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La semaine de J.A. L’événement

Les résultats ont été transmis aux autorités béninoises le 16 avril, accompagnés d’un courrier de Michael A. Raynor, ambassadeur des États-Unis à Cotonou. Ce rapport daté du 29 mars – dont J.A. s’est procuré copie, et que l’ambassade américaine se refuse à commenter – est la pièce maîtresse de l’instruction béninoise, le document sur lequel repose désormais la demande d’extradition. Les experts n’ont pas trouvé de « produits radioactifs » destinés à « achever » le président par asphyxie, contrairement à ce qu’avait déclaré Philippe Houndégnon, l’ancien commissaire central de Cotonou, lors d’une conférence de presse mémorable, le 22 octobre dernier. Mais dans les médicaments que Thomas Boni Yayi prenait quotidiennement ont été instillées des substances toxiques et dangereuses, comme l’attestent des plaquettes de gélules rafistolées avec du scotch. lll

ampoules. Le président utilise ordinairement du Lyrica (prégabaline), un antiépileptique, du Josir LP, qui traite les inflammations de la prostate, et du Dafalgan 500, un antalgique classique. Dans plusieurs gélules des deux premiers remèdes, les scientifiques ont décelé des traces d’un laxatif, le bisacodyl.DansleDafalgan,ilsontdécouvertdupsilocine (ou psilocybine), un puissant hallucinogène, dont l’usage médical est strictement encadré. Enfin, dans trois ampoules injectables retrouvées avec les médicaments incriminés, ils ont identifié un agent pouvantprovoquerunblocageneuromusculaire(de l’atracurium,oucisatracurium),unanesthésiant(de la kétamine) et un opiacé censé maximiser les effets des autres substances (le sufentanyl). Au vu de ces résultats, l’on indique désormais dans l’entourage du président que si ces médicaments peuvent être qualifiés de « mortifères », ils ne n o 2729-2730 • du 28 avril au 11 mai 2013

p Entête du rapport d’analyse toxicologique réalisé par le FBI pour le compte des autorités béninoises, en date du 29 mars 2013.

vis visaient pas à le tuer. « Ils auraient entraîné des réactions incontrôlées, suffisamment étranges pour que la Cour constitutionétr nelle le déclare incapable d’exercer ses fonctions et le destitue », affirme un ministre proche du chef de l’État. Une « nuance » que la défense de Patrice Talon a bien l’intention d’exploiter. « Tantôt on parle de tentative d’empoisonnement, tantôt de tentative d’assassinat, la qualification même des faits pose problème », assène le très médiatique William Bourdon, avocat de Patrice Talon. « Le dossier présenté par le Bénin est d’une approximation et d’une pauvreté incroyables, même le procureur l’a relevé », ajoute-t-il. Car, pour la défense, rien ne dit que les aveux de Zoubérath Kora-Séké ou du Dr Ibrahim Mama Cissé n’ont pas été obtenus sous la contrainte. Dans les procès-verbaux de police, dont J.A. a eu connaissance, le médecin affirme que Talon lui a ordonné d’administrer les médicaments au chef de l’État, et qu’il avait menacé de faire exploser en vol l’avion présidentiel. Mais, selon une source proche du dossier, le prévenu n’aurait pas du tout tenu le même discours en présence de son avocat. instrumentalisation. Pour l’heure, la défense

Des traces d’un laxatif, d’un puissant hallucinogène et d’un anesthésiant.

parisienne de Patrice Talon dénonce un règlement decomptespolitiqueetl’instrumentalisation,àcette fin, de la justice béninoise, rappelant au passage les relations difficiles que cette institution entretient avec l’ONG Amnesty International. Le juge d’instruction béninois doit fournir à la cour d’appel de Paris, avant le 22 mai, un maximum de pièces justifiant sa requête contre Talon et Boko. Et Me Christian Charrière-Bournazel, avocat-conseil de Thomas Boni Yayi, qui, même s’il ne peut pas intervenir dans la procédure, la surveille comme du lait sur le feu, tient à ce que les choses soient claires : « Extradition ne veut pas dire condamnation. La justice française examinera les charges et décidera en conscience. » Mais même si la justice donne son accord, une extradition est éminemment politique. Or, de mémoire d’avocat, jamais personne n’a été extradé de la France vers le Bénin. Dans un courrier officiel joint au dossier d’instruction, Cotonou assure ne plus appliquer la peine de mort, mais la loi abolissant cette sentence – votée en 2011 – n’a toujours pas été promulguée. Et le Bénin rappelle qu’il fait partie de la liste des seize « pays sûrs » recensés par l’Office français de protection des étrangers et apatrides (Ofpra). Il est vrai que le dernier rapport de l’organisation sur le pays aurait besoin d’être actualisé. Il date de 2005, soit un an avant l’arrivée au pouvoir de Thomas Boni Yayi. l jeune afrique


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