Rodin l'homme et l'oeuvre, 1914

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JOSEPH COMMUNAL

MATINÉE AU LAC DE MONTRIONS (HAUTE-SAVOIE)

Rien de semblable chez M. Communal. Son oeuvre ne montre pas l'homme aux prises avec la Nature. Ce n'est pas une élégie, ce n'est pas un drame : c'est l'explosion de l'enthousiasme d'un montagnard pour sa montagne, — et cette montagne, toute imposante qu'elle soit et toute glacée, se fait bienveillante, accueillante, comme un palais féerique. Elle s'abaisse ça et là et laisse voir au loin, dans la plaine, un lac, quelque chose qui ressemble à des toits, des villages, des villes peutêtre, des terres cultivées, nourricières... Même si l'on n'en voit rien, on le soupçonne possible. Le Savoyard n'a pas, en face du grand mystère des Alpes, la terreur de l'enfant venu de Milan. Il aime visiblement la Savoie. Quelque chose, pourtant, le rapproche de son

illustre devancier : la puissance de l'intensité. Comme Segantini, M. Communal nous apporte une vision nouvelle des choses ; comme chez lui, cette vision est exprimée par un métier nouveau ; comme chez lui, enfin, ce métier est d'une audace extraordinaire. Aussi, bien que le Savoyard ne se soit nullement inspiré de l'Italien, — il ne le con-

naissait même pas quand il s'est mis à peindre, — il produit, sur les fervents de la montagne, une impression égale. Voici dix-sept ans déjà que, séduit par quelques paysages alpestres entrevus, ça et là, dans les expositions et signés d'un nom inconnu, je prenais le chemin de la Haute-Engadine pour découvrir le magicien à qui nous devions ces éblouissements. Tout ce que je vis, passé le col du Julier, dans le chalet de la Maloja, où habitait Segantini et aussi, en pleins pâturages, là où il peignait ses triptyques d'après nature, me confirma dans l'admiration où m'avaient jeté ses premières oeuvres. Pour la première fois, je trouvais un interprète des Alpes qui rendait, dans toute sa puissance, le texte sacré. En redescendant de sa montagne, vers Saint-Moritz, tandis que carillonnaient, au trot des chevaux, les grelots de « l'extra-post », mon émotion était si profonde que je ne croyais pas la ressentir une seconde fois dans ma vie. Je me trompais. L'oeuvre de M. Communal vient de la renouveler. ROBERT DE LA SIZERANNE.

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