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B. Paris

II. TROIS PATRIMONIALISATIONS B. PARIS

Paris n’a pas connu de sinistre majeur, à la différence de villes comme Londres : on y lit donc l’héritage du Moyen Âge, de la période moderne, le remodelage profond du Second Empire et la désindustrialisation contemporaine. On note un développement concentrique de la ville qui s’accroît par des ceintures successives. La présence de lieux de pouvoir de toutes les époques marque profondément l’organisation de la ville : ainsi on observe un axe Est-Ouest qui va de la Défense à Bercy en passant par les Champs Elysées et le Louvre. Le pouvoir républicain s’affiche désormais avec les grands projets présidentiels (Beaubourg, Arche de la Défense, musée d’Orsay, pyramide du Louvre, musée du quai de Branly…). Paris est une ville qui a su se mettre en scène autour de places, de perspectives, au gré de grandes expositions universelles (1878, 1889, 1900), de l’édification de monuments audacieux en leur temps (tour Eiffel, centre Pompidou). 39 FONDATION DE LUTÈCE En 52 avant JC, les Parisii, l’un des peuples gaulois, sont les maîtres des lieux avant d’être soumis à Rome. Ainsi, on ne connaît pas précisément l’emplacement de la cité gauloise mentionnée dans les sources latines : il pourrait s’agir de l’île de la Cité, de l’île Saint-Louis, ou d’une autre île aujourd’hui rattachée à la rive gauche. La cité romaine prend le nom de Lutèce. À l’époque gallo-romaine, Lutèce n’est qu’une cité modeste du monde romain. Elle connait toutefois une certaine prospérité grâce au trafic fluvial. La position stratégique de Lutèce face aux grandes invasions en fait un lieu de séjour pour l’empereur JULIEN entre 357 et 360. La cité prend le nom de Paris à cette époque. La ville est dotée d’un forum, d’un théâtre et de thermes, suivant le mode de vie des romains. À partir de 451 et durant la fin du BasEmpire, Lutèce est ravagée et incendiée par les grandes invasions au milieu du III ème siècle et sa population se replie dans l’île de la Cité qui est fortifiée par la récupération de pierres prises

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aux grands édifices ruinés.

Fig 25 : Enceinte de Philippe-Auguste 40 DE CLOVIS AUX CAPÉTIENS

Le Mérovingien Clovis, roi des Francs, s’y établit pour en faire sa capitale en 508, à la suite de sa victoire sur les Romains. La cité demeure la capitale indivise du royaume des Francs.

Au IX ème siècle, des enceintes sont édifiées sur la rive droite pour protéger les paroisses de Saint-Gervais et Saint-Germainl’Auxerrois (aujourd’hui située près du Louvre). L’enceinte de Saint-Gervais devait se situer approximativement au niveau de la rue de Rivoli. En 885, après l’incendie de Saint-Denis par les barbares, GOZLIN, l’évêque de Paris, fait réparer la muraille gallo-romaine juste avant une nouvelle attaque et la population se réfugie dans l’île de la Cité. La rive gauche est entièrement détruite par les Normands lors d’une nouvelle attaque.

DE HUGUES CAPET À LA GUERRE DE CENT ANS

Les Capétiens s’emparent de la couronne en 987. Hugues CAPET fixe sa résidence dans l’Île de la Cité, confortant à Paris sa prééminence et son rôle de capitale. Il fait restaurer le palais de la Cité et les abbayes, la ville devient alors un important centre d’enseignement religieux au début du XI ème siècle. Le pouvoir royal reste à Paris avec LOUIS VI (1108-1137) et plus encore avec PHILIPPEAUGUSTE (1179–1223). La cour s’y fixant, Paris devient définitivement la capitale du royaume. La rive gauche n’est véritablement reconstruite qu’au XII ème siècle. À la même époque, la rive droite est constituée de quatre

quartiers : le quartier de Grève (Saint-Gervais),

le Châtelet, les Halles et Saint-Germainl’Auxerrois. Grâce à sa position privilégiée sur les grands itinéraires commerciaux, c’est l’activité marchande qui donne son essor à la ville. En 1163, l’évêque MAURICE DE SULLY entreprend l’édification d’une cathédrale digne du siège du pouvoir royal et religieux à l’emplacement de deux églises mérovingiennes. Cette action tend à souligner la victoire sur les Mérovingiens ; on doit oublier ce passé que les Capétiens ont balayé. La première pierre de la cathédrale Notre-Dame est posée sous le roi Louis VII. Une enceinte est construite par PHILIPPE-AUGUSTE pour protéger la ville de la menace du roi d’Angleterre. Cette muraille ceinture l’agglomération de la rue ÉtienneMarcel à la rue de l’Estrapade et de la nouvelle forteresse du Louvre aux Fossés-Saint-Bernard. Par la suite, Paris s’étendit surtout sur la rive droite.

DE LA GUERRE DE CENT ANS À LA RENAISSANCE

Alors que les murs défensifs étaient de longue date laissés à l’abandon, le risque d’un pillage par une chevauchée anglaise conduit les Parisiens à mieux fortifier leur ville. En 1356, Étienne MARCEL fait construire de nouveaux remparts autour des quartiers situés au nord de la Seine. CHARLES V continue cette œuvre. Sur la rive gauche, pour protéger Paris des Anglais, il fait couronner de créneaux l’enceinte dite de PHILIPPE-AUGUSTE. Sur la rive droite, il fait construire un nouveau rempart, dit de CHARLES V, dont la construction s’achèvera en 1383. 41

Fig 26 : Cathédrale Notre-Dame-de-Paris dont

la construction a commencé sous les Capétiens

Fig 27 : Michel-Charles FICHOT, L’hôtel de Cluny, lithographie et dessin préparatoire, vers 1850

Fig 28 : Eglise Saint-Etienne-du-Mont

Fig 29 : Aile LESCOT de la Cour Carrée du Louvre 42 RENAISSANCE

La Renaissance italienne influence peu la structure de la ville, son développement restant lié aux résidences du roi et de la cour. Le style gothique flamboyant reste longtemps le style parisien par excellence, tant pour l’architecture civile (hôtel de Cluny, hôtel de Sens) que pour l’architecture religieuse (église Saint-Séverin, église Saint-Étienne-duMont).

L’autorité royale ne s’était jusqu’alors manifestée que pour la construction d’enceintes, le pavage des rues ou l’édification de demeures royales. Progressivement, la monarchie s’inquiète de l’expansion désordonnée de la cité et édicte une première réglementation d’urbanisme. Sa première manifestation importante est l’ordonnance architecturale imposée en 1500 au nouveau pont NotreDame, bordé de maisons uniformes de brique et de pierre. FRANCOIS I er accède au trône en 1515. En 1528, il fixe officiellement sa résidence à Paris. La reconstruction du Louvre est alors décidée et mise en chantier en 1546 sous la direction de Pierre LESCOT. Les portes des anciennes enceintes sont démolies, le premier quai de pierre de la ville édifié, les principales rues créées.

PARIS ET GUERRES CIVILES

Malgré la guerre civile, la ville continue de s’accroître. La cour édifie de nombreux hôtels de luxe. Le faubourg Saint-Germain-des-Prés et le Marais connaissent un développement urbain important qui se poursuivra intensément

pendant les règnes d’HENRI IV et LOUIS XIII. De

cette époque est resté tout un quartier d’hôtels particuliers parmi lesquels se trouvent l’hôtel d’Angoulême et le palais abbatial du cardinal de Bourbon. Lorsqu’HENRI IV abjure le protestantisme en se convertissant à la cathédrale de Chartres, les portes lui sont finalement ouvertes en 1594. Arrivé à la tête d’un pays ruiné, il relève la ville avec une grande rapidité, multipliant les chantiers afin d’embellir la ville et de servir sa gloire. Le Pont Neuf est achevé, offrant pour la première fois accès au paysage fluvial. Le nouveau souverain donne un nouvel élan au chantier du Louvre. Cette volonté d’agrandir le Louvre prend le nom de «Grand Dessein».

LE XVII ème SIÈCLE

Sous le règne de LOUIS XIII, de vastes terrains libres sont acquis, des rues tracées et les parcelles viabilisées. RICHELIEU fait détruire l’enceinte de CHARLES V sur la rive droite et la remplace par une enceinte bastionnée dite des Fossés Jaunes. LOUIS XIV ayant relativement assuré la sécurité du royaume grâce aux places fortes de VAUBAN, il fait détruire les remparts en 1670 afin d’aménager sur leur emplacement une promenade plantée, le nouveau cours, ancêtre des Grands boulevards. Les anciennes portes fortifiées sont remplacées par des arcs de triomphe à la gloire du roi, les portes SaintDenis et Saint-Martin. Le roi choisit Versailles comme résidence en 1677, avant d’y déplacer le siège du gouvernement en 1682. Le faubourg SaintGermain s’étend jusqu’aux Invalides, le Louvre et les Tuileries sont embellis pour être à la hauteur du Roi Soleil et la place Vendôme est aménagée.

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Fig 30 : Israël SILVESTRE, Hôtel d’Angoulême côté jardin, 1650, gravure, Musée Carnavalet

Fig 31 : Vue aérienne de la place Vendôme

Fig 32 : Michel-Charles FICHOT, Le palais des tuileries et le Louvre, 1850

Fig 33 : ARNOUX, Eglise Sainte-Genevieve, d’après un dessin de WILLMANN, gravure, 1883 44 PARIS/VERSAILLES

En 1715, le jeune roi LOUIS XV est installé au palais des Tuileries, ce qui marque le retour de la royauté dans Paris. Cependant, dès 1722, Louis XV choisit de se réinstaller au château de Versailles rompant la fragile réconciliation avec le peuple parisien. LOUIS XV s’intéresse personnellement à la ville à partir de 1748 ; la place LOUIS XV, devenue plus tard place de la Concorde, est aménagée de 1763 à 1772. Puis c’est l’église Sainte-Geneviève qui est édifiée (l’actuel Panthéon), le théâtre de l’Odéon, l’école militaire et l’esplanade du Champ-de-Mars. Tous ces édifices font partie de vastes réaménagements urbains qui transforment la physionomie des quartiers qui les entourent.

LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

Le peuple parisien ayant souvent été contestataire, la plupart des grands événements révolutionnaires français ont eu lieu à Paris qui porte dans son patrimoine (places, rues, monuments) cette histoire. Il s’agit souvent d’un patrimoine immatériel, de lieux qui rappellent des événements majeurs : la Bastille, le Champ de Mars, la place de la Concorde. C’est à Paris, à l’endroit où la rue SaintAntoine rejoint l’actuelle place de la Bastille que se déroule la prise de la Bastille le 14 juillet 1789. En 1793, LOUIS XVI est guillotiné sur la place LOUIS XV, rebaptisée « place de la Révolution ». En changeant ce nom, c’est le peuple qui marque son pouvoir. Peu de monuments sont édifiés sous la Révolution ; seul le champ de Mars témoigne

des célébrations nationales.

L’EMPIRE ET LA RESTAURATION

En 1799, le pouvoir politique appartient à NAPOLÉON BONAPARTE sacré empereur par le pape PIE VII à la cathédrale Notre-Dame en 1804. Il décide d’établir à Paris la capitale de son Empire. L’empereur s’intéresse de près à la ville. Il veut de grands monuments pour célébrer sa gloire. L’arc de triomphe, le pont d’Iéna, la Madeleine, la Bourse et de nombreuses fontaines sont édifiés. Après la chute de l’Empire, LOUIS XVIII, de retour d’exil rentre dans Paris et s’installe aux Tuileries. LOUIS XVIII et CHARLES X ne se préoccupent pas de l’urbanisme parisien mais la construction privée connaît une flambée importante. De nouveaux quartiers résidentiels sont tracés avec des immeubles de style antique.

PARIS D’HAUSSMANN AU SECOND EMPIRE

Avec le Second Empire, Paris se transforme radicalement : d’une ville médiévale presque dépourvue de grands axes de circulation, elle devient en moins de vingt ans une ville moderne. S’entourant de Georges Eugène HAUSSMANN (préfet de la Seine), Eugène BELGRAND (ingénieur hydraulicien) et JeanCharles ALPHAND (architecte paysagiste), NAPOLÉON III engage dans Paris de gigantesques travaux de modernisation. Il donne à Paris de larges avenues palliant les problèmes de circulation ainsi que de nouveaux monuments tels que l’Opéra Garnier, le Louvre dans son aspect actuel et le Palais

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Fig 34: L’Arc de Triomphe

Fig 35 : Pont d’Iéna

Fig 36 : Plan des percées Haussmanniennes

Fig 37: Diptyque photographique : l’avenue de l’Opéra, avant et après HAUSSMANN 46 des Tuileries (aujourd’hui disparu). Donner à la ville des espaces publics et monuments peut être considéré comme une stratégie politique. HAUSSMANN n’a pas peur de découper le vieux Paris et fait disparaître de nombreux quartiers anciens. L’île de la Cité, vidée de ses habitants, laisse la place à l’Hôtel-Dieu et la Préfecture. Des grands boulevards sont tracés et la rue de Rivoli terminée, dessinant la trame urbaine du nouveau Paris. Le marché alimentaire des Halles de Paris est rénové avec la construction des Pavillons de Victor BALTARD et le percement de la rue des Halles. Alors que la Rome de SIXTE QUINT reliait des lieux de pèlerinage ponctués par des fontaines et obélisques, le Paris d’HAUSSMANN relie les gares et bâtiments publics soigneusement mis en scène. Dans ce siècle, il y a à la fois un tournant vers la modernité (hygiène, circulations) et une sensibilité attentive au passé. C’est la consécration de l’urbanisme en plan. 10 L’exposition universelle de 1900 fut l’occasion d’ériger le Petit Palais. Après l’exposition, la ville décida de transformer cet édifice en musée permanent, le « Palais des Beaux-arts de la Ville de Paris ». Déjà à cette époque, on commence à ressentir une nostalgie du passé. La littérature joue un grand rôle dans ce processus. En effet, quand il écrit Notre Dame de Paris, Victor HUGO peint le Paris riche et sinueux du Moyen-Age, le

10 Bernard LAMIZET et Pascal SANSON,

Les langages de la ville, éditions Parenthèses, 1997, chapitre de Jean-Pierre GAUDIN : Politique de la mémoire, les projets sur la ville dans la première moitié du XX ème siècle

11 Dana ARNOLD et Jean-Louis-COHEN, ParisLondres, Editions Infolio, 2015, chapitre de Ruth FIORI

Vieux-Paris». 11

DE LA BELLE ÉPOQUE À LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE

La France organise l’accueil de deux expositions universelles en 1889 et 1900, laissant une large empreinte dans la capitale. La tour Eiffel est construite pour l’exposition de 1889. Le Grand Palais, le Petit Palais et le pont Alexandre-III sont inaugurés à l’occasion de celle de 1900. Une expansion économique est présente mais le déclenchement de la Première Guerre mondiale met brutalement fin à la prospérité. Paris voit sa modernisation cesser durant la guerre, tous les chantiers sont forcément arrêtés. La ville subit les bombardements. Les monuments centraux sont visés car ils représentent la France.

VERS LA SECONDE GUERRE MONDIALE

L’entre-deux-guerres marque le retour à la paix mais dans un contexte de crise sociale et économique. Les pouvoirs publics restent impuissants face à la crise du logement et incapables de mettre en œuvre l’ambitieux plan d’urbanisme nécessaire. La loi Loucheur favorise le développement des habitations à bon marché ou HBM. De nombreux immeubles en briques sont érigés le long des boulevards extérieurs, à l’emplacement de l’enceinte de Thiers alors détruite car dorénavant inutile. L’urgence est à la reconstruction de logement ; on n’hésite alors pas à détruire des murs qui n’ont plus d’utilité. 47 En 1939 la France déclare la guerre à l’Allemagne. Pendant cette période, les projets sont mis entre parenthèses. Les ponts et les monuments de Paris sont relativement épargnés par les combats de la Libération.

PROJET AUTOROUTIER ET DESTRUCTION DES HALLES

Sous Georges POMPIDOU, de grands projets de réaménagements de Paris sont conçus, comme un grand plan autoroutier intramuros. Le projet est finalement abandonné sous Valéry GISCARD D’ESTAING. POMPIDOU rénove cependant profondément le centre de la capitale en déménageant des Halles vers Rungis. Le président décide la construction du Centre Pompidou à la place. Le projet est contesté par d’importantes manifestations. Les Parisiens sont attachés au bâtiment des Halles qu’ils ont toujours connu et ont du mal à concevoir un changement possible. Les Halles sont détruites entre 1971 et 1973 et en 1977 est inaugurée la

: Vieux Paris-Vieux Londres, quels parallèles dans l’approche patrimoniale des villes du XIX ème siècle?

gare RER de Châtelet-Les Halles.

48 Fig 38 : Plan de Londres 1/50 000