CINÉMA : PETIT PAYS Drame d’Éric Barbier, avec Jean-Paul Rouve, Djibril Vancoppenolle, Isabelle Kabano et Delya De Médina. France 2019, 111 min. Sortie reportée au 26 août. Résumé du film – Dans les années 1990, le jeune Gaby vit au Burundi avec son père Michel, coopérant français, sa mère Yvonne, une Rwandaise tutsie, et sa petit sœur Anna. Il passe son temps à faire les quatre cents coups avec ses copains de classe, jusqu’à ce que la guerre civile entre Hutus et Tutsis se déclare, mettant fin à l’innocence de son enfance. Il va comprendre pourquoi une affaire de nez a mis le feu aux poudres dans une région de l’Afrique où grondait la révolte depuis longtemps. Commentaire – Depuis des siècles en fait. Depuis que l’élite tutsie s’est imposée aux Hutus, majoritaires mais plus frustes, dans les deux pays voisins du Rwanda et du Burundi, et que la colonisation a consacré cet état de fait. Les Tutsis, grands et au nez fin, ont dominé la société malgré les révoltes populaires. Même pays, même langue (le kinyarwanda au Rwanda, le kirundi au Burundi), même religion mais pas le même nez, sur lequel se disputent les enfants en voyant celui de Cyrano de Bergerac à l’école. Le génocide dans les deux pays limitrophes nous est conté à partir du Petit pays de Gaël Faye, tourné au Rwanda avec 90 pourcent d’acteurs rwandais. Le réalisateur français est Éric Barbier (La promesse de l’aube, 2017), qui en fait une adaptation très fidèle. Sauf la fin du livre, qu’il adapte dans un souci de vraisemblance, en recentrant les éléments un peu émiettés de l’histoire. Tout est donc conforme au récit de Gaby, et l’on suit les aventures d’une bande de cinq gamins qui vont découvrir l’horreur du génocide, mal profond et contagieux. Il se communique d’un pays à l’autre comme un virus, ou comme une gangrène, dévastant tout sur son passage. Jean-Paul Rouve incarne bien l’ingénieur français passionné par la coopération au Burundi, tandis que sa femme, réfugiée tutsie ayant fui le Rwanda, ne rêve qu’à Paris pour arpenter les Champs-Elysées. Yvonne a gardé une certaine arrogance héritée de la bourgeoisie, voire de l’aristocratie tutsie qu’elle représente, et elle le fait sentir à son mari qu’elle domine de la tête et du nez. C’est une femme au port altier, et leur couple s’en va à vau-l’eau, au bord de la déroute, miné par le colonialisme ambiant. On suit leur brouille, tandis que la situation dégénère sur le plan social et qu’une grande noce se prépare à Kigali, où doit se rendre Yvonne pour assister au mariage de son frère Pacifique. C’est alors que l’avion des deux présidents sera abattu au-dessus de Kigali, le 6 avril 1994, entraînant l’assassinat d’un million de Tutsis et d’Hutus modérés, avec un effet domino au Burundi. Tout nous est minutieusement raconté comme dans le livre, qui le faisait à travers les paroles d’un enfant. C’est raconté ici à travers la bouche des adultes, que couvrent le crépitement des rafales et le lynchage des corps martyrisés, avec des moments forts. Moins poétique il est vrai, mais plus circonstancié, le réalisateur ayant soin de situer les faits terribles qu’il met en scène avec un accent d’authenticité, notamment la langue locale. Le film a été tourné au Rwanda, où l’unité nationale a pu être reconstituée après la tragédie, Tutsis et Hutus se fondant dans une nation recomposée. Ce n’était sans doute pas le cas au Burundi, le petit pays décrit par Gaby, où les tensions restent fortes, vingt-cinq ans plus tard, entre les deux communautés. Petit pays a été présenté à Kigali en avant-première. Avis – A voir si vous n’avez pas lu le best-seller de Gaël Faye, Prix Goncourt des Lycéens et Prix du premier roman en 2016. Le film n’y apporte rien de plus, sinon la beauté des images et la présence des deux jeunes acteurs, magnifiques dans leur rôle. Michel Lequeux