FR - BROWSING: Mémoires de Caressing pixels

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Livret d'exposition de résidence

BROWSING

Mémoires de Caressing pixels

Dhia Dhibi

Livret d'exposition de résidence

BROWSING

Mémoires de Caressing pixels

Dhibi
Dhia

Auteur et conception : Dhia Dhibi

Photographie des œuvres : Slim Gomri

Publié dans le cadre de l'exposition de fin de résidence intitulée "Caressing pixels", du 24 septembre au 22 octobre au "Centre des Arts Vivants de Rades" - Ben Arous, Tunisie.

Cette résidence au CAVR a duré 11 mois, de novembre 2022 à septembre 2023.

Remerciements :

Un grand merci à :

Ma famille pour leur soutien constant.

L'équipe du Centre des Arts Vivants de Rades : Aicha

Filali - Slim Gomri - Hanen Abiriga - Habiba Doula - Saida

Louini & Salem Mribai.

Collaborateurs et amis : Nizar Amous - Achref Hentati -

Slim Tliba - Marwen Zribi - Amin Hammami & Hajer Riahi.

Et à toutes les personnes qui, d'une manière ou d'une autre, ont contribué à ce projet...

Carte de l'exposition

X: Vous êtes ici.

① : WIRING

② : CARESSING + CONNECTING

③: TYPING

① ② X ③

Dépression sociétale, instabilité politique et une totale incertitude quant à l'avenir... La Tunisie postCovid semble être un incitateur à fuir vers une "autre" réalité.

Progressivement, une obsession pour émanciper l'instant présent se propage et devient un sujet d'intérêt quotidien. Mais avant la fuite ultime (quitter le pays pour la plupart des Tunisiens ?), les écrans ont tendance à présenter une solution momentanée pour l'évasion nécessaire. Cet appareil omniprésent, diffusant des images, apaise la réalité et en modifie la perception. Il semble qu'aujourd'hui, il soit devenu bien plus qu'un simple gadget technologique, mais plutôt un partenaire intime, un compagnon qui témoigne du changement de sentiments de ses utilisateurs, passant de l'horreur à la joie, de la mélancolie à l'euphorie, de la colère à la sérénité... Tout cela derrière une grille de petits points lumineux appelés pixels.

Mais que se passe-t-il lorsque ces capsules émotionnelles sont jetées ? Ces écrans qui ont accompagné nos confessions les plus intimes et nos désirs... Les câbles qui ont emmêlé nos draps en rechargeant notre rectangle de sensations pixélisées... Les signes, les symboles et les lettres que nos doigts ont tapés sans relâche pour établir une connexion... Qu'advient-il d'eux une fois qu'ils sont jetés ?

Tout au long de ma résidence, j'ai collecté ce que l'on appelle les matériaux "E-Waste", sans motif spécifique. Ma certitude était d'interroger la

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relation symbiotique avec l'écran. Cependant, comment matérialiser les aspects de cette connexion aux pixels est resté un champ d'expérimentation à explorer.

CÂBLAGE

Eh bien, pour interagir avec les écrans et développer un lien intime avec eux, ils doivent d'abord être connectés à l'électricité. Ils doivent

être câblés. En fait, ce processus de branchement semble se fondre avec les infrastructures de notre routine quotidienne et de notre habitat domestique. Non seulement pour allumer ou recharger ces écrans, mais aussi pour les écouter et absorber leur contenu affiché. “Le théoricien des médias sociaux Nathan Jurgenson est d'accord, écrivant qu'il n'y a "rien d'anti-humain dans la technologie : le smartphone que vous caressez et emportez au lit est une technologie de la chair. L'information pénètre le corps de manière de plus en plus intime."”[1]. Ces câbles... Conducteurs d'informations et d'illusions binaires, ils tournent, se tortillent et s'emmêlent dans nos draps et notre espace de confort.

J'ai commencé à collectionner des câbles abandonnés auprès d'amis, de ma famille, ou même trouvés dans la rue. Des réseaux personnels aux connexions inconnues, ces câbles ont relié une multitude de personnes, tissant des toiles et croisant des maillages de sensations, et ils se sont fondus dans notre vie quotidienne.

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1. Debeljak, Klara.Chapitre 1: “Online Intimacy.” TEXTILE TINGS: On identity and trust. The Institute of Network Cultures, Amsterdam, 2022, p. 12. (Traduction)

Dhia Dhibi

WIRING, 2023

3 x 1 m

Câbles tissés

En regardant ce matériau, une impression de ressemblance me vient à l'esprit en pensant à un type de tapisserie tunisienne appelée "Klim Chwalek" (Chwalek signifie restes de tissu en dialecte Tunisien). Contrairement aux tapis traditionnellement ornés, ce type de tapisserie est essentiellement un objet utilitaire. Que ce soit glissé sous les matelas ou utilisé comme un siège banal de tous les jours, le fait qu'il soit fabriqué à partir de matériaux jetés rend cet article accessible et toujours... là. Tout comme ces câbles abandonnés dispersés dans notre environnement, les tissés avait une valeur sentimentale antérieure ; soit c'était un vêtement, soit un morceau de tissu déchiré plus tard en rubans pour être entrelacé dans le métier à tisser, ils avaient une vie passée Les tisser, c'est relier les expériences qu'ils ont transportées, c'est emmêler les données qu'ils ont escortées. Ils présentent une torsion statique de connexions qui alimentent nos pixels.

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Dhia Dhibi

CARESSING, 2023

1.6 x 1.17 x 0.17 m

Ecrans LCD brisés et encadré en bois

ÉCRANS

Dans tout cela, la pièce maîtresse reste l'écran luimême... Il est lacé et connecté avec des cordons, prêt à afficher notre évasion bien-aimée et notre réalité filtrée.

Cependant, l’écran possède une propriété matérielle très fragile. Une fois tombé ou soumis à un impact relativement fort, il se fissure. Ce qui occasionne une déformation des images qui perdent de ce fait leur signification et commencent à dévoiler leur structure interne.

Ces écrans cassés, sont rapidement remplacés par les usagers qui jettent leurs anciens compagnons pour un nouveau réseau de pixels.

Ces écrans, qui ont vécu, ont constitué la matière première de mon travail. Collectés auprès de techniciens en informatique, de réparateurs de téléviseurs, et même dans des poubelles…

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Dhia Dhibi CONNECTING, 2023 1:30 min

Simulation 3D des deux neurones juxtaposés à des écrans LCD cassés

C’est ainsi que les silhouettes dessinées par les fissures ont constitué pour moi un objet de fascination, dans la mesure où elles dessinent automatiquement des motifs et des formes diverses voyageant d’une fissure à une autre. Sans pouvoir se fixer dans une composition plastique stable.

L’intérêt de ce maillage réside dans le fait que les lignes et les formes changent et évoluent en fonction des conditions météorologiques, et surtout au toucher.

Serait-ce une revanche des écrans d’avoir développé une vie propre après avoir été abandonnés, délivrés des désirs et des pensées confessés par leurs utilisateurs précédents? Tout comme les synapses dans les transmissions neurologiques, les fissures se connectent les unes aux autres pour transmettre des messages et des informations. Elles communiquent et ressentent leur environnement. La mémoire du toucher et l'intimité de caresser des pixels sur un écran persistent même après avoir déformé leur grille ordonnée. Nos doigts qui caressaient autrefois doucement ces rectangles lumineux laissent souvent une trace même après leur casse.

Mais que touchent réellement nos doigts ? Oui, les pixels, mais il y a tout un mouvement chorégraphique pour interagir avec l'écran, du défilement au zoom et au clic... de multiples gestes sont effectués. Cependant, peut-être l'acte le plus

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important dans cette performance est la saisie.

CLAVIERS

Il représente l'action principale qui nous permet de contrôler ou de commander les pixels pour afficher nos besoins. Dans un livre intitulé AFK (Away From Keyboard), Domenico Quaranta déclare : "Comme Peter Sunde, l'un des fondateurs de The Pirate Bay, l'a remarqué, l'expression IRL (« dans la vraie vie », par opposition à en ligne), qui est apparue dans les salles de discussion sur Internet, est rapidement devenue obsolète lorsque nous avons réalisé que nous passons plus de temps sur les claviers (ou les écrans tactiles) que loin d'eux."[2]. Je me suis demandé si nous pouvons réellement être éloignés du clavier ? Pouvons-nous nous déconnecter du lexique numérique et de ces expériences stockées sur les écrans ?

Ces dernières années, l'utilisation de références numériques, que ce soient des memes ou des vidéos aléatoires (dont la provenance n'a de toute façon pas d'importance), s'est infiltrée dans la communication quotidienne. On dirait que nous mentionnons constamment ces phrases éphémères et ces tendances. Les mots dérivés de la culture numérique que nous avons tapés à maintes reprises ont migré vers notre langue. Bien qu'incorporés dans les conversations courantes, ces lettres et ces

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2. Quaranta, Domenico. AFK. Texts on Artists 2011-2016. LINK Editions, 2016, p. 19. (Traduction)

caractères que nous avons tapés s'estompent avec les tendances auxquelles ils étaient associés. Sur le plan matériel, les claviers que nous avons utilisés seront également remplacés dès qu'un nouveau modèle émergera. Ce qui étaient autrefois les touches qui comprenaient nos doigts finiront par être des déchets, abstraits de tout sens ou signification.

Dans ma quête d’écrans endommagés, il m’était difficile d’éviter les claviers. En les emportant avec moi, je n'ai pas pu m’empêcher de penser à toutes ces mains qui avaient parcouru les touches et qui étaient maintenant en train de serrer…les miennes. En reproduisant un modèle 3D de ma propre main, j'ai créé une sculpture dans laquelle toutes ces touches éparpillées pouvaient s'unir. Construire un totem de connexions et de signification manquante représentait un traitement équitable pour tous ces messages que ces touches véhiculaient.

Dhia Dhibi TYPING, 2023 0.76 x 0.38 x 1.51 m

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Sculpture couverte en touches de clavier et de circuits

Alors que je navigue (ou Browse en anglais) des matériaux, des images numériques et des interactions virtuelles, ce projet a constitué pour moi l’occasion de comprendre la dépendance croissante à la technologie. L'atmosphère environnante, les difficultés économiques locales ont amené toute une génération, la mienne, à une attitude nihiliste envers la vie.

Cette métamorphose du soi physique en un soi virtuel a été générée avec de multiples structures matérielles et gadgets électroniques, que ces technologies soient durables ou éphémères, elles conservent des fragments de temps, de sentiments et d'intimité avec elles. Signifieront-elles quelque chose une fois abandonnées et jetées ?

Même s’il semble difficile de répondre à cela ; jusqu'à présent, nous continuons à caresser les pixels...

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Courte Bio:

Dhia Dhibi est un artiste visuel, curateur et chercheur en théorie de l'art basé à Tunis. Diplômé à l'origine en tant qu'artiste 3D, il a élargi sa curiosité pour les pratiques artistiques multidisciplinaires en étudiant la théorie de l'art et les pratiques curatoriales.

Le travail de Dhia se concentre principalement sur la réflexion sur les dynamiques contemporaines des cultures numériques.

Contact : Dhia.dhibi@gmail.com

ROWSING: Mémoires de Caressing pixels fait partie du projet de résidence "Caressing pixels" de Dhia Dhibi au "Centre des Arts Vivants de Rades". Ce livret documente et dévoile le processus du voyage pendant les onze mois de résidence. Le livret accompagne les œuvres exposées et sert de compagnon de navigation pour les visiteurs.

Novembre 2022 - Septembre 2023

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