Les Écritures Terrestres

Les Écritures

Terrestres D édé A nyoh A lice B ottarelli C aroline M isbach V alentin P apoudof C lémence F ougea B ob

Les Écritures

Terrestres

ISBN : 978-2-7466-8822-3 © Les Écritures Terrestres, 2016

Dédé Anyoh // Alice Bottarelli // Caroline Misbach // Valentin Papoudof Clémence Fougea // Bob

Les Écritures

Terrestres

Une cloche tinte dans l’air serein Le ciel est chaud, on ser t du vin, Le bruit du temps remplit la vie ; C’est une f in d’après-midi.

[Houellebecq, Non réconcilié]

Tant qu’on n’a pas tout donné, on n’a rien donné.

[Georges Guynemer]

Decide what it is you want Write that shit down Make a fucking plan And… Work on it.

Every.

Single.

Day. [Anonyme]

Présentation du projet

Tout a commencé par une envie irrépressible : écrire, qui a fait naître une idée : réunir des individus animés par ce même élan, pour par tager, échanger, favoriser l’inspiration créatrice.

J’ai donc, en septembre 2014, posé des annonces dans mon ancienne faculté de lettres (Paris III – Sorbonne Nouvelle), pour recruter une brigade d’apprentis écrivains envieux de par ticiper à un atelier d’écriture.

J’en ai aussi parlé à mon entourage et j’ai été heureuse de constater l’enthousiasme que mon idée a provoqué.

Un ami qui tenait à l’époque un petit restaurant dans le 11e arrondissement à Paris a très gentiment accepté de prêter son lieu af in que l’atelier s’y tienne deux fois par mois. Ce lieu, qui est aujourd’hui malheureusement fermé, por tait le doux nom des « Nourritures Terrestres » et a inspiré le nom de cet atelier et de ce recueil.

Le jour de mes 26 ans, le 10 octobre 2014, s’est tenu la toute première séance de ce projet qui était né presque

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sur un coup de tête et qui se concrétisait sous mes yeux, à ma plus grande joie. Nous étions six. Cer taines personnes sont par ties au f il des séances, d’autres nous ont rejoints.

Le concept était simple : je donnais un thème d’écriture au groupe et une contrainte de temps qui allait entre 30 minutes et une heure. Chacun se débattait durant ce laps de temps, avec lui-même, sa feuille de papier et son stylo pour produire un tex te. À la f in du chrono, nous étions invités à lire à haute voix notre tex te, et le reste du groupe pouvait librement livrer ses impressions, ses émotions, donner des axes d’amélioration, tout en bienveillance, sans jugement. L’exercice de livrer un tex te tout frais, spontané et souvent imparfait n’est pas forcément aisé, mais au fur et à mesure des séances, on a appris à mieux se connaître, à s’apprécier et se libérer d’éventuelles premières inhibitions. Je donnais ensuite une nouvelle contrainte à traiter pour la séance suivante, af in que l’on ait également un tex te à présenter au début de chaque nouvelle séance.

De très belles œuvres sont nées de ces séances d’écriture, qui nous ont permis de développer notre propre style d’écriture et découvrir ceux des autres.

Cela aurait été un vrai gâchis de garder ces tex tes au fond de nos cahiers et de ne pas les par tager, c’est pour cette raison que nous voulions que ce recueil existe, et il existe désormais, grâce à toutes les personnes qui y ont

cru et ont par ticipé à sa publication.

Chacun a librement sélectionné pour ce recueil les tex tes qu’il désirait présenter.

En espérant que vous prendrez autant de plaisir à les lire que nous avons pris à les écrire, nous vous souhaitons une très bonne lecture !

Le livre est organisé de la manière suivante : Première partie * Une présentation de la contrainte imposée [écrite par Alice Bottarelli] * Les tex tes correspondants à ces contraintes Deuxième partie * Les cadavres exquis réalisés à la f in de nos séances d’écriture

Thème I L’HISTOIRE DU PRÉNOM PIOCHÉ

Première séance de l’atelier d’écriture des « Écritures terrestres ».

Les par ticipants, fébriles, qui ne se connaissent pas tous, ont dû dire quelques mots sur eux, sur leurs attentes, leurs parcours, leurs expériences et envies d’écriture. Pour renforcer ces premiers liens, encore ténus, Dédé nous demande à tous de jeter nos noms dans un chapeau et d’un piocher un autre. C’est à par tir de ce nouveau prénom, et de ce que nous inspire la personne qui le por te, que nous écrirons notre tex te initial et initiatique.

Imaginer l’histoire du prénom d’un inconnu, ou d’un ami, selon ce que l’on sait de cette personne, qui nous est déjà familière ou à peine rencontrée.

Premier déf i.

Valentino à l'enfant Texte d'Alice Bottarelli

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La première contraction lui avait coupé le souff le.

Elle faillit perdre pied ; heureusement la côte n’était pas loin. Les quelques brasses qui la ramenèrent au bord lui semblèrent une empoignade féroce avec le courant et les algues poisseuses qu’il entor tillait entre ses jambes. Une crampe la f it sombrer, et l’eau mousseuse du sommet de la vague qui la gif la soudain entra dans ses narines, lui brûla la bouche. Elle avait à peine atteint la grève et rampait à quatre pattes sur le sable lorsque vint une seconde série de contractions. Cette situation la mettait hors d’elle, elle était rageuse d’avoir pris ce risque absurde. Prof iter de l’apesanteur d’un plongeon dans la

mer alors qu’elle savait que le terme était proche, elle aurait pu se tuer avec l’enfant, elle le savait, sous ce soleil insolant, avalée par les f lots en moins d’un instant. Elle tituba vers sa vieille Peugeot. Bien sûr elle n’avait prévenu personne. Il lui faudrait la conduire seule jusqu’à l’hôpital.

Les ambulances, peu nombreuses sur l’île, et trop larges pour s’enfoncer aisément dans le maquis et les buissons épineux, mettraient bien trop de temps à rejoindre la crique. Le tableau de bord lui brûla les doigts et elle se sentit étouffer en entrant dans l’habitacle. Peu impor tait.

Il fallait tenir jusqu’à la ville. *** 16

Valentino fumait au volant de sa décapotable en se grattant les testicules de la main droite – il conduisait avec lenteur et traversait un état d’intense plénitude physique. Il donna un coup de volant sec pour épouser le virage en épingle à cheveux de la courbe qui menait à son hacienda en périphérie du village, lorsqu’il dut freiner brusquement. Il grogna de douleur : sa main avait écrasé sans pitié la boule de chair tendre qu’il soulageait de son chatouillement. La larme à l’œil, il ouvrit la por tière et s’avança vers la petite Peugeot bleue dont le capot fumait dans l’ornière de la route. « Tout va bien ? » Un gémissement aigu provenant de l’intérieur lui donna des frissons d’angoisse. Il ouvrit la por te du conducteur et

vit une jeune femme au ventre énorme qui souff lait à grand peine. Elle ne semblait pas blessée, cependant. Il pouvait encore se reculer et f iler en douce dans l’autre direction. Il pouvait encore n’avoir rien vu, n’avoir pas été là, n’avoir fait que passer. Il pouvait encore continuer de savourer son après-midi décomplexé, à l’écar t des soucis des humains. Parmi ces derniers, les femmes sur tout lui échappaient totalement : il avait passé sa vie à les éviter en toute harmonie, et préférait largement à toute compagnie féminine ses longues chevauchées avec l’épicier du village, qui lui aussi était fou de motos et de décapotables. Or malgré ses hésitations et la tentation violente de fuite qu’il éprouvait à l’instant, Valentino por tait comme collée à sa peau la lourde réputation d’être un bon type. Statut en apparence bien anodin, mais qui induisait en cette minute précise des exigences morales dont le pauvre gars sentait la chape peser sur ses épaules et sur son destin. Un bon type oui. Quand il fallait mettre les mains dans le cambouis, il n’était pas du genre à hésiter. C’est ce qu’on disait de lui. C’est ce que lui-même disait de lui. Il n’avait jamais assisté même de très loin à un accouchement autre que le sien propre, et rien ne lui était plus étranger qu’un sexe féminin ; pour tant, Valentino délogea de son enclave trop étroite, avec toute la délicatesse du monde, le corps agité et en sueur de la jeune femme pour l’installer en travers des sièges renversables de sa décapotable ; il roula en boule

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son blouson en jeans pour le nicher sous sa nuque ; il sor tit, par précaution mais sans qu’heureusement ils se révélassent d’une quelconque utilité, quelques ustensiles de cuisine qu’il avait entassés dans une boîte au fond du coffre, parmi lesquels une spatule dont il s’empara vaillamment ; il s’agenouilla à côté de sa por tière ouver te et pencha résolument sa large tête entre les cuisses féminines. ***

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Elle avait l’impression que sa tête tournait à tel point qu’elle n’arrivait pas à faire sens de la réalité qui l’entourait. Quelque chose en elle la tirait vers un sommeil bienveillant, dans lequel elle s’efforçait de ne pas sombrer, sachant bien qu’elle devait à tout prix éviter de s’évanouir dans les prochaines heures. Pour l’instant elle se concentrait sur les minutes. Maîtriser son souff le.

Prendre conscience de son corps, qui se manifestait à elle par fragments de douleur, par fulgurances. Le ventre qui bat. Les yeux qui brûlent. Les tempes qui fouettent, envoient des lancées à travers toute la tête. Une crampe à la jambe. Un bras tordu et immobilisé contre le cuir chaud du siège. Le mar tèlement du cœur qui résonne dans le thorax, qui cogne dans les ar tères. Il fallait respirer. Ne penser qu’à respirer. « Euh… Poussez. S’il vous plaît. »

Elle ne prit pas conscience de l’incongruité de la phrase, de l’effor t de politesse de celui qui la prononçait.

Qui la prononçait d’ailleurs ? Par-delà la colline de son ventre, elle vit un crâne dégarni qui se releva soudain pour laisser place à un visage qui semblait à la fois plein de trouble, démuni devant la situation et doté d’une jovialité naturelle qui inspirait une cer taine conf iance.

Une contraction de plus la tira de sa torpeur lancinante et elle se souvint de l’urgence qui la tenait. Elle devait faire sor tir l’enfant de son corps. Et vite...

[La suite à découvrir dans l’ouvrage complet...]

La

véritable histoire

de

Mademoiselle Miss Bach

Texte de Clémence Fougea

Caroline Misbach, de son vrai nom « Carpentier », a décidé à l’âge de douze ans et demi qu’elle se surnommerait « Misbach ». Fan de musique classique depuis qu’elle est apparue dans le ventre de sa mère, elle savait reconnaître le prélude de Bach en Do majeur avant même d’avoir appris à respirer.

Caroline n’a jamais été une petite f ille contrariée d’être ce qu’elle était ou d’avoir grandi dans une famille un peu morne et grise. Son monde intérieur était tellement vaste et dense que la petite avait appris à vivre heureuse avec

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elle-même. Par ailleurs, son aisance naturelle à se ravir de la beauté d’une œuvre musicale lui suff isait à illuminer ses journées. Alors que d’autres enfants hésitaient entre une carrière de pompier ou de politicien, Caroline avait pris la décision de devenir concer tiste.

Mais pas n’impor te laquelle. Elle voulait être la plus douée pour pouvoir sublimer les œuvres de son compositeur préféré. Au cœur de sa petite chambre de poupée, elle avait inventé un concept fabuleux, celui de reprendre toutes les œuvres de Bach et d’en faire des adaptations hip-hop. Ses parents ont eu beau l’élever à la saveur de la profonde mélancolie d’un Léo Ferré, son éducation musicale avait progressivement bifurqué vers un monde nouveau et révolutionnaire, celui du hip-hop. Seule dans sa chambre, entre l’heure du goûter et le « À table » de 19h45, elle se plongeait dans un monde semi parallèle, avec son petit synthétiseur Barbie power, et jouait en boucle des ex traits de la fugue en Sol mineur de Bach, de plus en plus vite, de plus en plus destructuré, de plus en plus groové… Une f ièvre l’envahissait, elle cherchait le ry thme, ce ry thme qui faisait vibrer son petit corps de jeune prépubère, déjà si connecté à ses instincts et aux esprits de la terre. Ensuite, l’heure fatidique du dîner arrivait, elle s’asseyait toujours très poliment à table, mais le front f iévreux et les joues toujours plus rosies par cette énergie f lamboyante qui l’avait traversée. Elle attendait sagement sa por tion de

purée Mousseline, pensant au plus profond d’elle-même que l’œuvre qu’elle constituait avait bien plus de saveur que toutes les purées du monde.

Elle entend une voix au loin — celle de son papa — lui dire...

[La suite à découvrir dans l’ouvrage complet...]

Thème II L’HISTOIRE DE MON PRÉNOM

Après avoir découver t les idées et intrigues que chaque prénom a suscitées, nous repar tons avec un autre sujet d’écriture pour la séance suivante, un sujet plus intime, moins dépendant de notre perception d’autrui, peut-être plus introspectif, plus conf identiel, ou tout simplement plus personnel : retracer l’histoire de son propre nom. Ou, bien sûr, lui en inventer une.

Deedee

Texte de Dédé Anyoh

Elle réajuste sa robe, qui épouse harmonieusement les courbes de son corps, et regarde la salle du bar.

Quelques projecteurs de for tune éclairent son visage.

Ses traits sont f ins. Sa bouche, habillée d’un rouge intense.

Il y a du monde dans le café, mais personne qui ne lui prête grande attention. Pour l’instant. Cer tains boivent seuls au comptoir, d’autres discutent joyeusement : le brouhaha habituel des soirées de jazz dans les quar tiers populaires de la Nouvelle-Orléans.

Elle s’éclaircit la voix, ferme les yeux et respire. Elle est prête et fait un signe de tête au pianiste, qui exécute avec une rare dex térité quelques notes au piano, une

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improvisation sur la gamme majeur de blues.

Un son sor t de sa bouche, et c’est assez pour f iger le temps.

Les discussions s’arrêtent, les regards se tournent, et tout l’intérêt se concentre soudain sur une seule âme, celle de Deedee.

Sa voix électrise, c’est un cri dans un souff le, une explosion de bonheur auditive. Elle happe et retient, elle ne chante pas. Elle ressent. Elle vie, jette ses tripes, donne tout sans concessions, et ça envoie, ça groove, ça balance, ça swingue. Les têtes bougent en ry thme et les corps se délient sensuellement.

Il y a tout dans cette voix.

Les verres de whisky avalés au petit matin, les milliers de cigarettes consumés lors de nuits folles où l’inspiration est si puissante qu’elle étreint violemment, les soirées d’errance, les amants qui déf ilent, les amours qui f ilent. Mais sur tout il y a, la détresse mêlée d’espoir des esclaves noirs courbés dans les champs de coton, l’allégresse des f idèles qui louent Dieu à s’en rompre les cordes vocales au fond d’une église afro-américaine de la Caroline du Nord, il y a...

[La suite à découvrir dans l’ouvrage complet...]

Caroline

Texte de Caroline Misbach

Jo avait soif. Pas la petite soif qui vous gratouille la gorge. La soif. La soif qui vous tiraille, la soif qui vous tord les boyaux, la soif qui vous coupe les jambes, vous épuise. La soif. Le corps de Jo était étendu là sans plus aucune force, incapable de bouger, de se lever, ni même de ramper. Ce corps iner te et pour tant si présent, ce corps, hurlait silencieusement sa soif. Tor ture. Ça faisait maintenant plusieurs heures que le corps de Jo était étendu sur cette terre sèche et craquelée, sous le soleil de plomb du Texas. Jo sentait son corps se vider de la vie.

Il par tait. Lentement. Souffrance mêlée de douceur. La soif. Et la vie qui s’éteint. Comme la fermeture d’un vieux rade, le soir, quand les derniers ivrognes quittent les lieux. La soif et… Après tout, il n’en avait plus vraiment

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la force. Tant pis. La soif et… Il avait pour tant lutté avec force et conviction, mais maintenant il était épuisé. La soif et la mor t. Jo se sentait par tir peu à peu, il décida qu’il était temps d’abandonner, il se laissa aller vers la mor t. Ses yeux se ferment, sa gorge lâche un dernier râle, ses poumons un dernier souff le. Soupir. Rideau.

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Douleur. Quelque chose d’étrange et de froid. Ça écar tèle sa gorge, ses entrailles. Ça brûle la bouche.

Douleur. La vie — de l’eau. Peu à peu, Jo retrouva ses esprits. Tout d’abord, cette douleur dans la gorge et dans le ventre. Les questions. Où ? Pourquoi ? Les yeux qui s’ouvrent, c’est f lou, la tête dans un étau. La bouche ar ticule. La respiration prend conscience qu’elle existe.

Il fait froid. La peau frémit et chair de poule. Signe de vie. La vue. Il faisait nuit. De l’eau ! Ça ne faisait plus du tout mal, l’eau pénétrait tout le corps, le réveillait petit à petit. La bouche, la poitrine, le ventre, les jambes, les mains. Il faisait nuit. Une poitrine sans soutien-gorge dépassait légèrement d’un débardeur noir. C’est beau.

Une jeune femme blonde le regardait sévèrement. Jo ne comprenait pas ce qu’elle disait. Elle l’aida à se lever.

Jo tenait debout. Diff icilement, mais il tenait. Cette f ille, c’était un ange. Un ange un peu brutal et qui tirait la gueule. Mais un ange qui avait une poitrine magnif ique.

Elle installa Jo à l’avant d’un pick-up et démarra. Elle ne parlait pas. Lui ne savait pas quoi lui dire.

Au bout de dix minutes, le pick-up s’arrêta devant une

petite maison. La jeune femme emmena Jo à l’intérieur.

Tout était en bois, simple. Pas de décorations, ni sale, ni bien rangé. Jo se retrouva devant du café et une assiette de bacon. À bien y regarder, en pleine lumière, elle n’avait pas l’air si jeune. Son corps était ferme, tonique, mais c’était un corps de femme, avec les rondeurs que cela implique. Les ridules aux coins des yeux et de la bouche, la peau brûlée par le soleil, indiquaient qu’elle devait bien avoir dix ans de plus que Jo. Jo n’avait pas encore dix-huit ans. Jo n’avait jamais aimé la banlieue chic où il était né l’Oklahoma. Il n’aimait pas cette vie propre et rangée où rien ne se passe, où rien ne dépasse, où il n’y a pas de surprises. Jo vomissait la vie de ses parents.

Sans éclat, sans joie, ni peine, sans amour, ni tourment, sans passion. Confor table, plate et morne vie de banlieue. Lorsqu’il eut 16 ans, Jo décida de prendre sa vie en main. Entrainé par Mike, son meilleur pote, il s’inscrivit à l’armée. Jo voulait voyager, vivre à cent à l’heure, se battre. Se battre pour la liber té et la démocratie, ou même se battre pour n’impor te quoi. Avoir peur, gagner, pleurer, crier. Jo voulait vivre. C’est Mike qui fût appelé en premier. Jo était mor t de jalousie. Mike par tit pour l’Irak péter la gueule aux ennemis de la liber té, pendant que lui continuerait sa vie molle et sans conviction au lycée. Mike n’eut pas le temps d’écrire sa première lettre.

Au bout de cinq jours sur le terrain, il tomba dans une embuscade. Les chiens l’avaient décapité. Sans savoir qui

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il était, sans connaitre tous les gens qui l’aimaient, sans avoir ri d’une de ses imitations de star ou des poules du lycée, sans avoir entendu les poèmes sombres qu’il écrivait le soir lorsqu’il n’arrivait pas à dormir et qu’il chipait une bière de son père, ils avaient séparé sa tête de son corps et l’avaient brandi face à la caméra. La tête de Mike était devenue un trophée de guerre, un objet dont on se moque et sur lequel on crache. La nouvelle avait sclérosée Jo. On pouvait donc mourir en Irak ? Il avait eu la mauvaise idée de regarder la vidéo de la tête sanglante qui tournait entre les élèves du lycée. Jo a commencé à penser que c’était de sa faute. Il ne s’était même pas rendu aux obsèques, de peur de croiser le visage effondré de madame Well, la mère de Mike. Jo ne dormait plus, il voyait l’horreur en continu. Puis c’est Jo qui fût appelé à combattre. Alors, Jo a déser té. Jo s’est enfui. Jo ne voulait pas perdre sa tête pour la démocratie.

Avec toute l’insouciance que l’on peut avoir à dix-huit ans, il prit un sac d’affaires propres, un sandwich, 25 dollars et 36 pence dans le por tefeuille de son père. Il voulait traverser le Texas pour atteindre le Mexique et s’installer là-bas. Il pourrait alors vendre des burritos ou bien servir des tequilas dans un bar et se la couler douce peinard. Les burritos, c’est bien au Mexique, non ? Voilà comment Jo s’était retrouvé assoiffé dans le déser t du Texas. Un petit incident qu’il n’avait pas prévu.

La femme blonde était assise en face de Jo et le

regardait manger. Elle ne disait mot. Ses yeux noirs n’exprimaient ni inquiétude, ni sympathie, ni rien. Elle le regardait, c’est tout. Elle attendait que le temps passe. Lui, aurait aimé fourrer sa tête entre ses seins et pleurer, puis, une fois qu’il aurait bien pleuré, s’endormir à la chaleur de sa poitrine. Elle se leva et se dirigea vers la por te.

Sans savoir pourquoi, Jo ne voulait pas qu’elle s’en aille, il avait besoin d’elle, même si elle ne disait rien, même si elle ne souriait pas. Il fallait la retenir. « Je m’appelle Jo » dit-il d’une voix faible. Sa gorge lui faisait encore mal.

Elle hocha la tête et sor tit. Jo ne pouvait pas rester seul, il ne pouvait pas rester loin d’elle. Il la rejoignit dans un atelier. Elle frappait de la tôle avec un mar teau. Chaque fois qu’elle donnait un coup de mar teau dans la matière, ses seins rebondissaient et tremblaient. On aurait dit des f lans. Jo la regardait et se rendit compte qu’il était excité. À cet âge, on est excité facilement. Jo tenta de calmer ses ardeurs. Cette femme lui avait sauvé la vie, comment la remercier, comment établir le contact ?

— Comment tu t’appelles toi ?

— Virginie.

— Virginie comme l’État ?

— Non, Virginie comme le prénom.

[La suite à découvrir dans l’ouvrage complet...]

Valentin

Texte de Valentin Papoudof

Valentin Papoudof est né le 14 mars 2014 à 00h14, dans le 14e arrondissement de Paris.

Ce soir là, le ciel était couver t d’étoiles. Parmi elles, une bonne étoile, la sienne, lui permit à un quar t d’heure près, de ne pas voir le jour un vendredi 13. Bon présage pour cer tains, vulgaire superstition pour d’autres. Sûrement pas pour son père, farouche combattant du chiffre 13, qui y aurait vu un tragique coup du sor t.

Valentin Papoudof aimait les étoiles par-dessus tout.

Très jeune, il entreprit de vivre sur l’une d’elle. Il aurait bien voulu être pilote. C’est un beau métier ça, pilote.

C’est un peu comme être un oiseau. Lorsqu’il fut en âge de parler et de formuler ses idées, il dit : « moi quand je serai grand, je veux être pilote d’avion ». Alors les adultes s’empressèrent de lui répondre : « Pour être pilote il faut

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avoir une vue parfaite. 10/10 à chaque œil. » Or à cette époque Valentin Papoudof por tait déjà des lunettes. Sa vue n’était pas parfaite.

Pour tant, il refusa de se faire une raison. Il devra voler.

Il devrait voler. Sa vie en dépendait.

[La suite à découvrir dans l’ouvrage complet...]

Thème VIII SUR LA ROUTE (IMAGE 1)

Après la musique et le ry thme, l’image.

Dédé fait circuler parmi nous une photographie. Une route droite traverse une campagne déser te et morne, paraissant s’étendre à l’inf ini sous la grisaille, balisée de poteaux électriques et de panneaux de signalisation qui empêchent radicalement d’y voir tout charme champêtre. Debout de dos, sur l’avant-scène, faisant face à cet horizon vaste et vide, contemplant ce tracé de bitume qui monte au loin vers des montagnes perdues dans une brume opaque, se tient une femme que l’on imagine âgée, por tant des vêtements sombres et raides d’une autre époque. Ses chevilles maigrelettes dépassent du bas de son manteau, pour f inir dans des chaussures blanches qui pourraient être de vieilles pantouf les ou des chaussons d’hôpital. Elle semble s’être arrêtée là depuis un bon moment déjà, et tient bien droit un parapluie gris. Il y a quelque chose de beckettien, de f igé et de glaçant dans cette scène. Une route qui f ile vers le lointain, et pour tant, pas vraiment d’échappée. C’est sur

cette voie-là que nous nous lançons, imaginant tantôt le passé de cette femme, tantôt son existence présente, faite de déceptions et d’espoirs, de routes sans issue et d’évasions sous la pluie…

Dessin inspiré de la 1 re photographie proposée pour la séance

Trondheim Texte de Bob

Il viendra plus, non là c’est sûr il viendra plus. 40 ans que j’attends. Il manquerait plus qu’il pleuve. Ça y est, y a des gouttes.

Encore 10 minutes et je me casse, tant pis pour lui.

Moi aussi je dois faire ma vie. Il aurait pu prévenir quand même, me dire qu’il allait par tir.

Tout le monde le dit, c’est toujours comme ça avec les hommes, ils fuguent, mais celui là je pensais qu’il reviendrait.

La route s’étire vers l’est jusqu’aux montagnes, je devrais

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peut-être me retourner, peut être qu’il viendra de l’ouest…

Oui mais si je me retourne et qu’il vient de l’est, s’il passe et ne me reconnaît pas…

[La suite à découvrir dans l’ouvrage complet...]

Les Cadavres Exquis

C’est

quoi, un cadavre exquis ?

Le Dictionnaire abrégé du surréalisme donne du cadavre exquis la déf inition suivante : « jeu qui consiste à faire composer une phrase, ou un dessin, par plusieurs personnes sans qu’aucune d’elles ne puisse tenir compte de la collaboration ou des collaborations précédentes. ».

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Le principe est simple : chacun des par ticipants écrit un bout de phrase sur un papier, le replit et le donne à son voisin, qui écrit à son tour un autre bout de phrase et le passe à son voisin. La consigne est d’écrire d’abord un sujet, puis au second tour un verbe, etc., jusqu’à former, après que tout le monde ait écrit sur chaque papier, une phrase.

La toute première phrase qui a été produite avec ce jeu littéraire, inventé à Paris en 1925 par les surréalistes, est la suivante : Le cadavre // exquis // boira // le vin // nouveau, d’où le terme « cadavre exquis » attribué au jeu.

Nos

cadavres exquis

À la f in de chaque séance d’écriture, j’ai proposé que l’on créé, de manière informelle nos propres cadavres exquis.

Nous faisions ce jeu pendant les apéros qui suivaient l’atelier, dans une ambiance décontractée (et souvent alcoolisée), entre des conversations plus ou moins passionnées sur des sujets liés à la séance qu’on avait vécue, à l’actualité, à nos vies.

Cer tains de ces cadavres exquis se sont avérés être de vraies perles de drolerie ou d’absurdité, j’ai donc décidé de vous les faire par tager.

Attention : toute cohérence dans ces phrases est totalement for tuite et cer tainement liée à des discussions par tagées avant le jeu !

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Michel Houellebecq // crie d’une colline // dans une pirogue en partance pour Tahiti // àl’heure où tous les chats sont gris // pendant que Colette, coincée aux toilettes mange des cups cakes // morale de l’histoire : si tu prends le chemin de « je m’en fous », tu vas te retrouver au village de « si je savais » !

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Le slameur disparu // mange des chips roses et se gratte // dans la piscine de Brian Jones // lors d’une boum pour ados prépubères // 50

pendant que la pute de la rue St Denis fait des vers façon Molière // Moralité : si tu ne peux pas travailler le dimanche, déroule un cake

Un barman sinistre // tripote un militaire fatigué // dans un hangar abandonné avec beaucoup de foin // quand la lumière baisse à la tombée du jour // pendant que les poissons baisent dans l’eau // morale de l’histoire : mieux vaut acheter des chamalows

[la suite dans le livre complet]

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SOMMAIRE PAR AUTEUR

DÉDÉ ANYOH Deedee, p.13 Alleluia Molière, p.111 Manège de l’amour, p.131 Colette, p.143 J’ai 3 amours, p.165

ALICE BOTTARELLI Valentino à l’enfant, p.15 Genèse, p.37 Les jouissances du football, p.59 Éteins cette radio, p.67 Paillettes et cénotaphes, p.117 Otage du souvenir, p.147

CAROLINE MISBACH Caroline, p.41 Audrey, p.71

VALENTIN PAPOUDOF Cédriane, p.23 Valentin, p.53 Quand Jack Sparrow rencontre Dom Juan, p.101 La Fille monstre, p.123 Le Ver tige, p.135 À la tombée du jour, p.153 Tout là-haut, p.171

CLÉMENCE FOUGEA La véritable histoire de Mademoiselle Miss Bach, p.27 Immersion sonore dans le monde réel, p.89 Le Mystère de la page blanche, p.97

BOB Trondheim, p.157

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(220 pages, 14 x 20 cm)

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