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C. Valeurs, intérêts

I. TRANSMETTRE LE PATRIMOINE C. VALEURS, INTÉRÊTS

VALEURS DE REMÉMORATION ET DE CONTEMPORANÉITÉ Dans son ouvrage Le culte moderne des monuments, l’historien d’art autrichien Aloïs RIEGL (1858-1905) relève deux principaux groupes de valeurs qui confèrent une importance aux monuments : les valeurs de remémoration et celles de contemporanéité. Chacun de ces deux groupes peut être respectivement divisé en quatre types de valeurs. Ainsi, on identifie les valeurs suivantes : - Les quatre valeurs de remémoration : la valeur d’ancienneté qui apprécie le passé en soi, la valeur historique qui isole un monument du développement historique, la valeur artistique qui est une invention subjective du spectateur moderne et la valeur de remémoration intentionnelle qui garde toujours présent et vivant un élément dans la conscience des générations futures. - Les quatre valeurs de contemporanéité : la valeur d’usage qui doit permettre à l’édifice d’être encore utilisé de manière sécurisée, la valeur d’art qui doit conférer un aspect non dégradé au monument, la valeur de nouveauté qui vise à supprimer toutes traces visibles de dégradation par des agents naturels et la valeur d’art relative qui cherche à rétablir un 21 monument dans son état originel, ancien et rêvé.

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Un monument historique résulte d’un système de choix de valeurs que l’on décide de

plus ou moins privilégier selon les cas. VALEUR AFFECTIVE

Dans son ouvrage

Pour une anthropologie de l’espace, Françoise CHOAY écrit : «Le monument, comme l’indique son étymologie, interpelle, rappelle à la conscience des communautés humaines les généalogies, les événements et les hommes qui ont tissé leur histoire, la foi, les croyances, les rites et les pratiques institutionnelles qui ont concouru à former leur identité.» C’est une sorte de «valeur affective» 6 que l’homme lie alors au monument car ce dernier lui permet de faire un lien entre passé, présent et futur.

RESTAURER EN FRANCE ? CONSERVER EN ANGLETERRE ? ET EN ITALIE ?

Pour l’architecte Eugène VIOLLET-LEDUC (1814-1879), la restauration s’oppose à la conservation. C’est ce qu’il indique dans son Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle : « Restaurer un édifice, ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné » et

6 Françoise CHOAY, Pour une anthropologie de l’espace, Editions du Seuil, 2006.

lui donner un nouvel usage, quitte à « travestir »

Fig 4 : Parmi les réalisations de l’architecte Eugène VIOLLET-LE-DUC, Notre-Dame de Paris reste l’une des plus controversées. Il imposa une flèche à la cathédrale alors que celledu XIII ème siècle avait disparu de la mémoire des Parisiens. Le modèle de cette flèche a été réalisé d’après la flèche de la cathédrale d’Orléans (datant du XIX ème siècle) et non d’après celles d’origine

Fig 5 : La Chapelle Rosslyn dont la ruine a été consolidée pour qu’elle perdure dans le temps

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l’Histoire. Les restaurations entrainent souvent des problèmes de lisibilité dans la construction du bâtiment.

En 1849, paraît l’ouvrage Sept Lampes de l’architecture de John RUSKIN (1819-1900), écrivain et critique d’art britannique. Il s’oppose avec ferveur aux conceptions de l’architecte VIOLLET-LE-DUC, pour qui l’architecture doit former un tout homogène, au mépris de l’histoire et de l’intégrité du monument. Dans ce livre, RUSKIN définit l’architecture comme un être humain qu’il faut soutenir et restaurer le moins possible, mais qu’il faut aussi laisser mourir. Ainsi apparaissent deux visions de la restauration du patrimoine bâti. RUSKIN a notamment été soutenu par William MORRIS, qui prônait la « non-restauration » avec la Société pour la protection des bâtiments anciens. Ne pas intervenir sur les bâtiments serait en fait une intervention. RUSKIN veut entretenir la patine, la dégradation des murs tout en s’assurant de la solidité des ruines. Pour le britannique, une restauration serait un sacrilège. Il ne faut pas non plus que le bâtiment se délabre trop et s’écroule : il en va de la dignité de l’édifice.

Les italiens ont une façon de faire qui se situerait entre les anglais conservateurs et les français restaurateurs. Avec l’attitude italienne, on ne falsifie pas les documents de l’Histoire. On crée les modifications « de son temps » pour un nouvel usage « de son temps » sans pasticher. 23

Fig 6 et 7 : Lorsque la porte de Ticinese datant du XII ème siècle (Milan) est restaurée en 1861, on détruit des logements que l’on remplace par une nouvelle porte. On construit avec les

besoins du présent sans travestir

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