Léon Tolstoï - De L'éducation religieuse, un essai (Les Rayons de l'Aube 1901 (p. 195-201))

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Les Rayons de l’aube/Chapitre 16 < Les Rayons de l’aube Léon Tolstoï

De l’éducation religieuse Traduction par J.-Wladimir Bienstock. Les Rayons de l’aube Dernières études philosophiques, Stock, 1901 (p. 195-201). ◄ XV.

XVII. ►

XVI DE L’ÉDUCATION RELIGIEUSE

À l’époque — il y a déjà vingt années — où je vis clairement comment l’humanité doit et peut vivre heureuse, tandis que, sans raison, elle s’opprime et ruine les générations les unes après les autres, j’ai voulu remonter de proche en proche jusqu’à la cause fondamentale de cette folie et de cette ruine. Tout d’abord, elle me sembla résider dans la fausse situation économique ; après je la vis dans la violence du gouvernement qui soutient cette situation ; maintenant je suis arrivé à la conviction que la cause fondamentale de tout ce mal, c’est la fausse doctrine religieuse qu’on impose par l’éducation. Nous sommes si habitués au mensonge religieux qui nous entoure que nous ne remarquons pas l’effroyable bêtise et la cruauté dont est pleine la doctrine de l’Église. Nous ne les remarquons pas, mais les enfants, eux, les remarquent et leur âme se déforme irrémédiablement par cette doctrine. Nous n’avons qu’à comprendre clairement ce que nous faisons en enseignant aux enfants ce qu’on appelle l’instruction religieuse pour être effrayés du terrible crime qui résulte de cet enseignement. Pur, innocent, n’ayant été encore ni trompeur ni trompé, l’enfant s’adresse à nous, à des hommes qui savent la vie et qui possèdent ou peuvent posséder toutes les sciences connues de notre temps par l’humanité, il nous interroge sur ces principes suivant lesquels l’homme doit diriger sa vie ; et que lui répondons-nous ? Souvent même, nous ne lui répondons pas, mais nous devançons ses questions afin d’avoir prête la réponse à ses questions, nous lui répondons par la légende hébraïque, grossière, illogique, souvent stupide et surtout cruelle, que nous lui racontons soit en original, ou ce qui est pire, dans notre propre version. Nous lui donnons, en le lui faisant croire pour la sainte vérité, ce que nous savons être impossible et qui n’a pour nous aucun sens, à savoir : qu’il y a six mille ans une créature étrange et sauvage, que nous appelons Dieu, songea à créer le monde, qu’elle le créa ainsi que l’homme, et que l’homme a péché, que Dieu méchant l’a puni pour cela et nous tous avec lui ; puis qu’il a expié lui-même le péché par la mort de son fils, et que notre but principal consiste à attendrir ce Dieu et à s’affranchir des souffrances auxquelles il nous a destinés. Il nous semble que ce n’est rien, que c’est même utile à un enfant, et nous l’entendons avec plaisir répéter toutes ces horreurs, sans réfléchir à cette terrible transformation, que nous ne remarquons pas parce qu’elle est spirituelle, et qui se produit à ce moment dans l’âme même de l’enfant. Nous pensons que l’âme de l’enfant est table rase, qu’on peut y écrire tout ce qu’on veut, mais c’est une erreur. Il y a chez l’enfant une vague lueur sur ce qu’il y a un commencement à tout, sur la cause de son existence,


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