Édition du 25 janvier 2023

Page 5

PubliĂ© par la sociĂ©tĂ© des publications du Daily, une association Ă©tudiante de l’UniversitĂ© McGill

Le DĂ©lit est situĂ© en territoire Kanien’kehĂĄ:ka non cĂ©dĂ©.

Mercredi 25 jamvier 2022 | Volume 113 Numéro 3 On
au Gerts depuis 1977
se retient de finir

Éditorial

Relativiser les « chambres d’écho » Ă  l’ùre numĂ©rique

Avant l’existence d’Internet, la presse Ă©crite et les bulletins de nouvelles tĂ©lĂ©visĂ©s consolidaient nos biais cognitifs en hiĂ©rarchisant les sujets selon leur degrĂ© d’importance, en traitant l’actualitĂ© sous un certain angle, parfois mĂȘme avec une certaine intention de commercialiser l’information. La ligne Ă©ditoriale d’un journal sous-tend toujours son lot de croyances et de valeurs auxquelles le public adhĂšre ou non. Alors qu’il serait probablement Ă©difiant de lire tous les journaux de MontrĂ©al pour les confronter entre eux, en avons-nous le temps, et sommesnous rĂ©ellement disposé·e·s Ă  le faire? La plupart du temps, nous nous contentons de saisir une idĂ©e dans un article qui a Ă©tĂ© vĂ©rifiĂ©e par une autoritĂ©, qui confirme notre vision du monde ou la met au dĂ©fi. En ce sens, le phĂ©nomĂšne des chambres d’écho, selon lequel un mĂȘme type de contenu nous serait proposĂ© de maniĂšre rĂ©currente et renforcerait nos schĂšmes de pensĂ©e, s’est-il vraiment intensifiĂ© avec l’avĂšnement des mĂ©dias sociaux?

Il semblerait hĂątif de tenir les chambres d’écho pour responsables de notre renfermement sur des perspectives uniques. Plusieurs Ă©tudes montrent que le fameux phĂ©nomĂšne des chambres d’écho devrait ĂȘtre relativisĂ©, et non gĂ©nĂ©ralisĂ© Ă  l’ensemble des utilisateurs·rices : seulement 3 Ă  5% de la population serait vĂ©ritablement dans une chambre d’écho, selon le professeur de sciences des donnĂ©es Chris Bail Ă  l’UniversitĂ© Duke. Judith Möller, spĂ©cialiste en communication politique et en journalisme de l’UniversitĂ© d’Amsterdam, avance pour sa part que les algorithmes de recommandation nous confronteraient Ă  un spectre Ă©largi de rĂ©alitĂ©s sociales, politiques, et culturelles, permettant une diversification des voix.

Le phĂ©nomĂšne des chambres d’écho tend Ă  rendre compte d’une vision des utilisateur·rice·s du web comme Ă©tant sous l’emprise des histoires leur Ă©tant fournies, dĂ©possĂ©dé·e·s de leur facultĂ© de jugement. Or, « l’exposition Ă  des histoires incon -

grues ne conduit pas automatiquement Ă  leur adhĂ©sion par le public ( tdlr ) », explique Mykola Makhortykh, chercheur Ă  l’Institut de communication et d’étude des mĂ©dias Ă  l’UniversitĂ© de Berne. Ce n’est donc pas seulement l’algorithme qui doit passer en revue notre profil et nous proposer du contenu en fonction de nos intĂ©rĂȘts. Nous devons Ă©galement garder un Ɠil critique vis-Ă -vis des contenus en libre diffusion sur Internet et conserver la saine habitude de corroborer une information par plusieurs sources.

Au-delĂ  de son application circonscrite, la thĂ©orie mĂ©diatique des chambres d’écho pose en filigrane la question de la distinction entre une information fiable et non fiable. Ce problĂšme se posait beaucoup moins avant l’avĂšnement du web, lorsque les journalistes bĂ©nĂ©ficiaient d’une tribune dans la presse papier, Ă  la radio ou dans les chaĂźnes d’information en continu. Les informations journalistiques entraient alors beaucoup moins en concurrence avec d’autres types de contenus mĂ©diatiques et n’étaient pas conçues dans une recherche constante de l’attention du public. Aujourd’hui, les informations journalistiques se retrouvent de plus en plus sur un pied d’égalitĂ© avec des contenus mĂ©diatiques, potentiellement non vĂ©rifiĂ©s, du fait de leur prĂ©sence accrue sur les fils d’actualitĂ©s.

Et ce n’est peut-ĂȘtre pas une mauvaise chose. Il nous faut seulement garder Ă  l’esprit que des discours de provenances hĂ©tĂ©rogĂšnes peuvent se mĂȘler les uns aux autres dans l’espace public, et que le risque de dĂ©sinformation est dĂšs lors accru. Tandis que notre attention s’éparpille du fait de la dĂ©centralisation de l’information journalistique, notre maniĂšre de lire l’actualitĂ© est en pleine transformation. Nous sommes placé·e·s face Ă  une profusion de diffĂ©rentes visions du monde qui contiennent leur lot de contradictions et qui complexifient notre rapport Ă  la rĂ©alitĂ©. Il reste Ă  savoir si la multiplication des sources d’information contribue ou nuit Ă  une bonne comprĂ©hension des nouvelles.  x

Léonard smith Rédacteur en chef

Le seul journal francophone de l’UniversitĂ© McGill

RÉDACTION

3480 rue McTavish, bureau 107

Montréal (Québec) H3A 1B5

Téléphone : +1 514 398-6790

Rédacteur en chef rec@delitfrancais.com Léonard Smith

Actualités actualites@delitfrancais.com Béatrice ValliÚres Hugo Vitrac Vacant

Culture artsculture@delitfrancais.com Louis Ponchon Agathe Nolla

Société societe@delitfrancais.com Vacant Vacant

Vie nocturne vienocturne@delitfrancais.com Alexandre Gontier

Coordonnateur de la production production@delitfrancais.com Vacant

Visuel visuel@delitfrancais.com Marie Prince Laura Tobon

Multimédias multimedias@delitfrancais.com Vacant Vacant

Coordonnateur·rice·s de la correction correction@delitfrancais.com Camille Matuszyk Paul Hajage

Webmestre web@delitfrancais.com Mathieu Ménard

Coordonnatrice réseaux sociaux reso@delitfrancais.com Célia Petrissans Vacant

Contributeurs·rices

Julie Tronchon, Margaux Thomas, Henry Kemeny-Wodlinger, Vincent Maraval et Clément Veysset.

Couverture Laura Tobon

BUREAU PUBLICITAIRE

3480 rue McTavish, bureau B‱26 MontrĂ©al (QuĂ©bec) H3A 0E7 TĂ©lĂ©phone : +1 514 398-6790 ads@dailypublications.org

Publicité et direction générale Boris Shedov

Représentante en ventes Letty Matteo

Photocomposition Mathieu Ménard

The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Anna Zavelsky

Conseil d’administration de la SPD

Salylor Catlin , Louis Favreau, Léonard Smith, Natacha Ho Papieau, Asa Kohn, Philippe Shi, Boris Shedov, Laura Tobon, Anna Zavelsky.

Les opinions exprimĂ©es dans les pages du DĂ©lit sont celles de leurs auteur e·s et ne reflĂštent pas les politiques ou les positions officielles de l’UniversitĂ© McGill. Le DĂ©lit n’est pas affiliĂ© Ă  l’UniversitĂ© McGill.

Le DĂ©lit est situĂ© en territoire Kanien’kehĂĄ:ka non-cĂ©dĂ©.

L’usage du masculin dans les pages du DĂ©lit vise Ă  allĂ©ger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.

Les opinions de nos contributeurs ne reflĂštent pas nĂ©cessairement celles de l’équipe de la rĂ©daction.

Le DĂ©lit (ISSN 1192-4609) est publiĂ© la plupart des mercredis par la SociĂ©tĂ© des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux Ă  condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant Ă©tĂ© auparavant rĂ©servĂ©s). L’équipe du DĂ©lit n’endosse pas nĂ©cessairement les produits dont la publicitĂ© paraĂźt dans le journal. ImprimĂ© sur du papier recyclĂ© format tabloĂŻde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (QuĂ©bec).

Volume 113 Numéro 03
2 Éditorial le dĂ©lit · mercredi 25 janvier 2023 · delitfrancais.com

Actualités

actualites@delitfrancais.com

L’AÉUM adopte une motion contre le gĂ©nocide ouĂŻghour

AprÚs un premier vote sans quorum, la motion a été finalement approuvée par le Conseil législatif.

Le 16 janvier dernier, lors de l’assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale (AG) de l’Association Étudiante de l’UniversitĂ© McGill (AÉUM), les deux Ă©tudiants Samuel Massey et Leo Larman Brown ont proposĂ© une motion concernant « les droits des ouĂŻghours et le dĂ©sinvestissement relatif au gĂ©nocide OuĂŻghours ». PassĂ©e sans quorum lors de l’AG, elle a finalement Ă©tĂ© adoptĂ©e le 19 janvier dernier lors du conseil lĂ©gislatif de l'AÉUM. La motion faisait partie de l’Initiative universitĂ©s propres (Clean Universities Initiative, CUI) du Projet de DĂ©fense des droits des OuĂŻghours (URAP).

Une initiative pour les droits Ouïghours et le désinvestissement du génocide

Il y a bientÎt un an, URAP a lancé sa campagne Initiative universités propres afin de pousser les universités canadiennes à retirer leurs investissements dans les entreprises impliquées dans le génocide des Ouïghours en Chine.

Dans un rapport appuyant la motion, les membres de l’URAP ont mis en avant la part de responsabilitĂ© qu'aurait McGill dans l'oppression du peuple ouĂŻghour Ă  travers ses investissements.

Au total, l’URAP soutient que McGill aurait investi environ 115 millions de dollars canadiens dans 111 entreprises identifiĂ©es par l’organisation comme participantes au gĂ©nocide.

Les OuĂŻghours sont une minoritĂ© musulmane de prĂšs de 25 millions d’individus, dont 12 millions sont regroupĂ©s dans le Xinjiang, une province du Nord-Ouest de la Chine. Au dĂ©but des annĂ©es 2010, le gouvernement chinois a annoncĂ© se lancer dans une campagne de lutte contre le terrorisme dans cette rĂ©gion. NĂ©anmoins, selon plusieurs organismes dĂ©fenseurs des droits humains dont Human Right Watch, cette « lutte contre le terrorisme (tdlr) » s’est surtout exprimĂ©e Ă  travers une oppression croissante du peuple ouĂŻghour, qui reprĂ©sente 45% de la population de la rĂ©gion.

Aujourd’hui, de nombreuses organisations non gouvernementales (ONG) comme Human Rights Watch ou Amnistie International accusent la Chine de crimes contre l’humanitĂ© Ă  l’encontre du peuple ouĂŻghour. Ces derniĂšres dĂ©noncent notamment l’exercice d’arrestations et de dĂ©tentions arbitraires, de tortures, et de surveillance de masse perpĂ©trĂ©s par la Chine contre le peuple ouĂŻghour depuis 2010.

Selon Leo Larman Brown, un Ă©tudiant reprĂ©sentant l’ Initiative universitĂ© propres Ă  McGill et principal porteur de la motion, « le gĂ©nocide ouĂŻghour ne reçoit pas l’attention qu’il mĂ©rite ». En effet, il soutient que les persĂ©cutions telles que dĂ©noncĂ©es par des groupes humanitaires sont relativement invisibilisĂ©es : ce gĂ©nocide ne reçoit qu’une faible couverture mĂ©diatique. D’aprĂšs les recherches du DĂ©lit , seule une petite partie d’institutions, dont les assemblĂ©e canadiennes et françaises, ont reconnu les

actions du gouvernement chinois comme un « gĂ©nocide » et un « crime contre l’humanitĂ© »

Ce qu’il faut retenir du rapport

Dans le cadre de leurs recherches pour le rapport appuyant la motion prĂ©sentĂ©e Ă  l’AÉUM, les membres de l'Initiative universitĂ© propres ont créé un algorithme Ă©valuant le niveau de complicitĂ© entre le gĂ©nocide et certaines entreprises dans lesquelles McGill investit.

Cet algorithme à recensé 111 entreprises qui seraient liées au génocide.

Au sein de ces 111 firmes, 67 sont considérées comme « faiblement complices  », soit des entreprises qui ne sont pas directement impliquées mais ayant des fournisseurs concernés, 18 sont considérées comme « moyennement complices », soit

auraient des partenariats avec l’entreprise Xinjiang Production and Construction Corps (XPCC), qui est une entreprise nationale chinoise connue pour son rĂŽle primordial dans l’organisation de l’oppression des ouĂŻghours. D’aprĂšs le rapport, ces entreprises « hautement complices » ont aussi une prĂ©sence dans la rĂ©gion du Xinjiang, une participation au transferts de travailleurs forcĂ©s, ou encore des liens avec des entreprises qui ont Ă©tĂ© sanctionnĂ©es par l’administration amĂ©ricaine.

Au cour de notre entretien, Leo Larman Brown a mis l’accent sur la prĂ©occupation majeure que reprĂ©sente le lien entre 15 de ces firmes « hautement complices » et l’entreprise XPCC, considĂ©rĂ©e dans le rapport comme « créée pour supprimer et coloniser les peuples autochtones

« Puisque le génocide a été reconnu par le gouvernement , il est plus probable de convaincre McGill de retirer ses investissements »

Val Mansy, vice prĂ©sident e aux affaires externes de l’AÉUM

celles disposant d’une prĂ©sence dans la rĂ©gion du Xinjiang, et enfin, les entreprises dĂ©crites comme « hautement complices » dans le gĂ©nocide sont au nombre de 26.

Dans son rapport, l’URAP considĂšre ces 26 entreprises comme «  hautement complices » Ă  cause de certaines caractĂ©ristiques qu’elles regroupent. Selon l’organisation, ces derniĂšres participeraient Ă  la surveillance de masse des ouĂŻghours et

de la rĂ©gion ouĂŻghour ». Il a insistĂ© sur le fait que XPCC est une entreprise officiellement sanctionnĂ©e par le gouvernement canadien, et qu’en finançant certaines de ces entreprises, McGill maintient un lien indirect avec XPCC.

Adoption de la motion : déception ou avancée ?

En rĂ©alitĂ©, la motion n’a pas Ă©tĂ© adoptĂ©e directement par l’assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale, mais plutĂŽt par le Conseil lĂ©gislatif. En effet, pour pouvoir adopter une motion lĂ©gitimement, l’assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale de l’AÉUM nĂ©cessite de rassembler un quorum de 350 personnes. Or, lors du vote, seules 50 personnes Ă©taient prĂ©sentes, rendant l’approbation de la motion uniquement consultative. La responsabilitĂ© de dĂ©cider l’adoption du texte a donc Ă©tĂ© transfĂ©rĂ©e au conseil lĂ©gislatif, qui a votĂ© son adoption Ă  17 voix contre une le 19 janvier dernier.

Lors de l’assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale et du Conseil lĂ©gislatif de l’AÉUM, des questions ont Ă©tĂ© soulevĂ©es quant Ă  la possibilitĂ© de voir la motion bloquĂ©e par l’administration de

McGill comme cela avait Ă©tĂ© le cas pour la motion de solidaritĂ© avec la Palestine en mars dernier. Lors du Conseil lĂ©gislatif, Val Mansy, vice-prĂ©sident·e aux affaires externes de l’AÉUM, a prĂ©cisĂ© que l’AÉUM avait Ă©tĂ© « indĂ©pendante dans la dĂ©cision Ă  prendre », et s’est montré·e confiant·e : « Puisqu’il [le gĂ©nocide (ndlr)] a Ă©tĂ© reconnu par le gouvernement, il est plus probable selon moi de convaincre McGill [de retirer ses investissements] ».

Au cours de l’assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale, un participant a fait part de ses prĂ©occupations quant Ă  l’impact rĂ©el de cette motion : « Nous savons que pendant de nombreuses annĂ©es, McGill a ignorĂ© tout ce que l’AÉUM a acquis dans la direction du dĂ©sinvestissement ». InterrogĂ©e par Le DĂ©lit sur les politiques d’investissement de McGill, FrĂ©dĂ©rique Mazerolle, agente des relations avec les mĂ©dias de l’UniversitĂ©, nous a affirmĂ© que « McGill a un engagement de longue date envers la durabilitĂ© et la responsabilitĂ© sociale », notamment exprimĂ© dans l’approbation en 2020 « des modifications de l'Ă©noncĂ© de la politique d'investissement du fonds de dotation afin d'y inclure des CritĂšres environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). »

L’absence de quorum lors du vote de cette motion a Ă©tĂ© source de dĂ©ception pour Leo Larman Brown, qui constate que le manque de participation des Ă©tudiant·e·s est devenu un problĂšme rĂ©current au sein de l’assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale. En effet, en naviguant sur le site internet de l’AÉUM, Le DĂ©lit a pu constater que depuis le 25 fĂ©vrier 2019, il n’y a eu qu’une seule assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale rĂ©guliĂšre dans laquelle le quorum Ă©tait reprĂ©sentĂ©.

Vers la fin de l’entrevue, Leo Larman Brown semblait nĂ©anmoins confiant aprĂšs l’adoption de cette motion. Pour lui, mĂȘme s’il est clair que McGill ne peut pas dĂ©sinvestir du jour au lendemain, l’adoption reprĂ©sente dĂ©jĂ  « une premiĂšre Ă©tape trĂšs importante ». L’étudiant souligne : « Nous (Clean Universities, ndlr) n’avons pas l’intention de devenir ennemis de McGill ». Il affirme ĂȘtre « impatient de travailler main dans la main avec l’administration pour faire avancer les choses ». x

3 Actualités le délit · mercredi 25 janvier 2023 · delitfrancais.com
Campus
Laura Tobon | Le Délit

La Foire aux livres de McGill fait ses adieux

AprĂšs 50 ans d’activitĂ©, la Foire aux livres annuelle de McGill aura tenu sa derniĂšre Ă©dition Ă  l’automne 2022, ont annoncĂ© les coordinatrices de l’évĂ©nement dans une publication partagĂ©e sur Facebook.

« Avec un mĂ©lange de tristesse, de fiertĂ© pour la tradition de 50 ans de la Foire aux livres et d’apprĂ©ciation pour le dĂ©vouement de tant de personnes au fil des dĂ©cennies, nous avons le regret d’annoncer que la Foire n’aura pas lieu en 2023, ni dans un avenir prĂ©visible (tdlr) », peut-on lire dans le communiquĂ©.

La fin de l’évĂ©nement est causĂ©e par une combinaison du dĂ©part Ă  la retraite des deux coordonnatrices, Anne Williams and Susan Woodruff, et de la fermeture de la bibliothĂšque Redpath. En effet, le complexe bibliothĂ©caire McLennan-Redpath sera rendu inaccessible au public pour au moins trois ans Ă  compter du mois de mai 2023 pour ĂȘtre rĂ©novĂ© dans le cadre du projet FiatLux. Les locaux de la Foire seront Ă©galement affectĂ©s par la fermeture.

Une tradition de longue date

À chaque automne depuis 1972, le hall de la bibliothùque Redpath se pare pendant quelques jours de dizaines de milliers d’ouvrages, DVD, disques vinyles et partitions. Une

salle entiĂšre est rĂ©servĂ©e aux livres anciens et rares. Tout au long de ses 50 ans d’existence, la Foire aux livres de McGill est devenue un incontournable des amateur·rice·s de livres dans la province et mĂȘme au-delĂ . Les ouvrages sont obtenus grĂące Ă  des dons, et les livres invendus sont mis gratuitement Ă  la disposition des Ă©tudiant·e·s sur le campus ou donnĂ©s Ă  l’organisme Renaissance, partenaire de l’évĂ©nement. L’évĂ©nement est organisĂ© et gĂ©rĂ© par des volontaires.

L’initiative est nĂ©e de la collaboration entre L’Association des

Femmes DiplĂŽmĂ©es de McGill et l’Association des femmes de McGill. L’entiĂšretĂ© des revenus provenant de la vente des livres sert Ă  financer des programmes de bourses pour les Ă©tudiant·e·s mcgillois·es. En 50 ans d’existence, la Foire a permis de lever prĂšs de deux millions de dollars en bourses Ă©tudiantes. Entre 2009 et 2010,

trois bourses ont Ă©tĂ© Ă©tablies grĂące Ă  ses revenus, soit la bourse Jane B. Hood destinĂ©e Ă  un·e Ă©tudiant·e en littĂ©rature anglaise, une bourse Ă  la FacultĂ© de musique Schulich, et une bourse pour un·e Ă©tudiant·e de premier cycle. Ces derniĂšres continueront d’ĂȘtre attribuĂ©es malgrĂ© la fin de l’évĂ©nement « afin de servir comme legs

de la Foire aux livres  », peuton lire dans le communiqué partagé sur Facebook.

Pas la premiĂšre fermeture

Au cours de la derniÚre décennie, la Foire aux livres de McGill a vu son existence menacée à plusieurs reprises.

En 2018, les organisatrices avaient annoncĂ© que la Foire tiendrait sa derniĂšre Ă©dition en 2019, avant de faire un grand retour post-pandĂ©mique en 2022. En 2012, l’évĂ©nement avait Ă©tĂ© annulĂ©, faute de volontaires, puis avait Ă©tĂ© annulĂ© Ă  nouveau en 2013 Ă  cause de rĂ©novations Ă  la bibliothĂšque Redpath. En 2014, l’évĂ©nement avait eu lieu, mais n’avait reçu que trĂšs peu de visiteur·euse·s.

MalgrĂ© la fin un peu abrupte qu’a connue l’évĂ©nement, les organisatrices se montrent satisfaites du projet de longue haleine qu’a reprĂ©sentĂ© l’organisation de la Foire. « Toutes les personnes impliquĂ©es sont fiĂšres de notre contribution Ă  notre communautĂ©. Nous remercions toutes les personnes qui ont supportĂ© la Foire aux livres au cours de sa longue histoire », concluent Anne Williams et Susan Woodruff.x

BĂ©atrice ValliĂšres Éditeur ActualitĂ©s

actualités le délit · mercredi 11 janvier 2023 · delitfrancais.com Campus
L’édition de 2022 aura Ă©tĂ© la derniĂšre.
4
Laura Tobon| Le Délit
«La Foire aux livres de McGill est devenue un incontournable des amateur·rice·s de livres dans la province et mĂȘme au-delĂ  »

McKinsey visĂ© par une enquĂȘte du fĂ©dĂ©ral

McKinsey, « un gouvernement fantÎme »?

Mercredi 18 janvier, une enquĂȘte en comitĂ© parlementaire a Ă©tĂ© lancĂ©e pour faire lumiĂšre sur les 101,4 millions de dollars de contrats octroyĂ©s par le gouvernement Trudeau au cabinet de conseil multinational McKinsey depuis 2015. Le DĂ©lit s’est entretenu avec Daniel BĂ©land, directeur de l’Institut d’études canadiennes de McGill (IÉCM), pour mieux comprendre les enjeux de cette enquĂȘte.

La consultocratie

La montĂ©e des consultants dans le domaine de l’administration publique date des annĂ©es 19801990. Elle coĂŻncide avec ce que l’on a appelĂ© la nouvelle administration publique ( New public management ) : la modernisation de l’État par l’introduction de stratĂ©gies et d’approches empruntĂ©es au secteur privĂ©. Visant l’efficacitĂ© et la responsabilisation des hauts fonctionnaires, ces nouvelles mĂ©thodes ont dĂ©mocratisĂ© le recours aux consultants privĂ©s au sein de l’administration publique. L’expertise et le prestige de ces derniers ont servi Ă  lĂ©gitimer et appuyer les dĂ©cisions d’acteurs publics. Selon le professeur Daniel BĂ©land, l’emploi de plus en plus frĂ©quent de consultants externes dans le secteur public est liĂ© Ă  « l’idĂ©e que l’État ne peut pas toujours se fonder sur l’expertise interne des fonctionnaires ». « De plus en plus, on a fait appel Ă  des consultants pour aider l’État Ă  gĂ©rer des crises ou Ă  rĂ©former certains secteurs », souligne-t-il. Cette pratique soulĂšve selon lui plusieurs questions notamment « au niveau de la sĂ©curitĂ© nationale, mais aussi sur le plan fiscal ».

L’enquĂȘte en comitĂ© parlementaire

Face Ă  un gouvernement libĂ©ral minoritaire, les trois partis d’opposition, le Nouveau Parti dĂ©mocratique, le Parti conservateur et le Bloc QuĂ©bĂ©cois, se sont entendus pour forcer une enquĂȘte en comitĂ© parlementaire sur l’octroi, la gestion, et le fonctionnement des contrats accordĂ©s par le gouvernement fĂ©dĂ©ral au cabinet de conseil McKinsey. En prĂ©sentant sa motion commissionnant la tenue d’une enquĂȘte, adoptĂ©e le mercredi 18 janvier dernier, la dĂ©putĂ©e conservatrice StĂ©phanie Kusie a qualifiĂ© McKinsey de « gouvernement fantĂŽme » avant de demander : «  Qui dirige vĂ©ritablement le Canada? » Au cours

de l’enquĂȘte en comitĂ© parlementaire, sept ministres devront rĂ©pondre aux questions des Ă©lus du comitĂ©, ainsi qu’un haut directeur de McKinsey Canada et Dominique Barton, ancien directeur de la multinationale et ambassadeur du Canada en Chine de 2019 Ă  2021. Les membres du comitĂ© parlementaire se pencheront sur l’efficacitĂ©, la gestion et le fonctionnement des contrats octroyĂ©s Ă  McKinsey depuis 2011. Au total, 23 contrats totalisant 101,4 millions de dollars auraient Ă©tĂ© donnĂ©s Ă  la multinationale sous le gouver-

« Il y a des théories du complot qui entourent McKinsey. Politiquement parlant, le nom McKinsey est source de controverses »

nement Trudeau depuis 2015. Sur ces 23 contrats attribuĂ©s, seuls trois l’ont Ă©tĂ© dans le cadre d’un processus concurrentiel, reprĂ©sentant cependant plus de la moitiĂ© de la valeur totale des contrats octroyĂ©s Ă  McKinsey.

Un cabinet de conseil controversé

Le 4 janvier dernier, RadioCanada rĂ©vĂ©lait dans une enquĂȘte l’influence croissante de McKinsey sur la politique d’immigration canadienne. 24,5 millions de dollars canadiens en contrats ont Ă©tĂ© octroyĂ©s Ă  la firme amĂ©ricaine par Immigration, RĂ©fugiĂ©s et CitoyennetĂ© Canada (IRCC) depuis 2015, sans pour autant prĂ©ciser la nature de ces conseils. Le pouvoir de suggestion de McKinsey sur l’immigration canadienne ne s’arrĂȘte pas Ă  ces contrats. L’enquĂȘte de Radio-Canada rĂ©vĂšle aussi l’influence probable de la firme amĂ©ricaine sur le plan d’immigration du gouvernement annoncĂ© en novembre dernier. Les objectifs et propos de ce dernier reprenaient en effet de maniĂšre quasi-similaire les recommandations d’un comitĂ© Ă©conomique dirigĂ© par Dominique Barton, alors directeur de McKinsey. L’influence de la firme amĂ©ric-

marie prince | Le Délit

aine de conseil en politique a aussi fait scandale rĂ©cemment en France, oĂč un rapport du SĂ©nat publiĂ© en mars 2022 concluait Ă  un « phĂ©nomĂšne tentaculaire » du recours aux consultants et soulevait la question de la « bonne utilisation des deniers publics » et de la « vision de l’État et de sa souverainetĂ© face aux cabinets privĂ©s. » Trois enquĂȘtes ont Ă©galement Ă©tĂ© ouvertes en novembre dernier par la justice française sur l’implication de McKinsey dans les campagnes Ă©lectorales d’Emmanuel Macron en 2017 et 2022. InterrogĂ© sur ces scandales, le professeur Daniel BĂ©land confie : « Il y a des thĂ©ories du complot qui entourent McKinsey. Politiquement parlant, le nom McKinsey est source de controverses. [...] On met l’accent sur McKinsey Ă  cause de ce qu’il s’est passĂ© Ă  l’international, notamment en France ». Cependant, le professeur s’est montrĂ© sceptique face aux thĂ©ories selon lesquelles McKinsey agirait comme un «  gouvernement fantĂŽme » selon les mots de la dĂ©putĂ©e conservatrice StĂ©phanie Kusie. « Est-ce qu’il y a une idĂ©ologie derriĂšre ces firmes de conseil? McKinsey me semble ĂȘtre trĂšs pragmatique, mais en mĂȘme temps, ça peut ĂȘtre dangereux aussi. » Selon lui, « les consultants suivent les orientations de base du gouvernement et l’aident Ă  atteindre ses

objectifs. Mais si les objectifs du gouvernement sont de tromper la population, McKinsey va sans doute les aider. Ils sont payés pour servir le gouvernement ».

« McKinsey n’est que la pointe de l’iceberg »

Alors que Radio-Canada rĂ©vĂ©lait que McKinsey avait Ă©tĂ© utilisĂ© trente fois plus sous le gouvernement Trudeau que sous celui de Harper, le professeur Daniel BĂ©land relativise la situation : « McKinsey est utilisĂ© davantage par les libĂ©raux que par les conservateurs de Stephen Harper, c’est certain. [...] Mais est-ce que les conservateurs avaient d’autres consultants? »

« Si c’est seulement une enquĂȘte partisane dans un comitĂ© parlementaire, on fait une erreur, parce qu’on met l’accent sur un acteur seulement alors qu’il y en a plusieurs »

Daniel Béland

En effet, McKinsey n’est qu’un cabinet de conseil parmi d’autres opĂ©rant au niveau fĂ©dĂ©ral, avec notamment Deloitte, PricewaterhouseCoopers (PwC) et Accenture. Dans un communiquĂ© de presse publiĂ© peu aprĂšs que les partis d’opposition aient annoncĂ© leur dĂ©cision de lancer une enquĂȘte, McKinsey se dĂ©fendait, soutenant « ĂȘtre un acteur relativement modeste », ne dĂ©tenant que 5% des parts du marchĂ©.

Selon le Pr BĂ©land, McKinsey ne reprĂ©sente que « la pointe de l’iceberg » : « Je pense que ça (le recours aux consultants, ndlr) pose un risque en matiĂšre d’espionnage, de sĂ©curitĂ© nationale, donc je pense que ça devrait ĂȘtre mieux encadrĂ© en gĂ©nĂ©ral, pas seulement McKinsey. »

L’enquĂȘte actuelle reprĂ©sente selon lui l’occasion de remettre en cause une « pratique qui existe depuis des dĂ©cennies ». « Si c’est seulement une enquĂȘte partisane dans un comitĂ© parlementaire, on fait une erreur, parce qu’on met l’accent sur un acteur seulement alors qu’il y en a plusieurs », soutient-il. Pour le professeur BĂ©land, le vĂ©ritable enjeu de cette enquĂȘte sera de dĂ©passer les divisions partisanes pour mieux encadrer le recours aux consultants privĂ©s en gĂ©nĂ©ral. x

hugo vitrac Éditeur ActualitĂ©s

5 actualités le délit · mercredi 25 janvier 2023 · delitfrancais.com CaNada

Société

En fait, j’adore tomber!

Je ne suis pas habituĂ©e Ă  Ă©chouer. La semaine derniĂšre, quand j’ai postulĂ© pour un club Ă  McGill auquel je rĂȘvais d’appartenir, je ne m’attendais pas au refus que j’ai reçu. Cette dĂ©sillusion a brisĂ© mon ego et a bousculĂ© ma confiance en moi. Cette fois, je n’étais pas assez bonne, et peu importe combien je m’étais battue, cela ne suffisait pas. J’ai 20 ans, et Ă  cet Ăąge,

digĂ©rer et il m’a amenĂ© Ă  questionner mes capacitĂ©s, ce que je voulais pour ma vie, ce qu’il rĂ©vĂ©lait de mon futur et de la personne que je suis. Il m’a mis dans un Ă©tat d’hyper-conscience de ma matĂ©rialitĂ©. Mon Ă©chec m’a heurtĂ© presque physiquement, me faisant rĂ©aliser ma fragilitĂ©. Ne suis-je vraiment qu’humaine?

J’ai rĂ©alisĂ© ma vulnĂ©rabilitĂ© face Ă  l’échec, face Ă  mon incompĂ©tence et face au jugement d’autrui. Les Ă©tudiants·es se mettent

dĂ©sillusions amoureuses. La vie professionnelle et sentimentale est parsemĂ©e d’obstacles sur lesquels nous sommes tous·tes condamné·e·s Ă  trĂ©bucher. Mais est-ce vraiment une mauvaise chose? Pourquoi et comment mon Ă©chec a-t-il rĂ©veillĂ© en moi une adrĂ©naline jouissive? Comment vivre l’échec et surtout comment le surmonter?

L’estomac retournĂ©

«

Personne n’apprĂ©cie de se prendre une Ă©norme claque, et personne de rationnel ne demanderait de se prendre 700 claques d’affilĂ©e. Edison Ă©tait-il fou? »

«

Au moment de l’échec, un sentiment de culpabilitĂ© nous envahit, nous regrettons nos nuits, nos repas, nous nous en voulons d’avoir respirer alors qu’il aurait fallu travailler »

l’échec, on apprend seulement Ă  le connaĂźtre, sans savoir qu’il accompagnera notre vie sentimentale, notre carriĂšre et chacun de nos pas. Et je crois qu’il sera maintenant le fantĂŽme qui hante mes nuits, mais aussi, un ami. Cet Ă©chec a Ă©tĂ© difficile Ă 

constamment Ă  nu, prĂȘt·e·s Ă  recevoir les coups rudes des refus pour des stages, des cours Ă©chouĂ©s, des mauvaises notes, de la recherche de sens et de projets inaboutis ; il y a aussi les dĂ©ceptions amicales, les problĂšmes familiaux et, bien sĂ»r, les

Échouer rend malade. L’estomac se tord, l’ego se recroqueville et les espoirs s’évaporent. Un tas de questions nous vient alors Ă  l’esprit : Suis-je assez douĂ©e? Qu’est-ce qui ne va pas chez moi? Pourquoi les autres rĂ©ussissent et pas moi? Qu’ont-ils·elles de plus que moi? Ces questions nous paralysent bien souvent, mais celle qui revient le plus est : N’ai-je donc pas assez travaillĂ©?

Au moment de l’échec, un sentiment de culpabilitĂ© nous envahit, nous regrettons nos nuits, nos repas, nous nous en voulons

d’avoir respirĂ© alors qu’il aurait fallu travailler. À l’école, on nous fait comprendre depuis toujours qu’échouer est souvent le synonyme d’un manque de travail. On nous fait presque intĂ©grer que notre bien ĂȘtre devrait passer au second plan. Les bon·ne·s Ă©lĂšves sont recompensé·e·s pour leur assiduitĂ©, et les mauvaises notes sonnent l’alarme de la dĂ©faillance, d’un manque de volontĂ© et de tĂ©nacitĂ©. Lorsque le travail se rĂ©sume Ă  apprendre des poĂšmes par coeur ou Ă  faire des additions, c’est peut-ĂȘtre vrai, un travail acharnĂ© ne devrait pas nous tenir trop longtemps Ă©loigné·e·s de la rĂ©ussite. Pourtant, on peut se demander si cet Ă©tat d’esprit tient toujours la route pour le reste de la vie. À l’universitĂ©,

dĂ©jĂ , les choses se corsent : les heures passĂ©es sur une dissertation ne garantissent pas un A, et les bonnes notes ne nous assurent pas non plus de trouver le stage de nos rĂȘves. En grandissant, les enjeux se compliquent, la toile des possibles s’élargit et il faut bien souvent de nombreux essais avant d’arriver au rĂ©sultat souhaitĂ©.

Le problĂšme, c’est que notre vision de l’échec, elle, n’a pas Ă©voluĂ©e. Ceux·elles qui se chargent de notre Ă©ducation nous crient tout au long de notre vie que parce que tomber est douloureux, il nous faut Ă©viter Ă  tout prix de trĂ©bucher, et donc Ă©viter les chemins aventureux. Quand notre entourage a de grandes attentes, il nous rĂ©pĂšte inlassable -

6 société le délit · mercredi 25 janvier 2023 · delitfrancais.com
opinion

ment qu’il faut bien travailler Ă  l’école pour avoir un bon mĂ©tier, comme si le chemin Ă©tait prĂ©destinĂ©, que le travail garantissait une rĂ©ussite sans embĂ»che. Pourtant, il a fallu plus de 700 essais infructueux Ă  Thomas Edison pour inventer l’ampoule Ă©lectrique, qui a littĂ©ralement rĂ©volutionnĂ© le mode de vie de

la peur de tomber pour pouvoir avancer, car rien ne sert d’emprunter une route si nous ne la finissons jamais. Personne n’aime Ă©chouer car on nous apprend Ă  chasser l’échec de notre vie, Ă  le haĂŻr et Ă  en faire notre fardeau. Notre sociĂ©tĂ© cĂ©lĂšbre ceux·elles qui rĂ©ussissent, c’est tout.

« Il est difficile d’arrĂȘter d’ĂȘtre une machine de guerre, il est difficile d’assumer s’ĂȘtre trompĂ©, difficile de prouver sa valeur sans ses trophĂ©es et symboles auxquels tout le monde croit fidĂšlement »

l’HumanitĂ©. Je rĂ©pĂšte, la seule raison pour laquelle les Ă©tudiants peuvent rester travailler dans une bibliothĂšque Ă©clairĂ©e jusqu’à 5h du matin, et sauver un semestre de procrastination, est qu’un ĂȘtre humain a acceptĂ© de rĂ©essayer 700 fois de faire passer un courant Ă©lectrique par un filament de carbone. Bien des aspects de notre vie auraient Ă©tĂ© diffĂ©rents si un ĂȘtre humain n’avait pas eu la rĂ©silience et le cran nĂ©cessaires Ă  l’invention de l’ampoule. Quand j’ai entendu cette histoire, je me suis dit : « Heureusement que l’avenir de l’électricitĂ© ne repose pas sur mes Ă©paules, car vu le temps que je mets Ă  me remettre d’un Ă©chec, l’électricitĂ© verrait le jour dans plus de 1000 ans. » Cette douleur ressentie aprĂšs la dĂ©faite n’est pas originale et elle est bien souvent la cause d’une paralysie difficile Ă  soigner. Comment vouloir postuler une nouvelle fois Ă  l’universitĂ© de nos rĂȘves quand la douleur du premier refus fut presque fatale? OĂč trouver le courage de mettre une rĂ©elle tĂ©nacitĂ© dans l’écriture d’une rĂ©daction pour une matiĂšre dans laquelle on n’arrive pas Ă  avoir de bonnes notes? Personne n’aime Ă©chouer. Personne n’apprĂ©cie de se prendre une Ă©norme claque, et personne de rationnel ne demanderait de se prendre 700 claques d’affilĂ©e. Edison Ă©tait-il fou? Faisait-il partie de ces gens qui ne ressentent pas la douleur? Edison Ă©tait humain pourtant. Humain comme je suis humaine, et comme j’ai rĂ©alisĂ© l’ĂȘtre aprĂšs mon Ă©chec. NĂ©anmoins, Thomas Edison avait trouvĂ© le remĂšde Ă  la peur de l’échec, c’est certain, et s’il existe un remĂšde, cela veut bien dire que cette peur tĂ©tanisante n’est le rĂ©sultat que d’un conditionnement. La sociĂ©tĂ© occidentale nous apprend qu’il faut Ă©viter de tomber car tomber fait mal, qu’il faut Ă©viter les voies inconnues, avoir des bonnes notes, aller dans une bonne universitĂ© pour s’assurer un avenir. Or, n’est-ce pas inĂ©vitable? Peut-on toujours fuir la chute? Ne vaudrait-il pas mieux apprendre Ă  se soigner pour pouvoir se relever et continuer de marcher? Nous avons besoin de nous affranchir de

Merci pour la claque

Thomas Edison a dit : « Je n’ai pas Ă©chouĂ© mille fois, j’ai dĂ©couvert mille cas dans lesquels l’ampoule ne pouvait pas fonctionner. » Entreprendre quelque

des risques. TrĂ©bucher nous approche inexorablement d’une destination, mĂȘme si elle n’est pas la destination attendue, mĂȘme si le chemin empruntĂ© n’est pas le chemin espĂ©rĂ©. La plupart des Ă©tudiant·e·s, dont moi, ne sont pas prĂ©paré·e·s Ă  cela. D’autant plus Ă  McGill oĂč la culture du travail et de l’excellence rĂšgne, oĂč le GPA et les stages font loi. Il est difficile d’arrĂȘter d’ĂȘtre une machine de guerre, il est difficile d’assumer s’ĂȘtre trompĂ©, difficile de prouver sa valeur sans ses trophĂ©es et symboles auxquels tout le monde croit fidĂšlement. Pourtant, un Ă©chec n’est pas seulement une nĂ©gation, il ne nous enlĂšve pas seulement quelque chose. L’échec est un Ă©lĂ©ment Ă  part entiĂšre, porteur de ses propres bonnes nouvelles, quelque chose de plein, qu’il nous est possible de recevoir, d’ouvrir et d’accepter. Comme le dit Tal Ben-Shahar dans son livre, notre sociĂ©tĂ© devrait nous apprendre Ă  cĂ©lĂ©brer nos dĂ©faites,

doit de nous prĂ©parer Ă  la vie, elle ne devrait pas seulement nous apprendre Ă  rĂ©ussir, elle devrait aussi nous apprendre Ă  Ă©chouer. J’aurai aimĂ© sourire aprĂšs la claque que je me suis prise. Elle Ă©tait certes douloureuse, et j’aurai probablement fini par pleurer dans tous les cas, mais elle a soulignĂ© la force et la passion que j’avais mises dans ce que j’avais entrepris. Et maintenant, je me rends compte que ce n’était pas si difficile Ă  surmonter, et essayer d’autres choses sera probablement plus facile la prochaine fois. Mon Ă©chec m’a appris Ă  essayer.

Et la 701Ăšme fois, on fait quoi?

Au XXIĂšme siĂšcle, nos sociĂ©tĂ©s occidentales, avec l’avĂšnement des auto-entrepreneurs et des cĂ©lĂ©britĂ©es parti·e·s de rien, ne voient la valeur d’actions entreprises que dans le rĂ©sultat. Pourtant, la vie est avant tout l’opportunitĂ© de construire

qu’il faut persĂ©verer, Ă  nous de choisir.

L’échec nous apprend des choses sur nous et nous offre l’opportunitĂ© de nous questionner. Il est aussi un tremplin. Si l’on sait l’exploiter et tirer de lui ce qu’il est vraiment, alors l’échec nous apporte aussi de la force. Une force qui rend presque invincible parce qu’elle apporte au chaos une espĂ©rance. Une fois qu’on est tombĂ©, la chute fait moins peur. Pour les gymnastes par exemple, le premier essai est toujours le plus effrayant, car une fois que l’on a expĂ©rimentĂ© la chute, on apprend Ă  la dompter pour finalement la contrĂŽler. On apprend Ă  comprendre l’échec pour lui donner une direction, et quand on parvient Ă  le faire, et que le recul permet de l’intĂ©rioriser, alors chaque Ă©chec devient une opportunitĂ©.

L’opportunitĂ© d’ĂȘtre diffĂ©rent·e.

Si Thomas Edison n’avait jamais dĂ©couvert l’ampoule Ă©lectrique, ses recherches l’auraient probablement amenĂ© Ă  dĂ©couvrir autre chose. Et mĂȘme si ce n’avait pas Ă©tĂ© le cas, peut-ĂȘtre que cela aurait fait de lui une personne merveilleusement inĂ©branlable en amour, qui donnerait tout pour ses proches et serait ainsi toujours bien entourĂ©. Si l’on fait abstraction de sa rĂ©ussite, Thomas Edison sera dans tous les cas mort avec le repos d’avoir sincĂšrement tout essayĂ©. Échouer est inĂ©vitable, donc autant apprendre Ă  ĂȘtre rĂ©silient·e le plus tĂŽt possible, pour apprendre Ă  apprĂ©cier le chemin que nous devrons prendre quoi qu’il arrive. JK Rowling a reçu des refus de la part de 12 Ă©diteurs diffĂ©rents avant de parvenir Ă  faire publier Harry Potter. Elle raconte que cette rĂ©silience s’explique en partie par le fait qu’elle Ă©crivait dĂ©jĂ  Harry Potter alors qu’elle Ă©tait au plus bas dans sa vie. Ces exemples nous montrent combien nos Ă©checs ne disent en fait que de belles choses de nous, ou nous apportent un espoir d’amĂ©lioration

chose de compliquĂ©, avoir des objectifs inatteignables, c’est se mettre Ă  nu, la chair prĂȘte Ă  recevoir les coups. Se rĂ©signer Ă  l’échec, c’est difficile. Accepter d’échouer, d’ĂȘtre sensible Ă  cela, c’est accepter d’ĂȘtre humain·e.

Thomas Edison ne percevait pas ses Ă©checs comme tels, il les voyait comme des leçons qui le rapprochait de son objectif. Si Edison n’avait pas dĂ©couvert l’ampoule, peut-ĂȘtre n’aurait-il jamais Ă©tĂ© cĂ©lĂ©brĂ©. Pourtant, mĂȘme s’il s’était arrĂȘtĂ© Ă  la 600 Ăšme tentative, le chemin parcouru aurait Ă©tĂ© bien plus immense que celui parcouru par son successeur qui aurait alors dĂ©couvert l’ampoule. Tal Ben-Shahar Ă©crit dans L’apprentissage de l’imperfection que les Ă©lĂšves devraient ĂȘtre fĂ©licité·e·s pour leurs Ă©checs, car ce sont les symboles qu’il·elle·s ont essayĂ©, relevĂ© des dĂ©fis et pris

Ă  voir en elles ce qu’elles sont rĂ©ellement. Les Beatles ont Ă©tĂ© confrontĂ©s Ă  de nombreux refus de maisons de disque car leur style de musique Ă©tait diffĂ©rent. Ils ont fait de cette diffĂ©rence leur identitĂ©. Et quel Ă©tait leur Ă©chec? Un symbole d’innovation, de diffĂ©rence qu’il fallait peut-ĂȘtre exploiter. Les Ă©checs nous donnent aussi parfois du temps libre, dont il faut savoir profiter et qu’il faut savoir exploiter, pour se dĂ©velopper et prendre le temps d’ĂȘtre mieux prĂ©paré·e·s pour la prochaine tentative, ou tout simplement pour changer. Plus la chute est grande, plus elle est le symbole que quelque chose de grand a Ă©tĂ© entrepris. Si nos sociĂ©tĂ©s, nos Ă©coles ne nous apprennent pas cela, alors avancer continuera d’ĂȘtre aussi difficile pour la majoritĂ© des gens. Si l’école se

« Si l’on sait l’exploiter et tirer de lui ce qu’il est vraiment, alors l’échec nous apporte aussi de la force. Une force qui rend presque invincible parce qu’elle apporte au chaos une espĂ©rance. Une fois qu’on est tombĂ©, la chute fait moins peur »

notre histoire. Nos expĂ©riences forment la toile de notre identitĂ©, complexe et unique. Chaque expĂ©rience nous dĂ©veloppe et nous apporte quelque chose en elle-mĂȘme, quel que soit le rĂ©sultat, et je dirais mĂȘme que celui-ci n’a en rĂ©alitĂ© pas tant d’importance. Ne pas ĂȘtre pris pour un certain stage est peutĂȘtre le symbole d’une incompatibilitĂ© avec le stage oĂč les gens qui y travaillaient, ou le signe

et de changement. Finalement, je regarde mon Ă©chec, et je me dis qu’il m’a permis d’écrire cet article, qu’il m’a aussi rendu plus forte et moins peureuse face Ă  la difficultĂ©. En fait, j’adore tomber. x

7 société le délit · mercredi 25 janvier 2023 · delitfrancais.com
marie prince Coordonnatrice visuelle
opinion
clément veysset

McGill, « havre de paix » pour les étudiant·e·s français·es 2SLGBTQIA+?

Le DĂ©lit a enquĂȘtĂ© auprĂšs de la communautĂ© française queer mcgilloise.

Le 10 janvier dernier, le journal français Le Monde publiait un article intitulĂ© « Pour les jeunes Français LGBTQIA+, MontrĂ©al, “un havre de paix” ». À travers les tĂ©moignages de trois jeunes Français·es de la communautĂ©, le QuĂ©bec y Ă©tait dĂ©peint comme une « terre promise » pour la communautĂ© 2SLGBTQIA+ française. La rĂ©putation de MontrĂ©al auprĂšs des jeunes Français·es est-elle mĂ©ritĂ©e, ou est-elle idĂ©alisĂ©e? Le DĂ©lit a enquĂȘtĂ© auprĂšs de la communautĂ© 2SLGBTQIA+ de l’UniversitĂ© McGill, et les rĂ©ponses obtenues ont dressĂ© un portrait un peu plus complexe de la situation.

La fuite des Français·es

Depuis une dizaine d’annĂ©es, des vagues d’étudiant·e·s français·e·s dĂ©ferlent sur MontrĂ©al. Entre 2005 et 2018, le nombre de jeunes français·e·s venu·e·s poursuivre leurs Ă©tudes au QuĂ©bec a plus que triplĂ©. À l’UniversitĂ© McGill, on compte actuellement un peu plus de 2000 Ă©tudiant·e·s français·e·s, ce qui reprĂ©sente environ 5% de la population Ă©tudiante et 15% du nombre total d’étudiant·e·s Ă©tranger·Úre·s.

En effet, beaucoup de jeunes Ă©tudiant·e·s français·es qui souhaitent quitter le nid familial se tournent vers le QuĂ©bec, qui, en plus d’offrir des frais de scolaritĂ© avantageux, apparaĂźt comme un exemple de tolĂ©rance et d’ouverture auprĂšs de la jeunesse française. InĂšs, Ă©tudiante queer Ă  l’UniversitĂ© Paris 1 PanthĂ©on Sorbonne, affirme que MontrĂ©al reprĂ©sente pour elle un endroit « oĂč la sexualitĂ© est plus libĂ©rĂ©e et oĂč les lois sont plus avancĂ©es, ou du moins plus pointilleuses, concernant les discriminations envers les minoritĂ©s sexuelles et de genre. »

En ce qui concerne la communautĂ© 2SLGBTQIA+, plusieurs mĂ©dias français ont fait Ă©tat d’une vague d’immigration queer vers MontrĂ©al en 2013 Ă  la suite des nombreuses manifestations contre le mariage pour tous·tes en France. MalgrĂ© les avancĂ©es scientifiques et lĂ©gales notables de ces derniĂšres annĂ©es, notamment avec la lĂ©galisation de l’application de la ProcrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e (PMA) aux couples de mĂȘme sexe en 2021, il persiste toujours en France une forte opposition au mariage homosexuel et Ă  l’homoparentalitĂ©.

En comparaison, le QuĂ©bec, oĂč le mariage homosexuel est lĂ©gal depuis 2004, semble avoir une longueur d’avance sur le plan lĂ©gislatif.

« Ici, je peux ĂȘtre qui je veux »

Pour plusieurs jeunes Ă©tudiant·e·s français·es passé·e·s en entrevue, le fait de venir Ă©tudier Ă  MontrĂ©al reprĂ©sentait une opportunitĂ© d’explorer plus librement leur orientation sexuelle et leur identitĂ© de genre.

RaphaĂ«l, un français venu Ă©tudier le gĂ©nie informatique Ă  McGill, compare l’arrivĂ©e Ă  MontrĂ©al Ă  un Ă©veil pour beaucoup d’étudiant·e·s français·es par rapport Ă  leur identitĂ© 2SLGBTQIA+. Pour lui, partir vivre Ă  MontrĂ©al a Ă©tĂ© l’opportunitĂ© de faire son « coming out ». « En France j’étais pas “out”, mais je le savais depuis longtemps. [...] DĂšs que je suis arrivĂ© Ă  MontrĂ©al, je me suis aperçu que j’aimais les filles et les garçons et je n’ai jamais vraiment eu de problĂšmes liĂ©s Ă  ça. Je ne ressens pas de jugement des autres, et c’est bien mieux acceptĂ© par les gens en gĂ©nĂ©ral », tĂ©moigne-t-il. RaphaĂ«l, qui vient d’un milieu rural en France, mentionne que

plusieurs facteurs entrent en jeu dans le sentiment d’acceptation qu’il a ressenti Ă  MontrĂ©al. Selon lui, le monde urbain offre plus de reprĂ©sentation Ă  la communautĂ© 2SLGBTQIA+ que dans

questionnements relatifs Ă  l’orientation sexuelle et Ă  l’identitĂ© de genre sont beaucoup plus ouverts au QuĂ©bec qu’en France : « C’est bien plus facile d’explorer son genre et sa sexua -

son village natal. L’étudiant cite en exemple le Village gai de MontrĂ©al et ses nombreux drapeaux de la fiertĂ©. « Ici, (Ă  MontrĂ©al, ndlr) je peux ĂȘtre qui je veux », affirme-t-il. RaphaĂ«l souligne Ă©galement avoir trouvĂ© au sein de la vie associative queer de l’UniversitĂ© McGill des ressources ainsi qu’un sentiment de communautĂ© bienveillante.

Aubrey est un Ă©tudiant français queer diplomĂ© de l’UniversitĂ© McGill en 2022. Pour lui, les

litĂ© Ă  MontrĂ©al par rapport Ă  la France, oĂč la question queer n’est clairement pas suffisamment abordĂ©e publiquement (tdlr) », souligne-t-il. Pour Aubrey, le tabou et les idĂ©es prĂ©conçues sur le genre et la sexualitĂ© sont beaucoup moins prĂ©sentes dans la plus grande ville francophone canadienne qu’en France. Il dĂ©crit MontrĂ©al comme un endroit regroupant une multitude de «  safe spaces  » ( espaces sĂ©curisĂ©s ). « Il y a diffĂ©rents clubs, diffĂ©rents bars de drag,

8 ActualitĂ©s le dĂ©lit · mercredi 25 janvier 2023 · delitfrancais.com EnquĂȘte
« DĂšs que je suis arrivĂ© Ă  MontrĂ©al, je me suis aperçu que j’aimais les filles et les garçons et je n’ai jamais vraiment eu de problĂšmes liĂ©s Ă  ça. Je ne ressens pas de jugement des autres, et c’est bien mieux acceptĂ© par les gens en gĂ©nĂ©ral »
Raphaël, étudiant en génie à McGill Marie Prince| Le Délit

des ‘‘kiki balls’’; il y a des Ă©vĂ©nements queer pour des identitĂ©s spĂ©cifiques comme Black&Queer, des open mics saphiques ou lesbiens, ou encore des groupes arabes non conformes au genre  ».

Pour lui, c’est cette diversitĂ© au sein mĂȘme de la communautĂ© 2SLGBTQIA+ qui aide les jeunes queers Ă  dĂ©couvrir leur genre et identitĂ©. « Une fois qu’ils dĂ©couvrent ces cercles, un nouveau monde s’ouvre Ă  eux », ajoute-t-il.

Emma est Ă©tudiant en sociologie Ă  l’UniversitĂ© McGill. Elle a fait son « coming-out » non-binaire quelques annĂ©es aprĂšs son dĂ©mĂ©nagement Ă  MontrĂ©al. Comme plusieurs Ă©tudiant·e·s passé·e·s en entrevue par Le DĂ©lit , elle critique un climat de conformisme en France et dĂ©crit la pression sociale qui y est associĂ©e. « Je pense que si j’étais restĂ© en France, je n’aurais pas Ă©tĂ© dans un climat propice pour me poser ces questions (sur mon identitĂ© de genre, ndlr). Je me demande mĂȘme [...] si je serais arrivĂ© Ă  un “ coming out ” non-binaire », explique-t-elle. « LĂ  oĂč j’ai grandi, il y avait des personnes qui se faisaient tabasser dans la rue parce qu’elles Ă©taient queer », se rappelle-telle. Bien qu’elle souligne que ce ne soit pas la rĂ©putation de « tolĂ©rance » du QuĂ©bec qui l’ait attirĂ© Ă  McGill, elle note plusieurs facteurs qui ont aidĂ© Ă  son

t-il. InĂšs, Ă©tudiante Ă  Paris 1 Sorbonne, dĂ©nonce un manque de proactivitĂ© au sein des institutions françaises. « Toutes les mesures d’inclusion Ă©manent des revendications Ă©tudiantes », souligne-t-elle.

avoir Ă©tĂ© victime d’au moins un incident homophobe Ă  MontrĂ©al.

Elle exprime mĂȘme de l’inquiĂ©tude face Ă  ce discours : « J’ai peur qu’on se donne cette mĂ©daille d’honneur qui dit : “ MontrĂ©al, c’est la ville des queers”, et qu’on arrĂȘte de faire des efforts. » Elle remet Ă©galement en question l’utilitĂ© d’une telle discussion : « Pourquoi on ne questionne pas plus la maniĂšre dont on traite la communautĂ© LGBT en France? »

«

questionnement, notamment l’éloignement familial, l’utilisation quotidienne de la langue anglaise, moins genrĂ©e que le français, ainsi que le soutien de ses proches Ă  MontrĂ©al. « Quand j’ai commencĂ© Ă  questionner mon genre, j’en ai parlĂ© Ă  des amis autour de moi. Et j’ai notamment un ami qui m’a dit : “Est ce que tu veux que j’essaye d’utiliser d’autres pronoms pour toi et voir toi comment tu te sens ?”

[...] Je n’ai pas Ă©tĂ© accueilli avec du jugement, mais avec Ă©normĂ©ment de bontĂ© et beaucoup de patience [...], et je pense que ça a Ă©tĂ© vraiment dĂ©terminant », se rappelle-t-elle.

Plusieurs Ă©tudiant·e·s dĂ©noncent Ă©galement le fait que les discussions sur le genre et l’orientation sexuelle semblent avoir un train de retard dans les Ă©coles et les universitĂ©s françaises en comparaison avec celles du QuĂ©bec. « C’est toujours un peu tabou », note RaphaĂ«l. « Si un·e professeur·e français·e mentionne ses pronoms en se prĂ©sentant, c’est super rare! Alors qu’à McGill, c’est assez courant », remarque-

Tout n’est pas rose Ă  MontrĂ©a l

Si tous·tes s’accordent pour dire que le climat montrĂ©alais est beaucoup plus favorable aux questionnements sur l’identitĂ© de genre et l’orientation sexuelle que le climat français, certain·e·s se montrent sceptiques quant Ă  la reprĂ©sentation de MontrĂ©al comme une sorte de « terre promise » pour les jeunes français·e·s 2SLGBTQIA+.

Plusieurs Ă©tudiant·e·s se montrent Ă©galement critiques vis-Ă -vis de l’UniversitĂ© McGill et son apparente ouverture. Pour Aubrey, McGill demeure un Ă©tablissement hĂ©tĂ©ronormatif et conformiste. L’étudiant dĂ©nonce « un systĂšme dinosaure », soulignant un « sous-financement » des associations Ă©tudiantes queer et du DĂ©partement d’études de genre, sexualitĂ© et justice sociale. « Le corps administratif est trĂšs dĂ©connectĂ© de ses Ă©tudiants, et l’Association Ă©tudiante de l’UniversitĂ© McGill (AÉUM) n’a presque pas de reprĂ©sentants queer », dĂ©plore-t-il.

Emma formule des critiques similaires vis-Ă -vis de l’UniversitĂ©, exprimant notamment sa colĂšre quant Ă  la tenue rĂ©cente Ă  la FacultĂ©

Emma, étudiant en sociologie à McGill

nautĂ©, dĂ©crivant des regards de passant·e·s curieux·euses. MalgrĂ© tout, elle se sent aussi confortable d’ĂȘtre « out » Ă  Paris qu’à MontrĂ©al. MĂȘme si elle remarque que beaucoup de jeunes français·e·s idĂ©alisent la mĂ©tropole quĂ©bĂ©coise, elle demeure pour sa part rĂ©ticente Ă  employer les termes du Monde  : « Havre de paix, je ne sais pas
 Je crois que c’est une des meilleures villes pour la communautĂ© LGBTQ, mais il y a encore beaucoup de travail Ă  faire. »

Emma,

« Est-ce qu’on est rĂ©ellement ici au paradis des personnes queer? Je trouve qu’il faut tempĂ©rer », souligne Emma. « Est-ce qu’un endroit oĂč tu ne te fais pas tabasser parce que tu es queer, c’est un “havre de paix”? », demande l’étudiant, qui souligne au passage

de droit d’une confĂ©rence dĂ©crite comme transphobe par de nombreuses associations Ă©tudiantes. « C’est des moments dans lesquels j’ai l’impression de faire partie d’un coup de publicitĂ© (de l’UniversitĂ©, ndlr). [...] Et moi, je refuse d’ĂȘtre utilisĂ© comme ça », affirme-t-elle. De l’autre cĂŽtĂ© de l’Atlantique,

Au Canada, une enquĂȘte de 2018 rĂ©vĂ©lait que les personnes issues de minoritĂ©s sexuelles — c’estĂ -dire toute personne ayant une orientation sexuelle autre que l’hĂ©tĂ©rosexualitĂ© — Ă©taient trois fois plus susceptibles d’ĂȘtre victimes de violences sexuelles ou physiques que les personnes hĂ©tĂ©rosexuelles. Une enquĂȘte de TransPulse Canada menĂ©e auprĂšs de plus de 2000 personnes trans ou non binaires Ă  travers le Canada en 2019 rĂ©vĂ©lait Ă©galement que 40% d’entre eux·lles avaient rĂ©flĂ©chi au suicide au cours de l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente. De plus, un sondage menĂ© par la Fondation Émergence en 2019 dĂ©montre qu’un tiers des quĂ©bĂ©cois seraient « rĂ©ticents » Ă  embaucher une personne trans.

en matiĂšre d’ouverture Ă  la communautĂ© 2SLGBTQIA+. En revanche, au-delĂ  des promesses du QuĂ©bec aux Ă©tudiant·e·s français·es queer, les institutions universitaires telle que McGill comportent toujours plusieurs lacunes quant Ă  la reprĂ©sentation des personnes queer et leurs organisations respectives au sein du processus administratif, notent les Ă©tudiant·e·s. Au final, si la mĂ©tropole quĂ©bĂ©coise et ses universitĂ©s offrent des avantages indĂ©niables Ă  la communautĂ© queer qui cherche Ă  fuir le climat français, le portrait qui se dessine est un peu plus nuancĂ©.

Les personnes de la communautĂ© 2SLGBTQIA+ qui cherchent du support peuvent contacter les organismes QueerMcGill ou TransPatientUnion, ou encore la ligne d’écoute Interligne 24h sur 24 (1 888 505-1010). Pour signaler de la discrimination, les Ă©tudiant·e·s peuvent contacter le Bureau de mĂ©diation et de signalement de McGill. x

bĂ©atrice valliĂšres Éditrice ActualitĂ©s

Catherine, une jeune montrĂ©alaise de la communautĂ© 2SLGBTQIA+ qui a choisi d’aller s’établir Ă  Paris, note quelques diffĂ©rences au quotidien dans la maniĂšre dont les gens interagissent avec les membres de sa commu - Qu’en est-il du « havre de paix »? Parmi les Ă©tudiant·e·s passé·e·s en entrevue, il se dĂ©gage un consensus clair quant au climat de permissivitĂ© et de tolĂ©rance qui fait la rĂ©putation de MontrĂ©al
9 Actualités le délit · mercredi 25 janvier 2023 · delitfrancais.com
C’est bien plus facile d’explorer son genre et sa sexualitĂ© Ă  MontrĂ©al par rapport Ă  la France »
Aubrey, diplÎmé de McGill en 2022
« Est-ce qu’un endroit oĂč tu ne te fais pas tabasser parce que tu es queer, c’est un “havre de paix”? »
étudiant en sociologie à McGill
EnquĂȘte
Margaux Thomas Laura Tobon| Le Délit
« Pourquoi on ne questionne pas plus la maniÚre dont on traite la communauté LGBT en France? »

THéùTRE

Le prix de notre divertissement

RĂ©flexion sur l’art scĂ©narisĂ© dans Dix quatre.

Dix quatre , piĂšce « coup de poing » Ă©crite par le dramaturge canadien Jason Sherman, traduite par Jean Marc DalpĂ© et mise en scĂšne par Didier Lucien, se compose comme un long apartĂ© entre quatres scĂ©naristes rĂ©uni·es autour d’une mĂȘme table pour ficeler l’intrigue d’une sĂ©rie policiĂšre au rythme haletant. L’équipe doit obtenir l’accord d’une productrice carriĂ©riste ayant un droit de veto sur l’intĂ©gralitĂ© de leur projet avant d’avoir les droits pour la distribution. Créée au Tarragon Theatre Ă  Toronto en 2019, Dix quatre confĂšre un grand pouvoir au processus de scĂ©narisation, qui influence les reprĂ©sentations mentales d’une sociĂ©tĂ©, ses fantasmes, ses travers. Façonnons-nous la tĂ©lĂ©vision, ou est-ce elle qui nous façonne? Qu’est-ce que le besoin de rebondissements et la consommation d’images chocs rĂ©vĂšlent sur notre propre rapport au divertissement, utilisĂ© comme un prĂ©texte pour nous dĂ©tourner de nos vĂ©ritables problĂšmes?

Un tableau sombre de l’industrie audiovisuelle

La premiĂšre rĂ©ussite de Jason Sherman consiste Ă  faire rire Ă  travers des enjeux aussi graves que brĂ»lants, du racisme systĂ©mique au sexisme au travail. DĂšs la scĂšne d’ouverture, le ton satirique et hybride de l’oeuvre est annoncĂ© jusqu’à Dix quatre est marquĂ©e par une oscillation constante et maĂźtrisĂ©e entre les registres comique et dramatique. D’un cĂŽtĂ©, Jason Sherman multiplie les procĂ©dĂ©s comiques, entre gestes grossiers

racontent eux·lles-mĂȘmes? La piĂšce interroge en profondeur l’apport du rĂ©el dans la crĂ©ation. La dĂ©cision de Colin de s’emparer de son expĂ©rience personnelle de victime de profilage racial comme matiĂšre premiĂšre pour la sĂ©rie en cours d’écriture se heurte Ă  l’exhortation d’un de ses collĂšgues de se « dĂ©tacher » de son vĂ©cu. Peut-on vraiment sĂ©parer le crĂ©ateur·rice de son vĂ©cu? Ou la fiction est-elle condamnĂ©e Ă  n’ĂȘtre que le reflet dĂ©formĂ©, voire romancĂ© de nos rĂ©alitĂ©s? Ces interrogations rĂ©sonnent dans un nouveau contexte de remise en cause des rĂ©cits dominants, considĂ©rĂ©s comme « neutres » vis-Ă -vis de ceux d’individus longtemps marginalisĂ©s.

des acteurs·rices, quiproquos, caricatures, jeux de mots. De l’autre, la mise en scĂšne est celle d’une trame dramatique tournant autour d’un acte violent de profilage racial subi par Colin, l’un des personnages principaux. La piĂšce est caractĂ©risĂ©e par une tension palpable, parfois appuyĂ©e par une musique en crescendo.

L’ambiguĂŻtĂ© persiste aussi entre la fiction et la rĂ©alitĂ©. Au fur et Ă  mesure qu’on assiste aux sĂ©ances d’écriture et aux rĂ©cits de vie des scĂ©naristes, les frontiĂšres entre ces deux sphĂšres apparaissent brouillĂ©es et poreuses. À travers leurs scĂ©narios, n’est-ce pas finalement les crĂ©ateurs·rices qui se

DĂšs la scĂšne d’ouverture, le ton et le rythme s’offrent comme une course effrĂ©nĂ©e, Ă  la cadence des sĂ©ances enchaĂźnĂ©es de brainstorm. Tout en multipliant les effets de suspense, les rebondissements impromptus de l’intrigue apparaissent comme le double du scĂ©nario de la sĂ©rie policiĂšre que nous anticipons de voir apparaĂźtre sous nos yeux. Des panneaux transparents, qui font figure d’écrans entre le public et la scĂšne, servent Ă  disposer les diffĂ©rents Ă©pisodes d’une sĂ©rie qui n’existe alors qu’à travers les Ă©changes entre les scĂ©naristes. Se crĂ©e alors peu Ă  peu l’impression que le public peut se reprĂ©senter, Ă  travers la scĂ©nographie et la voix des personnages, la sĂ©rie tĂ©lĂ©visĂ©e projetĂ©e. Ce pouvoir d’imagination se fait Ă©galement le reflet du pitch de sĂ©rie devant convaincre la productrice, ou des premiĂšres minutes d’un Ă©pisode d’une sĂ©rie devant immĂ©diatement accrocher le public.

Jason Sherman livre donc un tableau trĂšs sombre de l’industrie audiovisuelle, rĂ©gie par des contraintes de financement qui dĂ©naturent la qualitĂ© de la crĂ©ation. Les scĂ©naristes doivent composer avec des dĂ©lais limitĂ©s, conduisant souvent Ă  une homogĂ©nĂ©isation et Ă  une simplification des rĂ©cits. Ce processus de crĂ©ation ne laisse pas non plus de place Ă  l’improvisation, Ă  la rĂȘverie ou Ă  la rĂ©flexion longue. La nĂ©cessitĂ© de cadence et de productivitĂ© forcenĂ©es montrent bien l’aspect industriel de la production audiovisuelle. D’un autre cĂŽtĂ©, Dix quatre se prĂ©sente comme une rĂ©flexion sur le passage de l’écrit Ă  l’action en temps rĂ©el par les acteurs·rices. Colin, aprĂšs son litige violent avec des policiers, revient en boitant auprĂšs de ses collĂšgues, sorte d’élĂ©ment prĂ©monitoire de l’intrigue qui avait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© mentionnĂ© lors de

la conception du scĂ©nario. Cette actualisation du boitement crĂ©e un effet de recul, de distanciation, comme si la suspension de l’effet de surprise mettait en Ă©vidence les ressorts dramatiques du spectacle et rappelait au public qu’il assistait Ă  un texte prĂ©alablement Ă©crit.

Rendre compte d’une voix qui n’est pas la sienne

Plus gĂ©nĂ©ralement, la piĂšce pose la question de la diversification des voix dans les productions audiovisuelles, un enjeu dont la piĂšce rĂ©vĂšle l’aspect Ă©minemment politique : « C’est tout ce qu’on a dans la vie, nos rĂ©cits », dit Colin dans une scĂšne poignante. DerriĂšre la simple intention de produire du « divertissement », tel que formulĂ© par l’un des scĂ©naristes, se cache le pouvoir des productions d’influencer nos rĂ©alitĂ©s, en forgeant nos maniĂšres de penser le monde. Dans cette perspective, le dramaturge prend le parti de rĂ©vĂ©ler les clichĂ©s persistants dans les reprĂ©sentations des personnes racisĂ©es Ă  l’écran. Ainsi, Dany, l’un des scĂ©naristes, dĂ©nature le texte initial de Colin

Ă  travers une version Ă©dulcorĂ©e, stĂ©rĂ©otypĂ©e et empreinte de racisme. Cela nous met aussi face Ă  nos propres biais et privilĂšges : se sentir reprĂ©senté·e, pouvoir s’identifier parmi des personnages variĂ©s et complexes... Une rĂ©flexion qui pose aussi en filigrane la question de la lĂ©gitimitĂ© de s’emparer de rĂ©cits qui ne nous concernent pas, dans un contexte oĂč la production de rĂ©cits a souvent Ă©tĂ© fait par des groupes ayant le plus de pouvoir, les voix des minoritĂ©s plus marginalisĂ©es Ă©tant relĂ©guĂ©es Ă  une contre-culture. La piĂšce fait d’ailleurs Ă©cho Ă  la situation rĂ©elle d’une industrie appelĂ©e Ă  se rĂ©former, qui tente de s’adapter aux revendications politiques actuelles pour plus de diversitĂ© au sein des Ă©quipes.

On ressort de la piĂšce avec l’impression d’une industrie verrouillĂ©e, oĂč chacun·e est contraint·e de se plier aux rĂšgles d’un systĂšme brutal. S’adapter en renonçant Ă  ses aspirations et ses valeurs, ou s’en Ă©chapper : telle est la morale, un brin manichĂ©enne, de Dix quatre x

10 culture le délit · mercredi 25 janvier 2023 · delitfrancais.com
artsculture@delitfrancais.com
culture
« Ce processus de crĂ©ation ne laisse plus de place Ă  l’improvisation, Ă  la rĂȘverie ou Ă  la rĂ©flexion longue »
Suzanne o’Neill Suzanne o’Neill Suzanne o’Neill
« Façonnons-nous la télévision ou estce elle qui nous façonne? »

Darwin en vie en 2022 !

DĂšs le dĂ©but de la piĂšce, Vous ĂȘtes animal , prĂ©sentĂ©e au Théùtre de Quat’sous, m’a intĂ©ressĂ© par l’uchronie qu’elle propose ; elle imagine ce qui se passerait si Charles Darwin avait publiĂ© sur L’Origine des espĂšces en 2022. La piĂšce, qui se joue du 17 janvier au 11 fĂ©vrier, est une crĂ©ation de JeanPhilippe Baril-GuĂ©rard. En se prĂ©sentant lui-mĂȘme sur scĂšne, il partage avec nous ses enquĂȘtes sur cette publication « rĂ©cente » de Darwin, suivi par les rĂ©actions controversĂ©es du public contemporain sur les rĂ©seaux sociaux, dans les mĂ©dias, et dans le public mĂȘme du théùtre. Dans un style de théùtre documentaire, la piĂšce combine dialogues rĂ©alistes et brĂšves projections vidĂ©os. Vous ĂȘtes animal est un grand

succĂšs qui porte un message assez provocateur et sombre sur l’hĂ©ritage de Darwin et des pseudo-scientifiques qui ont repris son travail.

La piĂšce prĂ©sente un message compliquĂ© Ă  propos de la responsabilitĂ© que L’Origine des espĂšces tient dans l’histoire de l’idĂ©e des races et sur l’origine du racisme scientifique. C’est aussi l’histoire d’un homme qui doit se dĂ©fendre contre les mĂ©dias qui l’attaquent de tous cĂŽtĂ©s et dĂ©naturent ses idĂ©es d’une façon grotesque et dĂ©sastreuse. Les paroles que BarilGuĂ©rard prononce au dĂ©but du spectacle forment la thĂšse pour tout le spectacle : « jusqu’oĂč peut-on aller pour dĂ©fendre des

idĂ©es? ». La mise en scĂšne de la piĂšce est aussi trĂšs originale. Des camĂ©ras portatives sont utilisĂ©es par les six acteurs, qui se filment eux-mĂȘmes et se projettent en direct sur un Ă©cran au milieu de la scĂšne. À d’autres moments, ils apportent les camĂ©ras jusque dans les coulisses et jouent la scĂšne Ă  distance. Cette utilisation d’une narration partiellement enregistrĂ©e dans une piĂšce de théùtre montre l’hypocrisie d’un peuple moderne, prĂ©fĂ©rant

communiquer en ligne que de discuter les enjeux face Ă  face, notamment sur Instagram. Ce qui m’a vraiment impressionnĂ©, c’est la maniĂšre dont seulement six acteurs et actrices peuvent habiter la trentaine de

personnages qui apparaissent sur scĂšne. MĂȘme les reprĂ©sentations des personnages anonymes sur les rĂ©seaux sociaux, qui ne sont parfois sur la scĂšne que pour une douzaine de secondes, se distinguent par quelques petits changements de corps et de voix. Cette attention aux dĂ©tails participe au rĂ©alisme de

la mise en scĂšne, et Ă  la terreur de voir cette uchronie se rĂ©aliser. Lyndz Dantiste mĂ©rite une ovation pour son interprĂ©tation de Darwin. Au cours des quatrevingt dix minutes du spectacle, on le voit progressivement se transformer d’un homme de peu de mots en un ĂȘtre vĂ©ritablement tyrannique.   x

Simone Veil. Nous avons tous dĂ©jĂ  entendu son nom, mais il ne se limite pas Ă  la lĂ©galisation de l’avortement. Peu de personnes connaissent son passĂ© et le reste de ses combats pour la dignitĂ© humaine. Certes, ce fut une femme politique, mais ce fut surtout une femme courageuse qui a su dĂ©museler la parole au sujet des atrocitĂ©s de la Shoah. La dignitĂ©, une qualitĂ© qui se manifeste dĂšs ses 16 ans lors de sa dĂ©portation Ă  Auschwitz, lui servira de ligne de conduite pour le restant de sa vie. Comme mentionnĂ© au cours de plusieurs entrevues, la dĂ©shumanisation de la dĂ©portation, le travail forcĂ© et la violence qu’elle a subis dans les camps dĂ©clenche une sensibilitĂ© et un besoin vital de garantir Ă  tous le mĂȘme droit Ă  la dignitĂ©, y compris les orphelins, les prisonniers et les malades.

RĂ©alisĂ© par Olivier Dahan, Simone, le voyage du SiĂšcle retrace la vie de Simone Veil en s’inspirant de quatres livres autobiographiques ; Mes combats, Les hommes aussi s’en souviennent, Une jeunesse au temps de la Shoah et Une vie. Le rĂ©alisateur français s’attaque Ă  sa troisiĂšme figure

fĂ©minine cĂ©lĂšbre, aprĂšs avoir abordĂ© les vies d’Edith Piaf et de Grace Kelly. Au commencement de son engagement politique, Simone Veil est incarnĂ©e par Elsa Zylberstein, Ă©galement coproductrice. L’actrice dit vouloir rendre hommage Ă  son pĂšre et sa grand-mĂšre juive qui ont tous deux subi l’horreur de la Shoah. Le rĂ©alisateur a choisi de mettre en avant des facettes de Simone Veil encore trop mĂ©connues du public comme sa dĂ©fense du droit Ă  l’éducation avec la mise en place de bibliothĂšques en prison et du respect des enfants en pouponniĂšres, le tout montrant le caractĂšre actuel de ces combats aujourd’hui. La scĂšne qui m’a particuliĂšrement touchĂ©e, mais qui m’a surtout montrĂ©e la sincĂ©ritĂ© de Simone Veil, est sa visite Ă  un malade du SIDA au centre hospitalier. Au lieu de faire semblant de parler aux malades - comme cela lui Ă©tait demandĂ© par la chaĂźne tĂ©lĂ©visĂ©e - elle s’indigne et demande Ă  passer du temps avec le malade. On la voit parler en toute simplicitĂ©, Ă©mue et outrĂ©e par le non-respect accordĂ© aux personnes sĂ©ropositives. La maigreur, la mise Ă  l’écart par la sociĂ©tĂ© semble lui rappeler son passĂ© en tant que juive dans les camps et elle prononcera plus tard une rĂ©ponse au SIDA qui sera

« humaniste ou ne sera pas. »

Elle s’est rendue proche de ceux qui souffraient, les discriminĂ©s.

Simone, le voyage du siĂšcle est un film plus accessible qu’une sĂ©rie de livres biographiques, qui permet d’en savoir plus sur une femme dont nous avons encore beaucoup Ă  apprendre.

C’est avant tout un film inspirant, qui partage une force, qui prend aux tripes pour dire aux spectateurs « rĂ©veillez-vous! ». En parlant de son passĂ©, de la Shoah, des horreurs humaines, elle laisse une empreinte profonde sur la sociĂ©tĂ© française. Ce film est un voyage de combats qui dĂ©passent les frontiĂšres : c’est un voyage Ă  travers les gĂ©nĂ©rations, toutes marquĂ©es par l’éloquence, le courage, la persĂ©vĂ©rance et l’empathie de Simone Veil. Elle a Ă©tĂ© un exemple pour nos grands-mĂšres et nos mĂšres et c’est cette transmission intergĂ©nĂ©rationnelle qui mĂ©rite d’ĂȘtre notĂ©e. J’ai trouvĂ©

le jeu de Rebecca Marder particuliĂšrement touchant lorsque, juste aprĂšs son accouchement, elle annonce Ă  son mari son dĂ©sir de poursuivre ses Ă©tudes et de devenir avocate malgrĂ© l’arrivĂ©e au monde de leurs enfants. Sa tĂ©nacitĂ© dans sa vie professionelle et son dĂ©vouement Ă  sa famille ne manquent pas, elle montre un modĂšle de femme, de mĂšre capable de mener une grande carriĂšre Ă  une Ă©poque oĂč l’on n’y croyait pas encore. Ayant regardĂ© ce film aux cĂŽtĂ©s de ma mĂšre, cet exemple de fĂ©minisme et d’humanisme a provoquĂ© chez moi de puissantes Ă©motions, une sorte de courage mĂ©langĂ© d’espoir. Pendant 20 ans aprĂšs le retour de Simone Veil en France, il Ă©tait impossible de parler de l’Holocauste. C’est ce

silence, ce dĂ©ni de la douleur qui est reprĂ©sentĂ© Ă  l’écran afin de faire passer un message : ne pas nĂ©gliger le rĂ©cit des rescapĂ©s. Mais qu’avons-nous rĂ©ellement retenu? En observant de loin le gĂ©nocide des Ouighours en Chine, la montĂ©e de l’antisĂ©mitisme de Kanye West, les dĂ©bats sur l’avortement au États-Unis ou encore en subissant le pouvoir totalitaire de Vladimir Poutine, pouvons-nous affirmer avoir tirĂ© les leçons du 20 Ăšme siĂšcle?

Ce film apporte une rĂ©flexion nĂ©cessaire, il aborde des sujets lourds, durs, mais cette transmission en image est indispensable. C’est une maniĂšre accessible de rentrer dans l’histoire, peu importe la gĂ©nĂ©ration face Ă  l’écran.  x

11 culture le délit · mercredi 25 janvier 2023 · delitfrancais.com Théùtre
Le théùtre de Quat’sous met en scĂšne un scandale scientifique dĂ©sastreux.
« La piĂšce prĂ©sente la responsabilitĂ© que L’Origine des espĂšces tient dans l’origine du racisme »
La traversée intergénérationnelle de Simone
Les enjeux mémoriels de la nouvelle biofiction de Simone Veil.
« Ce film est un voyage de combats qui dépassent les frontiÚres »
CINéMA
2020 - MARVELOUS PRODUCTIONS Marie Prince | le délit

Encore un thriller d’hĂ©ritage !

Avec L’Origine du mal, Marnier fait mal sans originalitĂ©.

agathe nolla Éditrice Culture

Àl’affiche depuis le 13 dĂ©cembre dernier, L’Origine du mal est une comĂ©die noire et un thriller qui s’organise autour d’une dispute d’hĂ©ritage. Au dĂ©but du film, StĂ©phane, interprĂ©tĂ© par Laure Calamy, reprend contact avec son pĂšre et dĂ©couvre le train de vie opulent menĂ© par une famille dont elle ne se doutait mĂȘme pas de l’existence. AprĂšs avoir passĂ© cinquante ans de sa vie dans un milieu ouvrier, elle dĂ©couvre de nouveaux membres qui viennent renverser son avenir : sa demi-sƓur Doria Tillier, sa belle-mĂšre Dominique Blanc, sa niĂšce CĂ©leste Brunnquell et la bonne, VĂ©ronique Ruggia. Toutes souhaitent faire ouvrir le coffre-fort et fermer le cercueil de Serge, l’homme qui dirige leur vie, interprĂ©tĂ© par Jacques Weber.

Le troisiÚme long-métrage du réalisateur franco-canadien Sébastien Marnier est rythmé par de fréquents retournements de situation. Mensonge aprÚs mensonge, aucun des points de vue des personnages ne semble

CinÉma

suffisamment fiable pour nous permettre de saisir l’intrigue dans toute sa complexitĂ©. Marnier a recours aux mĂȘmes procĂ©dĂ©s cinĂ©matographiques que dans IrrĂ©prochable (2016) et L’Heure de la sortie (2018) : il laisse une place considĂ©rable aux effets musicaux qui transportent le spectateur dans une atmosphĂšre de thriller comique. ComposĂ©e par le chef d’orchestre quĂ©bĂ©cois Philippe Brault et l’auteur-compositeur interprĂšte quĂ©bĂ©cois Pierre Lapointe, la bande originale est constamment en suspension,

en attente d’aboutissement pour empĂȘcher le spectateur de penser qu’il a enfin rĂ©solu l’énigme.

Le spectateur est face Ă  une intrigue classique d’hĂ©ritage : les hommes ĂągĂ©s dĂ©pourvus de pouvoir se voient entourĂ©s de femmes plus jeunes assoiffĂ©es d’argent. Dans le choix de rĂŽles fĂ©minins, SĂ©bastien Marnier se montre peu moderne en utilisant les archĂ©types de femmes tyranniques, parfois trop superficielles pour engendrer une quelconque sympathie de la part de l’audi-

ence. La belle-mĂšre dĂ©pensiĂšre, la demi-sƓur ambitieuse, et la bonne cachotiĂšre : toutes sont braquĂ©es

dit : « Si on veut que tout se passe bien, il faut se dire les choses. » DĂ©bordantes de mensonges et

« La belle-mĂšre dĂ©pensiĂšre, la demi-sƓur ambitieuse, et la bonne cachotiĂšre : toutes sont braquĂ©es contre un vieil homme qui semble pourtant innocent »

contre un vieil homme qui semble pourtant innocent. Le jeu de Laure Calamy, rĂ©compensĂ©e aux CĂ©sars 2021 pour son rĂŽle dans Antoinette dans les CĂ©vennes, n’est pas Ă  la hauteur de la complexitĂ© de son personnage qui passe de la manipulation Ă  la mythomanie. L’actrice montrĂ©alaise, Suzanne ClĂ©ment, vole la vedette en incarnant un personnage lucide, bouleversĂ© par le monde chimĂ©rique dans lequel s’agitent les autres protagonistes.

Lors des repas de famille, SĂ©bastien Marnier utilise la mĂ©thode de screen-split en filmant chaque personnage individuellement et en crĂ©ant ainsi cinq petits mondes isolĂ©s dans leur fenĂȘtre mitoyenne. Ce montage fait Ă©cho Ă  l’ironie de la belle-mĂšre, qui

de rebondissements quelque peu prévisibles, les répliques suivent le rythme palpitant de la musique tout en accueillant un certain essor humoristique propre à la comédie noire.

Cet ensemble crĂ©e pourtant des lacunes : dans le jeu des acteurs, dans l’intrigue trĂšs convenue, et dans un montage prudent du troisiĂšme film de SĂ©bastien Marnier. Ainsi une certaine dĂ©ception qui ne satisfait ni les fanatiques de thriller ni les amateurs de comĂ©die noire envahit le spectateur. De plus, L’Origine du Mal semble ombragĂ©e par le succĂšs de films du le mĂȘme genre, notamment Sans filtre (titre original : Triangle of Sadness , 2022) de Ruben Östlund. x

Thérapie

La premiĂšre fois, je suis restĂ©e bouche bĂ©e, comme enchantĂ©e par Cate Blanchett. La deuxiĂšme fois, je souriais devant l’écran, trĂ©pidante, jubi- lante, LydĂ­a TĂĄr s’est agrippĂ©e Ă  moi jusque sous ma douche oĂč, au lieu de chanter, je dĂ©battais avec moi-mĂȘme de toutes les strates de son ĂȘtre. Je l’ai revu deux autres fois, urgeant mes amies de m’accompagner dans cette interminable fascination. Lydia est une cheffe d’orchestre originaire de la ville de New York. Nous la rencontrons au sommet alors qu’elle s’apprĂȘte Ă  enregistrer la cinquiĂšme Symphonie de Gustav Mahler avec la Philharmonie de Berlin qu’elle dirige, et que son livre, modestement intitulĂ© TĂĄr on TĂĄr, est sur le point d’ĂȘtre publiĂ©. Au mĂȘme moment, elle apprend le suicide d’une certaine Krista Taylor, une homologue dont elle aurait empĂȘchĂ© la carriĂšre de dĂ©marrer. Ce pouvoir que dĂ©tient LydĂ­a est le sujet du film, tout comme la corruption qui l’anime, les petites faveurs qu’elle accorde Ă  celles qui rĂ©pondent Ă  ses demandes, et son monde façonnĂ© par les mensonges qui la plonge dans le dĂ©lire. Alors que nous sommes complĂštement immergé·e·s dans son esprit, que nous voyons LydĂ­a tituber du piĂ©destal sur lequel il avait Ă©tĂ© placĂ©. Nous oscillons entre le rĂȘve et le cauchemar. La rĂ©alitĂ© est complĂštement dĂ©formĂ©e, elle nous pose des questions sans y apporter de rĂ©ponses. Les nuances pren- nent la forme de son assistante Francesca, jouĂ©e par NoĂ©mie Merlant, de Shannon, sa compagne, jouĂ©e par Nina Hoss, et de leur fille Petra. Le son fait entiĂšrement partie de cette rĂ©flexion, la musique est le noyau de LydĂ­a, elle berce la vie de chaque personnage, les rĂ©unit et les sĂ©pare.

Mon commentaire sur Letterboxd : « ce film est une drogue »

Note : 5/5

cinéphile Célia Pétrissans présente deux coups de coeur.

Les annĂ©es Super 8 – par Annie Ernaux et David Ernaux-Briot (2022)

Annie Ernaux apparaĂźt sur l’écran. On est au dĂ©but des annĂ©es 70, c’est la premiĂšre fois que je vois une vidĂ©o d’elle, une scĂšne intime, familiale, capturĂ©e par cet objet si violent qu’est la camĂ©ra. L’appareil interrompt la tranquillitĂ© domestique et nous offre, Ă  50 ans de distance, un aperçu de la vie d’une future Ă©crivaine, aujourd’hui Prix Nobel. Je crois avoir pleurĂ© toute la sĂ©ance, je lui disais merci, je la regardais dans les yeux. Elle m’avait dĂ©jĂ  vue il y a deux ans quand pour la premiĂšre fois j’ai entendu, et non pas lu, une phrase Ă©crite de sa main, restĂ©e dans ma mĂ©moire jusqu’à ce que j’achĂšte enfin ce livre, le fameux La Place. Les images filmĂ©es avec une Kodak Super 8 montrent les vacances en famille, les rires, et la distance s’installant au sein du couple. Annie Ernaux dĂ©crit en off ses souvenirs de moments qui n’ont pas Ă©tĂ© racontĂ©s dans ses livres. Elle parle de ses sentiments, de sa posture par rapport aux autres, tou- jours en retrait, toujours un pied Ă  l’extĂ©rieur, l’écrivaine observant le monde. J’aurais voulu passer toute la journĂ©e en compagnie de sa voix, m’accrocher Ă  cette tendresse que l’on retrouve dans l’universalitĂ© de ses Ă©vĂ©nements. Mon commentaire sur Letterboxd : « Je regarde ma collection de ses livres, mes notes, mes larmes sĂ©chĂ©es sur le papier. Je n’ai mĂȘme pas Ă  me demander pourquoi ses histoires me touchent autant, je le sais, elles sont en quelque sorte aussi les miennes. »

Note: 4/5 x

12 culture le délit
mercredi 25 janvier 2023 · delitfrancais.com CinÉma
·
Célia petrissans Coordinatrice des réseaux sociaux marie prince | le délit
laura tobon | le délit

Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.
Édition du 25 janvier 2023 by Le DĂ©lit français - Issuu