Texte Lechat

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ENTRE SURRÉALISME ET MÉTAPHYSIQUE : L’ŒUVRE DE GHISLAINE LECHAT

Du 30-03 au 24-04-16 l’ESPACE ART GALLERY a le plaisir de vous proposer une exposition intitulée ETERNITY-SERENITY, consacrée à l’œuvre de l’artiste française, Madame GHISLAINE LECHAT. Entre équilibre et déséquilibre discursif, GHISLAINE LECHAT associe symbolique chrétienne, surréalisme et métaphysique à l’intérieur d’une même interprétation plastique. Qu’entendons-nous par « équilibre-déséquilibre » ? Il y a dans le langage de l’artiste un point de non-retour entre rationalité et irrationalité, exprimé de façon savante, en associant plusieurs écritures à l’intérieur d’un même style. L’artiste connaît sa matière ou, plus exactement, l’histoire de cette matière que l’on appelle l’Art. Dans LA CHUTE DE GABRIEL (150 x 150 cm - acrylique),

l’image de la rationalité est exprimée dans le thème de l’échiquier que nous retrouvons, comme un leitmotiv, dans l’ensemble de l’œuvre exposée. À cette image s’ajoute celle du cercle (compris dans un autre cercle). Le cercle englobant est de couleur rouge vif, tandis que le cercle englobé est de couleur noir intense. À y regarder de près, il s’agit en réalité de deux demi-sphères créant la figure du cercle complet dans l’imaginaire du visiteur. Nous nous trouvons face à une vision chaotique où tout périclite : l’échiquier sur lequel est posé l’ange effectue un mouvement incliné comme pour amorcer une descente aux enfers. L’ange, de conception néo-classique, est appuyé sur un globe terrestre en miniature. Il semble être précipité vers l’abîme par une figure surgissant du cercle noir, dont seulement le bras, issu de l’obscurité, mélange sa blancheur à celle du corps de Gabriel. Pour exprimer cette dialectique basée sur « l’équilibre-déséquilibre », l’artiste a installé un jeu de droites et de diagonales à l’intérieur de l’espace. La droite est assurée par la figure, statique, issue du cercle noir (de laquelle on ne voit que le tronc : le reste du corps est laissé à l’imaginaire du visiteur). Tandis que la diagonale prend forme à la fois dans la posture de l’ange ainsi que dans le mouvement de l’échiquier basculant dans le vide. Quelque part, cette allégorie, issue de l’imaginaire de l’artiste, pourrait s’inscrire aisément dans le prolongement de l’iconographie dantesque, car dans l’esprit, nous ne sommes dimensionnellement pas loin de la vision fantastique d’un WILLIAM BLAKE illustrant l’Enfer de la Divine Comédie. Le geste du bras tendu de l’ange, l’expression torturée de son visage ainsi que le traitement de sa chevelure viennent tout droit de l’iconographie romantique tributaire du néo-classicisme : on pense à CANOVA. S’il y a une expression sur le visage de l’ange, il n’y en a aucune sur celui du personnage issu de l’arrière-plan. S’il est « esprit », la seule « matérialité » révélée au visiteur se concrétise dans la présence lumineuse de son bras, dont la main se pose sur la tête de l’ange.


Concernant le décodage symbolique, le cercle noir englobé dans le rouge participe d’un langage complexe. Il représente à la fois le Temps, le trou noir et la Terre. Dans le cas de la chute de l’ange Gabriel, le globe terrestre miniaturisé repose sur l’échiquier, autrement dit, sur le terrain du rationnel. Mais celui-ci périclite dans l’abîme. Il s’agit du traitement personnel d’un thème biblique. Thème extrêmement surprenant, puisque s’il s’agit d’envisager une possible chute, celle de Lucifer sublimant sa beauté face à celle de Dieu, semblerait, a priori, plus adéquate. Mais c’est ici qu’intervient le ressenti de l’artiste. Si dans le récit vétérotestamentaire, Lucifer plonge des Cieux jusqu’à l’abîme, Gabriel, lui, est chassé par l’artiste de cet amalgame symbolique, à la fois Temps, trou noir et Terre, pour disparaître dans le même abîme. Cet ange est déjà plus « homme » que créature céleste par l’expression de sa peur. Observez la façon dont il prend appui de sa main gauche sur le globe terrestre en réduction. Le geste de la main droite signifie non seulement la peur de la chute mais peut-être aussi le refus de sa propre image. Car il y a un rapport symbolique entre la posture de la main droite du refus et celle de la gauche agrippée au globe terrestre, en équilibre entre la déchéance de l’ange humanisé et celle du Monde courant à sa perte. Remarquez également le traitement du bras de la créature qui le pousse. Du noir le plus intense, il passe au blanc le plus diaphane, comme pour signifier tant à l’ange qu’au visiteur que la déchéance devient l’essence même de leur identité commune. Notons la grande beauté virile dans le rendu du corps de l’ange Gabriel : une ligne droite associe le torse (de trois-quarts) à la créature maléfique. Tandis qu’à partir du bassin, les jambes prennent une position oblique. Les pieds posés sur l’échiquier, en déséquilibre, signent la diagonale annonçant la tragédie. LE QUATRIÈME JOUR (150 x 150 cm - acrylique)

participe d’un autre thème d’inspiration biblique traité à partir d’un ressenti personnel. Il s’agit de l’image du Christ méditatif, penché sur le Monde et s’interrogeant sur le futur de celui-ci. Cette œuvre est un mélange de symbolisme et de surréalisme, c'est-à-dire de rationnel et d’irrationnel. Le côté rationnel est représenté par l’image du sol en damier (rappelant l’échiquier) ainsi que par le rôle tenu par l’architecture : six colonnes (trois à droite, trois à gauche) partant des bords de la toile assurent deux lignes droites jusqu’à la limite de l’arrière-plan. Les quatre dernières colonnes portent une coupole en haut de laquelle une petite ouverture inonde de lumière le personnage du Christ.


La coupole est en réalité une stylisation héritée de l’architecture gothique avec une ordonnance ramassée soulignée par de petits arcs traversant la croisée des voûtes. Le côté irrationnel est représenté par l’élément surréaliste symbolisé par la mer dont l’eau déferle jusque vers la moitié de l’espace scénique. L’eau est un symbole de pureté (l’eau baptismale) lequel renoue avec une spiritualité ante chrétienne de conception classique et proche-orientale. N’échappant pas à l’iconographie néoplatonicienne, le Christ (vêtu de blanc – autre symbole de pureté) devient ici un philosophe. Mais il s’agit d’un philosophe qui n’enseigne plus comme dans l’iconographie paléochrétienne. De même que sa personne n’est plus associée à celle du « Pantocrator » de l’Orient chrétien présidant le Jugement Dernier et qui de son air sévère demande des comptes à l’Humanité. Il s’agit d’un Christ méditatif qui, par son questionnement sur la portée de son sacrifice, exercerait son esprit critique. Un jeu savant de perspective introduit deux trouées lumineuses (une à droite, l’autre à gauche), au fond desquelles se dessine une issue, donnant au visiteur le sentiment d’avoir deux tableaux par démultiplication de l’image. Quelle voie choisir ? se demandera le visiteur. Celle de gauche, présentant un escalier ascendant, offre une grande trouée lumineuse. Celle de droite se réduit à une fente de laquelle s’échappe de la lumière. Laquelle choisir pour accéder à la béatitude ? Celle de gauche avec sa grande trouée lumineuse est bien tentante. Quoique, sans vouloir être gidien à outrance, celle de droite est… étroite ! De chaque côté de la composition pendent deux encensoirs, statiques, pour stabiliser l’espace. VÉNUS TEMPTATOR (150 x 150 cm - acrylique)


est une vue de dos de la VÉNUS DE MILO à qui l’artiste a donné un buste dénudé recouvert au niveau du coccyx par une tunique descendant jusqu’aux pieds. Cette Vénus, dont le titre indique qu’il s’agit d’une tentatrice, campée au centre du tableau, est associée à celle de BOTTICELLI (emprisonnée à l’intérieur d’un cadre faisant office de fenêtre, derrière qui se profile un personnage inconnu, stylistiquement fort proche de la figure située derrière l’ange Gabriel). Il s’agit de la confrontation de deux nudités procédant de la même mythologie. Dans cette œuvre très métaphysique, la symbolique des couleurs est primordiale : le blanc est associé à la peau laiteuse des deux Vénus dont la destination psychologique est tout aussi symbolique : celle campée au centre de la toile est statufiée, l’autre, à l’intérieur du tableau, est portraiturée. La tentation procède de la sensualité dégagée par les œuvres. La Vénus inspirée de BOTTICELLI, présentée au bord du tableau-fenêtre, est portraiturée sans son coquillage sur un parterre en forme d’échiquier. Il s’agit d’une vision calme et heureuse de la féminité. La sensualité de la Vénus statufiée est concentrée sur les plis nerveux de sa tunique. Une fois encore, rationalité et irrationalité s’affrontent, si l’on compare les plis fébriles, presque chaotiques, de son vêtement avec ceux extrêmement bien ordonnés de la tunique du Christ du QUATRIÈME JOUR (mentionné plus haut), conçus en forme de « M » (c'est-à-dire dans une géométrie s’appuyant sur l’image philosophique de la raison). L’élément surréaliste s’exprime dans la présence de la mer, sur la gauche de la composition, ainsi que dans la conception de la lumière, conçue dans un chromatisme associant le bleu, le vert et le jaune clairs. La dimension métaphysique résulte de la conception de l’architecture, unissant colonnes antiques sur la gauche de la toile avec, à l’opposé, un mur avec, en hauteur sur quatorze dalles, tout un panel de hiéroglyphes égyptiens accentuant l’élément mystique. La Vénus statufiée, au pinacle de sa sensualité fébrile, évolue sur l’échiquier de la rationalité. Non loin d’elle, au premier plan, le globe miniaturisé, comme pour rappeler son essence terrestre associé à son humaine vulnérabilité. Elle semble se diriger vers une arcade surmontée par un arc en plein cintre donnant sur un fond noir. Est-ce la porte donnant sur le vide ? Est-ce la peur de l’inconnu qui se niche en nous ? Le visiteur donnera sa propre réponse. GHISLAINE LECHAT est une autodidacte. Oui… oui, vous avez bien lu : autodidacte ! Elle peint depuis des années en répondant à l’idée de ce qu’elle perçoit. Dans son œuvre, le temps en suspension est sublimé dans un univers où le symbole se marie aux écritures surréalistes et métaphysiques. Elle affectionne particulièrement l’acrylique et l’huile. Les personnages qu’elle peint appartiennent à une mythologie bien souvent explorée par l’Histoire de l’Art. À titre d’exemple, le personnage ailé, que ce soit l’ange sous la forme de Lucifer ou d’Icare, se brûle au feu de ses propres limites. L’artiste confère au Sacré de nouveaux territoires balisés sur le terrain fertile de sa propre humanité.

François L. Speranza.

Arts

Lettres

Collection "Belles signatures" (© 2016, Robert Paul)


GHISLAINE LECHAT et FRANÇOIS SPERANZA : interview et prise de notes sur le déjà réputé carnet de notes Moleskine du critique d'art dans la tradition des avant-gardes artistiques et littéraires des deux derniers siècles. (30 mars 2016 - Photo Robert Paul)

Photo de l’exposition à l’Espace Art Gallery


LE RÊVE D'APHRODITE (150 x 150 cm - acrylique)

« On retrouve dans cette création certaines constantes qui sont chères à mon travail dans le figuratif : le carrelage-échiquier qui pourrait symboliser l'ordre, la logique, l'eau que la psychanalyse apparente parfois à la sexualité ; le rideau rouge sang qui dévoile le paysage comme sur une scène de théâtre ; la boule, presque suspendue sur la logique (la matière, la Terre) mais qui appartient aussi à un monde imaginaire.

On peut y voir aussi sur le mur de droite un de mes tableaux représentant des Perses, faisant écho à la Vénus de Milo (à l'Antiquité), cette Vénus (Aphrodite) qui est presque humaine puisque ses pieds sont, eux, humains, posés sur... la logique terrestre. » Ghislaine Lechat


RÊVE DE MOINE (150 x 150 cm - acrylique)

« Vision onirique, ludique, d'un moine peut-être ivre (voir le Graal renversé sur le sol). Les murs de son cloître ont disparu, laissant voir le monde réduit aux seuls éléments fluides, intemporels, tels qu'en la Création. Les dalles du carrelage en échiquier, symbole de la mathématique, de la logique terrestre, s'affranchissent de la pesanteur, et le moine jongle avec une boule bleue (la Terre?). Presque en lévitation, il prend appui sur une dalle folle et paraît davantage prêt à s'envoler plutôt qu'à maîtriser la folie qui s'est emparée des éléments.

La construction est des plus classiques mais le thème est plus fantaisiste. N'y a-t-il pas eu un Jérôme Bosch pour y penser avant moi ? » Ghislaine Lechat


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