Bruxelles Culture février 2022

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BRUXELLES CULTURE 5 février 2022 Brussels Diffusion asbl Contact et abonnement gratuit : pressculture4@gmail.com

RENCONTRE : JOSÉ MANGANO


RENCONTRE : JOSÉ MANGANO José Mangano a toujours été stimulé par l’art et il en a fait son moyen d’expression. Comment ne pas se laisser subjuguer par le travail de cet habitant de Forest qui œuvre dans l’intention de déployer des énergies positives en vue de bâtir un monde plus humain. Aujourd’hui, il peint et fabrique des personnages en papier mâché sortis de son imaginaire, sachant pertinemment que le succès ne dépend que du regard des spectateurs qui se pressent pour découvrir ses œuvres lors d’une exposition. Rencontre. José Mangano, qui êtes-vous ? Je suis un artiste, un poète et un graphiste professionnel qui, jour après jour, explore les belles possibilités offertes par la vie. Quel genre de petit garçon étiez-vous ? Le garçon d'autrefois était timide, gentil et obéissait aux règles de vie et du milieu où il vivait. J'étais un grand rêveur, particulièrement épris du silence. De quelle manière s’est déroulée votre jeunesse ? Je suis né et j'ai grandi en Italie, dans la région de Palerme en Sicile. Mon père était commerçant et ma mère femme au foyer, car il s’agissait de la norme autrefois. J'ai deux sœurs plus âgées, dont une qui vit en Belgique et l'autre qui, comme moi, possède une veine artistique, mais qui est restée au pays dans la maison des nos parents. En Sicile, j'ai commencé à travailler jeune, car chez nous on estimait que le travail représentait une sécurité et une excellente initiation à l’existence. Dès sept ans, j'ai donc commencé à boulotter chaque après-midi, car les cours se déroulaient exclusivement le matin de huit heures trente à treize heures trente. Jusqu’à douze ans, cela a été la cordonnerie chez un frère de mon papa et de douze à dix-neuf ans la menuiserie. J’ai complètement arrêté ma scolarité à seize ans, car le cycle complet d'études dans mon village n’allait pas au-delà. A presque dix-neuf ans, j'ai quitté la Sicile pour la Belgique et j’ai rejoint à Braine-L'Alleud un autre frère de mon père, qui possédait un commerce d'animaux et de toilettage pour chiens. J'ai surtout abandonné ma vie en Sicile parce que mon esprit créatif n’y a pas trouvé de terrain fertile pour se développer. Si je mets l'accent sur la raison pour laquelle j’ai laissé les miens et ma terre natale, c'est pour insister sur le fait que je n'étais pas dans la situation d'autres compatriotes, qui ont souffert dans les mines du Borinage. J’ai débarqué ici en août 1977. Le regard que je porte sur cette période est connoté à énormément de travail et à fort peu de temps libre pour exprimer le feu artistique qui brûlait en moi. L’art avait-il une importance à la maison ? L'art n’avait pas de réelle place dans notre foyer, hormis pour ma deuxième sœur qui pratiquait du stylisme par correspondance et mon beau-frère qui fabriquait des objets en bois par découpage. Mais tout cela reste fort éloigné du monde artistique que j'ai découvert en Belgique. A quel âge le besoin d’expression vous a-t-il démangé ? Dès mon arrivée sur le sol belge, l’art a rempli mon quotidien, a secoué mon esprit et a éveillé mon attention. Cela s’est néanmoins approfondi lorsque, vers vingt-deux ans, j’ai rencontré mon ancienne épouse d'origine chilienne. Elle avait étudié les arts à Santiago et avait pratiqué la sculpture dans diverses académies du soir durant sept années Mes premiers pas dans le monde artistique, je les ai pratiqués en soirée : dessin et aquarelle à l’académie d’Ixelles, sculpture sur bois à celle de Saint-Gilles, restauration à Anderlecht et peinture à l'huile dans la commune d’Uccle. Au bout du compte, j'ai abandonné le cursus académique, car il ne m’apportait pas de réponses aux questions que je me posais. Mon besoin de connaissances galopait ailleurs, m’invitait à explorer d’autres chemins. Comme autodidacte, je me suis


mis à fabriquer des marionnettes en bois et en papier mâché, à confectionner des masques avec du carton spécial que les fabricants de chaussures orthopédiques utilisent et à pratiquer la peinture. Vous vous définissez comme étant un parfait autodidacte. Pourriez-vous préciser ce terme ? Un autodidacte est quelqu’un qui s'instruit par lui-même, sans la nécessité d’être coaché par un professeur, et qui s'autorise la déviance et la résistance par rapport aux conformismes sociaux. Il aime l’empirisme et entretient une certaine tolérance à l'incertitude. Son immense atout : être apte à improviser ! On vous a retrouvé clown en 1990. Avant que le clown fasse son apparition dans mon parcours, j’ai fait un peu de théâtre. C'est de façon complètement fortuite que le clown est né. J'étais un ami du grand cinéaste belge Henri Storck et, pour l'anniversaire de sa petite-fille, je lui ai offert une animation de marionnettes. Il en a parlé à plusieurs voisins et le bouche-à-oreille a activé ma réputation. Du coup, on est venu me chercher pour animer d’autres fêtes familiales et je me suis transformé en personnage de mes histoires. Mon nom de clown était Peppé. De la rencontre avec d’autres clowns, l’idée est venue de créer une école de clowns pour enfants. Les matinées de Mandarine sont nées de la sorte. Devenir clown m'a complètement libéré de ma grande timidité et cela a eu des répercussions très intéressantes pour la suite. Pouvez-vous nous parler de cette école de clowns ? Les vrais créateurs de cette école ont été mon ami Christian Bodart et sa femme, qui portait le nom de clown Mandarine. Fondée en 1992 comme asbl, j'en suis devenir le président. L'objectif était de permettre aux enfants de se familiariser dès l'âge de quatre ans aux techniques du cirque : jonglerie, mimes, ... et de constituer un groupe en vue de spectacles. Tout cela dans un esprit familial, car les parents nous entouraient ou nous accompagnaient dans ces aventures. J'ai arrêté cette activité en 1995 pour me consacrer à la peinture. Quant à l’école, elle existe toujours sous l’appellation Cirque Mandarine. Avant de travailler comme graphiste dans un organisme humanitaire, vous avez été imprimeur. Votre rapport avec l’écriture est-il né de cet emploi ? J'ai commencé à travailler chez Oxfam en 1980 comme menuisier pour fabriquer des caisses destinées à envoyer des vêtements dans le tiers-monde. Ensuite, la société de thé Lipton s’est mise à offrir gratuitement des caisses, chose qui convenait parfaitement à l’association. Après avoir été homme à tout faire pendant deux ans, on m'a proposé l’imprimerie. J'ai accepté en ignorant tout de ce métier. Mon collègue m'a expliqué le fonctionnement des machines et je me suis lancé dans le bain. A nouveau en quasi-autodidacte ! En 1985, avec l'arrivée des ordinateurs, je me suis passionné à un point tel que je me suis mis au graphisme. Quant à l’écriture, elle est entrée lentement dans mon existence, même si j’ai toujours rédigé. Dès mon arrivée en Belgique, je me suis mis à coucher des poèmes pour évacuer le mal du pays, garder un lien avec mes racines et me rappeler que les mots sont de merveilleux moteurs de communication. Aujourd’hui, vous êtes particulièrement connu comme peintre. Saisir les pinceaux représente-t-il un engagement lié à certains sacrifices et un don de soi ou est-il simplement un moyen d’expression ou un exutoire à la banalité du quotidien ?


Je ne me considère pas comme peintre, mais comme un artiste multifonctionnel, puisque je reste un touche-à-tout qui n’est jamais rassasié. Pour moi, l’art sert à transmettre un message humanitaire qui porte sur l'Amour et la paix universelle. Selon vous, de quoi un artiste a-t-il le plus besoin ? D'aide financière pour continuer à créer sans avoir à se soucier du lendemain. Certains possèdent cette liberté et tant mieux pour eux, mais beaucoup galèrent entre un travail alimentaire et trop peu d’heures consacrées à l’acte créatif. L'artiste a aussi besoin de reconnaissance, car il exprime avant tout des émotions. Il est souvent fragile face à la société de consommation qui ne pense qu’au rendement et qui détruira demain ce qu’elle a aimé hier. Quelle est l’originalité de vos toiles ? Mon travail artistique est extrêmement diversifié. Je ne possède pas de style propre et je ne souhaite pas me voir affubler d’une étiquette. Mon originalité doit beaucoup à mes années de pratique et à l'expérience dont j'ai su tirer profit d'une manière positive. Mes dessins sont instinctifs. D’où viennent les personnages qui peuplent vos tableaux ? Ils naissent de mon inconscient, mais des influences proches m'ont aidé. Je me souviens que ma fille, lorsqu’elle avait dix ans, dessinait des petits personnages magnifiques et détaillés. Je me les suis appropriés par la suite, d'une manière inconsciente sans doute. D’autre part, mon travail chez Oxfam m’a mis en relation avec ce qui se pratique en Afrique et en Asie. J’absorbe tout, pour le digérer et en restituer une vision personnelle. Y a-t-il certains artistes qui vous inspirent particulièrement ? Le public m'associe parfois à Marc Chagall, Michel Folon et Keih Haring. Il voit également des éléments qui évoquent pour lui l'art africain primitif, l'art mexicain et j'en passe ! Moi, je crois à une influence passive, même si tous les artistes me parlent et m’apprennent quelque chose. A quel instant une œuvre est-elle prête à être exposée ? Avec le temps, on sent lorsqu’elle est achevée, même si j'ai déjà réalisé des retouches bien des années plus tard. Néanmoins, comme on évolue, on a toujours envie de modifier l’une ou l’autre chose, car on y décèle certains petits détails à corriger ou à adapter. Quel regard portez-vous sur Bruxelles ? Bruxelles est une capitale magnifique. Sa force est de rassembler mille talents, tandis que sa faiblesse est de ne pas croire suffisamment en eux, Elle mérite davantage d'espaces d'expression. Il faut ouvrir des ateliers, mettre à disposition des locaux d’exposition et pousser le public à aller à la rencontre de ceux qui pratiquent l’art contemporain. Avec le pouvoir de modifier certaines choses d’un coup de brosse, qu’élimineriez-vous dans le monde et par quoi remplaceriez-vous ce que vous avez fait disparaître ? Il faut impérativement éradiquer l'ignorance et la pauvreté qui représentent des obstacles à la véritable évolution humaine. Je remplacerais donc l'ignorance par davantage de solidarité et la pauvreté par une richesse qui ne soit pas seulement financière, mais sociale. Retrouvez les tableaux de José Mangano à la Maison Commune (Rue Mercelis, 81 à 1050 Bruxelles) du 3 février au 5 mars 2022. Propos recueillis par Daniel Bastié


THÉÂTRE : LES FAUX BRITISH Imaginez sept comédiens amateurs, passionnés de romans noirs anglais, qui décident de monter un thriller anglais en amateurs... Et en français. L’histoire : au 19ème siècle, au cœur de la vieille Angleterre, un superbe manoir, une soirée de fiançailles. Un meurtre est commis. Tous sont suspects, une enquête est ouverte… Mais rien ne va se passer normalement. Très vite tout dérape, plus rien ne tient ensemble, ni les suspects, ni les soupçons, ni le décor, ni les costumes, ni le texte… Plus rien du tout. Tout part en sucette. Et c’est à mourir de rire. La représentation théâtrale est un piège. À un rythme endiablé, nos Faux British, armés d’un flegme légendaire, feront tout pour maintenir le suspens et finir la pièce. Dans quel état ? où est donc passé le corps ? Que fait la police ? Et quand est-ce qu’on mange ? Après une longue tournée, la troupe déjantée des Faux British revient à saint-Josse dans un joyeux désordre pour un divertissement pur jus à voir du 12 janvier au 19 février 2022 au théâtre Le Public. Plus de détails sur le site www.theatrelepublic.be Rue Braemt, 64-70 à 1210 Bruxelles

THÉÂTRE : LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES Pour écrire un conte, il faut un décor : une masure, une forêt bien dense, de la neige ; des personnages dans la masure : un homme et une femme. Il est bûcheron, elle n’a pas d’enfant. Voilà, le décor est planté. Ah non, pas tout à fait, il faut un élément porteur de malheur qui va démarrer le conte. Ici c’est un train à travers la forêt. Un train de marchandises. Un jour, comme par miracle, une petite marchandise va tomber du train… et la pauvre bûcheronne va la ramasser. Mais pour tout cadeau du ciel, il y a un prix à payer, surtout en ces temps où sévissait autour de ce grand bois touffu, la guerre mondiale. Voici une bien poétique façon de raconter l’Histoire. Et de poésie nous avons tant besoin. Jean-Claude Grumberg est un immense conteur ! Il livre ici l’un de ses plus beaux récits, d’une force et d’une densité sans égal, qui laissera une trace durable dans les mémoires. Grumberg à travers l’horreur et la folie meurtrière, la déportation, raconte l’amour d’une mère et d’un père, la force de sauver, la plus précieuse des marchandises. Un spectacle à découvrir du 18 janvier au 26 février 2022 au Théâtre Le Public. Plus de détails sur le site www.theatrelepublic.be Rue Braemt, 64-70 à 1210 Bruxelles


THÉÂTRE : GIRLS AND BOYS « J’ai rencontré mon mari dans la file d’embarquement d’un vol Easyjet et je dois dire que cet homme m’a tout de suite déplu. » Ça s’est passé exactement comme ça : au premier regard, il lui déplaisait, au second, elle était conquise. Il suffit d’une rencontre pour faire basculer une vie et d’un geste pour la faire dérailler complètement. Une femme se fait l’enquêtrice de sa propre vie, égrenant ses réussites professionnelles comme ses souffrances privées, elle se laisse peu à peu rattraper par les instantanés de sa vie de maman… Quand l’ironie s’estompe, le drame se diffuse dans la voix comme de l’encre sur un buvard et l’histoire qui commençait comme un stand-up et s’était poursuivie en thriller, aboutit sans détour possible à la tragédie. Lire moins Girls and boys est une expédition dans les méandres de la mémoire mettant peu à peu à jour comment un quotidien s’écaille, se fissure par petits coups d’éclats et, finalement, explose. Le texte de Dennis Kelly est construit comme un puzzle et ce n’est que petit à petit que se construit l’image, faite ici des travers et méfaits d’une société machiste et capitaliste, où se dépose l’histoire intime d’une femme d’aujourd’hui. Une pièce à découvrir au Théâtre Les martyrs du 4 au 26 février 2022. Voyez tous les détails pratiques sur le site www.theatre-martyrs.be Place des Martyrs, 22 à 1000 Bruxelles

THÉÂTRE : LA DAME DE LA MER Lorsque le passé ressurgit au milieu des démons du quotidien, il remet tout en cause. Ellida a grandi au bord de la mer, là où après avoir longtemps regardé l’horizon, habitée d’un espoir secret, elle rencontre Wangel, un médecin veuf, père de deux adolescentes qui la convainc de l’épouser. Dans son nouvel environnement, la jeune femme ne s’habitue ni au paysage montagneux, ni à l’eau stagnante du fjord, son existence s’assombrit un peu plus lorsqu’elle perd un enfant en bas âge. Alors qu’elle n’est plus que l’ombre d’elle-même, étrangère perdue dans sa famille et dans son quotidien, un bateau apparaît renfermant ses plus secrets espoirs et ses souvenirs les plus intimes. Ce premier volet du triptyque Suite nordique, que Michael Delaunoy a entrepris de porter à la scène réunissant trois œuvres d’Henrik Ibsen, retrace la collision violente d’un présent douloureux et d’un passé idolâtré avec tous les dommages que l’onde de choc laisse derrière elle. Cherchant à établir entre cette fable visionnaire et notre époque la distance la plus juste, le metteur en scène la transpose dans les dernières décennies du vingtième siècle marquées par de nombreux bouleversements dont nous vivons aujourd’hui encore les conséquences pour le meilleur et le pire, avec comme ambition de rendre justice à la vitalité et à l’humour trop souvent occulté du théâtre de l’écrivain norvégien. Une transposition du drame d’Henrik Ibsen, qui donne à un destin déchiré entre passé et présent, la couleur des bouleversements d’aujourd’hui à applaudir au Théâtre des Martyrs du 11 au 26 février 2022. Voyez tous les détails pratiques sur le site www.theatre-martyrs.be Place des Martyrs, 22 à 1000 Bruxelles


ENTRETIEN AVEC JEAN-BAPTISTE DELCOURT A l’occasion de la présentation de la pièce « Girls and boys », le metteur en scène JeanBaptiste Delcourt s’est prêté au jeu de l’interview pour susciter l’envie d’aller découvrir son travail au Théâtre des Martyrs du 4 au 26 février 2022. - Pouvez-vous nous raconter la genèse du spectacle ? - Avec France Bastoen, il y avait cette envie de travailler ensemble depuis un bon moment. Elle m’a appelé et m’a demandé si j’avais déjà lu le texte de Girls and boys, qu’elle venait de découvrir via Philippe Sireuil. Je ne connaissais pas ce texte ? Je me le suis procuré en librairie et l’ai lu d’une traite. Il m’a fait l’effet d’un coup de poing dans le ventre. J’ai rappelé France tout de suite pour lui faire part de mon enthousiasme. Sa démarche était intéressante parce qu’elle partait du désir d’une actrice d’aller vers un metteur en scène. Ce n'est pas forcément le genre de formule dont j’ai l’habitude. Comme la matière fait plus de deux heures, il a fallu opérer une sélection et couper certaines parties. Cela fait partie de l’expérience, Il s’agit d’un sujet de société féministe avec une approche intéressante, car c’est un homme qui rédige. À travers son écriture, il parle beaucoup aux autres hommes. En fait, cette pièce pousse à nous regarder, nous les hommes ! - Lorsqu’on vient voir une pièce de Dennis Kelly, on sait qu’on aura droit à un ancrage très critique dans l’actualité et à un ton très singulier. Ces ingrédients font-ils partie intégrante de Girls and boys ? -La particularité de Girls and boys réside dans le fait qu’il s’agit de l’unique seul en scène de cet auteur britannique. En dehors de cela, on retrouve le ton acerbe, l’humour noir, la violence inattendue, le fait divers, la mise en abîme et le rapport politique qu’on retrouve dans toutes ses autres pièces. On peut même parler de théâtre de la vérité, à la recherche d’une espèce d’honnêteté pour dire des choses qu’on a en tête et qu’on n’ose pas formuler. Le rapport est extrêmement direct, très frontal avec le spectateur. Dennis Kelly se situe dans la veine in-yer-face comme Sarah Kane, à la fois poétique et engagée. Il écrit du théâtre radical, avec beaucoup de mots et où le spectateur est scotché jusqu’à la fin. Cette pièce est du Dennis Kelly pur jus ! - Son travail est fort populaire. Qu’est-ce qui vous plaît chez cet auteur et, en particulier, dans Girls and boys ? - Je pense que le thème de la pièce n’est pas le fait divers, mais plutôt ce qui nous mène à l’atrocité. Le sujet parle du contrôle et toutes les petites noirceurs internes qui, de manière insidieuse, peuvent nous conduire à commettre des choses horribles. Il faut aimer l’autre pour ce qu’il est et ne pas chercher à le régenter ni à le déposséder quand il y a moins de puissance ou qu’elle s’inverse. C’est une lutte très forte contre nos bas-instincts et contre cette envie de garder la maîtrise du jeu. Les hommes vivent avec de vieilles et mauvaises habitudes qu’il faut déconstruire. J’espère que le public sera le plus nombreux et le plus hétéroclite possible pour réfléchir à cette problématique. C’est toujours ce qu’on souhaite au théâtre, qui ne doit pas être fait que pour des gens déjà convaincus ou bien informés. Je pense que Dennis Kelly se lance dans une tentative intéressante pour aller vers des personnes qui ne viendraient pas forcément voir un spectacle. J’ai toujours ce désir de rendre accessibles des matières complexes et


d’œuvrer sur plusieurs niveaux de lecture. Girls and boys parle d’un débat de société très important. Il faut se poser ces questions, il faut regarder la réalité en face si l’on ne veut pas connaître de pires difficultés entre les hommes et les femmes. C’est une chance, en tant que metteur en scène, de pouvoir réfléchir à ces questions en partant de la recherche du sens secret de la matière, de partager tout cela avec les autres et de rencontrer de nouvelles personnes ou d’approfondir des rapports avec ceux avec qui on travaille déjà. - Qu’est-ce qui rend le personnage central attachant ? - Dans l’écriture, l’auteur a essayé de trouver les ressorts qui permettent de nous identifier à ce personnage. Il s’agit d’une femme issue d’un milieu plutôt populaire qui, grâce à son énergie et son caractère, a trouvé les moyens personnels pour accéder à un métier qui lui plaît et dans lequel elle est douée (le milieu du cinéma documentaire). Ça me touche, car c’est une manière d’affirmer que rien ne nous prédestine à quoi que ce soit et qu’il faut croire en ses chances. Cette femme est assez directe, elle nous parle comme si on était des amis et prend en compte notre intelligence et notre compréhension au moins autant que la sienne. C’est écrit comme ça et c’est ce qui nous la rend sympathique, tellement proche. Après une tragédie, comment raconte-ton sa propre histoire pour l’accepter ? Ce problème épineux se met en exergue au cœur de la pièce. -On se situe dans la tête de cette femme et elle fait exister une réalité faite de différentes temporalités. Comment avez-vous pensé la scénographie et les lumières du spectacle ? -C’est en lien avec l’idée de la survie après un traumatisme tel que celui qu’elle a vécu. Je pense qu’on ne s’en remet pas, c’est pourquoi elle se raconte encore et encore cette histoire pour pouvoir l’accepter. Elle le dit dans le texte : « J’essaie de réécrire les souvenirs où il n’est pas là ». Je suis parti de l’idée qu’elle se répète ce récit pour elle-même en convoquant les spectateurs. Il y a deux espaces : celui du récit avec le public et ces scènes avec les enfants, qui sont comme une plongée dans ses souvenirs qu’elle fait exister dans le présent. Ces deux mondes séparés coexistent bel et bien. Tous ces éléments se déclenchent dans la pensée et de manière métaphorique. On avance ici dans l’imaginaire et le spectateur doit pouvoir prendre part pour trouver le sens qui lui est propre. Cet espace est aussi comme une page blanche où elle réécrit tout. Avec mon frère Matthieu Delcourt, qui fait la scénographie et le son du spectacle, nous collaborons depuis des années et il est souvent intervenu sur des travaux que je présentais avant de réaliser la scénographie de mon premier spectacle. C’est une expérience vraiment prenante que celle de travailler en fratrie. On se complète admirablement, on est souvent d’accord sur une série de choses et le fait de collaborer depuis si longtemps permet parfois de dire des choses de manière très honnête, avec une confiance totale. Personnellement, je considère la lumière, la scénographie, le son et même le public comme des acteurs à part entière. Ici, on insiste vraiment sur l’organicité de l’actrice, un peu comme si tout était déclenché par sa pensée. Je suis très sensible à la cohérence des différents éléments du spectacle et je me méfie un peu de l’émotion donnée par la forme et par les gestes de mise en scène, en particulier avec ce spectacle où je dois être attentif à l’émotion pour éviter le pathos et ne pas être impudique. - On le voit bien en répétition, c’est un vrai duo entre actrice et metteur en scène. Comment se passe la collaboration avec France Bastoen ? Quelle est la particularité du travail quand il s’agit de mettre en scène un monologue aussi dense ? - Il s’agit d’une danse à deux. Une valse ou un tango, c’est selon ! Nous avons passé pas mal de temps, juste France et moi, en répétition. Comme la matière était extrêmement dense, on a décidé de réaliser


un travail au long cours, d’aller bien en amont pour qu’elle puisse mémoriser son monologue, car il s’agit d’une matière incroyable à emmagasiner. Cela modifie le type de direction. J’aime préciser toutes les intentions et affirmer que tout est choisi. Avec un texte pareil, même si c’est vrai avec tous les textes !, l’actrice est obligée de partir au combat avec un mélange de maîtrise et de lâcher-prise. Cela questionne nos façons de fonctionner en binôme. - Est-ce que le fait que France Bastoen ait joué dans une autre pièce de Dennis Kelly récemment (L'Abattage rituel de Gorge Mastromas) l’ait aidée à nourrir son jeu de manière significative ? - Puisque c’est elle qui m’a fait découvrir le texte, je n’ai pas choisi de lui faire jouer un Dennis Kelly de plus, après l’avoir vue dans cette pièce. Le plus drôle est qu’elle a également doublé la version française d’une série écrite par ce même auteur. Elle connaît vraiment très bien son travail et les enjeux de ses livres. Après, je pense que chaque nouveau projet théâtral correspond à une sorte de remise à zéro. C’est d’ailleurs cet aspect du métier qui rend chaque chose à la fois excitante et terrifiante pour les artistes, qu’ils soient acteurs, metteurs en scène, scénographes, etc. A chaque fois, on réalise un grand saut dans l’inconnu. C’est dit très joliment dans le texte : « Avant, je restais toujours au bord de la piscine, je trempais à peine les doigts de pied. » Cela résume toute la question du risque qu’on est prêt à prendre dans l’absolu. Qu’est-ce qui nous amène chaque fois vers le méconnu, vers le danger aussi ? J’aime cette notion. C’est une manière de se rencontrer soi-même. Je crois que nous avons toutes et tous nos raisons d’aimer ce texte et elles ne sont pas forcément les mêmes. Propos recueillis par Mélanie Lefebvre

THÉÂTRE : AH ! LES JOLIES COLONIES Nous savons tous aujourd’hui, bien mieux qu’auparavant, ce que peuvent être les privations de libertés, la perte des repères et autres changements d’habitudes. Bouleversements soudains et brutaux que nous n’avons pas choisis mais dont on est bien obligé de subir les conséquences. Avec son nouveau spectacle, Ben Hamidou nous parle, avec l’humour et la tendresse qu’on lui connaît, des tempêtes qui l’avaient brusquement éloigné de ses proches. Il n’avait que sept ans quand il fut éloigné de sa famille ! Envoyé seul loin de Bruxelles, dans une campagne déserte, où boudins, compotes et autres rollmops remplacèrent les délicieux tajines de sa grand-mère. A voir au Théâtre des Riches-Claires du 16 au 26 février 2022. Plus d’informations sur le site www.lesrichesclaires.be Rue des Riches-Claires, 24 à 1000 Bruxelles


THÉÂTRE : PEGGY PICKIT VOIT LA FACE DE DIEU Deux couples d’amis, anciens étudiants de l’école de médecine, se retrouvent après des années. Copains d'avant, que reste-il à partager ? Liz et Frank mènent une vie bourgeoise et cosy dans une grande ville d'Europe. Karen et Martin viennent de rentrer d’Afrique de façon précipitée, après six années passées à y travailler dans un dispensaire. L’herbe étant plus verte dans le pré du voisin, chacun fantasme sur la réussite de l’autre : le modèle de réussite sociale et bourgeoise des uns face à l’engagement humanitaire des autres, ici un tantinet néocolonialiste. Et ce, jusque dans les cadeaux qu’ils se font: Peggy Pickit, poupée de plastique, produit d’une société marchande libérale, et Abeni-Annie, poupée de bois sculptée made in tiers-monde. Des poupées qui interrogent sans détour le rapport Occident-Afrique. Des poupées qui ne sauraient occulter ni l’absence d’enfants, ni les bavardages intempestifs de ceux qui n’ont plus grand-chose à se dire. Schimmelpfennig est dramaturge à la prestigieuse Schaubühne de Berlin. Ses pièces, drôles et corrosives, sont abondamment montées en Allemagne. Avec Peggy Pickit voit la face de Dieu, il nous propose des personnages dans lesquels nous nous retrouvons forcément, et des situations que nous pourrions nous-mêmes avoir vécues. Un spectacle à découvrir au Théâtre de Poche du 8 au 26 février 2022. Plus de détails sur le site www.poche.be Chemin du Gymnase, 1a à 1000 Bruxelles

THÉÂTRE : L’ÉTUDIANTE ET MONSIEUR HENRI Avec la crise du logement, les temps sont durs pour les étudiants et les personnes âgées. Constance, une jeune fille aux études, loue donc une chambre chez l'acariâtre monsieur Henri, un septuagénaire qui supporte mal la solitude et qui pourtant tient à ses manies. Sans le savoir et du haut de ses vingt-et-un printemps, elle bouleverse le quotidien de ce dernier en soulevant un véritable tsunami, tout en créant des liens étroits avec le vieil homme. En allant voir cette pièce, on oublie la morosité ambiante et l’épée de Damoclès nommée Covid qui pèse au-dessus de nos scalps. Le ton est ici à l’optimisme avec quatre comédiens qui illuminent cette historique a priori banale, mais pas tant que ! Margaux Frichet est impressionnante de naturel et de sincérité, jolie comme un cœur et dont le reste de la carrière ne peut être que brillante. Bien entendu, beaucoup ont encore en mémoire le long métrage avec Claude Brasseur et Noémie Schmidt, mais cela importe peu puisqu’il s’agit ici du texte qui a inspiré ce long métrage diffusé voilà six ans et revu à la télévision. Au demeurant, une comédie décapante sur les ingérences familiales, les hérédités lourdes à assumer et la difficulté de concilier les grands rêves d’une vie avec les petits arrangements quotidiens. Une écriture légère, drôle, touchante et originale qui fera rire toutes les générations. A voir du 2 au 27 février 2022 au Théâtre royal des Galeries. Plus de détails sur le site www.trg.be Galerie du Roi 32, 1000 Bruxelles Paul Huet


THÉÂTRE : NOTRE-DAME DE PARIS Le directeur du magnifique théâtre Tristan Bernard à Paris avait décidé de présenter le spectacle de Thierry Debroux, Notre Dame de Paris d’après Victor Hugo, du 7 mars au 30 juin 2020. Ils ont pu jouer trois petits soirs, et puis … l’épidémie de Covid a foudroyé toute la beauté de ce magnifique travail de transmission ! Enfin, voici que le 13 janvier 2022, après une longue errance à travers les aléas du drame sanitaire mondial, le spectacle revient sur les planches du théâtre Royal du Parc à Bruxelles et c’est un véritable triomphe. Musical, visuel et théâtral. Le texte, Notre D(r)ame, publié aux éditions Lansman, est inspiré par la terrible catastrophe de l’incendie de Notre Dame du 16 avril 2019. L’hubris démesuré de l’homme moderne fut incapable d’empêcher la toiture, la charpente et la flèche conçue par Violet Leduc de se transformer en brasier. Restaient seulement le désespoir des pierres, les voix effarées des gargouilles et des chimères de la cathédrale dont Thierry Debroux semble avoir pu surprendre les mystérieuses conversations et les craintes d’une reconstruction hâtive. L’univers imaginaire inventé par l’auteur est magique : les époques conversent ensemble comme si elles étaient au paradis. Le temps est dilué, l’immortalité de l’œuvre de Victor Hugo et de la Cathédrale, se confondent avec une histoire d’amour contemporaine d’une jeune danseuse hip hop en mal d’amour, prête au suicide et qui n’a jamais entendu parler de la Belle Esmeralda. L’œuvre de Victor Hugo bondit sous les yeux de la vivante cathédrale qui trône au centre du plateau : on se gorge d’émotions à chaque tour de la cathédrale sur elle -même, entendez, chaque fois que l’une de ses façades égrène heures et jours différents. Non sans rappeler les façons de Monet, le grand maître des lumières impressionnistes. Ah quelle superbe rosace ! Dans une harmonie à tomber, les comédiens jouent dans la joie, avec une énergie décuplée par les privations subies depuis deux ans. On assiste à une espèce de renaissance sur ce plateau où ils se montrent franchement éblouissants. Les changements de scène se font sans le moindre bruit, ils sont d’une fluidité remarquable et de même pour les passages entre le jeu et le narratif. On se trouve au cœur de l’art vivant. Prenez le mouvement imprimé à la corde qui meut la cathédrale, ne fait-il pas fait penser à des gestes de batelier ? Ne sommes nous pas, à Paris ou à Venise, tous sur une nef des fous ? A moins que l’on soit plus d’humeur à y voir le mythe de Sisyphe. Un art consommé de la concision et de la polysémie anime le créateur. L’œuvre fleuve de Victor Hugo se retrouve exposée en 1h25 sans entracte. Tout y est. Oui, on est gratifié d’un authentique élixir de magie théâtrale. D’un côté, il y a le peuple de pierres séculaires, les chimères de Violet Leduc, avec le dénommé stryge, le « démon pensif », sous l’apparence d’un buste de femme oiseau aux yeux en escarboucles, et de l’autre les antiques gargouilles du Moyen-âge gothique. Ces impressionnantes marionnettes se font la conversation avec les voix des personnages principaux. Didier Colfs papillonne entre le détestable prêtre lubrique Claude Frollo, le Stryge, un rat de la cour des miracles, un juge répugnant, et … un quidam de la foule des manants. C’est un bouleversant Stéphane Fenocchi qui s’empare du personnage monstrueusement attachant de Quasimodo, il fait la gargouille 23, se mue en corbeau maléfique avant de rejoindre lui aussi la foule. Le vaniteux Phoebus, sous les traits de Mickey Bicar, se transforme en gargouille 52 , ramasse les oripeaux de Clopin Trouillefou et fait un innommable avocat de la défense qui ne trouve rien à dire. Enfin, Marc Laurent, le Poète Gringoire en grand échalas égaré dans la cour des miracles se glisse dans la gargouille 37 – allô mademoiselle 36-37, votre prénom c’est bien Juliette – avant de tomber pour la très radieuse, l’incomparable Marie Phan qui a accepté de jouer le rôle stupéfiant d’Esméralda, avec son adorable chèvre, ton sur ton avec ses jupes de bohémienne. L’énergie de ce spectacle est au zénith, vous fait un bien fou et vous raccommode avec toute la tristesse du monde jusqu’au 12 février 2022. Plus de détails sur le site www.theatreduparc.be Rue de la loi, 3 à 1000 Bruxelles Dominique-Hélène Lemaire


THÉÂTRE : DRESSING ROOM Sur la scène du Petit Varia, ponctuée de miroirs qui l’encerclent, d’une penderie de vêtements et d’un mannequin nu, une femme se livre à nous. Un corps filiforme qui fait des pas de funambule pour ne pas glisser dans le vide qui l’attire. C’est sa confession qu’on entend sur une voix de plus en plus fluide, happée par l’indicible. La voix d’une femme qui a dû s’offrir aux hommes tentés par son corps. Au fur et à mesure du spectacle qui dure une heure, la voix de l’actrice se brise, balbutie, se flétrit pour devenir un long murmure qui nous raconte ses souvenirs d’une nuit. Sa participation à un strip-poker où l’on mise un vêtement que l’on porte sur soi à mesure que les cartes s’abattent. Les cartes ici étaient truquées. Lol a dû enlever ses vêtements les uns après les autres pour se livrer à la table de jeu où ils étaient trois. Trois hommes avides de la déshabiller du regard avant de le faire avec leurs cartes. Son copain, son ex à qui elle faisait confiance, l’a exhibée devant les autres, les seins nus et la culotte enlevée. Puis il l’a prise sauvagement, goulûment, pour en faire sa chose partagée avec ses amis. Elle n’a pas eu la force de leur résister. Elle s’est laissé faire : c’était le jeu et elle avait perdu la partie. Elle a payé de son corps avant de s’enfuir dans la rue, toute seule avec sa honte qui lui coulait entre les jambes. La nuit se referme sur cette jeune femme qui erre devant les boutiques de mode, car la mode est son métier : elle est mannequin pour une collection de prêt-à-porter. La femme-objet. Sa copine, ivre ce soirlà dans un canapé à côté des autres, ne l’a pas assez mise en garde : après le soutien-gorge, c’est la petite culotte qui saute avant le grand écart. C’est toujours la même histoire dans les strip-pokers. Mise en scène Ce texte évocateur, qui reste dans le sous-entendu mais en dit long sur la soirée sexy, est celui de François Emmanuel, le frère de Bernard Tirtiaux à qui l’on doit notamment Le Passeur de lumière et Noël en décembre (2016). Neveu aussi d’Henry Bauchau, décédé voici dix ans. François a abandonné son nom pour qu’on ne le confonde pas avec son frère. Romancier lui-même et dramaturge belge, il est l’auteur de La Question humaine, La Passion Savinsen et Les Consolantes. Il a écrit ce drame pour Marie Bos qui interprète Lol, le mannequin filiforme. Elle cherche sa voix et ses souvenirs, seule en scène devant le public qui lui renvoie son image à travers un jeu de miroirs disposés autour de la scène. Ces miroirs sont la part de Guillemette Laurent qui a mis en abyme la pièce de Geneviève Damas, Quand tu es revenu, au Théâtre des Martyrs en 2021. La réalisatrice le fait ici avec le corps décomposé de l’actrice qui se profile, comme son souvenir, de miroir en miroir pour revivre son drame. Entre incarnation, rupture et distanciation, le spectacle fait entendre comment la langue nous trahit, nous déborde et nous arrache à nous-mêmes au fil du récit. Une langue poétique aux images vives. Remarquable prestation de Marie Bos dans le rôle de Lol, forte et fragile. On verra la décomposition de ce corps de femme au Petit Varia jusqu’au 5 février, dans une mise en scène saisissante de vérité. Plus de détails sur le site www.varia.be Rue Gray, 154 à 1050 Bruxelles Michel Lequeux


THÉÂTRE : HAMLET Hamlet, jeune prince de Danemark, beau, riche, amoureux et idéaliste, mène brillamment ses études à Wittenberg en Allemagne quand, un matin, il est rappelé d’urgence à Elseneur. Le roi, son père, son mentor et son modèle, vient de mourir brutalement. Le monde révèle alors son visage le plus sombre au jeune prince, dont les idéaux s’effondrent. Le personnage d'Hamlet constitue, en son sein, la puissance qu'il faut pour insuffler cette élévation. Il est un jeu de miroir, de facettes, de mensonges et de vérité. Il joue de nous comme il joue de lui, car au fond le personnage n'est qu'un acteur. Il ne vise alors que l'instant esthétique, la grandiloquence des sentiments et s'épanche comme il ne le devrait pas. Il met en scène sa vengeance et la misérable fin que vont connaître ses victimes tient de la tragédie sanglante qui emporte tout et chacun. Face au tonnerre qui se lève, les femmes autant que les hommes deviennent totalement impuissants. Tiré du théâtre shakespearien, ce récit dramatique et passionnant mélange la réalité et les rêves et jette la vie dans une bataille qui ne connaîtra ni vainqueurs ni vaincus. Un spectacle théâtral, chorégraphique et musical décoiffant à applaudir au Centre culturel d’Uccle du 8 au 12 février 2022. Plus de détails sur www.ccu.be Rue Rouge, 47 à 1180 Uccle André Metzinger

THÉÂTRE : FRANKENSTEIN Largement adapté au cinéma, puis au théâtre, « Frankenstein », le roman gothique de Mary Shelley, est ancré dans la culture populaire. Plus qu’un récit horrifique, il s’agit d’une œuvre humaniste qui soulève les thèmes de l’innocence, de la solitude, de l’ amour, de l’injustice, des dérives de la science et du progrès. Un matériel prompt à susciter l’esprit créatif de maints adaptateurs et dont s’est emparé Karine Birgé pour mettre en scène Cyril Briant et Marie Delhaye. L’occasion de donner sa propre relecture d’un mythe littéraire et de prouver qu’on peut toujours faire du neuf avec les classiques. L’histoire est connue : Victor Frankenstein est un scientifique, déterminé et empli d’abnégation, qui parvient à raviver un cadavre, forçant l’admiration de certains, éveillant l’horreur des autres. Il en payera ensuite le prix. D’évidence, Frankenstein reste aussi (et surtout) un garçon révolté contre la mort. Cette pièce se veut regard singulier sur le mythe du Nouveau Promothée (sous-titre de l’ouvrage original) avec des passages complexes, imagés chantés, en renfort ou contrepoint, qui tire ne laissera personne indifférent. Une version à découvrir au Centre culturel d’Uccle le 22 février 2022. Plus de détails sur www.ccu.be Rue Rouge, 47 à 1180 Uccle André Metzinger


THÉÂTRE : HENRIETTA LACKS Avec économie, mais vivacité, la scène s’offre à toutes les mues : plateau médiatique, salle d’opération ou scène de music-hall. Par le jeu sobre et vif, l’agilité corporelle, par cette faculté de brosser un portrait en quelques traits suffisants pour que l’émotion advienne, les comédiens introduisent poésie et humour dans le technique et le sordide. Le spectacle nous touche et nous ferait presque oublier que le mépris affiché à l’endroit de Henrietta fait système, participe d’un racisme institutionnalisé et que le citoyen disparait encore souvent derrière la blouse du patient ou la bourse du client. Les cellules HeLa sont dotées d’une propriété jamais observée auparavant – celle de se reproduire et de se multiplier à haut rythme. Elles sont à l’origine du vaccin contre la poliomyélite, d’avancées dans la lutte contre le cancer et le SIDA, de progrès significatifs dans la fécondation in vitro, le clonage et la thérapie génique. Ces cellules, ce sont celles de Henrietta Lacks (bien vite anonymisées sous la dés ignation HeLa). AfroAméricaine, mère de cinq enfants, ouvrière agricole dans une plantation de tabac, Henrietta Lacks, décède en 1951 des suites d’un cancer. Ces cellules lui seront subtilisées avant d’être exploitées par la science sans qu’elle ou ses descendants n’en soient informés. Une pièce à découvrir au Théâtre National Les 18 et 19 février 2022. Plus de détails sur le site www.theatrenational.be Boulevard Emile Jacqmain, 111/115 à 1000 Bruxelles

THÉÂTRE : DE INFINITO UNIVERSO En trois tableaux, De Infinito universo oppose l’intime de l’être humain à la grandeur et au mystère de certaines questions universelles, auxquelles il n’y a pas de réponse. À tour de rôle, un astrophysicien, un berger et l’assistante d’une femme politique sont plongés dans un questionnement qui révèle une même tension théorique et humaine. La pensée est -elle seulement capable d’élaborer des systèmes de compréhension aptes à décrire chaque élément de l’Univers ? Ce spectacle s’inspire notamment des thèses de Yuval Noah Harari, auteur de Sapiens : Une brève histoire de l’humanité, selon lequel « l’histoire a commencé lorsque les hommes ont inventé les divinités et se terminera lorsque les hommes deviendront des divinités ». Cela fait quelques années que Filippo Ferraresi collabore, entre autres, avec Franco Dragone, Roméo Castellucci et Fabrice Murgia, comme assistant à la mise en scène. Après avoir présenté la saison passée, dans le cadre de VOIX.E.S, la création sonore Dans la Caverne, cet artiste italien basé à Bruxelles depuis 2012, revient cette fois -ci avec une première mise en scène d’un spectacle créé en coproduction avec le Piccolo Teatro di Milano.


Un spectacle à découvrir au Théâtre National du 23 au 26 février 2022. Plus de détails sur le site www.theatrenational.be Boulevard Emile Jacqmain, 111/115 à 1000 Bruxelles

CONCERT : I SILENTI Autour du violoniste virtuose et chanteur gitan Tcha Limberger s’entrelacent les voix de la soprano Claron McFadden, de la mezzo-soprano Nicola Wemyss et du chanteur argentin Jonatan Alvarado. Opéra, concert, danse, théâtre, c’est une forme de production c omplètement hybride que présentent le compositeur et saxophoniste Fabrizio Cassol et la metteuse en scène gantoise Lisaboa Houbrechts. Construit à partir des madrigaux de Monteverdi — ces pièces issues d’une tradition polyphonique populaire — le spectacle propose une évocation tournée vers l’amour, la séparation et l’affrontement. En posant son regard sur le génocide des Roms durant la Seconde Guerre mondiale, cet « holocauste oublié », I Silenti parle de ceux que l’on a réduits au silence. Bien que non-voyant, Tcha Limberger, au centre de la performance, livre par sa voix une vision du monde singulière. Il partage son univers avec les musiciens, cantatrices et chanteurs, ainsi que la danseuse indienne Shantala Shivalingappa. De l’extrême fragilité de ce cri jaillit la puissance des émotions et la poésie d’un récit recomposé. Une performance à découvrir au Théâtre National du 22 au 25 février 2022. Plus de détails sur le site www.theatrenational.be Boulevard Emile Jacqmain, 111/115 à 1000 Bruxelles


TOONE : LES TROIS MOUSQUETAIRES Maintes fois adapté au cinéma depuis 1921, « Les trois mousquetaires » reste l’un des romans épiques préférés des scénaristes. Du coup, tout le monde connaît l’histoire de d’Artagnan et de ses frères d’armes Athos, Aramis et Porthos, mousquetaires du roi Louis VIII et ennemis jurés des hommes de main du cardinal Richelieu. Lorsque la reine se trouve dans une délicate posture, ils n’hésitent pas à prendre la mer pour l’Angleterre afin de sauver son honneur. Au hasard de leurs aventures, d’Artagnan s’éprend de la tendre Constance Bonacieux, tandis que Porthos doit affronter son ancienne femme Milady. Avec du bruit et de la fureur, le Théâtre royal de Toone a également décidé d’adapter les pages virevoltantes nées voilà plus d’un siècle et demi pour en tirer un script imprégné du terroir bruxellois, avec des jeux de mots humoristiques, des expressions locales et des anachronismes bon enfant. On le sait, on n’assiste pas à un spectacle de marionnettes folkloriques pour tirer la tête et râler tout au long de la représentation. Nicolas Géal, directeur de l’enseigne et voix de tous les personnages, aime faire rire et cisèle les dialogues de manière à rebondir sur un mot, à jouer avec une expression ou pour permettre à Woltje (la mascotte du théâtre et chantre de l’âme bruxelloise) d’entrer en scène, d’exposer son bon sens naturel et d’aider ses nouveaux amis dans leur mission. Les connaisseurs de l’œuvre d’Alexandre Dumas noteront que jamais il n’est question de ferrets de la reine dans l’ouvrage initial. Qu’importe ! Pour montrer que personne n'est dupe, on les a remplacés par un collier. Au fond, des ferrets ou un collier à récupérer chez les Buveurs de thé, les compagnons bretteurs ne se posent même pas la question et se lancent épée pointée vers l’ennemi. Les représentations ont lieu tout ce mois de février. Voyez les informations complémentaires sur le site www.toone.be Rue du Marché-aux-Herbes, 66 (Impasse Sainte Pétronille) à 1000 Bruxelles

HUMOUR : KILL FICTION Welcome dans cette comédie qui parodie le cinéma de genre américain en le tournant en dérision. Kill Fiction met en scène six personnages attachants (évidemment, sinon ce ne serait pas du cinéma américain), qui évoluent dans un huis-clos tendu inspiré de Reservoir Dogs de Quentin Tarantino. Personnages qui vont, dans un rythme effréné, enquêter pour débusquer la taupe qui s’est parmi eux infiltrée. L’urgence et la violence des évènements révèlent la véritable nature de ces gangsters : peureux, rêveur, amoureux, fidèle, sensible ou mignon. Amateurs ou conspueurs de films dont le spectateur est harcelé de punchlines et de jets d’hémoglobine, Kill Fiction va vous baffer. Un duo déjanté à applaudir sur la scène du Théâtre de la Toison d’Or du 17 février au 19 mars 2022 pour passer un excellent moment de rire, seul ou accompagné. Une gifle à la morosité ambiante. Plus d’informations sur le site www.ttotheatre.com Galerie de la Toison d’Or, 396-398 à 1050 Bruxelles


DANSE : TOUMAI Entre danse et performance, entre humour, tragédie et poésie, Thierry Smits esquisse en plusieurs tableaux les visions d’une humanité qui se chercherait et se perdrait dans un monde de post-effondrement bioclimatique. Les corps déboussolés, les imaginaires mis à mal, les pulsions de violence, les fureurs productivistes, les fièvres consuméristes, les oublis des combats écoféministes… : le tableau est sombre et laisse peu de place à l’espérance, mais elle est là cependant, qui ne demande qu’à être activée. Les corps traversés de désirs et animés par l’espoir de vie cherchent les moyens de résoudre les questions de transition ou d’adaptation auxquelles ils sont soumis. Les sons industriels viennent se percuter aux voix qui scandent depuis des années, leurs convictions, leurs luttes, leurs oppositions. Elles sont les rappels des fondements essentiels de la vie et de ce qui nous relie. Everything is interconnected, martèle l’une d’elles. Porté par une distribution cosmopolite et articulé autour d’u n container noir, objet symbolique en même temps qu’objet de chorégraphie, « Toumaï » est une exploration plastique, sonore, incarnée et radicale de voies possibles et ouvertes vers un futur qui, entre résilience et catastrophe, reste à écrire. « Toumaï » signifie « Espoir de vie » dans la langue gorane parlée au Sahara central. Ce mot fait référence aux enfants qui naissent durant la saison sèche où leur survie est la moins assurée. C’est aussi le surnom donné aux restes fossiles d’un primate retrouvé au Tchad qui serait le chaînon manquant de l’évolution vers le genre humain, le trait d’union symbolique nous reliant aux formes de vie non -humaine sur terre. A voir au Studio Thor du 1er au 26 février 2022. Plus de détails sur le site www.thor.be Rue Saint-Josse, 49 à 1210 Bruxelles

THÉÂTRE : QUI A PEUR Dans leur loge minable, ils se regardent dans la glace et font le point sur leur amour mutuel et professionnel. Le théâtre subventionné et commercial, les sponsors, les sièges à moitié pleins ou vides, les recettes, les frais… Leur carrière est à bout de s ouffle, leurs finances au plus bas, leurs rapports plus que tendus, mais ce soir un jeune acteur et une jeune actrice vont peut-être les sauver de la noyade. Ces deux-là sont « d’origine étrangère », et s’ils les engagent pour jouer les deux rôles secondai res de la pièce en remplacement des autres qui partent en claquant la porte, ils vont pouvoir bénéficier d’une subvention socioculturelle de l’État … Une pièce à voir au Théâtre Varia du 17 février au 5 mars 2022. Plus de détails sur www.varia.be Rue du sceptre, 78 à 1050 Bruxelles


OPÉRA : CARMEN Comment un opéra-comique à la création mouvementée est aujourd’hui devenu un véritable mythe, alimentant l’imaginaire collectif d’images, d’idées préconçues et de mélodies bien précises ? Ici, oubliez la cigarière, la manufacture de tabac, Séville et ses fêtes populaires ! Pour sa troisième production à la Monnaie, Dmitri Tcherniakov propose un spectacle radical, inscrit dans un cadre réaliste, au cœur du mythe – et donc des projections et fantasmes – qui entoure notre héroïne. Au centre du drame, des hommes et des femmes d’aujourd’hui, émotionnellement désabusés, qui s’apprêtent à « jouer » Carmen dans un but thérapeutique. Rapidement, le simple jeu de rôle se transforme en une mécanique incontrôlable dans laquelle un homme, rongé par la passion, ne parvient plus à s’extraire de son personnage. Emmanuel Villaume et José Miguel PérezSierra dirigeront en alternance cette partition à la charge passionnelle immédiate, dont chaque note est au service du drame. Adapté d’une nouvelle de Prosper Mérimée, « Carmen » est l’histoire d’une passion fatale : celle d’une femme qui préfère mourir plutôt que de céder à un homme qu’elle n‘aime plus. Ce dernier, pourtant fiancé à Micaëla, une sage et pure demoiselle, va tomber fou amoureux d’une fille incandescente prénommée Carmen. Pour elle, il va enfreindre les règles et désobéir à ses principes. Il est naturellement impossible de ne pas succomber à la séduction de ce drame de la passion, porté par une héroïne d’une sensualité, d’une intransigeance et d’une provocation sans équivalent dans le répertoire lyrique. Un opéra sublimé aussi par des airs irrésistibles, qui sont tous entrés dans la mémoire collective (même celle des plus réfractaires à l’Opéra) : La Garde montante, les Remparts de Séville, l’amour est un oiseau rebelle, la fleur que tu m’avais jetée, etc… Presque tous sont des tubes qui se transmettent, avec la même allégresse, de générations en générations depuis un siècle et demi. Et dire que, lors de sa première en mars 1975 à l’Opéra de Paris, Georges Bizet a essuyé des critiques cinglantes par rapport à son travail de composition, précipitant selon certains son décès prématuré à trente-six ans ! La Monnaie propose de réécouter cette partition flamboyante, servie par les couplets du duo Henri Meilhac et Ludovic Halévy, jusqu’au 13 février 2022. Voyez tous les détails pratiques sur le site www.lamonnaie.be Place de la Monnaie à 1000 Bruxelles


THÉÂTRE : QUI A TUÉ MON PÈRE Un jeune homme revient chez lui après des années d’absence et retrouve son père complètement détruit par ses années de travail à l’usine. Il s’interroge sur sa relation avec lui, sur les mécanismes sociaux qui ont fait de son enfance une blessure, et réfléchit aux conditions de travail qui détruisent les corps de milliers d’ouvriers. Julien Rombaux met en scène le roman éponyme d’Édouard Louis. A travers des fragments mémoriels, le monologue viscéral d’un fils adressé à son père donne la parole à une classe sociale qui en est souvent privée. Julien Rombaux fait siens les mots d’Édouard Louis et les amène sur scène. Pour en finir avec les sentiments de honte et d’illégitimité́ dont les classes populaires souvent souffrent, méprisées et étouffées chaque jour un peu plus depuis des années. En mettant en critique le contexte financier et culturel actuel ainsi que la violence sociale dans laquelle nous vivons, il formule notre désir d’être enfin entendus, de regarder la vie en face. Qui a tué mon père, c’est une histoire de colère et de résistance, qui place l’amour et l’humain au centre du plateau. Une création avec Philippe Grand’Henry, Adrien Drumel et Camille-Alban Spreng à découvrir au Théâtre de la Vie du 15 au 26 février 2022 au Théâtre de la Vie. Découvrez les modalités pratiques sur le site www.theatredelavie.be Rue Traversière, 45 à 1210 Bruxelles

THÉÂTRE : FAITES L’AMOUR AVEC UN BELGE Il est belge, elle est française. Elle aime le foot, la bière et les sorties, il est popote, shopping et câlins. Ce couple détonnant, à l’encontre des stéréotypes classiques, va nous entraîner dans une valse diablement ébouriffante. Sous forme de saynètes, la plume caustique de Michaël Dufour, et sa complice d’écriture Katia Mele, notre quotidien est revisité par le petit bout de la lorgnette. L’animal de compagnie, la répartition des tâches ménagères, l’influence du job de chacun, l’amour, le sexe, la fidélité, …, se déclinent en saynètes tantôt absurdes, drolatiques ou cruelles. Si les deux auteurs croquent vertement le couple, ses dérives et ses travers dans une belle série de stéréotypes franco-belges, leur caricature est (volontairement ?) à la limite du vraisemblable ou du (grosssier ?) cliché. Sans autre prétention donc que d’amuser, sans prise de tête, tout le charme de Faites l'amour avec un Belge réside dans cette manière délibérée de tout adroitement détourner, irrévérencieusement culbuter ou délicieusement chambouler pour créer ainsi un savoureux humour de contraste. Cette comédie décapante et pétillante permet de découvrir les qualités de jeu de Claire Monin. À tel point que le travail plus physique de mimes ou de contorsions de Michael Dufour en est parfois relégué au second plan devant tant de pétulance et de présence scénique. « Faites l'amour avec un Belge » est un spectacle frondeur à revoir au Centre culturel d’Auderghem jusqu’au 14 février 2022. Voyez toutes les informations pratiques sur le site www.ccauderghem.be Boulevard du Souverain, 183 à 1160 Bruxelles


EXPOSITION : HOW WILL IT END ? C’est la question que pose cette exposition qui se tient à la Villa Empain jusqu’au 6 février 2022. Comment la tragédie finira-telle au Liban ? Comment les artistes en sortiront-ils après avoir subi durant plus de quarante ans une histoire dévastée, meurtrie, éclatée ? Le 4 août 2020, on s’en souvient, des centaines de tonnes de nitrate d’ammonium stockées sans précaution dans le port de Beyrouth causaient, à la suite d’une double explosion, l’une des pires déflagrations de l’histoire mondiale. Le souffle meurtrier a emporté 217 morts, causé plus de 6 500 blessés et délogé 300 000 personnes, laissant une partie de la ville entièrement dévastée. Des quartiers détruits, où se trouvaient hôpitaux, écoles, universités, domiciles, magasins, restaurants, bars. Tout est parti en fumée et en débris suite à une étincelle mortelle. Des artistes témoignent Plus de quarante artistes exposant leurs œuvres, ou ce qui en reste, en sont les porte-parole. Ce n’est pas d’eux qu’ils veulent parler en fait mais de toute une population frappée de plein fouet par la guerre qui dure depuis plus de quarante ans au pays du Cèdre. Ils parlent de la dévastation collective qui s’est abattue sur leur petit pays partagé entre l’Occident et l’Orient, où plus de cinq mille ans d’histoire se sont déroulés. Ils parlent du sort funeste qui les a écartelés entre Israël et la Syrie, les mettant à la merci des convoitises sournoises et des destructions massives, comme celle du port de Beyrouth où l’on suppose l’agissement du Hezbollah. Ce port était l’un des plus grands et des plus actifs de la Méditerranée. Situé à la croisée de trois continents, l’Europe, l’Asie et l’Afrique, il était un important centre commercial reliant les pays arabes au reste du monde. Il n’en reste plus rien. Initiée en 1975 et terminée, du moins sur le papier, en 1989, la guerre civile a marqué le destin désastreux du Liban dans l’histoire récente. L’horreur se poursuit aujourd’hui avec un peuple à l’agonie, une hyperinflation galopante (l’argent a perdu 80 % de sa valeur), des attentats meurtriers à répétition, la corruption et l’incurie politiques, la présence des milices armées sur un territoire fragmenté et l’explosion finale du port de Beyrouth. Ces événements ont constitué un traumatisme profond pour les Libanais, et singulièrement chez les artistes qui en témoignent dans leurs œuvres. « Comment rester ces artistes ? Comment produire encore des œuvres aujourd’hui ? » sont les questions qu’ils se posent et nous posent. La mort nous a traversés, témoigne Joana Hadjithomas, survivante de la déflagration, après avoir sorti avec Khalil Joreige deux tonnes de verre en petits morceaux de son studio où toutes ses œuvres furent anéanties. Tout en morceaux Cette explosion nous plonge dans le souffle dévastateur au cœur de l’exposition. Dans l’abîme qui a suivi l’explosion. Les artistes ont choisi le silence pour en parler, la métaphore pour le figurer, l’absence pour le quantifier. Arsenal de Cynthia Zaven nous accueille en montrant les morceaux d’un piano démonté. L’instrument, privé de sa fonction première et de sa sourdine, représente l’atomisation du mécanisme, la dissection de l’instrument en de multiples fractions : les


joints de connexion sont arrachés, la table d’harmonie disloquée. Chaque pièce devient indépendante, à l’image d’un pays morcelé. Ce morcellement, vous le verrez plus loin, en montant à l’étage de la Fondation Boghossian. Vous le verrez avec ce tapis découpé en lanières, qui rappelle la fondation de Carthage par la reine Sidon mais aussi le spectre du Liban actuel, déchiqueté par ses vautours. Ailleurs encore, vous verrez la déflagration sous la forme d’une aquarelle expressionniste d’Ayman Baalbaki qui exorcise la destruction du port dans un grand rempart montant à l’assaut du ciel sur un paysage dévasté par une bombe atomique. « Nous attendions l’apocalypse et enfin l’apocalypse est venue », écrira Gregory Buchakjian qui a longtemps travaillé sur les habitats abandonnés de Beyrouth. Son Hercule et Omphale en morceaux, d’après Artemisia Gentileschi (2021), est tout ce qui reste du musée Sursock entièrement détruit par la catastrophe. Objets égratignés, mutilés mais aussi souvenirs meurtris sont autant de sources d’inspiration pour les collages de Maria Kassab, qui convoque souvenirs, mauvais rêves et fantômes. La vue floue d’un rocher qui émerge de la mer par Ziad Antar fait chavirer la vision du spectateur. Vous pourrez voir ces œuvres à la Villa Empain. Exposées au premier étage, elles ont été rassemblées par les commissaires Alicia Knock et Louma Salamé, respectivement conservatrice du Centre Pompidou à Paris et directrice de la Fondation Boghossian à Bruxelles, qui les ont sélectionnées pour en faire l’œuvre de l’exposition. Plus d’information sur le site www.boghossianfoundation.be. Villa Empain, av. Franklin Roosevelt, 67 à 1050 Bruxelles jusqu’au 6 février. Michel Lequeux

LE MULTIPLE ET L’IMAGE Toujours à la Villa Empain, du 11 au 13 février, une 3e édition de la Limited Edition Art Fair consacre le multiple et l’image imprimée. Créé en 2020, le Salon invite le public à découvrir des œuvres de natures diverses : impressions offset, lithographies, gravures, sérigraphies, estampes, illustrations, céramiques, photographies, sculptures..., toutes conçues en série limitée. Durant trois jours, éditeurs renommés, galeries internationales et institutions belges exposent leurs œuvres dans les locaux de la Villa Empain. La part belle est faite aux maisons d’éditions spécialisées, telles Anima Ludens, Baryté, Three Star Books ou Taschen. Les trois étages de la Fondation Boghossian font état des lieux de l’édition de l’image imprimée et du multiple aujourd’hui. Une exposition plurielle, innovante et accessible aux visiteurs. Du 11 au 13 février au prix de 7 €. Gratuit pour les enfants et les étudiants de moins de 26 ans. Plus de détails sur le site www.boghossianfoundation.be Avenue Franklin Roosevelt, 67 à 1050 Bruxelles Michel Lequeux


EXPOSITION : NOUVELLE EXPO ! De CoDeCo en CoDeCo, l’agenda d’Espace Art Gallery a été bousculé à maintes reprises, faisant perdre la boussole aux artistes qui se pressent pour y exposer. Sans espérer des cieux plus cléments, Jerry Delfosse, le patron et créateur de l’enseigne, a tenu à rassurer tout le monde : Pas de panique, la coque est solide et la voilure capable de résister aux vents contraires. Pas question non plus d’abandonner le navire (qui par moments s’est transformé en galère !) et de laisser les flots submerger les projets menés à bon port depuis plus de quinze longues années. Situation oblige, une série de précautions ont été mises en place : distanciation sanitaire, masques, gel hydroalcoolique, aération, … tant pour rassurer les exposants que les visiteurs. Puisque nous savons aujourd’hui que nous ne serons pas débarrassés du virus avant plusieurs années, il convient de ne pas se laisser attiédir par la morosité ambiante et de rappeler que, plus que jamais, la culture a son rôle dans la société. Sans elle, les esprits se sclérosent, le débat s’étouffe et les avis ne s’expriment plus. Les citoyens ont besoin de distractions et rien ne vaut une visite dans un musée ou une galerie pour s’oxygéner les méninges, se confronter à la création contemporaine et voir le monde bouger. Ce mois de février devient donc l’opportunité de découvrir les dernières œuvres d’Amaia, Éric Chapeau, Marie-Ève Piel et Claudio Cermaria. Les habitués relèveront que ce dernier, sculpteur venu d’Italie, a déjà exposé ici, livrant des travaux de belle qualité et jouant avec les formes pour atteindre l’épure. Il est donc concevable de parler de cet accrochage et de le détailler en soulignant qu’il s’agit d’un raccourci d’une partie de ce qui se passe dans les ateliers. Réparties sur tout le rez-de-chaussée du bâtiment, elles permettent aussi de revenir sur une série de techniques, connues ou qui le sont moins, et qui, chacune révèle le talent d’un plasticien. Au demeurant, une panoplie de créations essentiellement venues de Belgique et de France, même si un Italien s’est glissé dans le programme. On peut voir là le résultat de presque deux années de pandémie, avec des fermetures répétées des frontières, une valse hésitation de celles et ceux qui se hâtent avant de concrétiser une exposition et le risque (tangible) de voir tout capoter quelques jours avant le vernissage. Donc pas de peintres venus d’horizons lointains ! Seulement, quatre artistes poussés par un besoin d’expression et de tutoiement, jamais en perte de vitesse et dont le travail mérite qu’on s’y intéresse. En cette période à nouveau déprimante, il importe de leur accorder la place qu’ils méritent et de les encourager dans leur discipline respective, tout en sachant que les œuvres présentes à Bruxelles ne sont qu’un échantillon de leur production, même si elles reflètent leur tempérament. Un événement à voir à Espace Art Gallery du 3 au 27 février 2022. Vous trouverez tous de détails sur le site www.espaceartgallery.eu Rue de Laeken, 83 à 1000 Bruxelles Daniel Bastié


EXPOSITION : BEFORE TIME BEGAN L’univers aborigène émerveille et intrigue. Aux yeux des non-initiés, il est chargé de mystère. Les premiers habitants d’Australie sont les héritiers depuis 65.000 ans de la plus ancienne culture ininterrompue au monde. Leur culture est vaste et riche sans pour autant s’exprimer par des ouvrages d’architecture, des textes écrits ou des œuvres d’art mobiles. Aujourd’hui comme jadis, le savoir ancestral se transmet oralement et passe de génération en génération au cours de rituels et de cérémonies. Le concept de « Rêve » y tient un rôle essentiel. Le Rêve est une époque mythique au cours de laquelle des êtres ancestraux comme les Tingari, les Sept Sœurs, le Serpent Arc-en-ciel et de nombreux autres ont créé la terre, la faune et la flore, les êtres humains, l’eau, les étoiles... Le mot « Rêves » s’applique à ces esprits mais aussi à leurs voyages et à leurs créations. Ce Temps du Rêve des Aborigènes n’a cependant rien en commun avec la conception du temps des Occidentaux. C’est un temps hors du temps, un temps universel. La Création est à la fois passé, présent et futur. Cette exposition explore le Rêve et la Création, mais aussi la naissance de l’art contemporain. L’exposition est construite autour de plusieurs moments de production artistique : quelques peintures traditionnelles sur écorce des années 1950 (et au-delà) faisant usage de pigments naturels et en provenance de la Terre d’Arnhem ; des travaux des régions désertiques des années 1970 et du mouvement artistique naissant du désert occidental, où les artistes s’essaient à la couleur industrielle sur toile et sur panneau ; mais aussi les productions les plus récentes, parfois monumentales, de divers artistes contemporains, individuelles ou collectives. Deux court-métrages mettent en scène un groupe de femmes et un autre d’hommes, tous artistes et créant des œuvres collaboratives. Tandis qu’ils s’activent, ils racontent des histoires, chantent, rient et dansent. Si ce qui est réservé aux initiés ne se divulgue pas, les œuvres d’art illustrent des récits mythiques ancestraux et témoignent d’une connexion avec, et d’un profond respect pour la terre et la nature. L’exposition présente en point de mire l’installation Kulata Tjuta (Beaucoup de lances), créée par un groupe d’artistes de tous âges issus de certains des centres artistiques des Terres APY (Anangu Pitjantjatjara Yankunytjatjara). Mille cinq cents lances sont agencées pour évoquer un kupi kupi, un tourbillon de poussière en forme d’entonnoir comme ceux qui surviennent dans les régions désertiques. Une lance vise sa cible tandis que la direction prise par un tourbillon est aléatoire. Un kupi kupi parcourt le temps (du passé ancestral à aujourd’hui en passant par la colonisation) et entraîne quantité de débris sur ce chemin tumultueux. C’est une manifestation de l’âme d’un défunt, mais aussi une métaphore de la société actuelle dont l’avenir est incertain. La dernière section de l’exposition présente le travail du photographe et artiste contemporain Michael Cook. Cook s’intéresse à l’idée de « civilisation ». Il expose sa série Civilised, composée de photographies d’Aborigènes d’Australie vêtus de costumes historiques des puissances européennes qui visitèrent l’Australie au début de la colonisation. Un événement à découvrir au Musée Art et Histoire jusqu’au 29 mai 2022. Plus de détails sur le site www.kmkg-mrah.be Parc du Cinquantenaire à 1000 Bruxelles


EXPOSITION : VOIES DE LA MODERNITÉ Un parcours artistique et historique autour du thème du train, à travers des œuvres d’artistes majeurs des XIXe et XXe siècles - tels que Monet, Caillebotte, Spilliaert, Boccioni, Severini, Léger, De Chirico, Mondrian, Servranckx, Caviglioni, Delvaux ou Magritte, voilà à quoi nous convie cette exposition ! A ses débuts, le train est le symbole ultime de la modernité. C’est un outil majeur de la révolution industrielle. Il porte les espoirs de développement et d’enrichissement les plus fous, mais cristallise aussi les angoisses et le rejet du changement. Dès les années 1820, apparaissent les premières lignes de chemin de fer en Grande-Bretagne, nées des besoins de l’exploitation minière. La Belgique est la première à emboîter le pas et en 1835, Léopold Ier inaugure une ligne ferroviaire reliant Bruxelles à Malines. Le train modifie la société en profondeur. Il bouleverse le rapport au temps et à l’espace. Partout il tisse sa toile : au sein des villes, où les gares, ponts de métal ou voies ferrées mordent toujours plus sur le tissu urbain ; mais aussi dans les campagnes où le train fait intrusion, déchirant le paysage. Il devient aussi un outil du tourisme naissant, promu à grand renfort d’affiches et décliné en trois classes, que des dessinateurs, tel Daumier, se régalent à observer. A la fin du XIXe, les impressionnistes s’emparent de sujets modernes, dont celui du chemin de fer. Nuages de vapeur, mouvement des trains, lumières changeantes de la gare et de ses alentours sont autant d’aspects que Monet, Caillebotte, De Nittis ou Ottmann s’efforcent de restituer. A la même époque, les frères Lumière réalisent L’arrivée d’un train en gare de la Ciotat. Cinéma et photographie feront eux aussi la part belle à l’univers ferroviaire. C’est également la société moderne - sa vitesse, sa violence et les sensations qu’elle génère - qui intéresse les futuristes comme Severini, Carrà, Russolo, Baldessari ou Sant’Elia. Boccioni sera quant à lui l’un des premiers à s’intéresser aux aspects psychologiques du voyage. Les surréalistes adoptent le point de vue du voyageur : les aspects psychologiques prennent le pas sur l’attrait de la modernité. Freud et ses recherches sur le train et ses effets sur les passagers nourrissent leur travail. Max Ernst s’intéresse au microcosme du compartiment, Blaise Cendrars associe voyage et processus introspectif. De Chirico, Delvaux ou Magritte génèrent des images de réalités alternatives, peuplées de mouvements immobiles, de trains hors du temps, habitant un monde étrange, voire inquiétant. L’intérêt porté au train par les artistes diminue à partir des années ‘50, mais il revient sur le devant de la scène à une époque qui doit remettre modernité et environnement en adéquation. L’artiste Fiona Tan présentera une installation sur cette thématique. Une exposition à découvrir jusqu’au 13 février 2022 aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique. Plus de détails sur le site www.finearts-museum.be Rue de la Régence, 3 à 1000 Bruxelles


EXPOSITION : WORKS ON PAPER « Works on Paper » propose une incursion dans l’univers foisonnant de Galila Hollander Barzilaï, collectionneuse belge née à Tel Aviv. Depuis quinze ans, cette personnalité hors du commun assemble les œuvres d’art contemporain d ans une collection qui fait le récit de sa propre histoire : en filigrane des œuvres réunies, se manifeste un désir impérieux de réinvention de soi. L’exposition propose une coupe claire dans cet univers pléthorique, en présentant une sélection choisie d’œuvres sur papier. Les visiteurs y découvrent comment des artistes internationaux (Jonathan Callan, Jae Ko, Anish Kapoor, William Klein, Angela Glajcar, Andrea Wolfensberger, Brian Dettmer, Haegue Yang e.a) réinventent ce matériau quotidien, usuel, pour en faire des objets d’art d’une puissance inattendue. Collages, sculptures, inscriptions, installations ou bijoux se côtoient, rappelant la personnalité ex centrique de la collectionneuse, mais proposant aussi une réflexion sur l’art de la diversion. Le travail sur papier s’assimile ici à un royaume du détournement, où chaque œuvre se joue de notre perception autant que de nos jugements. A découvrir au Musée juif de Belgique jusqu’au 13 février 2022. Plus de détails sur le site www.mjb-jmb.org Rue des Minimes, 21 à 1000 Bruxelles

EXPOSITION : BRUSSELS TOUCH Bruxelles, une capitale de la mode ! Mais peut-on vraiment parler de mode bruxelloise comme on parle de mode belge ? Natifs, installés provisoirement pour leurs études ou ayant pignon sur rue, les créateurs s’imprègnent de notre ville singulière pour ouvrir de nouveaux horizons. Cette exposition inédite vous invite à découvrir l’empreinte de Bruxelles sur la mode contemporaine, depuis les années 1980 jusqu’à aujourd’hui. Elle interroge les caractéristiques de s tendances bruxelloise ou plutôt de cet « esprit de Bruxelles » à travers le talent de trente-trois créateurs et créatrices. Un événement à découvrir au Musée de la Mode et Dentelle jusqu’au 15 mai 2022. Découvrez tous les détails pratiques sur le site www.fashionandlacemuseum.brussels Rue de la Violette, 12 à 1000 Bruxelles Sam Mas


EXPOSITION : JARDINS INTÉRIEURS L’intérêt pour les plantes et leur étude sont sans doute aussi anciens que l’humanité. Au début des Temps Modernes sont constitués, en Europe, les premiers jardins botaniques universitaires et privés, véritables prolongements, dans certains cas, des fameux cabinets de curiosités où s’entassaient, dans un ordre méticuleux, les productions les plus étonnantes. Fruits d’un nouveau rapport aux choses, des voyages de découverte ou commerciaux qui scandèrent le développement des empires européens et de leurs réseaux diplomatiques. C’est dans ce même berceau des 16e et 17e siècles que commence à se développer un commerce de plantes exotiques, dont une des expressions les plus folles demeure la spéculation autour des bulbes de tulipes, cause de nombreuses ruines aux Pays-Bas (17e). La possession de plantes rares et chères accroît le prestige des élites sociales et, plus, généralement, d’une bourgeoisie qui se fait sa place au soleil. A Bruxelles, en 1822 se constitue la Société de Flore de Bruxelles dont les principaux animateurs sont, précisément, des aristocrates ou de riches bourgeois, cependant que les horticulteurs locaux n’y bénéficient que d’un statut secondaire. De nombreuses sociétés commerciales accompagnent la naissance de ce type d’associations, où se côtoient, souvent, producteurs et amateurs de plantes. La Société Royale Linnéenne (fondée en 1835) plus démocratique, dans son esprit, en est un bon exemple, comme la Société d’Horticulture et d’Agriculture de Schaerbeek (1878), ou tant d’autres qui rythmeront la vie sociale bruxelloise de leurs expositions et concours, tout au long du 19 e et durant une partie du suivant. Notons qu’alors les élites investissent les alentours de la capitale (les fameux « faubourgs » que resteront longtemps des communes comme Schaerbeek ou Evere, parmi d’autres) pour y fuir le bruit, les odeurs et la saleté de la ville, et y établir des « campagnes », le plus souvent dotées de serres, ne serait-ce que pour cultiver des fruits et des légumes. Dans une situation où, durant quelques décennies l’horticulture devra sa prospérité à une clientèle avide de raretés directement importées des Tropiques, la question du chauffage pèsera lourd. Il faudra charger le poêle durant de longs hivers. A cette dernière, s’ajoute encore la phalange des jardiniers, profession qui, bientôt, se forme dans des écoles d’Etat (1849), véritables symptômes des tocades d’une époque. Les jardins d’hiver deviennent également extrêmement courants dans la seconde moitié du 19e siècle. A y bien réfléchir, jardins et autres structures de fer (ou de bois) et de verre, témoignent d’une forme de bipolarité bourgeoise : positiviste, elle aspire à contrôler, intellectuellement et pratiquement, la nature, mais ne peut s’empêcher de se laisser aller à l’évocation romantique de sa sauvagerie, notamment à travers les récits de voyages. Le 19e siècle est aussi, corrélativement, le temps de l’explosion de l’industrie horticole belge, la belle époque des naturalistes-collecteurs payés par cette dernière, un temps où l’on se dote de manuels d’instruction destinés à guider les observations et la collecte. L’introduction permanente des plantes dans les demeures est révélatrice du rapport que la société industrielle tisse avec la nature. Entretenir des plantes est une activité édifiante et pacificatrice : on cultive chez soi au lieu d’aller au cabaret… Souvent négligée par l’histoire de l’art, elle est pourtant incontournable pour comprendre l’évolution esthétique des intérieurs de cette période. Une exposition à découvrir jusqu’au 6 mars 2022 à la Maison Autrique et ce du mercredi au dimanche de 12 à 18 heures. Plus de détails sur le site www.autrique.be Chaussée de Haecht, 266 à 1030 Bruxelles


EXPOSITION : BLAKE ET MORTIMER - LE SECRET DES ESPADONS En un temps où l’Amérique régnait en maître sur la bande dessinée réaliste avec Flash Gordon, Dick Tracy, Mandrake, le Fantôme, Jungle Jim, Tarzan ou Prince Vaillant, Edgar P. Jacobs a été le premier auteur belge à rivaliser avec la perfection esthétique et la narration des comics. En 1943, l’artiste avait près de quarante ans quand il a créé Le Rayon « U » dans le magazine Bravo !, première bande dessinée de sciencefiction made in Belgium. Impressionné par son talent, Hergé l’a engagé comme collaborateur et a convaincu l’éditeur bruxellois Raymond Leblanc de l’intégrer à la rédaction du futur journal Tintin. Pour le premier numéro, Edgar P. Jacobs a imaginé le scénario d’une histoire contemporaine sur le thème de la Troisième Guerre mondiale : « Le Secret de l’Espadon ». Le succès a été immédiat et fulgurant. La publication de ce récit fondateur des aventures de Blake et Mortimer a tenu les lecteurs en haleine du 26 septembre 1946 au 8 septembre 1949. En soi, « Le Secret de l’Espadon » rompait avec la tradition francobelge des jeunes héros naïfs tournés vers l’action débridée et l’intrigue en 144 planches qui préfigurait le roman graphique moderne. Plus que tout autre, Edgar P. Jacobs travaillait la psychologie des personnages, apportait un soin maniaque à la crédibilité des décors comme à la dramaturgie des couleurs. Publié en deux volumes en 1950 et 1953, « Le Secret de l’Espadon » a été réédité en 1964. Septantecinq ans après sa création, cette exposition-anniversaire plonge dans les coulisses de ce chef-d’œuvre du neuvième Art et dans l’intimité de son créateur visionnaire. Planches, croquis, objets et accessoires personnels d’Edgar P. Jacobs vous attendent. Accompagnés de vos smartphones, suivez les cases en réalité augmentée, donnez vie aux héros, partagez leurs émotions et surtout découvrez un monde extraordinaire qui a fait rêver plusieurs générations. Enfin, cette exposition l’ambition de transmettre au public les clés de compréhension permettant de replacer cette œuvre fondatrice dans son temps, tout en mettant en évidence son étonnante actualité. Un événement à découvrir au Centre belge de la Bédé jusqu’au 16 avril 2022. Plus de détails sur le site www.cbbd.be Rue des sables, 20 à 1000 Bruxelles EXPOSITION : RAOUL SERVAIS Plongez dans l’univers du pionnier belge de l’animation Raoul Servais grâce à ses dessins, des éléments de décor et même des instruments avec lesquels il a créé ses films. Cette exposition met en lumière la personnalité de Raoul Servais, ses procédés artistiques, sa quête de techniques novatrices et aussi, son amour pour les arts, le surréalisme, Paul Delvaux… Vous pourrez également admirer en avant-première les esquisses de son tout nouvel opus réalisé en collaboration avec Rudy Pinceel : Der lange Kerl. Âgé de plus de 90 ans, le bonhomme est considéré comme l’un des précurseurs dans le genre chez nous, un artiste qui a toujours aimé les univers étranges et qui a souvent côtoyé les mondes fantastiques si chers à Thomas Owen et Jean Ray. Né à Ostende en 1928, il n’a suivi aucune école et fait partie de ceux qu’on appelle des autodidactes, soucieux d’apprendre sur le terrain en se fiant à son flair et à ses goûts. On se souvient encore de son court-métrage « Harpya » qui a obtenu une palme à Cannes en 1979, un chefd’œuvre de surréalisme et une récompense méritée ! Un film unique par sa technique, puisque le réalisateur y a employé une technique mixte combinant le papier découpé, la projection frontale et le multiplan. Un procédé guère reproduit, car extrêmement exigeant et laborieux. Une exposition en forme d'hommage à voir absolument et à voir au Musée BelVue jusqu’au 6 mars 2022. Plus de détails sur le site officiel www.belvue.be Place des Palais, 7 à 1000 Bruxelles


EXPOSITION : ORIENT-EXPRESS Mythique, luxueux et belge, voilà l’Orient-Express ! Il a été raconté que lors d'un voyage de plusieurs mois aux Etats-Unis en 1867, l'ingénieur liégeois Georges Nagelmackers a découvert les sleeping-cars ou wagons-lits conçus par l'industriel américain George Pullman. Si ces trains étaient bien plus avancés technologiquement que ceux d’Europe (plutôt inconfortables à l'opposé du luxe américain). Dès lors, il lui est venu l’idée de créer des trains de nuit à destination d'une clientèle aisée et qui s’accommoderait d’un bien-être ostensible. En 1882, il a donc lancé une ligne ferroviaire Paris-Vienne qui a récolté un énorme succès. Pourquoi ne pas poursuivre dans cette voie, puisque l’achat de billets s’envolait ? Relier Constantinople, voilà le pari suivant ! Depuis, ce train est entré dans la légende grâce aux médias, à certains écrivains qui en ont fait le cadre d’action de divers romans et par le truchement du cinéma. Qui a oublié Hercule Poirot à bord du susdit train pour l’une de ses enquêtes les plus célèbres ? Train World accueille une exposition exceptionnelle consacrée à l’épopée de l’Orient-Express ainsi qu’à son créateur. A cette occasion, des wagons sont présentés au public. Cet événement-phare fait également la part belle à des œuvres d’art décoratif et à des documents uniques retraçant cette aventure inscrite dans les annales et la mémoire collective. A cela, le parcours évoque enfin les rêves qu’il a engendrés à travers le regard de plusieurs artistes, des plus connus comme Agatha Christie aux plus ténus, tout en rendant hommage aux artisans d’art qui ont contribué à bâtir sa réputation. Une exposition à découvrir jusqu’au 17 avril 2022 à Train World. Voyez tous les détails pratiques sur le site www.trainworld.be Place Princesse Elisabeth, 5 à 1030 Bruxelles Paul Huet

EXPOSITION : BRUSSELS TOUCH Qu’est-ce que la Brussels Touch ? Un mythe ? Une formule inventée par l’un ou l’autre journaliste avide de formules ? Un titre lâché en haut d’une affiche ? Une réalité ? Voilà une exposition destinée à montrer ce qui se fait en matière de mode dans la capitale, vectrice d’inspiration et carrefour des talents. Natifs, installés provisoirement pour leurs études ou ayant pignon sur rue, les créateurs représentés dans le cadre de cette manifestation s’imprègnent de notre ville singulière et cosmopolite pour ouvrir de nouveaux horizons. Cet événement inédit invite à découvrir l’empreinte de nos quartiers sur la mode contemporaine, depuis les années 1980 jusqu’à nos jours. Il interroge les caractéristiques des collections qui sortent de nos ateliers et cherche à circonscrire cet « esprit de Bruxelles » à travers le talent de trentetrois signatures à découvrir sous forme de parcours libre. En l’occurrence : Annemie Verbeke, Anthony Vaccarello, Beauduin-Masson, Cathy Pill, Cédric Charlier, Chevalier Masson, Christophe Coppens, David Szeto, Delvaux, Elvis Pompilio, Emmanuel Laurent, Éric Beauduin, Ester Manas, Éts Callataÿ, Gioia Seghers, Girls from Omsk, Jean Paul Knott, Jean-Paul Lespagnard, José Enrique Ona Selfa,Julien Dossena, Lætitia Crahay, Léa Peckre, Marine Serre, Mosært, Olivia Hainaut, Olivier Theyskens, Own, Union pour le Vêtement, Sami Tillouche, Sandrina Fasoli, Sofie D’Hoore, Tony Delcampe et Sandrine Rombaux, Xavier Delcour. Cette exposition se déroule au Musée de la Mode et de la Dentelle jusqu’au 15 mai 2022. Plus de détails sur le site www.fashionandlacemuseum.brussels Rue de la Violette, 12 à 1000 Bruxelles Amélie Collard


EXPOSITION : FABRICE SAMYN Empreint d’une éblouissante force poétique, l’art de Fabrice Samyn interroge le réel et bouscule nos repères. Ses œuvres nous invitent à questionner notre rapport au temps, au sacré, au langage et nous entraînent dans une expérience sensorielle intime et spirituelle. Invité par les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Fabrice Samyn crée un dialogue subtil avec de nombreux chefs-d’œuvre du Musée Old Masters et du Musée Magritte. Son œuvre s’infiltre dans les collections, tel un cheval de Troie, et déclenche des résonances et interférences qui viennent bouleverser notre perception. Artiste insaisissable, il maîtrise aussi bien les techniques ancestrales que les plus modernes. À travers ses peintures, sculptures, dessins, photographies, écritures ou performances, l’artiste s’applique à « mettre le visible à l’épreuve ». Un événement à découvrir jusqu’au 13 février 2022 aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique. Plus de détails sur le site www.fine-arts-museum.be Rue de la Régence, 3 à 1000 Bruxelles

EXPOSITION : RACHEL LABASTIE Rachel Labastie présente cet automne un corpus, tantôt inédit, tantôt rétrospectif, d’une trentaine d’œuvres emblématiques de son travail. Son œuvre entière est dualité et nous fait voir au-delà de l’apparence des choses ; concept qu’elle approfondira dans la réalisation d’une pièce créée « en résidence » au sein des Musées royaux, en dialogue avec un tableau de la collection permanente. L’œuvre est imaginée comme le « hors-champ » de « La mort de Marat », Jacques-Louis Davis (1793) et sera dévoilée à l’ouverture de l’exposition. Son art s’exprime dans une grande diversité de matériaux (marbre, bois noble, caisses de transport, osier, terre, argile, porcelaine et grès), et son travail de création est performatif : elle travaille la matière « au corps », en alliant force et détermination au savoir-faire et à une infinie méticulosité. Manipulant les effets de paradoxes et jouant sur l’ambiguïté des formes, la sculptrice contemporaine Rachel Labastie pose un regard critique sur les modes d’aliénation physique et mentale produits par une société toujours plus encline à contrôler nos corps et nos esprits. La matière, chargée de mémoires personnelles et collectives, occupe une place centrale dans son travail, et participe à la sensualité de son œuvre. Elle interroge les symptômes développés au sein de nos sociétés. Très concrètement, et au-delà de la démarche artistique, elle crée un véritable espace de conscience et questionnent les remèdes possibles, autour de l’œil central du Patio, articulé sur deux étages du Musée. Des créations à découvrir au Musées Royaux des Beaux -Arts de Belgique jusqu’au 13 février 2022. Plus de détails sur le site www.fine-arts-museum.be Rue de la Régence, 3 à 1000 Bruxelles


EXPOSITION : REGARDS SUR L’IMAGERIE CARICATURALE DES JUIFS DANS L’HISTOIRE À travers un aperçu de l’extraordinaire collection rassemblée par Arthur Langerman, Belge d’origine anversoise né en pleine guerre, il donne à voir un aperçu de la folie collective que représente l’antisémitisme visuel, phénomène qui est suivi ici sur différents continents et plusieurs siècles. De l’antijudaïsme païen et religieux à l’antisémitisme social et politique, ce projet didactique présente un regard aussi inédit que saisissant sur la représentation des Juifs, du Moyen Age à nos jours, ainsi que sur les stéréotypes qui leurs sont attachés. La présentation des fac-similés imprimés sur multiplex se décline en tableaux, gravures, statuettes en bois, photographies, archives, posters, cartes postales, ainsi que des objets insolites comme des chopes à bière, cagnottes, plaques émaillées, cendriers ou boîtes d’allumettes. Tout en proposant des images de toutes origines, les concepteurs ont choisi de mettre un focus particulier sur les illustrations « belges : de la prétendue profanation des hosties de Bruxelles (1370) jusqu’aux vignettes textiles confectionnées par certains acteurs du Carnaval d’Alost, la Belgique n’est en effet pas en reste. Les panneaux sont accompagnés d’objets et pièces d’archives issus des collections du Musée Juif de Belgique. Un module vidéographique, dédié au collectionneur Arthur Langerman, propose, enfin, de découvrir son histoire personnelle, procurant un éclairage sur son parcours atypique et sur sa motivation, animée par le devoir de mémoire. Une exposition à voir au Musée Juif de Belgique jusqu’au 31 mars 2022. Plus de détails sur le site www.mjb-jmb.org Rue des Minimes, 21 à 1000 Bruxelles

EXPOSITION : SOL LEWITT Né à Hartford (Connecticut) dans une famille d’immigrants juifs venus de Russie, Solomon (Sol) LeWitt est l’un des pionniers de l’art conceptuel et minimal, réputé notamment pour ses Wall Drawings (dessins muraux). Bien qu’il ne soit pas religieux, menant une vie sécularisée, il entretient tout au long de sa vie des liens discrets mais tenaces avec son héritage juif. Dans les années 1990, il s’engage plus activement au sein de sa communauté à Chester (Connecticut) jusqu’à en concevoir la nouvelle synagogue de la Congrégation réfo rmée Beth Shalom Rodfe Zedek qui sera inaugurée en 2001. Pour Sol LeWitt, la conception d’une synagogue relevait d’un problème de formes géométriques dans un espace qui se conforme aux usages du rituel. À l’appui d’archives, de dessins, de photographies et de témoignages, l’exposition explore la genèse de ce projet majeur, resté jusqu’à aujourd’hui peu connu du grand public. L’exposition aborde également un autre aspect oublié de la carrière de Sol LeWitt : les relations étroites que l’artiste a développées tout au long de sa carrière avec des collectionneurs, des galeristes et des artistes basés en Belgique. Seront présentés, entre autres, le Wall Drawing #138, réalisé pour la première fois à Bruxelles dans la galerie MTL – qui


joua un rôle pionnier dans l’introduction de l’art conceptuel en Belgique -, mais également la collaboration de Sol LeWitt avec l’architecte Charles Vandenhove pour l’aménagement du Centre Hospitalier Universitaire de Liège. Toutes les œuvres montrées dans l’exposition sont issues de collections publiques et privées belges, ainsi que de la Collection LeWitt. Quant à la réalisation des Wall Drawings, directement sur les murs du Musée Juif de Belgique, elle est l’occasion d’une expérience participative exceptionnelle, rassemblant aux cô tés de dessinateurs professionnels de l’atelier LeWitt de jeunes artistes et étudiants en art plastique basés à Bruxelles. Pour chaque dessin mural, des équipes sont constituées autour d’un assistant professionnel qui accompagne et guide les apprentis. Cette initiative pédagogique est une opportunité unique pour ces derniers d’être associés au processus de création d’un des plus grands artistes américains. Un événement à découvrir au Musée juif de Belgique jusqu’au 1 er mai 2022. Plus de détails sur le site www.mjb-jmb.org Rue des Minimes, 21 à 1000 Bruxelles

EXPOSITION : MAISON DE L’HISTOIRE EUROPÉENNE Des mythes et découvertes au chaos et à la cohésion qui ont marqué le XXe siècle, la Maison de l’histoire européenne emmène les visiteurs dans un voyage à travers l’histoire de l’Europe et les met au défi d’envisager son avenir. L’entrée est libre et la visite dure environ 90 minutes. Elle peut être effectuée dans les 24 langues officielles de l’Union européenne. Des ressources et des activités sur mesure sont également disponibles pour les écoles, les familles et les groupes. Une exposition citoyenne à découvrir tous les jours. Les visiteurs individuels et les groupes de moins de dix personnes n’ont pas besoin de réservation préalable pour visiter le musée. Voyez toutes les informations pratiques sur le site www.visiting.europarl.europa.eu Rue Belliard, 135 à 1000 Bruxelles


EXPOSITION : ZOO HUMAIN Au temps des colonies, des hommes, des femmes et des enfants, venus d’Afrique, d’Asie, d’Océanie ou d’Amérique, ont été exhibés en Occident, notamment dans le cadre des expositions universelles, à l’image de l’Exposition internationale de Bruxelles en 1897 et de sa section congolaise organisée à Tervuren. Cette manifestation explore de façon historique et thématique les frontières ténues entre métropole et colonies, colonisateurs et colonisés, science et voyeurisme, exhibition et spectacle, colonialisme et racisme. Elle s’attache à sortir de l’anonymat les populations mises en scène, notamment les Congolais présents en 1897 à Tervuren ou dans les autres expositions belges entre 1880 et 1958, en dévoilant leurs vécus aussi divers qu’oubliés. Autre objectif : questionner le visiteur sur ses propres représentations du monde d’aujourd’hui. Ce parcours inédit, avec plus de cinq cents documents, montre comment ces spectacles, à la fois outils de propagande, objets scientifiques et sources de divertissement, ont façonné le regard de l’Occident. Le visiteur découvrira un large panorama de l’étendue de ce phénomène qui a fasciné plus d’un milliard et demi de visiteurs et a concerné près de trente-cinq mille « figurants » à travers le monde. L’exhibition de l’autre a de tout temps existé. Cette passion pour les prétendus sauvages s’est toutefois accélérée au début du XIXe siècle avec les explorations, le développement des empires coloniaux et l’intérêt scientifique pour les races. Tant en Europe qu’aux États-Unis, de nouvelles formes ont vu le jour, passant d’une curiosité réservée à l’élite à un divertissement populaire, dont le terrible récit de la « Vénus hottentote » reste l’un des moments charnières entre 1810 et 1815. Les exhibitions se sont ainsi durablement succédé, de simples individus à des troupes constituées, de véritables villages à des troupes professionnelles (comme celles de l’imprésario allemand Hagenbeck ou de l’Américain Barnum) qui ont parcouru la planète. La première exposition spécifiquement « coloniale » d’Amsterdam (1883) et celle d’Anvers (1885) ont marqué un tournant qui a vu le phénomène s’amplifier partout sur le vieux continent. L’exotisme qui faisait l’attrait des zoos humains a disparu avec la Seconde Guerre mondiale. Il n’était désormais plus possible d’organiser de telles manifestations au regard des crimes du nazisme, de la présence active des troupes coloniales dans les rangs alliés durant le conflit et des revendications anticoloniales de plus en plus audibles. Un contre-discours à l’égard du modèle civilisateur impérial s’est fait entendre un peu partout. Le racisme explicite, le colonialisme outrancier et les exhibitions humaines n’avaient plus leur place dans la société moderne. En outre, les visiteurs n’y croyaient plus. La dernière exhibition de ce type s’est tenue en 1958 dans le cadre de l’Exposition universelle de Bruxelles. Autre temps, autres mœurs ! Cette exposition est à découvrir jusqu’au 6 mars 2022 au Musée de l’Afrique Centrale. Voyez tous les détails concrets sur le site www.africamuseum.be Leuvensesteenweg 13 à 3080 Tervuren


LES MAGRITTE DU 7e ART La 11e cérémonie des Magritte du Cinéma belge sera inaugurée le 12 février. Elle fait la part belle à deux premiers films de nos jeunes cinéastes qui mènent la danse des nominations. Un renouveau rafraîchissant après deux années pénibles pour le cinéma en général, le cinéma belge en particulier, avec l’arrêt des tournages suite au premier confinement, puis la fermeture à rallonge des salles pendant plus de sept mois d’affilée, de l’hiver au printemps dernier en Belgique. Et l’annulation des Magritte en 2021. C’est du passé à présent devant l’écran du Festival qui s’ouvre sur quatre perles belges des deux dernières années. La catégorie du meilleur scénario met face à face deux films qui s’inscrivent dans des univers forts, des sortes de huis clos : Un monde se passe entièrement dans une école primaire, tandis que Filles de joie pose son regard dans une maison close, à la frontière franco-belge. Les deux autres films abordent chacun la question de la maladie mentale. Les intranquilles traite de la bipolarité sous le prisme du couple, tandis qu’Une vie démente observe le poids de la maladie neurodégénérative d’une mère pour ses enfants. Une vie démente, premier long-métrage d’Anne Sirot et Raphaël Balboni, a recueilli 12 nominations au Jury des Magritte. Une tragi-comédie bourrée d’émotion. On y voit Jo Deseure dans le rôle de Suzanne, une femme âgée atteinte de démence, qui retombe en enfance devant ses enfants. On passe facilement du rire aux larmes dans ce film attachant et burlesque, rythmé par les accords classiques de Vivaldi ou électriques de Nils Frahn. Jo Deseure et Lucie Debay sont toutes deux en lice pour le Magritte de la meilleure actrice. L’autre film largement nominé (avec 10 nominations) est également un premier long-métrage. C’est Un monde de Laura Wandel, jeune cinéaste belge nominée aux Magritte du Cinéma en 2015 pour son courtmétrage Les Corps étrangers. Elle filme ici, à hauteur du regard des enfants, les violences qui changent parfois les cours d’école en lieux de calvaire. Projeté dans la section « Un certain regard » au Festival de Cannes 2021, le film a été longuement applaudi avant de remporter le Prix Fipresci (prix de la presse internationale). Il est joué avec une intensité stupéfiante par deux jeunes enfants que l’on retrouvera bien sûr dans la catégorie des espoirs : Maya Vanderbeque, la petite sœur, pour le meilleur espoir féminin, et Günter Duret, le grand frère, pour le meilleur espoir masculin. Nous vous avons déjà présenté et commenté les trois titres en lice pour le Magritte du meilleur film : Adoration de Fabrice Du Weltz, Les intranquilles de Joachim Lafosse et Filles de joie de Frédéric Fonteyne et Anne Paulicevich. Titane de Julia Ducournau, produit en Belgique par Frakas Production et Palme d’or au dernier Festival de Cannes, totalise cinq nominations dans la catégorie du meilleur film étranger en coproduction, mais vaut aussi à l’écran pour les nombreux talents belges qui ont participé au succès du film.


Le meilleur acteur Chez les hommes, outre Jean Le Peltier pour Une vie démente, on retrouve Arieh Worthalter en lice pour Serre-moi fort de Mathieu Amalric. Le comédien arrive avec un palmarès solide aux Magritte, puisqu’il a déjà remporté deux prix du meilleur acteur dans un second rôle pour Girl en 2019 et Duelles en 2020. Bouli Lanners, Magritte du meilleur acteur dans C’est ça l’amour, concourt cette année pour Cette musique ne joue pour personne. Jérémie Renier, César du meilleur acteur pour Cloclo (2013), risque lui aussi de se faire une palme pour son rôle dans Slalom. Il est l’Ennemi dans le film de Stephan Streker qui vient de sortir (2020). La 11e cérémonie des Magritte du Cinéma belge se tiendra le 12 février prochain à Bruxelles, assortie des conditions sanitaires du moment. Plus d’informations sur le site officiel des Magritte. Michel Lequeux

LES BRÈVES DU CINÉMA Io sto bene (Je vais bien) sort le 2 février. C’est l’histoire d’une rencontre entre un vieil homme et une jeune femme. Antonio a passé toute sa vie loin de son pays natal, l’Italie. Leo, jeune artiste italienne, croise sa route au Luxembourg où elle tente sa chance. Un jeu de miroirs entre les deux compatriotes va leur offrir une vue plus sereine pour l’avenir. C’est le troisième film de Donato Rotunno, fondateur de la maison de production Tarantula au Luxembourg. Sa société est spécialisée dans les sujets liés à l’immigration et la politique. Avec Renato Carpentieri, venu tard au cinéma, qu’on a vu dans L’Indomptée de Caroline Deruas et dans La Tendresse de Gianni Amelio. Sara Serraiocco interprète Leo. Issue du Centro Sperimentale di Cinematografia de Rome, elle a tenu le rôle principal dans Cloro de Lamberto Sanfelice. Coproduction belgo-luxembourgeoise. Michel Lequeux


CINÉMA : LA MÉTHODE WILLIAMS Biopic de Reinaldo Marcus Green, avec Will Smith, Aunjanue Ellis, Saniyya Sidney, Demi Singleton et John Bernthal. USA 2021, 138 min. Sortie le 2 février 2022. Résumé du film – Un père passionné de tennis est à la recherche d’un entraîneur pour ses deux filles dont il rêve de faire des championnes. Il s’appelle Richard Williams, il est Noir et est le père de Venus et Serena que lui et sa femme ont formées au tennis dès leur plus jeune âge. Il a même tracé leur carrière avant leur naissance. C’est la fameuse « Méthode Williams ». Commentaire – Ce biopic sportif est signé Reinaldo Marcus Green, dont c’est le 3e long-métrage après Good Joe Bell sur l’homophobie aux Etats-Unis. Dans La Méthode Williams, c’est le parcours initiatique des deux sœurs Williams qui est tracé à travers leur père, un mordu du tennis qui a tout prévu. Il a inscrit leur carrière dans un plan de 78 pages écrit avant même qu’elles ne viennent au monde. Tout s’y trouve : la rigueur de leur entraînement commencé à l’âge de quatre ans, l’autodiscipline, la force du caractère, la volonté de démontrer au monde entier qu’elles sont les meilleures joueuses de tennis. Ce programme où tout est écrit constitue la méthode Williams, le sujet du film. Le père est incarné par Will Smith possédé, au sens propre, par le destin de ses deux filles qu’il aide à gravir les marches de la reconnaissance sportive. L’acteur campe un père courage exemplaire dans la petite ville de Compton, en bordure de Los Angeles, face aux gangs de la drogue qui sévissent et lui font payer cher le souci qu’il a de ses deux filles. Il sera souvent passé à tabac. Pour cela, il apprendra à sa famille recomposée à lutter contre le racisme omniprésent et la difficulté pour les Afro-Américains de s’insérer dans la société des Blancs. Richard Williams s’en expliquera plus tard dans Black and White : the Way I see It, un livre écrit en 2014, longtemps après qu’il se sera séparé de sa femme Oracene, mère de trois autres filles. On sent d’ailleurs que le couple ne finira pas la vie ensemble au fil des brouilles qui apparaissent entre eux, dues à l’influence du père sur leurs deux filles. Venus et Serena s’entendent à merveille sur le court où leur père leur a trouvé un entraîneur blanc pour le remplacer et parfaire leur maîtrise de la balle. Nul ne saurait dire, sauf le père bien sûr, qu’elles disputeront bientôt les plus grands matches du tennis et qu’elles s’affronteront entre elles pour être à tour de rôle le numéro 1 mondial des filles sur les tournois du Grand Chelem. Elles ont 13 et 14 ans dans le film et c’est ce moment-là que capte la caméra pour montrer leurs performances sur le terrain. Le jeu agressif de Venus. La caméra s’arrêtera sur la première compétition internationale qui oppose la jeune Venus à Arantxa Sanchez Vicario dans un affrontement spectaculaire, laissant l’Espagnole déstabilisée à l’interruption face à une adolescente de 14 ans qui la mène au jeu. Actuellement en fin de carrière, Venus et Serena Williams détiennent respectivement 23 et 39 titres du Grand Chelem. Elles sont considérées comme les Mozart du tennis, selon l’expression du père Williams. Les deux sœurs sont interprétées dans leurs tournois par deux joueuses de tennis professionnelles qu’on voit à l’écran pour la première fois. Sans doute qu’elles ont été quelque peu rajeunies pour les besoins du film, car elles ont toutes les deux quarante ans comme les sœurs Williams, mais cela ne paraît pas sur leurs visages pris en gros plan dans leur effort physique. Il y a de plus le petit bouton d’acné sur celui de Venus qui qualifie son adolescence. Avis – Un remarquable morceau de bravoure mené par Will Smith dans la peau de Richard Williams, qui pourrait lui valoir l’Oscar du meilleur acteur dramatique. Michel Lequeux


CINÉMA : NOWHERE Drame de Peter Monsaert, avec Koen De Bouw, Noa Tambwe Kebati, Sébastien Dewaele et Sofie Decleir. Belgique 2021, 110 min. En néerlandais sous-titré français. Sortie le 9 février 2022. Résumé du film – André est un ancien camionneur qui travaille en noir dans le bâtiment. Séparé de sa femme et chômeur, il surprend un soir un jeune cambrioleur entré par effraction dans son atelier. Touché par l’histoire de cet ado sans abri, il le prend sous son aile et va l’aider à retrouver une mère qui l’a abandonné. Commentaire – Nowhere comble le vide entre un père qui a perdu sa fille happée par un camion et un jeune SDF abandonné dans les toilettes à sa naissance. Un rapport filial très fort est au centre de ce film flamand réalisé par Peter Monsaert qui signe ici son troisième long-métrage après Offline et Le ciel flamand, un autre drame familial dans une maison close. « Je me disais, déclare le réalisateur, que la famille, c’est la seule chose à quoi on ne puisse pas échapper. Quand on fait un enfant avec quelqu’un, on est lié. On est toujours né quelque part. Etre l’enfant de quelqu’un ou être père, ça reste présent. Pour moi, c’est l’histoire la plus intéressante du monde. » Et pour cause. Le long de la route où l’accident s’est produit, André a érigé une « chapelle » à la mémoire de sa fille. Il vient la fleurir régulièrement et la surveille depuis son ordinateur via une caméra installée tout près. Il est taiseux, confie peu de choses aux autres, ayant les idées tournées vers le passé qu’il rumine en silence, sous une colère rentrée. La colère d’un être en deuil qui n’a pas digéré la disparition de sa fille. Il a quitté sa femme et son métier de camionneur après une violente altercation avec un confrère. André a eu dès lors maille à partir avec la justice. Il ne voudrait pas que cela arrive à son protégé, Thierry, tourné lui vers un avenir incertain qu’il regarde avec appréhension. Avec aussi et surtout, suite à la pression d’André, le désir de retrouver sa mère qui l’a abandonné à sa naissance. Les deux hommes finiront par comprendre qu’ils ont besoin l’un de l’autre pour se réconcilier avec leur passé et voir l’avenir. Malgré leur nom, ils parlent néerlandais (ils vivent en effet près du port d’Anvers) mais s’expriment aussi, par intermittence, en français, notamment à Marseille où les a menés leur recherche. Sur le plan de la réalisation, Nowhere est tourné en plans américains rapides, comme une suite de diapositives qui ne durent que quelques secondes, avec des interstices où l’imagination peut s’insérer pour créer du lien. C’est la touche du réalisateur qui fait appel à l’interprétation du spectateur pour y voir clair sur les plans discontinus du film, dont le puzzle finira par être assemblé. Koen De Bouw, qui a trente-cinq ans de carrière au théâtre, au cinéma et à la télévision, interprète André avec un caractère bien trempé. Il vient de jouer un rôle dans L’homme qui a vendu sa peau, en lice pour les Magritte du cinéma flamand. Face à lui, Noa Tambwe Kabati, jeune acteur belge qu’on a vu récemment dans Welp, joue un jeune révolté face à la société. Il a 20 ans et c’est son second film. Nowhere est une production belge de Lunanime, où se sont associés le Ministère de la Culture flamande et la Fédération Wallonie-Bruxelles pour démontrer que le film belge a un énorme avenir devant lui. Avis – Un drame social poignant sur un père en deuil et un fils orphelin, que le hasard rapproche pour combler le vide. Très bien joué par les deux protagonistes. Michel Lequeux


CINÉMA : THE 355 Film d’action de Simon Kinberg, avec Jessica Chastain, Diane Kruger, Penelope Cruz, Lupita Nyong’o, Fan Bingbing, Sebastian Stan et Edgar Ramirez. USA-Chine 2021, 124 min. Sortie le 5 janvier 2022. Résumé du film − Un logiciel malveillant, pouvant déclencher la 3e guerre mondiale, tombe dans de mauvaises mains. Cinq espionnes, issues de différentes agences internationales, vont mettre de côté leur méfiance réciproque pour se lancer à la poursuite de l’arme fatale. De Paris à Shanghai en passant par le Maroc, pourront-elles sauver le monde d’un clic de souris, ou viennent-elles de signer leur arrêt de mort devant une organisation aux noirs desseins ? Commentaire − Jessica Chastain, qui tient le rôle principal d’une agente de la CIA, est la coproductrice de ce film d’action mettant cinq Bond Girls au service d’une cause commune : le féminisme aux hormones décuplées. Les scènes d’action de 355, chiffre de leur association, se suivent à une vitesse grand V (et parfois se répètent) au fil de cette aventure féministe qui est la copie conforme des films de James Bond et autres Missions impossibles. Car le scénario, partiellement écrit par le réalisateur, fait partie de la cause menée tambour battant par Jessica Chastain qu’on a vue dans des blockbusters hollywoodiens comme Interstellar (2014), Seul sur Mars (2015), Le Chasseur et la Reine des glaces (2016) ou le dernier épisode d’X-Men : Dark Phoenix (2019). C’est d’ailleurs lors du tournage de Dark Phoenix que Jessica a suggéré, ou imposé, au réalisateur Simon Kinberg de consacrer un film d’action joué par des femmes, où les méchants sont tous des hommes. Au diable l’égalité des sexes ! Le mal est mâle et il appartient à nos cinq femmes de l’extirper du monde. On est en plein dans la dichotomie des genres. En plein manichéisme qui illustre le caractère tranché, voire tourmenté, de l’actrice. Elle a lancé en 2016 sa maison de production Freckle Films, dirigée par une équipe exclusivement féminine, qui coproduit 355. C’est tout dire de la part d’une actrice « female ». Elle et ses consœurs ont la quarantaine bien passée mais, comme pour Daniel Craig, l’espion britannique au service de Sa Majesté, nul ne saurait le deviner au vu des coups de feu et des bagarres spectaculaires qu’elles échangent avec leurs adversaires, les hommes. Ceux-ci iront droit au tapis et ne s’en relèveront pas. Chorégraphie des combats en perruques et talons hauts pour la haute voltige. L’actrice a été rejointe dans la distribution par Penelope Cruz, Fan Bingbing (écartée des plateaux chinois à la suite de malversations financières) et Lupita Nyong’o, qui s’est révélée dans le drame Twelve Years a Slave en 2013. Diane Kruger, dont la langue maternelle est effectivement l’allemand qu’elle parle dans le film, a remplacé en juin 2019 Manon Cotillard, initialement prévue pour le script. Enfin, en mai 2019, Sébastian Stan et Edgar Ramirez ont rejoint l’équipe. The 355 a été tourné à Paris, au Maroc et à Londres en juillet 2019. Des scènes ont été refilmées l’année suivante, en juillet 2020, suite à la pandémie. Sortie repoussée d’un an encore à cause de la fermeture des salles de cinéma et soumise enfin à un embargo jusqu’au 4 janvier 2022. Allez savoir pourquoi un tel embargo sur un scénario cousu de fil blanc et sans surprise. Sans doute pour cacher le manque d’idées originales à la veille de la sortie. C’est pourquoi on vous en parle seulement aujourd’hui. Avis − De l’action dans un film féministe à tous crins. Cinq femmes luttent pour mettre les “méchants” mâles au placard. Et bien sûr, elles y parviennent ! Une fois n’est pas coutume. Michel Lequeux


CINÉMA : LINGUI Drame de Mahamat-Saleh Haroun, avec Achouackh Abakar Souleymane, Rihane Khalil Alio, Youssouf Djaoro et Hadjé Fatimé Ngoua. Coproduction Allemagne-Belgique-France-Tchad 2021, 87 min. Sortie le 12 janvier 2022. Résumé du film – Dans les faubourgs de N’Djamena au Tchad, Amina, fille-mère, vit seule avec sa fille de quinze ans. Son monde déjà bien fragile s’écroule le jour où sa fille, enceinte, est renvoyée du lycée. Cette grossesse, l’adolescente n’en veut pas, car elle ne veut pas revivre le sort de sa mère chassée de sa famille. Dans une société où l’avortement est interdit par la religion et la loi, Amina et sa fille se retrouvent seules face à un combat qui semble perdu d’avance. Commentaire – Lingui est le 9e film de Mahamat-Saleh Haroun, premier réalisateur tchadien, auteur de deux romans parus et ministre de la Culture au Tchad durant un an (2017-2018). La culture tchadienne, il l’a connaît bien, mais comme pour le 28e Festival international du film d’amour de Mons qu’il a présidé en 2012 et quitté à la suite d’un différend avec les autres réalisateurs, il préfère se mettre en rupture avec sa société quand les liens sacrés sont rompus. Son film s’intitule d’ailleurs « les liens sacrés », traduction du mot tchadien Lingui pour mettre en évidence les liens d’entraide familiale et amicale qui unissent la mère, la fille, la sœur et la doctoresse dans ce drame poignant. L’avortement et la lutte contre l’excision s’uniront dans le même combat pour l’évolution des mentalités au Tchad. Dans une société où l’IVG est interdit par la loi et la religion, les deux femmes doivent faire front pour réparer l’injustice. Pour affronter le viol subi par la jeune fille sous le couvert du voisinage hypocrite et de l’imam qui dissimule les faits. Car l’arrivée de l’imam qui demande à la mère, chez elle, pourquoi elle ne vient plus à la mosquée, n’est pas étrangère à cette hypocrisie sournoise. C’est au retour de la mosquée que la mère attendra le violeur pour le punir de sa bassesse et lui infliger au gourdin une correction bien méritée. S’en relèvera-t-il ? La tradition, relayée par la religion, semble le vecteur de cette injustice assumée par la collectivité. Les deux femmes, des novices du 7e Art, sont d’une authenticité admirable. La mère, interprétée par Achouackh Abakar Souleymane, est une mère courage exemplaire, qui vit de peu en disséquant de vieux pneus pour en tirer des coupes à fruits qu’elle vend dans la rue. Pour elle, le moindre argent est une aubaine. Le prix qu’on lui demande pour l’avortement illégal est, lui, exorbitant. Sa fille Maria fait tout ce qu’elle peut pour ne pas vivre son sort, mais elle n’a rien pu contre son violeur. Tout cela est sousentendu, passé sous silence dans les yeux apeurés, effrayés de la jeune Rihane Khalil Alio, qui ne veut pas s’en expliquer à sa mère. Elle s’en libérera finalement auprès de la doctoresse. A travers ces deux femmes qui luttent ensemble contre l’ordre établi, et celles qui leur viennent en aide, le réalisateur a voulu rendre hommage aux femmes de sa famille dans l’entourage desquelles il a grandi. Il salue aussi toutes les femmes du Tchad qui luttent pour leur condition de femmes dans une société patriarcale où l’homme a tout à dire. Tourné dans les faubourgs de N’Djamena et dans les paysages ocre qui s’écoulent au fil du fleuve en bordure du lac Tchad, en emportant une tradition bien millénaire. Avis – Un drame social tout à la gloire des femmes du Tchad qui doivent se battre contre la tradition pour faire valoir leur droit à l’existence. Michel Lequeux


NÉ D’AUCUNE FEMME “Un soir avant qu’elle s’en aille, je lui ai demandé si elle pouvait me procurer du papier, de l’encre et une plume pour que je prenne le temps d’écrire tout ce que j’ai vécu. Je ne sais pas pourquoi j’ai eu cette idée. En vrai, ça me travaillait depuis longtemps. Tout ce que je savais, c’était que, si je le faisais pas maintenant, je le ferais jamais…” Besoin irrépressible ou simple exutoire pour la jeune Rose ? Roman sensible et poignant, “Né d’aucune femme” de Franck Bouysse, auteur né en 1965 lauréat de plusieurs prix littéraires, nous relate l’éprouvant parcours de Rose, une adolescente de 14 ans retirée à sa famille sur la volonté de son propre père. Vendue contre une modique bourse, une décision qu’il finira par sérieusement regretter. Venu bénir le corps d’une femme à l’asile, le Père Gabriel y récupère deux cahiers dans lesquels la jeune Rose raconte sa vie, cherchant à briser un terrible secret dont on voulait couvrir son destin. On se laisse porter par l’écriture fluide et l’immense talent de Bouysse à conter les failles et les grandeurs de l’âme humaine. L’originalité de ce roman ? Il nous présente en parallèle les destinées de plusieurs personnages, ne se limitant pas uniquement au seul parcours de son héroïne : nous suivons aussi Onésime, le père de Rose, dans son propre cheminement, Edmond, l’employé et palefrenier au service du château, davantage dans ses pensées que dans ses actes, et la mère de Rose: “Elle aurait voulu s’arrêter de marcher, se tourner vers le frais miroir aux joues rosées par la fraîcheur du matin, lui expliquer les raisons de son choix. Elle n’en fit rien, par peur de trouver dans le regard transparent quelque raison de faire demi-tour, une raison qui n’aurait jamais été suffisante…” Dans cette œuvre narration de dialogues ne forment souvent qu’un seul bloc mais l’on ne s’y perd point, les protagonistes du récit nous entraînant dans leur sillage, qu’ils se tiennent du bon ou du mauvais côté de la barrière. Bienveillance ou perversité, douceur ou violence, courage ou lâcheté, la nature humaine dans toute sa complexité souvent liée aux intentions ou aux motivations les plus secrètes; quant au Père Gabriel, face à la vérité, il ne peut rester de marbre: “Les cahiers ne sont plus en ma possession, je les ai remis à qui de droit, il y a des années. J’ai beau savoir ce qu’ils contiennent, il me faut revenir une dernière fois à l’immonde vérité dont je sens déjà le poison sourdre en moi; comme si je vivais une autre existence que la mienne; comme si j’avais à la revivre indéfiniment…” Un curé habité par cette illusion de pouvoir donner le temps à de nouveaux mots, ceux qui imprégneront le papier. Publié en livre de Poche en 2020, “Né d’aucune femme” secouera assurément le lecteur. Du romanesque de haut vol ! Ed. Livre de Poche - 333 pages. Thierry-Marie Delaunois

(TRÈS) CHER CINÉMA FRANÇAIS Après des années de félicité, le cinéma français n’est-il plus que l’ombre de ce qu’il a été ? La question mérite certainement d’être posée ! Où se cache la relève des réalisateurs d’hier et d’avant-hier, quelle est la nouvelle génération d’acteurs fédérateurs ? Pourquoi les producteurs exhibent-ils une frilosité bonne à peu de choses ? Eric Neufoff tire à boulets rouges sur le septième art en ne cachant pas son exaspération. Nostalgique des productions des années 60 et 70, il déplore un changement d’habitudes en matière de création. Les films actuels ne font plus rêver, ne poussent pas à la réflexion et la plupart d’entre eux s’engoncent dans une sorte de léthargie lénifiante. Bien sûr, son livre se veut avant tout un pamphlet pour un retour à la qualité et le droit à l’évasion, bien plus qu’un simple coup de gueule. Pour lui, les valeurs cinéphiliques foutent le camp ! Enfoncer le clou n’a d’autre but que de rappeler qu’on peut faire mieux … beaucoup mieux ! Lorsque ce petit livre a eu l’impudence de se voir couronner par le Prix Renaudot catégorie Essai en 2019, plusieurs voix de professionnels se sont élevées pour hurler au scandale. Néanmoins,


dixit l’auteur, au lieu de brailler, ils auraient peut-être mieux fait de regarder beaucoup plus près les titres qui sortent des studios. Toujours selon ses critères, hormis quelques créateurs de talent, la majorité des produits se rétament dans une vacuité abyssale. Le conseil à suivre serait donc celui-ci : si on se trouve en présence d’un navet, on quitte son siège et on se barre. Un réflexe, il me semble, que la majorité des spectateurs adoptent actuellement : ça ne me plaît pas, donc je zappe ! Ed. Le Livre de Poche – 122 pages Daniel Bastié

DÉSHONORÉE Mukhtar Mai, surnommée la grande sœur, a été déshonorée par les hommes de son village, alors que quatre d’entre eux la violaient pour réparer une prétendue faute d’honneur. Son petit frère de 12 ans, déjà sodomisé par les brutes, était accusé d’avoir tenu la main d’une des filles du clan Mastoi et d’avoir couché avec elle. En représailles, Mukhtar, 28 ans, devait payer le prix fort aux Mastoi : le viol collectif consenti par le panchâyat, le tribunal du village chargé de faire appliquer la loi hors procès. Une loi rapide et sans juge pour satisfaire l’appétit des hommes pour la chair fraîche. Mukhtar nous raconte l’horreur qu’elle dut subir dans l’étable, sous les huées du village rassemblé pour assister à l’événement. Elle nous raconte aussi et surtout la suite de cette « vengeance d’honneur » : sa déposition d’illettrée (car elle n’avait pas fait d’étude) auprès de la police corrompue, la façon dont on tenta de la faire taire en trafiquant ses propos, et tout le harcèlement administratif qui s’ensuivit pendant deux ans, pour que les violeurs soient finalement relâchés, faute de preuves, au nom des vieilles lois tribales qui acquittent les hommes et condamnent les femmes du Pendjab occidental. Cela concerne en fait tout le Pakistan, où ce petit livre autobiographique fut écrit avec l’aide d’une amie lettrée. Depuis 2005, date de la publication, Déshonorée a fait le tour du monde, traduit dans 23 langues, et a valu à son autrice une immense notoriété, outre le titre de « femme de l’année » décerné par le magazine américain Glamour. Mukhtar Mai a fondé deux écoles pour filles dans son village natal de Meerwala afin que la condition des femmes soit davantage respectée au Pakistan. Un documentaire lui a été consacré en 2008. Un petit livre de 150 pages qui illustrent un crime de société commis au nom de la tradition tribale. On en sort révolté par ce patriarcat ancestral qui règne et se couvre au nom de l’Islam. Se couvre abusivement, car le viol est interdit dans le Coran et dans toute société digne de ce nom. Ed. J’ai lu - 152 pages Michel Lequeux


EMMANUELLE ARSAN : UN PRÉNOM DAVANTAGE QU’UN VISAGE Octobre 2020, les éditions Lamiroy lançaient le mensuel littéraire l’Article. Le principe est simple : tous les mois un auteur écrit sur un autre auteur. Seule contrainte : le texte doit contenir 5000 mots. Seize mois plus tard, de Stephan King à Henri Vernes en passant par Victor Hugo, Marguerite Duras, Arno, Jim Morrison et bien d’autres, la collection s’est imposée par sa grande diversité dans le paysage littéraire. Rencontre avec Daniel Bastié qui vient de publier l’Article #16 Emmanuelle Arsan : un prénom davantage qu’un visage. Qu'est-ce qui vous a donné envie de rejoindre la collection l’Article des éditions Lamiroy ? Maxime Lamiroy fait partie des éditeurs bruxellois que Bruxelles Culture suit depuis plusieurs années et avec lequel j'ai été à plusieurs reprises en contact. Thierry-Marie Delaunois et Alain Magerotte ont écrit pour lui et m'ont fait savoir qu'il cherchait éventuellement des rédacteurs pour L'ARTICLE. Je lui ai suggéré plusieurs noms : Maurice Leblanc, quelques compositeurs de musiques pour le cinéma, des acteurs ... Pourquoi avoir choisi d'écrire sur Emmanuelle Arsan ? J’étais occupé à rédiger quelque chose sur Pierre Bachelet (compositeur d'une 20aine de scores -dont le fameux Emmanuelle- et disparu il y a une quinzaine d'années), le nom d'Emmanuelle Arsan a surgi. Je me suis donc mis au boulot après l'accord de M. Lamiroy. Un ami m'a prêté les romans et les DVD. Auparavant, je n'avais jamais rien lu d'elle ni vu les films qui avaient été tirés de son œuvre. Mon texte "Emmanuelle" est neutre dans la mesure où je ne porte aucun jugement et n'y mentionne aucune appréciation personnelle. Je me contente de résumer et d'organiser mes diverses trouvailles. En deux mots, sans (trop) dévoiler votre texte qu'avez-vous envie de partager avec les lecteurs de "Bruxelles Culture" ? Emmanuelle Arsan est une autrice dont, je le répète, je n'avais rien lu et dont je venais de découvrir, par hasard, qu'il s'agissait d'un pseudonyme doublé d'un petit mystère sur sa véritable identité … Les Articles sont composés de 5.000 mots. Comment un auteur vit-il cette « obligation » ? Défi ou contrainte ? Une contrainte dans la mesure où elle nécessite des rallonges (ou des coupures) pour atteindre le nombre de mots imposé. Un choix éditorial à débattre avec M. Lamiroy. Un exercice que je connais néanmoins assez bien, puisque par le passé (années 80-90) cela existait déjà dans le monde de la presse écrite. De la sorte, un journal auquel je collaborais exigeait x lignes (colonnes) par rédactionnel, en sachant qu'une colonne faisant environ 35 signes et environ 5 cm de large si mes souvenirs sont exacts. Il suffisait de compter. J'étais d'ailleurs payé au signe (2-3 centimes l'unité - on parlait encore en francs !). Chose toute différente de l'essai, de la nouvelle ou du roman qui permet une complète liberté. Les lecteurs de « Bruxelles Culture » connaissent le rédacteur en chef et le chroniqueur Daniel Bastié … Autre chose à ajouter sur une des facettes de l’auteur en lien avec cet Article ? Par le passé, j'ai été rédacteur pour différents médias (Les Fiches belges du Cinéma, Grand Angle magazine, Cinéscope, Soundtrack, ...). Je m'y connais donc relativement bien dans le domaine cinématographique (surtout la musique de film), même si les longs métrages actuels ne me sont pas familiers. J'ai écrit beaucoup sur les séries bis de la Hammer (maison de production britannique), Jess Franco, Jean Rollin, etc. En fait des genres ou des personnes pour lesquels il n'existe pas ou peu de littérature. Ainsi, j'ai été le seul à proposer un ouvrage sur Georges Garvarentz, Philippe Sarde, Jean Rollin, le long métrage "Ilsa la louve des SS",. .. Il n'y a aucun intérêt à rédiger le 1.000ème livre sur la saga Harry Potter, Star Wars, James Bond, ...Thèmes pour lesquels tout a été raconté.


Généralement, je pars des films (DVD ou autres) ou des CD ainsi que de mes constatations personnelles En suivant la chronologie des films, je repère assez vite l'évolution des codes Quant aux ventes, cela vise un public de niche. Ed. Lamiroy – 36 pages Kate Milie

CLAUDE MOINE EST UN (ROCK) AUTEUR Peu enclin aux études, le p'tit Claude (comme il se nomme lui-même dans un roman semi-biographique publié en 1994), quitte l'école à l'âge de 14 ans, persuadé d'avoir fait le tour de la question. Son certificat d'études en poche lui permet d'entrer dans la vie active. Maman Moine, employée au Crédit Lyonnais, parvient à l'y faire engager comme garçon de courses. Un début de carrière contrarié car celuici sera rapidement viré pour absences répétées... Et puis, en définitive, qu'est-ce que ce mot "carrière" ? Quasiment un gros mot pour celui qui veut "tout simplement" s'amuser dans la vie en gagnant de l'argent (beaucoup de préférence). En attendant, il faut bien bosser car ses parents, même s'ils travaillent tous les deux (fait plutôt rare à l'époque) ne roulent pas vraiment sur l'or, aussi notre ado effectue-t-il des petits boulots par-ci, par-là. Autodidacte s'il en est, le jeune Claude Moine va se construire à coup de livres. Ce goût pour la littérature, il l'hérite du paternel qui, muni d'un sac à dos, se rend chaque semaine chez Gallimard où travaille un cousin (oh, quelle aubaine) qui lui refile tous les invendus remisés dans la cave pour cause de défaut de fabrication (exemple : une page imprimée à l'envers). Alors, il lit tout ce qui lui passe entre les mains, cela va d'André Gide à Peter Cheney. Et la musique dans tout cela ? Celle diffusée à l'époque par les bons vieux postes TSF, très prisés aujourd'hui par les collectionneurs, n'a rien de très excitant pour aiguiser l'appétit musical d'un ado (Gloria Lasso, André Claveau, Tino Rossi, etc.). En 1958, le passage de Bill Haley ("Rock around the clock"...) à l'Olympia bouleverse le futur Eddy Mitchell. Son futur sera rock ou ne sera pas ! Alain Magerotte signe une étude sur une vieille canaille qui se tient toujours bien droit dans ses santiags. Ed. Lamiroy – 31 pages Sam Mas

EXCRÉMENTS "On n'est pas dans la merde !" Voilà la réflexion type d'un inspecteur de police face à un crime insoluble à résoudre. Or, dans l'enquête qui nous occupe, on y est dans la merde et pas un peu... jusqu'au cou même ou, pour être plus précis, jusque dans la bouche! En effet, Enni Von Bonsdorff, critique d'art renommée, est retrouvée morte dans la salle 5 de l'Ateneum Art Museum d'Helsinki, un étron dans la bouche ! Et cela, le jour du vernissage de "Ex(PO)créments éternels" de l'artiste contemporaine Eveliina Sillvanpää. Une expo très courue par le public car ces déjections


ne viennent pas de n'importe quels "trous de cul"; mais de "trous de cul" célèbres comme ceux de Stephen King, Freddie Mercury, Alice Cooper ou encore Björk. Bref, pour en revenir à cette tragique découverte, personne n'a rien vu car cette Enni Von Bonsdorff n'aimait pas être dérangée quand elle jugeait une exposition. Ce qui complique (et pas un peu) l'enquête. Supputations classiques : Suicide ? Non, elle s'aimait trop pour cela. Accident ? Peut-être... Car à force de péter plus haut que son cul, on risque de... Non, ce serait trop facile, et puis comme dirait Horatio Caine ("Les Experts") : "c'est un meurtre !' En tout cas, cette histoire ne sent pas bon d'après la commissaire Jyrki Lukija qui mène l'enquête, d'autant plus qu'il y a eu des précédents des années auparavant. Dès lors, il faut à la fois agir vite et viser juste, en évitant soigneusement de tourner autour du pot. Peut-on parler, ici, d'une histoire de cul ? Oui, si l'on s'en tient à la fonction première du mot. On se félicitera donc de découvrir tout le talent d'une auteure, Erja Ystävä, qui réussit, sur du papier de première qualité, à nous torcher une histoire qui nous tient en haleine (heureusement fraîche et sans étron dans le goulot) jusqu'au bout et qui risque de rester gravée dans les anales... Euh, les annales des Editions Lamiroy. "Ulosteet" ("Fèces" en français) est le titre original. La traduction libre du finnois est d'Eric Lamiroy (si vous ne croyez pas celle-là...). A découvrir d'urgence avant qu'elle ne sorte en "Odorama" ! Editions Lamiroy - 29 pages Alain Magerotte

LETTRES DE L'ENFER Annabelle est une ado de bientôt quinze ans. Et comme tous les ados, elle "se cherche". Elle "se cherche" d'autant plus qu'elle a la très désagréable impression de passer à côté de son existence. Annabelle est persuadée que personne ne l'aime. Elle s'en fiche puisque, désormais, elle n'aime plus personne... Elle n'aime même plus Esméralda, devenue son ex meilleure amie, qui avait eu l'outrecuidance d'échanger un clin d'œil d'une suspecte complicité avec "Regard tueur" (surnom donné au beau mec de la classe, pur sosie de James Dean) lorsque, elle, Annabelle, s'était malencontreusement cognée contre un réverbère à la sortie des classes, provoquant ainsi l'hilarité générale. Grande lectrice, Annabelle est une élève brillante en français. Par contre, les matières scientifiques et les maths, c'est pas son truc. Qu'à cela ne tienne; un système "Entraides et arrangements" a été mis sur pied dans la classe. Annabelle rédige les textes littéraires des élèves scientifiques qui, en échange, lui fourguent les réponses des devoirs de sciences et de maths. Dans le cadre d'un voyage scolaire au musée "In Flanders Fields" à Ypres, un musée très pédagogique et didactique, les élèves vont découvrir cette terrible guerre 14-18 en compagnie d'une personne l'ayant vécue à sa façon. Comment cela ? En scannant un code-barres dans une borne. Ils recevront alors une fiche reprenant l'identité d'un "compagnon de route" qu'ils suivront durant le parcours...Annabelle découvrira ainsi l'existence d'Helen Fairchild, une infirmière américaine envoyée au front pour soigner les blessés. Malgré la fatigue engendrée par un travail exténuant, Helen Fairchild prendra du temps sur ses heures de sommeil pour écrire des lettres dénonçant un environnement cauchemardesque et des terrifiantes conditions de travail. Par cette "rencontre" providentielle, Annabelle sortira-t-elle de l'incompréhension existentielle qui l'habite ?... Captivant et bien écrit. Un très agréable moment de lecture ! Editions Lamiroy - 36 pages Alain Magerotte


DE L’OMBRE À LA LUMIÈRE Une jeune femme dynamique, infirmière puéricultrice de nuit, veut réaliser ses projets et ses rêves. Elle se nomme Marie. Elle rencontre LA personne qui fera basculer sa vie à tout jamais. Son vécu est relaté dans ce livre, encré et ancré en elle comme un tatouage. Marie pensait avoir rencontré le « prince charmant » mais, finalement, son mari deviendra son adversaire mi-ange mi-démon. La descente aux enfers commence très peu de temps après leur union et va amener Marie à perdre son identité. A travers cet ouvrage, l’auteur qui est également la protagoniste de ce livre, vous raconte ses huit ans de violences conjugales. Marie n’est pas une autrice professionnelle, s’excuse de son récit et écrit avec ses mots, ses émotions. Elle relate son histoire pour se libérer de son enfer, pour retrouver son identité, une certaine joie de vivre et pour partager cet espoir que tant de femmes ont besoin pour se libérer de l’emprise de leur conjoint. Marie possède en elle une force qu’elle va découvrir et qui lui permettra de sauver son fils de la violence intra-familiale dans laquelle ils vivent tous les deux. J’ai rencontré Marie en France et nous avons eu une longue discussion pleine d’espoir. Marie est sauvée et peut enfin vivre sereinement auprès d’un homme gentil et bon. Un homme qui lui rappelle chaque jour qu’elle peut dorénavant dormir sereine et qu’elle a le droit d’être aimée pour ce qu’elle est : « une femme forte, protectrice et pleine de ressources ». Marie aide, à travers une structure associative, des femmes qui ont un vécu semblable au sien, des femmes qui ont besoin d’aide mais surtout qui doivent croire en elles. Ce livre n’est pas en vente en librairie. Pour l’acquérir, il faut contacter l’association « une autre femme » via le site www.uneautrefemme3181.org dont le siège social se situe dans le sud de la France. Association « Une autre Femme » – 164 pages Elise Jane

JOSEPH DIONGRE 1878-1963. LE STYLE BEAUX-ARTS À L’ÉPREUVE DU MODERNISME Pour la première fois, voici une étude approfondie et richement illustrée consacrée à l’architecte Joseph Diongre (1878-1963). Diongre n’a pas seulement conçu le « Flagey » à Ixelles, on lui doit aussi des dizaines d’autres bâtiments de la première moitié du vingtième siècle, comme l’église en béton Saint-Jean-Baptiste à Molenbeek ou la maison communale de Woluwé-Saint-Lambert. Les auteurs Axel De Backer et Herman Mennekens proposent à présent à un large public la publication bilingue « Joseph Diongre 1878-1963. Le style Beaux-Arts à l’épreuve du modernisme / Over Schone Kunsten en modernisme ». Ce livre d’architecture examine de près l’œuvre considérable de l’architecte. Diongre n’était pas Horta et ne s’est pas consacré à un seul style, mais cet homme de métier maîtrisait une large palette stylistique. Cette publication jette en outre un éclairage sur la vie privée du maître. Publiée par Bitbook, cette édition dotée d’une couverture rigide a été réalisée en étroite collaboration avec le Willemsfonds Bruxelles-Région-Capitale et Urban.Brussels. Ed. Bitbook – 126 pages Sam Mas


ARMANDE OU LE CHAGRIN DE MOLIÈRE Plus de trois siècles après sa mort, l'identité d’Armande Béjart, qui a été l’épouse de Molière durant onze ans, reste meublée de taches d’ombre. Les historiens en ont souvent été réduits à des conjectures, partant de quelques indices et les disposant selon leur interprétation. Qu’importe finalement, puisqu’il reste le théâtre magnifique d’un génie du XVIIe siècle et une galerie de rôles formidables écrits pour sa muse. André Versaille nous renvoie en 1689, peu avant le décès de cette dernière. Impossible pour elle de quitter le district des vivants sans se remémorer les années de félicité, les pérégrinations de la troupe à travers la France, le génie de son défunt époux parti voilà un quart-de siècle et la gestation de ses meilleures pièces. Bien que romancé, cet ouvrage nous propose un portrait de l’écrivain vu à travers l’œil de son actrice-fétiche et du côté public tant que derrière le rideau. Quatre enfants ont été issus de ce mariage. On sait qu’elle a épousé en secondes noces l’acteur Isaac-François Guérin d’Estriché. A travers elle, c’est toute la condition des comédiens qui est décrite, une sorte de radiographie d’une époque, durant laquelle et malgré le talent de son premier mari, celui-ci a été inhumé en-dehors du cimetière, voué à l’excommunication parce que … saltimbanque ! Ed. Presses de la Cité 365 pages Daniel Bastié

LE TOURBILLON DES ILLUSIONS Rose n’a rien d’une fille ordinaire. Française émigrée au Canada, elle refuse de demeurer dans le giron familial et entreprend des études d’infirmière pour s’émanciper, au grand dam de sa grand-mère. Lorsque la guerre éclate, elle décide de s’engager dans le corps médical de l’armée, prête à abandonner son passé et à servir sa nouvelle patrie. D’abord à Montréal, puis à Londres, elle découvre un monde dont elle ignorait tout et fait la rencontre de deux hommes qui vont bouleverser son existence. Un. Andrew, un séduisant professeur d’université. Deux. Robert, un Québécois dont elle s’entiche déraisonnablement. Bien entendu, sa trajectoire ne sera pas pavée de moments de liesse et les épreuves se multiplient pour la forcer à grandir et à se suffire à elle-même. Pour faire le lien entre tous ces éléments, MarieFrance Desmaray mêle la grande Histoire à l’intimité d’une héroïne bousculée par les événements et en proie à une détermination qui la pousse à ne jamais renoncer. Bien sûr, il y a la voix de sa mère qui l’intime à faire marche arrière et à revenir à la maison. En ce sens, « Le tourbillon des illusions » est bien un récit sur fond d’inévitable bouleversement, avec des changements sociaux qui se dessinent et un monde en train de modifier ses valeurs autant que son regard sur la condition féminine. Un roman populaire, bien documenté et rondement mené. Ed. Presses de la Cité – 386 pages Amélie Collard


CHARCUTERIES : LES RECETTES DE MARIE Voilà le premier livre de Marie Demeure, une trentenaire qui désire remettre à l’honneur la bonne charcuterie d’antan, sans additifs et pleine de saveurs. Un ouvrage rempli d’excellentes idées gustatives et faites pour convier les amis autour d’une table. Passionnée par son métier, cette ancienne élève du CEFA de Gosselies s’est lancée dans la profession il y a plusieurs années pour retrouver le goût des choses. Une activité qui allie la tradition à la modernité car, on le sait, les métiers de bouche sont tout sauf intangibles. Au départ, elle communiquait via un blog puis, lentement, l’idée s’est concrétisée de proposer un livre qui sélectionnerait le meilleur du meilleur, soit trente-huit suggestions de préparations gourmandes faciles ou un peu moins, bien détaillées et munies de conseils pratiques, également d’une photographie pour illustrer le plat fini. Se lancer dans la charcuterie n’exige pas énormément de matériel, mais réclame une solide dose de patience et du savoir-faire. Puis, on le devine, quand on aime manger, on possède cette constance de ne jamais regimber lorsqu’il s’agit de se retrousser les manches pour se mettre à l’ouvrage avec l’intention de se pourlécher les babines. Position bien différente de ceux qui picorent du bout des dents ou produisent une moue dubitative ! Voilà donc un livre pratique et gourmand qu’on interprète telle une invitation à réaliser soi-même un pâté, une terrine, un magret ou du saucisson. Bon appétit ! Renaissance du Livre – 133 pages Julie Plisnier

LE THÉÂTRE ROYAL DU PARC : LES COULISSES D’UNE PASSION La pandémie l’a encore démontré récemment : le théâtre est un art vivant qui a besoin de son public pour exister. Fermer le secteur culturel revient à priver la population d’oxygène, à scléroser ses envies, à pétrifier sa créativité. Thierry Debroux nous propose un magnifique album qui revient sur l’histoire du Théâtre royal du Parc, véritable institution dans la capitale et haut-lieu de rencontres autour d’un agenda qui déplie des pièces tour à tour classiques ou purement récréatives. Le directeur de ce repère/repaire artistique a ouvert pour nous les classeurs afin d’en extraire moult photographiques avec l’intention d’exposer plusieurs années de programmation à revisiter ou à faire revivre avec une délectation contagieuse. Il nous parle de son attachement à l’enseigne, de son admiration pour les comédiens, revient sur plusieurs anecdotes et pousse la porte de l’atelier costumes, décors, etc. Bien entendu, les clichés en couleur sont là pour exhumer quantité de souvenirs, des mises en scène dont on parle toujours et une panoplie d’acteurs dont le nom est devenu référence de qualité. Qui a oublié le cheval sur scène dans « Les trois mousquetaires » et la prestation ébouriffante d’Othmane Moumen dans « Le tour du monde en quatre-vingts jours » et « Chapin » (tous deux également diffusés à la télévision par la suite) ? Rien que des exemples puisés parmi beaucoup d’autres ! Du spectacle qui rivalise sans peur avec ce que le cinéma offre de meilleur. Une madeleine de Proust ! Ed. La Renaissance du Livre – 274 pages Daniel Bastié


LES SECRETS D’HERGÉ DESSINATEUR On croyait que tout avait été écrit à propos d’Hergé. Que nenni ! Son œuvre foisonnante permet toujours d’y déceler l’une ou l’autre caractéristique peu ou prou étudiée aujourd’hui, prouvant à quel point son génie continue de faire autorité. Si son travail a connu un succès planétaire, cela tient à de nombreux facteurs, dont un dessin impeccable, une ligne claire immédiatement identifiable, des scénarii millimétrés et des personnages fédérateurs. Il suffit de se replonger dans ses albums pour se rendre à l’évidence que dans les planches de la maturité, chaque case a été conçue en tenant compte de tous les paramètres à l’instar d’une caméra virevoltante qui révèle chaque détail (même infime) et qui immerge le lecteur au milieu de l’action. Mieux que la plupart de ses confrères, Hergé possédait un œil avisé, celui d’un metteur en scène qui savait où il allait, qui adorait se documenter et qui prenait plaisir à se vouloir narrateur autant que dessinateur. Cette maîtrise se caractérise non seulement dans le graphisme, mais également dans l’agencement de chaque page, sachant tirer parti de son talent en s’efforçant toujours de ne pas faire sentir tout le travail effectué en amont. Son art, il l’a appris et apprivoisé à force de sueur, créant sans le savoir l’un des personnages les plus importants du monde de la bédé. Ed. Sépia – 124 pages Daniel Bastié

LET LOVE RULE On pourrait dire qu’il s’agit d’une autobiographie. Celle de Lenny Kravitz, artiste multiforme qui s’est fait remarquer aussi bien dans la musique qu’au cinéma. Plutôt que d’emprunter la voie classique, il a préféré présenter son parcours sous forme d’une large toile conçue à son image, c’est-à-dire rock’n’roll ! Il s’agit du récit d’un gamin extrêmement créatif qui empoigne la vie à deux mains et qui sait où aller. Malgré des difficultés à l’école et des tensions à la maison, il trouve son salut dans la musique. Au fil des pages, on le voit grandir, mûrir et, finalement, maîtriser parfaitement son art de l’instrument pour devenir capable de se produire sur scène, de franchir le cap de la composition et de se hisser en tant que producteur. Qu’il s’agisse d’enregistrer, de jouer face aux caméras ou de rédiger, il a toujours su garder une indépendance farouche, repoussant plusieurs contrats venus de labels prestigieux. Pour lui, l’art ne doit aucunement devenir une manière de s’enrichir honteusement, mais un moyen de se rapprocher des gens et de tisser des liens. Il conclut en affirmant que son existence a été marquée de contradictions : juif et chrétien, les Jackson et Led Zeppellin, noir et blanc et le ying et le yang. Un puzzle qui abreuve son inspiration et son réservoir de pulsions. Sans doute ce qui a alimenté au mieux son existence et qui lui a évité de formuler des jugements, toujours à la recherche de nouveautés et d’expérimentations. Ed. RockFolk – 282 pages Paul Huet


FAMILLE NOMADE À VÉLO En 2010, Céline et Xavier Pasche ont décidé d’entamer un périple autour de la planète en enfourchant leur bicyclette. Un pari jugé un peu fou par des proches, mais dont ils ont balayé les appréhensions d’un revers de la main. Leur but : explorer le monde et la nature de manière écoresponsable, autant pour s’ouvrir aux autres que pour se familiariser avec de nouvelles coutumes et autres modes de vie. Au fil des années, ils ont croisé bien des regards et ont noué des liens d’amitié. En totale immersion avec l’inconnu, tous deux ont plongé dans ce que notre planète peut offrir de diversité : des milliers de flagrances, de la lumière qui fluctue d’un coin à l’autre du globe, de l’intensité des voix croisées et de la curiosité jamais rassasiée. Suivre les murmures de leurs envies les a conduits au-delà de tout ce qu’ils avaient imaginé en amont, pour additionner des souvenirs uniques comme loger sous une yourte en Mongolie, se perdre dans l’aire infinie du désert de Gobi, admirer des aurores boréales dans le Grand Nord, se mêler à la foule au Bangladesh ou déguster des artères de chèvre ou des pattes de poules en Chine. Ce livre revient sur cette aventure fascinante par le truchement de photographies magnifiques et de textes bilingues (français/anglais), qui se limitent à présenter plutôt qu’à expliquer méticuleusement. Qu’on se le tienne pour dit : cet album se veut avant tout un carnet de voyage et non un dépliant touristique ! Ed. Favre – 262 pages Daniel Bastié

L’OP ART RENCONTRE LES NEUROSCIENCES L’expression Op art ou art optique est utilisée pour décrire certaines pratiques et recherches artistiques faites à partir des années 60, qui exploitent la faillibilité de l'œil à travers des illusions ou des jeux d'optique. Depuis, il est couramment admis que cette forme esthétique peut être employée pour soulager certaines pathologies. Cette question attise bien sûr l’intérêt des plasticiens qui produisent ce type de travaux. Youri Meesen-Jaschin a décidé de collaborer avec le médecin Bogdan Draganski pour aider le lecteur à comprendre en quoi ses créations peuvent être intégrées dans une thérapie et pourquoi elles soulagent les migraines, les vertiges ou le mal de mer. Ensemble, ils ont monté une technique visant à analyser les effets de ses réalisations sur le cerveau. A l’aide de l’imagerie par résonnance magnétique, tous deux ont observé l’activité cérébrale des volontaires pendant que des travaux spécialement réalisés pour l’étude étaient projetées devant les yeux des patients. Le résultat s’est avéré étonnant ! Cet album à quatre mains raconte les détails incroyables de cette expérience qui pourrait bien servir dans les hôpitaux. Un sujet complexe et néanmoins prometteur ! Ed. Favre - 176 Pages André Metzinger


LETTRES D’ACANDIDACTURES Vous manquez d’idées au moment de rédiger un courrier ? Voilà peutêtre le livre qui vous aidera à ne pas vous faire que des amis. On sent que Christophe Kauffman s’est amusé en rédigeant ces (fausses) missives et en y injectant un humour corrosif, voire anarchiste. Il faut un second degré pour ne pas être effrayé par ses mots et en rire seul ou en compagnie de copains. En fait, il écrit noir sur blanc ce que nous n’oserions sans doute jamais coucher sur papier de crainte d’être immédiatement placés sur une liste noire. On attrape au vol son ras-le-bol, son ironie cinglante, son art de la phrase qui fait mouche. Oui, en cette période particulièrement délicate de Covid, cet ouvrage fait du bien et flingue tous azimuts la bêtise, le protocole imbécile, les conventions larvaires et tous les pissefroid qui se gonflent la tête de leur prétendue autorité alors que, comme nous, ils vont chaque jour lâcher un demi-kilo d’étrons dans la cuvette du WC. Avis aux amateurs ! Ed. du Basson – 76 pages André Metzinger

RAMPANTS DES VILLES Voilà l’histoire d’un homme qui abhorre son insignifiance, son inexistence, coincé dans une société qui l’écœure avec un ciel constamment gris et sans nuances, qui se coltine le désespoir comme unique horizon. A cela, il se dégoûte. Sa tignasse rousse, sa peau pâle et les effluves de son corps l’insupportent. Puis, loin de toute attente, quelqu’un s’adresse à lui, semble intéressé par sa personne. Ce dernier devient un phare, une sorte de bouée. Que veut-il ? Qu’attend-il ? Son assurance plaît d’emblée. Reste à savoir si lui aussi dissimule des cicatrices, des fêlures … Léo Betti signe un court roman d’une rare noirceur qui parle d’un monde sans couleurs. Tout y est terne, rampant et hostile. Une radiographie de notre temps, avec pour seule colonne vertébrale la sensation de vivre quelques instants, de sortir la tête du vase du marasme ambiant avant de (peut-être) retomber là d’où on a émergé. L’écriture est directe et le ton ressemble à celui d’un journal de bord. Dire que : chez le protagoniste se situe au milieu de nulle part résume l’ambiance qui s’accentue à mesure que l’histoire progresse. Ed. du Basson – 114 pages Sam Mas

DES BULLES DANS LA TÊTE Charleroi. Les années 30. La vie y est rude. Sorti en 1987, ce texte est réédité pour être offert à la génération actuelle et parler d’une époque qu’elle n’a pas connue. Un temps loin de l’informatisation excessive qui agresse notre quotidien et qui se pliait aux saisons successives. Marcel Vandriessche raconte sa jeunesse en la parsemant d’anecdotes vraies. Avec des mots simples, il ravive le visage de ses proches, rappelle la pauvreté qui sévissait dans la région, raconte ses rêves et ses espoirs. Plus loin, il parle de la guerre qui gronde à la frontière, de la misère qui s’accroit, de la peur, de la faim. Pour survivre, il n’a pas d’alternative que d’aller chiper des pommes de terre, des oignons, … Puis, il y a l’exode, avec la fuite en avant de la population qui fuit la progression des chars allemands. Enfin, l’armistice fait résonner ses trompettes avec son cortège de promesses. Son récit sincère s’appuie sur la petite Histoire qui s’incruste dans la grande, autant pour pérenniser certains souvenirs que pour laisser un témoignage de première voix. La nostalgie est enfin présente partout, avec le but avoué de céder au lecteur quelques bulles dans la tête. Ed. du Basson – 195 pages André Metzinger


MAMAN, TU PARDONNES TOUJOURS La perte d’un enfant représente le pire calvaire qui puisse s’appesantir sur une mère. En 2019, le jour de la Pentecôte, la police annonce à Isabelle Laurent le suicide d’un de ses fils adoptifs, Yann, un garçon venu des Philippines voilà bien longtemps et accueilli tel un présent de Dieu. Brusquement tout s’effondre et des sentiments divers se conjuguent entre incompréhension et malaise. Pourquoi a-t-il commis ce geste sans revers ? Surtout comment n’a-t-elle pas pu déceler des signes annonceurs ? Après avoir longuement détaillé son parcours pour apprivoiser l’enfant, gagner sa confiance et l’aider à construire sa vie en Europe, elle tente de saisir le sens de sa mort, se confronte à l’absence et fait face à la culpabilité. A la recherche de la paix intérieure, elle veut déposer des mots sur ce geste horrible survenu loin du regard de tous. Comprendre aide à trouver la paix et à pardonner. Pardonner à elle-même, qui n’a pas su déceler ses appels à l’aide, et à celles ou ceux qui se trouvent à l’origine de ce drame. Si ce livre sert de témoignage, il peut également être lu comme une piste pour les familles en deuil d’un être cher et qui doivent continuer à vivre, parce que la vie reste le sens de tout et que d’autres personnes proches nous aiment et méritent d’être aimées. Ed. Artège – 218 pages Sylvie Van Laere

LA SIMPLICITÉ ET LA GRÂCE Né en 1801 dans une famille d’artisans, Michel Guérin doit au dévouement de sa mère, prématurément veuve, de pouvoir poursuivre ses études et entrer au séminaire du Mans, avant d’être ordonné prêtre en 1829. Très vite, il se donne pour mission d’insister sur la foi mariale, offrant à chaque famille une statue de Notre-Dame afin qu’elle protège les familles de la région. Comme le pays vit dans la pauvreté, il décide de veiller à améliorer le quotidien de ses paroissiens sollicitant la richesse de nantis. Il fonde également une école tenue par des religieuses, déplace l’ancien cimetière, crée un bureau de bienfaisance chargé de l’assistance aux plus pauvres et se bat pour l’amélioration de la voirie. Bien entendu, il s’agit de quelques exemples puisés dans le cours de sa longue existence. Sans charisme exceptionnel, mais par la force de sa simplicité, de sa générosité et de sa foi, il a œuvré pour le bien d’autrui, sans compter ses efforts. En 1872, il est victime d’un accident de voiture sur la route de Saint Ellie. Grièvement blessé, il succombe peu après à ses blessures. Avec beaucoup de style et la précision d’une historienne aguerrie, Anne Bernet nous raconte cet humble qui a tant fait pour les autres. Il a été béatifié en 2016. Ed. Artège – 634 pages Sam Mas


L’ATLAS MOLIÈRE Aller à la rencontre de Molière et de son temps, voilà le but avoué de cet ouvrage qui se veut une véritable plongée au cœur de l’homme et de son siècle, loin des clichés auxquels nous sommes habitués. S’il n’est pas vraiment utile de revenir sur sa biographie, il est par contre rudement intéressant de relever tout ce que son théâtre a laissé. Au fil des pages, on est contraint d’admettre que peu de pistes nous permettent de circonscrire l’artiste, puisqu’on ne possède aucune lettre ni aucun brouillon originaux de ses textes. Idem en ce qui concerne un journal intime ou un testament ! Rien de vraiment étonnant, car il s’agit de la norme pour le XVIIe siècle. Par contre, il existe quelques actes notariés, dont son contrat de mariage. Heureusement, ses fans n’ont pas attendu son décès pour parler de lui et commenter ses pièces. Une chose est sûre, Molière n’est pas passé inaperçu et tant mieux ! Avec un vrai sens du discernement, Clara Dealberto, Jules Grandin et Christophe Schuwey ont établi un ouvrage dense et précis qui se veut une encyclopédie visuelle de l’artiste, qui est allé bien au-delà de la figure du simple saltimbanque et dont les titres se sont imposés dans le catalogue de la littérature française. On se retrouve face à un entrepreneur de génie, un libre-penseur, une plume talentueuse et un être en avance sur son époque. Cet ouvrage nous permet également de revisiter nos classiques de manière vivante et décomplexée, d’en apprendre davantage et de remettre certaines pendules à l’heure en s’aidant de cartes et d’infographies parce que, souvent, un dessin vaut mieux qu’une longue conférence. Un livre de référence ! Ed. Les Arènes – 270 pages Daniel Bastié

LA FILLE DU NINJA La violence faite aux femmes est au centre de ce roman. Un récit fort et impitoyable sur la brutalité des mâles et une société qui, parfois, se montre d’une impitoyable dureté par rapport à la gent féminine. Depuis le viol de sa sœur, Lily Wong consacre sa vie à la protection des plus vulnérables et use de tous les moyens pour y parvenir, tout en cachant cette partie de ses activités à sa mère qui lui reproche son trop peu de féminité et son manque d’empressement pour fonder une famille. Pas de surenchère facile et un travail sur l’exposition d’un monde en proie à un régime d’inégalités hommes-femmes. Aussi une traversée assumée avec une héroïne qui refuse de s’en laisser compter et qui rend coup pour coup, quitte à se damner. La ville de Los Angeles apparaît ici sous des traits fuligineux, loin des images commerciales offertes par le cinéma hollywoodien. Tori Eldridge travaille le fond autant que la forme et propose un divertissement jouissif et haletant. Bien sûr, le thème de l’auto-justice demeure discutable mais fait tellement du bien au moral lorsque les méchants sont punis … alors que les autorités ne font pas consciencieusement leur travail ! Ed. Les Arènes – 416 pages Sam Mas


LES ENFANTS D’ABORD L'histoire de Janusz Korczak est celle du don de soi, de l’abnégation et de la foi en certains principes. Victime de l’Holocauste, il est emmené dans le camp de la mort de Treblinka où il meurt en 1942. Le cinéaste polonais Andrzej Wajda lui avait déjà consacré un long métrage en 1990 tout simplement intitulé « Korczak ». Relais a été pris par Stéphane Tamaillon et Priscilla Horvillier qui viennent d’adapter sa vie en bédé, rappelant à quel point son rôle a été capital durant l’entre-guerres dans le domaine de l’enfance et de la pédagogie. Il est rapporté que pendant trois décennies il a dirigé la Maison de l’Orphelin en Pologne, un établissement pilote doté d’un parlement, d’un tribunal et d’un média. Face aux nazis, il est allé jusqu’à suivre ses jeunes protégés au bout du tunnel, tant pour ne pas les abandonner que pour demeurer fidèle à son serment d’Hippocrate, puisqu’il était également médecin. Aujourd’hui, les biographies ont le vent en poupe et raviver certains pans du passé ne peut qu’agir positivement pour rappeler la nécessité de certains combats destinés à mettre un terme à la barbarie, au racisme et à l’intolérance quelle qu’elle soit. Un livre utile. Un devoir de mémoire ! Ed. Steinkis – 154 pages Sam Mas

LES PORTUGAIS Cette bande dessinée revient sur les années 70, une période d’enrichissement pour la classe moyenne en France autant qu’en Belgique et d’espoirs d’une vie meilleure. Comme beaucoup de ses compatriotes, Mario, dix-huit ans, décide de tenter sa chance à l’étranger, loin de l’aire mise sous l’omnipotence de Salazar, dictateur en place au Portugal depuis les années 30. Grâce à un passeur, le jeune homme arrive en région parisienne, où il s’installe en pratiquant divers petits boulots, en se joignant à d’autres exilés et en alliant drague et combines diverses. Alfonso Chico raconte un destin comparable à celui de milliers de Portugais devenus pour la plupart maçons sur des chantiers, bien heureux de se stabiliser et de fonder une famille. Ce récit, l’auteur-dessinateur le tient de son père, qu’il romance à peine. Bien entendu, il porte en lui une valeur universelle puisqu’il narre une histoire universelle, avec des destins qui s’entremêlent et drainent certains stigmates tels que le déracinement, l’intégration et l’adoption de valeurs nouvelles, sans forcément renoncer aux siennes. Ed. Steinkis – 136 pages Sam Mas


APRÈS LA RAFLE La rafle du Val d’Hiv est entrée dans les annales pour avoir été la plus grande arrestation massive de juifs organisée par le gouvernement de Vichy durant la guerre. Du 16 au 17 juillet 1942, plus de treize mille personnes ont été arrachées de leur habitation pour être parquées au Vélodrome d’Hiver à Paris durant près de cent heures dans des conditions sanitaires déplorables, sans nourriture et quasiment démunies d’eau, avant d’être dirigées par wagons vers le camp de concentration allemand d’Auschwitz. Moins de cent d’entre eux sont revenus lorsque la victoire alliée a été proclamée. Arnaud Delalande et Laurent Biot reviennent sur ce drame en s’inspirant de l’histoire vraie de Joseph Weismann, l’un des seuls enfants rescapés de cette tragédie. Il y a une dizaine d’années, la réalisatrice Roselyne Bosch s’était déjà inspirée de son parcours pour mettre en scène le fort poignant « La rafle », vu et revu à la télévision au terme de projections remarquées dans les salles. A quatre mains, ils signent un roman graphique qui a pour but de rappeler à quel point la barbarie humaine a pu atteindre des sommets, d’alerter le public sur les dangers de l’Extrême-Droite qui se réveille un peu partout en Europe et de souligner que la vigilance ne doit jamais s’assoupir. Les témoins de cette époque disparaissent malheureusement et leur message doit être entendu. Il s’agit de prévention autant que d’un devoir de mémoire ! Ed. Steinkis – 124 pages Paul Huet

EN ATTENDANT BOJANGLES Voilà la bédé tirée du succès cinématographique « En attendant Bojangles », avec notre compatriote Virginie Efira. Un livre plein de malice et de bonne humeur. Ici, la place est accordée aux amitiés, à la famille, au plaisir et à la fantaisie. Cela donne le ton de ce récit charmant. Un rôle primordial est évidemment accordé à l’amour avec un grand A. Quant au titre, « Bojangles » fait référence à un standard de la diva de la soul Nina Simone (1933/2003). Lorsque la vie est banale, il suffit de s’inventer un autre monde, de s’évader en dansant et de se laisser séduire par celle ou celui que la vie met en présence. Un roman graphique d’Ingrid Chabbert et Carole Maurel, lui-même inspiré du manuscrit d’Olivier Bourdeaut. Dire que cette lecture fait du bien est un euphémisme en cette période de pandémie et de privation de libertés. Tout y est bonheur transcendé par la sympathie que dégagent les personnages et par le ton volontiers positif. Les atouts sont mis en place par un dessin simple, des dialogues sympathiques et des couleurs jamais agressives. De quoi donner des idées à ceux qui ont le moral en berne et qui broient des pensées sombres. J’ai adoré ! Ed. Steinkis – 132 pages Julie Plisnier


LE SILENCE DE L’OMBRE Perdre un être cher reste à tout âge une douleur lancinante. Toutefois, lorsqu’on a dix ans, cela représente un déchirement qui bouscule le tracé du quotidien et qui ouvre brutalement la porte du monde des adultes, avec une violence inouïe qui prouve à quel point l’existence peut s’avérer ténue, de sorte qu’il importe d’apprécier les bonheurs tant qu’ils se tiennent à portée des doigts et que les galvauder revient à passer à côté d’une vraie richesse. Noa est inconsolable depuis la disparition de son grand-père. Il refuse de faire le deuil de celui qu’il chérissait autant que ce dernier l’aimait. Il apprend alors que sa maman a connu pareille souffrance lorsqu’elle avait approximativement son âge. Ensemble, ils pénètrent dans une zone imaginaire pour combattre une ombre pernicieuse, une entité dont le pouvoir consiste à geler les cœurs. Débute alors un périple fantastique et symbolique qui permet au garçon de revivre peu à peu et à se délester de la colère qui l’endigue. A mesure que le récit se déplie, le lecteur comprend que l’ombre n’est en fait qu’une partie du protagoniste. Xavier Bétaucourt et Elodie Garcia signent un conte intemporel conçu pour aider les enfants à surmonter le traumatisme d’un décès et à réapprendre à sourire. Ed. Jungle – 88 pages Julie Plisnier

MORT AUX CONS On est toujours le con d’un autre. Puis, il y a eu ces fameux dîners de … justement, imaginés pour la pièce (et le film) de Francis Veber. Contrairement à l'idée véhiculée, les cons ne sont pas réformables et les campagnes de prévention autant que les actions pédagogiques n'ont aucune prise sur eux. Par définition, un con ne s’arrête jamais. Michel Audiard affirmait que c’est justement à cela qu’on le reconnaît. En partant du roman de Carl Aderhold, Corbeyran et SaintGeorges nous livrent une adaptation graphique qui n’a pas à rougir du résultat. Le protagoniste y narre son combat contre ceux qui empoisonnent son quotidien. Chaque matin, il se lève de bonne humeur jusqu’à ce que sa journée soit empoisonnée par un … con. Qui n'a jamais rêvé de tuer son voisin le dimanche matin quand il vous réveille à coups de perceuse ou d'envoyer dans le décor l'automobiliste qui vous serre de trop près ? Encore de faire passer de vie à trépas cette jolie fille qui vous bassine avec ses ex ou ses récits de bureau ? Trop de gens l'énervent par leurs incivilités, leur bêtise ou leur paresse intellectuelle. Alors faut-il les éliminer physiquement ? Il se tâte en sachant avec pertinence que d’autres surgiront, car (il n’y aucun doute !) cette race d’individus se répand à l’infini et ne sera jamais en voie d’extinction ! Ah, la connerie … Ed. Jungle – 136 pages Daniel Bastié


LA PETITE FILLE QUI AVAIT PEUR DE TOUT Lorsque ses amis lui ont demandé de venir jouer avec eux, Amélie a répondu sans aucune hésitation : « Pas question, j’ai trop peur de tomber de la balançoire ou de me faire piquer par des orties. On ne sait jamais ce qui peut arriver ! » Bien sûr, il s’agit d’un avis qu’on se doit de respecter, néanmoins la gamine use d’un argument parfaitement semblable lorsque sa mamie l’invite à l’accompagner pour se promener dans le parc : « Imagine qu’un terrible orage se mette à gronder ! ». Puis quand sa maman lui demande de l’aider à planter des fraises et le jour où son papa lui propose de sortir le chien. Evidemment, en mettant en pratique un pareil raisonnement, elle se retrouve le plus souvent seule. Bien sûr qu’on ne sait jamais ce qui peut arriver, mais jamais on ne proposerait à une enfant de se mettre en danger. Aurora Cacciapuoti offre ici un chouette album qui pousse les jeunes lecteurs à sortir de leur coquille, à ne pas se laisser tétaniser par des appréhensions puériles et à aller vers les autres. Sauf exceptions, le bonheur passe toujours par les autres et les souvenirs heureux se lient à des instants passés avec des amis ou des membres de la famille. Rares sont celles et ceux qui osent affirmer avoir vécu des heures de joie réelle en se coupant des gens ! Ed. Grasset Jeunesse – 40 pages Daniel Bastié

LE BON SENS En 1449, Charles VII était venu à Rouen pour assister à la proclamation de l'arrêt annulant la condamnation de Jeanne d’Arc au bûcher quelques années plus tôt. A cette époque, quelques hommes se sont mis à chercher des preuves de son innocence, quitte à s’opposer au pouvoir de l’Eglise triomphante. Réhabiliter la Pucelle a été un combat opiniâtre qu’on imagine mal aujourd’hui, alors qu’on a fait d’elle un des nombreux symboles de la France et de la liberté. Michel Bernard revient sur cette partie brutale de l’histoire en s’emparant des articles d’accusation et en les remettant en situation. Tout le monde l’a oublié, mais au moment du procès en révision, le monarque avait répondu aux commissaires comme les plus humbles de ses sujets. Un récit romancé, mais richement documenté, qui prend son temps, s’appuie sur des détours et évoque la guerre contre les Anglais. Au-delà de tout ce qu’on peut penser de Jeanne d’Arc, ce livre nous plonge dans une époque de violence, de superstition et de manipulation où la raison d’Etat domine autant que la suprématie du clergé. Comme on le sait, l’existence de cette jeune femme morte très jeune repose sur quelques secrets que tentent toujours de saisir les historiens. Une bataille pour la vérité menée ici avec un vrai souffle littéraire et un sens du rythme qui fait qu’on épouse chaque phrase. Ed. La Table Ronde (Poche) – 228 pages Paul Huet


BONNET D’ÂNE ! Agatha Raisin signe son grand retour avec une enquête pas piquée des hannetons. Une de celles qui font mouche et laissent un souvenir durable. Avec plus de huit mille exemplaires vendus, M.C. Beaton n’a pas à rougir du succès de son héroïne qui lorgne du côté de Miss Marple, l’humour en plus. Sollicitée par le patron d’une usine pour résoudre une singulière affaire d’espionnage industriel, notre championne à la truffe fine débarque sur les lieux à peu-près au moment où la réceptionniste meurt. Une ânesse est suspectée du décès et un groupe de soutien est créé pour défendre l’animal. Déterminée à tirer cette affaire au clair, notre détective en jupon se met à investiguer dans tous les recoins, quitte à exhumer de vieilles rancœurs, de l’hypocrisie ou de la jalousie pour faire éclater la vérité et confondre le coupable, car elle croit fermement à un meurtre. C’est un peu comme si le personnage imaginé par Agatha Christie avait brusquement rajeuni pour se lancer sur la piste du crime actuel, sans perdre son acuité. Alors que le crime de l'usine semble enfin dévoiler ses secrets, la propre vie d'Agatha est mise en danger de mort. Parviendra-t-elle à arrêter le tueur avant qu'il ne s'en prenne à elle ? Ed. Albin Michel – 299 pages Daniel Bastié

AFTERLAND Une pandémie d’une rare gravité balaie la terre et fauche les vivants. Aujourd’hui, on se retrouve avec 99% de la population masculine qui a été éradiquée du globe. Trois ans plus tard, la société est entièrement dirigée par les femmes. Jadis, Jean Ferrat chantait « La femme est l’avenir de l’homme ». « Afterland » tend à nous prouver qu’il n’en est rien et que les dérives pratiquées par la gent masculine sont similaires à celles de leurs anciennes filles, sœurs, épouses ou compagnes. Miles, douze ans, fait partie des rares garçons à ne pas avoir été emportés par le virus. Quel sera son avenir lorsque chacun songe à repeupler les deux hémisphères ? S’arrachera-t-on ses faveurs pour permettre la conception de bébés, sera-t-il traité comme donneur de sperme ou comme esclave sexuel ? Pour le protéger, sa mère n’a pas d’alternative que de le travestir en fille. Son but, émigrer avec lui en Afrique du Sud, loin des Etats-Unis en proie à une crise unique dans son histoire. Lauren Beukes signe un roman d’anticipation qui fait froid dans le dos et qui, à l’heure du coronavirus, se charge d’une valeur qui remet totalement en question nos certitudes. Stephen King a salué l’originalité du récit, ainsi que le style vif et incisif. Une histoire qu’il aurait bien souhaité écrire … Ed. Albin Michel – 505 pages André Metzinger


RENDEZ-VOUS À NAPLES Des cinq journées de Naples à l’expédition des Mille, Jean-Pierre Cabanes nous colle au mitan de l’action et rappelle un conflit qui a mené à l’unification de l’Italie, tout en doublant son récit d’une passion fougueuse entre deux êtres qui devraient s’opposer aux yeux de tous. L’occasion de revenir sur Marie-Sophie, dernière reine des Deux-Siciles, qui était bien connue de ses contemporains comme étant la sœur de l’impériale Elisabeth mais surtout pour avoir mené une vie digne d’une héroïne de romans. Malgré la fureur de la guerre, elle vit un amour avec l’un de ses plus farouches adversaires politiques, champion de la révolution. Lors du siège de la forteresse de Gaète, Giacomo conduit l’assaut et se retrouve face à celle qui adore plus que tout, droite sur le rempart, épée à la main. A travers deux personnages, l’auteur signe une fresque qui s’inscrit dans la fougue de « Rhapsodie italienne », son précédent roman, mêle histoire et anecdotes, feu et cendres, passion et drame. Il narre avec panache la fougue d’une lutte, le nationalisme exacerbé, l’esprit de résistance et remet sur le devant de la scène un personnage un peu oublié des cours d’histoire. Avis aux amateurs ! Ed. Albin Michel – 402 pages André Metzinger

UN FAUVE DANS ROME Marcus Alexander est tribun de la Première caserne de Rome. Nous sommes quelques années après Jésus et l’empereur Néron impose sa férule. Loin des images d’Epinal, la tension est palpable et les intrigues se bousculent. Rien ne semble plus aller. Un incendie ravage la capitale, avec des flammes qui menacent le cirque Maximus, tandis que la rumeur se répand pour affirmer que le monarque a courroucé les dieux par ses débauches répétées et sa folie destructrice. Au centre de ce chaos, des enfants blonds disparaissent mystérieusement. Marcus décide de résoudre cette énigme au péril de sa vie. Le roman de Nathalie Cohen nous immerge dans l’Antiquité, en évitant les stéréotypes. Elle adopte le ton du thriller moderne grâce à une écriture souple et fluide, mais en se parant de mille références et en usant d’une documentation pointue, de manière à ne jamais être prise en défaut du point de vue chronologique ou historique. Certains thèmes du récit font naturellement référence à notre époque, surtout quand il s’agit de narrer la dignité violée de gamins et les abus de pouvoir d’un dirigeant complètement déconnecté de la population. Ed. Flammarion – 347 pages Paul Huet


RIYAD Pour celles et ceux qui l’ignorent, riyad, un mot rarement introduit dans la conversation chez nous, signifie littéralement « jardin » ou « oasis », tout en se référant également à la région du Riyad étendue sur plus de 1.500 km2 en Arabie saoudite ou à sa capitale. Jean Guerreschi se sert de ce cadre pour raconter l’histoire d’un homme qui s’installe pour quelques semaines dans un riyad de Marrakech afin de se ressourcer loin du vacarme du monde. C’est là qu’il mène une relation platonique avec une femme de la région. L’auteur prend son temps pour planter le récit, insiste sur les petits riens qui ravissent le quotidien et revient sur le passé du protagoniste, sujet à une prémonition lorsque l’avion qui doit l’amener en terre d’Islam devait décoller, bardé d’une vie de baroudeur à travers le monde. Ce livre refuse tout sensationnalisme, multiplie les détails et se tricote maillon par maillon, Une fiction servie pour nourrir la réflexion, menée avec une vigueur qui tient autant du ton entre semi-réalisme et contemplation que du conte. L’idée semble être de nous proposer d’adopter un pas-de-côté par rapport à la société de consommation qui nous phagocyte et de se gaver de félicité en retrouvant les vertus de la simplicité. Belle intention ! Ed. Serge Safran – 146 pages Amélie Collard

HARCELÉ Vincent Martin se retrouve face à un comité médical qui doit statuer sur son sort. Frappé d’amnésie partielle, tout un pan de son passé lui échappe. Seules quelques bribes émergent avec incohérence. Il se souvient seulement avoir subi un harcèlement intensif sur son lieu de travail, avant d’être victime d’un traumatisme crânien. Son supérieur hiérarchique l’accuse d’agression physique et a engagé une plainte en justice. Puis il y a eu sa fuite de la clinique Barnier, ses errements dans divers coins du pays, sa rencontre avec Virginie, son avocate, qui croit en son innocence. Pierre Filoche propose un roman en forme de puzzle, avec des éléments qui serpentent pour échafauder un suspense qui va crescendo. Le sujet peut sembler banal et les rebondissements disparates, mais c’est ce qui contribue ici à la saveur. On se situe à des lieues des standards, avec un homme simple dépassé complètement par la situation et en proie à un trouble qu’il ne parvient pas à juguler. L’aide de proches lui permettra doucement de quitter son mal-être et de voir clair. La couleur de cet ouvrage tient naturellement du thriller, mais sans la violence inhérente au genre. On parlerait plutôt de récit psychologique dont le lecteur attend l’épilogue pour s’assurer ou non de ses conjectures. Où se situe la part de vérité ? Le pari de cette histoire consiste à proposer une bonne lecture de fin de journée, avec une série d’ingrédients fédérateurs et un zeste d’originalité qui ne donnent pas l’impression d’avoir été vus ailleurs. Ed. Serge Safran – 190 pages Amélie Collard


LE VENT TE PORTERA La vie s’apparente à une pieuvre dont les tentacules happent chaque instant pour les broyer ou, au contraire, les arracher du quotidien triste qui se déroule pour certains. En retournant dans le village qui l’a vue naître, Lily, le début de la vingtaine, en fait l’âpre expérience. Alors qu’elle croyait mordre dans l’existence à pleines dents, elle se trouve confrontée à un dilemme. Plutôt que de profiter de sa jeunesse, elle doit s’occuper de sa jeune sœur autiste et subvenir financièrement aux besoins des siens. Dans le journal intime de son grand-père, elle découvre des mots qui émergent avec la force d’un slogan : « Je vais probablement mourir ici. Je dois partir si je veux vivre ! » A ses yeux, ces phrases prennent directement vie et lui apparaissent avec la puissance d’un appel. Le monde lui appartient et n’attend qu’elle, sans blesser ses proches mais en leur faisant comprendre qu’on ne doit pas enchaîner les gens à des contraintes au détriment de leur propre liberté. Ce beau portrait est signé Pauline Perrier, aussi inspirée que délicatement bercée de tendresse, sans rien sacrifier à la tonicité du récit. Une réussite qui pose les bonnes questions et qui amène à réfléchir sur le sens à apporter à l’existence. Ed. City – 351 pages Sam Mas

L’HORLOGER DE DACHAU Dachau reste un des camps nazis où les pires exactions se sont commises. Un lieu toujours connoté d’une réputation sinistre. En étant parqué dans un wagon à bestiaux, Isaac ne sait pas encore qu’il devra sa survie à ses talents d’horloger. Arrivé à destination, les SS le séparent de ses compagnons d’infortune et l’emmènent au domicile de l’officier Becher. Ce dernier lui assène : « Lorsque je t’ai vu avec ta pochette d’outils, j’ai tout de suite compris que j’avais affaire à un homme de talent et je me suis dit qu’il fallait que je profite de ce don pendant ton séjour ici. Vois-tu, j’ai ici une horloge grand-père qui m’a été offerte par le Führer en personne. Un des nombreux trésors qui appartiennent désormais au Reich. Malheureusement, elle ne sonne plus. Nombreux sont ceux qui ont essayé de la réparer et tous ont échoué. Mais toi, je pense que tu es l’homme de la situation. » Dès cet instant, il sait que sa vie dépendra du bon vouloir du responsable allemand, qu’elle tiendra à très peu de choses. Malgré le danger omniprésent, il s’affaire à son nouveau travail, tout en voyant défiler maintes horreurs. Suspendu au présent, il s’amourache d’Anna, juive comme lui et obligée de servir le responsable du camp en tant que femme de ménage. Pourtant, dans un monde où tout peut se briser en quelques secondes, l’amour n’a pas de place. Pour vivre libre et heureux, il sait qu’il importe de se battre et de ne jamais perdre espoir. Anna pourra-t-elle un jour devenir sa compagne ? Carly Schabowski signe un roman qui parle d’une époque terrible et se sert de mots justes pour laisser naître l’émotion. Ed. City – 350 pages Daniel Bastié


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