De quelles connaissances relève l’agir économique à l’ère de la flexibilité et de l’accélération ?

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Article paru dans la Revue « Psychiatrie française » n°2, 2016, pp. 69-94

De quelles connaissances relève l’agir économique à l’ère de la flexibilité et de l’accélération ? * Daniel Dufourt Professeur honoraire des Universités (Sciences économiques)

Les institutions du capitalisme revêtent à chaque période historique des formes singulières. Qu’il s’agisse des droits de propriété, du droit des contrats, du régime du travail salarié, si les principes qui les légitiment peuvent paraître pérennes, leur mise en œuvre est fondamentalement dépendante des cadres sociaux dans lesquels ils s’inscrivent. La diversité des capitalismes nationaux1 est la norme au point de pouvoir en dresser une typologie robuste à partir d’une analyse de la faillite entendue comme une institution essentielle du capitalisme2 et de comprendre la non homogénéité à l’échelle mondiale des stratégies d’acteurs en étudiant l’influence des modes de gouvernance d’entreprises sur la nature des restructurations industrielles3. Dans ces conditions, qu’est-ce que penser l’économie ? Répondre directement à cette question est un exercice difficile. Pour l’éluder, il serait commode de botter en touche en nous autorisant à la reformuler sous la forme classique : qu’appelle-t-on penser l’économie ? Afin d’éviter de sombrer dans l’éternel ressassement académique à laquelle condamne cette option, nous avons choisi de renoncer à cette facilité. En visant l’efficacité nous nous proposons d’organiser notre réflexion à partir de l’hypothèse selon laquelle penser l’économie c’est d’abord penser les institutions du capitalisme. Encore faut-il dans le cadre de cette hypothèse essayer d’identifier la nature essentielle du problème économique, problème à partir duquel il serait possible de fonder l’autonomie de la connaissance économique au regard d’autres sciences sociales. Il apparaît alors que l’agir économique relève de savoirs multiples à ne pas négliger. Comment est-ce possible sans renoncer à la spécificité du champ économique ? Une seule réponse plausible : par un retour à l’Economie Politique.

* Version remaniée de la communication présentée aux VIèmes rencontres de Suze la Rousse en juillet 2016 1

Robert BOYER [2002] Variété du capitalisme et théorie de la régulation, Année de la régulation, Vol.6, n°2. Nadine LEVRATTO [2009] La mesure de l’efficacité du droit des faillites, retour sur l’appréciation quantitative d’une institution capitaliste, Economix, voir : http://economix.fr/pdf/workshops/2009_faillites/Levratto_v2.pdf 3 Eurofund. Observatory Eurwork [2003] Les systèmes de gouvernement d'entreprise et la nature de la restructuration industrielle, 10 février 2003 2

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Section 1 - Penser l’agir économique : une mise en perspective historique L’activité économique est traditionnellement définie comme la création de biens et services destinés à la satisfaction des besoins solvables des producteurs et des consommateurs. Cette activité comporte une série d’opérations qui sont rendues possibles par les institutions économiques au nombre desquelles on se bornera à citer le salariat qui régit la mise en mouvement de la force de travail, le droit de propriété qui autorise la circulation marchande des biens et services, la monnaie et le crédit qui permettent le financement des activités et last but not least, l’entreprise4 et avec elle la comptabilité privée véritable support de la rationalité marchande. En fait si les institutions économiques sont considérées comme des données liées à l’histoire du capitalisme, alors les questions centrales qui se posent sont les suivantes : pour qui sont créés et accumulés ces biens et services et comment sont-ils produits ? La première question est la question fondatrice de l’économie politique qui institue la Nation comme référentiel et réfléchit sur la nature du lien social susceptible d’assurer la conciliation de la poursuite des intérêts individuels et de la recherche du plus grand avantage collectif. La deuxième question annonce le développement de la science économique : quel calcul économique permet l’utilisation optimale des ressources rares, à quelles conditions les prix de marché peuvent-ils conduire les acteurs économiques rationnels à maximiser leurs préférences tout en concourant à la formation d’un équilibre général ? L’Economie Politique classique (Quesnay, Smith, Ricardo) met, elle, en relation la création des richesses et l’ordre social. Alors que les adeptes de l’ordre naturel (Quesnay, Lemercier de la Rivière) cherchent les principes d’une stabilité de la société dans des lois naturelles, présidant aux activités essentielles (mises en valeur des terres), Smith et Ricardo s’interrogent sur les conditions sociales de la production, de la répartition et de l’accumulation des richesses dans le contexte de la première révolution industrielle. Conscients du rôle éminent dévolu à la puissance publique, ils instituent la Nation comme référentiel et mesure du jugement à appliquer aux conditions existantes de la production et du partage des richesses. La Nation désigne l’ensemble des acteurs au regard desquels la comptabilisation a un sens : ici, -et c’est sans doute une spécificité de l’économie politique-, non seulement ménages, entreprises,

Après avoir décrit les principales caractéristiques de l’entreprise, F. PERROUX [1948] observe que « l’entreprise n’apparaît que lorsque le marché des facteurs de production lui fournit une partie substantielle ou la plus large du travail et du capital qu’elle emploie » et conclut par la phrase suivante : « Avec l’ensemble de ces caractéristiques, l’entreprise est le microcosme capitaliste, l’institution cardinale du capitalisme » . F. PERROUX Le capitalisme Que sais-je n°315, Presses universitaires de France, p.18

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banques, mais aussi la puissance publique. Ces acteurs inscrivent leur action dans une communauté politique dont les frontières sont celles de la souveraineté exercée sur un territoire. Le passage de l’Economie Politique à « la science économique » est lié à l’introduction du calcul économique (Alfred Marshall) dont les principes semblent faire échapper l’activité économique aux vicissitudes liées à l’histoire, aux institutions politiques, aux situations régies par des éléments a-logiques (selon V. Pareto : instincts, sentiments, émotions, etc..). De surcroît le calcul économique efficient se déploie dans un modèle canonique (l’équilibre général de Walras) inventé à cette fin : celui des marchés de concurrence pure et parfaite dans le cadre duquel le système des prix assure une allocation optimale des ressources disponibles entre les différents emplois. La science économique héritée des néoclassiques, à la différence de l’économie politique, ne connaît que des individus. L’homo œconomicus est un acteur rationnel qui effectue ses choix en maximisant sa fonction d’objectif sous une contrainte qui est la contrainte budgétaire. L’Etat lui-même est assimilé à un individu : c’est en quelque sorte le petit père du peuple. Ses préférences n’émanent pas (même si l’agrégation des préférences individuelles en vue de définir une fonction d’utilité collective a longtemps été le plat de résistance de l’économie publique) des individus : elles sont définies par les délibérations des assemblées parlementaires élues. Les comportements des agents économiques sont des comportements standards : comportement des consommateurs, des producteurs etc... La seule rationalité qui importe est la rationalité marchande. D’où la tentation -et la dérive délétère- consistant à vouloir appliquer à des institutions en principe non marchandes des critères de management inspirés du calcul économique marchand : ainsi les Universités autonomes sont invitées à améliorer leur gestion en appliquant les normes du New Public Management, dans le cadre duquel le critère du profit est remplacé par des critères de performance compatibles avec les exigences de l’univers marchand dans lequel elles évoluent. Ce que nous venons d’évoquer a pour but de mettre en perspective la recherche du problème économique. Du point de vue de l’économie politique c’est du côté des conditions sociales de la production des richesses que l’on pourra identifier la nature du problème majeur : à savoir la nature des fondements rationels des opérations de production dans un contexte social défini par les institutions économiques existantes. La production étant réalisée par les entreprises la question porte donc fondamentalement sur la manière dont les 3


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entreprises exercent leur activité. L’échange marchand assure la circulation des biens et services, mais la production s’effectue hors marché au sein de l’entité entreprise, dont l’objet social est précisément défini par la nature des produits et services produits et mis en vente sur les marchés. Du côté de l’économie néoclassique, qui assoit sa vision du monde sur une théorie des comportements qui fait prévaloir les préférences individuelles sur toute autre préoccupation, et sur une axiomatique des choix qui vise à réduire les comportements à une attitude rationnelle, c’est du côté de la recherche des sources de l’efficience des marchés qu’il convient de rechercher la nature du problème économique. En effet, grâce à l’existence des marchés - pour peu qu’ils soient régis par la concurrence pure et parfaite- il est possible d’affirmer que chaque individu, en poursuivant son intérêt personnel concourt à l’avènement d’un équilibre général dont Pareto a montré (pour une répartition donnée des ressources) qu’il était aussi un optimum pour la société dans la mesure où il n’est pas possible d’améliorer la situation d’un individu sans détériorer celles d’au moins un autre. Le problème est donc comment s’assurer que les marchés assurent une coordination efficiente des activités économiques ? Au final, l’activité des entreprises requiert une coordination des agents qui participent à la production. Cette coordination intervient sous deux formes radicalement différentes, voire antinomiques : La coordination par la contrainte qui présuppose l’existence d’un pouvoir de commandement et d’une hiérarchie, qui mette en œuvre les décisions du ou des détenteurs de l’autorité. Cette forme de coordination des actions est celle qui prend place au sein des entreprises. Le pouvoir dont dispose le chef d’entreprise est évidemment liée à la propriété des capitaux. Les exécutants (tant les ouvriers que les cadres, les agents de maîtrise que les commerciaux) sont donc dans un rapport de subordination permanent. La coordination par le marché : l’entreprise procède en fonction de ses besoins à des achats de biens et services sur le marché. Les rapports, ici, sont contractuels et totalement réversibles. Les contrats jouent un rôle décisif : ils sont des actifs organisationnels de marché. Mais le marché ne coordonne pas des actions mais des décisions de gestion relatives à l’utilisation de ressources de toute nature (matérielle, immatérielle, actifs monétaires, financiers etc.).

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Dans la lignée des contributions de R.H. Coase [1937]5, la décision stratégique est : faut-il faire soi-même (coûts de coordination) ou faire faire (coûts de transaction) ?

Section 2 – L’entreprise et la coordination des connaissances et compétences dans le cadre d’une action collective organisée Von Hayek [1937] attribue la spécificité de l'économie comme science sociale à l'importance décisive que joue le problème de la dissémination des connaissances dans la compréhension du processus de coordination des interactions individuelles. A l'évidence, pour lui le marché est le lieu privilégié de ce problème de coordination. Nous voudrions montrer que les perspectives tracées par Hayek qui ne se limitent pas au marché, mais concernent l'ensemble des institutions sociales conduisent à apporter des réponses insatisfaisantes à de vrais problèmes, qui concernent de manière centrale l'économie de l'information. L'insatisfaction tient au contenu approximatif des notions de connaissances, d'informations, d'ignorance et d'expérience. Nous voudrions examiner les conséquences du point de vue de l'analyse du comportement des agents des quatre hypothèses suivantes, constitutives selon nous d'une économie de l'ignorance : H1 : L'état de privation d'information, qu'il résulte de dispositions intentionnelles, de défaillances dans le fonctionnement des marchés ou de toute autre origine est qualifié d'état d'ignorance. En d'autres termes, l'ignorance, par hypothèse, n'est pas assimilée à une conséquence de l'existence d'inégalités dans le domaine de l'acquisition des connaissances, ni à une inégalité dans les capacités des individus à mettre en œuvre des dispositifs cognitifs. L'ignorance est l'état de celui qui ne peut savoir parce que les institutions sociales existantes le lui interdisent. H2 : L'incertitude n'est pas envisagée ici comme une caractéristique d'un état du monde, mais plutôt comme un état psychologique conditionnant l'adoption d'un comportement, qui vise à anticiper les caractéristiques d'une situation future. Dans cette perspective, on peut définir l'incertitude non plus comme un hasard non probabilisable, mais comme une décision de gestion de l'agent économique confronté à un état déterminé

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R.H. COASE « The Nature of the Firm » Economica , New Series, Vol. 4, No. 16. (Nov., 1937), pp. 386-405. Il faudra attendre 50 ans pour disposer de la traduction en français : « La nature de la firme », in Revue française d'économie, vol. II/1, 1987, pp. 133–163.

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d'ignorance. L'incertitude ne qualifie pas un monde où les informations sont asymétriques et incomplètes. L'incertitude précise les conditions dans lesquelles agit celui que l'appartenance à une organisation assujettit à des règles qui organisent un accès inégalitaire et hiérarchisé à l'information et dont l'état d'ignorance n'est pas nécessairement vécu comme une contrainte mais comme une libération vis-à-vis de préoccupations susceptibles d'entraver la mise en œuvre d'une action efficace. L'opportunisme, qui n'est pas une disposition nécessairement négative, peut être considéré comme le résultat habituel du processus de gestion de l'incertain d'un agent qui anticipe une situation future. H3 : L'action collective est le support du projet, c'est -à-dire du contenu même de l'activité d'entreprise. L'action collective suppose le recours à une conception de la rationalité comme anticipation de l'action, fondée sur l'expérience. L'exercice de l'action collective concourt à l'avènement d'institutions définies comme "organisation sociale édictant à travers l'exercice de la tradition, de la coutume et de contraintes légales, l'adoption de modèles de comportements durables et routiniers" 6 . H4 : L'information est l'annonce de l'avènement d'un état singulier du monde. Cette définition met l'accent sur le phénomène de communication ("l'annonce"), qui étant organisé, explicite une structure de pouvoir ainsi que sur l'activité de traitement de l'information de celui qui la reçoit, puisqu'il doit à réception discerner ce qui fait la singularité de ce qui est communiqué. Hayek a eu plusieurs fois l'occasion [1937,1945,1968,1983] d'expliquer que le problème économique n'est pas celui de l'allocation optimale de ressources rares, puisqu'il n'y a là qu'une simple question de calcul qui peut être résolue une fois que le problème économique a été défini. Sur la base au fond de réminiscences kantiennes quant à la nécessité de recourir à des jugements synthétiques a-priori pour fonder une discipline scientifique, Hayek associe la question des fondements de l'organisation sociale au problème de la dispersion des connaissances. Selon lui, le caractère économique du problème lié à cet état de fragmentation de la connaissance tient à ce que la coordination d'actions individuelles nécessite un dispositif de communication et de diffusion, au bénéfice du plus grand nombre, d'informations sur les connaissances disponibles et sur ceux qui en sont les détenteurs alors que dans les faits chaque agent individuel reste dans l'ignorance des fins poursuivies par les autres. Comment résoudre la contradiction entre la nécessité de pouvoir anticiper convenablement l'action d'autrui

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G.M. HODGSON, "Economics and Institutions", Polity Press, 1989, p.10.

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et la réalité de l'ignorance des intentions d'autrui ? Pour Hayek cette question est la question centrale à la solution de laquelle est suspendue l'existence même d'un ordre économique rationnel : "The peculiar character of the problem of a rational economic order is determined precisely by the fact that the knowledge of the circumstances of which we must make use never exists in concentrated or integrated form but solely as the dispersed bits of incomplete and frequently contradictory knowledge which all the separate individuals possess. The economic problem of society is thus not merely a problem of how to allocate "given" resources, - if "given" is taken to mean given to a single mind which deliberately solves the problem set by these "data". It is rather the problem of how to secure the best use of resources known to any of the members of society, for ends whose relative importance only these individuals know. Or, to put it briefly, it is a problem of the utilization of knowledge which is not given to anyone in its totality." 7 Hayek consacre beaucoup de temps à expliquer que les connaissances d'un observateur rationnel sur les attitudes et comportements des agents ont un caractère objectif alors que les comportements de ces agents qui sont pourtant motivés par la connaissance de données particulières restent subjectifs. Le problème épistémologique de Hayek est donc celui de la nécessaire convergence entre l'analyse de la tendance à l'équilibre du marché qu'élabore l'observateur rationnel et l'ensemble des interactions résultant des décisions subjectives d'acteurs individuels qui est la manifestation dans la réalité de cette tendance à l'équilibre, laquelle possède ainsi une signification empirique. Le problème existe dès lors que : a) le caractère subjectif des décisions individuelles n'est pas réputé lié à une impossibilité de comparer les préférences individuelles mais au caractère disséminé des connaissances, sources d'erreurs qui sont autant d'opportunités pour les autres b) et que l'observateur rationnel est réputé ne pouvoir par expérience mentale avoir exactement la même compréhension que ceux qu'il observe, des situations dans lesquelles ils se trouvent. Hayek va s’efforcer en vain de montrer que la concurrence, parce qu'elle traduit un processus réel de tâtonnement au cours duquel l'ajustement d'une multitude de 7

Friedrich August von Hayek « The Use of Knowledge in Society » American Economic Review. XXXV, No. 4. Sep. 1945, p. 519.

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décisions individuelles parvient à s'effectuer sans coordination préétablie, constitue "une procédure de découverte". Cette expression est ambiguë. Elle ne peut en fait qualifier que les effets du fonctionnement effectif du système de prix, -et non les hypothèses du théoricien quant aux propriétés du système de prix, vis-à-vis des intervenants sur le marché. De fait, il ne peut y avoir procédure de découverte que si, compte tenu des effets de la dissémination de la connaissance, le fonctionnement du marché n'aboutit pas dans un premier temps à des prix qui équilibrent l'offre et la demande. Dans cette hypothèse, l'existence momentanée de prix qui n'assurent pas l'équilibre induit des comportements d'ajustement de la part des intervenants du marché et c'est dans cette correction que réside la procédure de découverte ainsi que l’observe Kizner [1984] : " The truth is that the market does possess weapons to combat (if not wholly to conquer) the problem of dispersed knowledge. These weapons are embodied in the workings of the price system, but not in the workings of a hypothethical system of equilibrium prices. The importance of prices for coping with the Hayekian knowledge problem does not lie in the accuracy of the information which the equilibrium prices convey concerning the actions of others who are similarly informed.. Rather, its importance lies in the ability of disequilibrium prices to offer pure profit opportunities that can attract the notice of alert, profit-seeking entrepreneurs. Where markets participants have failed to co-ordinate their activities because of dispersed knowledge, this expresses itself in an array of prices that suggests to alert entrepreneurs where they may win pure profits. " Les thèses de von Hayek nous paraissent devoir être remise en cause sur trois plans : -l'assimilation de la production et de la circulation d'informations associées à un réseau de transactions marchandes, à une production de connaissances réputées également disponibles pour chacun, -l'attribution à la concurrence, envisagée comme un processus dynamique, d'une capacité endogène de nourrir des processus d'apprentissage alors que la logique de l'échange ignore la possibilité de transformer l'information en connaissance. La caractéristique fondamentale de la production marchande est, rappelons-le, l'approvisionnement du marché à l'aide d'un bien susceptible de satisfaire un besoin défini de manière générique. Les connaissances sont produites en amont du marché où elles ne circulent que sous la forme d'informations. -la méconnaissance de l'ignorance socialement organisée comme condition d'une coordination hiérarchique efficace.

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Chez Hayek la coordination d'actions par le marché est le résultat d'un processus dynamique dans lequel la compétition entre agents donne lieu à l'émergence de processus d'apprentissage et de production de connaissances liés. Il y a là, en fait, un remarquable tour de passe-passe qui tient à la confusion volontaire entre information et connaissance8. Hayek a tendance à confondre la logique de la découverte d'informations pertinentes inhérente à la dynamique de la compétition avec l'acquisition et la diffusion de connaissances. Cette confusion est nécessaire pour établir, dans sa perspective, que la tendance à l'équilibre du marché est le résultat d'interactions individuelles dont le marché assure la coordination. A l'inverse de Hayek nous pensons que le marché n'est la source d'aucune connaissance nouvelle, parce qu'aucun processus d'apprentissage n'y prend place. Pour nous la recherche d'informations peut s'accomplir selon deux modalités différentes : - la première que nous nommerons transfert mobilise une information morte en quelque sorte puisque le contenu de la dite information est défini une fois pour toutes et peut être transféré indépendamment de son concepteur. Une marchandise disponible sur le marché de même que son prix, s'il s'agit d'un prix d'équilibre, véhiculent une information morte. - la seconde que nous nommerons à la suite de W.M. Cohen et D. A. Lewinthal [1989] apprentissage est une modalité de recherche d'informations dans laquelle le contenu de l'information transférée et l'usage différentiel qui peut en être fait ensuite sur un plan cognitif, dépend directement de la relation qui s'institue entre le détenteur de l'information et le bénéficiaire du transfert. En ce sens, l'apprentissage mobilise des informations "vives". Pour nous le marché n'est pas un dispositif cognitif collectif. Seule l'organisation peut être assimilée à une "configuration institutionnelle de lieux d'apprentissage". La fonction du marché est une fonction centrale de traitement de l'information concourant à l'homogénéisation des représentations. En quelque sorte le marché est le dictionnaire des biens et services pour lesquels des transferts de droits de propriété sont envisageables. Notre thèse est que le marché n'assure pas une coordination d'actions comme le suppose von Hayek mais une coordination de transferts de droits de propriété ce qui n'a rigoureusement rien à voir. Tout au plus pourrait-on dire que le marché coordonne des résultats 8

Ragip Ege (1992, p.1010) observe justement que tardivement (en fait, à partir de 1979) "Hayek préfère utiliser le terme "d'information" à la place de knowledge, car il estime que le premier terme « évoque clairement la connaissance de faits particuliers ».

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d'action et donc, d'une certaine façon des informations puisque celles-ci n'ont de valeur objective que si elles portent sur des résultats avérés et non des intentions. Quelle est la rationalité de l'homme, assailli d'informations et cependant désireux d'exploiter au mieux les connaissances dont il dispose ? Son premier souci sera de s'en remettre à des dispositifs efficaces qui filtrent l'information et ne lui laissent traiter que celles dont il a besoin dans son rôle habituel principal, qui est son rôle professionnel. Ainsi l'appartenance à une organisation assure que les décisions prises à différents niveaux hiérarchiques concourent à la réalisation du projet commun précisément parce que la distinction de ces niveaux a pour objet de résoudre le problème de la séparabilité du projet en composantes emboîtées et d'obtenir une convergence ex-ante des décisions prises aux différents niveaux par le fait même que les informations jugées nécessaires sont filtrées et communiquées selon une structure de communication qui confère à l'organisation hiérarchique son efficacité. Comme le marché n'est pas l'instrument d'une coordination d'actions mais celui d'un transfert de droits de propriété il ne donne lieu à aucune réalisation pratique. Il n'y a, en conséquence, ni apprentissage, ni production de connaissances. En, revanche, les informations qui rendent possibles ces transferts de droits de propriété revêtent un caractère stratégique, puisque ce sont ces transferts qui conditionnent la réalisation efficace des actions futures. L'économie des coûts de transaction paraît effectivement constituer une approche pertinente du rôle économique de cette catégorie d'informations. Il demeure que même à ce niveau on peut adopter un point de vue totalement différent. Ainsi dans son chapitre significativement intitulé "Organizing Informations Outside the Firm : Contracts as hierarchical documents", Arthur L. Stinchcombe [1990, p.236] suggère que toutes les caractéristiques de la hiérarchie sont obtenues de façon routinière par la signature de contrats dans certains secteurs de l'économie. Et il conclut son analyse en caractérisant le contrat, qui est ici le support d'une transaction comme un actif organisationnel de marché : "Contracts as they actually exists in much of the economy are not to be explained by a branch of economic theory, nor by a branch of legal theory, but by a branch of organization theory." S'agissant des organisations, elles ne sont pas en principe conçues pour opérer des transferts de droits de propriété à grande échelle, mais pour obtenir un résultat tangible sous la forme de la production d'un bien ou d'un service. Cette production requiert la coordination d'actions. La hiérarchie y pourvoit en conjuguant les cinq attributs suivants : -une structure qui légitime l'autorité, 10


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-un système d'incitations révisable, -une méthode de gestion des incertitudes relatives aux coûts, aux prix et aux quantités, -un dispositif de régulation des conflits, -une méthode de conception de procédures standards de gestion.

Dans les organisations, les informations revêtent ainsi deux fonctions cruciales : elles sont l'instrument de la coordination hiérarchique mais aussi le support de la formation de compétences, par transformation à l'aide de processus d'apprentissages adéquats des informations en connaissance. Alors que von Hayek voit dans le processus de découverte lié à la dynamique de la compétition la solution au problème de la connaissance dispersée [Garrouste,1994], les auteurs institutionnalistes, parce qu'ils disposent d'une conceptualisation mieux fondée de l'ignorance, de la connaissance, de l'information, considèrent que le rôle des institutions « est de réguler les comportements de telle façon que les conflits d'intérêts potentiels ne ruinent pas la sécurité des anticipations, sans laquelle les individus ne voudront pas rentrer dans les transactions » (Y. Ramstad [1990] , p. 58). C'est pourquoi les institutions et non le marché sont réputées être des instruments de résolution des problèmes [Rutherford, 1983]. Les représentations que se forgent les individus sont fondées sur l'habitude et la coutume. Comme l'observe L. Bazzoli [1994, p.85] : « la spécificité de la coutume comme forme d'institution, réside dans sa dimension proprement cognitive : c'est une production de significations émanant des interactions sociales ». Alors que les individus se conforment aux règles de la coutume, institution informelle, par habitude, dans le cadre d'une action collective organisée les règles sont le produit des phases de négociation qui précèdent la conclusion des transactions. En définitive, la différence fondamentale entre Hayek et les institutionnalistes américains est que pour le premier la sélection est un processus spontané, alors que pour les seconds elle est un processus artificiel, c'est-à-dire socialement construit. Dans un cas l'information est une création intentionnelle du fonctionnement du marché. Dans l'autre elle est créée par l'organisation.

Section 3 - Retour à l’Economie Politique Que se passe -t-il si les conditions dans lesquelles la coordination de l’action collective organisée à laquelle est suspendue la mise en œuvre de la production sont ébranlées de toute part par les changements économiques et sociaux liés à l’avènement du néolibéralisme. Si l’on en croit philosophes et sociologues il s’agit de métamorphoses du capitalisme sans 11


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précédent dans l’histoire. Comment expliquer que la science économique les ait ignorées ? On ne peut poser un diagnostic crédible que par un retour à l’économie politique. Trois tendances concourent aujourd’hui à une fragilité des institutions qui retentit durablement sur les conditions de l’agir économique : la crise du rapport salarial, la montée de l’individualisme en réponse aux exigences de flexibilité dans un capitalisme mondialisé , l’accélération qui a l’ère de l’économie numérique et de l’industrie 4.0 anéantit le temps libre par une augmentation sans fin de la charge de travail, du fait des gains de temps issus des innovations techniques et organisationnelles. Après avoir rappelé les analyses qu’ont proposé différents auteurs de ces facteurs de fragilité, nous énoncerons les raisons pour lesquelles seul un retour à l’Economie politique permettra de les prendre sérieusement en compte dans le champ scientifique de l’économie. §1 – La science économique a -t-elle renoncé à penser la société par souci de se cantonner à des savoirs d’expertises en matière de gestion publique ? Le régime du travail salarié est habituellement associé à trois caractéristiques : -

La durabilité de la relation d’emploi, c’est-à-dire le caractère indéterminé du contrat de travail, L’unicité de l’employeur et l’appartenance à un service organisé, Le temps plein avec salaire au temps en fonction du poste occupé dans l’activité normale et permanent dans l’entreprise.

Or l’avènement de la société tertiaire a conduit à la multiplication des emplois à temps partiel et des emplois intérimaires qui exercent un impact décisif sur les modalités de rémunération du travail salarié Le rapport salarial n’est pas seulement affecté par la montée de l’emploi précaire, des emplois partiels et des emplois intérimaires, il l’est aussi par le développement des pratiques d’externalisation des tâches et d’individualisation des compétences et des rémunérations. Le commerce des tâches tant sur le plan national qu’international substitue aux caractéristiques du rapport salarial celles du tâcheronnage9 c’est-à-dire d’une rémunération à la tâche d’un

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Une illustration saisissante des dérives incroyables auxquelles aboutit « le management algorithmique des petits boulots » est due à Sarah O'Connor « When your boss is an algorithm » Financial Times, September 8, 2016

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prestataire de service qui n’est plus un salarié mais un travailleur indépendant, qui n’a plus droit de ce fait aux prestations sociales associées au régime de travailleur salarié10. La logique des compétences qui se substitue à celle des qualifications met l’accent au-delà des connaissances acquises et certifiées par l’obtention d’un diplôme sur les aptitudes à les appliquer de manière opérationnelle dans des contextes ou situations très différents. De ce fait elle ajoute à l’exigence d’acquis cognitifs, celle d’une appropriation des usages de ces savoirs passant par l’expérience. Cette évolution témoigne d’un bouleversement profond des structures économiques et sociales puisque les qualifications étaient associées à des postes de travail alors que les compétences interviennent dans une relation avec des partenaires. A cette fragilisation du rapport salarial, une seule réponse selon l’économie standard : la flexibilité comme condition d’une adaptation pérenne des entreprises aux changements techniques, sociaux et climatiques. Mais il faut chercher beaucoup plus loin les facteurs qui ont exposé les sociétés à une remise en cause frontale de la stabilité de leurs institutions. Auteur d’un très grand nombre d’ouvrages dont peu sont traduits en français, Zygmunt Bauman analyse les ravages suscités par la montée de l’individualisme propulsé par les exigences de flexibilité du capitalisme mondialisé. Décrivant un monde soumis aux changements permanents, où rien ne tient assez longtemps pour que l’on puisse construire quoique ce soit de durable et de prévisible, il s’intéresse aux conséquences qui en résultent sur les relations à autrui. Qu’il s’agisse de travail (flexibilité), de communication (cyber rencontres, téléphone portable) ou d’amour on retrouve les mêmes phénomènes : peur de l’engagement, recherche de liens à la fois intenses et révocables à merci, compétition de tous contre tous. Il en résulte une destruction insidieuse parce que progressive de toutes les institutions : famille, école, entreprise : « (...) dans la phase “liquide”, les formes sociales ne peuvent plus se maintenir en l’état durablement. Il ne peut plus y avoir de stratégies à long terme. La vie sociale et les vies individuelles sont fragmentées alors que pouvoir et politique se séparent inexorablement avec

Selon un rapport du McKinsey Global Institute 30% des personnes relevant de la « Gig economy » (economie des petits boulots) en Europe et aux Etats-Unis sont contraints d’accepter le type d’emploi proposé en solution de dernier ressort. Voir à ce sujet : « World’s ‘gig economy’ larger than thought » Financial Times, October10, 2016 10

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l’effacement de l’État-nation. Et la résolution des difficultés causées par le caractère fluctuant des circonstances repose sur les épaules des individus, censés exercer leur “libre choix”. ».11 Quels diagnostics Bauman retire-t-il de son analyse ? En voici quelques-uns : « Les liens humains sont véritablement fragiles et, dans une situation de changement constant, on ne peut pas s'attendre à ce qu'ils demeurent indemnes. Se projeter à long terme est un exercice difficile et peut de surcroît s'avérer périlleux, dès lors que l'on craint que les engagements à long terme ne restreignent sa liberté future de choix. D'où la tendance à se préserver des portes de sortie, à veiller à ce que toutes les attaches que l'on noue soient aisées à dénouer, à ce que tous les engagements soient temporaires, valables seulement « jusqu'à nouvel ordre12 Dans « S’acheter une vie »13 Z. Bauman considère que « l’identité devient aussi fluctuante que le profil facebook, les relations sentimentales ne sont nouées que « jusqu’à nouvel ordre », le monde du travail se plie à l’impératif de flexibilité. Pour Z. Bauman, nous vivons dans une société qui exige de ses membres de s’adapter au monde contemporain (liberté incertaine) sans jamais leur en fournir les moyens (sécurité rassurante) : au-delà d’importants troubles psychologiques, ce sont des formes inédites d’inégalité que ce système génère. Dans « Accélération. Une critique sociale du temps » Hartmut Rosa14 s’interroge sur les sources et les effets de cet élément accablant de la condition humaine contemporaine : le manque de temps. Pour lui, la source de ce phénomène est l’accélération résultant du décalage entre les nécessités de la vie moderne et l’amenuisement socialement organisé des ressources temporelles. Rendant compte de son ouvrage Pierre Martin identifie avec brio le fil conducteur de la pensée de l’auteur qu’il formule ainsi : « Dans la modernité tardive (ou postmodernité), l’instabilité devient la norme, le changement est intra générationnel, les individus devant changer de métier et de partenaire de vie plusieurs fois durant leur existence. Cette nouvelle vague d’accélération sociale déstabilise les identités

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« La précarité est le seul élément qui rassemble » in Bernard Poulet « entretien » Revue AuFait, n°2, 2013, p.64. 12 Vivre dans la «modernité liquide» ENTRETIEN AVEC ZYGMUNT BAUMAN Propos recueillis par Xavier de la Vega consultable à l’adresse suivante : http://sspsd.u-strasbg.fr/IMG/pdf/Vivre_dans_la_modernite_liquide._Entretien_avec_Zygmunt_Bauman.pdf 13 Z. BAUMAN « S’acheter une vie », Editions Jacqueline Chambon, octobre 2008, 208 pages. 14 Pour une synthèse plus condensée on se réfèrera à Harmut Rosa [2009] « Social acceleration : ethical and political consequences of a desynchronized high-speed society » chapitre 7 de l’ouvrage collectif « High-Speed Society Social Acceleration, Power, and Modernity Edited by Hartmut Rosa and William E. Scheuerman, Pennsylvania University Press.

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individuelles (d’où les maladies dépressives) et les institutions de la modernité classique. Un seuil est alors franchi, le changement n’est plus perçu comme la transformation de structures stables mais comme une indétermination fondamentale et potentiellement chaotique »15. Dans un entretien récent H. Rosa explicite ainsi les conséquences sociales de l’accélération : On nous demande d’accroître notre savoir , de peaufiner son capital social et culturel, mais aussi de soigner notre équipement informatique, les logiciels que nous utilisons, de travailler notre réseau social … Le corps aussi est soumis à cette contrainte d’apparence, ce besoin d’être en beauté, en forme, de faire attention à son dressing. Toute notre vie est soumise à cette logique d’augmentation, de compétition et d’accélération. (...) Le problème du temps se ressent plus là où les logiques d’accélération se superposent sans s’harmoniser »16. Ainsi les analyses des transformations récentes du capitalismes ne manquent pas. Elles complètent l’avertissement, d’une lucidité confondante, lancé par P. Bourdieu dès 1998 lequel dénonçait, en s’en prenant aux économistes qu’ils jugeait complices des politiques mises en œuvre, le règne absolu de la flexibilité en ces termes : L’institution pratique d’un monde darwinien de la lutte de tous contre tous, à tous les niveaux de la hiérarchie, qui trouve les ressorts de l’adhésion à la tâche et à l’entreprise dans l’insécurité, la souffrance et le stress, ne pourrait sans doute pas réussir aussi complètement si elle ne trouvait la complicité des dispositions précarisées que produit l’insécurité et l’existence, à tous les niveaux de la hiérarchie, et même aux niveaux les plus élevés, parmi les cadres notamment, d’une armée de réserve de main-d’œuvre docilisée par la précarisation et par la menace permanente du chômage. Le fondement ultime de tout cet ordre économique placé sous le signe de la liberté, est en effet, la violence structurale du chômage, de la précarité et de la menace du licenciement qu’elle implique : la condition du fonctionnement «harmonieux» du modèle micro-économique individualiste est un phénomène de masse, l’existence de l’armée de réserve des chômeurs. Cette violence structurale pèse aussi sur ce que l’on appelle le contrat de travail (savamment rationalisé et déréalisé par la « théorie des contrats »). Le discours d’entreprise n’a jamais autant parlé de confiance, de coopération, de loyauté et de culture d’entreprise qu’à une époque où l’on obtient l’adhésion de chaque instant en faisant disparaître toutes les garanties temporelles (les trois quarts des embauches sont à durée déterminée, la part des emplois

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Pierre MARTIN « L’accélération du changement social ou la crise du politique » Recension de Hartmut Rosa, Accélération. Une critique sociale du temps. La Découverte, 2010, « Critique », Commentaire 4/2010 (N°132). 16 Hartmut Rosa : « Plus on économise le temps, plus on a la sensation d’en manquer » Interview de Anne-Sophie Novel publiée dans M Le Magazine du Monde du 4 avril 2016.

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précaires ne cesse de croître, le licenciement individuel tend à n’être plus soumis à aucune restriction). »17 Il n’y a donc plus d’esquive possible. Engageons-nous sur d’autres voies. § 2 – Conditions d’un retour à l’économie politique Affirmer la nécessité d’un retour à l’Economie Politique, c’est simultanément se prononcer sur le statut singulier de la connaissance en économie, sur les raisons de la persistance voire de l’envahissement des conceptualisations implicitement normatives qui gangrènent « la science économique » ou plutôt l’économie standard, et sur la nécessité d’une refondation de l’épistémé économique. A – Le statut singulier de la connaissance dans la sphère économique. Ce statut et cette singularité procèdent de trois caractéristiques de la discipline économique, dès lors qu’elle ambitionne d’éclairer les fondements théoriques d’une investigation scientifique relative à une certaine classe de faits sociaux intéressant la création, la répartition et l’accumulation des richesses : 1) La singularité de la démarche scientifique en économie repose sur la nécessité de travailler sur des grandeurs quantifiables visant à caractériser des phénomènes sociaux spécifiques. Ces grandeurs quantifiables, indépendamment du choix des unités de mesure, ont la particularité d’être construites au terme de procédures administratives étroitement dépendantes des exigences liées à la mise en œuvre de politiques publiques, elles-mêmes l’expression des choix essentiels de la puissance publique. Il y a donc une construction sociale de statistiques, s’appuyant sur l’élaboration de nomenclatures sanctionnant dans leur définition de nombreux compromis sociaux au caractère plus ou moins circonstanciel. S’affirme ainsi, ab initio, la nécessité de ne pas confondre les outils de la gestion publique avec les protocoles encadrant l’investigation proprement scientifique. 2) La question du pouvoir inscrite au cœur même du concept fondateur de la discipline, « les richesses » est intimement liée aux institutions sociales qui en rendent possible l’existence et en prescrivent les usages (droits de propriété, droit de la faillite, biens méritoires de Musgrave, par exemple). Cette question du pouvoir délimite étroitement la pertinence des théories qui s’énoncent en termes de théories du fonctionnement d’un système économique, puisque ces théories postulent un consensus sur ce que sont les structures d’encadrement (entendues au sens 17

P. BOURDIEU « L’essence du néolibéralisme » Le Monde Diplomatique, Mars 1998, p.3

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de F. Perroux), leurs raisons d’être, leurs modes d’existence. En revanche, une théorie de la dynamique économique ne peut esquiver l’endogènéisation des formes d’action collective à l’origine des changements institutionnels. De la même façon les théories de l’évolution économiques sont astreintes à formuler des conceptualisations déterminées des rapports entre dynamique économique et connaissance de l’histoire. 3) la mathématisation, entendue comme instrument de cohérence et de déploiement, n’est pas en soi garantie de scientificité au regard des exigences de la connaissance en économie. Il appartient, en effet, à la théorie économique d’expliciter les raisons qui fondent la nécessité d’y avoir recours et d’en prescrire les modalités pertinentes au regard des objectifs théoriques poursuivis. B – Les impasses de la science économique contemporaine. Il serait insensé de méconnaître les progrès fondamentaux de la connaissance économique depuis les années 30. Mais ces substantiels progrès se sont accompagnés d’immenses dérives à l’origine d’une prolifération d’obstacles épistémologiques qui conduisent des pans entiers du savoir économique dans une impasse. Ces dérives sont liées à : 1) une réflexion embryonnaire et balbutiante sur les principes au fondement de l’ordre social. L’économie n’a pas su intégrer les progrès intervenus depuis les années 60 dans les domaines relevant de la philosophie politique et de la sociologie. 2) une impuissance à penser l’action collective, liée à une attitude révérencielle de principe à la vulgate hayekienne. 3) une incapacité à mobiliser une véritable anthropologie économique, qui se traduit par le renoncement à formuler une analyse digne de ce nom des besoins. 4) Une autonomisation prématurée de « pseudo-champs » de la connaissance. Il en va ainsi de l’économie du développement qu’aucune théorie du développement ne vient étayer, de l’économie de la santé amenée du fait des demandes catégoriques des pouvoirs publics à renoncer à être autre chose qu’une juxtaposition de conceptions managériales de l’organisation et du financement du système de soins, d’une économie de l’éducation au sein de laquelle n’émerge aucune conception fondamentale et normative de l’éducation. Tout cela entretient une confusion permanente entre savoir professionnel de l’économiste et connaissance d’intention scientifique.

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Article paru dans la Revue « Psychiatrie française » n°2, 2016, pp. 69-94 Conclusion : Sortir de l’impasse, en refondant l’économie politique sur la base d’une confrontation des démarches issues des différents savoirs de l’économie

Une confrontation sérieuse des enseignements tirés des différents savoirs de l’économie exige le recours à une conception rigoureuse des articulations entre méthodes, expertises et recherches : ces trois domaines constituent en effet les éléments structurants des savoirs de l’économie. Leur progression très inégale est la source d’une évolution heurtée de ces savoirs. Ainsi le progrès des méthodes qui relèvent du domaine de l’analyse économique dépend de la situation des programmes de recherches : un diagnostic18 inspiré de la méthodologie des programmes de recherche de Imre Lakatos montrerait que la plupart sont entrés dans une période de rendements décroissants. En d’autres termes, faute de révolution scientifique, le raffinement analytique auxquels ces programmes donnent lieu sont source de pertes colossales en termes de rendement social du fait des coûts d’opportunité associés aux alternatives délibérément ignorées. Les dernières révolutions scientifiques en économie sont liées aux œuvres de Keynes, de Von Neumann et Morgenstern, et de Herbert Simon. Depuis règne l’hégémonie du Main Stream. Les savoirs de l’expertise font largement défaut en sciences économiques, du fait surtout de l’absence d’institutions adéquates. Dans la plupart des pays l’indépendance des structures d’expertise est pour le moins fragile. En revanche de belles avancées quoique non coordonnées prennent place dans ce domaine dans les sciences de gestion. Quant aux recherches elles souffrent des aléas de la commande publique et surtout de l’alignement des programmes sur les besoins de justification des politiques gouvernementales et autres autorités publiques. Les seules circonstances où des programmes innovateurs pourraient voir le jour coïncident avec les périodes de crise. Encore faut-il qu’en amont les communautés de chercheurs n’aient pas été soumises à des pressions visant à promouvoir des jugements « académiquement corrects » conformes aux besoins des gouvernements exerçant leur tutelle sur les institutions scientifiques. Les méthodes En introduction à sa monumentale Histoire de l’analyse économique, Joseph Schumpeter prend soin de souligner que l’Economique est une agglomération de domaines de recherches mal coordonnés et qui se chevauchent, semblable en cela à la médecine. C’est pourquoi il considère que l’Economique à le caractère d’une connaissance outillée. Cette

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Cf : S.J. LATSIS (1976) A research programme in economics in Methods and Appraisal in Economics, S.J. Latsis Editor, Cambridge University Press, pp 1–41

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perspective fut partagée entre autres par François Divisia [1951]dans les termes suivants « En économique, la connaissance des mécanismes abstraits doit se doubler de la connaissance de l’homme, dans son comportement individuel et dans sa vie sociale, notamment juridique, dans sa rationalité mais aussi dans son affectivité, dans sa géographie comme dans son histoire »19. En d’autres termes les savoirs de l’économie relèvent tout autant de l’Economie Politique qui s’apparente aux sciences humaines, que des sciences économiques rattachées académiquement aux sciences sociales. Les méthodes qui commandent la conception des programmes de recherche et leur mise en œuvre sont étroitement dépendantes du contexte. Ainsi la logique de l’investigation scientifique sur tel ou tel problème est étroitement liée aux circonstances dans lesquelles la recherche est entreprise et ces circonstances influent de manière décisive sur la réception des résultats et sur les suites qui leurs sont données. En matière de sciences sociales un exemple édifiant suffira à le montrer. John Carson dans une contribution magistrale destinée à montrer la pertinence de la thèse de Sheila Jasanoff20 selon laquelle les voies empruntées pour connaître et représenter le monde ( à la fois la nature et la société) sont inséparables des voies qui ont été choisies pour y vivre, prouve à quel point le programme de mesure de l’intelligence (du début du XXème siècle), et les utilisations qui en ont été faites en France et aux Etats-Unis sont dépendantes des conceptions politiques en vigueur dans chacun de ces pays quant à la nature de la démocratie, de la citoyenneté, du rôle de l’Etat21. Ce sont ces conceptions qui déterminent l’opposition entre égalité des chances en France et égalité des mérites aux Etats-Unis. En France les chances sont celles qu’entend offrir à chacun l’Etat républicain. Aux Etats-Unis la protection des droits de l’individu ne peut être assurée que par une reconnaissance « scientifique » indépendante de toute ingérence de l’Etat - de l’égalité des mérites. Ce qui ne va pas sans rencontrer de nombreux écueils, à l’origine de la proposition (qui ne sera pas suivi d’effets) du président de l’Université de Californie de renoncer aux tests SAT/ACT permettant la sélection à l’entrée des candidats à l’inscription dans cette Université.22 Expertises

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F. DIVISIA (1951) Exposés d’Economique I - Introduction générale – L’apport des ingénieurs français aux sciences économiques, Paris, Dunod, p.XI. 20 Sheila Jasanoff (Editor) States of Knowledge. The co-production of science and social order, Routledge, 2004. La citation figure dans le chapitre 1 dû à S. Jasanoff “the idiom of co-production », p.2. 21 John Carson [2004] “The science of merit and the merit of science. Mental order and social order in early twentieth-century France and America” in op.cit, pp 181-205 22 Toujours en vigueur ces tests vont être modifiés pour la rentrée 2016

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L’expertise est au regard des sciences économiques et de gestion dans le même rapport que les sciences physiques avec les mathématiques. Pour les sciences physiques le caractère d’application que revêt l’étude du monde naturel soumet l’investigation scientifique à trois contraintes : celles de l’objet, celle de l’actualisation - moment éminent dans la démarche scientifique puisqu’il celui de l’attribution d’un sens au mode opératoire retenu et à ses résultats- , celle enfin de la thématisation ( Cavaillès, 1947) qui est une interprétation des résultats au regard des multiples contextes (de lieu et de temps) qui conditionnent la réception (pas seulement scientifique) des résultats. L’expertise en sciences sociales en général vise à rendre compte de la logique d’une situation en vue de la prise de décision. De là des contraintes et des dérives qui affectent beaucoup plus les expertises relevant de l’économique23 que celles relevant des savoirs de gestion. Beaucoup trop rares en France notamment, les expertises économiques sont presque exclusivement à la discrétion de la puissance publique24. La relation contractuelle peut être à l’origine de biais prononcés. Etablissant un pont entre le monde de la recherche et l’univers économique, les expertises en sciences de gestion sont aujourd’hui les plus susceptibles d’être à l’origine d’innovations significatives. Dans la mesure où des institutions diverses peuvent se porter garantes de leur indépendance on constate effectivement la possibilité d’innovations majeures dans le domaine du management de la diversité, de la propriété intellectuelle, des risques industriels, sanitaires, environnementaux, et pour finir de la sécurité sous toutes ces formes. Les savoirs de l’expertise ont donné lieu à de véritables écoles, telles l’AFCET, L’école de Paris du management de l’ENSM, l’ISEOR. Ce qui peut affecter durablement l’éclosion de ces innovations c’est le vide institutionnel : c’est la raison pour laquelle les acteurs économiques locaux rencontrent tant de difficultés dans les pays du Sud. D’où la priorité à donner à la mise en place d’acteurs qui

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Deux exemples très significatifs portant sur le même objet : Card, D., and A.B. Krueger. 2000. “Minimum Wages and Employment: A Case Study of the Fast-food Industry in New Jersey and Pennsylvania: Reply.” American Economic Review, 90(5), 1,397–1,420 et Mirau Chloé, « L' affaire Laroque-Salanié » : une controverse avortée en matière d'expertise économique et sociale. », Genèses 4/2002 (no49) , p. 110-122 24 En matière de politiques publiques, on se reportera à la revue Les cahiers de l’évaluation créée en 2009 et de parution très irrégulière. Dans le prolongement des rapports Boiteux [1994 et 2001] et Lebègue (2005) deux rapports d’évaluation méritent d’être signalés : « L’évaluation socio-économique des investissements publics » publié en septembre 2013 et les actes du colloque « l’évaluation socio-économique des projets de transport » publié en novembre 2014.

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puissent être impliqués dans la mise en œuvre des expertises souvent confiées à des entités étrangères. Recherches Afin d’établir un continuum entre recherches, expertises et méthodes, et donc baliser les savoirs de l’économie à l’aide d’une signalétique englobante, il a lieu d’expliciter les références épistémiques jugées pertinentes au regard de la multiplicité de ces savoirs. La particularité de ces savoirs est, en dehors des travaux d’économie pure, d’être enchâssés dans une logique de situation (« situational determinism »). Dès lors la vigilance épistémique s’exerce par un recours à l’épistémologie politique et historique héritière d’une double tradition, celle de l’épistémologie et politique positives d’Auguste Comte et celle de l’épistémologie historique de Bachelard 25. Cette refondation passe par une réponse claire et définitive à la question mettant en jeu l’inféodation de la science économique, au mieux, aux exigences de la science administrative et, au pire, aux savoirs de la gestion publique. Seule une épistémologie politique et historique peut rendre à l’économie politique l’autonomie et l’identité qui sont les siennes. Auparavant, et ceci spécifie le contexte historico-politique ayant autorisé cette inféodation, il convient d’exhumer les objets refoulés de la science économique. Ces objets (y-t-il vraiment lieu de le rappeler ?) sont au cœur des transformations sociales qui scandent l’évolution du capitalisme : l’intellectualisation des tâches et la dématérialisation de la production liée à l’essor des activités de service ; la gestion de l’incertitude et le rationnement socialement organisé de l’accès aux connaissances et aux informations, la prévention des risques majeurs et les interrogations sur le devenir de l’espèce, la « fluidité » des rapports sociaux installant une crise durable et non surmontée des institutions de base de la société ; la coproduction de la science et de l’ordre social, la violence de la monnaie (en dépit de travaux précurseurs).

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On se réfère en particulier aux textes suivants : Angèle Kremer Marietti « Auguste Comte. Épistémologie et Politique Positives (Paru dans Hommage à Oscar Haac, sous la direction de Gunilla Haac, Paris, L'Harmattan, Collection "Commentaires philosophiques", 2003) et Vincent Bontems « L'actualité de l'épistémologie historique », Revue d'histoire des sciences, 2006/1 Tome 59, p. 137-147. 21


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Par épistémologie politique et historique26 nous entendons l’analyse des conditions sociales et historiques dans lesquelles la production de savoirs scientifiques et/ ou professionnels est assujettie à la possibilité qu’auraient les acteurs économiques qui les mobilisent d’en retirer des avantages stratégiques en termes d’enjeux politiques, ou de positions de pouvoir. Le développement de cette épistémologie est une condition essentielle de la clarification entre idéologie, prescriptions normatives à priori et travaux de recherche méritant ce nom. La crise actuelle nous fournit une occasion exceptionnelle de montrer les enjeux vitaux d’une refondation de l’économie politique fondée sur cette épistémologie : il s’agit de montrer comment les stratégies et les conduites des acteurs économiques sont l’effet de connaissances, de règles de gestion et de visions du monde qui tirent leur légitimité non pas tant de leur conformité à des savoirs scientifiques et professionnels multiples et variés mais de leur congruence avec des projets, des ambitions et des statuts associés à la conquête d’avantages stratégiques en termes politiques.

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Le GREPH , groupe de recherche en épistémologie politique et historique dirigé par le professeur Jacques Michel à l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon a été l’incubateur du programme de recherche portant sur cette problématique.

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