire pour traiter la question de manière organisée et efficace. La création de plusieurs postes de “chargés de relogement”, dont la mission était spécifiquement dédiée à l’établissement du dialogue et au suivi des habitants concernés par le relogement, va dans ce sens. Globalement, les solutions de relogement ont tenu compte des souhaits émis par les habitants, et de la capacité de ces derniers à “se reconstruire” dans un nouveau


logement : “proposer un logement en 3ème couronne à une famille sans moyens de locomotion relèverait de l’ineptie !” En outre, elles s’accordent en fonction de la disponibilité du parc des bailleurs. Or l'offre apparaît relativement limitée et a tendance à se concentrer dans les autres grands quartiers d'habitat social. De toute manière, pour un bon nombre d’habitants, l’intégration dans le quartier est loin d’être négative. Les candidats à “l’exil” sont généralement moins nombreux que “les fidèles aux quartiers”. Les deuxièmes, attachés à leur environnement social, à leurs habitudes construisent leur choix sur l’affectif. Les premiers, eux, se focalisent bien plus sur la typologie du logement; c’est alors sa qualité qui guide leur choix. Dans ce cas, il s’agit soit des ménages pour lesquels le départ était déjà “espéré”, avant même que ne perce le projet de rénovation, soit des ménages qui devinent dans le projet une opportunité d’évolution résidentielle, si ce n’est sociale. Si les souhaits des locataires sont, dans la majeure partie des cas, entendus, ils ne peuvent pas toujours être respectés à la lettre : des départs ont été contraints, et ce malgré la hantise, pour certains, de perdre leur réseau social, leurs habitudes, leur vécu. Et encore, ce “relogement imposé” se trouve parfois alourdi lorsque des ménages ayant émis le souhait d’être relogés dans le quartier, ou à proximité, l’ont été au sein d’immeubles voués à une démolition prochaine. A charge pour les ménages les ayant acceptés de se préparer à un futur deuxième déménagement. Le décalage significatif entre les démolitions et les reconstructions et la part trop importante de ménages désireux de rester dans le quartier (environ 75% selon l'OPAC) expliquent cette situation de relogement en cascade.

Une concertation controversée La convention du GPV met en avant des préconisations fortes en matière de concertation. Or, dans les faits, force est de constater que celle-ci a bien du mal à prendre corps. Cette résistance se pose en premier lieu au sein même de la concertation partenariale. En effet l'une des clés de réussite du GPV, repose sur la capacité des partenaires à travailler ensemble et à conduire le projet dans la durée. Pour que cette philosophie d’intervention fasse son oeuvre, il est indispensable de fonder le partenariat autour d’une concertation solidement établie : chacun doit avoir son mot à dire sur les différentes phases du projet, depuis la définition des diagnostics, en passant par la mise en œuvre des actions, jusqu’à leur évaluation. Cette “mise en musique partenariale” est assurée par un Comité de pilotage ad hoc, composé par les représentants des différentes institutions finançant l’opération : Etat, ANRU, Ville de Toulouse, Conseil Régional, Conseil Général, Communauté d'Agglomération du Grand Toulouse et Caisse des Dépôts et Consignations. Pourtant, une série d’entretiens menée auprès d’un certain nombre de partenaires, tend à souligner que “l’entente cordiale” n'est pas si évidente. Les difficultés de la concertation sont encore plus prégnantes lorsqu’il s’agit de la concertation citoyenne.

A cet égard, les mêmes acteurs expriment une réelle difficulté à mobiliser les habitants. La faible fréquentation des réunions publiques vient corroborer ces témoignages. Il faut avouer que la précarité sociale constitue immanquablement un frein à l’implication des habitants. Autrement dit, comment personne avant tout soucieuse de payer son loyer, peut-elle s'investir pleinement dans un projet ; un projet dont les résultats ne seront d’autant plus palpables que dans plusieurs mois, voire plusieurs années ? Ce constat de semi échec a incité les opérateurs à réviser leur stratégie de communication-concertation. Ainsi ont-ils tenté de diversifier leur approche du dialogue habitant. C’est dans ce sens, que l'OPAC a organisé des réunions de bas d'immeubles. Privilégiant une relation plus souple, et surtout plus intimiste, ce mode de rencontre a permis d'informer plus largement les habitants. Pour autant, ceux interrogés ont exprimé une critique forte et unanime vis-à-vis du déroulement de la communication conduite par les acteurs institutionnels. Nombreux sont ceux qui ont eu le sentiment de ne pas avoir été entendus. Au final, le ressenti des habitants semble particulièrement négatif. Cette déception est à la fois préjudiciable pour l'acceptation du projet luimême, mais également pour l’image des différentes maîtrises d’ouvrage institutionnelles (notamment bailleurs et collectivités territoriales). Par ailleurs, concernant la communication entre opérateurs, certains représentants du monde associatif ont regretté la médiocrité des échanges partenariaux et plus particulièrement la place réservée à la démarche de concertation associative par la ville de Toulouse. Ceci étant dit, des représentants d'associations ont tout de même noter une nette amélioration dans le dialogue avec l'équipe DSU, depuis l’arrivée d’une nouvelle directrice. Raison de plus pour penser que les relations entre partenaires reposent - avant toute chose - sur la bonne volonté des opérateurs !

(Page de gauche) > 4 et 5. L’échelle imposante et l’austérité architecturale des anciennes constructions dénotent ... > 6 et 7. ... par rapport aux nouvelles unités d’habitation, moins hautes et surtout plus modernes.

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En guise de conclusion

Une dimension sociale encore insuffisante Ce rapide état des lieux montre que Bagatelle cristallise de nombreuses difficultés, accentuées par des représentations qui ne facilitent en rien son relèvement. En proposant un changement urbain conséquent (résidentialisation, recentrage des activités sur l'avenue Desbals, amélioration du cadre bâti, restructuration des axes, désenclavement, création de logements privés pour favoriser la mixité…), l’opération de rénovation urbaine est en train de donner aux quartiers certains atouts indispensables à sa “réinsertion urbaine”. Néanmoins, le traitement social reste encore trop sous-dimensionné. En dépit d’un réajustement commandé par les émeutes de l’automne 2005, plusieurs acteurs associatifs regrettent notamment que les budgets alloués aux actions socio-culturelles demeurent insuffisants pour satisfaire totalement aux attentes et surtout aux besoins du terrain. Selon les habitants interrogés, cette insuffisance aurait eu une conséquence immédiate : l’accentuation du sentiment d'insécurité. Et de ce côté là, le projet de rénovation urbaine n’aurait pas vraiment amélioré la situation.

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Ainsi, à ce jour, la dégradation sociale semble se poursuivre et la capacité du GPV à résoudre les difficultés de Bagatelle reste incertaine. L'enjeu de la mixité aura sûrement du mal à se construire dans un climat d'insécurité et surtout sans une meilleure prise en compte de l’accompagnement associatif. Toutefois, comme tout projet en phase de réalisation, le GPV a droit à ses périodes de tâtonnement et de doute. (Ci-dessus) > 8. Le coeur du quartier se caractérise par la présence de grandes barres monolithiques.


1.2

Paroles d’expert

Démolir, reconstruire : pour qui ?

Le relogement, contrainte ou opportunité ? Marie-Christine JAILLET-ROMAN / Directrice de recherche au CNRS LISST-CIEU UTM

e qui nous intéresse ici, c’est de prendre un peu de recul par rapport aux opérations de démolition-reconstruction, afin de mieux apprécier les effets qu’a pu produire le relogement sur ceux qui ont eu à le vivre.

C

Pour cela, je m’appuierai sur le travail que nous avons mené récemment et pour lequel nous avons interrogé des habitants d’un des quartiers midi-pyrénéens en rénovation urbaine, relogés au moins depuis un an, afin d’apprécier quel a été l’impact, à moyen terme, du relogement sur l’histoire de ces ménages et leur itinéraire, celui, à court terme, au moment où s’effectue le déménagement/relogement, étant souvent traumatique. En effet, dans le cadre de ces opérations, les ménages n’ont pas choisi de partir. Le déménagement, même lorsqu’il est bien anticipé et préparé par le bailleur, leur est imposé. Il ne s’inscrit donc pas dans un projet personnel ou familial, même s’il est au final consenti.

Nous avons pu engager une démarche exploratoire avec le concours de la société HLM Patrimoine, qui nous a permis – dans le cadre d’un travail conduit par Vincent ANDRIOT– de réinterroger fin 2006, les anciens habitants de deux immeubles du quartier toulousain de Bagatelle démolis (immeubles K et L de la rue de La Martinique) dont les relogements avaient été achevés en 2004. Nous disposions d’un recul suffisant pour que les ménages aient eu le temps de surmonter les bouleversements attachés à leur déménagement et de trouver leurs marques dans leur nouvel environnement. Ils étaient donc plus à même d’évaluer pour eux-mêmes ce que ce changement leur avait apporté ou retiré. Cette enquête exploratoire nous permettait d’apporter une première réponse à une des questions posées par les opérations de démolition/reconstruction qui sont communément présentées comme devant apporter une plus-value aux habitants des quartiers en rénovation. Bien d’autres arguments sont mobilisés pour justifier

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ces opérations : la recherche d’une plus grande diversité sociale par la construction de nouveaux programmes immobiliers, le souci d’améliorer la qualité urbaine d’ensembles mal organisés pour en faire des quartiers « comme les autres », la volonté de lutter contre le processus de ghettoïsation, le souhait d’accroître le confort des logements et du cadre bâti existants... Quand ils s’intéressent aux habitants qui vivent aujourd’hui dans ces quartiers, les arguments mobilisés soulignent qu’ils retireront de ces transformations un bénéfice certain, du moins ceux qui sont appelés à y rester. Par contre, qu’en est-il de ceux que la démolition délogent ? Sont-ils simplement les victimes d’un processus qu’ils n’ont pas voulu, « sacrifiés » en quelque sorte à l’éventuel mieux-être des premiers ? Ou, y aurait-il, au moins pour certains d’entre eux, une plus value, et si tel est le cas, de quelle nature est-elle ? la question mérite d’être posée.

Le principe de la démolition est plus ou moins bien accepté Le point de vue des habitants sur la démolition-reconstruction, sur sa légitimité, et donc sur le relogement, dépend pour partie de la manière dont ils perçoivent les raisons de la démolition. Celleci peut leur apparaître comme étant plus ou moins justifiée, ce qui aura une incidence sur leur acceptation du principe de la démolition et donc de la nécessité du relogement. Or, les raisons pour lesquelles un immeuble est démoli peuvent varier d’un quartier à l’autre et dans un même quartier, d’un immeuble à l’autre.

De manière un peu rapide, la démolition d’un immeuble peut obéir à trois logiques : •l’immeuble est obsolète ou devenu obsolète, en raison même des conditions de sa construction (il comporte des malfaçons), ou parce que l’absence durable d’entretien a entraîné sa dégradation. Il n’est plus aux normes des standarts de confort et ne peut être remis à niveau. Il a perdu toute valeur patrimoniale ; • l’immeuble est « mal placé » au regard des impératifs du projet urbain : par exemple, il se situe dans l’axe d’une voie de circulation qui doit être créée ou sur l’emplacement d’un équipement à construire. Il peut ne pas être obsolète, mais il gêne et doit en quelque sorte être « sacrifié » pour les besoins du projet ; • l’immeuble est ce que l’on pourrait appeler « un immeuble abcès », c'est-à-dire un immeuble qui a concentré, au fil du temps, des ménages en situation de grande pauvreté et précarité et dont certains comportements sociaux sont parfois inadaptés à la vie en habitat collectif. Leur concentration en un même lieu génère des troubles pour le voisinage. Ces immeubles et leurs occupants sont généralement bien identifiés dans les quartiers et font l’objet d’un rejet assez général : il peut s’agir d’immeubles HLM « sacrifiés » par des politiques du peuplement plus ou moins volontaires et maîtrisées, mais aussi de copropriétés privées qui reçoivent les « exclus » ou « déboutés » du logement HLM. Selon la raison pour laquelle l’immeuble est démoli - en tout cas selon la manière dont les habitants l’appréhendent – le principe de la démolition apparaîtra plus ou moins justifié. Il le sera davantage si l’immeuble est considéré comme obsolète, ou s’il est un

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de ces « immeubles abcès » que l’on voudrait voir disparaître ou dont on souhaiterait éloigner du quartier les occupants. Par contre, s’il a pour seul problème, de ne plus être au bon endroit, sa démolition pourra être contestée, a fortiori par ses occupants, si de surcroît il fonctionne bien sur le plan social et s’il a été l’objet dans le passé d’amélioration d’usage. La démolition peut alors apparaître comme une injustice. Toute démolition n’est pas par principe refusée par les habitants des quartiers, elle est appréciée au cas par cas, à partir de la manière dont ils évaluent l’opportunité à démolir tel ou tel immeuble. L’appréciation de la plus ou moins grande légitimité de la démolition est d’autant plus complexe qu’il peut y avoir parfois un écart entre ce que pensent les habitants des raisons qui poussent à démolir tel ou tel immeuble et ce qui leur en est dit : ainsi, par exemple, de la démolition de l’immeuble du « 9 bis » dans le quartier de Reynerie au Mirail. Cet immeuble est celui où avait habitée la famille du jeune (« Pipo ») tué par des policiers dans des conditions jugées suspectes par les habitants du quartier. Son décès avait été à l’origine de l’embrasement du quartier en décembre 1998. Il avait donné son nom (« le 9 bis ») à l’association initiée par quelques-uns de ces amis pour porter dans le débat public local la question de la place faite aux jeunes des cités toulousaines. Que cette démolition, la première du quartier de Reynerie, ait été justifiée, du point de vue des acteurs publics, par les nécessités du projet urbain, n’a pas empêché les habitants de l’interpréter autrement et d’y voir la volonté d’effacer, par la destruction, un des symboles de l’histoire du quartier et de sa mobilisation.

Le relogement est souvent d’abord un traumatisme parce qu’il est imposé Quelles que soient les différences dans l’appréciation de l’opportunité de la démolition, celle-ci et le relogement qui s’en suit sont d’abord vécus comme une expérience traumatique dans la mesure où, dans cette situation, le déménagement est imposé et ne relève pas, du moins au départ, d’un projet construit par les ménages. Cette nécessité devant laquelle ils sont placés a d’autant plus de résonance qu’elle s’applique à des ménages qui, en raison même des conditions socio-économiques qui sont les leurs, ne se sentent pas particulièrement avoir la maîtrise de leur destinée. Ils subissent plus qu’ils ne sont acteurs. Le rôle auquel les politiques publiques les assignent les dépossèdent de toute capacité d’initiative, y compris ici pour ce qui touche à leur cadre de vie : on fait généralement « pour » eux. Or, au regard de la précarité et de l’insécurité économiques que vivent nombre de ces ménages, le logement qu’ils occupent est fortement investi d’une fonction de protection et de mise à l’abri des siens, dans un univers jugé, sinon hostile, du moins éprouvant. Devoir le quitter, c’est devoir abandonner ce cocon et l’espace social familier dans lequel il est inscrit pour être à nouveau exposé au risque et à l’incertitude. Savoir de plus que le logement qui sera quitté sera démoli ajoute à ce désarroi le sentiment de perte : avec la démolition, toute trace de sa propre histoire et de son vécu est effacée.


Dans ces conditions, être relogé, ce n’est pas simplement changer de logement.

Une attention portée aux attentes des habitants à reloger Les bailleurs sociaux, comme l’ensemble des acteurs publics concernés par la démolition, ont généralement conscience de ces enjeux et partagent le souci de ménager les locataires qui devront quitter leur immeuble et être relogés. On est bien loin des discours qui circulent parfois tendant à assimiler le relogement aux opérations autoritaires et brutales que subissent les populations des quartiers informels dans les pays en voie de développement. Rien de comparable ici avec les opérations de « déguerpissement » que l’on y observe. Titulaires d’un bail locatif, les locataires, s’ils ne sont pas à l’initiative de leur déménagement, ne sont pas pour autant soumis au seul « bon vouloir » du bailleur, ou brutalisés. Les conditions de leur relogement sont précisées par des chartes ou des conventions qui définissent leurs droits ou du moins les protègent : par exemple, elles stipulent que leur taux d’effort doit être équivalent, que la taille du logement doit correspondre aux besoins du ménage, que celui-ci a droit à plusieurs propositions, enfin que l’ensemble des coûts afférents au déménagement sont à la charge du bailleur. Les associations de locataires comme d’autres intervenants veillent à ce que ces principes soient respectés et appliqués. La publicisation de ces opérations de démolition/reconstruction, le fait qu’elles soient en quelque sorte mises sous « observation » publique, garantit, pour le moment, un traitement au moins « convenable » des relogements. Mais, le logement est, pour ces ménages comme pour les autres, au cœur d’un « dispositif de lieux » nécessaires à leur mode de vie (écoles s’ils ont des enfants, commerces, services…) et d’un réseau de sociabilités. Reloger ne peut donc se réduire à la fourniture d’un logement de remplacement. En Midi-Pyrénées, l’attention marquée à une situation imposée par l’action publique aux habitants de ces quartiers, s’est souvent traduite par le souci de prendre en compte les attentes et besoins des habitants, au-delà de la simple typologie du logement et de sa localisation, pour s’intéresser plus largement à leur mode de vie. Ainsi, à Montauban, une enquête systématique a conduit à apprécier, pour chaque locataire des « quartiers Est », les équipements et services utilisés, les modes de déplacement mobilisables, afin d’inclure dans les offres de relogement les potentialités de l’environnement et les modalités de desserte accessibles.

Mais des relogements qui se heurtent à l’état du marché … On ne peut mettre en doute la bonne volonté des bailleurs et le souci largement partagé par l’ensemble des acteurs publics impliqués dans ces programmes de démolition/reconstruction, de ménager les locataires à reloger, en individualisant au mieux de

leurs attentes, les réponses qui y sont apportées. Il reste cependant que, dans de nombreux sites, cette attention se heurte aux réalités concrètes de l’offre disponible de logements sociaux bon marché et à sa localisation. Le relogement est donc souvent un compromis entre les contraintes imposées par l’état du parc et les aspirations des locataires, avec le risque qu’un nombre significatif d’entre eux finissent par se retrouver dans les mêmes cités ou immeubles HLM, contribuant à leur paupérisation, voire à la répétition d’un processus de disqualification. Car reloger c’est aussi devoir mobiliser sur un site une capacité de relogement. Cette capacité au relogement varie incontestablement d’une ville à l’autre, selon la situation du parc social, son importance et sa disponibilité, selon l’état du marché du logement, selon la tension que connaît le marché locatif. Est-il encore possible de trouver, dans les villes midi-pyrénéennes, des logements privés bon marché et en bon état dont la mobilisation permettrait de desserrer la pression qui s’exerce sur le parc public HLM ? Elle varie également selon la capacité d’anticipation dont les acteurs publics ont fait preuve pour reconstruire une offre publique de logements sociaux bon marché et familiaux avant de démolir. Force est de constater que rares sont les sites où l’on s’est préoccupé de reconstituer d’abord l’offre que l’on allait détruire avant de procéder à sa démolition, ce qui a pour conséquence d’organiser le relogement sous contrainte et dans le seul parc existant.

Et à d’autres publics prioritaires Si la situation n’est pas la même à Toulouse et dans les villes moyennes de Midi-Pyrénées où l’on a engagé des programmes de rénovation urbaine sous les auspices de l’ANRU, néanmoins la nécessité de reloger conduit à établir dans l’accès aux logements HLM qui se libèrent une priorité nouvelle, qui, par ricochet, fait reculer dans la file d’attente, d’autres catégories d’ayants droits au logement social, voire même d’autres catégories qui avaient antérieurement été jugées prioritaires : c’est en particulier le cas des demandes qui proviennent de la mise en œuvre des politiques du droit au logement. Qu’en sera-t-il quand le Droit au Logement Opposable (DALO) viendra, à son tour, édicter d’autres priorités plus impérieuses que celles qui existaient jusque-là ?

Au total, une pression qui s’exerce sur une fraction seulement du parc HLM Cette mise en concurrence de publics prioritaires s’opère dans un contexte où l’ensemble du parc HLM ne peut être mis à contribution pour mobiliser une offre adaptée. Seulement une partie, celle constituée par les logements HLM bon marché, peut l’être : soit les logements produits avec les financements « ordinaires » de la fin des années 50 au début des années 70. Encore que ceux de ces logements qui ont le mieux vieilli, parce qu’ils ont été entretenus et sont bien situés dans la ville, connaissent des taux de rota-

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tion si faibles que leur contribution à l’effort actuel de relogement est des plus limités. À ces logements HLM « ordinaires » s’ajoutent les logements « d’insertion » construits depuis le début des années 90 avec des financements bonifiés, dont le succès a été plus que relatif. Qu’on se souvienne de ces enveloppes qui remontaient au Ministère du Logement faute d’avoir trouvé preneur auprès des collectivités comme des bailleurs. L’offre HLM qui peut être mise à contribution pour reloger les ménages prioritaires est donc quantitativement limité. Elle est également constituée des segments probablement les moins attractifs, soit les immeubles des quartiers que l’on rénove qui ne seront pas démolis et des immeubles « moyens » qui échappent pour le moment à la disqualification, ou qui ne sont pas encore repérés comme tels, mais que l’afflux de populations fragiles peut faire basculer. De manière plus optimiste, on pourrait rétorquer que cette situation n’est que transitoire, le temps que l’effort de reconstruction participe à reconstituer une offre de substitution. Encore faudraitil être assuré que ces nouveaux logements HLM soient bon marché. Les conditions actuelles de la production HLM, pas plus que les stratégies que peuvent développer les communes confrontées à d’autres besoins sociaux en matière de logement locatif, ne permettent d’en être assuré.

Dans les opérations de relogement, des laissés pour compte Si les chartes encadrent le relogement des locataires en titre, elles ne disent rien des personnes ou des ménages hébergés : couples d’enfants devenus adultes, parents ou amis, qui n’ont pu accéder à un logement autonome par défaut de ressources ou pour d’autres raisons. En effet, l’analyse de l’occupation sociale du parc HLM dans ces quartiers a montré que, pour un nombre significatif d’appartements, elle ne se réduisait pas au ménage du titulaire du bail. Que deviennent, dans ces opérations de démolition/reconstruction, ces ménages hébergés ? Ils « s’évaporent » et sont contraints de trouver par eux-mêmes d’autres solutions d’hébergement. Or, parmi ces ménages, on peut penser que nombre d’entre eux ne sont pas « des sans papiers », mais des ayants droits potentiels au logement social, inscrits dans la file d’attente, ou ayant tout simplement renoncé à s’y inscrire en raison de sa longueur.

La plus grande complexité des problématiques du relogement dans les copropriétés privées Enfin, il faut s’arrêter sur la situation des copropriétés qui font l’objet d’un programme de démolition/reconstruction, car l’ensemble du parc démoli dans les quartiers en cours de renouvellement ne relève pas partout de la seule propriété des bailleurs

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sociaux HLM. C’est en particulier le cas à Toulouse, dans le quartier de Bellefontaine, où un certain nombre de copropriétés en coeur de quartier vont être démolies. La démolition oblige alors à prendre en considération le devenir des locataires, mais aussi celui des propriétaires, sachant que pour une partie, ceux-ci occupent leur appartement et pour une autre ils ne font que le louer. • Pour les locataires, la problématique du relogement se heurte à des difficultés supplémentaires qui tiennent au rôle que joue ce parc dans les quartiers : il est souvent un parc refuge pour des ménages exclus du parc HLM ou qui n’y ont pas droit, soit à l’inverse un parc d’attente avant l’obtention d’un logement HLM. En conséquence, les ménages qui s’y trouvent sont souvent plus en difficulté et plus fragiles que ceux du parc HLM. Il est donc quasiment impossible de leur trouver un logement équivalent dans le parc privé. Aussi, leur relogement n’est-il envisageable que dans le parc public, par un effort supplémentaire des bailleurs HLM qui le consentent sans « enthousiasme », ayant le sentiment d’accroître leur charge. Mais, si l’on pouvait craindre pour ces locataires qui à l’origine ne relèvent pas du secteur public, une inégalité de traitement par rapport aux locataires HLM, de fait ils sont bien inscrits dans le droit commun du relogement : ils bénéficient de la même charte, même si son application est plus difficile et mobilise peut-être moins la « bonne volonté » des bailleurs sociaux.

• Quant à la situation des propriétaires, elle varie d’abord avec le fait qu’ils occupent ou non leur logement. S’ils l’occupent, il faut donc leur trouver un logement de remplacement pour un coût équivalent. Ce qui pose la question du niveau d’indemnisation qu’on leur consent pour la perte de leur bien immobilier. Celui-ci évalué par les Domaines, au regard des prix des transactions immobilières dans le quartier, ne leur permet pas d’acquérir un nouveau bien du même type hors du quartier, et parfois même dans le quartier puisque les copropriétés vouées à la démolition en constituent généralement le segment le plus déprécié. On observe que nombre de ces propriétaires occupants cherchent à rester dans les quartiers du Mirail, soit qu’ils y soient réellement attachés, y ayant vécu depuis longtemps, soit qu’ils aient intégrés que la valeur de leur bien ne leur permettait pas d’envisager d’acheter dans un autre quartier. La paupérisation du Mirail a fait de ces propriétaires des habitants « captifs ». Elle ne leur a pas permis d’espérer tirer de la vente de leur logement de quoi racheter ailleurs. Dès lors, on peut se demander sur quelle base il faut les indemniser : peut-on simplement prendre en compte la valeur monétaire de leur bien ? Ne devrait-on pas prendre en considération, d’une part la valeur d’usage que représente pour ces ménages le logement incriminé, et également leur contribution durable à un objectif largement recherché aujourd’hui, celui de la mixité sociale. La municipalité toulousaine a tenté d’en tenir compte en s’efforçant de compenser le différentiel entre le coût de rachat du logement voué à l’expropriation pour démolition et le coût d’achat du logement de remplacement, au moins quand celui-ci se trouve dans une copropriété « normale » des quartiers du Mirail.


• Quand aux propriétaires bailleurs, l’enjeu est plus simple. Il s’agit de les indemniser d’un bien immobilier qui leur apporte une ressource monétaire. Si certains sont d’anciens propriétaires occupants devenus bailleurs par impossibilité de tirer de la vente du logement qu’ils ont occupés un capital suffisant en raison de la perte de valeur de ce bien, d’autres ont par contre acheté cet appartement (ou ces appartements) en raison de la faiblesse de l’investissement nécessaire, pour en tirer par la location le meilleur bénéfice. Le parc privé des quartiers « en difficulté » a souvent vu arriver des investisseurs « peu scrupuleux », attirés par la perspective d’un placement particulièrement rentable : ils y ont acquis à très bas prix des logements qu’ils peuvent relouer assez cher à des locataires « captifs » et sans avoir à y effectuer la moindre réparation ou des travaux d’entretien. Leur comportement s’apparente à celui des « marchands de sommeil » et leur indemnisation ne peut reposer sur les mêmes bases que celles avancées plus haut pour les propriétaires occupants. Des observateurs particulièrement avertis ont constaté que certains de ces propriétaires, après avoir encaissé leur indemnisation, allaient renouveler leur opération de placement dans une autre copropriété « fragile » de la ville et que leurs anciens locataires, en particulier ceux qui savent ne pas pouvoir candidater à un logement HLM, les suivaient, participant à reconstituer de futures copropriétés en difficulté.

Hétérogénéité des habitants à reloger, hétérogénéité des parcours et des perceptions du quartier Au regard de la question du relogement et plus exactement au regard de sa perception, la population des ménages concernés par les opérations de démolition-reconstruction n’est pas une population homogène, contrairement à la représentation communément admise qui fige l’ensemble des habitants dans le statut d’une « population en difficulté ». Ces quartiers présentent en effet une plus grande diversité de situations socio-démographiques, socio-économiques ou encore socio-culturelles, diversité qui influe inévitablement sur le rapport au quartier, l’attachement que l’on y porte, et du même coup la perception de l’opération de démolition-reconstruction. Tous les adultes ne sont pas au chômage ou ne vivent pas des minima sociaux, beaucoup travaillent, même s’ils occupent des emplois peu qualifiés, à statut précaire, à temps partiel non choisi pour les femmes. Tous sont donc loin de passer leurs journées dans le quartier et beaucoup « navettent » entre leur lieu de travail et leur domicile. De la même manière, la structure démographique des ménages obéit à une plus grande diversité, influant sur la fréquentation des équipements et services du quartier, ainsi que sur la socialisation dans le quartier : familles biparentales ou monoparentales ayant pour certaines de jeunes enfants d’âge scolaire et pour d’autres plutôt des adolescents avancés, jeunes couples qui s’installent à proximité de leurs parents, et à l’inverse couples de personnes âgées qui ont vieilli « sur place »,

personnes seules, divorcées, séparées ou veuves. À ces éléments de diversifcation, il faut en ajouter un troisième qui a une grande influence sur le rapport au quartier : le temps de présence dans celui-ci qui a plus ou moins construit des repères et des attachements : à côté d’une population stable, installée dans le quartier depuis sa construction, qui, au sens littéral y est véritablement installée, d’autres ménages viennent d’y arriver, au terme parfois de parcours douloureux et difficiles, avec le sentiment marqué d’être relégués dans les espaces urbains les plus dépréciés. Enfin, puisque la caractéristique la plus névralgique pour la société française de ce quartiers est qu’ils logent des ménages « issus de l’immigration », il faut là aussi revenir sur la figure commune de « l’immigré » pour la déconstruire, y compris parce que la manière dont cette dimension joue pour les ménages a une incidence sur son rapport au quartier : l’acceptation de vivre dans un quartier « d’immigrés », et donc la volonté d’y rester, varie par exemple selon qu’il s’agit de ménages qui ont eux mêmes effectué la migration, ou de leurs descendants qui sont simplement « d’origine immigrée », selon que cette immigration est ancienne ou selon qu’elle est récente, mais aussi selon le profil socio-économique des migrants, selon leur niveau de qualification. À une immigration ancienne constituée de migrants d’origine rurale, a succédé aujourd’hui une immigration composée également de migrants urbains pourvus de diplômes universitaires qui ne se reconnaissent pas dans la figure du travailleur immigré « manœuvre du bâtiment ou ouvrier agricole » et qui acceptent plus difficilement leur relégation dans un quartier « d’immigrés ».

Au-delà d’un logement généralement assez largement apprécié, au moins dans les quartiers midi-pyrénéens confrontés à des opérations de démolition/reconstruction, cette diversité des origines, des parcours, des situations, construit des perceptions individualisées du quartier par des types de rapport au voisinage et à l’environnement social, allant du rejet à l’adoption en passant par la simple acceptation d’une sorte de situation « de fait ». L’appréciation par les ménages de leur déménagement et de leur relogement met donc en jeu leur histoire singulière.

Le relogement : une fatalité ou une opportunité ? De manière un peu caricaturale, on peut distinguer, deux points de vue des habitants sur le relogement : • pour une partie des ménages, celui-ci est avant tout vécu comme une contrainte, une sorte de fatalité qui s’impose à eux. Il s’agit alors pour eux de perdre le moins possible et de retrouver une situation la plus semblable à celle qu’ils doivent quitter : être relogés dans le même quartier ou à proximité, dans un logement identique, subir le moins de désagréments possibles, ne pas avoir à changer les enfants d’école, ou de médecin, garder les mêmes commerces, ne pas perdre « ses connaissances », pouvoir renouer avec ses habitudes de vie, même si ce doit être à partir

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d’un autre logement. C’est la situation dominante. • pour une autre part, plus faible numériquement, le déménagement constitue une chance de quitter le quartier. Le relogement est alors saisi comme une véritable opportunité d’aller ailleurs et d’obtenir ce que les demandes de mutation n’avaient pas permis jusqu’alors. Pour ces ménages, la démolition-reconstruction rend possible une mobilité résidentielle souvent désirée depuis longtemps, mais que les ressources du ménage ne lui permettaient pas d’envisager hors du parc HLM.

L’appréciation des modalités de relogement évolue avec le temps Pour autant, le point de vue exprimé par les habitants confrontés au relogement sur celui-ci n’est pas stabilisé. Il peut changer au fur et à mesure que se déroule l’opération de démolition-reconstruction. Dans la plupart des sites, la part de ceux qui veulent partir a tendance à diminuer et, a contrario, celle de ceux qui veulent rester sur place, a tendance à augmenter. Cette évolution des opinions renvoie probablement à différentes raisons : en premier lieu, le constat par les habitants eux- mêmes d’une transformation physique du quartier avec l’arrivée de nouveaux équipements, un meilleur traitement des espaces publics, une meilleure liaison avec le reste de la ville, les conduit à vouloir profiter pour eux-mêmes de l’amélioration du quartier et contribue à atténuer l’aspiration à un autre environnement. Mais également, les témoignages des difficultés d’adaptation rencontrées dans leur nouveau quartier par des ménages déjà relogés rendent moins désirable la sortie du quartier.

Plus le départ approche, plus l’attachement au quartier peut être avoué Mais il y a à ces changements d’opinion, d’autres raisons plus ténues : plus le départ approche, plus l’attachement au quartier peut être revendiqué. Si, à distance du déménagement, le discours sur le quartier de nombre de ménages endosse les propos critiques de sens commun porté sur le quartier, plus la perspective du déménagement se rapproche, plus les ménages mesurent ce qu’ils vont perdre et plus ils s’autorisent à manifester leur inclination. Le quartier que l’on doit quitter n’est plus seulement le quartier « de mauvaise réputation » dont on parle. C’est aussi le quartier où l’on a construit son « nid », où l’on vit, où l’on connaît du monde, où l’on a noué des connaissances, où l’on dispose d’un réseau de relations, ou l’on a établi des habitudes. Face à un environnement social qui tend à considérer ces quartiers comme des « ghettos » et face à des politiques publiques qui envisagent de les démolir pour les reconstruire parce qu’ils offrent des conditions d’habiter indignes, il est bien difficile, pour ceux qui y habitent, de dire leur attachement à ces quartiers ainsi disqualifiés, réduits à la figure du quartier en crise, de dire leur envie d’y rester, sauf à se risquer à se montrer « ingrats ».

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L’épreuve du départ met « en situation », non plus seulement de produire un discours sur le quartier, mais de « devoir le quitter ». Elle construit de fait les conditions d’un discours moins mimétique, plus « authentique », car ce qui pose problème aux habitants de ces quartiers tient souvent moins au quartier lui-même ou à la concentration en un même lieu de personnes confrontées à des difficultés d’insertion économique et sociale qu’aux effets d’insécurisation générés par des comportements d’incivilité et de « petite » délinquance. Ce que demande nombre d’habitants, c’est de pouvoir, eux et leurs enfants, vivre et se déplacer dans leur quartier sans « crainte », en toute tranquillité.

Le poids du « quartier » n’est pas le même pour tout le monde Habiter ces quartiers, c’est avoir à supporter, au quotidien, le poids du stigmate du quartier « en difficulté », c’est voir son identité sociale, sa place dans la société être définies à partir de son inscription dans un lieu non seulement défavorisé mais disqualifié. On sait le pouvoir de discrimination que recèle l’effet d’adresse. La défaveur de ces lieux, leur disqualification s’attache d’autant plus fortement à ceux qui y habitent qu’ils ne peuvent leur opposer d’autres marqueurs de l’identité sociale, le travail en premier lieu. A contrario, c’est aussi pour cela qu’il reste encore dans certains de ces quartiers, des fragments de classe moyenne : bien que pourvues d’un travail dont la rémunération leur permettrait de quitter les lieux, elles y trouvent des avantages qui tiennent à la modicité du logement au regard de sa surface, au bon niveau d’équipement et de service, à l’accessibilité au reste de la ville, voire pour certains quartiers, à la qualité des espaces verts. Ces avantages et aménités compensent très largement, à leurs yeux, le fait d’habiter un quartier stigmatisé, d’autant que leur condition sociale ne s’y résume pas.


En conclusion, et pour revenir aux premiers résultats de l’enquête dont j’ai parlé en introduction, il est possible d’identifier trois types de parcours chez les ménages relogés, à partir de l’appréciation qui peut être faite, plus d’un an après leur relogement, des effets de celui-ci : • Un premier concerne des ménages pour lesquels le déménagement reste apprécié en termes de « pertes » et pour lesquels le relogement n’a ouvert aucune perspective nouvelle. Le traumatisme qu’a représenté ce changement de logement n’a pas été tout à fait surmonté. Il s’agit essentiellement de personnes âgées, extrêmement attachées à leur ancien logement et à son environnement immédiat, les voisins de palier, ceux de la cage d’escalier. Elles sont fortement présentes dans ces quartiers et leur présence se renforcera dans les années à venir. Dans les 2 immeubles de référence, elles représentaient déjà 47 % des locataires. Ce pourcentage traduit probablement une sur-représentation par rapport à la situation moyenne des immeubles qui font actuellement l’objet d’une démolition. La plupart de ces personnes âgées avaient demandé à être relogées dans le quartier, demande à laquelle le bailleur a très largement répondu, avec une difficulté particulière qui tient à l’importance accordée par ces personnes à leur environnement immédiat, c’est-à-dire au relations de bon voisinage qu’elles ont tissé au fil des années et qui constituent une part souvent essentielle de leur sociabilité. Au fond, elles voudraient déménager avec leurs voisins et voisines, de manière à les retrouver « à leur place » dans leur nouvel immeuble. Si les bailleurs entendent cette requête, il leur est parfois difficile d’y répondre. Et même lorsqu’elles ont été relogées dans le même quartier, avec la possibilité pour elles de pouvoir fréquenter à pied les mêmes commerces et services, pour des personnes qui, en raison de leur âge sortent moins facilement, le fait d’avoir perdu leur voisins ou de les avoir un peu plus loin est toujours mal vécu. Pour cette raison, ce sont les seules personnes qui, dans l’enquête, ont fait part de leur insatisfaction, même dans les cas où le relogement s’est effectué avec un grand soin et « sur place ». Compte tenu de leur âge, du moment de leur vie où le relogement intervient, des bouleversements qu’il entraîne dans leur cadre de vie comme dans leur quotidien, le traumatisme risque, d’une certaine manière, de rester indépassable. • Un second concerne des ménages qui ont la capacité de se projeter en dehors du quartier, qui y aspirent et qui ont utilisé le relogement pour sortir du « ghetto ». Ce sont des ménages plutôt plus jeunes, pour la plupart issus « pour au moins l’un des adultes du couple » de l’immigration, qui ont un emploi, qui disposent de ressources à la fois monétaires, mais aussi sociales et symboliques qui leur permettent d’envisager un « ailleurs », à la fois social et résidentiel sans que ce qui est au-delà des frontières du quartier soit d’emblée jugé hostile. Pour se faire une place, ils sont prêts à se remettre « en

mouvement », ou pour reprendre l’expression d’Azouz Begag à se « déverrouiller », quitte, toujours pour reprendre ses mots, à « dérouiller ». Mais ils se sentent suffisamment « armés » pour affronter cette situation nouvelle. Ils perçoivent le relogement comme une opportunité résidentielle à saisir pour changer « de monde » et se donner ainsi qu’à leurs enfants une chance de poursuivre leur ascension. Un an après, ils sont généralement satisfaits du choix qu’ils ont fait, sans pour autant minorer les difficultés qu’ils ont pu rencontrer dans leur nouvel environnement. • Le troisième concerne des ménages en difficulté économique et sociale, qui ne sont pas en capacité de se projeter hors du quartier et dont les trajectoires de vie sont plutôt « en panne ». Ce sont souvent des ménages arrivés très récemment dans le quartier, mais également de leur pays, plutôt en début de parcours d’insertion. Ils ont peu de ressources financières, peu de ressources symboliques et sociales. Ils veulent rester dans le quartier parce que celui-ci constitue encore une protection contre un « dehors » qu’ils jugent pour le moins inamical à leur égard. Ils mettent en avant une représentation fortement clivée entre «l’ici » (le quartier) et « l’ailleurs » où ils estiment « qu’ils ne seront pas acceptés », entre « le dedans » familier et « le dehors ». Il était inenvisageable pour le moment qu’ils sortent du quartier et ils ont demandé à y être relogés. Pour autant on ne peut pas parler d’un véritable attachement au quartier, mais plutôt d’une sorte d’état de fait qui s’impose à eux, un peu comme si leur place et leur destin étaient d’y être. Ainsi, à la question initiale « les opérations de démolition-reconstruction offrent-elles aux habitants du quartier appelés à déménager pour les besoins du projet, une plus value à hauteur du « dommage » collatéral subi ? », on peut répondre par l’affirmative pour la minorité qui se saisit de cette opportunité pour améliorer, par le déménagement, « sa place » dans la ville et par contrecoup, dans la société. La réponse est plus que mesurée pour les autres. Enfin, pour terminer, que peut-on retenir des effets que provoque le relogement au regard de l’objectif de mixité recherché par ces opérations de démolition/reconstruction, puisqu’au moins la moitié des habitants qu’il faut reloger demande à rester dans le quartier et que ce sont ceux qui disposent des plus faibles ressources sociales, symboliques et monétaires qui formulent cette exigence ? Il est bien sûr prématuré de répondre à une telle question puisque les projets de reconstruction sont loin d’être achevés. Mais, du moins, peut-on, dans la suite logique des quelques réflexions développés ci-dessus, esquisser un scénario possible, sinon probable : celui d’opérations de démolition-reconstruction qui produiront, dans ces quartiers, moins de la mixité sociale, au sens d’une diversité sociale qui favoriserait les interactions sociales, qu’elles n’accroîtront leur fragmentation sociale.

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On peut craindre en effet que le parc HLM restant, parce qu’il doit accueillir ceux des ménages à reloger qui demandent à rester sur place, ne connaisse une accentuation de sa paupérisation et de sa ghettoïsation. Si la réhabilitation des immeubles et des appartements contribuera à améliorer le confort des logements et si leurs habitants profiteront également des efforts consentis pour désenclaver le quartier, aménager les espaces publics, développer l’offre d’équipements et de services, il y a fort à parier que le renouvellement de leur peuplement sera de plus en plus contraint. À côté de ces immeubles qui se seront paupérisés, (les opérations de démolition/reconstruction ayant paradoxalement contribué à y concentrer encore davantage de pauvres et de ménages en difficulté), les programmes immobiliers réalisés dans le cadre de la reconstruction accueilleront des strates sociales « moyennes-petites », y compris dans le parc HLM reconstruit sur place dont les niveaux de confort et de prix sont a priori destinés à d’autres types populations que celles qui habitaient jusque-là dans le quartier. On peut entrevoir entre les uns et les autres une logique de disposition « côte à côte », mais sans échanges, les « moyens-petits » censés participer à la mixité, exigeant pour venir habiter dans ces quartiers de vivre dans des sortes d’enclos résidentiels qui les tiendront à distance des risques induits par une telle proximité, qui les en protégeront peut-être. Motorisés, ils pourront échapper à la nécessité d’utiliser les services ou équipements du quartier et la quasi abolition de la carte scolaire leur permettra d’inscrire leurs enfants dans des établissements scolaires situés en dehors du quartier. S’ils contribueront à rendre ces quartiers statistiquement plus mixtes, pour autant cette supposée mixité risque de se traduire sur le terrain par une fragmentation sociale des quartiers juxtaposant des îlots résidentiels « petits-moyens », le plus souvent aux franges des quartiers et des îlots HLM, parfois résidentialisés là où la résidentialisation pourra être négociée avec les locataires. Aux frontières des uns et des autres, le risque est grand, sinon d’affrontement, du moins d’escarmouches, bien loin de l’idéal de brassage recherché.

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1.3

Réactions de la salle

La présentation du quartier Bagatelle par les étudiants et l’intervention de Marie-Christine JAILLET, ont donné lieu à plusieurs réactions dans la salle. Nous avons réalisé une synthèse de ces dernières, organisée par thèmes.

thème 1

Habiter ou quitter

les quartiers

du renouvellement urbain > “Dans les années 70, les populations de classe moyenne ont quitté les grands ensembles pour accéder à la propriété, abandonnant leurs places à des populations plus défavorisées. Le déclassement social de ces quartiers est alors devenu inéluctable. Le problème majeur des politiques de rénovation urbaine actuelles, réside dans le fait de voir se reproduire un processus similaire : ceux qui ont des ressources sociales suffisantes vont partir, alors que les populations les plus fragiles vont encore une fois être “assignées à résidence”. Ainsi, malgré la construction d'un habitat pensé pour la mixité, il existe un véritable risque d’accentuation des fragmentations sociospatiales.”

> “La réponse urbanistique n'est pas une fin en soi. Les politiques urbaines doivent être inévitablement accompagnées de politiques sociales et économiques qui permettront aux habitants des quartiers sensibles de gagner leur liberté économique, et in extenso leur liberté géographique : aller vivre leur vie ailleurs, si elles le souhaitent. Toutefois, cette envie “d'aller voir ailleurs”, et plus généralement le rapport au quartier, n’est pas homogène. Le comportement des ménages varie non pas en fonction de leur origine mais plutôt en fonction de leur trajectoire de vie. Ainsi la “folle envie” de départ, qui peut animer certains “habitants issus de l'immigration”, contraste avec la “timidité sociale” des néo-arrivants qui considèrent le quartier comme un “lieu-ressources”, difficile à quitter. Au final, cette inégalité dans l’appréhension du “dehors” risque d’initier un mécanisme de tri. Les opérations de rénovation urbaine

éloigneront des quartiers ceux qui sont le mieux préparés à affronter la société, alors qu’elles accentueront l’effet de concentration des poulations les plus en difficulté.”

> “Si l'envie de quitter le quartier est légitime, il n'en demeure pas moins que l'ambition des opérations de rénovation doit également viser à maintenir les populations en place. Des stratégies susceptibles de freiner l'évasion des couples ou des familles désireuses de déménager sont nécessaires. Il est important de donner l’envie de rester. Outre le développement de moyens de communication, donner l'envie de rester, c'est d'une part proposer des logements de qualité, diversifiés - la monotypologie des logements est souvent un frein - et d'autre part, c'est organiser les opérations de telle façon que la phase de démolition ne précède pas la phase de reconstruction. En effet ce schéma induit immanquablement le relogement des occupants en dehors du quartier, déplaçant les ménages désireux de profiter des opportunités de l'opération

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hors du quartier. En débutant par la reconstruction, ces ménages - socialement et économiquement plus forts - auraient pu rester dans le quartier et minimiser l'effet de paupérisation.”

> “Il existe une contradiction entre la volonté émise par les acteurs de l’habitat de voir rester sur place la strate des locataires les plus solvables et le projet d’évolution - bien légitime - de ses derniers. Cette légitimité est encore plus grande pour les ménages issus de l'immigration pour lesquels le fait d’entrer pleinement dans la société française passe par une prise de distance - physique - par rapport au quartier où ils sont arrivés. Ainsi quels que soient les efforts engagés pour “donner l'envie de rester”, il est normal que ces ménages partent. D’ailleurs ces quartiers doivent être considéré comme des lieux de passage ; c’est leur fonction première : dès leur programmation, ces quartiers n’étaient pas destinés à accueillir définitivement les ménages qui s’y installaient. Il s'agissait d'une étape dans la trajectoire résidentielle. Aujourd’hui on cherche juste à recouvrir une certaine normalité pour ces quartiers.”

thème 2

Diversité de l’habitat et mixité sociale... > “La recherche de diversité dans les nouvelles formes d'habitat, répond à la volonté de développer l'attractivité des quartiers, et plus largement à l’ambition de développer la mixité sociale. Globalement, et quand bien même il existe encore très peu d'éléments d'analyse concernant les caractéristiques sociales des nouveaux habitants, il ne fait aucun doute que ces nouveaux immeubles seront occupés par des catégories sociales plus diversifiées ; qu'il s'agisse de logements HLM ou privés. A Toulouse, par exemple, compte tenu de la situation crispée du marché immobilier, il y de fortes chances que ces logements soient plébiscités par la classe moyenne. Cependant, cette mixité pourrait s’avérer n’être qu’une “mixité de façade”. En effet, on peut imaginer que ces arrivants habiteront dans ces quartiers sans pour autant y vivre, et par conséquent sans construire de l'interaction, de la mixité sociale. D’ailleurs, certaines dispositions topologiques contribuent à installer des modes de vie basés sur l’évitement du quartier. Ainsi, lorsqu'on vit à Bagatelle, dans un des immeubles situés sur la rue Henri Desbals, on peut parfaitement

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habiter un logement confortable, sans pour autant participer à la vie du quartier.”

> “Si la mixité est un objectif louable, on peut s’interroger sur ses conséquences dans les quartiers. Manifestement, les opérations de rénovation vont engendrer un décalage conséquent entre nouveaux et anciens logements, entre nouveaux et anciens habitants. Comment cohabiteront ces différentes classes sociales ? Comment se déroulera cette nouvelle mixité ? Voilà le véritable enjeu. Probablement y a-t-il moyen d'aider à ce qu'une interaction sociale émerge. Cela passe par l'organisation de l'espace public, par l'implantation de nouveaux équipements, de nouveaux services… Néanmoins l’une des questions vitales demeure la question scolaire. On sait que dans un quartier de nombreuses interactions se tissent par le biais de l’école ; lorsque des parents, de différentes catégories sociales, échangent, se rencontrent. Ce mélange social pourrait malheureusement disparaître avec la carte scolaire.”

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thème 3

Vous avez dit

participation... > “Les formats de la participation de type réunion publique, sont particulièrement bien adaptés aux conduites des classes moyennes. Par conséquent, il ne faut pas s’étonner de retrouver, de manière quasi exclusive, cette catégorie sociale dans les lieux de participation. Manifestement, il existe un problème d'adaptation du format de la participation. Pourtant, les quartiers ne manquent pas de lieux, de scènes, de moments où les habitants non seulement s'expriment mais agissent également. Malheureusement, ceux-ci ne figurent pas forcément dans le champ de ce qu'on appelle “la participation”. A Bagatelle, de nombreuses initiatives citoyennes témoignent de la volonté, et de l’intérêt d’intervention des habitants sur leur quartier. C’est par exemple un groupe de mères qui se réunit régulièrement et qui cherche à se positionner comme des acteurs à part entière du quartier. In fine, la question qui se pose est la suivante : comment peut-on faire entrer dans le champ de l'action publique ces lieux, ces initiatives ?”

> “En Midi-Pyrénées, les équipes de projet qui intègrent le point de vue habitant dans la conduite du projet sont importantes. On peut par exemple parler des systèmes d'enquête systématique individualisée, des réunions de groupe par pallier, par cages d'escalier. Mais ici, la question est bien de cibler l'enjeu de la participation : s'agit-il d'informer, de consulter, de co-produire, …, quel pouvoir la maîtrise d'ouvrage est-elle prête à déléguer à la maîtrise d'usage sur la transformation de leur cadre de vie ? Ces questions sont éminemment politiques et non pas seulement techniques.”


2.1

Etat des lieux

Montauban

(82)

Quartiers Est Sandrine BACK, Yohan GALLICE, Sonia HENINI, Lucie STIEVENARD, Agathe VERGNE / Master 2 pro “Villes et Habitat, Politiques d’Aménagement” (Université Toulouse Le Mirail)

vec 54 000 habitants (79 000 pour l’ensemble de l’aire urbaine), Montauban est la deuxième ville de Midi-Pyrénées. Pôle urbain voisin de la métropôle toulousaine, la préfecture du Tarn-et-Garonne fait face à un enjeu d’une importance cruciale pour son avenir : devenir une banlieue de Toulouse ou s'affirmer comme un pôle d'équilibre régional à part entière.

A

Forte d’un véritable dynamisme économique, Montauban n’en est pas moins le réceptacle d’une grande partie de “la pauvreté départementale” : le taux de chômage frôle les 15% et 12% de sa population vit en dessous du seuil de pauvreté. Cette “misère sociale” se cristallise prioritairement sur deux territoires urbains. Elle s’affiche, d’une part, à travers l'insalubrité du parc social (dit “de fait”) du centre-ville historique (la Bastide), et elle s’insinue, d'autre part, au sein des quartiers périphériques en proie à de lourdes difficultés.

Les quartiers Est : un diagnostic nuancé Les quartiers Est sont constitués par trois cités d'habitat social parfois qualifiées d'entités séparées, voire concurrentes : Sellier, Chaumes et Pyrénées. La morphologie architecturale des immeubles d’habitation - majoritairement sociaux (30% des logements sociaux de la ville) - ainsi que l’organisation urbaine du quartier sont marquées par les principes de la charte d’Athènes. Ainsi tours et barres, aux bariolures plus ou moins heureuses, ornent l’horizon de cette proche banlieue. D’un point de vue social, les quartiers Est présentent toutes les caractéristiques d’un quartier populaire. Ces 4355 habitants (soit 8% de la population montalbanaise) accumulent d’importants signes de précarité. Le nombre élévé de bénéficiaires des minimas sociaux (27 % de la population) en est la plus mauvaise preuve.

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(Ci-dessus) > 1. Avant : schéma présentant l’organisation urbaine des quartiers Est avant le projet de rénovation urbaine... > 2. Après : schéma d’aménagement général du projet de rénovation urbaine.

Néanmoins, ces faiblesses sont contrebalancées par plusieurs atouts : les équipements et les services de proximité existent en nombre important (école, Leader Price, La Poste…), les quartiers sont très bien desservis par les transports urbains et possèdent un accès facilité vers le centre-ville et la rocade. Enfin, la dégradation du bâti n'est pas si flagrante que l’on pourrait l’imaginer - du moins si l'on s'en tient à leur observation extérieure. In fine, cette série de “bons points” - déjà affichés dans la convention cadre du précédent Contrat de Ville - ouvre un questionnement sur la pertinence de certains objectifs affichés par le projet ANRU (appelé ORU) : un tel renouvellement s’imposait-il ?

Le projet ANRU montalbanais : une exception réglementaire La problématique urbaine des quartiers Est s’est amplifiée à la fin des années 90. C’est plus exactement, en 1999 que de violentes émeutes - faisant suite à un fait divers ayant entraîné la mort d’un jeune habitant - éclatent dans les quartiers. Qualifiés de “traumatisme” par de très nombreux opérateurs de terrain, ces événements mettent en exergue - de manière dramatique - les maux dont souffrent les banlieues montalbanaises. Ceux-ci auront au moins le mérite de mettre les dirigeants politiques locaux, jusqu’alors apathiques, face à leurs leurs responsabilités. Si, pris de court, le Contrat de Ville du XIIème Plan (signé en février 2000), se contentera de préconisations urbaines minimales, celles-ci, confortées par deux études urbaines d’envergure, seront renforcées par le Projet de Rénovation Urbaine dont la convention fût signée le 5 novembre 2004. En sus de figurer parmi les premiers projets de la toute nouvelle ANRU, le dossier montalbanais constitue un cas à part. Montauban est tout simplement la première ville à avoir été retenue au titre de l’article 6 de la dite “loi BORLOO”. Celui-ci permet aux quartiers non classés en Zone Urbaine Sensible de bénéficier d’une dérogation autorisant l’obtention des aides exceptionnelles de l'ANRU. Cette dérogation sera toutefois accordée après que la candidature montalbanaise ait revisé un volet social jugé trop insuffisant dans sa première version.

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Les quartiers Est : morceau de ville à part entière La mairie de Montauban est le porteur du projet. Son coût s'élève à près de 265 millions d'euros dont 135 millions financés par l'ANRU. Débutée en 2004, l'opération doit s’achever courant 2008. Toutefois il est fort probable que le projet se prolonge compte tenu des retards accumulés. Les objectifs sont clairs : il s'agit de restaurer la mixité sociale jugée insuffisante et donner une image positive du quartier, jusqu’alors très stigmatisé. A partir de l'ensemble hétéroclite que constituent aujourd'hui les quartiers Est, le projet à bâtir est un projet de “reconquête urbaine” et de revalorisation de l'espace. L'action porte sur le remodelage du tissu urbain et doit permettre de recouvrir une continuité urbaine. De manière plus pragmatique, on peut synthésiser le projet en six points principaux : • procéder à l’aménagement d'un vrai “morceau de ville” avec ses voies aménagées et hiérarchisées (internes et périphériques), ses espaces publics qualifiants ... en clarifiant au passage les usages et les limites entre public et privé. La transformation des voiries en rues doit privilégier la traversée piétonne et contribuer à la production d’une image plus chaleureuse. • créer de nouveaux équipements permettant au quartier d'acquérir le statut de “ville à part entière”. Ainsi une médiathèque d’échelle communale, un centre commercial et la création de services publics de proximité renforceront la vie sociale du quartier. • développer un coeur de quartier grâce à l'aménagement de places s'articulant autour des nouveaux équipements. Ces places doivent constituer la base de la reconstruction du lieu urbain et de l'espace social. • résidentialiser les cités “à îlot” afin d’initier un fonctionnement urbain plus traditionnel : le devant sur voirie et l'arrière sur parking. De la même manière les accès aux cages d'escalier doivent être directement reliés à l'espace public pour une meilleure identification. • mieux “irriguer” le quartier afin de proscrire la segmentation actuelle des circulations.

(Ci-dessus) > 3 et 4. Anciens immeubles d’habitation des quartiers Est.

(Page suivante) > 5. Opération de réaménagement des voiries. > 6. Nouveaux immeubles d’habitation construits le long d’un mail rue Jean Carmet. > 7. Entrée “résidentialisée” d’un nouvel immeuble d’habitation. > 8. Logements individuels construits hors site.

Enfin, ce travail de réorganisation urbaine sera accompagné par un programme de démolition : 507 logements sociaux seront détruits. En contrepartie, 507 logements sociaux seront reconstruits sur l'ensemble de l'agglomération. Ainsi, quand bien même un doute, sur la pertinence de certaines démolitions, planerait, la règle du “un pour un” est scrupuleusement respectée.

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Un jeu d’acteurs complexe dans un projet complexe L'ampleur de l’objectif assigné au projet a nécessité l’implication de nombreux acteurs. La concertation entre les acteurs s'est progressivement mise en place, s’installant de manière solide avec le temps. A mi-parcours, il est intéressant de constater que la coopération permet de mener le projet de manière cohérente, tant au niveau de “l'intervention physique” que sur les questions humaines. L'originalité du système d’acteurs du PRU montalbanais réside dans l'inclusion de structures directement implantées sur le quartier ; structures historiquement reconnues telles que la régie de quartier et la maison de quartier (La Comète). Ce rapprochement de la sphère associative, particulièrement engagée sur le traitement des questions sociales, est un parfait exemple de la proximité souhaitée par la maîtrise d’ouvrage. L’installation en coeur de quartier de l’équipe projet, dans un local exclusivement dédié à celui-ci, ne fait que confirmer la volonté de se trouver au plus près du terrain.

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La finalité recherchée de cet “enracinement” correspondant à l’instauration d’un meilleur échange avec les bénéficiaires finaux du projet : les habitants. Cette “relation habitante” s’exprime à travers l’attention particulière portée au volet “communication-concertation”du projet. Dans les faits, de très importants moyens ont été mis en œuvre. Confiée à un prestataire privé, les outils de communicationconcertation sont multiples : un logo identitaire (représentant un rameau bourgeonnant) a été créé, un nom en forme de slogan a été donné au projet (“Montauban nouvelle vie”), un journal de projet a vu le jour, un local abritant une maquette et des panneaux de vulgarisation du projet a été ouvert au public... sans oublier les réunions publiques organisées en séance plénière ou, de manière plus intimiste, cage d’escalier par cage d’escalier. Pourtant l'efficacité des ces outils n’est pas toujours avérée. Au vu des entretiens, tous les habitants ne semblent pas complètement cerner les tenants et des aboutissants du projet : ses effets à long terme et les changements qu’il engendrera sur leur quotidien ne coulent pas de source.


Une politique de relogement aux satisfecits mitigés Afin d'assurer un relogement efficace, une charte de relogement a été élaborée, fixant précisement le rôle de chaque acteur durant cette étape ô combien délicate. Schématiquement elle se résume à la prise en charge du relogement par les bailleurs, alors que l’accompagnement social est dévolu à l'équipe du CCAS . Une charte de mutualisation vient compléter cette charte de relogement. Sorte de cahier des charges imposé aux opérateurs de l’habitat social, elle précise que 20% du total de la production en logements doivent être réservés en priorité aux personnes résidant sur le “territoire ORU”. Un premier bilan concernant ce relogement peut être établi. D’ores et déjà, une mention spéciale peut être décernée à l'équipe chargée de l’accompagnement social, particulièrement à l’écoute des locataires relogés. Néanmoins, dans sa globalité, le processus de relogement a abouti à des situations différenciées, donnant lieu à un degré de satisfaction variable selon les cas.

Une charte d’insertion bien venue Ces problèmes économiques ont d’ailleurs été sérieusement pris en compte par le projet de rénovation urbaine. Tout un volet emploi a été développé, avec notamment la mise en œuvre d'une charte d'insertion. En réservant aux habitants du quartier les plus en difficulté un certain nombre des emplois créés dans le cadre du projet, ce dispositif doit servir de pied à l’étrier pour ces derniers. Bien évidemment, même si elle n’a pas réglé toutes les difficultés d'accès à l'emploi des habitants, ni supprimé les discriminations qu'ils subissent en raison de leur adresse, le bilan de cette charte d'insertion est plutôt positif. Elle a permis de remettre de nombreuses personnes dans une dynamique de recherche d'emploi même si cela peut paraître encore insuffisant au regard des attentes exprimées par les habitants : “Au lieu de mettre des milliards dans les bâtiments, ils auraient mieux fait d'en mettre dans l’économie locale” fulmine l’un d’eux.

De très nombreuses familles ont été relogées dans des logements bénéficiant d’un confort accru par rapport à ce qu'elles connaissaient. Ces dernières se sont montrées particulièrement enthousiastes lors des entretiens de satisfaction. Dans d’autres cas, le contentement apparaît plus nuancé. Des ménages ont été relogés dans des quartiers soit moins bien équipés que les quartiers Est comme Bas-Pays (ZAC en cours de réalisation) - soit dans des quartiers affichant des caratéristiques socio-démographiques analogues. Ainsi, est-on en droit de se demander si ces “stratégies” - majoritairement subies - ne risquent pas de déstabiliser davantage une population déjà fragilisée. C’est notamment le cas pour certaines catégories d’habitants, très angoissées à l’idée de perdre leurs repères sociaux. Heureusement des structures associatives telles que le centre social du quartier (La Comète) continuent à constituer des lieux de rencontre pour les habitants, participant ainsi à la permanence parfois à la reconstruction - du lien social. Cette peur de l’isolement social fût dans certains cas accompagnée par la crainte de perdre le logement. Cette “phobie” a parfois conduit des ménages à accepter la première offre de relogement proposée par le bailleur. Un choix précipité... par sécurité : “au moins on est sûr d’avoir un logement” confie l’un d’entre eux. De manière générale, et au regard de l’analyse d’entretiens passés auprès de “relogés”, l'appropriation des nouveaux espaces de vie est assez difficile. Cette difficulté d’adaptation est d’autant plus vraie que pour une majorité d'entre eux, le quartier et le logement satisfaisaient pleinement à leurs attentes (Cf. Etude Master Pro2 “Villes et Habitat” réalisée en 2004). A vrai dire, les habitants étaient plus fortement préoccupés par leurs problèmes économiques que par la désuétude de leur habitat.

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En guise de conclusion

Une telle rénovation était-elle nécessaire ? Cet état des lieux illustre la complexité des opérations de rénovation urbaine et des actions de relogement. Il révèle notamment les difficultés qui entourent la gestion opérationnelle du projet (que ce soit en terme technique ou humain) , ainsi que celles qui existent pour définir des objectifs clairs, auxquels adhéreront l'ensemble des acteurs; habitants compris. Pour ce qui est du projet montalbanais à proprement parlé, la perception de ses effets est encore équivoque. A ce stade, il semble que l'image des quartiers Est commence à changer. C’est surtout le cas à l’intérieur du quartier, sans pour autant que cette évolution soit encore réellement perceptible en dehors de celui-ci. Reste que ce jugement appartient aux seuls habitants des quartiers Est, sans avoir été passé au crible des montalbanais. Néanmoins, plus que changer l'image des quartiers pour les rendre plus attractifs, le projet ANRU vise à réduire les inégalités dont sont victimes ses habitants. A ce jour, il est difficile de savoir si cet ambitieux objectif sera atteint et si l'ORU permettra notamment d’atténuer les difficultés d'accès à l'emploi.

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Au vu de cet état des lieux, plusieurs éléments laissent penser que l'issue a de fortes chances d'être positive. Toutefois, cette réussite reste conditionnée par le renforcement d’un système d'acteurs capables de favoriser la cohérence et la complémentarité des actions, et surtout par le maintien de la réduction des difficultés sociales comme objectif ultime. Nonobstant cette conclusion favorable un doute persiste quant à la justification d’un projet de telle ampleur : pourquoi avoir programmé autant de démolitions alors que l’habitat était globalement en bon état ? (Ci-dessus) > 9. Les nouvelles habitations plus sobres (premier plan) viendront s’intégrer aux anciennes constructions à l’aspect plus “bariolé” (arrière plan).


2.2

Paroles d’expert

Mixité,

mixités Philippe GUITTON / Architecte-urbaniste

on propos est ici de réfléchir sur la mixité, ou plutôt les mixités, en m’appuyant sur les sites de la région Midi-Pyrénées étudiés dans le cadre de cette année d’observation du PREDAT, et de l’APUMP, auquel j’ai ajouté le site voisin de Pau-Le Hameau, également visité.

M

La loi SRU a introduit en 2000 dans le code de l'Urbanisme la "mixité sociale », l'associant à la diversité des fonctions urbaines, et à la satisfaction sans discrimination des besoins. La loi de Politique de la Ville de 2003 crée l'ANRU avec comme objectif la mixité sociale et le développement durable; son objectif est la réduction progressive des écarts constatés avec les autres villes et quartiers.

peu à peu dans la pratique et dans la diversité des lieux. Nous avons voulu au sein du PREDAT et de l'APUMP, observer comment elle se bâtit dans les chantiers de Renouvellement Urbain de notre région. Avec une difficulté méthodologique : il y a de moins en moins de sociologues appelés dans les équipes et donc de moins en moins d’étude sociologiques pour l'analyse préalable aux décisions de démolition ou de réhabilitation des différents sites ; seul un bilan socio-démographique est établi, qui n'est pas à lui seul une étude sociologique ; par la suite l'évaluation sera donc affaiblie, sans parler du risque que des phénomènes sociaux en cours dans les quartiers soient mal repérés et donc potentiellement mal traités dans les projets.

Enfin la loi ENL en 2006 met en œuvre plusieurs outils pour développer la mixité dans les villes et les quartiers. Aucun de ces textes ne définit pas véritablement la mixité sociale, et c'est sans doute tant mieux : elle se définit

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Commençons par deux mixités particulières qui ne doivent pas être omises, même si elles ne semblent pas au cœur des problèmes : la mixité générationnelle, faible au départ dans les quartiers, et qui est maintenant une réalité ; et la mixité fonctionnelle, dans des quartiers qui sont souvent seulement des quartiers d’habitat.

La mixité générationnelle : la grande oubliée Les générations ne sont pas encore toutes présentes dans les quartiers sensibles : s'il y a de nombreux retraités, ceux de leurs habitants qui ont immigré dans les années 60 et 70 commencent seulement maintenant à atteindre le grand âge. Comment se fera leur accueil en institution quand la question se posera pour beaucoup, hommes et femmes ? Leur isolement y sera-t-il aggravé ? Verra-t-on apparaître des établissements spécifiques, ou bien un accueil sera-t-il réfléchi dans l’ensemble des établissements publics et privés ? Le maintien à domicile fonctionne-t-il comme ailleurs ? Quant aux retraités dans les quartiers, leur situation, leur insertion, leur rôle social devraient sans doute être plus étudiés qu’ils ne le sont à ma connaissance, pour eux-mêmes et pour le lien social dans les quartiers.

La mixité fonctionnelle, rêvée, bloquée par le “système” La mixité fonctionnelle est un domaine mieux observé et travaillé, même si elle ne reçoit que peu d’effort dans les programmes et les financements ANRU. Les quartiers ont ou n’ont pas reçu des équipements publics ou privés, des commerces en centres commerciaux de quartier, plus tard en grandes surfaces, ils sont ou ne sont pas dotés de secteurs d’activités, soit qu’ils se soient créés à proximité – à Tarbes Laubadère ou à Empalot - soit qu’elles aient été installées dans le processus même qui a créé les quartiers, comme au Mirail. Les plus grands de nos quartiers ont été dotés de telles centralités, les trois quartiers toulousains et tout particulièrement le Mirail, mais aussi Castres-Bisséous notamment, dès la création ; ils les ont parfois renforcés lors des interventions ultérieures, en particulier à Tarbes-Laubadère ou à Pau l’Ousse-des-Bois. Il est rare que les commerces et services se soient implantés de façon spontanée, en pied d’immeuble, comme dans la ville classique – les contre-exemples ne se rencontrent guère qu’en périphérie des quartiers, comme au long de la rue Vestrepain pour Bagatelle. Les projets de renouvellement tentent de réintroduire cette forme de mixité fonctionnelle en pied d’immeuble, tant pour l’amélioration des services aux habitants que pour leur effet régulateur, la présence d’emploi, l’animation à des horaires différents de ceux du seul logement : Castres-Bisséous et Tarbes Laubadère l’ont fait en créant un petit pôle commercial, Bagatelle l’inscrit au programme, en diffus, en complément du nouveau centre Desbals un peu éloigné.

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Les trois quartiers toulousains ont cherché à ouvrir ce pôle commercial au-delà de la clientèle interne, dans un double but de relance commerciale et de désenclavement social, deux d’entre eux en le déplaçant hors du centre de quartier vers les grandes voies urbaines proches ( à Bellefontaine et Bagatelle-Desbals), et le troisième en le tournant vers la liaison à la nouvelle station de métro (à Empalot). Pau s’engage dans la même démarche, tandis que Tarbes-Laubadère, moins directement à proximité des grands axes de la ville, a préféré ouvrir et renforcer le plus possible la centralité existante, tant commerciale qu’institutionnelle. Les sites de petite taille n’ont pas la dimension nécessaire, et préfèrent se relier mieux aux pôles proches, comme les Chaumes à Montauban ou En Gach à Graulhet. Remarquons que La Foncière Logement, forte de son poids dans le financement des opérations, refuse de jouer le jeu de la mixité fonctionnelle au point de rejeter les parcelles de reconstructions proposées si elles comportent des commerces ou des services dans les immeubles (sauf dans un cas) ; il est vrai qu’elle rejette aussi les clauses d’insertion dans les marchés de travaux, et s’exonère du respect des prescriptions urbaines des projets. Les bailleurs sociaux sont peu porteurs de la reconstruction de locaux commerciaux, qui coûtent cher dans les nouveaux bâtis, et l’Epareca, organisme spécialisé dans les locaux commerciaux, n’intervient que sur des programmes importants et groupés ; les promoteurs privés, là où ils sont présents, semblent les plus habitués à porter cette offre fort nécessaire. Quant aux équipements majeurs à l’échelle de la ville, une seule réalisation est actuellement visible dans un quartier: le siège de la Communauté d’Agglomération du Grand Tarbes implanté au cœur de Laubadère, qui a fortement contribué à changer la perception des Tarbais, et notamment des responsables qui ont à faire avec le siège de la communauté d’Agglomération. La Maison des Services Publics de Castres-Bisséous joue un rôle comparable à moindre échelle ; deux autres sont prévus, l’un à Reynerie, l’autre à Pau. Quant aux lieux d’activités et d'emploi, il arrive qu’ils soient proches mais ils ne sont programmés à ce jour à l’intérieur d’un quartier qu’à Bagatelle. Cette forme de mixité des paysages fonctionnels de nos rues, des temporalités, des usages, des fréquentations reste ainsi le plus souvent à construire, des outils sont à inventer et des acteurs à mobiliser. Les établissements scolaires jouent moins un rôle de mixité, étant principalement fréquentés par les jeunes du quartier. C’est d’ailleurs ce qui leur est en quelque sorte reproché dans le débat sur la carte scolaire dont la suppression annoncée au nom de ses effets pervers ou de son inefficacité ne peut supprimer ipso facto le phénomène ségrégatif auquel on veut s’attaquer, il y faudra certainement une action concertée multiforme.

La mixité sociale, ici et ailleurs Mais la question centrale sous tendue par la mixité est clairement celle de la mixité sociale. C’est elle que vise le renouvellement urbain. Le concept de mixité sociale est affirmé face aux quartiers de pauvres, vastes territoires comme le Mirail ou Empalot, mais aussi ensembles de petite taille dans des villes plus petites. On sait


en particulier grâce à Marie-Christine Jaillet qu’il n’est que fort peu opposé aux quartiers de riches, voire de classes moyennes, pourtant souvent pas plus mixtes que les quartiers sensibles. La mixité dans ces quartiers “non pauvres” est logiquement recherchée afin de développer une mixité dans les quartiers pauvres, d’y accueillir une plus large diversité sociale et de réouvrir des possibilités de mobilité en-dehors de leurs quartier aux « Zusistes », qui suppose une mobilité sociale générale dans la ville ; il s’agit aussi d’éviter que les familles socialement les plus fragiles continuent à être dirigées vers les quartiers sensibles et à durcir leurs difficultés. Cette mixité « ailleurs » ne se fait pas sans résistances ; cela se voit dans des territoires de quartiers, voire de communes, organisés en grandes parcelles et bâtis de belles villas, qui défendent ardemment leur monovocation de quartier très résidentiel, pas mixte du tout, et qui veut rester entre soi, défendant son « droit à ne pas être embêté », également baptisé « qualité de vie » ; communes qui préfèrent parfois payer la pénalité de l’article 55 de la loi SRU plutôt que d’accueillir du logement social – les tentatives pour faire sauter ou vider de sens cet article ont pour l’instant été repoussées, mais reprendront probablement (l’exemple venant de très haut) alors même que cet article a décomplexé de nombreux maires pour engager des programmes de rattrapage des 20% de logements sociaux. Cette résistance à la mixité sociale se rencontre aussi parfois dans des quartiers de pavillons plus modestes, qui ont échappé au statut de prolétaire au moins par leur habitat et ne craignent rien tant que de se faire rattraper géographiquement par la pauvreté. La mixité sociale est recherchée dans les programmes de renouvellement urbain pour diminuer l’importance des regroupements de classes défavorisées, puisque le logement social démoli n’est pas intégralement reconstruit sur place et laisse une partie de la place à d’autres offres. La stratégie de mixité sociale est une gestion spatiale de la pauvreté et de l’exclusion, qui cherche donc à en atténuer les effets par la déconcentration. Disons une fois pour toute que la vraie solution est bien sûr dans la disparition de la pauvreté ellemême, et en particulier du chômage massif qui atteint fortement la population des quartiers par des processus complexes, en particulier par la discrimination ethnique. Ce n’est pas le lieu ici d’aborder ce sujet ; nous resterons dans le domaine de nos compétences, et de la question posée : la mixité dans les quartiers sensibles. La stratégie de mixité menée dans le Renouvellement urbain vise à diminuer l’effet de discrimination qui frappe les populations des quartiers. Elle est mesurée encore en 2005 par l’observatoire des ZUS: outre un échec scolaire important, l’échec à l’emploi des jeunes qualifiés au niveau de leur formation y est supérieur à celle des autres quartiers, toutes choses égales par ailleurs (formation, statut social, origine étrangère) puisque l’enquête de l’observatoire établit bien que la discrimination à l’emploi qui touche les immigrés, surtout les hommes, surtout les jeunes, est nettement majorée dans les quartiers en ZUS. L’hypothèse sous-jacente, plausible, est que la ségrégation dans les quartiers renforce ces phénomènes.

Les différentes mixités régionales Dans les villes de la région, les stratégies de mixité dans les programmes de renouvellement urbain sont diverses. Toulouse au Mirail ou à Bagatelle ne reconstruit sur place que la moitié des logements sociaux démolis, l’autre moitié des opérations de reconstruction étant réservée soit au locatif privé relativement cher de la Foncière Habitat, soit à des opérations privées d’accession à la propriété réalisées par des promoteurs ; à Bagatelle, où ces programmes sont en cours de lancement, les promoteurs privés ciblent en particulier une clientèle intermédiaire d'acquéreurs peu fortunés, et particulièrement des familles issues du quartier qui ont atteint une meilleure situation sociale et souhaitent rester dans leur quartier; la ZAC Desbals toute proche a déjà vu se réaliser une opération en accession privée de petite taille de ce type. Au Mirail, une opération d’accession sociale progressive concerne des familles dont la majorité a un profil très social, inférieur à 60% du plafond HLM. Le groupe de programmes privés du secteur Jean Gilles est plus important, placé en limite du quartier, le ciblage de clientèle des promoteurs de ces opérations moins contraintes par le site n’est pas encore connu. A Empalot, où les démolitions-reconstructions sont limitées, seule La Foncière viendra porter de la diversité. Dans ces trois ZUS situées dans des quartiers urbains et relativement denses de la métropole toulousaine, les reconstructions se font en totalité en collectif ; à Bagatelle ils sont de taille comparable à celle des existants (en mettant à part les deux tours de 20 étages conservées) autour de R+4, mais ils sont organisés en îlots ouverts qui visent à assurer une forme urbanisée de résidentialisation. La taille des bâtiments est la même au Mirail et à Empalot, elle est donc relativement modérée par rapport à ces quartiers de bâti à très grande échelle. A Tarbes, le programme ne prévoit pas de recevoir des opérateurs privés ; la mixité y est plutôt une diversification des offres de logements sociaux avec dédensification, en intégrant un deuxième bailleur social local, complété par la Foncière ; les typologies vont de l’individuel dense (pour un tiers) au petit collectif en passant par les semi-collectifs, la résidentialisation étant généralisée. A Castres, la démolition –reconstruction (qui a déjà du vécu, étant habitée depuis cinq ans) de la tour de Bisséous et de quelques autres mini-barres a supprimé les logements les plus stigmatisés (en particulier la tour de 21 étages), et nettement banalisé le quartier par la reconstruction de petits collectifs. Dans les deux sites, la délinquance a baissé, les attributions sont ouvertes, la vacance a disparu, mais le chômage reste fort ainsi que les indicateurs de pauvreté. Les sites de Montauban et surtout de Graulhet, de plus petite taille, diversifient leur forme architecturale en restant composés principalement de collectifs, même si de l’individuel est introduit en vue d’une diversification ; tous deux diminuent le nombre de leurs tours ; ils améliorent leur insertion urbaine et leurs qualités paysagères, ils restent dominés par l’habitat social et sont reconstruits (en dédensifiant) par le bailleur unique avec l’appoint de la Foncière-Habitat. Au contraire, à Pau, l’Ousse-des-Bois qui appartenait à un seul bailleur, va s’ouvrir à cinq bailleurs différents ; les reconstructions se font en bonne part dans le quartier du Hameau,

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enveloppe large autour du site sensible de l’Ousse-des-Bois, mais aussi en cœur de site maintenant largement ouvert sur le paysage proche du ruisseau de même nom. Les deux premières reconstructions ont été réalisées depuis 2001 en locatif social sous une typologie d’habitat individuel dense et de quelques semi-collectifs en R+duplex ; elles ont effectivement été ouvertes pour moitié à des familles extérieures au quartier. Je veux citer un cas intéressant de projet de mixité fort ancien, longtemps en échec: un ensemble de 120 logements, les Planètes, bien construits en 1985 pour accueillir ces fameuses classes moyennes, n’avait jamais été accepté par le public visé, parce qu’implanté en proximité directe du quartier stigmatisé insuffisamment restructuré malgré les opérations DSQ et autres contrat de ville; il restait il y a deux ans encore vacant à 40% (malgré un vain « mur de Berlin » sécuritaire qui le séparait de l’Ousse-des-Bois ), les occupants étant essentiellement un public captif ; le bailleur découragé envisageait de les démolir, malgré leur qualité technique et architecturale ; mais le renouvellement bien engagé de l’Ousse-des-Bois et le projet ambitieux de renouvellement du quartier, appuyés par une résidentialisation et le renforcement de la gestion de proximité, y compris au plan de la sécurité, ont fait tomber ce refus vieux de 20 ans, et le site des Planètes s’est rempli cette année.

La démarche à porter doit donc bien se centrer sur la diversification sociale des quartiers en évitant d’y concentrer les situations d’échec et de relégation. La qualité résidentielle nouvelle de l’offre et de l’image des quartiers doit permettre aux ménages qui y habitent d’évoluer socialement sans être obligés de les quitter, par défaut d’offre de bonne qualité ou par évitement de situation urbaine, scolaire ou sécuritaire dégradée, et elle doit les ouvrir aux familles venues d’autres quartiers, ou d’autres villes, de toutes origines. Il ne doit y avoir en la matière aucune contrainte exercée sur les ménages, ni pour pousser au départ -même par l’effet de déqualification du quartier-, ni pour l’empêcher - même par le simple effet des discriminations à l’accès au logement ailleurs sous toutes ses formes-. Il faut que chacun puisse là comme ailleurs entrer et sortir librement. Les choix des différentes familles seront différents comme partout, et la suppression des discriminations et l’évolution des situations sociales agiront dans la longue durée pour que les quartiers, qui resteront longtemps marqués par l’histoire de leur peuplement, prennent une consistance de quartier populaire ouvert à différents profils d’habitants, ouverts à différentes origines, locales ou non, à différents statuts d’appropriation de l’habitat gérées par différents bailleurs ou propriétaires, et dessinés par différentes formes architecturales et urbaines.

Mixité ethnique et mixité sociale : un non-dit ambigu

Des mixités naissantes à évaluer dans la durée

Une autre forme de mixité est aussi recherchée (sans que cela soit dit clairement) en démarche de banalisation des quartiers peuplés de nombreuses personnes dites « issues de l’immigration », en fait originaires des pays du sud et en situation sociale défavorisée- , immigrés ou descendants d’immigrés, et aussi français depuis des siècles “mais” originaires des départements et territoires d’outremer. Cette peur des “minorités visibles” repose sur une assimilation entre l’origine ethnique d’habitants venant de pays pauvres, et les difficultés sociales et relationnelles qu’elles sont supposées reproduire inévitablement. Pourtant, il apparaît nettement que les familles venues du sud ont atteint une vraie diversité de leurs situations sociales. Prenons ainsi deux indicateurs: d’une part leur taux de diplômes supérieurs à Bac+5 est légèrement supérieur à la moyenne nationale (avec 12% au lieu de 11%) – mais cette réussite est affaiblie par une difficulté d’accès aux emplois de niveau correspondants, nettement plus forte que la moyenne, par pur effet de discrimination; et parallèlement le taux d’échec scolaire reste fort, en particulier pour les garçons; il y a donc une forte différenciation de la position des jeunes des quartiers à ce niveau. Deuxième indicateur, de nombreux jeunes ménages quittent les quartiers pour acquérir des maisons individuelles dans les lotissements, proches si possible par exemple à Pau à proximité du Hameau- , ou plus éloignés si le marché est trop fermé comme actuellement dans les deuxièmes et troisièmes couronnes de l’agglomération toulousaine. La mixité sociale est donc déjà en marche actuellement dans ces populations comme elle s’est construite progressivement pour les précédentes immigrations. Ce processus d’ascenseur social est un atout pour les quartiers, sur lesquels il est certainement plus judicieux de s’appuyer que de chercher à l’éviter.

Dans ces quartiers, nous avons observé des mixités en devenir. Quelques unes ont déjà du vécu et donnent des signes positifs importants de nouvel équilibre, de nouvelle qualité résidentielle, de nouvelle insertion urbaine ; mais toutes n’ont pas atteint pour autant la pacification sociale recherchée, et aucune n'a encore réussi à faire reculer le chômage de masse ou la pauvreté. Beaucoup d’autres sont en chantier ou dans les cartons. Comment le nouveau lien social va-t-il se construire entre les anciens, les nouveaux, les futurs habitants ? Comment réagiront ceux qui resteront dans les bâtiments anciens réhabilités, souvent très légèrement réhabilités, qui peuvent se sentir laissés pour compte aux côtés de ceux qui apparaitront comme les bénéficiaires des opérations, qu’ils soient anciens du quartier ou non ? Comment vont réagir ceux qui auront obtenu un bon logement accompagnant une meilleure situation face à des comportements sociaux dont certains resteront sans doute problématiques ? Comment accompagner, soutenir, réguler ce prochain état des quartiers, quel rôle pour les associations, pour les activités sportives, culturelles, pour les écoles et les collèges ? Quelles actions pour faire reculer la discrimination dans l'accès au travail et au logement ? En somme, comment se vivra la mixité dans l’état futur des quartiers renouvelés ?

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Cette observation que nous avons menée ensemble est à poursuivre, ici et ailleurs, dans les prochaines années des projets menés sur le bâti, sous l’égide de l’ANRU, qui vient bien tardivement de s’allier une dimension sociale avec l'ACSE. On peut espérer que cette nouvelle phase des projets permettra de mieux faire le lien opérationnel entre une requalification spatiale bien engagée et un rétablissement social encore très incertain.


2.3

Débat avec la salle

La présentation des quartiers Est de Montauban par les étudiants et l’intervention de Philippe GUITTON, ont donné lieu à plusieurs réactions dans la salle. Nous en avons réalisé une synthèse, organisée par thèmes.

thème 2

thème 1

La mixité

: solution miracle ?

Mixer l’urbain & l’humain...

> “Le développement à tout prix de la mixité s’accompagne parfois d’une conséquence bien paradoxale : l’enfermement du quartier sur lui-même.

Le fait de développer la mixité fonctionnelle ne doit pas faire de ces quartiers des territoires autocentrés, fermés sur eux-mêmes. De ce côté-là l'évolution du projet de Bagatelle est intéressante : il y a encore une dizaine d'années le projet visait à renforcer la centralité interne, aujourd'hui on cherche à créer une centralité tournée vers l'extérieur.”

En effet, certains quartiers qui fonctionnent plutôt bien - au sein desquels on trouve des emplois, des écoles, des services - ne parviennent pas pour autant à s'intégrer au reste de la ville. Les habitants ont tendance à vivre entre eux. Pour remédier à cette forme d’autarcie, il est crucial que les équipements créés acquièrent une dimension communale voire intercommunale.

> “De la même manière que l'emploi ne peut faire abstraction de la conjoncture économique, la mixité sociale ne peut faire fi de la crise actuelle du logement.

Il doit absolument exister des liens entre le quartier et le centre-ville - que les habitants puissent sortir du quartier - mais également des liens entre le centre-ville et le quartier - que les gens extérieurs au quartier puissent y entrer, et surtout aient envie d’y venir.

Le foncier et les loyers ont augmenté de manière très importante ces derniers temps, et à terme, il est possible que la mixité soit rendue difficile par la flambée des prix. Il sera - il est déjà impossible pour certains ménages de se loger ailleurs que dans des quartiers dévalorisés.”

> “A Montauban, après trois années de chantier, on s'aperçoit qu'il existe un impact positif sur la vie du quartier. Ce renversement est avant tout rendu possible par un travail de terrain incessant qui accorde autant d'importance à l'urbain qu'à l'humain. D'ailleurs le fait d'avoir créé l'ACSÉ à côté de l'ANRU, n'a pas de sens. Il est assez incompréhensible que l'on puisse dissocier l'urbain de l'humain. Le changement physique est l’élément déclencheur du changement social. C’est ainsi que sur les quartiers Est, la construction d’un nouveau centre social va permettre une réadaptation de son fonctionnement : ce ne sera plus un lieu approprié par les seuls “caïds du quartier”, mais un lieu de sociabilité que pourront fréquenter les “mamies du quartier” mais également des usagers extérieurs, d'autres classes d'âge, d'autres catégories de population. Dans ce cas précis, l’opération de rénovation urbaine contribue à retisser le lien social. ”

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thème 3

... et le développement économique > “Les opérations de rénovation

> “L'Observatoire National des

urbaine ne peuvent prétendre règler tous les problèmes.

ZUS (ONZUS) affiche des résultats plus que contrastés en matière d’emploi.

Prenons le cas de l’emploi : si l’on peut reconnaître l’efficacité des chartes d'insertion par l'activité économique, celles-ci ne pourront résoudre à elles seules le problème du chômage. Tout simplement parce qu’un regain d’activité dans le secteur du bâtiment - qui plus est sur un micro-territoire - ne suffit pas à pallier une crise économique qui concerne tout un bassin d’emploi. Il serait utopique de penser le contraire.”

En effet, autant les indicateurs concernant le renouvellement physique des quartiers sont en bonne voie, autant les indicateurs socio-économiques restent préoccupants. Les quartiers ont été tenus à l’écart de la diminution globale du chômage. De la même manière la discrimination à l'emploi qualifié est plus forte dans ces quartiers

qu'ailleurs ; et ce même si l’on compare avec des populations de même origine sociale et ethnique habitant d'autres quartiers. Il persiste donc un sur-marquage social des habitants des quartiers que les politiques menées n'ont pas réussi à faire disparaître. Il faut espérer que l'accélération de la mise en œuvre des opérations change cette donne. De la même manière il faut espérer que la création de l'Acsé traite plus efficacement la dimension sociale des projets.”

thème 4

Savoir concilier communication, information

et concertation habitante > “L'implication habitante a tout intérêt à se réaliser petite touche par petite touche, en utilisant l’ensemble des moyens de communication-concertation. Parmi ceux-ci, les “grandes messes” ne constituent pas un gage de concertation réussie. L’implantation d’un local au sein du quartier - avec un accueil effectué par une personne issue du quartier -, l’organisation de réunions avec les habitants, la réalisation d’un journal citoyen, sont souvent beaucoup plus efficaces. Mais au final, ce qui reste souvent comme le plus important, c’est de rendre visible la prise en compte des demandes habitantes. La concertation prend alors tout son sens.”

> “Le niveau de concertation varie souvent en fonction de l’échelle opérationnelle. Ainsi lorsqu’il s’agit de petites interventions (la réfection d’un hall d’entrée, l'aménagement d’une petite place, la résidentialisation,... ) elle est pratiquée par la quasi-totalité des bailleurs et des collectivités, et elle fonctionne plutôt bien. Elle est beaucoup moins évidente à mettre en oeuvre, lorsqu'on passe à des opérations de plus grande envergure.

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Dans ces cas, les “grandes messes communicationnelles” demeurent indispensables. Il ne s'agit pas de l'Alpha et de l'Omega de la communication et de la concertation habitante, mais, d'une part, ces dernières représentent le lieu de la manifestation de cette volonté de concertation, et d'autre part, c'est le moment où les équipes opérationnelles peuvent donner du sens au projet. Cette dimension n'apparaît pas forcément lorsqu'on procède à une concertation d'hyper-proximité, limitée à quelques interventions. Même s'il s'agit, à ce niveau, d’avantage d'information que de concertation, elle constitue le complément indispensable à la concertation de “cage d'escalier.” Son absence masque l'effort d'information et de concertation plus “intimiste”, entrepris par ailleurs. Au final, l’important est bien de trouver la bonne échelle de concertation.”


3.1

Etat des lieux

Castres (81)

Quartier Aillot Bisséous Elise ALLENOU, Guillaume BLANCHE, Eric CROSETTI, Grégory PAPAIX / Master 2 pro “Villes et Habitat, Politiques d’Aménagement” (Université Toulouse Le Mirail)

Alexandra ALIMI / Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Toulouse

ille moyenne de 42 000 habitants, Castres - ville natale de Jean JAURES - est localisée au sud-est du département du Tarn, à 75 km de Toulouse. Celle-ci a fondé sa richesse autour du développement d’usines de tissage et de filature, particulièrement florissantes durant les Trente Glorieuses. Malheureusement, le début des années 80 a sonné le glas d’une industrie textile aux abois, incapable de réagir à la concurrence - parfois déloyale - des productions nord africaines et asiatiques.

V

Aillot et Bisséous, quartiers construits pour loger la nombreuse main d’oeuvre textile, font partie de ceux là. Classés en Zone Urbaine Sensible (ZUS), ils vont faire l'objet d'une vaste opération de renouvellement urbain à la fin des années 90. Près de trois ans après son achèvement, il est possible de faire un premier bilan de ses conséquences.

Au milieu des années 90, malgré un nouveau dynamisme impulsé par la création de la Communauté d’Agglomération de Castres-Mazamet et la solidification de l’assise économique des laboratoires Pierre Fabre fleuron de l’industrie pharmaceutique -, la sous-préfecture tarnaise n’a pas résolu tous les problèmes socioéconomiques dûs au déclin textile. A cette époque, les questions sociales restent particulièrement marquées par la question des quartiers d’habitat social.

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Quartier Aillot

Quartier Bisséous

(Ci-dessus et ci-contre) > 1. Plan de repérage des “éléments urbains” phares des quartiers. > 2. Schéma faisant un état des lieux des principales opérations de rénovation urbaine effectuées à Aillot et à Bisséous.

Aillot et Bisséous : quartiers en mal d’attractivité Les quartiers d'Aillot et de Bisséous se situent au Nord de la ville de Castres et, à première vue, bénéficient d'un potentiel indéniable : • ils sont situés à proximité du centre ville ; • ils sont bien désservis par le réseau de transports ; • ils jouxtent le parc de loisirs de Gourjade (près de 53 ha) ; • enfin, ils sont traversés par l’Agout, dont les berges confèrent une réelle qualité environnementale à ces quartiers. Pourtant, en dépit de ces nombreux atouts, Aillot et Bisséous conservent de graves dysfonctionnements urbains. Parmi ceux là, l'enclavement physique des quartiers demeure le plus prégnant. Les quartiers d'Aillot et de Bisséous sont de manière générale très mal connectés à leur environnement proche. Situés en bordure d'Agout, le cours d’eau agit ici comme une barrière. En effet, en l’absence d’un pont permettant de relier aisément les quartiers à l’avenue Roquecourbe (axe d’entrée principal vers le centre-ville), la rivière constitue un obstacle à la continuité du réseau routier. Tout comme elle représente une barrière sociale. Fait symbolique de deux territoires, et de deux sociétés, qui s’ignorent : le golf de Gourjade fait face aux quartiers dits “sensibles” ! L’enclavement d’Aillot-Bisséous renforce une stigmatisation fortement alimentée par les caractéristiques architecturales de ces quartiers. “Chefs d’euvre en péril” d’une urbanisation étalée dans

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Réhabilitation

Nouveau bâti

Bâti conservé

Bâti détruit

le temps, Aillot et Bisséous présentent une morphologie de bâti très hétérogène. Ainsi les LOPOFA d’après-guerre côtoient constructions verticales des années 6O (dont la tour de 14 étages à Bisséous) et pavillons individuels des années 70. C’est au milieu des années 90, que ces constructions d’un certain âge donnent d’inquiétants signes de fatigue. Le patrimoine immobilier apparaît alors très fragile aux yeux des gestionnaires municipaux. Certains bâtiments sont même qualifiés d’insalubres. Cet enclavement physique se double d’un enclavement social, très marqué en raison de la concentration d'une population supportant de lourdes difficultés sociales et économiques. En effet, les enquêtes qui ont précédé les opérations, ont montré que ces deux quartiers détenaient le triste record des taux de chômage les plus élevés de l'agglomération castraise : oscillant entre 30 et 40% contre 8,4 % pour l'ensemble de la commune. Ces chiffres apparaissent alors d'autant plus “dramatiques”, que le taux de chômage des jeunes de moins de 25 ans frôle les 50 %. L’échec scolaire et le faible niveau de formation ne sont pas étrangers à cette situation. Facteur d’exclusion supplémentaire, la part d’habitants issus de l’immigration est élevée. Ainsi, en 1997, si les statistiques de l'office HLM montrent que les citoyens français sont majoritaires avec environ 57%, les populations maghrébines avec 30% jouent un rôle important dans la composition du quartier. Certaines zones habitées à 90% par des familles étrangères laissent même poindre une “ethnicisation” du quartier.


Ces différentes formes d’enclavement - urbaine et sociale - sont d’autant plus difficiles à défaire que les quartiers de grands ensembles traînent une bien mauvaise réputation. L’image insécure que véhiculent ces quartiers grèvent fortement leur pouvoir d’attractivité. Ainsi, en 1997, un classement des quartiers d’habitat social, établi en fonction des demandes de logements, positionne Aillot et Bisséous en dernière position. Il faut avouer qu’une analyse qualitative du cadre de vie, effectuée cette même année, justifie ce “rejet”. C’est particulièrement le cas lorsqu’on s’apesantie sur la qualité parfois déplorable des logements. Pêle mêle, les enquêtes pointent des problèmes d'aération, d'exiguïté, d'isolation et de sous-équipement pour lesquels une simple réhabilitation ne saurait suffire. Devant ces conditions de dégradation urbaine et sociale, Aillot et Bisséous vont faire l’objet d'une politique urbaine singulière.

Une décennie de renouvellement Depuis 2004, les actions réalisées dans les quartiers de Bisséous et d'Aillot sont achevées. Entre le début et la fin de l'opération, il se sera écoulé plus de dix années. Les interventions ont débuté dans le quartier de Bisséous en 1991. A cette date, la décision de ne plus relouer les logements quittés par locataires en place est prononcée par l'OPMHLM. En 1994, une étude est réalisée afin de mieux percevoir l'image du quartier et de mieux appréhender son fonctionnement. Elle est complétée par une enquête sociale auprès des habitants. La phase opérationnelle commence en 1996 avec le lancement d'un concours d'idées prévoyant la réhabilitation de la tour de Bisséous. Il s'ensuit alors de longues discussions sur le choix d’une alternative moins coûteuse : la démolition de la tour. Finalement retenue, cette option conduit au foudroyage de la tour en 1999 - événement très marquant d'un point de vue symbolique. L'opération est totalement achevée en 2000 avec la livraison des nouveaux logements construits sur le site. Aussitôt, les regards se tournent vers le quartier d'Aillot qui, en comparaison à son voisin, dénote quelque peu. A partir des années 2000, une nouvelle étude concernant l'aménagement des espaces extérieurs est lancée dans le quartier. Rapidement (en 2001) une décision est prise en faveur de la démolition de 34 logements au sein des résidences de l'OPMHLM. Les actions engagées à Aillot prennent fin avec l'achèvement d’une opération de résidentialisation en 2004.

(Ci-dessus) > 3. Dessin permettant de visualiser l’évolution urbaine du quartier Bisséous entre 1999 et 2006. > 4. Détail de cette évolution avec l’implantation de la maison des services publics, la régie de quartier et la maison du droit et de la citoyenneté.

Cette résidentialisation répond à une volonté de sécurisation des immeubles réhabilités. Grilles, barrières et digicodes deviennent ainsi la norme. Avec des objectifs prioritairement sécuritaires et dissuasifs contre les “nuisances extérieures”, ces aménagements sont également sensés développer le sentiment d’appropriation des occupants. Pourtant, ils ne font guère l’unanimité auprès des habitants eux mêmes. Bien au contraire, pensés sans concertation, sur le seul mode de la sécurisation, ils seraient pour certains un facteur aggravant du manque d'appropriation de l'espace.

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Des stratégies de relogement différenciées selon les opérations Le relogement à Bisséous et à Aillot s'est effectué selon deux logiques et deux temporalités différentes. Des méthodologies adaptées aux contraintes des opérations de renouvellement prévues.

Bisséous : un relogement doux ? A Bisséous, l'office HLM a déployé une stratégie de relogement dite “douce”. Celle-ci a consisté à proscrire toute nouvelle location et, dans un même temps, à se contenter d’un entretien minimal des bâtiments. Les derniers occupants, assistant au “délaissement” de leur immeuble, ont ainsi été amenés “doucement” à engager les démarches de mutation. Prioritaires sur les listes d'attribution, les souhaits de ces demandeurs ont été rapidement comblés. Il faut dire que le relogement dans le quartier posait alors peu de difficultés en raison du grand nombre de logements disponibles. Cependant, le processus de relogement a connu quelques longueurs provoquées par les tergiversations opérationnelles du

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projet. En effet, devant les hésitations de la maîtrise d’ouvrage entre réhabilitation et démolition, certains locataires ont repoussé leur déménagement. Les moins pressés ont alors été accompagnés par l'Association pour la Réhabilitation de Castres (ARC) treize foyers sur les quatre-vingt-sept habitants concernés par l’opération - afin d’accélerer leur départ. Mais globalement, et en dépit de certaines situations un tant soit peu précipitées, le principe d’un relogement “à la carte” a été respecté. Bien entendu, certains voeux furent plus difficiles à exaucer. C’est ainsi que confrontés à une demande de grands logements trop importante sur le quartier, les bailleurs n’ont eu d’autre solution que d’installer un certain nombre de ménages dans des cités voisines, mieux pourvues en la matière (Lameilhé, Laden, Petit-train).

Aillot : un relogement rapide grâce à la désaffection du quartier La procédure de relogement sur Aillot s’est caractérisée par son extrême rapidité (moins de deux ans). Celle-ci a été rendue possible d’une part grâce à une intervention architecturale moins lourde - la barre n’a été que partiellement démolie - et d’autre part


grâce à un taux de vacance important sur le quartier. Ainsi, la plupart des foyers concernés par l’opération - et désireux de rester dans le quartier - ont été relogés soit dans les appartements conservés au sein de la barre en travaux, soit dans les immeubles voisins.

si peu fréquenté par les habitants du quartier. Ce “boycott” est d’autant plus dommage que la maison des services publics a d’ores et déjà, et paradoxalement, rempli son premier objectif : attirer des habitants extérieurs au quartier.

La Régie de quartier Par ailleurs, il est intéressant de savoir qu’un certain nombre d’habitants a fait le choix d’accéder à la propriété. Ces primo accédants, aux revenus modestes, ont su profiter de la décôte immobilière d’un quartier peu couru par les castrais. L'aspiration à devenir propriétaire fût ainsi comblée, renforçant le sentiment de promotion sociale.

Une consultation pour du beurre ! Dans un premier temps, à Bisséous, les autorités en charge du projet de la tour ont expérimenté une démarche de consultation habitante. Ainsi, lors du concours d'idées, la municipalité a ouvert un local de présentation des différents projets afin que les habitants du quartier puissent désigner leur favori. Malheureusement, au final, cet avis n'a pas été pris en compte, abandonnant l’intégralité de la décision aux seuls édiles. Dans un deuxième temps, cette démarche consultative a été suivie par la volonté d’informer les habitants. C’est l’ARC qui en a été la cheville ouvrière. Les membres de l’association ont eu la charge d'informer les habitants sur le déroulement du projet, mais également de faire remonter les “tracas” de chacun. Ainsi s’agissait-il d’une information, aussi bien descendante - des institutions vers les habitants - qu’ascendante - des habitants vers les institutions. Cette forme de communication - focalisée autour du développement du dialogue - contribue à faire quelque peu oublier une concertation transparente.

Une régie de quartier a également été créée avant la démolition de la Tour Bisséous. Lors de la mise en oeuvre du projet, cette dernière a joué un rôle clef dans la dynamisation socio-économique du quartier. En effet, lors des travaux de démolition et de réhabilitation, elle a permis d'employer un certain nombre d'habitants du quartier. Aujourd'hui la régie de quartier poursuit sa mission d’insertion économique et sociale. Ces prestations, exclusivement exécutées par des habitants éloignés du monde de l’emploi, participent ainsi à l’entretien et à l’embellissement des espaces verts du quartier ou encore au nettoyage des parties communes de certains immeubles. Parfois, ces interventions se déroulent sur d’autres quartiers de la ville.

Les commerces L'offre commerciale d'Aillot et de Bisséous est importante : chaque quartier dispose d'un centre commercial. Toutefois, ceux-ci apparaissent quelque peu désuets et ont du mal à fonctionner correctement. La diminution du nombre d'habitants a vraisemblablement eu un impact sur leurs chiffres d'affaire. Certains commerçants n’hésitent pas à incriminer directement la démolition de la tour. Pourtant, un nouveau supermarché discount s'est récemment implanté à Bisséous. Tout en permettant aux habitants de bénéficier d'une offre commerciale plus adaptée à leurs besoins et à leurs moyens, ce nouveau commerce a également attiré des clients jusqu’à là peu habitués au quartier. D'autres améliorations, concernant l'offre de service sont à noter, et notamment l'implantation d'une Poste qui a ravi les habitants.

Des équipements sous exploités La nature et l'échelle des équipements publics offerts à une population, structurent forcément le fonctionnement d'un territoire. En plus de répondre à des besoins basiques de la vie quotidienne, les équipements restent des lieux de rencontre où se tissent des liens sociaux. Ils peuvent alors participer à la lutte contre les exclusions sociales - à l’échelle du quartier -, mais également contre les ségrégations socio-spatiales - à l’échelle de la ville. Les quartiers d'Aillot et de Bisséous sont plutôt bien pourvus en la matière.

(Page précédente) > 5. La tour Bisséous avant sa démolition > 6. LOPOFA toujours debout > 7. Nouvel immeuble d’habitation à Bisséous > 8. Environnement des nouveaux logements sociaux

La maison des services L'opération de Bisséous a été renforcée par l'implantation d'un nouvel équipement central : la maison des services publics. Depuis maintenant quelques années, ce bâtiment de 900 m2 accueille plusieurs antennes d’acteurs institutionnels de premier plan : la DDJS (Direction Départementale de la Jeunesse et des Sports), l'inspection académique, le service municipal d'éducation,... accueillent le public sur place. Pourtant son succès demeure inachevé. Par delà l’absence d’une mairie annexe initialement prévue, il est surtout regrettable que cet équipement soit

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En guise de conclusion

Bisséous : quartier favorisé ? Aillot et Bisséous ont fait l'objet d'interventions de requalification conséquentes pour une ville moyenne. Seul projet de renouvellement urbain midi-pyrénéen non financé par l’ANRU - l’opération a eu lieu avant même que l’agence ne soit créée -, Aillot-Bisséous peut, de ce fait, faire l’objet d’un jugement post-opérationnel plus fiable. Celui-ci est mitigé selon les quartiers. Tout d’abord, l’arrivée de nouveaux habitants dans ces quartiers est révélateur des effets positifs de ces opérations. Cependant, le traitement différencié des deux quartiers et le manque de coordination entre les deux organismes HLM ont contrarié la qualité d'ensemble. Au final il semble que les améliorations sont beaucoup plus nettes à Bisséous qu’à Aillot. Certains voient même dans le déséquilibre évident des moyens conférés aux deux opérations, une source de discrédit supplémentaire pour Aillot. Ce dernier aurait encore plus de mal à supporter la comparaison ! Quand bien même persisterait-il des points d’achoppement, il est certain que les actions menées par la ville de Castres et l'OPMHLM ont globalement eu des effets bénéfiques pour la redynamisation de ces quartiers.

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Toutefois, par-delà le “favoritisme” que certains prêtent à Bisséous, il est surtout important de veiller à ce qu’un autre déséquilibre ne s’installe pas; et de rappeler que le seul traitement urbain ne suffit pas à faire disparaître les difficultés sociales. Gageons que la signature du prochain CUCS, poursuivra - et renforcera - l’œuvre engagée par l’équipe MOUS du Contrat de Ville.

(Ci-dessus) > 9. Tranquillité et verdure caractérisent le “nouveau” quartier


3.2

Paroles d’expert

Unités résidentielles l’espace de l’habitant Philippe PANERAI / Architecte urbaniste

J’

ai suggéré dans une étude précédente qui portait sur l’Ousse des Bois (Pau) que l’on pouvait organiser la vie collective des habitants par unité – que j’avais appelé «unité résidentielle». Cela a dû avoir un écho du côté des technocrates et depuis on entend parler de “résidentialisation” à tout propos : ce qui généralement signifie “mettre une clôture”.

Pourtant il semble qu’il est extrêmement réducteur d’identifier simplement la résidentialisation à la pose d’une clôture ; qu’il est davantage réducteur encore de voir dans la clôture une gestion sécuritaire de l’espace. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi de parler de la question essentielle des limites.

Le cas grenoblois En deux mots : Teisseire est un grand ensemble grenoblois qui compte 1300 logements et un peu plus de 4000 habitants. Construit à la fin des années 50 (1957-1958) en deux tranches, cette cité présente une densité globale brute de 60 logements à l’hectare. Il faut dire que, sauf exception de densité forte de quelques grands ensembles qui se trouvent au sein des grandes villes ou à la périphérie immédiate de ces dernières, la grande majorité de ces formes urbaines ne connaissent pas de densité beaucoup plus forte que celle des quartiers pavillonnaires. Il faut bien avoir cette donnée à l’esprit. Du coup lorsqu’on demande de dédensifier les grands ensembles, je ne comprends pas pourquoi on ne dédensifie pas dans le même temps les banlieues pavillonnaires qui sont aussi fournies si ce n’est plus. Cela fait dix ans que les travaux de la cité Teisseire sont achevés. Cette opération a commencé par une étude de

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définition - mettant en concurrence 3 équipes d’architectes-urbanistes – au cours de laquelle nous avons proposé un certain nombre de notions, voire de concepts. A la suite de cette étude de définition, commencée à l’automne 97 – notre équipe a été retenue par la municipalité en place, laquelle a souhaité passer à l’action dès 1998. Cet échéancier très rapide a eu pour conséquence de faire apparaître les premiers chantiers sur le terrain en août 1998. Depuis, petit bout par petit bout, on continue à modifier pas mal de choses. Ce grand ensemble est situé à environ 15 minutes, à pied, de la mairie de Grenoble, le long d’une ancienne ligne de chemin de fer – comme de nombreux grands ensembles de la même époque – qui desservait des industries selon le système éprouvé : une usine, un grand ensemble. Cette ligne de chemin de fer a été supprimée au moment des JO de Grenoble en 1968. Comme chacun le sait, Grenoble est une ville extrêmement plate, une plaine d’alluvions avec une nappe phréatique a environ 1m20 en dessous du sol ; un hiver assez rigoureux et un été chaud et humide permettant aux arbres de bien pousser. Il y a un ensemble de « petites barrettes » R+3 avec souvent au rez-de-chaussée des équipements et des commerces ou bien R+4. Il s’agissait d’un grand ensemble au sein duquel pour des raisons très louables on pensait que les voitures ne devaient pas aller trop vite, et par conséquence qu’il fallait compliquer les choses. Venant d’un quartier voisin, on avait vraiment l’impression d’entrer dans un autre monde. Le point de départ du projet fut d’essayer de tisser des liens avec les quartiers voisins, en prolongeant de manière naturelle les rues existantes ou en créant de nouvelles rues en complément des rues existantes; de telle façon que cela devienne un quartier comme un autre dans la ville. Quelques études préalables de dimension sociale avaient été effectuées – durant l’étude de définition – et avaient démontré que malgré l’absence de véritable crise, certains indicateurs laissaient mal augurer. Il était temps d’agir avant que la situation ne se dégrade. De fait, la demande de la municipalité était assez claire : faire en sorte que ce grand ensemble en phase de décrochage rentre dans la vie courante de la ville ; faire en sorte que les habitants de ce grand ensemble se sentent des citoyens comme les autres ; faire en sorte que les équipements soient rénovés et fonctionnent mieux … faire en sorte que les gens se sentent mieux chez eux et que du coup se sentent mieux dans la ville. Enfin – de manière moins claire - la municipalité souhaitait qu’elle cesse de se retrouver systématiquement en première ligne lors des situations de conflit ; il est ici fait référence à la confusion qui se créée assez souvent entre le rôle de l’office d’HLM (l’OPAL est une émanation de la municipalité à l’époque) et la municipalité elle même. La volonté sous jacente pouvant se résumer à un changement des relations entre bailleur et habitants. En terme d’espace, il s’agissait d’un espace indéterminé au sein duquel on ne savait pas trop dire ce qui relevait du public et ce qui relevait du privé. Que ce soit du point de vue de l’usage comme du point de vue du droit. C’est ainsi que le président de l’office

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municipal et son directeur se révélaient incapables de déterminer, de manière fiable et définitive, la domanialité de l’espace. On s’est même rendu compte qu’à un certain moment un imbroglio foncier était intervenu du fait d’une opération de rachat foncier avortée. En effet il avait été question que la ville rachète tous les espaces non bâtis à l’organisme HLM, mais une défaite inattendue aux élections municipales avait empêché l’équipe en place de passer les actes notariés ; du coup une grande partie de décideurs pensaient que la mairie détenait, et par conséquent était responsable, des terrains alors que dans la réalité il n’en était rien. Ainsi depuis une dizaine d’années la ville instruisait des permis de construire, construisait même, sur des terrains qu’elle pensait siens alors que ces derniers appartenaient à l’office. On se demande aujourd’hui comment cela était possible ? Tout le monde fermait les yeux. Cette anecdote traduit un certain « laisser aller » dès lors qu’il s’agit d’un grand ensemble. Le grand ensemble est desservi par des bus du syndicat de transport grenoblois ainsi que par le tramway. Il n’y a pas de mise à l’écart géographique particulière, ni de difficultés particulières pour y accéder. Il existe même une certaine mixité sociale avec l’occupation par une classe assez aisée de l’ancienne résidence dédiée aux journalistes durant les JO de 1968. Rien, en dehors de la représentation que les habitants du quartier et ceux de la ville se faisaient du lieu, ne définissait une situation d’enclavement.


Les fondements du projet initial Le plan d’origine consistait à dire que l’on devait s’appuyer sur les grandes voies du quartier en se contentant de les redessiner afin d’en faire des rues comme les autres, présentant les mêmes qualités que celles des quartiers voisins (même soin, mêmes matériaux que ceux du centre-ville). Cette réorganisation prévoyait notamment une meilleure délimitation des espaces publics et des espaces privés. Cette redéfinition a fait apparaître en négatif, un ensemble d’espaces privés qu’il s’agissait de réorganiser : c’est ici que se pose la question des unités résidentielles. Cette volonté de redéfinir la limite entre public et privé a permis une redéfinition des rôles de chacun. Les relations, et plus exactement les récriminations, des habitants envers les différents gestionnaires des espaces ont été clarifiées : pour la gestion des espaces publics (entretien de l’espace public, ramassage des ordures ménagères, fréquence de passage des transports urbains, reconstruction des équipements publics,…) les habitants s’adressent à la puissance publique (la municipalité) ; s’agissant de la gestion des espaces privés, la discussion s’engage avec le propriétaire (le bailleur), sans concerner la puissance publique (sauf cas de crise majeure). La question de l’amélioration de l’image des grands ensembles est importante dans le projet. Celle-ci est notamment indispensable au redressement économique des quartiers, et plus précisément à un meilleur accessit vers l’emploi de leurs habitants. Le fait d’habiter un quartier qui n’est plus perçu comme le repoussoir d’une ville, d’habiter un quartier dont l’image est positive constitue un avantage certain dans la recherche d’emploi. L’adresse n’est plus stigmatisante.

Pour améliorer la vie quotidienne des habitants, changer l’image négative des quartiers, il n’est pas obligatoire de démolir à tout va. En démolissant entre 8 et 10% des logements existants au maximum, progressivement, on dispose de suffisamment de leviers pour changer radicalement l’image du quartier. Les logements sont la plupart du temps en bon état ; on peut en améliorer l’intérieur mais également l’extérieur : à partir du moment où l’on améliore l’environnement proche des logements cela change la relation que l’on a avec cette habitation. On doit donner une deuxième chance à ses bâtiments d’habitation. On n’est pas obligé de tout raser d’un seul coup. On peut changer le quartier au coup par coup, lorsque l’existant n’a plus lieu d’être.

Espaces publics « d’avant », espaces publics d’ailleurs L’opération grenobloise repose sur l’observation des villes existantes et notamment de Versailles. Lorsqu’on observe Versailles, et plus précisément son château, on s’aperçoit que la structure du parc est analogue à celle d’une ville, avec notamment des espaces publics clairement définis par des haies de charmes.

On retrouve cette même organisation spatiale – fondée autour d’une hiérarchisation rigoureuse des espaces publics - dans les grands moments de l’urbanisme de la République de Weimar en Allemagne. C’est notamment le cas à Francfort où les architectes urbanistes avaient, avec un registre formel bien différent du style « Grand Siècle » cher à Louis XIV, structuré l’espace urbain en donnant d’abord forme à l’espace public. Ce n’est pas le bâti qui organise en premier lieu l’espace, mais la logique de l’espace public lui-même. De la même manière, c’est davantage la qualité des espaces publics qui définit la qualité d’un cadre de vie et notamment d’un bâtiment à usage d’habitation : nouvel exemple à Francfort où les immeubles s’intègrent dans un environnement où les espaces publics sont clairement définis : cheminements qui conduisent vers un espace magnifié, ensemble de petits jardins privatifs qui participent à la création d’un paysage collectif, dont tout le monde profite… Ici contrairement aux grands ensembles français, les espaces libres (les espaces publics) profitent au plus grand nombre. En France, les habitants ont tendance à se morfondre dans leur « cellule d’habitat », abandonnant ces espaces libres. Pourtant si l’on donnait des bouts d’espaces aux habitants eux-mêmes, il est probable que ces derniers seraient heureux de se les approprier, sans parler des économies d’entretien pour les bailleurs ou même la ville. Quelle que soit la ville, celle-ci est faite pour s’agrandir, pour s’accroître, se densifier. Le travail sur Versailles a permis de montrer comment une ville avait évolué avec le temps, au fil des époques. La ville du XVIIème siècle n’a cessé d’évoluer. Les pavillons bourgeois du XVIIème siècle, bordant l’avenue centrale conduisant au château, ont été transformés : partagés en deux par des aristocrates insuffisamment fortunés, enserrés par de nouveaux immeubles, de forme plus moderne, au XVIIIème siècle. Les traces de la ville ancienne existent toujours dans la ville contemporaine.

La comparaison de plans urbains d’une même ville, à plusieurs époques, démontre que rien n’est définitivement figé. Le grand ensemble n’échappe pas à cette règle : il suffit de quelques changements pour le rendre plus moderne, notamment en procédant à sa densification. C’est le cas du projet de Grenoble. Malheureusement la France est un pays où les contrôles urbanistiques sont très tatillons et où la densification d’un grand ensemble requiert un concours de bonnes volontés difficiles à réunir. Si l’on se rend dans des pays où l’administration est plus faible, on s’aperçoit que les grands ensembles évoluent plus facilement, s’adaptant aux besoins des habitants. Au Caire par exemple, ce sont les habitants eux-mêmes qui se donnent le droit d’améliorer leur habitat, en se passant du concours technique et esthétique des architectes, urbanistes ou autres commissions de réflexion. Ainsi, alors qu’initialement les barres d’habitation font 9 mètres de large, au bout d’un certain temps, elles font toutes 15 mètres d’épaisseur. Pour agrandir un

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logement, passer d’un logement un peu à l’étroit à quelque chose de plus vaste, plus confortable, il a suffi que deux voisins s’entendent pour étendre les balcons, ajouter des pièces, rajouter un niveau de toiture...

Dedans / dehors Cette idée que tout logement a besoin d’un intérieur et d’un extérieur n’est pas propre à la civilisation méditerranéenne et aux HLM du Caire. Exemple d’un immeuble à Bâle en Suisse où un balcon perpendiculaire à la façade, traversé par les courants d’air, dessert les différents étages et surtout permet aux habitants d’installer un hamac, élever des cochons d’Inde ou jardiner s’ils en ont envie. Espace à multiples usages. A Grenoble, les appartements en rez-de-chaussée présentaient des barres d’appui qui interdisaient toute sortie vers l’extérieur. Nous avons souhaité donner la possibilité aux habitants d’avoir un petit bout de jardin à eux – sorte de compensation accordée à des locataires plus facilement exposés aux cambriolages et en mal de vue. L’installation systématique de balcons assez larges – un minimum – permet aux occupants de posséder un petit espace où ils peuvent prendre l’apéritif ou déjeuner. Règle de base. Ces réhabilitations, très légères, ont été engagées par différents architectes afin de créer de la diversité architecturale. Tous les immeubles sont différents. Ainsi, il n’y a pas dans l’architecture issue de la charte d’Athènes, une sorte de malédiction empêchant les choses d’évoluer. Il s’agit tout simplement de la volonté.

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3.3

Débat avec la salle

La présentation du quartier Aillot-Bisséous par les étudiants et l’intervention de Philippe PANERAI, ont donné lieu à plusieurs réactions dans la salle. Nous en avons réalisé une synthèse, organisée par thèmes.

thème 1

Résidentialisation formes et objectifs

Dans les deux cas on crée des espaces d’intimité jusqu’alors rarissimes dans les immeubles des grands ensembles.

entretien. La grille est faite pour marquer d'une manière extrêmement claire que d'un côté c'est la ville, les transports publics, l'entretien public,… de l'autre côté c'est les habitants et le bailleur qui discutent du prix des loyers, de l'absence d'éclairage dans la cage d'escalier,…”

Ces modifications ont peut-être un coût en terme d'investissement et de fonctionnement - mais elles permettent incontestablement aux occupants d'améliorer la cellule familiale.”

> “A la demande des habitants, les clôtures peuvent même être défaites en certains endroits afin de perpétuer des habitudes de passage par exemple. Toutefois, rien n'empêche, pour X rai-

> “La résidentialisation peut prendre plusieurs formes : la création d’espaces extérieurs privatifs ou semi-privatifs, mais aussi la privatisation verticale créée par les balcons.

> “Certains peuvent considérer l'élévation de grilles comme une brutalité. Toutefois, il faut rappeller que ces dernières correspondent à une réparation urbaine, à une remise en ordre de l'espace urbain, de son usage et de son

> “Quand bien même on est autorisé à critiquer certaines opérations de résidentialisation, et par là même dénoncer la disparition de l’espace public, celle-ci n’en est pas moins une réponse à des problèmes exprimés par les habitants. A Castres par exemple, la résidentialisation a permis de mettre un terme à l’organisation sauvage de rodéos sur un parking situé à l’arrière du quartier.”

sons, de refermer ces “passages sauvages” un jour ou l'autre. Les grilles ont pour but de donner le statut aux choses sans pour autant interdire toute “entrée étrangère” au sein des résidences.”

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thème 2

Résidentialisation & habitudes sociales > “ On ne peut pas dire avec certitude si les réaménagements axés sur une meilleure distinction entre espace public et espace privé - ont bouleversé les habitudes des habitants. Ce qui est sûr, c'est que la création de nouveaux espaces privatifs (des jardinets à Grenoble), gagnés sur l’espace jusqu’alors public est une aubaine pour les habitants des grands ensembles. N’en déplaise aux personnes bien

pensantes qui soutiennent l’idée, plutôt saugrenue, selon laquelle les habitants des quartiers difficiles se souciraient peu de la qualité des espaces privatifs. Comme partout ailleurs, une fois qu'ils se savent chez eux, les habitants des quartiers sensibles s'approprient très bien ce type d’espace et l'utilisent fréquemment. Pour preuve : le pullulement des tables de jardin dans la quasi totalité des jardinets aménagés”.

thème 3

Résidentialisation & implication habitante > “Ce qui est intéressant dans la redéfinition des espaces résidentiels de proximité, et qui reste à la portée des architectes-urbanistes, c'est la remise en ordre des “responsabilités spatiales”. De manière plus pragmatique, faire en sorte que les habitants s'intéressent et agissent sur l'espace qui déborde de leur logement. Or cette implication n'est possible que si elle est initiée à petite échelle. Il est tout à fait probable que les habitants d'une cage d'escalier puissent discuter ensemble et prendre une décision collective. A contrario si l'on demande à l'ensemble des habitants de la cité de se concerter, cela devient tellement abstrait qu'ils ne le font pas. Le modèle de la “collectivisation par petits groupes” serait donc le plus apte à l’implication habitante.”

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> “Le remodelage spatial des espaces de proximité (en d’autres mots “la résidentialisation”) n'a pas chamboulé les habitudes sociales des quartiers dans lesquelles il a été mis en œuvre. Généralement, les habitants continuent à se voir comme ils en avaient l'habitude, même si ce n'est pas forcément aux mêmes endroits : le banc a été parfois déplacé de quelques mètres !”


4.1

Etat des lieux

Tarbes

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Quartier Laubadère Stéphanie ARIAS, Hind HAMDAD, Nina LESTRADE, Mohamed ZAGHAR / Master 2 pro “Villes et Habitat, Politiques d’Aménagement” (Université Toulouse Le Mirail)

Jean-Baptiste FERRER / Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Toulouse

vec ses 46 483 habitants, la ville de Tarbes, est la deuxième agglomération de la région MidiPyrénées. Située à 145 km au Sud-Ouest de Toulouse et à environ 30km des Pyrénées, la préfecture du département des Hautes-Pyrénées a longtemps bénéficié d’une position stratégique, au carrefour de voies de communication importantes.

A

C’est en partie grâce à cette situation géographique, qu’au début du XXème siècle, la ville a connu un fort développement industriel fondé sur la présence de grands groupes tels que GIAT et Alstom. Pourvoyeuses d’emplois, ces entreprises ont contribué à la croissance démographique de la cité pyrénéenne, faisant corrélativement peser un besoin urgent de logements. C’est au Nord de la ville, à proximité des industries, que les pouvoirs publics de l’époque ont adopté la solution “rapide et bon marché” des grands ensembles. Le quartier de Laubadère se situe dans cette zone.

C’est à la fin des années 60 que de premières opérations d'aménagement sont programmées afin de fixerles grandes lignes structurelles du quartier : l'avenue Saint Exupéry qui traverse le quartier d'Est en Ouest en devient l'axe principal. Très rapidement de nombreux immeubles à vocation sociale s’élèvent en bordure de cette avenue et tout autour du stade voisin. Petit à petit, la forme urbaine du quartier s’apparente à une “ceinture de béton”, conférant à celui-ci l'appellation de “cité Laubadère”. Quelques années plus tard, des lotissements de maisons individuelles viendront s’installer aux franges de la cité, ne rendant que plus visible encore une déliquescence déjà en marche.

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(Ci-contre) > 1. Plan de situation du quartier Laubadère dans la ville. (Page de droite) > 2. Schéma du projet de réaménagement du quartier.

Laubadère : un quartier à part La cité Laubadère est la plus grande cité de Tarbes. Elle suscite, depuis sa construction, un fort rejet local. C'est l’une des raisons qui, dès les années 80, pousse la Ville de Tarbes à engager une politique visant l’amélioration de son image et plus largement la réduction de ses difficultés urbaines et sociales. Malheureusement, avec la crise industrielle des années 90, la situation va empirer. Provoquée par la fermeture d’entreprises motrices, elle entraîne une dépression socio-économique sans précédent : 7 000 emplois disparaissent entre 1980 et 1990. Les habitants du quartier Nord sont particulièrement concernés, plongeant le quartier dans la spirale de la relégation. La précarité marque fortement les critères socio-économiques de la population. C’est ainsi que le taux de chômage pour les quartiers Nord s'élève à 35,9% des actifs contre 10% environ dans le reste de la ville. Par ailleurs une nette augmentation du nombre des allocataires dépendant à plus de 50 % des prestations versées par la CAF (+ 11 % entre 1995-1998) noircit davantage le portrait d’un quartier où le nombre de logements sociaux est particulièrement important : sur les 4400 logements recensés sur le quartier, 1600 sont des logements sociaux. Cette situation est d’autant plus ardue à résoudre qu’elle se déroule dans un quartier excentré. L’enclavement est l’une des caractéristiques majeures. Une voie de chemin de fer traverse le quartier de part en part et forme un obstacle difficilement franchissable. Agissant comme une véritable barrière - tant physique que psychologique - avec le reste de la ville, elle tend à forcer le quartier à vivre refermer sur lui-même. L’architecture et l’organisation urbaine accentuent cet isolement. C’est notamment le cas du cœur de Laubadère. Organisés autour d’un stade, les immeubles construits dans cette partie de la ZUS - dont les plus hauts atteignent plus de dix étages -, établissent un vérita-

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ble rempart, coupant tout lien avec la zone pavillonnaire alentour. Même chose, à l’ouest, avec la zone verte qui, cachée derrière une barre de béton, est tenue à l’écart du quartier. A la fin des années 90, et malgré les efforts des acteurs publics, le quartier Laubadère continue à souffrir de son image et voit peu à peu ses immeubles se vider. C’est d’ailleurs la vacance, en forte augmentation au cours de la dernière décennie du XXème siècle, qui a conduit l'OPAC et la Ville de Tarbes à proposer la démolition du porche d'entrée de la Cité Laubadère : 48 logements en ont fait les frais. Le terrain libéré par cette démolition a permis la construction du siége de la Communauté d’Agglomération du Grand Tarbes en 2001. Cette opération constitue le véritable point de départ du renouveau urbain du quartier.

ORU, ANRU : mêmes objectifs Le quartier a connu une succession de dispositifs impulsés par la politique de la ville. Sans délaisser la question sociale, la dimension urbaine a fait l’objet d’attentions particulières. Dès 1990, un premier projet global avait été initié par la ville dans le cadre de la procédure DSQ. Une équipe associant urbanistes et sociologues avait alors proposé un certain nombre de réponses aux dysfonctionnements urbains du quartier Laubadère. En 2001, la candidature de l’agglomération tarbaise pour engager une Opération de Renouvellement Urbain - volet urbain des Contrats de Ville du XIIème Plan de moyenne envergure - est retenue par l’Etat. La signature d’une convention ANRU, en 2004 donne un nouvel élan à une opération qui conserve “l’appelation” ORU. Les grands objectifs de cette dernière doivent permettre d'agir sur l'isolement du quartier, d'offrir une meilleure lisibilité des espaces, de renforcer la mixité des fonctions et enfin, d'améliorer son fonctionnement et, par là même, son image à l'extérieur.


La recomposition des espaces publics Le projet a fixé certains objectifs relatifs à la recomposition et à la requalification des espaces publics. Cela passe en premier lieu par la réfection de voiries actuellement trop larges et trop rectilignes - qui incitent à la vitesse - et l’élargissement de trottoirs très étroits. L'intervention se fera sur l'axe de traversée principal : l'avenue Saint-Exupéry. La qualité de vie et l'attractivité d'un quartier tiennent pour beaucoup à la qualité de ses espaces verts. Ceux du quartier Laubadère sont nombreux et de taille diverse mais leur qualification laisse à désirer. Pour remédier à ce problème, la transformation du grand espace vert situé derrière la barre E, en véritable parc urbain, est un objectif prioritaire. Une fois réaménagé, celuici proposera une aire de jeux pour enfants, répondant ainsi à une demande récurrente des habitants.

Le désenclavement du quartier L’abandon du projet de création d’une traversée supplémentaire de la voie ferrée - jugé trop coûteux - n’éxonère pas les opérateurs d’un effort sur le traitement des liens piétonniers existants entre le centre-ville et le quartier Nord. Une intervention s’impose : notamment au niveau du lycée, où la SNCF constate fréquemment des “traversées sauvages” de nombreux jeunes. L'amélioration du passage situé dans le prolongement de la rue du Maquis de Sombrun est donc prévue. Par ailleurs, bien que le quartier Nord soit convenablement desservi par une ligne de bus, une modification de cette ligne est envisagée afin d’améliorer l'accessibilité du quartier. Elle concernera principalement la rapidité de liaison et la diversité des destinations. A une autre échelle, l'avenue de la Libération - axe Nord-Sud central du quartier - sera prolongée pour être raccordée à une voie de contournement actuellement en cours de réalisation au NordOuest de l'agglomération.

La diversification des fonctions urbaines A l'image du projet multifonctionnel Mouloudji, l'ORU cherche à conforter l'activité économique sur le quartier Laubadère. D’ores et déjà, saisissant l'opportunité d'un quartier dont l'image est en voie de changement, de nouvelles activités s’y implantent. Paradoxalement, on assiste à la fermeture de nombreux commerces. Selon certains, celles-ci seraient liées aux démolitions et plus exactement à la perte de clientèle potentielle qu’elles entraineraient. Le mixité fonctionnelle passe également par l’existence de lieux de distractions physiques et culturelles. Plusieurs équipements publics existants seront réhabilités. Il est notamment prévu un agrandissement de la bibliothèque-ludothèque, une restructuration des stades et gymnases et une rénovation de la piscine.

Enfin, la requalification des espaces publics passe par une meilleure inscription physique des limites de propriété. En effet, comme dans de nombreux grands ensembles, la distinction entre espaces privés et espaces publics reste trop floue. Des opérations de résidentialisation participeront à ce nouveau marquage; mais pas exclusivement.

L'amélioration de l’image du quartier 640 logements vont bénéficier d'une réhabilitation des parties privées et communes et, dans certains cas d’une opération de résidentialisation. Ces travaux portent principalement sur le renforcement de la sécurité et notamment “la reconquête” des caves abandonnées, l'amélioration de l'éclairage, et la pose d'interphones. Programmées dans les premières années du projet, ces opérations doivent permettre d’améliorer la qualité de vie des habitants, ainsi que faciliter la gestion urbaine de proximité. Elles contribuent également à l’amélioration de l’environnement patrimonial et à la réhabilitation de l’image du quartier. Pour autant, l'ORU ne se contente pas d’un “traitement en surface”. Elle va également porter sur une transformation plus radicale du paysage urbain, et notamment à une rénovation de son parc d’habitation.

Déconcentrer le parc social et diversifier les formes d’habitat Le projet ORU prévoit la démolition de 732 logements sociaux sur l'ensemble du quartier Nord d'ici fin 2008. Afin de coller aux directives du Programme Local pour l'Habitat, à savoir rééquilibrer l'offre locative sociale, les opérations de reconstruction vont se focaliser sur la déconcentration du parc social et la diversification des formes d’habitat. La construction est répartie entre 3 opérateurs : l'Opac 65, la SEMI-Tarbes et la Foncière Logement. Avec 213 logements collectifs, 106 semi-collectifs et 157 maisons individuelles, en location ou en accession, c’est l’ensemble des typologies d’habitat qui est proposé aux “relogés” et aux nouveaux arrivants.

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S’agissant de la question du statut, le parc social sera amputé de 100 unités : sur les 476 logements neufs reconstruits sur place seulement 376 seront des logements sociaux. Toutefois, le solde négatif constaté - qui porte sur un total de 356 logements sociaux sur l’ensemble du projet (732 - 376 = 356) - sera compensé par la programmation de nouveaux logements sociaux sur d’autres communes de l'agglomération tarbaise. L’équation du “un pour un” (1 logement démoli = 1 logement reconstruit) sera ainsi respectée et la carte de répartition du parc social sera plus équitablement redistribuée.

L’attachement au quartier... Les 732 démolitions prévues ont imposé le relogement de 555 familles. Initialement, l'organisation et la gestion du relogement devait incomber exclusivement à l'OPAC 65. Or, après étude, il a été établi que le rapport entre les besoins en logements sociaux révélés et les disponibilités répertoriées au sein du patrimoine du bailleur était fortement déséquilibré. L'opération s’avérait alors très lourde à gérer pour un seul organisme HLM. Un nouveau dispositif, associant de nouveaux acteurs, a par conséquent été déployé. L'OPAC 65 continue de jouer le premier rôle. Il se charge notamment de tenir une permanence sociale durant laquelle, l'équipe, composée de deux personnes dédiées aux relogements de l’ORU, reçoit chaque famille concernée et réalise avec elle un bilan de leurs besoins et de leurs souhaits. La solution la plus adéquate pourra ainsi être proposé. Parallèlement aux actions de l'OPAC, le Bureau d'Aide au Logement de la Communauté d’Agglomération du Grand Tarbes organise mensuellement un Comité de logement, dont une cellule est entièrement destinée aux opérations de relogement de l’ORU. Depuis les premières démolitions en 2003, la majorité des personnes relogées a été maintenue sur le quartier Laubadère. Si dans un premier temps les relogés ont été installés dans les bâtiments existants, au fur et à mesure qu’avancait le projet, ils ont

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plus fréquemment occupé les immeubles nouvellement édifiés. Concernant les profils des nouveaux entrants, une grande majorité des ménages ont des ressources inférieures à 60% du plafond HLM. Par conséquent, et contrairement aux ambitions du projet, le quartier demeure encore le réceptacle de populations en grande difficulté. Quand bien même, il reste primordial de trouver un certain équilibre dans la politique de peuplement, l’opération de relogement est globalement louée par les intéressés. Des entretiens passés auprès des habitants et des responsables de l'OPAC, montrent que ces relogements se sont plutôt bien déroulés; et en l'état, la plus grande partie de personnes relogées se déclarent satisfaites de leur nouveau logement. Seul petit bémol, il semble que les relogements à venir ne connaîtront pas le même dénouement. Ainsi, l’écart entre le nombre effectif de logements reconstruits sur le quartier et le nombre de demande risque de créer quelques tensions. Un relogement en dehors du quartier, et la menace de perdre un réseau social bien entretenu, serait très mal vécu par certains. Pourtant, il apparaît peu probable que l'OPAC soit en capacité d’exaucer les souhaits de nombreux habitants attachés au quartier.

La difficile prise en compte de l’avis des habitants Entre affichages, courriers et réunions publiques, l'équipe ORU a affiché une réelle volonté d'informer, en temps voulu, les habitants du quartier sur l’évolution du projet. Cependant, l'information semble avoir été peu efficace et surtout mal adaptée au public. Et en général, les non initiés se sont souvent heurtés à un jargon technique trop souvent employé; une incompréhension d'autant plus vive, qu'une partie de la population ne maîtrise pas la langue française. Pour faciliter le dialogue, l'équipe de maîtrise d’oeuvre a mis en place un groupe relais (le GRORU) impliquant les associations du quartier afin de mieux capter la parole des habitants. Or, dans les faits, la participation, ou du moins l’écoute habitante, fût loin


d’être satisfaisante. Un décalage existe entre les attentes formulées par les habitants et la réelle prise en compte des ces dernières par le comité de pilotage. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que certains choix adoptés par la maîtrise d’ouvrage aient donné lieu à de vives protestations. C’est le cas d’une association créée dans le but de s’opposer à la destruction d’un immeuble d’habitation récemment remis aux normes et particulièrement agréable à vivre, selon ses habitants. Ce genre de décisions - prises en dépit du “bon sens citoyen” -, laisse perplexe un bon nombre d’acteurs quant à la valeur de la démarche dite participative.

Une articulation social/urbain en phase d’amélioration Le volet social de l’ORU est coordonné par l’équipe MOUS du Contrat de Ville (2000-2006), réunie dans un Groupement d'intérêt Public (GIP). Avec un budget “fonctionnement” considérablement revu à la baisse, le GIP déplore un manque de moyens depuis que la politique de la ville a eu tendance à se recentrer sur la dimension urbaine. La conséquence la plus préjudiciable pour le quartier demeurant la fermeture définitive de la Maison des services publics. Plus largement, c’est l’ensemble des opérateurs sociaux de la politique de la Ville qui connaissent des difficultés. C’est particulièrement vrai pour le tissu associatif qui, outre ces tracas financiers, se trouvent confrontés à des problèmes de locaux : il n’y a en effet pas que les habitants qui se voient obliger de déménager ! La maîtrise d’oeuvre urbaine de l’ORU, elle, est entièrement assurée par la Communauté d’Agglomération du Grand Tarbes. Cette dernière est également responsable du PLIE (Plan Local d'Insertion Economique). Ce dispositif intercommunal d’aide à l’emploi, qui s’adresse directement aux habitants de Laubadère, constitue un axe d’intervention commun aux deux équipes. Mais de manière générale, même si elles manquent parfois d’un dialogue plus soutenu, on peut dire que les relations entre ces deux équipes sont plutôt bonnes. Elles devraient s’améliorer dans les mois qui arrivent grâce à un rapprochement physique des personnels. En effet, le remplacement du Contrat de Ville actuel par un Contrat Urbain de Cohésion Sociale dès janvier 2007, va entraîner l’intégration de l’équipe MOUS à la Communauté d’Agglomération. En attendant, elle se focalise sur l'accompagnement social du relogement, l'information des habitants et le périlleux replacement des associations évoqué plus haut.

(Page précédente) > 3 et 4. Les anciennes formes urbaines, marquées par des bâtiments de grande échelle,...

(Ci-dessus) > 5 et 6. ...font place à des formes urbaines modernes, de taille petite ou moyenne.

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En guise de conclusion

Une opération qui soulève de nombreuses questions... Personne n’oserait remettre en cause l’intérêt même de l’ORU tarbaise. Pourtant plusieurs constats ouvrent le débat sur certaines méthodes employées, voire certains objectifs assignés. Les habitants ont notamment le sentiment qu'il est de plus en plus difficile de se rencontrer, et témoignent d’un affaiblissement de la “vie de quartier”. La résidentialisation ne serait pas étrangère à ce nouvel état de fait. Aussi une première question se pose : les “objectifs sécuritaires” de ce projet urbain - alors même que les habitants affirment ne ressentir aucun problème de délinquance dans le quartier - n’iraient-ils pas à l’encontre d’un renforcement du lien social tant espéré ? Dans la même veine, l'interrogation peut également porter sur le devenir des relations entre les “anciens” - les habitants déjà installés dans le quartier et qui continuent à vivre dans leurs logements collectifs - et les “nouveaux” - les futurs habitants des maisons individuelles nouvellement construites. “La confrontation” pourrait même être sociale puisque le projet laisse espérer l'arrivée de jeunes ménages avec enfants : profil quelque peu différent de celui des autres habitants.

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Par ailleurs, concernant la question plus large du peuplement, les nouvelles constructions seront pour la plupart destinées à des familles peu nombreuses. Aussi peut-on se demander quelles conséquences aura cette recomposition sur la vie de quartier ? Quoi qu’il advienne, les opérateurs se donnent les moyens de changer le quartier. Et au regard de certaines réalisations ou projets en cours, le pari de l’attractivité pourrait bien être gagné. La présence remarquée de nombreux équipements publics au sein de la cité, soulignée par l'implantation des locaux du Grand Tarbes, en est le parfait exemple. Ils confèrent à celle-ci une centralité nouvelle qui ne devrait pas laisser insensible classes moyennes et entreprises. Quid des desiderata des habitants actuels dans tout cela ? Si le projet d’aménagement du parc urbain répond à une vieille demande, il est regrettable que l'actuel terrain de foot, auparavant ouvert au public, soit désormais réservé aux seuls adhérents des clubs et associations. Il est devenu inaccessible aux habitants de la cité, ce que déplorent les ménages avec enfants.

(Ci-dessus) > 7. Un bâtiment symbolique du renouveau urbain du quartier : le siége de la Communauté d’Agglomération du Grand Trabes.


4.2

Paroles d’expert

Ouvrir les quartiers l’exigence de l’espace public face au risque des espaces communs Fabrice ESCAFFRE / Enseignant chercheur LISST-CIEU

ans les projets de renouvellement urbain l’ouverture des quartiers est un des principaux objectifs poursuivis. Les exemples midi-pyrénéens présentés depuis ce matin en témoignent en insistant particulièrement sur la place accordée au travail sur les espaces publics. La réorganisation des réseaux viaires consécutive à la démolition d’immeubles, la recréation de places ou le traitement des espaces « intermédiaires » constituent des procédés récurrents dans les ORU. La pertinence et la qualité de ces interventions apparaissent très variables et certaines semblent même, pour le moins, très sommaires. De ce point de vue, l’exemple de la résidentialisation dans le quartier d’Aillot à Castres est presque caricatural. D’autres sont plus travaillées, la présentation du projet de Montauban en a fourni plusieurs exemples. Toutes, par contre, témoignent d’une spécificité du renouvellement urbain qui consiste à privilégier, parfois presque exclusivement, les actions sur l’urbain pour résoudre des problématiques sociales.

D

Cette caractéristique ne fait que perpétuer les oscillations de la Politique de la Ville entre les aspects sociaux et les dimensions urbaines. Il n’est pas ici question de remettre en cause la nécessité d’améliorer les espaces publics dans certains quartiers ou entre ces quartiers et le reste de la ville. En relation avec les interventions précédentes, mais aussi parfois en réaction à celles-ci, il s’agit plutôt de recontextualiser cette volonté d’ouverture des quartiers. En effet, dans ce domaine l’attention se porte souvent principalement sur la dimension urbaine du traitement des espaces publics – les aménagements, les matériaux, les formes… Plusieurs interventions viennent aujourd’hui de confirmer ce constat. Par contre, la question des espaces publics a été assez peu abordée à partir de leurs usages. Avec le recul que permettent aujourd’hui certaines opérations réalisées ou en cours en Midi-Pyrénées, nous proposons d’observer si ces usages des espaces publics évoluent et de préciser les modalités de cette évolution.

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Quel espace public pour quel traitement des espaces publics ? Il convient de s’arrêter d’abord un instant sur la catégorie spatiale particulière qu’est l’espace public. Derrière cette expression coexistent des notions différentes. Une acception restrictive n’y place que les dépendances relevant du domaine public : les rues, les places, les jardins publics… Une définition plus large, généralement retenue, en sciences sociales y ajoute l’ensemble des lieux qui permettent des contextes de coprésence aléatoire élargie. Dans ce second sens, les magasins, les cafés voire certains équipements publics font partie de l’espace public. Plus qu’un statut juridique, c’est l’accès à la publicité permis par l’usage qui prévaut. La publicité “ne décrète donc pas”, pour reprendre l’expression de Pierre Sansot (2003), elle est contingente des usages. La prédominance d’une approche technique de l’action urbanistique dans la plupart des PRU fait généralement retenir la définition la plus restrictive puisque les espaces publics, les rues en particulier, sont considérés comme les principaux vecteurs de transformation des quartiers. De fait, dans les quartiers concernés par ce type d’opération, ces espaces publics jouent un rôle central et parfois problématique. Leurs usages sont généralement nombreux, ils témoignent d’une “vie de quartier” mais aussi parfois de l’appropriation excluante de certains espaces par des groupes habitant le quartier. Les actions sur ces espaces publics ont donc pour but de permettre aux habitants de sortir plus facilement vers les quartiers proches mais aussi à d’autres habitants de venir dans ces quartiers. Pour cela, le traitement de la trame viaire est couplé avec l’implantation d’équipement(s) censé(s) produire de l’attractivité. Or, ce type de traitement de la question de l’accès à l’espace public peut difficilement tenir compte de la complexité des usages des lieux publics dans leur diversité. Cela donne parfois des réalisations aberrantes, comme ces opérations – un peu brutales – consistant simplement à positionner en pied d’immeuble quelques grilles pour protéger les parkings ou les rez-de-chaussée – à l’exemple de ce qui a été réalisé dans le quartier d’Aillot à Castres sans tenir compte des pratiques habitantes. Fermant l’espace public, ce type de dispositif se trouve rapidement dégradé parce qu’il n’est pas approprié. Cela donne aussi lieu a des interventions lourdes sur les espaces publics dans les quartiers prioritaires, alors que dans nombre de cas, si l’on exclut l’image d’insécurité qui leur est appliquée et des trafics ne mobilisant que quelques individus, ils fonctionnent “normalement” comme des espaces publics de quartier. Cette dernière dimension est particulièrement frappante dans les villes moyennes de Midi-Pyrénées, où les quartiers concernés par le renouvellement urbain sont de taille modeste, généralement proches et plutôt correctement reliés au centre ville. À un premier niveau, il apparaît donc incontournable de prendre vraiment en compte la complexité des usages des espaces publics. Ceci renvoie à la question de la participation des habitants mais souligne également la nécessité de bien observer leurs modes de vie. En ce sens, les discours des habitants rencontrées

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par les étudiants, tout comme l’analyse des projets de RU en MidiPyrénées conduisent à souligner la prédominance de visions urbanistiques sous estimant l’importance de la prise en compte des usages. Au-delà, et bien que de ce point de vue les différents projets midipyrénéens ne soient pas égaux, il convient de pointer aussi les risques de réductionnisme inhérents à un traitement urbanistique de la “question urbaine” qui demeure avant tout une “question sociale” (Donzelot, 1999).

Les échelles de la publicité La question des usages des espaces publics renvoie à la notion fondamentale de coprésence dans les espaces urbains. Par là, on entend la mise en présence directe d’individus, qui s’accompagne d’une visibilité mutuelle. Les interactions de ce type se produisent en grand nombre dans les espaces publics urbains avec pour enjeu social de donner à la ville, plus précisément à la société urbaine, la possibilité de s’observer, de se côtoyer dans sa diversité. Dans les espaces publics centraux, cette coprésence est maximale ; les différentes composantes de la société urbaine s’y mettant généralement en scène. Dans les quartiers par contre, les espaces publics offrent des contextes de coprésence plus homogènes, correspondant aux caractéristiques des populations les plus représentées dans tel ou tel quartier. Ce constat vaut pour tous les quartiers et à y regarder de plus près on s’aperçoit aisément que la diversité des individus est souvent plus grande dans les espaces publics des quartiers populaires que dans d’autres parties de la ville. Pour autant, les espaces publics dans ces quartiers souffrent aussi d’un trop grand repli des usages sur le quartier. La coprésence devient un enjeu dans la mesure où les villes se fragmentent de plus en plus socialement, réduisant d’autant les occasions d’être en contact direct avec l’altérité. Cette évolution conduit à envisager un changement d’échelle qui invite à regarder autrement le traitement des espaces publics à l’échelle des opérations - dont on a parlé toute la matinée et en ce début d’aprèsmidi - pour l’envisager à l’échelle des ensembles urbains dont relèvent ces opérations. L’ouverture des quartiers par les opérations de RU n’a de sens que si elle s’accompagne d’une ouverture du reste de la ville aux populations des quartiers en renouvellement urbain. À Montauban, une partie du centre est inclus dans le périmètre du PRU ; on mesure bien les effets que cela a sur le logement, mais qu’est-ce que cela produit sur les usages des espaces publics centraux ? En quoi cela fait-il de la place Nationale et des rues qui l’entourent un espace où les montalbanais se rencontrent ? Il s’agit ici, en dehors des quartiers est, et au-delà des questions d’aménagement urbain, d’interroger en fait les usages des espaces publics et l’animation du centre ville. En insistant sur les échelles de la publicité, il s’agit de montrer que, de la même manière qu’il est vain de prêter en général au seul aménagement des espaces publics une capacité à « recoudre la ville », cette incantation n’a pas plus d’impact dans les quartiers en renouvellement urbain. Le travail sur les espaces publics est nécessaire, il participe à l’amélioration du cadre de vie


dans les quartiers mais il doit s’accompagner d’actions sociales pour éviter que, même réhabilités ou réorganisés, les espaces publics ne continuent à être trop repliés sur des usages de quartier. L’ouverture des deux quartiers est donc à envisager dans les deux sens, de la ville vers le quartier mais aussi du quartier vers la ville. En l’état d’avancement des ORU en Midi-Pyrénées, il ne semble pas que des évolutions de grande ampleur se soient produites dans ce domaine. La réimplantation des commerces le long de l’avenue Desbals à Toulouse par exemple, a sans doute permis une augmentation de la publicité du centre commercial qui se trouvait précédemment dans le quartier de Bagatelle. La coprésence y fonctionne encore néanmoins très largement à l’échelle du quartier. Si l’on prend l’exemple du quartier Bisséous à Castres, la démolition d’une tour de 14 étages rend moins “visible” le quartier mais le travail sur les espaces publics (réorganisation des voies, ouverture à la visibilité de l’espace central du quartier, sécurisation des entrées et meilleur entretien des pieds d’immeuble) ne modifie pas les situations d’interactions qui restent peu nombreuses et centrées autour de la fonction d’habitation. Ces exemples d’interventions intéressantes montrent que l’enjeu est à la fois ailleurs (en centre ville et dans les autres quartiers) et surtout plus global : la coprésence dans les espaces publics représentant le premier niveau où du politique circule dans les relations sociales (Lussault, 2003), mais le premier niveau seulement…

Les « jeunes des quartiers » dans l’espace public ou la construction d’espaces communs Des usages du pied d’immeuble au centre ville Quelques éléments d’analyse sur les usages de l’espace public par une catégorie particulière d’usagers, les jeunes, vont permettre d’illustrer le propos général tenu jusqu’ici. L’objet n’étant pas ici les jeunes mais leurs usages des espaces publics, nous passerons rapidement sur ce terme et ses ambiguïtés. Bien que conscient des différences qui traversent ce groupe dans les quartiers prioritaires, nous considérons donc les jeunes principalement à partir du critère d’âge, en rassemblant les adolescents et les jeunes adultes ainsi qu’à partir de leur lieu de résidence, en l’occurrence les « quartiers dont on parle » (Coll., 1997) en MidiPyrénées. En ne retenant que les garçons au sein du groupe des jeunes, on se trouve face à une catégorie d’usagers extrêmement marquante dans les représentations sociaes, notamment du fait de sa présence dans les espaces publics. L’appropriation forte, relativement excluante des pieds d’immeubles, par un certain nombre de groupes de jeunes dans les quartiers d’habitat social, n’est pas qu’une représentation. Il y a là une réalité qui renvoie de fait à une concurrence des usages relativement forte pour l’appropriation de ces espaces publics ; une concurrence qui se fait notamment du point de vue des générations d’usagers. On a notamment constaté lors d’une récente étude menée dans le quartier

d’Empalot (Toulouse) que les appropriations par les jeunes se faisaient au détriment des appropriations par les personnes âgées, celles-ci mettant en œuvre de véritables stratégies pour se réapproprier les espaces publics. On voit apparaître – déjà à cette échelle, dans les quartiers – des conflits d’usage forts, qu’une simple action sur l’espace ne peut pas suffire à modifier. La visibilité de « ces » jeunes s’accentue du fait de leurs usages d’autres espaces publics que ceux du quartier. Certaines parties des centres villes, voire certains centres commerciaux constituent aussi pour eux d’importants espaces de mise en scène. Cet accès au centre ville est facilité dans des villes de taille moyenne comme celles à partir desquelles nous réfléchissons aujourd’hui. Même à Toulouse, l’accès au centre ville est rendu relativement aisé par le métro. Les déplacements des jeunes vers le centre se font souvent en groupe, vers des points précis (principales rues commerçantes, lieux de restauration rapide…). La volonté de mise en scène y est généralement forte, elle passe par les comportements ou les tenues. En ce sens, l’accès au centre ville ne pose pas problème en tant que tel, c’est ce qui s’y joue qui invite davantage à s’interroger. Au-delà des interactions visuelles et corporelles, et sans pour autant les minimiser, quel « vivre-ensemble » se construit là ? Lorsqu’on regarde les usages des jeunes et qu’il s’agisse des espaces publics dans les quartiers ou de ceux du centre ville, on s’aperçoit à la fois de l’importance du travail sur ce type d’espace et de sa portée nécessairement limitée. En effet, les interactions auxquelles prennent part les jeunes dans les espaces publics sont largement les résultats de leurs fréquentations d’autres lieux et plus largement des problématiques sociales auxquelles ils se trouvent confrontés.

Omniprésence médiatique et repli sur des espaces communs La présence des jeunes dans les espaces publics urbains s’accompagne, est amplifiée, voire est parfois remplacée par leur présence dans l’espace public médiatique. Là, les mobilités réelles des jeunes sont diminuées par le renvoi abusif au “ghetto urbain”, lieu de l’assignation, de l’immobilité. Ce sont surtout des situations d’immobilité sociale qui sont mises en exergue, dont une des traductions peut être la “rouille” au pied des immeubles. Cette immobilité renvoie à l’analyse d’un certain nombre de dispositifs aménagés au sein de l’espace public, par exemple pour les loisirs des jeunes, qui tendent à les fixer dans leurs quartiers. Même si, comme dans les autres quartiers, il existe un besoin évident d’équipements pour les plus jeunes, un certain nombre d’équipements ludiques, d’accès libre, très présents dans ces quartiers, constituent des éléments favorisant une certaine forme d’immobilité des jeunes. Entretenue depuis leur plus jeune âge et plus tardivement, celle-ci tend effectivement parfois à transformer les espaces publics des quartiers en espace commun. Par “espace commun” (Tassin, 1991), il convient d’entendre : des lieux dont les usages renvoient à une communauté, c’est-à-dire à un groupe limité, définissable à partir de caractéristiques communes. Pour ce qui nous intéresse ici : l’âge,

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le sexe et l’appartenance à un même quartier. Ces espaces communs se structurent dès le plus jeune âge et tant les observations empiriques que l’on a pu mener, que les enquêtes par entretien réalisées auprès de ces jeunes montrent que pour une bonne partie d’entre eux, jusqu’à 12-13 ans, sortir du quartier n’est pas quelque chose d’habituel. Nous avons déjà souligné que lorsque des mobilités, vers le centre notamment, se produisent ensuite, elles sont souvent le fait de groupe, comme si au-delà des individus les espaces communs structurés se mouvaient eux-mêmes. Face à cela, le travail sur les espaces publics dans les opérations de RU n’a qu’un impact très limité, les enjeux sont ailleurs : dans l’accès à l’emploi comme principal moyen pour recréer de l’espace public autrement dit du lien social (Chalas, 2000), dans l’organisation des sphères scolaires et périscolaires… On touche là une thématique qui complexifie beaucoup une partie des choses dites depuis ce matin, et qui montre également que l’action urbanistique sur l’espace public n’a qu’un impact réduit sur la question de la place des jeunes. Pour aussi faible qu’il soit, cet impact ne doit pas être ignoré, mais à l’inverse les interventions dans les quartiers prioritaires ne gagneront rien à louer exagérément la solution urbanistique, même si l’air du temps de la Politique de la Ville à l’ère de l’ANRU va parfois dans ce sens. L’exemple des jeunes montre qu’il convient de renvoyer à un champ d’intervention plus large et à une palette de dispositifs beaucoup plus diversifiée. Et ce constat est d’ailleurs valable pour d’autres catégories de population.

Les équipements publics et leurs usages en quartier en RU Pour aller un peu plus loin, on peut prendre l’exemple des équipements socio-culturels qui sont fortement appropriés par les jeunes – appropriation exclusive parfois même excluante pour tous autres groupes sociaux. Il est vrai que ces équipements sont destinés à accueillir les jeunes ; ils répondent prioritairement à cette fonction. Pourtant ils participent ainsi à l’immobilisme de ces derniers, à leur ancrage dans les quartiers. Cet ancrage est d’autant plus fort que l’offre socio-culturelle est de plus en plus large. Elle couvre toutes les tranches d’âge : des jeunes enfants aux jeunes adultes ; il existe aujourd’hui une offre pour les 18-25 ans ! Il s’agit d’une problématique qui nous amène à réfléchir sur le qualificatif “public” et la dimension publique prêtée à ces espaces, souvent évoquée pour justifier leur réaménagement mais rarement observable du point de vue des usages. Des espaces communs apparaissent ici aussi et mettent bien en évidence le fait que les actions sur l’espace ou sur les équipements en tant que telles ne peuvent être envisagées sans actions complémentaires dans d’autres domaines de l’action publique. Les politiques publiques en faveur de l’animation socio-culturelle, évidemment indispensables, introduisent des éléments de discrimination positive en direction d’un certain nombre de publics, dans un certain nombre de quartiers. De fait elles participent à la spécialisation de ces derniers, voire par certains côtés à leur stigmatisation. Ainsi, et bien que sous un autre jour, la question de l’espace public apparaît. Lorsqu’on observe à Toulouse ce qui a pu se mettre en place, on voit bien que les équipements publics ne remplissent pas toujours leur rôle de liant social. Voici l’exemple récem-

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ment fourni par le directeur de la MJC Prévert (située entre le quartier Faourette et des quartiers à proximité). Lorsque cette MJC a été reconstruite, la direction a souhaité qu’elle le soit à la frontière entre deux quartiers très distincts (l’un Politique de la Ville et pas l’autre) et ce pour des objectifs très simples : produire du brassage, de la mixité, de la diversité, du contact avec l’altérité. Mais même dans ce cas, la difficulté que l’on rencontre – lorsqu’on observe les usages – réside dans le fait que cette structure fonctionne, une fois reconstruite, selon des logiques tubulaires. On observe des “tubes” (c'est-àdire certaines activités, certains lieux) qui sont utilisés par les publics “politique de la Ville” - publics déjà habitués à utiliser ces mêmes “tubes” lorsque la MJC se situait au cœur du “quartier” et des “tubes” qui sont fréquentés par d’autres publics, qui viennent chercher autre chose au sein de l’équipement. Ainsi, on ne retrouve pas forcément des interactions directes. Les politiques de tarifs, d’horaires font que les côtoiements sont nettement moins importants que ceux imaginés dans le projet. Néanmoins, on voit bien comment ce type de structure, située en position intermédiaire, ouverte aux échanges, même si elle se trouve confronter à ces barrières, va dans le sens d’une ouverture mutuelle. On n’observe que trop rarement ce type de choix et dans bien des cas, en Midi-Pyrénées comme au-delà, l’un des derniers lieux publics pour les jeunes se limite à l’école. Or, voit bien qu’aujourd’hui cette situation même est remise en question. La question de l’espace public dans les quartiers en renouvellement urbain n’est donc pas qu’un problème spatial qui aurait ses solutions urbaines. Elles renvoient aux autres sphères du social, ce qui invite à rappeler que quand bien même les actions sur l’espace public sont particulièrement bien mises en oeuvre, elles ne résolvent pas toutes les problématiques et en particulier celle de la production du lien social. Il serait très dommageable de se focaliser sur l’espace et de délaisser la question des usages. Cette dernière montre – par exemple – que la mixité ne s’installe pas automatiquement avec la requalification fonctionnelle des espaces : les logiques d’usage perdurent et participent à la fragmentation des territoires urbains. Mais il serait encore plus regrettable de considérer qu’un projet de renouvellement urbain techniquement bien conduit est la clé pour résoudre la crise des quartiers prioritaires. Il n’est qu’un outil parfois utile, toujours symboliquement efficace, mais qui ne saurait fonctionner sans un véritable accompagnement social des populations.


4.3

Débat avec la salle

La présentation du quartier Laubadère par les étudiants et l’intervention de Fabrice ESCAFFRE, ont donné lieu à plusieurs réactions dans la salle. Nous en avons réalisé une synthèse organisée par thèmes.

thème 1

Usages et définition de l’espace public > “ Il est important de revenir sur la définition, et plus exactement sur l'utilisation, de la notion “espace public”. Ce que que l’on appelle “espace public” (*), ce sont des espaces tels que la rue, la place, le boulevard, l'avenue, et peut-être le jardin public. L’utilisation de ce vocable se justifie par le fait qu’un espace public est un espace ouvert à tous, à tout moment et sans contrôle ; or ce n'est pas le cas pour certains jardins publics qui restent enclos et fermés. N’oublions pas que le square, dans la tradition parisienne, ferme le soir. De la même manière, on ne peut pas considèrer qu'un équipement public soit un espace public ; et ce sans remettre en cause l'importance de leur rôle . Pour aller plus loin dans cette définition, il faut rappeler que l'espace public est défini par un statut juridique : il fait parti du domaine public de la ville et c'est même le

domaine public de la voierie. Néanmoins, cette voierie ne se limite pas - comme on l'a trop souvent considéré depuis les années soixante - à la circulation automobile. Il fait également référence à l'usage piétonnier de celle-ci. (*) Cette définition est celle du participant

> “Il ne faudrait pas oublié que l'espace public a pour fonction première, la mise en valeur des choses et des personnes. Il est l’espace où l’on se donnent en représentation. Or il n'est pas certain que dans les quartiers en difficulté, les habitants affichent forcément l'envie de se mettre en avant. Ce qui ne signifie pas qu'ils n'aient pas besoin d'utiliser l'espace public comme un espace d'échange. D’ailleurs, l’organisation de fêtes de quartier, dans le cadre des Contrats de Ville, en est la preuve significative. Ces manifestations ont chaque fois constitué des instants de partage et de rencontre particulier ;

des instants durant lesquels l'espace public vivait autrement. Il est d'ailleurs regrettable que cette dimension culturelle ait tendance à être quelque peu minimisée dans les nouveaux CUCS.

> “C'est l'usage qui fait l'espace public. Il existe une certaine confusion entre la notion “d'espace public” et la notion de “domaine public”, tout comme il existe une confusion entre "espace d'accès libre" et "espace public". C'est d'ailleurs la difficulté liée à la gestion de ce type d'espace qui crée des problèmes. Pour autant, il serait illusoire de croire que des réponses ponctuelles inventées pour pallier l'absence d'activités de récréation pour les jeunes pourrait résoudre les problèmes dans les quartiers.

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thème 2

Espaces publics

et lien social implantés dans certains quartiers de la politique de la Ville.

> “Il semble que l'on porte une exigence particulièrement ardue à l'encontre des

Si ces dernières se déroulent dans le même équipement et qu'elles conduisent à

quartiers de la politique de la Ville. En effet

un minimum de côtoiement, on peut penser qu'elles font partie des relations sociales normalisées. Le problème est différent, lorsque ces évitements sociaux sont soutenus par des politiques qui privilégient la mono-fréquentation des équipements publics . Ainsi, il est regrettable que l’on puisse observer dans un certain nombre de quartiers midi-pyrénéens, des structures publiques exclusivement destinées aux jeunes. Dans ces conditions, on comprend mieux pourquoi les échanges inter-générationnels, et les échanges tout court, émergent aussi difficilement”

“l'ostracisme mutuel” qui existe entre différentes catégories de population, au sein d'espaces publics, n'est pas l'apanage des territoires en difficulté.

> “Il existe des manœuvres d'évitement au sein des équipements publics

> “si l’on peut regretter que les espaces publics ne soient plus les espaces privilégiés du lien social, on ne peut pas s’étonner de ne pas voir cohabiter “jeunes” et “vieux”. Que ce soit ici ou ailleurs, ils n'ont pas vocation à se rencontrer et à se parler. Généralement on a plutôt tendance à aller vers les gens de son âge, de sa catégorie sociale, …, c'est la vie.”

thème 3

Espaces publics

et résidentialisation > “Si certaines opérations de résidentialisation, ayant pour objectifs de sécuriser des espaces privatifs, restent légitimes, ces dernières ne suffisent pas à régler tous les problèmes. La mise en place d’activités socio-culturelles et de lieux de rassemblement pour les jeunes demeurent indispensables. Aussi quand bien même il est compréhensible et légitime que les habitants souhaitent accéder sans peur à leur logement, il semble que dans certains cas les solutions mises en œuvre pour répondre à cette attente ne sont pas tout à fait compatibles avec les transformations opérées au sein de l'espace public. Ce n'est pas en fermant l'espace public et en laissant aux jeunes le seul choix d'occuper des espaces publics pas forcément adaptés et surtout cachés, que l'on parviendra à régler ce problème précis.”

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En centre-ville, on ne s'inquiète pas de savoir si les habitants fréquentent les équipements de proximité, pas plus qu'on ne s'embarrasse de savoir si ces lieux créent du lien social. En centre-ville, les différentes catégories de population n'ont pas les mêmes habitudes, n'ont les mêmes us sociales, et cela ne choque personne. Pour quelles raisons en serait-il autrement dans les quartiers ? ”


5.1

Etat des lieux

Graulhet (81)

Quartier En Gach Elodie CAPELLE, Mélanie DELOUME, Sabrina LEVENEZ, Elise SANZOVO, Lilia ZEGNANI / Master 2 pro “Villes et Habitat, Politiques d’Aménagement” (Université Toulouse Le Mirail)

Thomas COUELLIER / Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Toulouse

a commune de Graulhet est située dans le quart sud-ouest du département du Tarn. Positionnée au cœur du triangle AlbiCastres-Toulouse, dans une zone encore rurale, la ville a développé, dès le Moyen-Age, une très importante industrie du traitement du cuir. Aux XIXème et XXème siècles, la ville fut même capitale mondiale de la mégisserie. Cette mono-industrie a profondément marqué la commune.

L

C’est justement pour répondre à l’appel de main d'œuvre des mégissiers que la ville connut dans les années 1970 une arrivée massive d'immigrés venus essentiellement d'Afrique du Nord. De nouveaux quartiers d'habitat social vont alors être érigés pour accueillir ces nouvelles familles. Le quartier d'En Gach est l’un d’entre eux. Hélas, au début des années 1980, le déclin industriel s’installe durablement. La cité tarnaise connaît alors un

passage à vide flagrant qui se traduit en premier lieu par une forte décroissance démographique : de plus de 14 000 habitants en 1975, sa population passe à 12 663 en 1999, pour approcher les 8000 âmes en 2006. Aujourd’hui, la commune a définitivement abandonné les “habits” de pôle urbain pour revêtir ceux de pôle rural. Et pourtant, depuis peu, un nouvel élan semble ranimer la ville. A la faveur d’un rapprochement avec Gaillac, elle forme la Communauté de Communes Tarn & Dadou, laquelle vise à installer un espace de solidarité propice au développement économique de ce nouveau territoire. Autre raison d’espérer, Graulhet ressent de plus en plus fortement les retombées bénéfiques de l'agglomération toulousaine. Désormais, considérée comme un satellite de sa 4ème couronne, “la mégissière” accueille de plus en plus de ménages travaillant dans la métropole régionale.

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Un territoire de projet : le quartier En Gach Les habitants des quartiers d’habitat social furent les premières victimes de la fermeture d’un grande partie des mégisserie. Le délitement progressif de leurs conditions socio-économiques allait peu à peu s’accompagner d’un certain dépérissement de leur cadre de vie. Les partenaires locaux ne restèrent pourtant pas inactifs devant cette situation. Un premier contrat de Ville fut ainsi signé en 2000. Plus particulièrement préoccupé par l’état du parc de logement, le bailleur social Tarn Habitat décida, quant à lui, de faire plancher un bureau d'étude en urbanisme (Urbane) sur les problèmes structurels de celui-ci. Les résultats obtenus préconisèrent alors une intervention globale sur les quartiers de Crins et d’En Gach, associée à une action spécifique sur l'habitat ancien du centre-ville. Cependant, pour des raisons essentiellement financières, seul le projet d’En Gach fut retenu par les responsables politiques. La priorité lui fut donnée, au regard des nombreuses difficultés qu’il concentrait : difficultés sociales, précarité de l'emploi (40% des habitants étaient au chômage) et faible intégration du quartier dans la ville. Malgré les efforts consentis, une grande partie de ces dysfonctionnements n’ont malheureusement pas trouvé de solutions et aujourd’hui de nombreuses problématiques persistent. L’enclavement se révèle particulièrement difficile à traiter. En effet, bien que bénéficiant d’une situation très proche du centre-ville, le quartier d'En Gach fonctionne comme une sorte de “cul-de-sac”, et de fait s'inscrit mal dans la trame pavillonnaire adjacente. De la même manière l’image de quartier “isolé” et “lointain” fait toujours partie de la “l’identité mentale” du quartier. Il faut dire que cette dernière est soutenue par la quasi absence de commerces de proximité et de services, exception faite d'un supermarché discount en bordure du quartier. Au fond, c’est un quartier que l'on ne traverse jamais, à moins de l’habiter.

Ci-dessus) > 1. Vue aérienne de Graulhet et situation du quartier En Gach.

Caractéristiques urbaines et architecturales du quartier En Gach compte 203 logements que l’on peut répartir selon trois typologies de bâti : •trois tours de 5 et 6 étages, •des petits collectifs de 2 à 4 étages, •des logements semi-collectifs en bande, d'un étage. Urbanistiquement parlant, le quartier semble à première vue assez homogène. Composé de bâtiments allant de R+1 à R+6, orientés Nord-Sud et respectant une certaine hiérarchie, l’ensemble fonctionne relativement bien. Pourtant, sortes de vigies positionnées à l’entrée du quartier, les 3 tours ont tendance à écraser, voire à masquer, les autres formes urbaines. En dépit de la volonté initiale des architectes de voir conserver ces repères urbains, les réalités sociales ont rendu cet objectif symbolique difficile à tenir. Devenues trop stigmatisantes, les tours seront finalement démolies. D'un point de vue architectural, le quartier offre une composition intéressante. Les bâtiments sont plutôt en bon état et ne nécessiteraient que des interventions mineures afin d’améliorer le confort des logements (changement des menuiseries, pose de volets, peintures, etc.). Pour ce qui est de leur taille, les logements offrent même des superficies supérieures aux références actuelles : c’est ainsi qu’un type 3 sur site propose en moyenne 72 m2 alors que sur le site de relogement (Nabeillou ) un appartement de même type ne fait que 65 m2. Si les caractéristiques urbaines et architecturales restent globalement satisfaisantes, il n’en reste pas moins qu’En Gach n’est pas ce que l’on pourrait appeler un quartier modèle. Certains points posent particulièrement problème : c’est notamment le cas de l’espace public.

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Place au projet ANRU... Suite à l’étude engagée par Urbane et aux interventions urbaines qui en découlèrent, la Mairie et Tarn Habitat s’accordèrent sur la nécessité de mener une action plus en profondeur. Dès janvier 2004, une demande de dérogation à l’article 6 de la LOPVRU fût déposée. Signée en Novembre 2005, la convention du Projet de Rénovation Urbaine (PRU) fait émerger deux enjeux prioritaires :

(Ci-dessus) > 2. Plan de composition du projet En Gach.

Espaces publics et appropriation habitante La place de l'habitant est difficile à déterminer. Ceci est en partie dû à une affectation et à une utilisation ambigüe des espaces publics. De façon générale, les espaces en pied d'immeuble ouvrant sur le quartier sont peu valorisés. Sans traitements particuliers, ils sont l’objet d’usages conflictuels. C’est notamment le cas des places de parking non matérialisées. De fait, le statut de l’espace pose question : s’agit-il d’espace privé ou public ? L’organisation des entrées d’immeubles a tendance à renforcer cette ambiguité. Ainsi, à ce jour, l'accès principal de la majorité des immeubles s'effectue par les espaces extérieurs semi-privatifs et non par la rue. Cette configuration induit un manque de lisibilité évident. Dans cette mesure, les espaces intérieurs (semi-privatifs) sur lesquels s'ouvrent les immeubles acquièrent une vocation de coeur d'îlot empreints d’une forte dimension publique. Véritables jardins intérieurs, ils offrent un potentiel de qualité qui mériterait d'être mieux exploité ; leur intégration au sein du volet paysager du projet urbain y contribuerait certainement. Par ailleurs, on note que les espaces publics semblent très peu investis par les habitants. Peu de personnes se promènent dans les allées, pas plus qu’on utilise les bancs.

•d’une part, changer l’image négative et stigmatisante du quartier. Il s'agit donc de restructurer le quartier en profondeur à travers l'aménagement des espaces publics, des voiries, l'apport de nouveaux équipements et de services publics. La construction d'un habitat de qualité, la réhabilitation des logements existants ou encore la mise en oeuvre d’une politique de relogement dynamique complètent ce “toilettage”. L’une des actions symboliques de cette restructuration réside dans la démolition de 3 tours qui comme nous l’avons déjà fait remarquer, marquent fortement l’espace et le paysage urbain du quartier. Ces bâtiments ne sont pas dans un état de vétusté qui justifie forcément leur démolition mais les stigmates sociaux qu’ils représentent rendent cette opération difficilement discutable. •d’autre part, ouvrir le quartier au reste de la ville. Cette ouverture doit s’effectuer selon plusieurs modalités. Tout d’abord en multipliant les voies d’accès et les cheminements du quartier vers la ville et ses commerces. Il faut dire que jusquà présent (avant la mise en œuvre du projet ANRU), le cheminement piéton reliant le quartier au centre était peu valorisé. Ceci explique que les habitants aient “eux mêmes pallié cette faiblesse en créant au fil du temps des “passages sauvages” au travers du quartier. Afin de remédier à ce type de “solutions de fortune”, un parc urbain nouvellement acquis par la mairie au nord du quartier permettra de développer de nouveaux cheminements irrigants. Enfin, toujours dans le but de désenclaver le quartier, une nouvelle ligne de bus desservira le centre-ville. D’autres formes de lien et d’ouverture étaient initialement préssenties. Il s’agissait notamment de la création d’une plateforme multiservices sur le site d’une usine désaffectée. Il était ainsi prévu de regrouper sur un même lieu les associations oeuvrant dans le quartier mais également une partie des services communaux et intercommunaux. L’objectif était simple : attirer des populations extérieures au quartier, pour y travailler mais surtout pour utiliser ses services. Malheureusement l’acquisition de l’usine n’a pu aboutir et le projet a été remisé.

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> 3et 4. Images de synthèses des futurs logements.

Jeu d’acteurs et tergiversations géographiques Une fois la décision de procéder à une opération de renovation urbaine entérinée, le projet aurait pu se dérouler assez normalement. Hélas, plusieurs évènements ont troublé son déroulement. Le PRU a notamment vu son démarrage ralenti par la complexité du jeu d’acteurs. Il faut dire que le PRU est né à la charnière d'un basculement politique municipal déstabilisant. Des évènements extérieurs à l'opération ont en effet entrainé la démission du Conseil Municipal, précipitant la tenue d’élections anticipées en février 2005. Ce remaniement politique explique, en grande partie, la faible mobilisation municipale autour du projet à la fin de l’année 2004 et au début de l'année 2005. Fraîchement élue, la nouvelle équipe municipale a été contrainte de prendre le projet en route. Conséquence : temps d’appréhensiont oblige, le dossier de candidature ne sera officiellement déposé à l'ANRU qu’un an après avoir reçu l'autorisation de dérogation. Au delà des “affaires municipales”, le projet a également été influencé par le jeu des institutions. En effet, devant certains manquements de l'ingénierie locale, plusieurs acteurs institutionnels extérieurs se sont positionnés en soutien du projet. C'est ainsi que la sous-préfecture du Tarn est intervenue auprès des élus locaux pour inciter ces derniers à produire le dossier ANRU. Dans un même temps, la DDE s'est rapidement positionnée comme aide à maîtrise d'ouvrage. La conséquence de cette “ingérence” ne fût pas que bénéfique. Ces interventions extérieures ont paradoxalement participé au faible intéressement des élus locaux pour un projet dont ils n'étaient ni les initiateurs, ni les porteurs exclusifs. Aujourd'hui encore, ce soutien municipal parfois insuffisant aux yeux de certains - constitue l’un des points faibles du projet. Par delà le jeu d’acteurs capricieux, le projet a également du s’adapter à un certain nombre d’hésitations géographiques : plusieurs repositionnements de périmètre ont désorganisé la programmation. La première modification du périmètre initial fût le fruit d’un imbroglio administrativo-foncier, au bout duquel la mairie dut

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abandonner l’idée de racheter et d’intégrer une usine désaffectée au projet. Suite à ce premier revirement, il fût décidé en janvier 2006 de recentrer les actions sur le groupe scolaire du quartier. Enfin, le rachat par la Mairie d’un bosquet de 3 hectares - dans l'objectif d'en faire un square urbain - modifia le périmètre d'intervention pour la troisième fois. Au final, le projet ne fut finalisé qu'au début de l’année 2006. Dès lors, il fut possible pour les maîtres d'ouvrage d’engager les premières opérations de réhabilitation, et de s’atteler aux procédures de relogement.

Nabeillou : “terre de relogement” L’acteur principal des opération de relogement n’est autre que le bailleur social :Tarn Habitat. Il a procédé en deux temporalités bien distinctes. La première phase a commencé dès le début de l'année 2003. Le bailleur a alors décidé de ne plus relouer les logements des tours vouées à la destruction. Les familles installées dans ces immeubles furent relogées sur d’autres sites, selon les opportunités de relogement existantes, et sans tenir forcément compte de leurs souhaits de mutation. La deuxième phase de relogement, plus récente, s’est déroulée dans le cadre du PRU. Débutés en mars 2006, sous couvert d’une charte de relogement, les relogements ont été précédés d’une enquête sociale pilotée par le Centre Communal d'Action Sociale (CCAS). Ce sont d’ailleurs, les travailleurs sociaux du CCAS, en partenariat avec ceux de la CAF, qui se sont également chargés de l’accompagnement social. Quand bien même la charte de relogement présentait des règles faisant preuve d’une toute relative souplesse - seuls trois refus de proposition étaient accordés aux habitants -, de manière générale, les familles ont été relogées dans les quartiers qu'elles avaient appelés de leurs voeux. Ainsi, un certain nombre d’habitants avaient très tôt émis la volonté de demeurer à En Gach. Certains ne voulaient pas quitter le quartier de peur de perdre les liens sociaux tissés au cours des années.


D’autres, fortement attachés à l’identité du quartier, craignaient de devoir aller habiter un quartier étranger, parfois rival ! Enfin, certaines familles ont souhaité rester à En Gach, faute de ne pouvoir s’acquitter de loyers plus onéreux dans les quartiers qui leur été proposés.

D’autre part, et c’est là le plus dommageable, le projet présente une quasi-absence d’outils de concertation et d’information habitante. Un groupe thématique “communication/concertation” a bel et bien été créée, débouchant même sur la rédaction d'un plan de communication.

Parmi ces derniers, Nabeillou tient une place importante. Ce quartier flambant neuf est l’un des sites majeurs du relogement. Il s’agit d’un lotissement comprenant 23 logements individuels en cours de construction. Ce nouveau quartier doit permettre d’absorber une partie des relogements, mais également de créer une certaine mixité intergénérationnelle. En effet, compte tenu des commodités de services proposées (proximité de commerces et présence de services médicaux), il est probable que ce quartier sera prisé des personnes âgées issues des milieux ruraux. Le peuplement devrait être complété par des ménages susceptibles de prétendre à un logement social.

Pourtant à l’heure actuelle aucune des actions prévues n'a encore vu le jour. Pas de logo pour le projet, pas un seul panneau de chantier annonçant ses objectifs et son échéancier, encore moins de journal dédié si ce n’est quelques articles diffusés dans la presse locale ou le journal municipal. La seule action pouvant se targuer d’initier une certaine forme de “concertation habitante” est celle mise en oeuvre par l’association Volubilo, laquelle au travers d’une télé participative donne la parole aux habitants du quartier. (*)

Nonobstant les désagréments actuels causés par la finalisation des travaux d’aménagement, sur le long terme Nabeillou devrait permettre aux familles d'En Gach d’améliorer leur qualité d'habitat : pour la plupart, elles quittent des collectifs pour emménager dans des maisons individuelles, avec jardin et garage. Ainsi ce “déménagement imposé” constitue à coup sûr une promotion dans leur parcours résidentiel.

Les habitants ont essentiellement pris connaissance du projet par le bouche à oreille, par voix de presse, ou bien grâce au “bon vouloir informatif” des concierges d’immeuble, des agents techniques de Tarn Habitat, ou en encore des assistantes sociales ! Information de proximité intéressante, mais trop informelle pour atteindre tous les objectifs assignées à une telle démarche. Pour le coup, aujourd’hui, l’appropriation du projet par les habitants reste quelque peu déficiante.

Quelqu’un a-t-il parlé de “communication-concertation” ? De manière générale, on peut dire que la démarche de communication-concertation s’avère quelque peu défaillante; elle se révèle en tous les cas difficile à mettre en oeuvre. D’une part, il y a trop peu de communication entre la municipalité et les autres acteurs locaux (associations, services sociaux,…). Après avoir été conviés à de nombreuses réunions préparatoires, ces derniers restent, depuis quelques mois, peu informés sur les avancées du projet. La cohésion de” l’équipe projet” en est fragilisée. (*) Note : depuis la finalisation de cet état des lieux, on doit signaler que plusieurs outils de communication-concertation ont été mis en oeuvre.

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(Ci-contre) > 5 et 6. Les anciens logements sont globalement en bon état, ce qui n’empèche que certains d’entre eux seront détruits.

En guise de conclusion :

Urbain, social et volonté politique La clef du succès d’une telle opération passe obligatoirement par une conduite de projet habile : un pilotage capable d’alterner équitablement dimensions sociale et urbaine. Il serait en effet illusoire de croire qu’une intervention urbaine forte permettrait à elle seule d’apporter des améliorations durables à la qualité de vie des habitants. Or jusqu’à présent “le volet humain” n’a pas toujours été à la hauteur du “volet urbain”. L'hypothèse selon laquelle les élus n'ont pas su saisir toute la complexité du projet peut constituer un début de réponse à cette “négligence sociale”. La prise de conscience conduisant à engager une démarche globale, sachant notamment associer le projet ANRU aux autres dispositifs de la politique de la ville, n’a pas été immédiate. Néanmoins, les choses ont tendance à évoluer positivement depuis quelques mois. C’est ainsi que l’instauration d'une clause sociale, visant à faciliter l’embauche de demandeurs d’emploi issus du quartier sur les chantiers de rénovation, est en pour-parlers. Cette action en faveur de l’emploi constitue un premier pas vers une meilleure prise en compte de la dimension sociale. Il en est de même avec l’évocation d’une convention de Gestion Urbaine de Proximité (GUP).

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Quand bien même la mécanique technico-administrative du projet urbain deviendrait mieux huilée, cette dernière n’en nécessite pas moins quelques ajustements. Il est notamment fondamental de produire des documents normalisés qui complétereront le document cadre de l'opération. Jusqu'à présent aucun d’entre eux n’a encore été réalisé. Pourtant portées par les techniciens, un certain nombre de propositions attendent encore l'aval des élus. Et c’est bien là le plus inquiétant. En effet, au final c’est bien cette volonté politique mitigée qui risque de remettre en cause la réussite du projet. Dans le pire des scénarios, les atermoiements de l’équipe municipale pourraient même transformer le projet ANRU en simple programme communal. Un programme minimaliste, dissocié des opérations de rénovation et de réhabilitation engagées par Tarn Habitat, se résumant à des actions de traitement de la voirie et à la création d'un petit parc urbain. Au vue de l'analyse globale, on peut dire que le projet de rénovation urbaine d’En Gach possède de vraies qualités. Il constitue une véritable opportunité pour la Ville comme pour ses habitants. Malheureusement celui-ci n’est pas toujours appréhender à sa juste valeur ! Il faut espérer que les premiers coups de pioches, prévus à l’automne, transforment le quartier... et les esprits.


5.2

Paroles d’expert

L’ordre des rénovateurs Renaud EPSTEIN / Chercheur, Institut des sciences sociales du politique (UMR CNRS 8166)

ar comparaison à la politique de la ville, qui a suscité une forte attention des chercheurs, la rénovation urbaine est peu étudiée. La profusion de documents administratifs et para-administratifs célébrant sans nuance cette politique contraste singulièrement avec la faiblesse des analyses scientifiques sur sa mise en œuvre.

P

Mais l'ordre, par son caractère polysémique, parait particulièrement adapté pour envisager conjointement la régulation du système d'acteurs de la rénovation urbaine (l'ordre social), la constitution d'une communauté autour d'un ensemble de croyances partagées (l'ordre religieux) et les relations entre pouvoir central et pouvoirs locaux (l'ordre comme disposition impérative par lequel une autorité manifeste sa volonté).

La lecture ici proposée de l'ordre des rénovateurs, appuyée sur des enquêtes réalisées dans huit sites du PNRU, est sommaire et délibérément polémique, visant moins à décrire précisément la rénovation urbaine en action qu'à questionner une politique qui a échappé jusqu'à présent à toute mise en débat. Parler d'ordre pourrait surprendre, s'agissant d'un programme dont les premières années de mise en œuvre ont été marquées par des évolutions rapides et par un grand désordre, avec les émeutes de l'automne 2005.

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Un nouveau design institutionnel A l'occasion des débats parlementaires qui ont précédé le vote de la loi du 1er août 2003, le programme national de rénovation urbaine (PNRU) a été habilement défendu par Jean-Louis Borloo, qui l'a inscrit dans le prolongement de la politique de renouvellement urbain de son prédécesseur, tout en insistant sur les moyens supplémentaires mobilisés et la simplification des procédures administratives opérée. Justifié par cet objectif de simplification, le PNRU correspond à une transformation du design institutionnel de la politique menée. La comparaison avec les GPV et ORU permet de distinguer les principales caractéristiques de la politique qui s'est ainsi mise en place en 2003 : définition centralisée d'un programme national (objectifs et réalisations) accompagnée d'une décentralisation de sa mise en œuvre, dont la responsabilité est déléguée aux élus locaux ; externalisation du pilotage du programme et du choix des projets vers une agence nationale monopolisant les financements du secteur auparavant épars ; marginalisation des scènes contractuelles locales au profit d'une mise en concurrence nationale des projets proposés par les territoires, puis de systèmes de suivi en temps réel des programmes locaux ; disparition corollaire des pratiques d'évaluation pluraliste, au profit d'une approche plus technocratique, procédant du seul suivi d'indicateurs… Ces évolutions relèvent apparemment de la seule sphère de la gestion. Mais la simplification administrative n'est jamais une opération neutre. Le passage du renouvellement urbain à la rénovation urbaine conduit en effet à redéfinir les cibles et les objectifs, les méthodes et les réalisations ainsi que la distribution du pouvoir entre les acteurs et les niveaux. Si elle permet de prendre la mesure des transformations opérées, la comparaison avec la politique de renouvellement urbain n'est pas nécessairement la plus éclairante. Pour comprendre les fondements du PNRU, il convient plus surement de revenir sur les politiques qui ont donné naissance aux grands ensembles, avec lesquelles ce programme partage un objectif de transformation sociale par l'urbain. Naturellement, les objectifs sociaux s'expriment suivant une terminologie différente s'agissant de politiques développées à quarante ans d'écart, dans des contextes économiques et sociaux peu comparables. Il ne s'agit plus d'accompagner, par la production d'une nouvelle forme urbaine, une dynamique de promotion sociale généralisée mais de résoudre par ce biais des problèmes formulés en termes d'exclusion et de fragmentation sociale. A ces évolutions sémantiques près, l'approche est la même et l'enthousiasme manifesté par les acteurs engagés dans les projets de démolition de ces grands ensembles n'est pas sans rappeler celui de leurs prédécesseurs au moment de leur érection. A bien des égards, la pensée et la pratique des démolisseurs des grands ensembles ne sont que le miroir de celles de leurs ainés qui les ont bâti. Dans les deux cas, les objectifs sont formulés en termes d'amélioration de la qualité de l'habitat, de diversité sociale dans les espaces résidentiels et transformation de la vie sociale des quartiers. Mais cette continuité des intentions

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s'accompagne d'un retournement de la doctrine urbanistique : la solution d'hier privilégiant l'autonomie vis-à-vis de l'extérieur et l'indifférenciation interne est désormais considérée comme le résultat d'une vaste erreur collective à l'origine des problèmes d'aujourd'hui.

Le succès politique d'une politique aux fondements discutables, sinon discutés Le vaste programme de réaménagement des grands ensembles à l'œuvre dans toutes les villes de France est justifié par une finalité exprimée en termes de résolution de problèmes sociaux. Sur quelles hypothèses la politique de rénovation urbaine se fonde-telle, pour lier ainsi opérations d'aménagement et cohésion sociale ? La chaîne d'intentions de la rénovation urbaine, allant des réalisations prévues aux impacts escomptés, n'est que très partiellement explicitée dans la loi. Elle a été précisée par l'ANRU qui, au gré de l'examen des projets qui lui étaient soumis, a élaboré un corps de doctrine et l'a traduit dans un ensemble de règles à caractère financier définissant précisément le contenu attendu des projets de rénovation urbaine. Cette doctrine s'organise autour d'un postulat social central faisant de la mixité résidentielle la condition de la cohésion sociale. La mixité doit en effet réduire la stigmatisation des quartiers qui limite les capacités d'insertion sociale de leurs habitants, favoriser l'intégration des normes sociales par ces mêmes habitants et le développement des liens sociaux dans les quartiers visés. S'y ajoute une série d'hypothèses relatives aux effets de la forme urbaine sur les pratiques sociales, qui convergent autour de l'idée suivant laquelle la banalisation urbaine de quartiers hors normes conduirait à leur intégration -et à celle de leurs habitants- dans la ville. Les effets et l'impact du PNRU ne pourront être précisément appréciés que dans quelques années, lorsque la mise en œuvre des opérations sera plus avancée et qu'il sera trop tard pour les infléchir. Il n'est pourtant pas inutile de s'interroger dès à présent sur la pertinence d'une politique qui va durablement transformer l'urbanisme et les marchés du logement des villes françaises. Comme toute politique publique, la rénovation urbaine se fonde sur des hypothèses, sur des chaînes causales postulées ou escomptées qui, en dépit de leur statut d'évidence dans le débat public français, méritent un examen approfondi. A la lecture des très nombreux travaux académiques réalisés en France et à l'étranger, il apparaît que les liens établis, allant de l'intervention urbaine aux effets sociaux, résistent à la démonstration. Les hypothèses qui guident la politique de rénovation urbaine découlent en effet d'un énoncé initial (la cohésion par la mixité sociale) admis comme un fait reconnu et indiscutable, mais qui est indémontrable. Loin d'étayer empiriquement le postulat d'effets sociaux vertueux de la mixité, les travaux scientifiques français et étrangers conduisent à en discuter la validité.


Le second pilier de la politique de rénovation urbaine, à savoir l'hypothèse d'une intégration par la banalisation urbaine , fait l'objet d'appréciation plus contrastées, dont la généralisation apparaît hasardeuse. Les recherches conduites par le passé ne suffisent bien évidemment pas pour établir une évaluation ex-ante de la rénovation urbaine. L'examen de la littérature académique conduit néanmoins à s'interroger sur les fondements de la politique menée, et plus encore sur les raisons pour lesquelles la rénovation urbaine est si peu débattue. Alors même que le PNRU traite de questions qui ont cristallisé les positions partisanes au cours des dernières années (répartition spatiale du logement social, place des populations issues de l'immigration dans la société française, causes et modalités de lutte contre la délinquance…), qu'elle mobilise des ressources considérables (au détriment d'autres politiques ou d'autres territoires), que ses fondements théoriques sont au mieux fragiles, cette politique bénéficie d'un soutien politique inédit. Le succès politique de la rénovation urbaine, observable dès l'examen parlementaire de la loi du 1er aout 2003 ne s'est jamais démenti. La multiplication des villes candidates témoigne d'une adhésion généralisée du personnel politique à la rénovation urbaine, en même temps qu'elle a permis sa dépolitisation, laquelle a été renforcée par la technicisation et la communalisation des projets locaux. Avant de proposer quelques éléments d'explication de cette adhésion générale des acteurs de l'aménagement à la rénovation urbaine, il convient de souligner que le succès politique du PNRU n'a pas été sans conséquence sur le programme. Au cours de ses premiers mois d'existence, l'ANRU devait faire la preuve de sa capacité à organiser une mise en œuvre rapide du PNRU. Les premières conventions ont donc été signées avec des sites inscrits en GPV ou en ORU, dont les projets étaient déjà en cours de réalisation. Il s'agissait alors de projets urbains très diversifiés, certains faisant preuve d'une grande orthodoxie en regard de la doctrine de l'ANRU, d'autres s'inscrivant dans une approche plus intégriste (démolition totale du quartier) ou, à l'inverse, plus dissidente (démolitions limitées, insistance sur la mobilité plutôt que sur la mixité résidentielle). Cette diversité initiale s'est progressivement réduite, laissant place à une convergence tendancielle des opérations autour de projets et de programmes relevant d'une approche indifférenciée. Ce processus de convergence est directement lié au succès politique du PNRU, qui a conduit à la multiplication des candidatures adressées à l'ANRU. Ce guichet unique fonctionnait initialement sur le mode du guichet ouvert. La croissance des demandes l'a amené à préciser ses règles d'intervention, définissant toujours plus précisément les sites prioritaires pour l'allocation de ses ressources, posant des exigences croissantes en matière de cofinancements locaux, mais aussi quant au contenu des projets.

Le règlement général et financier de l'ANRU, qui a évolué à plusieurs reprises, détermine en effet quelles sont les opérations finançables et quelles sont celles qui ne le sont pas (assiette) et fixe des priorités relatives entre différents types opérations (taux), sachant que le montant total des subventions n'est pas plafonné mais dépend du contenu des projets... Le règlement de l'ANRU, qui a évolué dans une logique jurisprudentielle (les décisions prises lors de l'examen d'un projet donné étant codifiées dans des règles générales), a ainsi défini un cadre normatif pour la rénovation urbaine. Ce cadre s'est imposé d'autant plus aisément que les acteurs locaux ont élaboré leurs projets dans un contexte d'incertitude et de concurrence. L'incertitude tient au fait que les porteurs de projet ne sont assurés ni de la validation de leur projet, ni du montant des subventions accordées par l'ANRU jusqu'à leur passage devant le comité d'engagement. La concurrence s'explique par le décalage entre le budget de l'ANRU et les montants sollicités par un nombre croissant de sites. Les alertes régulières publiées par la presse spécialisée sur les difficultés de trésorerie (présentes ou à venir) de l'ANRU ont renforcé le sentiment d'incertitude et d'urgence chez les porteurs de projet. L'élaboration des projets s'est alors transformée en course de vitesse entre toutes les villes de France. La détermination des porteurs de projet à passer aussi rapidement que possible devant le comité d'engagement s'est renforcée avec le temps. Car à mesure que les caisses de l'ANRU se vidaient, ses exigences se précisaient et s'affermissaient, portant à la fois sur le contenu du projet urbain, sur ses conditions de mise en œuvre et sur les cofinancements locaux. On comprend dès lors mieux pourquoi les porteurs de projet locaux ont intégré l'ensemble des demandes de modifications formulées par l'ANRU à l'occasion de l'examen en réunion technique partenariale : résister aux demandes formulées pour défendre un projet hétérodoxe en regard de la doctrine de l'Agence pourrait conduire au blocage du dossier dans la file d'attente qui précède l'examen par le comité d'engagement, au risque de ne pouvoir bénéficier que tardivement (et donc modérément) d'une opportunité financière aussi conséquente qu'inédite.

Les acteurs Il convient de garder à l'esprit cette dynamique de mise en place du PNRU, pour comprendre les comportements et les discours des divers acteurs de la rénovation urbaine, qu'on peut regrouper en cinq catégories : les missionnaires, les convertis, les sceptiques, les profanes et les indigènes.

Les missionnaires Commençons par les porteurs nationaux de la rénovation urbaine. L'enthousiasme, la force de leur conviction et leur engagement en faveur du PNRU sont impressionnantes, tout comme l'est la virulence de leurs réactions aux rares critiques formulées. On laissera ici de côté les hauts responsables du programme (ministre, équipe de direction de l'ANRU, directeurs des institutions réunies au sein de cette agence) pour se concentrer sur les agents de

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l'ANRU, qui aiment à se présenter comme des missionnaires. Au cours de l'année qui a suivi la création de cette administration de mission, leur action a consisté à “prendre leur bâton de pèlerin” pour “aller prêcher la bonne parole” dans toutes les villes de France et ainsi “convertir les maires” à la rénovation urbaine, afin de susciter des projets faisant la preuve du succès de la politique mise en place par Jean-Louis Borloo. Dans cette période de mise en place de l'Agence, leurs pratiques s'apparentaient en réalité plutôt à du catéchisme, consistant à dispenser un enseignement de base en répondant aux questions que se posaient les acteurs locaux. Ce n'est qu'avec la formalisation de la doctrine de l'ANRU qu'ils en sont vraiment devenus les missionnaires, chargés d'en propager la foi et de veiller au respect de la doctrine. Diverses raisons peuvent expliquer leur adhésion sans distance au PNRU : sentiment de participer à une aventure historique renforcé par l'implication d'un ministre charismatique, ivresse de la puissance suscitée par l'ampleur du programme et l'accueil réservé aux représentants de l'ANRU par les élus locaux, mécanismes d'intéressement mis en place par l'Agence pour ses agents… Comment un croyant réagit-il lorsque sa foi est désavouée par les faits ? C'est à cette question que Léon Festinger et son équipe de psychologues sociaux ont cherché à répondre en 1956 dans L'échec d'une prophétie, en infiltrant une secte qui avait prophétisé qu'un déluge allait s'abattre sur l'Amérique. Les Etats-Unis n'ont pas été engloutis sous les eaux à la date prévue, ce qui aurait dû conduire les membres de la secte à renoncer à une croyance ainsi invalidée par les faits. Au contraire, ceux qui s'étaient le plus fortement engagés dans la secte ont amorcé une campagne de prosélytisme, conformément à la théorie de la dissonance cognitive de Festinger. Les réactions des responsables du PNRU aux émeutes de l'automne 2005 suivent très exactement la trame narrative de l'échec d'une prophétie. Dans les semaines qui ont suivi l'embrasement des banlieues, Jean-Louis Borloo et les dirigeants de l'ANRU ont affirmé à de multiples reprises que les sites dans lesquels les opérations de rénovation urbaine étaient en cours avaient été moins touchés que les autres. Cette campagne de prosélytisme a été efficace, aboutissant au vote de crédits supplémentaires pour le programme. Est-il besoin de préciser que le discours suivant lequel la rénovation urbaine protège des émeutes est invalidé par les faits ? Comme l'a montré Hugues Lagrange , l'occurrence des émeutes et la mise en œuvre des opérations de rénovation urbaine sont fortement corrélés. Mais cette étude -corroborée par de nombreux travaux, dont ceux du Conseil national des villes- n'ont eu qu'un impact limité face aux opérations de communication de l'ANRU, visant à valoriser le PNRU et à maintenir la cohésion du groupe constitué de ses acteurs : organisation de forums interrégionaux puis de journées nationales de la rénovation urbaine, publication de multiples journaux et plaquettes, etc.

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Les convertis La catégorie des convertis réunis de nombreux acteurs dont l'adhésion à la doctrine de l'ANRU résulte de leur engagement dans le PNRU plus qu'elle ne l'explique. On y trouve tout d'abord le groupe des fidèles, constitué des acteurs impliqués de longue date dans les politiques d'aménagement et du logement social, pour qui la rénovation urbaine s'apparente à une planche de salut. C'est d'abord le cas des partenaires sociaux impliqués dans la gestion du 1% logement, dispositif dont la pérennité était sérieusement menacée, ou des responsables des DDE qui voyaient se dessiner un Acte II de la décentralisation appelé à les amputer d'une grande partie de leurs personnels, compétences et leviers d'intervention. Le mouvement HLM et les divers professionnels de l'urbanisme n'étaient pas confrontés à des menaces aussi précises et pressantes. Ces fidèles, qui ont joué un rôle central dans la conduite des politiques d'aménagement du siècle dernier, se sont néanmoins rapidement convertis à une politique de rénovation urbaine qui répondait à leurs intérêts. Parmi les convertis figurent ensuite les maires, dont le rôle a été continument exalté par l'ANRU. L'exaltation n'est pas seulement la glorification des mérites d'un individu, c'est aussi un état délirant donnant aux malades une impression de grande puissance. Les deux volets de la définition s'appliquent aux maires dans le PNRU. Il n'est pas utile d'insister sur la glorification des maires, tant les responsables du programme ont insisté sur le rôle central des édiles dans la rénovation urbaine, faisant d'eux les leaders de projets qui relèvent de compétences partagées et dont ils ne sont pas toujours les principaux financeurs. L'exaltation des maires, entendue cette fois dans le sens psychopathologique du terme, est visible à l'occasion des démolitions. Ces opérations spectaculaires donnent lieu à des cérémonies officielles au cours desquels il n'est pas rare de les voir appuyer sur le bouton qui déclenche l'implosion des bâtiments. Les quartiers qui rappelaient constamment aux maires les limites de leur pouvoir deviennent ainsi le théâtre de leur puissance. Peut-on trouver meilleure affirmation symbolique de l'emprise du maire sur son territoire que la scène qui le voit faire tomber une immense tour d'une simple pression du doigt ? En exaltant ainsi les maires, l'ANRU a obtenu leur soutien politique, qui présente l'intérêt de neutraliser la contestation, voire la simple mise en débat du programme national. L'engagement des maires a ensuite été utilisé par l'ANRU pour mobiliser les élus des collectivités de rangs supérieurs. Face aux réticences de ces collectivités locales sollicitées pour cofinancer les projets, l'ANRU a fait monter au créneau les maires, en conditionnant le conventionnement à l'engagement financier des régions et les départements. La pression des maires a été efficace, conduisant à la mobilisation de ressources supplémentaires pour la rénovation urbaine et à la disparition des critiques des présidents de région à l'égard d'une politique dont ils sont devenus partie prenante.


Les sceptiques Il ne faudrait pas croire que tous ces acteurs adhèrent sans distance à la doctrine de l'ANRU. Les sceptiques sont nombreux, tant parmi les élus, les bailleurs sociaux, les responsables des DDE que chez les urbanistes. Mais tels des pratiquants non croyants, ces acteurs préfèrent respecter silencieusement la liturgie, pour prévenir tout risque d'excommunication, c'est-à-dire de mise à l'écart de la communauté des rénovateurs, qui les conduirait à être privés de la manne de l'ANRU. Le risque est particulièrement fort en amont : les porteurs de projet qui ne font pas la preuve de leur adhésion à la doctrine de l'ANRU passent difficilement le cap de la réunion technique partenariale, stagnant dans la file d'attente qui précède le comité d'engagement jusqu'à ce qu'ils apportent les modifications faisant la preuve de leur conversion. Mais le risque se prolonge en aval, au stade de la mise en œuvre. Les revues de projets annuelles permettent à l'ANRU de vérifier la fermeté des engagements locaux, et de menacer les maitres d'ouvrage récalcitrants d'une révision -à la baisse- des engagements. Si des acteurs impliqués dans les opérations de rénovation urbaine manifestent leur scepticisme, ce n'est qu'au cours des entretiens et le plus souvent après avoir pris la précaution d'indiquer que les propos étaient off the records. Cette attitude apparait d'autant plus rationnelle que la rénovation urbaine ne supporte visiblement pas la critique, surtout lorsqu'elle vient de l'intérieur comme les apostats du comité d'évaluation et de suivi de l'ANRU en ont fait l'expérience. Recrutés par Jean-Louis Borloo parmi ses proches, les membres de ce comité ont exprimé des critiques à l'égard de l'ANRU. L'acte d'apostasie a suscité des réactions vigoureuses de l'Agence : le comité d'évaluation a été privé d'accès aux instances et au système informatique de l'ANRU, avant qu'un rapport sénatorial téléguidé ne paraisse, demandant au ministre de “mettre fin aux mauvais procès” faits par ce comité.

Les profanes L'élaboration des projets de rénovation urbaine donne lieu à une intense activité locale, sinon à une large mobilisation. Car cette phase, qui s'étend jusqu'au conventionnement avec l'ANRU, est l'affaire de petits groupes d'acteurs, en relation directe avec le maire. On y trouve pour l'essentiel des membres des équipes de direction des principaux maîtres d'ouvrage des opérations, soit la commune et les organismes HLM, auxquels s'ajoutent la DDE et dans certains cas la communauté d'agglomération, l'agence d'urbanisme du territoire et/ou un établissement public d'aménagement. Pour bâtir le projet, le décliner dans un programme, établir le plan de financement correspondant et finir par formaliser le dossier de candidature, les maîtres d'ouvrage s'appuient sur un directeur de projet (en charge du GPV ou de l'ORU) et/ou des prestataires extérieurs spécialisés (urbanistesconseil, programmistes), véritables chevilles ouvrières du processus. Le périmètre des acteurs impliqués dans l'élaboration des projets, qui se limite aux seuls experts de l'aménagement urbain et de l'habitat, dessine en creux un univers profane, composé des

spécialistes d'autres politiques sectorielles ou des procédures transversales, qui sont tenus à l'écart de cette phase initiale. On y trouve tout d'abord les chefs de projet des contrats de ville et les membres de leurs équipes de maîtrise d'œuvre urbaine et sociale, en charge de l'animation des divers dispositifs contractuels de la politique de la ville. S'y ajoutent la quasi-totalité des professionnels qui participaient à ces dispositifs contractuels. Ce n'est qu'une fois les conventions signées avec l'ANRU, que le périmètre des acteurs impliqués s'élargit au delà des seuls spécialistes de l'aménagement urbain et de l'habitat. Le retour des acteurs traditionnels de la politique de la ville s'opère alors sur le registre de l'instrumentalisation : chargés d'accompagner sur le plan social la mise en œuvre d'un projet urbain, ils restent sans prise sur ce dernier. Au titre des absents figurent aussi les entreprises du secteur privé. Leur absence est moins souvent relevée localement, la participation des acteurs privés aux opérations de la politique de la ville ayant toujours été limitée. Elle n'en mérite pas moins d'être notée, en regard de l'intention affichée par les promoteurs des politiques de renouvellement urbain puis de rénovation urbaine, consistant dans le retour d'investisseurs privés dans des quartiers dont ils sont absents. A la différence d'autres pays, notamment la Grande Bretagne, dont la politique de régénération urbaine fait partie des sources d'inspiration du PNRU, les acteurs privés n'ont eu qu'une place réduite dans la définition des projets locaux de rénovation urbaine. Le PPP (partenariat public-privé) à la mode dans les sphères du management public n'a pas pénétré le PNRU, qui développe avec l'association foncière logement une forme de PPP plus fidèle à la tradition politico-administrative française : le partenariat public-paritaire.

Les indigènes Depuis le rapport fondateur d'Hubert Dubedout (1983) qui proclamait que “rien ne se fera sans la participation active des habitants”, tous les programmes développés par la politique de la ville en direction des quartiers prioritaires ont érigé la participation en objectif et en principe d'action. Le PNRU ne semble pas déroger pas à la règle, l'ANRU insistant sur l'importance de l'association des habitants aux opérations menées pour améliorer leur cadre de vie. Ce discours résiste difficilement à l'analyse empirique. La conception et la conduite des projets de rénovation urbaine ne s'accompagnent jamais de formules relevant de la démocratie participative. Dans la majorité des sites, les habitants ne sont pas même informés du contenu des projets tant que ceux-ci ne sont pas validés par l'ANRU. Ce n'est qu'au stade de la mise en œuvre des opérations que se déploie la concertation, au travers de multiples actions dépassant rarement les registres de la communication et de l'accompagnement social. Tout se passe donc comme si la concertation promue par l'ANRU et développée par les élus locaux et les bailleurs n'avait qu'un objectif : obtenir le consentement des indigènes à une politique qui prétend améliorer leur situation, mais qui a été définie sans eux et qu'ils risqueraient de percevoir -parfois non sans raisons- comme tournée contre eux.

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Le programme national de rénovation urbaine bénéficie du soutien des élus de tous bords et des organisations syndicales représentatives des salariés. La légitimité représentative est donc importante, compensant un déficit participatif reconnu par de nombreux acteurs du PNRU. De fait, rares sont ceux qui considèrent qu'il s'agit là d'un véritable problème : les maux affectant les quartiers sont profonds, les interventions sont lourdes et la faiblesse de la participation des habitants finalement bénigne en regard des bénéfices qu'ils peuvent en attendre. Ce diagnostic singularise la France parmi les pays engagés dans des politiques de renouvellement urbain. Partout ailleurs, des moyens importants sont consacrés pour faire des habitants des quartiers pauvres des acteurs du processus de transformation de leur cadre de vie. Cette mobilisation est d'autant plus valorisée que de nombreux travaux ont montré qu'il s'agissait d'un moyen efficace pour faire d'une opération d'aménagement un levier du développement social. La mise à l'écart des habitants les plus directement concernés par la rénovation urbaine à laquelle on assiste en France n'en est que plus regrettable. Car elle risque de faire du PNRU une occasion ratée, en regard de l'objectif de réduction des inégalités sociales affiché.

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5.3

Débat avec la salle

La présentation du quartier En Gach par les étudiants et l’intervention de Renaud EPSTEIN ont donné lieu à plusieurs réactions dans la salle. Nous en avons réalisé une synthèse, organisée par thèmes.

thème 1

Le PNRU : critiques et défenses > “Il semble qu'en dénonçant

> “Il est tout de même assez éton-

> “Dans d’autres pays, la mise

l'orthodoxie de la politique de rénovation urbaine, on prend le risque de tomber dans l'orthodoxie inverse.

nant de voir qu'une institution en charge d'une politique soit disant marquée par le principe de la transparence (“il faut pouvoir rendre des comptes, il faut pouvoir évaluer, il faut pouvoir discuter”) refuse toute analyse, circonscrit toute critique à l'égard de celle-ci.”

en place de la politique des agences a constitué une amélioration inconstestable ; c’est notamment le cas en Suède. Mais lorsqu'on regarde la mise en place de l'ANRU et de l'ACSÉ, on peut douter de leur efficacité ! ”

Celle qui consisterait à dire qu'en faisant de la rénovation urbaine on abandonne le versant social. Idée largement répandue par les tenants de l'ancienne politique de la ville qui refuse de suivre le chemin actuellement proposé. Or l'effet levier que constitue le projet urbain, est une occasion formidable pour mettre en place l’indispensable dispositif social. Il est fondamental de se positionner à mi-chemin de deux visions assez caricaturales : le tout social ou le tout urbain. Le dispositif ANRU, lorsqu'il est bien mis en œuvre offre cette possibilité. Et ce, même si ce dispositif et son système de gestion restent parfois critiquables, et notamment s'agissant du changement des règles du jeu en cours de projet.”

> “On ne peut réfuter l'idée que le projet urbain représente un formidable levier du développement social. Par contre, il existe un véritable doute sur le fait que cet élan urbain bénéfique ne puisse aboutir au regard des conditions dans lesquelles il est aujourd'hui mis en œuvre. Ce n’est pas l’objectif de cette politique qui est critiquable, mais la façon dont elle est mise en oeuvre.”

> “Quand bien même l'investissement est aujourd'hui privilégié sur le fonctionnement, la LOPVRU et ses moyens d'action a un mérite qu’on ne peut lui soustraire : elle a permis de faire tomber le tabou de la démolition.”

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thème 2

Du besoin d’évaluer... > “ Il est indispensable de pouvoir comparer nos politiques avec celles mises en œuvre dans d'autres pays. Nous avons tout intérêt à nous inspirer des politiques telles qu'elles sont menées ailleurs afin de fortifier les nôtres. Ce n'est pas une question politique, il s'agit, plus pragmatiquement, de mieux mesurer les écarts entre nos souhaits, notre volonté de faire et les difficultés que l'on rencontre sur le terrain.”

thème 2

... à la remise en cause de la mixité > “Plusieurs études soutiennent l'hypothèse que la présence de groupes sociaux différents au sein d’un même espace résidentiel rendrait les liens sociaux plus faibles. Par conséquent la notion de mixité sociale constituerait une fausse piste, voir une entrave au développement des liens sociaux par rapport à une situation plus homogène.”

> “Il existe un excellente recension des travaux conduits sur les effets de la mixité dans les espaces résidentiels sur les liens sociaux, dans un ouvrage intitulé “L'effet quartier” (Ed. La Découverte). Celui-ci s'appuie notamment sur des études, menées depuis trente ans aux Etats-Unis, qui laissent plutôt apparaître que la diversification dans les espaces résidentiels produit des replis, et notamment des tensions en raison de modes de vie trop différents. Toutefois aujourd'hui rien n'est prouvé. Cette question est d'une telle complexité, qu'on ne peut se contenter de dire “cela ne marche pas”. On peut juste débattre de la chaîne d'intention de la politique de rénovation urbaine, discutable en certains points.”

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Quelques mots de conclusion

es différentes interventions de la journée ont permis de lier expérimentations de terrain et réflexions sur les pratiques. Le principe des rencontres du PREDAT est vraiment dans cet échange, qui a pu parfois être vif entre des postures professionnelles d’acteurs engagés sur les terrains et le regard plus distancier et nécessaire des chercheurs sur ces questions. Elles ont pour but, en nous interrogeant sur nos pratiques, de servir concrètement de levier et d’amélioration pour les actions en cours.

L

En remerciant l’ensemble des participants de ce séminaire, nous voulons également rappeler notre engagement à travailler sur le thème fondamental de l’intégration des quartiers en difficulté dans la ville et le territoire, resitués dans le temps long de la transformation urbaine et sociale.

En 2000, l’association des professionnels de l’urbanisme en Midi-Pyrénées et le Pôle Ville de l’université de Toulouse le Mirail avaient déjà engagé une démarche d’analyse et d’observation sur les quartiers intitulée « l’action sur l’espace dans la politique de la ville » . Elle posait, avant l’engagement de l’Etat dans la rénovation urbaine des quartiers, la question des liens entre l’action urbaine et les attendus sociaux. Nous comptons dans les prochaines années revenir sur les sites analysés pour faire le point sur les projets réalisés et l’évolution des questionnements, en bilan du travail engagé.

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Travaux préparatoires et analyses réalisés dans le cadre du Master 2 Pro ”Ville et Habitat, Politiques d’Aménagement” de l’Université Toulouse le Mirail et du séminaire “Stratégies urbaines” à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Toulouse. Ont participé à la rédaction de ce document : Philippe GUITTON/ Renaud EPSTEIN / Fabrice ESCAFFRE / Marie-Christine JAILLET / Philippe PANERAI / Dominique PASTRE (échocité) / Anne PÉRÉ / Les étudiants du Master 2 Pro “Ville et Habitat” (UTM) et les étudiants de l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Toulouse // Directrice de publication : Pascale ROSSARD (APUMP) // Photos : les étudiants et P. GUITTON (quartier Bagatelle) ; les étudiants et l’équipe “Montauban nouvelle vie” (quartiers Est) ; les étudiants et l’équipe du pôle “habitat et politique de la ville” de la Communauté d’Agglomération de Castres-Mazamet (quartier Aillot-Bisséous) ; les étudiants et l’équipe de maîtrise d’oeuvre de l’ORU du Grand Tarbes (quartier Laubadère) ; les étudiants et Tarn Habitat (quartier En Gach) // Conception éditoriale et graphique : échocité (echocite@free.fr)



La rénovation

urbaine en Midi-Pyrénées

Ce numéro fait le compte-rendu du séminaire organisé le 1er juin 2007 par le PREDAT Midi-Pyrénées. Il restitue plus précisément la démarche d’observation 2006-2007 engagée sur les opérations de rénovation urbaine en Midi-Pyrénées. Celle-ci avait pour objectif de mesurer les effets produits à différentes étapes par les projets afin de permettre aux acteurs d’ajuster leurs interventions sur ces territoires. Dans cette nouvelle phase des politiques publiques, le processus d’analyse croise enquêtes-études, menées par les étudiants sur chaque site, et éclairage plus spécifique apporté par des experts-chercheurs ou praticiens sur les enjeux majeurs repérés.

Cahierdes territoires Revue financée par le Ministère de l’Ecologie du Développement et de l’Aménagement durables, le Conseil Régional Midi-Pyrénées Revue publiée par le Pôle régional d’Echanges sur le Développement et l’Aménagement des Territoires en Midi-Pyrénées (PREDAT) L’animation du PREDAT Midi-Pyrénées est assurée par l’association des professionnels de l’urbanisme de Midi-Pyrénées (APUMP)


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