Conseils aux dirigés/Aux Travailleurs < Conseils aux dirigés Léon Tolstoï
Aux travailleurs Traduction par Ely Halpérine-Kaminsky. Conseils aux dirigés, Charpentier, 1903 (p. 1-70). ◄ Avis du traducteur
L’unique moyen ►
AUX TRAVAILLEURS
Et vous connaîtrez la vérité, Et la vérité vous affranchira.
(Jean, VIII, 32.)
Il me reste peu de temps à vivre et, avant de mourir, je voudrais vous dire, à vous travailleurs, ce que j’ai pensé du joug qui pèse sur vous et des moyens qui pourraient vous en libérer. J’ai beaucoup réfléchi à ce sujet, et de tout ce que j’ai pensé et pense encore, peut-être quelque chose pourra-t-il vous servir. Je m’adresse naturellement aux ouvriers russes parmi lesquels je vis, et que je connais davantage ; mais j’espère que certaines de mes pensées pourront également être utile aux travailleurs des autres pays.
I
Le fait que vous autres ouvriers êtes forcés de passer votre vie dans la misère, que vous êtes condamnés à un travail pénible, infructueux pour vous, alors que d’autres, sans aucun travail, jouissent du produit de votre labeur, que vous êtes les esclaves de ces hommes, quand cela ne doit pas être, ce fait émeut quiconque a des yeux et du cœur. Mais que faire pour que cela change ? Le moyen le plus simple et le plus naturel, celui qui s’offre avant tout et s’est offert de tout temps, vous paraît être d’enlever par la force à ceux qui vivent de votre travail ce dont ils jouissent illégitimement. Ainsi, dans l’antiquité, agirent les esclaves à Rome ; au moyen âge, les paysans d’Allemagne et de France ; ceux de Russie, à plusieurs reprises, au temps de Stenka Riazine et de Pougatchev ; de même agissent parfois les ouvriers russes de nos jours.