EXTRAIT Le Cercle des Amateurs d'Art de Bachmatten – Une école alsacienne du paysage, un héritage

Daniel Caspar

Le Cercle des Amateurs d'Art de Bachmatten une ĂŠcole alsacienne du paysage, un hĂŠritage

EXTRAIT

Daniel Caspar

Le Cercle des Amateurs d'Art de Bachmatten une ĂŠcole alsacienne du paysage, un hĂŠritage

Prologue Verträumt und still die Hütte steht, Und in der Nacht, der hebstlich Kalten, Ein leises, sanftes Lüftchen weht : Die Geister können frei nun walten.

Rêveuse, silencieuse, la Hutte debout, Et dans la nuit des froidures automnales, Une brise légère et douce souffle : Les esprits peuvent y régner librement.

Darunter auch, im dunklen Reich, Die Seelen derer, die uns teuer, Und die dem Ton der Zitter weich Einst hörten zu, am selben Feuer.

Là également, en ce sombre empire, Les âmes de ceux qui nous sont chers, Et qui de la douce cithare autrefois écoutaient le son, auprès du même feu.

Gar, lange, lange ist es her : Sie schwangen damals auch den Becher, Und tapfer tranken sie ihn lehr An uns’rer Seit’ als lust’ge Zecher.

Car il y a longtemps, longtemps : ils faisaient à l’époque aussi tournoyer la chope, Et sans peur ils la vidaient, À nos côtés en joyeux buveurs.

Wie herzlich wurde da gelacht Im trauten Schein der Hüttenkerzen Wie oft verbrachten wir die Nacht Mit Sang und Klang und Lied und Scherzen !

Comme de bon coeur l’on riait ici Dans l’intime lueur des chandelles du chalet, Combien souvent nous passions la nuit En chant et sons, en chansons et plaisanteries !

Die Zeit vergeht ja leider schnell, Und herbstlich ist es schon wieder, Wie früher klingen froh und hell, Àm alten Tische uns’re Lieder.

Le temps passe hélas bien vite, Et c'est à nouveau l'automne, Comme autrefois résonnent joyeux et clairs, À l’ancienne table, nos chants.

Wenn auch die Lieben nicht mehr sind So schweben, weben sie doch leise Hier drauβen um den Berg im Wind Und jetzt in unserem trauten Kreise,

Quand bien même nos chers anciens ne sont plus, Ils planent, voltigent pourtant doucement Au dehors, autour de la montagne, dans le vent, Et maintenant dans notre cercle familier.

Und jedes Jahr zur selben Stund’...

Nun laβt sie wieder auferstehen In unserm Lied, durch unsren Mund Solange wir nicht selbst vergehen !

Et chaque année à la même heure...

Ainsi laissons-les à nouveau renaître Dans notre chant, par notre bouche Aussi longtemps que nous ne disparaîtrons pas nous-mêmes !

Charles Marie Caspar - Herbst 1962

Charles Marie Caspar - Automne 1962

Poème mis en musique par Détlef Kieffer (note 1)

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1 Nostalgies

La Hutte, d'Hett, le Chalet... le Refuge

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Quand je reviens

Un sentiment d’impuissance vous gagne à voir cet abandon.

Tout semble prêt à s’écrouler. Le temps y creuse ses stigmates. Le lierre monte à l’assaut, mord et s’immisce dans le moindre interstice. La peur vous prend, à l’arracher, d’emporter des pierres du soutènement. Ne parlons pas du cabinet de campagne définitivement étouffé… Les plaques d'Éternit, aujourd’hui inquiètent et ne semblent plus pouvoir protéger quoi que ce soit, matériau dépassé d’une époque révolue.

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Les dormeurs du Val

À chaque fois que je reviens, je descends ouvrir le vieux chalet.

Ce chemin fragmenté de marches m’ouvre la perspective la plus aimée, celle de cette maisonnette longue, au toit irrégulier, fermée toujours trop longtemps entre de trop rares visites.

Elle attend, espérant de nouveaux moments de vie.

Sous l’auvent, une grande table, et voici la porte que les araignées ont tenté de calfeutrer.

Pour la passer, je dois déchirer leurs collants voiles diaphanes.

Ensuite, attention, il faut penser que le bruit des clés et la lumière soudaine peuvent réveiller l’habitant : c’est dans la banquette, sous la fenêtre que je vais ouvrir, qu’il établit le plus souvent ses quartiers, et parfois avec toute sa petite famille. Surpris, il est capable de vous sauter par dessus la tête, de courir sur les murs et d’aller se nicher dans quelque trou percé au plafond. Impossible alors de l’y déloger. J’ai toujours regretté d’en avoir tué un, ils sont si jolis ces loirs avec leur queue en panache : mon coup de tisonnier lui avait exorbité l'oeil... Tout ça pour être tranquille la nuit...

Heureusement, il existe des pièges à bascule, pas du tout meurtriers, pour les attraper et ensuite les éloigner... Hélas, on a beau faire des kilomètres en voiture, ils reviennent !

Hé oui, ils aiment comme moi ce chalet...

Donc les clés dans la serrure, les clics d'ouverture... Je pousse la porte, elle frotte le sol. Là-bas deux lueurs triangulaires me regardent. À ma droite la grande table, je traverse la cuisine et, bientôt, j'ai sous ma main la crémone : rotation, crissement de la tringle, bruit de vitres. Il faut enlever une latte de barrage puis pousser les deux volets affaissés et enfin devant moi surgit la forêt libre.

Je suis happé par le vert des feuillages, envahi par les odeurs de ce paysage intact.

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Ma forêt

La beauté est partout alentour : chênes, sapins, frênes géants. Ils ont grandi ici, avec nous.

Il nous est impossible maintenant de les couper, ce serait nous amputer nous-mêmes.

Ils ont subi les tempêtes et sont encore là, debout, majestueux, protecteurs.

Souvenons-nous : le souffle de celle de 1999 était remonté de Muhlbach, suivant le talweg. Il coucha, les laissant obliques, quelques centaines de jeunes sapins révélant d’un coup leur faiblesse : des racines trop peu profondes, empêchées de s’enfoncer dans le sol par la roche qui affleure… J’en ai redressé quelques-uns, me servant de leviers, ceci assez facilement, la masse la plus conséquente étant à leur pied et faite de terre et de pierres enserrées : ils ne demandaient que cela, retrouver leur assise.

Je les vois de la fenêtre, aujourd'hui bien vivants.

Les ruisseaux courent dans le domaine au-dessus des chalets. Ils bruissent à longueur d'année, nous bercent tout au long de nos nuits. Mais lors de la fonte des neiges, ils peuvent devenir torrents, sortir de leur lit étroit et dévaler le chemin vers le chalet du bas. Heureusement ils ont toujours bifurqué devant lui.

Les maisons sont très simples. La plus ancienne fait plutôt penser à une baraque améliorée, la plus récente a bien des colombages apparents mais ils n'ont rien à voir avec ceux des jolies maisons alsaciennes de nos cartes postales. Pas de géraniums pour les décorer, des fougères, des noisetiers, des frênes bien vivaces, mais aussi des fleurs en toutes saisons, des primevères, des violettes, des bleuets, des ombelles, des colchiques et des champignons : des coulemelles, des morilles...

Ce lieu à Bachmatten est pour moi aujourd’hui, le plus beau d’Alsace et le moment me semble-t-il est venu puisque tel est mon sentiment, d’enrichir à mon tour le poème commencé par mon grand-père, d’ajouter mes textes à ceux si nombreux de mon père, et ainsi prolonger l’histoire...

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De passage

Je ne suis que de passage. C’est le sentiment que j’éprouve quand je suis ici.

Fuir ces lieux, les oublier ? Impossible... N’ai-je pas une dette envers eux, après y avoir vécu les plus beaux moments de mon enfance et de mon adolescence quand nous venions en vacances ensemble, sans oublier très récemment les dernières sorties avec ma mère ?

Advienne que pourra, mais je devais assumer cette mission. Alors voilà plus de 20 ans, depuis le décès de mon père, que je continue à venir ici pour éviter le désastre, en maintenant les maisons en état, en tentant de freiner la progression de l'envahissante nature. Il faut se méfier des trop belles fougères qui lancent leurs rhizomes et taraudent les sols, donnant le sentiment de pouvoir tout étouffer !

Il est nécessaire de réduire les noisetiers, les frênes, les charmes qui grandissent de façon extraordinaire, soit pratiquement de 2 m chaque année... Couper un charme est impressionnant : je me suis attaqué un jour à celui qui prospère devant le chalet du haut, au bord du ruisseau et qui nous donne une ombre généreuse les jours d'été. Sa sève, d'un rouge sanglant, coula plusieurs jours... Cette arbre me donna la sensation d'avoir amputé des humains... Je cachai la blessure avec un pansement d'argile.

Nos arbres sont si grands, si beaux, c'est au point qu'on ne peut plus les couper. Tant mieux, ils sont notre fierté. Je prie pour que jamais ils ne tombent sur les maisons et leur dis : " Il vous suffit de continuer à bien vous agripper à notre terre, d'enfoncer vos racines, vos formidables mains de géants, dans notre sol et à tout jamais. "

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Les Anciens

Dans la cuisine du chalet du haut, les photos des années 20, 60, 80 racornissent... Sur la cloison, face à elles, suspendu près de la cuisinière, Fritz Steidle attend que l'un ou l'une de nous ranime les feux pour quelque repas. Lucien Wolff dans la chambre derrière lui, cloué comme un décor oublié au-dessus d'un lit, espère pouvoir veiller encore au sommeil d'un juste ou bien écouter quelques soupirs amoureux... Les portraits qu'ont faits Freyburger et Charles Marie Caspar sont si justes, si vivants, le premier par sa précision et sa simplicité, le second par l'énergie si lisible qui y est déposée. Certaines oeuvres, dont celles-ci, sont magiques : Fritz Steidle vraiment nous regarde, Wolff non, le miracle est autre, dans les traces, dans les touches rythmées qu'il y a laissées, c'est le peintre qui est là ! Je regarde ce portrait, je vois bien Wolff, mais par delà ce visage, je vois le peintre, mon père.

Ces Anciens nous disent de ne pas les oublier. Ce serait les faire mourir à jamais si un jour personne ne venait plus ici. Je les entends me dire qu’ils seraient heureux que reviennent, pour rendre vie aux chalets et pour perpétuer l'Atelier de Bachmatten, oui, des peintres de paysages....

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2 Nos chers disparus Lors de quelque rangement, nous tombons sur des photographies, ou des documents qui attendent patiemment dans les tiroirs de leurs vieux meubles qui demeurent chez nous.

L'émotion alors brusquement resurgit. Suivent des jours de mélancolie où nous leur rouvrons les portes que nous avions fermées sur nos chagrins. Nous nous surprenons à entendre à nouveau leurs voix, à retrouver leurs mimiques, à sentir leurs présences. Quel impact ont sur nous ces absences définitives ? Nous continuons à vivre certes, mais tellement moins insouciants. Nos coeurs sont devenus les vases funéraires de nos parents qui restent ainsi en nous vivants. Mais ce sont aussi leurs tableaux qui ornent nos murs, que nous croisons tous les jours, qui en vérité empêchent l'oubli... et qui nous portent à faire souvent des retours dans notre passé.

Nous vivions en ces temps-là au 1er étage du même immeuble qu'habitaient Grand-père et Grand-mère Caspar. Ils étaient eux au 4e étage : extraordinaire proximité qui nous permettait d'y monter les jeudi pour y dessiner, ou pour, quand le cousin Claude était là, jouer avec lui aux cow-boys et aux indiens, ce qui inévitablement déclenchait d'interminables et bruyantes courses autour de la table de la cuisine, et au grand dam de Grand-Père, pour tenter de l'abattre, le cousin... ce que nous n'arrivions jamais à faire car il ressuscitait toujours, malgré nos doigts pointés en pistolets fictifs, et nos bruyants ksch-ksch qui pourtant atteignaient la cible : le traître avait toujours un dernier et dangereux soubresaut... Pour que l'appartement retrouve son calme, Grand-mère nous payait le cinéma, c'était le Vauban, où nous retrouvions les coups de pistolets, les hurlements des indiens ou le cri de Tarzan...

Grand-mère nous invitait parfois à déjeuner le dimanche avec Papa, et c'était toujours un festin. Les souvenirs de ses Leverkneedle, ses Spätzle met " chu ", ses Betelman au goût de kirsch, ses Quetschelkeuche, à l'automne et ses inoubliables Faßenachtskeichle en février parfument au moment même où j'y pense, où j'écris ces mots, l'air que je respire. " De Babe esch tot !.. " Je me souviendrai toujours de ces mots de Papa au petit matin d'un jour de janvier 57. Trop jeune ou peureux, je ne suis pas allé voir une dernière fois sur son lit de mort ce grand-père qui avait pourtant pour moi une si grande importance. Mais à ce moment-là, je ne le savais pas encore... Bien sûr, nous avons continué à aller voir Grand-mère Caspar, puis ces visites se sont progressivement espacées. (note 2) Grand-mère Caspar est décédée à l’automne 76 quand nous étions au Québec, Françoise, ma première épouse, nos 2 enfants et moi. Ah, ses larmes sur le palier du 4e quand je pris l’ascenseur ! Elle m’avait fait toucher les nodules cancéreux qui envahissaient ses seins. Nous savions que nous ne nous reverrions plus. J’aurais dû remonter vers elle et la serrer contre moi... n’avait-elle pas été la plus tendre des grands-mères ? Combien de fois ai-je par la suite rêvé, réguliers cauchemars, que je passais sans m’arrêter, lâche sans-coeur, sous son balcon fleuri, oubliée là-haut dans l’immeuble de notre enfance...

Où sont leurs os, ceux de Grand-père et Grand-mère, sinon mélangés dans la fosse commune du cimetière de la Robertsau, nous le savons... Il se trouve hélas, que Maman, à ce moment isolée à Strasbourg, nous a alertés trop tard, nous les petits-fils, de cette question du renouvellement de la concession de leur tombe. Elle ne voulait sans doute pas nous ennuyer, n'osant quémander l'argent nécessaire... et se pensant l'aînée de notre famille donc seule responsable d'une telle décision. Bref, il ne nous reste plus qu'à aller méditer auprès de cette fosse commune pour nous souvenir de nos grands-parents Caspar... Les regrets sont bien pour nous, les vivants... Ah, si seulement nous savions mieux apprécier ces si précieux moments quand nous sommes ensemble ! Mais voilà, il est toujours trop tard...

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Quand nous avons perdu notre père en 90, Yves, Jean Pierre et moi, il a fallu que j’écrive. Je ne pouvais pas encore une fois subir la mort sans réagir : j’ai donc, en 6 mois, accouché pour lui d’un texte dont le sujet était la peinture, la sienne. (note 3) Il ressortit de cette recherche, bien facilitée par les documents dont nous avions hérités, lettres, poèmes, tableaux, et cetera, que ce père était lui-même, en ses dernières années d'homme vieillissant, en quête de son père à lui. C'est là que j'ai compris les raisons de son si grand attachement aux chalets de Bachmatten.

2015 Ce fut une année difficile. Elle a été marquée par le départ définitif de notre mère à la veille de ses 96 ans. Elle était notre mémoire, nous pouvions encore l'interroger sur sa vie d'avant nous, et sur tout ce siècle si difficile. Elle était l'Alsacienne, la tête emplie de proverbes, et alsaciens et allemands. Elle avait du caractère, des jugements définitifs, de l'humour, elle est restée toujours soucieuse de nous, ses fils n°1 n°2, n°3... Son beau sourire sur le seuil du chalet du haut me fait pleurer encore, plus d'un an après.

Il est possible, qu'une fois de plus, désemparé, je me sois lancé dans l'écriture, de la même façon que je l'avais fait à la mort de mon père : à l'époque " le Peintre et les motifs " a pu me servir de catharsis, et raconter aujourd'hui " Bachmatten ", joue probablement le même rôle. Me plonger dans l'histoire du Cercle des Amateurs d'Art me permet de retrouver mon enfance, nos grands-parents, et notamment ce grandpère, l'un des fondateur et de ces lieux entre Muhlbach et Grendelbruch, mais aussi premier peintre de la lignée familiale dont je suis l'héritier.

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Petit matin Je me suis levé tôt. Dans la cuisine du chalet du haut le frigo ronronne. Pour les anciens, la fraîcheur était offerte par le ruisseau, celui qui passe devant la maison. Bien des bouteilles y ont pris le frais...

J'écris dans la lumière d'une lampe posée sur la table. Un cordon la relie à la prise électrique vissée à la cloison qui me sépare de la chambre où dort mon épouse. L’ère des lampes à pétrole et des chandelles est révolue : nous sortions la nuit avec en main une flamme vacillante dans une lanterne de verre, pour aller ainsi accompagnés par nos ombres mouvantes vers nos latrines de campagne. Et depuis le début des années 60, une sphère que l'on allume de l'intérieur, nous éclaire le chemin qui longe la maison...

Sous mes yeux, dans le cercle de lumière, la nappe à carreaux blancs et rouges. À ma droite, un paravent, écran encore empreint d'ombres furtives, de douces silhouettes, affairées à de nocturnes ablutions. Dans mon dos, serviettes et torchons sèchent audessus de la cuisinière. Couvercles, marmites d’aluminium, louches et spatules suspendues, captent les lueurs de l’aube.

Se souviendraient-elles d’anciennes agapes ?

Je n’ai pas allumé de feu, il fait bon, nous sommes fin Août.

Plus loin, le buffet ancien où cuillères, bols, verres et assiettes chuchotent avec les poudres de café, de chocolat, de sucre, enfermées dans le placard voisin pour échapper aux souris.

De part et d’autre de la fenêtre, les rideaux à carreaux font écho à la table où j’écris.

Le ciel s’éclaire et tout proche, le feuillage frappe à la fenêtre.

Happée par la lumière naissante, ma pensée traverse alors l’écran végétal et court au-dessus de la montagne pour aligner là-haut, le donjon du Guirbaden avec la flèche de la cathédrale de Strasbourg, que malgré la brume matinale, je sais être à l’horizon.

Si je tourne mon regard vers la gauche, je traverse le losange de verre qui perce la porte : c’est de ce côté que murmure le ruisseau, le Bach de Bachmatten.

Me revient à ce moment le souvenir de l’aigle géant qui s’était abattu sur je ne sais quelle victime dans le pré voisin.

Impressionné par son envergure immense, et la blondeur du dessous de ses ailes, je me demandais s'il pouvait m'emporter...

Et en effet, inquiets des cris stridents des rapaces dans le ciel, les parents prévenaient : « Attention ! Basse n'uff ! Sie kenne d’klani Bievle meetnemme... ils peuvent enlever les petits garçons... « Mais je poursuis ma montée au-delà de la route qui relie Muhlbach à Grendelbruch, dépasse les maisons qui se succèdent sur la pente. En déviant vers la gauche, je me pose sur le Falkenstein où je vois, et m’en désole, la plaie ouverte de la montagne sciée, ce rose de la carrière de grès d’Herschbach. Au-delà, le Donon domine la vallée.

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3 Ils venaient peindre Ode Am Brunnen vor dem Tore da steht (k)ein Lindenbaum... Die Melodie von Schubert tanzt in meinem Sinn...

Die Matten waren noch frei.

Kleine Tannen und zwei Birken eilten hinunter.

Oben im Hintergrund sitzt den dunkeln Wald.

Alles in diesen Bilder scheint schieff, aber alles ist von diesen alten Maler richtig gezeichnet : und ausseits ihren zwei Rähmen die kleinen Hütten hängen am Gebirge auch.

Dieser Holzbunnen ist längst verschwunden.

Die Maler standen auf der Terrasse der zweiten Hütte, die im Jahr 1937, viel näher der Strasse gebaut war. Das Bächlein flieβt immer noch, und es wiegt uns Tag und Nacht.

Ein Aquarell von Charles Caspar gibt uns, Seite 79, einen ausgezeichneten Überblick Bach / Matten... Um den zwei ersten Maler errinere Ich mich noch. Wir lebten kurzer Zeit neben ihnen, Friederich Branig und länger im Rodolphe Fogés Eigentum.

Frédéric Branig

À la fontaine devant la porte, un tilleul...

La mélodie de Schubert danse dans ma tête...

Les prairies étaient libres encore.

Des petits sapins et des bouleaux couraient dans la pente. Là-haut, assise, la forêt sombre.

Tout dans ces peintures semble de travers, mais tout est juste, dessiné par nos vieux peintres : et hors les cadres, les Huttes s’accrochent à la montagne.

Cette fontaine en bois a disparu depuis longtemps. Les peintres étaient sur la terrasse devant le chalet du haut, celui construit en 1937, plus près de la route. Le ruisseau est toujours là, qui nous berce encore jour et nuit.

Une aquarelle de Charles Caspar nous donne, comme en contre-champ, page 79, une excellente vue d'ensemble.

Bach / Matten... Des deux premiers peintres, je me souviens encore : nous avons vécu quelques temps aux côtés de Frédéric Branig et plus longuement dans le royaume de Rodolphe Fogé.

Rodolphe Fogé 18

Mais où le peintre avait-il planté son chevalet ?...

Ici des garde-fous pour aller dans les prés, laissent un passage entre leurs bras horizontaux... Ils semblent ébranlés de par leurs pieds pourrissants... arbustes abattus lors des dimanches de travail et replantés ici pour une deuxième vie, pour faire joli ou pour guider les pas des anciens.

Plus loin, le bosquet nous sépare du voisinage. Le pré vert-clair monte légèrement. Nous sommes devant le chalet du bas : le chemin au premier plan vient de Muhlbach par la droite. S’il existe en pointillés sur les cartes d’état-major, et s’il reste encore une borne de grès rose tout près de l’édicule des nécessités (p. 13), il a complètement disparu dans la végétation.

Des gens passaient en saluant. Les pointes métalliques de leurs cannes cliquetaient contre les cailloux : on les entendait ainsi venir assez tôt. Ils nous saluaient, sans doute un peu gênés de passer si près, sous notre balcon, puis ils continuaient vers Grendelbruch passant sous le chalet du haut. Ils voyaient exactement ce que les Fogé, Wolff et d’autres ont peint...

2/ Nous sommes en octobre 2015. Jean Marc m’apprend qu’il vient de trouver dans le petit marché à la brocante près de l’Ancienne Douane à Strasbourg, « d’Molerhett «, « la Hutte des peintres « de Lucien Wolff !

Rodolphe Fogé

C’est un signe : le vieux peintre, du haut de son refuge à lui, bien loin au-dessus de nos têtes, audelà de notre ciel bleu, à l’évidence, nous protège.

Jean Marc Paulen est le mari de Sonia, la « petite fille « des Fogé, qui avaient adopté Robert, Pierre et Marlise Bilstein. Pierre, le père de Sonia, est décédé en 2010. C’est lui qui a rénové la cuisine de ce chalet dont on voit l’arrière. (note 4) Ici le peintre est en dessous, à mi-chemin, entre les deux chalets, les sapins ont été coupés depuis, mais les rochers sont toujours là. On peut les retrouver. Ils sont joliment peints, à moitié couverts de mousse.

Wolff dirait sentencieux : " Peindre demande patience et distance. Pour ce qui est des arbres, il faut être méthodique, d’abord apprécier les masses, mentalement simplifier, placer les valeurs moyennes, épargner les lumières, contraster avec les ombres, et se dépêcher car le soleil tourne... "

Lucien Wolff

19

Neiges

Rodolphe Fogé Impossible de ne pas montrer dès à présent ce paysage.

Là, le peintre est comme Lucien Wolff sous le chalet du haut, il est sur la terrasse de celui du bas dont il a dessiné le garde-fou. À mi-hauteur et à gauche, l'angle du toit qui protège l'entrée (page suivante et 75).

Sa canadienne lui monte jusqu’aux oreilles, son nez coule, rougi par le froid. Son regard monte le long du chemin. De temps en temps, il revient dans la maison pour réchauffer ses doigts gourds... Les blancs emplissent sa palette et bientôt la toile.

Mais quand et comment est-il monté à Bachmatten ? Je ne me souviens pas qu’il ait eu une voiture. Non, il est venu en train...

Imaginez sa surprise quand, pressé au petit matin par l’urgence biologique, il se trouve en ouvrant la porte, nez-à-nez avec l’immaculée blancheur et dans ce silence : la neige est tombée !... La seule chose qu'il puisse faire est de tenter de saisir cette beauté : on allait voir ce qu'on allait voir...

Alors Rodolphe referme la porte et revient au chaud près de son lit, saisit le pot en faïence, se soulage dans la cuisine, et déjà organise sa matinée de peintre. Il faut commencer tout de suite...

Le ciel soit loué, la boîte de couleurs, le chevalet et même un carton entoilé sont à portée de main... Et puis non, il s’habille... " Faire d'abord du feu, tant pis si ça les réveille... avaient-ils besoin de boire autant... je ferais mieux de commencer par prendre une photo... avec le Zeiss de Charel, qui est là sur le buffet...

Quelle idée de venir si tard ici... à une semaine de Noël... certes, vive l'amitié, mais faut quand même être un peu fou ! ".

Oui, Rodolphe Fogé aurait très bien pu trouver à proximité de quoi faire une rapide prise de vue... Ce qui déclenche inévitablement les sempiternelles réactions : alors cette toile ne serait qu’une oeuvre d’atelier...

Quelle déception! Mais alors quelle valeur a-t-elle ?... Planter un chevalet dans la neige et peindre avec oreilles et nez congelés aurait été bien plus héroïque, non ? Elle a été réalisée à la maison et en pantoufles...

Qu'importe, quand j’ai vu cette oeuvre chez les Paulen, et plus sensible que d'habitude en ces moments de quête, je l’ai trouvée magnifique. Et tant pis si le point de départ a été une photographie, un ridicule papier lisse de taille minuscule, il y a eu là, pour moi, alchimie, transmutation... Ce peintre, en son atelier, par ces sensuelles épaisseurs de crème, réussit à nous faire éprouver, par-delà le temps, son émotion devant l’éblouissant spectacle. Ce tableau est l’un de ses chefs-d’oeuvre.

20

Charles Marie Caspar a aussi la goutte au nez, les pieds dans ses chaussures de montagne, et le froid commence à traverser le cuir : " Le haut ça va, heureusement j'ai cet anorak pour le ski, mais peindre avec des gants, ça n'est vraiment pas une sinécure... Il faut se dépêcher, de toute façon, malgré ce ciel de plomb, la lumière a changé... Bon, où en est Fogé ? Toujours aussi lent ?... Scheisse, ne me dis pas qu'il va encore neiger !... Faut ranger ! De toute façon, c'est simple, tout est bleu... suffira de contraster avec le ciel... Les toits, eux, semblent vraiment blancs... Heureusement, la gare est juste à côté... Faut ranger, Rodolphe ! Ah ces foutus chevalets... dévisser, plier, revisser, et ces fichus tubes qui ne veulent pas rentrer dans la boîte !... On finira dans le train !... Vous ne l'entendez pas siffler ?...

Il doit quitter Herschbach... Attendez, je vais quand même prendre une photo... je vous en passerai une..."

Oui, les deux amis se vouvoyaient. Rodolphe Fogé aurait pu être son père, ayant 25 ans de plus...

Maintenant je les vois courir sous la barrière qui descend dans le grésillement de la sonnette de l'alarme...

Charles Marie Caspar, Muhlbach 21

Point de vue Alors je me rappelle de cette marche avec mon père jusqu’au temple romain du Donon.

Nous étions partis de Fréconrupt pour passer par Malplaquet et Grandfontaine.

Que me léguait-il lors de cette course ? Il serait temps que j’y pense...

Ses pas dans les sentiers, j'y pose les miens, je suis le rythme de ses solides mollets.

Nous parlons peu. Il n’a pas cette fois l’attirail du peintre.

Marcher, monter, descendre, traverser la route de Schirmeck.

Nous sommes sous le col. Prendre le bon chemin.

Sur les arbres des signes de couleur nous guident.

Monter encore. S’arrêter pour souffler.

Les sapins sont toujours aussi denses.

Mais voici le ciel, la croupe finale, et le temple.

Aujourd'hui, ici, au creux sombre du vallon, Assis là, immobile en ce lieu ancien, les souvenirs s’enchaînent...

Daniel Caspar, Vers la plaine d'Alsace, gouache et encre de chine.

Quand on sort du vallon de Bachmatten, le ciel s’élargit. À gauche le Hahnenberg et sa petite carrière de grès; une aquarelle de Grand-père Caspar l’immortalise (p. 127). .

Quand on avance vers Grendelbruch, le chemin semble tout à coup se dérober sous nos pieds : nous sommes aspirés par cette trouée qui ouvre sur l’infini, là-bas, entre les courbes sombres des proches montagnes et le couvercle des nuages. Le regard peut se poser à mi-chemin sur la pointe du clocher d’Heiligenberg pour y retrouver un premier équilibre, puis de là, poursuivre en ligne droite vers Saverne, ou changer de cap vers la droite et voir Strasbourg (carte p 61)...

En attendant, j’ai mes gouaches, je vais prendre à droite, le Chemin du Panorama. J’y serai tranquille pour peindre et capturer cette lumière prise entre ces montagnes et ce ciel de plomb.

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Les documents du Cercle Un moment important a eu lieu fin 2014 : Jean Marc Paulen, dernier trésorier du Cercle des Amateurs d'Art de Bachmatten, me remettait tous les documents de l'association. Je pouvais avec une telle impulsion, et si j'en avais le courage, tenter de raconter toute cette histoire. Mais sous quelle forme ? Il y avait bien des trous. Saurai-je la faire revivre ? Peut-être, mais je me rends compte que je suis le dernier qui puisse le faire, surtout sous l'angle de ce qui m'importe aujourd'hui, une réflexion sur la peinture de ce groupe, dans lequel notre famille a joué un si grand rôle.

Dans ces documents, ce qui m'a ému en premier, c'est le carnet que Grand-Père Caspar a tenu, en tant que Secrétaire de l'association, de 1947 jusqu'à la veille de sa mort, début 57. L’écriture est régulière, à l'encre bleue. C’est de l’allemand. Voilà qui va me permettre de me souvenir de cette langue...

On y découvre les soucis de gestion des chalets, les questions que posaient les personnes au président pendant ses dix années de secrétariat, poste qui lui tenait visiblement à coeur. Les comptes-rendus sont sérieux.

Pages d’ouverture du carnet de 1947, tenu par Charles Caspar, secrétaire, " Schriftführer " : ce sera pour 10 ans encore. Il y signale la disparition pendant la guerre de son bureau de l’Université, celui qui contenait tous les documents de l’association… Ils ont pourtant été retrouvés, quand et comment, on;ne sais... peutêtre par celui qui ouvrit le tiroir du meuble, et qui, ému par l'importance et la tonalité poétique de l'ensemble, expédia le tout au même Charles Caspar dont l'adresse à Strasbourg n'avait pas changé : 19, boulevard Leblois...

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4 Ce grand-père qui dessine Mais avant de raconter Bachmatten, il faut que je souligne l'importance de ce Grand-père dans ma vie de peintre. Je peux présenter cet homme puisque j'ai pu récupérer l'album photo familial.

C'est avec lui que l'histoire commence.

Charles Caspar est né en 1886 à Sélestat. N'ayant pas retrouvé le livret de famille, j'ai cherché cette date dans le premier tome du dictionnaire de Maître François Lotz, « Artistes Peintres Alsaciens, de jadis et de naguère " (1880-1982). J’ai en même temps pu y retrouver les traces des Branig, Buchel, Buchhold, Claus, Fogé, Kopff, Steidlé et Wolff, ses amis peintres du Cercle. Maître Lotz l'y qualifie d'autodidacte... (note 5) mais nous en reparlerons...

J’ai une photo de lui garçon où il semble avoir 10 ans. Il se tient bien droit, s'appuyant fièrement sur l'épaule du père. Lui, Alexandre Caspar a une belle moustache, c'est un costaud, il est maraîcher à Sélestat. La maman s'appelle Marie Pauline Chasseur. Elle présente avec fierté ses enfants, les mains posées sur les épaules du jeune Charles et sa fille Louise. Le troisième enfant, assis sur le coin d'un tabouret à coussin de velours, s'appelle Georges. Derrière eux, le décor de l'atelier du photographe, un paysage...

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Tes images

Le Haut-Koenigsbourg ? Tu as certainement suivi sa reconstruction : on devait facilement de Sélestat voir avancer le chantier, s'ériger le donjon. Peut-être es-tu monté là-haut bien avant son inauguration en 1908 ? Aurais-tu aperçu Guillaume II à Sainte-Hippolyte ? Tu as dû voir dans le château les fresques " gothiques " de Léo Schnug... J'imagine l'engouement des Alsaciens pour ces images qui redonnaient vie à leur lointain Moyen-Âge. Et ses dessins circulaient sous forme de cartes postales, ou bien tu les découpais dans les journaux, c'est sans doute là que tu trouvais tes premiers modèles et que se développait ton habileté à dessiner. Ta collection d''images était à cette époque commencée depuis longtemps.

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Léo Schnug et Hans Best

Ah, les Messieurs de Hans Best… si humains, ridicules et touchants, vieux garçons restitués dans leurs activités domestiques et dérisoires... Le peintre goguenard s’amuse de ses contemporains ou de lui-même... Né en 1874 et décédé en 1942, Best est contemporain du père Caspar qui collectionne ces amusantes cartes postales. Grand-père aimait donc rire.

Mon héritage J’ai la chance d’avoir hérité un peu de tes talents, - patience, sens de l'observation - sans que tu en sois tout à fait conscient. Quand nous montions te voir, Jean Pierre et moi, le jeudi après-midi, nous te trouvions en train de dessiner et de peindre à l’aquarelle avec une fascinante précision. Me reste comme souvenir émouvant ton système pour tailler les crayons d'une seule main : tu en prenais un avec ta bouche, le coinçais et serrais dans un petit étau et tu entamais le bois avec un scalpel...

Nous allions assez vite nous choisir des livres d'images dans ta bibliothèque. L'un d'eux, un gros, contenait les espiègleries de Max et Moritz dessinées par Wilhelm Busch et ils nous faisaient bien rire ! (note 6)

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Tes dessins, ton empreinte Mais toi, Grand-Père, où en es-tu du dessin ?... Quand as-tu commencé ? Est-ce comme tous les enfants, par des gribouillis, des bonshommes que l'on amorce dès 2, 3 ans ? Y avait-il du papier à la maison ?... Estce à l'école ? La pédagogie de l'époque était-elle assez avancée pour donner du temps à cette activité ?

Votre maître probablement Allemand, discipliné, savant, vous aurait-il emmenés, tes camarades et toi, visiter la Bibliothèque Humaniste pour vous montrer la Bible de Luther imprimée par Gutenberg ? Ou as-tu préféré le travail des moines copistes, leurs lettrines si joliment ouvragées, leurs personnages dans leurs monumentaux manuscrits ?… C'est peut-être là, en plus d'habiter si près des châteaux postés sur les contreforts de nos montagnes : celui d'Andlau, le Landsberg, le Bernstein, le Haut-Koenigsbourg, que naquit ton envie irrépressible de dessiner. Ce sont eux qui font rêver beaucoup des enfants d'Alsace, qui éveillent leur imagination et les font jouer à guerroyer ou dessiner chevaliers, lansquenets, ces fantômes qui ont traversé notre belle vallée du Rhin.

Impossible de dater cette merveilleuse composition : le passage sous le Haut-Koenigsbourg de ces mercenaires, lansquenets suisses, et le mousquetaire espagnol. Ils sont vêtus de costumes colorés, enrichis d'élégantes " crevées " à la mode au XVIe siècle. Et ce chevalier, qui doit être d'Alsace vu son plumet, qui ferme le cortège ! Comment veux-tu que nous ne soyons pas entrés dans l'Art grâce à toi et à la présence sur les murs de ton appartement à Strasbourg, de telles images, de tels dessins ? ! !

As-tu deviné que l'un de tes petits-fils qui venait le jeudi dessiner chez toi, allait te suivre dans cette voie ?

L'avais-tu compris ce jour de peinture à Bachmatten dans l'été 56 : j'avais 12 ans et toi près de 70. Nous étions, toi, Papa et moi dans la forêt dans ce chemin sous le chalet. Je m'escrimais avec eau, gouache, palette et pinceaux à ne pas trop rater mon premier paysage en plein-air. Précision amusante, car mon vrai premier paysage a été celui que j'avais fait à l'école maternelle, celui avec des cigognes qui volaient audessus des Vosges et qui est parti au Japon dans quelque collection d'Art enfantin, c'était de fantaisie...

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Chevauchées

C’est en vous regardant papa et toi, que je me forgeais une certaine habileté. Vers 15 ans, je m’exerçais à reproduire à la plume le Hussard à cheval de Géricault, que j’ai offert à mon ami Claude, puis je m’échinais à recopier la Bataille d’Anghiari de Léonard de Vinci, reprise par Rubens, que j'avais trouvée dans cette première Histoire de l’Art que l'on m'avait offerte pour un accessit au Concours Général des Lycées. (p. 46).

Ce dessin dort, toujours inachevé, dans l’un de mes cartons. Je l'ai repris plus tard par deux fois, l'un en 4h avec un stupide stylo à masselottes qui me freinait à chaque seconde, mais le suivant au lavis en 2h, ayant enfin trouvé le bon outil... Je m'étais sorti du guêpier du copiste débutant, maîtrisant bien mieux cette chevauchée par la vitesse d'exécution, entrant enfin dans le dynamisme de cette fascinante composition. J'ai donc à mon sens une dette importante envers ce grand-père collectionneur d'images.

J'en ai gardé le goût des chevaux. Je suis allé bien souvent au Louvre durant mes études parisiennes pour dessiner et découvrir l'architecture des grandes peintures : celles de Titien, Véronèse, Delacroix, et même dans les Corot et les Chardin... Que de beauté ! J'y retrouvais le Hussard et debout devant cette peinture, carnet à la main, je tentais encore une fois d'en saisir la puissance...

Plus tard dans un musée allemand : un chevalier en armure, et de l'humour pour les yeux du cheval...

C'est une époque où je pensais à Picasso...

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C'était en 1967. M'inspirant de cette image d'un tournoi prise dans ton recueil des costumes dont j'avais hérité, je cherchais à rendre en de multiples dessins, le mouvement, la vitesse, imaginant jusqu'aux chocs des lances sur les armures... Mon dessin, hélas, devint plus que baroque, illisible...

Mais revenons à toi. La trace la plus ancienne est cette gouache représentant un champ de bataille où médite un soldat. Elle est datée de 1903. Pas mal pour un gars de 17 ans. Curieux sujet... Le blessé exprime l'impuissance, la désolation, mais ce qui intrigue, c'est le costume qui semble être celui d'un soldat français. Nous verrons que cet intérêt est allé grandissant.

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Tanconville, Regamey Un portrait de Napoléon ouvre un tout petit et très intéressant carnet de croquis. Il est daté du 12.9.13. Étrange source d’inspiration... Voilà l'ancien soldat de la Wehrmacht en train de dévoiler sa passion pour l’Empire Français. L’Épopée s’est pourtant achevée par deux fois de manière funeste : Waterloo, Sedan...

Malgré cela, Charles Caspar nous a laissé une douzaine d’habiles dessins aquarellés. Il faisait cela pour son plaisir, avec son goût des costumes militaires français, dans l’imitation des Régamay, Tanconville, dont on éditait les images.

Un étrange instrument était posé sur la commode de l'entrée : des lattes de bois reliées par des vis de serrage... Un pantographe... était-ce l'explication de son habileté ?... Je ne crois pas : l'outil est certes intéressant pour la mise en page, je me souviens de l'avoir essayé, mais il ne convient pas vraiment pour les détails. Grand-père n'a-t-il fait que copier ou a-t-il aussi inventé quelques mises en scènes sur fond de paysages pris dans Strasbourg ou au bord du Rhin ?... Hélas, ces dessins-là ne sont pas datés.

Souvenons-nous que Strasbourg était ville de garnison. Que de traces l'attestent ! Les remparts au nord et les nombreuses casernes voisines encore difficiles à habiter de nos jours, " la Montagne-Verte " au sud, la Citadelle Vauban, face à l'est, devenue très joli parc où jouent les enfants, le quartier de l’Esplanade, maintenant si urbanisé, qui était le large espace libre permettant le déploiement des parades militaires... De ces casernements sortaient, et nous nous en souvenons mes frères et moi, des régiments de Tirailleurs Marocains précédés de leur mascotte, un bélier joliment costumé et ces soldats exotiques passaient régulièrement le 8 mai ou le 22 novembre sous nos fenêtres de l'avenue de la Forêt-Noire ; ils étaient suivis par les chasseurs-aux-pieds-rapides qui nous faisaient rire. Les cliquetis et les vibrations des chenilles d'énormes chars fermaient la marche...

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Mais quittons l'épique... entrons enfin dans les carnets où les dessins sont le plus souvent datés. Moins spectaculaires, ces croquis plus intimes me permettent par contre de suivre le trajet du dessinateur. Le plus surprenant est que son fils futur, Charles Marie, se glissera progressivement dans leurs pages.

Manque de papier, transmission ? On y trouve ce " penseur "... de style plutôt naïf. Scène bucolique s'il en est, image de paix... Il regarde le soleil se coucher à l'horizon. En 1913, Charles a terminé son service militaire de 2 années dans la Wehrmacht : démobilisé, il envisage de se marier, et donc de trouver du travail... Mais ce qui l'intéresse le plus, c'est le dessin,.

Ce portrait un peu lisse, signé fièrement, est daté du 25 octobre de cette même année. Le style en est académique. Il fait penser à celui de Ingres. Ce dessin est certainement très juste. Les ombres sont bien ordonnées et les ouvertures vers le fond bien maîtrisées. Le jeune homme allait-il aux cours du soir des Arts-Décos à Strasbourg ? Habite-t-il dès lors en ville ? La 2e jeune femme est croquée dans son petit carnet de poche. La logique voudrait que l'on y trouve quelques nudités... En effet, très curieusement , elles sont de 1948 !...

Le " nu " - nom masculin pour nommer le dessin des femmes qui m'a intrigué passablement au début de ma carrière dans les arts... Bref, les " nus " paraissent bien sages, peu sensuels, gauches mêmes. Notre Grand-père avait à ce moment-là 64 ans. L'âge avait-il eu raison de ses élans amoureux ? Sans doute était-il à bout de course sur le plan amoureux... Cherchait-il à réveiller ses flammes ?... Il est vrai que sur ce plan là, sa vie a été chaotique (pp. 90 à 93).

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La marche dans le paysage

Notre "dessinateur" s'est promené dans les années 30 autour de Sélestat : Dambach, Epfig, Riquewihr, ne sont pas loin. Il est chez lui sous le Haut-Koenigsbourg (p. 24). Il est pris comme tant d'artistes alsaciens par le pittoresque de notre région, l'allure des villages, la beauté de l'architecture, celles des portes moyenâgeuses. Pense-t-il pouvoir un jour montrer ses dessins, les exposer comme bien d'autres, en vendre peut-être ? N'a-t-il pas l'exemple des Hansi, Stoskopf, Kueder ?

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Il se trouve confronté à la difficile question de la représentation des arbres et des bosquets. Il a su y répondre de façon simple et intéressante et surmonter cette difficulté à l'aquarelle également, nous le verrons plus loin. Quel travail remarquable dans le 3e dessin, celui des grands arbres, mais est-il de toi ou de ton fils ?

Il se promène, longe les prairies, s'arrête dans des cours de ferme, saisit des vaches, un chien, des poules... On l'invite peut-être à boire un coup. Il fait des portraits rapides de ces gens simples. Il était revenu à la vie civile. Fini les soldats héroïques des temps anciens. Hélas pas pour longtemps, car survient la Grande-Guerre. À Sélestat, il fait alors le portrait de son frère Georges qui s'est engagé dans la Marine de guerre allemande. Lui aussi sera mobilisé.

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1/ Charles et son frère Georges Caspar en uniforme de l'armée allemande : Wehrmacht et Kriegsmarine...

2/ Georges est marié, son petit garçon, c’est le petit Charles de Sélestat, bientôt orphelin de son père, 34

Toujours à l'avant : Charles Caspar, fier soldat à moustache, en 1907, puis en 1912 au camp de Bitche, enfin en 1915 au Lazaret… Donc soldat en 1906/ 1907 : il a 20/21 ans quand le service militaire normal dure 2 ans. Il avait pu regarder la France par-delà de la frontière près de SaintDié.

Nous le découvrons, décontenancés, en costume militaire, mais dans celui de la Wehrmacht !...

Et nous voilà obligés de nous rappeler notre l'Histoire... Dans les photographies de 1912, on le voit soldat allemand paraissant assez fier de son costume et de sa moustache. Hélas la vraie guerre déclarée, il sera re-mobilisé en 14... et il y perdra un bras en 15... Nous le retrouvons, amputé de son bras gauche et il y fait toujours bonne figure... N'incarne-t-il pas ainsi, malgré ses sourires, la difficile situation vécue par la majorité des hommes d’Alsace, tiraillés entre deux patries ?

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Portraits Il était assez bel homme, élégant. Raie très haute, moustache soignée, chemise blanche, col dur, noeud papillon, gilet clair. La main droite dans la poche, l'autre serrant le bord de la table couverte d'un châle de laine. Le pantalon laisse deviner des jambes solides. Il n'était pas très grand, mais dans les canons de l'époque.

Il sort hélas de la guerre, durement atteint, infirme. Il porte alors un bras en cuir articulé, pour occuper la manche gauche de ses vestes. Et il ne pourra plus vraiment enlacer sa coquette épouse.

Ne l’avait-elle pas épousé quand elle avait 18 ans, sur les conseils de son père, Richard Burghold, photographe venu de Bavière installé à Strasbourg ? Charles Caspar avait en effet un emploi stable de secrétaire à l’Université de Strasbourg.

Voici donc Charles et Marie-Jeanne posant pour la postérité, bien coiffés pour l'occasion. Il peint...

Chevalet et murs sont pour l'occasion chargés de tableaux... Aux pieds du peintre des vues de Strasbourg. Le grand médaillon au-dessus de la tête de l'épouse tout de même dérange... On est dans l'appartement du jeune couple. Le photographe est donc venu avec son matériel.

Marie admire son mari, elle est assise bien sagement tout près de lui... au risque de recevoir quelques gouttes de couleur sur sa très longue robe. On dirait une robe d'atelier, large, facile à enlever... l'enlevait-elle pour lui ?...

Les épreuves qu'il a subies ont probablement poussé cet homme à ne plus s’investir que dans la vie culturelle alsacienne : dans la peinture, dans le théâtre, et dans ce projet un peu utopique d’un lieu de paix dans les Vosges, où l’on pourrait, dans la nature grandiose, vivre l’amitié, aller peindre ensemble, profiter de la vie... Était-il sensible aux idées d'autonomie qui circulaient depuis la fin du siècle précédent ?

Lira-t-il " Die Heimat " journal autonomiste édité à Sélestat justement dans les années 20 ? (note 7) Il ne pouvait pas ne pas connaître les poèmes en dialecte des frères Mathis qu'il croisera bientôt dans les sphères artistiques strasbourgeoises des années 30, du côté des peintres et des gens de théâtre.

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Charles Marie Richard Alexandre 1/ De gauche à droite : Charles Caspar, Marie Jeanne qui tient le bébé. Au centre et au fond Victorine Burghold : la mère de Marie, puis une dame et un militaire Allemand à moustache.

Je ne peux mettre un nom sur ces derniers. Ils pourraient être le parrain et la marraine. On fête la naissance de Charles Marie Richard Alexandre.

Il vient d'être baptisé et a reçu pour prénoms, et c'est remarquable, ceux de ses parents, plus Richard et Alexandre, prénoms de ses deux grands-pères. L’enfant est né le 28 mars 1915.

Il sera mon père.

2/ Les garçons, Charles Marie et Georges, le deuxième fils, ont grandi. On peut essayer de dater cette photographie d'après leur taille et leur allure… Georges, entre l’oncle Angelo et la grandmère Victorine, pourrait avoir 6 ans et Charles Marie près de 7. Ils sont nés en 15 et en 16.

Nous sommes au début des années 20. On pose pour le même photographe, encore et toujours, Richard Burghold, le grand-père.

Il est patent que les arrières-grands-parents disparaissent assez vite des mémoires quand personne n'écrit leur nom et prénoms sous leurs portraits pourtant conservés dans les beaux albums du début du siècle... Si j'ai pu nommer Richard, le Grand -père maternel du petit Charles Marie, c'est que ce prénom figure en troisième position sur son acte de naissance...

L'Alsace est redevenue Française. Les voilà tous entrés dans l'après-guerre, une nouvelle histoire commence. Angelo qui est en visite va rentrer à Immenstadt.

La famille Caspar, elle, est dans la période d'adaptation, il lui faut dorénavant parler Français, notamment parce que les garçons entrent à l'école... Marie Jeanne, notre Grand-mère à nous, nous l'avons vécu, ne parlera jamais cette difficile langue...

Quand Hitler envahira la France, les Alsaciens ne pourront qu'avoir le tournis, et pas seulement sur le plan linguistique... Il faudra encore une fois se recroqueviller sur soi-même. Les idées d'indépendance, qui existaient depuis longtemps, seront des réflexes naturels, pour leur sauvegarde mentale...

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L'Alsace française...

Les années 20 Période donc apaisée... Qu’en était-il de la vie intellectuelle ? Qu’est-ce qui pouvait préoccuper nos pères ? Le dialecte leur permettait d’être comme des poissons dans l’eau en Germanie. Qu’est-ce qui fait qu'ils ne soient pas devenus Allemands ? Dire que Charles Marie va bientôt entrer dans l'étude approfondie de la langue, la poésie, la philosophie, le meilleur de notre dangereux voisin. Il est vrai qu'il y a de telles différences entre les Lânder. On ne peut pas mettre Prussiens, Saxons, Bavarois et autres dans le même sac...

Donc il existe une résistance Alsacienne.

Hansi reste dans ce domaine notre héros : vive la caricature qui fait rire des envahisseurs ! Le rejet surtout de l'Allemagne prussienne, de sa raideur et de sa brutalité. Et surtout de Guillaume II. Combien d'Alsaciens disaient en Français « Merde la Prusse «.

Mais « Nonn'de'dié ", nous ne pardonnerons jamais ni Reichshoffen, ni Sedan où les Bavarois ont quand même joué les premiers rôles...

Que ne nous sommes-nous battus pour notre indépendance comme l'ont fait les Suisses ? La faute à Napoléon : il aurait pu penser à nous ériger en principauté ou en Land autonome, non ? Lui qui rêvait d’une grande Europe... Ah, trop de bottes ont martelé notre belle Province. Vaut mieux se réfugier dans nos WInstuben pour y boire à notre santé... Schnug, lui, est devenu fou: trop de casques allemands dans ses dessins, même s’ils sont du Moyen-Age… Aurait-il trop fricoté avec Wilhelm au Haut-Koenigsbourg, serait-ce là qu’il a perdu son âme ? Comme Hans Arp nous aurions dû tous partir en Suisse !

Le Théâtre Alsacien a joué un grand rôle. Charles a été son souffleur toutes ces années-là et encore du temps de notre enfance. On aimait se déguiser.

Grand-père est l’homme à la hache ! Grand-mère est à côté de lui, entre les deux hommes. Ne sont-ils pas b e a u x e t fi e r s d a n s l e u r s c o s t u m e s d e révolutionnaires ? Ils sont Français, net wor ? !

Il a fait jouer le petit Charles Marie déguisé en polichinelle pour le Käsperle Theater, version autrichienne de la Commedia dell'Arte. C'est quand même extraordinaire de savoir que le petit Caspar en alsacien, c'est justement " Käsperle "...

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Un homme épris de théâtre Charles Caspar a écrit deux pièces de théâtre, l’une est dans le genre « boulevard «, l’autre est un conte, un « Märchen » dont voici une description succincte. Personnages : 1 couple de bûcherons, un garçon (Peter), des chasseurs, un roi, une reine, des anges, des nains, une fée, deux géants, un sultan. Pièce pour le Théâtre Alsacien de 56 pages, 8 parties de cette écriture fine. Elle se termine bien, le garçon était le fils du roi, géants, fées et nains, travaillent à favoriser son retour à la Cour. Une chanson à boire couronne l'ensemble... (note 8)

Charles Caspar : page 1 du Conte

Charles Caspar est l'homme au chapeau adossé à la colonne de la porte du Théâtre. C'était un homme heureux en ces temps-là, amical, considéré. Le Théâtre Alsacien partait en tournée en Suisse, en France... On trouve des photos quand il est à Zürich, à Dijon...

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5 Le contexte artistique Pour comprendre notre homme encore un peu mieux, il serait bon, surtout pour moi-même de m'intéresser au contexte culturel alsacien en ce début du 20e siècle.

St Léonard

Charles Spindler, La vieille vigne, in Images alsaciennes n°20, 1894. A gauche au centre de la frise : Anselme Laugel et son épouse, à droite Léon Hornecker, Joseph Sattler et Charles Spindler.

Sur le plan artistique, l'histoire de l'Alsace à la fin du 19e et au début du 20e siècle est bien connue. Des personnalités fortes ont un rôle important dans ce que l'on pourrait appeler Renaissance alsacienne : Anselme Laugel est voisin du peintre Charles Spindler. Tous deux se passionnent pour les paysages, les coutumes et les costumes du pays. Ensemble ils parcourent la campagne, accumulent notes et croquis, rassemblent ce qui subsiste d’art populaire. Commence alors la publication de la revue " Les images Alsaciennes » et l'activité du « Cercle de Saint Léonard ». En 1894, Gustave Stoskopf, après ses études à Paris et à Munich, revient en Alsace. À 25 ans, il a l’ambition de sortir l’Alsace de sa torpeur. Il est peintre, poète, auteur de théâtre, et son premier objectif est de regrouper des artistes. Il prend contact avec Charles Spindler et ses amis, afin de les réunir régulièrement lors de Stammtisch dans une Winstub, la « Mehlkischt », rue des Bouchers à Strasbourg. Stoskopf en fait une sorte de cabaret. On y chante, récite des poèmes, dit des textes en alsacien.

Les frères Albert et Adolphe Mathis, écrivains et poètes, jouent un rôle très important : pour eux, l'alsacien n'est pas seulement un dialecte de fin fond de province, mais une langue de création culturelle, riche d'expressions savoureuses utilisées dans la vie quotidienne. Existe à cette époque le Groupe St Nicolas auquel les deux frères sont intimement liés. Stoskopf a l’idée également de créer le Théâtre Alsacien. Les pièces étant encore rares, qu’à cela ne tienne, il en fournira à lui seul un répertoire important. C’est encore sous son impulsion que les « Images alsaciennes » se transforment et deviennent la « Revue Alsacienne Illustrée ».

En 1896 débute l’aventure du « Kunsthaffe » où le fabriquant de foie gras de Schiltigheim Auguste Michel accueille les artistes lors de réunions gastronomico-culturelles. Elles dureront toute une décennie et seront importantes pour la vie artistique et littéraire de l’Alsace. A chaque réunion un artiste réalisait le menu de la soirée. Rapidement d’autres personnalités rejoignent le premier groupe, notamment Emile Schneider, Lucien Blumer, Léo Schnug, et Emile Stahl pour ne citer que les plus célèbres. Mais le Kunsthaffe prit fin à la mort d’Auguste Michel en 1909.

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En 1897, à l’initiative du Cercle de Saint Léonard a lieu une importante exposition de peintres et de sculpteurs alsaciens à l’Hôtel de Ville de Strasbourg. Les artistes participant à cette exposition décident de rester groupés et forment le « Verband Strassburger Künstler » qui deviendra l’AIDA.Tous les mouvements nouvellement créés gravitent autour de la « Revue Alsacienne Illustrée ». Le but non avoué de ces organisations était la résistance à une germanisation forcée de l’Alsace. Il s’agit de préserver, sinon de retrouver, une identité régionale forte en plein Reichsland. (note 9)

Hansi (note 10)

Le rêve de Gustave Stoskopf est de doter sa société d’artistes d’un lieu d’exposition. Il se souvient que pendant ses études strasbourgeoises, il prenait ses repas chez sa tante mariée au lithographe Munch. C’est dans cette même maison qu’en 1905, il décide de créer une galerie dédiée à l’art alsacien.

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L'AIDA Le 10 décembre 1905 est inaugurée la Maison d’Art Alsacienne dans deux salles assez réduites et mal éclairées au n°6 de la rue Brûlée à Strasbourg. Enfin, en 1923, le « Verband Straßburger Künstler » est inscrit au registre des associations sous le nom « Association des Artistes Indépendants d’Alsace ».

L’AIDA est l'association qui regroupera la majorité des artistes alsaciens. On y trouve toutes les tendances picturales du moment. Des groupes se forment qui n’ont pas la prétention de représenter toute l’activité artistique de leur temps, mais ils impulsent une énergie nouvelle. On peut citer les deux principaux groupes d’avant-guerre : le Groupe de Mai de tendance Cézannienne qui est créé en 1919 et le Groupe de la Barque en 1930, qui se voudra moins régionaliste et exposera à Paris notamment Galerie Bernheim.

Un salon d’automne est organisé chaque année, il sera longtemps très suivi par les Strasbourgeois.

En 1939, Gustave Stoskopf est président de l’AIDA .

De gauche à droite assis : Seyboth, Haehl, Hornecker, Spindler, Binder, Erb, Braunagel, August Michel.

Debout : Heitzmann, Stoskopf, Soindler, Schnug, Haas, Bucher, Koertgé Mais survient alors la guerre, l’évacuation et l’occupation nazie. En 1940, neuf sociétés artistiques et littéraires dont les principales, avec l’AIDA, les « Amis des Arts » et la « Société des Ecrivains d’AlsaceLorraine », sont dissoutes par les autorités, leurs avoirs confisqués, et la Maison d’Art mise sous séquestre. Pendant la guerre une association officielle dénommée « Kamaradschaft der Künstler und Kunstfreunde am Oberrhein » dont l’abréviation est Kakük gère les trois immeubles appartenant aux « Amis des Arts » ainsi que la Maison d’Art Alsacienne. La ville de Strasbourg et la Chambre de Commerce accordent également à la Kakük des subventions, ce qui en fait une association prospère. Pendant la guerre la Kakük, grâce à ses moyens financiers, organise des expositions itinérantes de peintres alsaciens en Allemagne, à Baden Baden, à Berlin, à Munich.

Gustave Stoskopf meurt à Brumath le 6 décembre 1944.

En 1945 à la Libération, la Maison d’Art n’est pas reconstituée, et après la levée du séquestre, c’est l’AIDA qui va gérer directement la galerie. C’est le retour de Robert Heitz en Alsace, après avoir été interné par les Allemands pendant plus de 34 mois pour son activité de résistant. Il sera le deuxième homme important de l’AIDA puisqu'il va s'y investir durant trente années.

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En 1950, l’AIDA nomme Octave Landwerlin, libraire, gérant de la Maison d’Art. En rémunération de ses services, elle met à sa disposition les salles d’exposition pour la moitié de l’année, les expositions de l’AIDA alterneront alors avec celles du gérant. Cela pendant huit ans. Puis l’AIDA gère à nouveau seule la Maison d'Art, jusqu'à fermeture de ce lieu le 1er avril 1964. En attendant de trouver un nouveau lieu, de nombreuses expositions sont organisées, notamment au pavillon Joséphine.

Lors de la reconstruction de l’Ancienne Douane, Robert Heitz, alors adjoint à la Culture en charge du dossier, y réserve un espace d’exposition à l’AIDA. Ce sont 137 m2, d’un bel espace lumineux et aéré qui sont mis en 1966 à la disposition des artistes. L’AIDA dans ses nouveaux murs vit alors sa période la plus prospère. En 1972 Robert Heitz abandonne la présidence. Sa succession est assurée par Jean-Jacques Hueber peintre, professeur et directeur adjoint à l’Ecole des Arts Décoratifs. Il sera président pendant 21 années. À sa mort, en 1993, c’est la secrétaire générale de l’époque, Maguy Gangloff, qui en reprend les rênes.

Enviée, parce qu'installée confortablement et depuis longtemps dans cette Ancienne Douane, l'AIDA subissait quelques moqueries : on la traitait de " Vieille Dame ", si ce n'est de " Verrue " dans le paysage culturel de Strasbourg... C'est bien sûr mépriser nos vieux peintres qui ne pouvaient qu'assister aux changements dans le domaine de l'art, il faut le reconnaître assez vertigineux, et durant tout le siècle, sans compter les deux tempêtes majeures qui ont soufflé sur l'Alsace et toute l'Europe, ces deux guerres monstrueuses, et les suivantes, celles du Vietnam et d'Algérie.

Déplacée, au début de la Grand'Rue, l'Aida est toujours bien vivante, grâce à Geneviève Nicolet-Wölfli, femme de caractère et de culture, sachant reconnaître et mettre en valeur les vrais talents. Avec elle, nous sommes dans la création contemporaine; le cordon ombilical avec les néo-impressionnistes dont les palettes usées nous laissent pourtant mélancoliques, est coupé.

Pour en revenir à l'AIDA d'avant, il n'y a pas grande difficulté à imaginer la vie sociale que cette association a pu engendrer, ainsi animée par des personnages si charismatiques, dirions-nous aujourd'hui : Stoskopf, Heitz, Hueber. Des réunions, des assemblées générales agitées sans doute, et par delà, cette sécurité que pouvaient avoir ces peintres de montrer régulièrement leur travail à l'automne.

Et puis il y avait le Bal annuel des Artistes ! Tout le monde était costumé, et je me souviens d'une photographie de notre jolie Maman qu'il faudrait que je tente de retrouver... Nous pouvons imaginer les vernissages, les amateurs qui vous demandaient votre liste des prix, les journalistes qui essayaient de vous comprendre... II y avait de quoi avoir envie de se surpasser, et de réaliser de beaux tableaux...

Mon père, lui, est décédé en mai 90. Sa dernière exposition avait eu lieu en cette Ancienne Douane l'année précédente, en septembre 89. L'année de sa " Marseillaise "... Et je n'oublierai pas l'exposition que j'ai provoquée en 82 pour partager notre histoire familiale : " Charles, Charles Marie et Daniel Charles Caspar - 3 générations de peintres "(p. 166)... ni bien sûr son exposition rétrospective de 1993 dans ce très beau lieu, et la parution à cette occasion de mon livre écrit pour lui " Le peintre et les motifs " (note 6), ni le bel accueil de Madame Gangloff.

Et même si nous sommes emportés aujourd'hui par le flot continu d'un art moderne et contemporain qui pourrait plonger tout ce passé dans l'oubli, nous restons encore étonnés, touchés par ces hommes et leur passion de peindre. Ils savaient trouver la beauté dans le quotidien, dans ces Stillleben à la pipe, dans un bouquet de fleurs, se promenaient dans Strasbourg avec leur chevalet et prenaient le train pour la chercher dans les villages et dans les paysages de montagne.

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La Maison d’Art Alsacienne (MAA) Tous les peintres dignes d'intérêt y exposent et y exposeront. Le 1er volume de François Lotz " Artistes Peintres Alsaciens de jadis et de naguère (1882-1982) ", (note 5) me permet d'en élaborer une liste. J'y souligne les plus importants. En caractères gras ceux du Cercle des Amateurs d'Art. MMA : Maison d'Art Alsacienne.

René Allenbach (1889-1958) MAA en 1928 Henri Bacher (Sarreguemines1890- Strasbourg1934), gravures, illustrations Charles Bastian (1874-1952) MAA en 1908 Albert Bayer (1895-1967) prof de dessin en 16, Lycée Bartholdi > 40, Camille Sée > 62,AIDA Lucien Binaepfel (1888-1968) Galerie Landwerlin en 53, retro en 74 à la MAA, en Alsace depuis 36 Lucien Blumer (1888-1947) MAA, 1906/07, 11, 13, 14, 24, 25, 27, 29, 31 Frédéric Branig (1881-1950) la Coupole 1938, 2e président du Cercle des Amateurs d'Art de Bachmatten Paul Braunagel (1873-1954) style Lautrec, MAA Jean Buchel (1900-1983) SNCF, Cercle des Amateurs d'Art, Strasbourg, la Coupole 38 Théodore Buchhold (1885-1968) le Cercle de Strasbourg 1923, 1925 Sncf, MAA 31, 36 Salon Ind. Paris, 3e président du Cercle des Amateurs d'Art de Bachmatten Auguste Cammissar (1873-1962) Vice-président de l'Aida, MAA 1907, 13, 26, 29, 35, prof Arts Décos de 96 à 40 Charles Caspar (1886-19357) MAA, Aida depuis 1930 Charles Marie Caspar (1915-1990) Aida de 1938 à 89 Théo Claus (1892-1963) Auguste Dubois (1892-1973) Munich, Aida Léon Erny (1912-2000), employé Sncf Rodolphe Fogé (1890-1976) secrétaire administr. des musées de Strasbourg, 5e président du CAA Bachmatten 4e président du Cercle des Amateurs d'Art de Bachmatten Charles Antoine Frantz (1889-1957) MAA 1912/13/14, AAS 1920, Magmod 1922 Jacques Gachot (1885-1954) MAA 1913 > 53, Aida, groupe de Mai, dette à Van Gogh Élisabeth Haentzschel (1882-1970) portrait de Henri Bacher Lucien Haffen (1888/1968) MMA Aida 1922 > 30 1951 > 72 Luc Hueber ( 1888/1974) Munich, Paris, gr de Mai, Cézanne, MMA, Aida Armand Ingenbleck (1896-1971) AIDA 1929/30, impressionnisme Robert Kammerer (1882-1965) Mulhouse, Paris, Munich, groupe de St Nicolas, MAA, peintre de la montagne Louis Philippe Kamm (1882-1959), Arts Décos, Munich (Stück), prof, directeur Arts Déco, 25-45/53, Aida Albert Kopff (1890-1953), petits soldats Napoléon III...

René Kuder (1882-1962) MAA 12,14,49 Munich 16 fresques : Grendelbruch, Marlenheim, Ste Madeleine Paul Ledoux (1884-1960) Munich 1905/06, MAA 1908/12/14, 14/18 armée F, prof Lycée Kléber > 36, expo 47 Simon Lévy (1886-1973) Cézannien Alphonse Rodier (1891/1978) évadé de l'armée all > française MAA 29,48,50,70, mon prof à Fustel en 62 Lothaire Von Seebach, reste le plus connu...

Charles Schenkbecher (1887/1942) prof dessin de mon père, lycée Kléber, Aida, groupe de Mai, MMA 1924/31.

Charles Spindler (1865/1938), Groupe de St Léonard, marquetterie Fritz Steidle (1869/1963), Sncf, Obernai Philippe Steinmetz (Landau1900 - 1987), armée all. Arts Déco, prof de 22 à 66, AIDA, mon prof à Fustel en 63 Gustave Stoskopf 1869-1944) , Paris, Munich, 6, rue Brûlée, St Léonard, Théâtre Alsacien, AIDA, etc.

Albert Thomas (1892/1960), Cézannien Paul Welsch (1889-1954) gr St Nicolas, Mai, Orangerie, MAA 24/25, 48/53, Cézannien René Wissenmeyer (1912/1970), prof de lettres, d'allemand, de dessin, AIDA Lucien Wolff (1993/1975) électricité de Stbg, 4e président du Cercle des Amateurs d'Art de Bachmatten

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Paysages et auteurs choisis

Charles Schenkbecher

Gustave Muller Valentin

GĂŠrard Bliekast

Lucien Binaepfel

Luc Hueber

Jacques Gachot

Charles Antoine Frantz

Robert Kammerer

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Robert Kueven

Lucien Blumer

Paysages de neige, fleurs, Cathédrales, sont les motifs les plus prisés. Lucien Haffen, en plus de peindre au couteau, était devenu un spécialiste de la neige. Auguste Cammissar se débrouille fort bien aussi. Robert Heitz est tenté par une touche plus moderne qui ressemble à du Marquet (note 11). Comment les retrouver aujourd'hui ? Chez les antiquaires, les brocanteurs, sur des sites trouvés sur Internet tel Alsace-Collection, dans des ventes aux enchères des Notaires de Strasbourg à Entzheim...

Lucien Haffen

Robert Heitz 46

Luc Hueber

Charles Marie Caspar

Cathédrales familiales Que pouvais-je trouver de Charles Caspar chez Alsace-collection ?... Et bien cette formidable Cathédrale de Strasbourg, aquarelle de grand format !

Toujours cette patience, cette application, ce travail !

On sait comme le monument occupe nos esprits, et comme il est aimé de nous les Alsaciens.

Tous les peintres dignes de ce nom l’ont pris pour motif. Charles Marie Caspar, l’a dessinée ou peinte plusieurs fois. Elles ont toutes été vendues, il ne me reste que celle vue de la Petite France. Une gouache de grande dimension : touches rapides, énergiques, justes, ce style que j’admirerai toujours sans réserve.

Je me permets de glisser sous celles du grand-père et du père, la mienne que j’ai réalisée dans l’hiver 62/63 à la fin d’un après-midi d’hiver, l’apercevant de la fenêtre de la salle de dessin du Lycée Fustel construit au pied du monument. C’était l’année du Baccalauréat. Notre professeur était alors Philippe Steinmetz qui connaissait bien mon père. Il me semble que cette peinture n’est pas mauvaise pour un jeune homme de 18 ans.

Sans y penser, j’avais peut-être gagné mes lettres de noblesse, celles qui m’auraient permis d’entrer dans le cercle des peintres Alsaciens : si la Cathédrale avait été le sujet majeur d’un examen tacite qu’ils auraient instauré...

Petit succès Je me demande encore quel genre d’émotion mon père, qui devait bien être parmi les parents des lauréats, ressentait quand je m’avançai pour recevoir les prix que la Ville de Strasbourg m’offrait, même si je n’avais eu par deux fois que des accessits, pour ces relatives réussites au Concours Général de Dessin de 62 et de 63. Pensait-il que je rejoindrais un jour le Cercle des Amateurs d’Art ou encore que j’irais exposer un jour à la Maison d’Art Alsacienne ?

Mais j’allais partir vers Paris et couper le cordon ombilical, si je puis dire, avec l'Alsace culturelle...

Une question me vient parfois à l'esprit : que serais-je devenu si j’avais choisi d’entrer aux Arts Décos de Strasbourg ?... Épouser 3 ans plus tard une Parisienne, quitter l’Alsace définitivement en 1974, a dû ruiner chez lui bien des espoirs. Heureusement, je suis toujours revenu en Alsace pour revoir mes parents tout au long de leur vie et notre amitié avec mon père en peinture ne s’est jamais atténuée.

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Cézannismes On ne peut pas ne pas parler à un moment ou à un autre du Groupe de Mai ainsi que de La Barque, ces deux mouvements qui tentèrent de sortir du sillon qui était en train de se creuser dangereusement d'une peinture alsacienne locale. Le Groupe de Mai était constitué de dix membres : Jacques Gachot (1885-1954), Balthazar Haug (1890-1965), Edouard Hirth (1885-1980), Martin Hubrecht (1892-1965), Luc Hueber (1888-1974), Louis-Philippe Kamm (1882-1959), Lisa Krugell (1893-1977), Charles Schenkbecher (1887-1942), Paul Welsch (1889-1954). À revoir aujourd'hui leurs oeuvres de plus près, ces peintres, qui choisirent Cézanne pour maître, ne semblent pas s'être attardés à ses leçons... Peut-être Kamm dont les portraits sont d'une grande solidité, ainsi que Simon Lévy (1886-1973), qui en fut l’un des deux animateurs avec BalthasarHaug.

Simon Levy : Vue sur le mont Ventoux - Huile sur toile (38 x 55 cm) - 1941

Albert Thomas (1892-1960) Membre fondateur de l’AIDA en 1923 et du Groupe de la Barque en 1930.

Certes Albert Thomas s’est détaché quelque peu de Cézanne pour une peinture plus libre, un rien expressionniste, mais il y revient sur le tard, 20 ans après, dans ce sous-bois.

- Sous-bois - 1955 - Aquarelle (détail) - 71 x 62 cm

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Aujourd'hui je place sous la nature-morte de l'oncle Fogé, la gouache " au pot de grès " que je réalisai au cours de l'été 66, alors que j'étais encore étudiant, pour être un jour professeur de dessin (page 186). J'étais déjà atteint de " Cézannisme "... Pour ce qui est de la peinture du vieux maître, j'ai toujours trouvé que les ovales du pot de grès, de même que l'arrondi du plat orange étaient faux... la bouteille de verre est extraordinaire, et si l'ovale le plus bas est juste, celui du niveau de l'eau me paraît incertain...

Mais la raison qui me porte à placer ces deux tableaux ici, n'est absolument pas d'entrer dans la comparaison. Non, l'essentiel, et c'est le plus émouvant, c'est que j'ai réalisé cette peinture à Bachmatten, aux côtés de mon père !

Oui, nous étions alors deux amis en train de peindre ce pot, ces fruits, ces légumes que nous avions composés ensemble pour une naturemorte, ein Stillleben, ein stilles Leben, et ce moment s'est inscrit définitivement dans ma mémoire.

Quant au Fogé qui paradait derrière notre dos, dans la cuisine, des voleurs l'ont un jour emporté, mais comme la chance est avec moi, je le retrouverai un jour dans quelque brocante...

La leçon de Cézanne (l'une des leçons) Comment comprendre et assimiler les recherches de notre grand maître, sans aboutir au pastiche ?

Je dois dire que j’ai couru le même danger, passionné que j‘étais de son dessin, celui aux traits répétés qui relient les formes au fond, les laissent ouvertes, ce dessin qui construit par focalisations successives, les yeux ouverts " à se faire péter la rétine ", cette pensée qui accepte les déformations qui en résultent : explosion des objets, des figures, de l'espace monoculaire et fixe des anciens. Cette honnêteté quant à la perception « en mouvement « et ce qui en résulte, a ouvert à Braque et Picasso des voies nouvelles. Eux jouèrent à tourner autour de l’objet, pour n’en garder que le plus intéressant, ce que Cézanne ne faisait pas. Ils furent ainsi poussés à la reconstruction du tableau : le sujet était alors moins le motif de départ (nature-morte, portrait, paysage) que la composition elle-même et c’est là l’une des origines de l’art abstrait.

Rodolphe Fogé, Nature morte au pot de grès

Daniel Caspar, Nature-morte à Bachmatten, 1966

J'ai dessiné dans les musées, au Louvre souvent, ne sachant pas faire autrement que de construire et de laisser les formes ouvertes...

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Moi aussi...

1/ Nous sommes à l’entrée de la Vallée de la Bruche. À côté de mon père, j’essayais d'être « moderne « en accentuant la touche. C’était peut-être une voie intéressante... Il doit me rester deux ou trois efforts de ce type.

2/ Je viens de retrouver cette petite gouache faite au-dessus de Grendelbruch, Je pourrais la dater de l'été 64 soit avant ma rencontre avec Cézanne lors de mes études parisiennes.

3/ Cette fois, nous sommes en 1966, j'ai 22 ans, je suis dans la dévotion totale à Cézanne. Et j'ai toujours été fier de cette grande gouache ainsi que de la nature-morte (page précédente), belles dans leur inachèvement, oeuvres sensibles car réalisées sur le motif à Grendelbruch et à Bachmatten aux côtés du père encore. " Dessiner c’est construire » allait devenir mon leitmotiv. Il en est un autre que je plaçais au fronton de mes salles de classes : " Nul n’entre ici s’il n’est géomètre « ou encore " L’Homme est la mesure de toute chose " de Protagoras...

Rien de bien révolutionnaire certes. En effet, ne s’agit-il pas de l’activité cérébrale la plus naturelle quand on s'adonne au dessin d’observation ?... La question qui se pose en réalité ici, est celle-ci : allais-je comme Simon Levy, Albert Thomas et d'autres rester longtemps dans l'influence de Cézanne et réaliser des oeuvres aussi proches de son style ? Ou allais-je emprunter comme tant d'autres après Braque, la voie d'un néo-cubisme et lutter, enterrer mes aptitudes au lyrisme, au baroque, ou encore à la rêverie romantique, que je sentais présentes en mon " âme alsacienne "... sans oublier un humour parfois grinçant ?

Mais le pire est encore à venir. En effet, un jour, il y bien longtemps, j'osai dessiner sur une toile peinte par mon mère en pensant la corriger, en lui faisant la leçon... Et il ne suffira pas de faire acte de contrition pour être pardonné d'un tel crime de lèse-majesté...

Car c'est aujourd'hui que l'heure est enfin venue de payer cette insolence et ce n'est pas Saint Paul Cézanne qui pourra fléchir le tribunal, ni le jury composé des peintres sus-cités bénéficiant pour l'occasion d'une réincarnation momentanée.

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Procès L'accusation : Un homme dans une barque, accompagné de son fils, ils rentrent de la pêche, c'est à Martigues dans les années 60. Oeuvre de Charles Marie Caspar, peintre connu à Strasbourg. Son 2e fils Daniel, atteint d'un goût maladif pour le dessin classique, et d'un amour sans bornes pour Cézanne, pour donner à son père une soi-disant leçon, emprunte un tableau et redessine dessus ! Quel crime !

Que pouvait apporter un tel dessin, si brutal, à la peinture heureuse et sans problèmes que pratiquait le père ?...

La défense : Le garçon a des circonstances atténuantes à cause de sa jeunesse, ou encore parce qu'il pensait faire plaisir en offrant l'oeuvre " corrigée " comme cadeau de Noël... un jeune homme sincère... pris dans une sorte de réaction " oedipienne "...

L'accusation : Ah, ne commencez pas avec de la psychanalyse de bistrot !

La défense : Oui, j'aurais aimé développer une analyse " freudienne " un peu amusante... regardez cette famille...

Déjà Charles Marie Caspar, le Fils, est conduit, quand il se met à peindre, à malmener son père, l'auteur de sages et parfaites peintures. Il lui oppose, par provocation à peine consciente, sa touche pleine de sa juvénile énergie... rivalité, et meurtre... Oui, j'aurais aimé développer une analyse " freudienne ", pour expliquer qu'il arrive la même chose à ce Daniel, d'ailleurs affublé d'un deuxième prénom, Charles...(p 205) L'accusation : Et alors, ce garçon devrait être fier d'en avoir hérité, il devrait le porter avec fierté, non ?

Son acte est inexcusable ! Le moteur de la création n'est quand même pas la contestation, la destruction !

La défense : Mais bien sûr que si... voyez donc toute l'histoire de la peinture : l'Impressionnisme par exemple, qui déjà réagissait contre l'art pompier, Van Gogh qui fut si peu conformiste, et Kandinsky, Picasso, Mondrian, Van Doesburg qui a décoré l'Aubette, Malévitch...

L'accusateur public Il faut toujours que vous étaliez votre culture, ici on est au niveau local... ça n'a rien à voir, nous suivons la plainte d'un membre de la famille...

La défense : Ah oui, qui c'est cet emmerdeur, qui croit avoir perdu un Caspar ?... Voyez-vous, je considère la pièce à conviction bien plus intéressante... pleine d'esprit. Pour ce qui est de sa valeur vénale, ce tableau est invendable : il y a une deuxième peinture au dos... (note 2).

Mais je voudrais m'adresser maintenantaux jurés : le travail que fait ce garçon en mémoire du Cercle des Amateurs d'Art, le sauve, non ? Vous n'allez tout de même pas déclencher le courroux des fantômes de Bachmatten ?..

L'accusateur public Sans vouloir être venimeux, vous avez vu la peinture de l'accusé, de ce Daniel Charles ?...

Le juge : Moi j'aime bien, une belle puissance... Allons, que décident les jurés ?

Les jurés : Laissons le peintre peindre, et l'auteur écrire : son deuxième livre semble traiter encore une fois de la peinture de son père. Vous vous souvenez ? " Charles Marie Caspar, le peintre et les motifs "... très petit succès... il se cassera bien une nouvelle fois la figure...

L'accusateur : Je crains le pire, succession d'irrévérences vis à vis de vous les anciens, et de folle prétention !...

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Le paysage au XXe siècle...

Beaucoup de nos artistes Alsaciens sont allés se former soit à Munich, soit à Berlin ou encore à Dresde.

Les " Fauves " Français (1905) y ont été vus dès 1910 et leurs peintures aux couleurs libérées ont marqué les esprits, notamment ceux des jeunes artistes réfractaires à ces Académies. Mais il semblerait que nos Alsaciens ne les aient jamais rencontrés, ni même vu leurs oeuvres. Pourtant celles de " die Brücke " (1905) circulaient dans toute l'Allemagne, et la Nouvelle association des artistes de Munich (Neue Künstlervereinigung München, 1909), le futur " Blaue Reiter " (1911) était bien vivante.

Il est possible que tout ce monde en mouvement ait été insaisissable : Kandinsky se trouvait plutôt à Murnau, et les Bleyl, Heckel, Kirchner, Nolde, Schmidt-Rottluff, étaient montés à Berlin, mais pour en sortir rapidement et s'aérer aux bords des lacs ou sur les plages de la mer Baltique. Les jeunes peintres emmenaient leurs amies, leurs modèles, dans la nature retrouvée. Ils quittaient leurs vêtements-carcans, tricotés par la société bourgeoise bien-pensante, militaire, impériale, germanique et austro-hongroise... nageaient, s'aimaient sur la plage, se mettaient à dessiner, posaient les uns pour les autres, et incarnaient ainsi, sans s'en rendre compte, " la Joie de vivre " de Matisse...

Max Pechstein, Akte im Freien, 1911

Emile Nolde, Soleil des Tropiques, 1914 (note 13)

En 1905 Emile Nolde découvre les tableaux de Vincent Van Gogh et de Paul Gauguin à l'occasion d'expositions à Berlin et à Weimar, œuvres qui vont l'influencer profondément. Il expose dès 1906, notamment à Dresde où sa peinture avec son traitement des couleurs vives en pâtes épaisses enthousiasme les artistes du groupe Die Brücke. En 1907, il rencontre à Berlin le peintre Edvard Munch.

Sa propre notoriété grandit, il s'inscrit à la Sécession berlinoise, mais ses toiles sont régulièrement refusées pour les expositions de ce groupe. Avec d'autres artistes (dont ceux de Die Brücke), il crée en réaction, la Nouvelle Sécession, dont la première exposition a lieu en 1910. Des disputes ont lieu : il est alors exclu de la Sécession dirigée par Max Lieberman, à qui l'on doit d'avoir organisé, pour la première fois en Allemagne, une exposition des œuvres de Picasso, Matisse, Braque et autres Fauves. Nolde, en cette 1ère décennie du XXe siècle, peint surtout des scènes de la vie nocturne à Berlin, qu'il caricature à la manière de Kirchner, mais en pire... Il ne commencera ses paysages si beaux, qu'à partir des années 20, après avoir quitté l'Allemagne. Les tableaux de Max Pechstein sont bien plus heureux et illustrent bien mieux le caractère hédoniste de la quête des jeunes peintres du mouvement expressionniste allemand. On ne peut pas ne pas penser à Matisse. Kandinsky expose dans Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier, qui paraît fin 1911, sa vision de l’art dont la véritable mission est d’ordre spirituel, ainsi que sa théorie de l’effet psychologique des couleurs sur l’âme humaine. La couleur peut être utilisée dans la peinture comme une réalité autonome et indépendante de la description visuelle d’un objet. Elle ne représente rien d'autre que des formes et des couleurs libérées de la « figure », de la « représentation ».

Cette liberté des formes tend à provoquer des émotions, des sentiments par le jeu de la composition, des harmonies colorées, des équilibres, des masses et du mouvement.

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Kandinsky, Composition IV, 1911 (note 14)

Je relève que peu de peintres Alsaciens ont pratiqué en ces années, ce genre de peinture : le Nu dans le Paysage est pour moi la figuration d'un paradis perdu... Et peu d'artistes de chez nous, ont osé la couleur comme eux. Quand je pense aux aquarelles de Matisse et de Nolde !...

Les Achener, Adrian, Beeke, Binaepfel, Breitwieser, Brischle, Dubois, sont allés à Munich pour s'y former, puis à Paris, d'où ils reviennent majoritairement séduits par l'Impressionnisme... Les Gachot, Haffen, Hueber, Kamm, Kuder, en reviennent, eux, marqués par Van Gogh, Braunagel et Ledoux par Lautrec... Quelques-uns par Cézanne.

Ce goût pour la peinture française viendrait-il d'un sentiment souterrain et exacerbé d'amour pour la patrie perdue ? Les Allemands devenant en ces temps-là particulièrement durs, interdisant l'usage du français, il est normal que les Alsaciens se soient progressivement tournés vers la France, tout en étant préoccupés par leur chère province et ses spécificités culturelles. Les deux guerres qui allaient suivre l'Allemand étant l'agresseur - faciliteront leur choix...

Nous savons comment a évolué l'Art " Français " mais c'est à se demander si quelques éclats sont parvenus jusqu'à Strasbourg ou Mulhouse. Oublions l'Allemagne, Kandinsky et Klee au Bauhaus, ou la " Neue Sachlichkeit " des Groß et Beckmann, laissons de côté Moscou et ses géants qui y travaillaient, Kandinsky qui y était revenu, Tatline et Malévitch... Limitons-nous à la France, tout en jetant un coup d'oeil en Suisse d'où la lumière aurait pu venir également des Dadas de Zürich, de Jean Arp l'Alsacien et de Cologne, d'Ernst, les deux voyageurs qui vont séduire le Paris des années 20, celui de Breton et d'Eluard notamment. Le Manifeste du Surréalisme est de 1924. A-t-il intéressé quiconque à Strasbourg ? Picasso défrayait la chronique... l'invention du Cubisme a déclenché des expériences plastiques dans toute l'Europe : le Cubo-Futurime russe, le Futurisme italien. Il passionne Mondrian et Van Doesburg qui viennent au coeur de Strasbourg : quel est l'impact de l'Aubette sur l'intelligentsia artistique alsacienne ? Je ne peux oublier, dans cette liste, le pionnier qu'a été Hans Hartung, qui inventait dès 1927 l'écriture gestuelle, reprenant la ligne libre de Kandìnsky et Klee. Et je veux rappeler que cet homme viendra, Allemand, comme soldat et légionnaire dans l'armée française, combattre pour délivrer l'Alsace début 45 et qu'il y perdra une jambe à Belfort...

Le Surréalisme s'est développé en Espagne avec Dali et Miro et aux États-Unis avec Gottlieb, Motherwell et Pollock. Les mouvements d'après 45 ont pour nom, Art Brut, Abstraction lyrique, Cobra, Pop'Art, Nouveau´Réalisme, etc... Donc Paris, capitale de la culture, ses puissants phares dont les éclats auraient dû arriver jusqu'à nous et nous subjuguer, nous les peintres perdus dans notre lointaine Alsace... Hélas beaucoup d'entre nous se sont réfugiés dans un art régional...

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Pendant ce temps, Charles Caspar

Le Pont des Pêcheurs à Strasbourg est époustouflant de rigueur, les traits tellement disciplinés s’apparentent à ceux des graveurs. Voilà un style intéressant et une voie ouverte qui lui aurait peutêtre permis d’être très vite reconnu. Mais Charles Caspar est captivé par ses promenades dans les villages, ceux accrochés aux contreforts des Vosges. Rosheim, Obernai, Boersch, ou Urmatt, Lutzelhouse, qui sont desservis par le train. Et un jour, il montera avec des amis jusqu'à Grendelbruch...

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6 L'Idée Vous êtes dans la nature: tu es assis. Le dessin est de 1921. Il est signé. Serait-ce Henri Bacher, une célébrité de ces temps ? Le H et le B pourraient correspondre.

La fin du nom signé est incertaine. J’ai trouvé parmi tes dessins, des portraits et des paysages de ce dessinateur, sans doute de petits cadeaux amicaux, fraternels. Votre amitié aurait très bien pu naître dans les tranchées lors de la Grande Guerre, enrôlés que vous étiez dans l’armée allemande. Ces liens forts ont fait que vous alliez souvent ensemble vous promener dans les Vosges.

Qui est l’homme debout ?

Une photographie montre le même homme en train de peindre dans son appartement… André Seidel ?

S’il était dans l’un des albums photo, c’est qu’il était un ami important. De lui, il nous reste de beaux dessins.

Est-ce lors de ces promenades que vous rêviez d’un lieu où vos amis peintres pourraient se retrouver ?

Vous connaissiez les Spindler, Laugel, Braunagel, Camissar, bien sûr Schnug, Loux, au moins de nom…

Tu as peint un jour le magnifique puits gothique de Boersch. L’Alsace ancienne, les villages, leurs portestours sont déjà tes motifs préférés.

Mais ce jour là, après avoir déjeuné à la Fischhüttte, vous êtes montés tous les trois à Grendelbruch, avec l’idée de gagner ensuite Lutzelhouse afin de reprendre le train du soir pour rentrer à Strasbourg… Après avoir fait une rapide aquarelle d’une des jolies fontaines du village perché (page 95), vous prenez le chemin vers Muhlbach. Il est bien indiqué sur votre carte d’ÉtatMajor. Il y a deux maisons au milieu du vallon de Bachmatten, c’est tout, des prés, des ruisseaux, et la forêt toute proche.

Quel calme ! Vous vous asseyez, vous sortez vos carnets de croquis… « Comme nous serions bien ici, dans ce coin tranquille! J’ai une idée : nous pourrions récupérer l’une de ces baraques mises aux enchères, vous savez ? Et nous installer ici… Ça serait vraiment formidable ! Nous pourrions en parler au Cercle des Amateurs d’Art de Strasbourg, lors d’une prochaine réunion… «

Ils descendent tout en regardant bien autour d’eux, décelant déjà les mille et un motifs de leurs futurs tableaux vers Lutzelhouse, rieurs, et parfois à cloche-pied tels des enfants heureux.

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Au pied de la montagne

Ne serait-il pas intÊressant de pouvoir retrouver cette maison et de reconnaitre les sommets dessinÊs en arrière-plan ?...

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Les Amateurs Oui, à quel moment l’idée de venir peindre et rester plusieurs jours dans les Vosges, vous est-elle venue ?

Quels étaient les amis qui pouvaient partager ce rêve, d’un lieu de séjour dans le paysage ? Et comment avez-vous trouvé la « baraque « et pourquoi avoir choisi Bachmatten ?

Vous faisiez partie du Cercle des Amateurs d'Art de Strasbourg, votre horizon était la campagne proche : vous alliez peindre du côté de la Robertsau, le village des maraîchers. En y allant avec vos chevalets, vous dépassiez l'Orangerie, et à main droite, le port, les bassins aux grues tournantes au-dessus des péniches, les cuves à pétrole ne sont pas loin, il faut aller plus haut pour retrouver l'Ill qui va se jeter dans le Rhin. Ces promenades dans le Ried, nous les avons faites nous aussi et à votre suite, à bicyclette.

Pour ce qui est des motifs, il suffit d'aimer les arbres, les reflets dans l'eau. On pouvait aussi se baigner, faire des croquis des amies qui s'étaient déshabillées pour nous. Mais l'impression trouble que j'avais à l'époque de mon adolescence, celle d'un labyrinthe un peu inquiétant, venait de mes lectures de poèmes allemands, dans lesquels les pêcheurs se noyaient régulièrement, entrainés par des ondines... La peur d'être ensorcelés nous faisait revenir à la maison assez vite, heureusement nous avions pris nos repères à l'aller, nous restions calmes, moi et ma copine, sachant que nous ne pouvions pas vraiment nous perdre, le Rhin étant toujours à notre gauche quand nous regardions au sud, cherchant la flèche de la Cathédrale, toujours visible au détour des chemins. Dans les lointains, les masses bleutées de la Forêt Noire et des Vosges.

Donc Bachmatten Qu’est-ce qui a motivé Johan Büchel, Théodore Buchhold, Charles Caspar, Theodore Clauss, Edouard Cunrath et Edouard Kopff, Paul Leipp, Gaston Sohm, Karl Spack, Fritz Steidle et Lucien Wolff pour qu'ils se lancent dans une telle aventure ?

Leur amitié a donc été assez forte pour que l’idée d’aller dans les Vosges pour y peindre ensemble, prenne forme. Et pourquoi pas d'y séjourner, au moins le samedi et le dimanche ? Ils n'étaient pas pionniers en la matière ? C'est certainement le Club Vosgien, fondé depuis longtemps à Saverne, il y avait bien une quarantaine d'années, qui leur a servi d'exemple. Certains d'entre eux en faisaient peut-être partie. (note 15) Comment trouvèrent-ils la " baraque " ? Sans doute dans les petites annonces des Dernières Nouvelles d'Alsace... Ce qui retient l'attention, c'est qu'elle se trouvait à Muhlbach, mais dans le Haut-Rhin au fond de la vallée de Munster, sous le Gachney, juste avant Metzeral... S'agissait-il d'un baraquement militaire allemand ? Les lignes du front des années 14/18 ne passaient pas très loin... Le maire voulait sans doute s'en débarrasser pour oublier cette funeste période, et qu'elle atterrisse à Muhlbach dans le Bas-Rhin, a dû en amuser plus d'un... Il a fallu y aller, vérifier son état, entamer les pourparlers, se décider. La trouvaient-ils belle ? Probablement pas, avec ses planches brutes, mais déjà on pensait à la rendre accueillante. Que pouvaient représenter 1000 Francs pour chacun des membres de l'association de ces amateurs, la plupart du temps petits salariés ?

Rebâtir au printemps 1928 ce chalet, cette baraque, la Hutte, " d'Hett ", a semble-t-il enthousiasmé tout le monde. Voulait-on vivre les mêmes aventures intellectuelles, picturales et poétiques que les Spindler, les Stoskopff ?... Le joli village de Boersch, voisin de St Léonard, n'est-il pas juste sous Grendelbruch ? Que Charles Caspar ait peint son si beau puits en pensant à Charles Spindler, n'est sans doute pas anodin. Il est normal que ces artistes de la génération précédente soient devenus des modèles : leur rôle dans la fondation de la Maison d'Art Alsacien, ainsi que dans celle du Théâtre Alsacien, ne pouvait que susciter l'admiration de tous.

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Les statuts Voici donc le document historique.

Un papier jauni par le temps.

2 feuilles assemblées par une aiguille.

2 tampons, l'un, celui de la taxe d'un montant de 3 F et 60 centimes, l'autre, violet, du Tribunal Cantonal de Strasbourg.

XXVI Articles !

C'est dire le long travail préparatoire et en même temps l'importance de leur rêve.

Il fallait pour eux que les fondements soient solides.

Remarques : la " Section touristique " est une émanation du Cercle des Amateurs d'Art de Strasbourg. Elle sera indépendante de l'association mère. Art I & II. Quelques articles concernent la morale : Art. VII, IX, XIX, XXII et XXV. Art. VIII : le membre démissionnaire perd ses droits. Cet article sera remis en question en 1947, quand la règle sera la restitution des 1000 F engagés par le membre, s'il est fondateur.

Dissolution : Art. XIV : en cas de dissolution 5 membres sont nommés, ils ont tous pouvoirs.

At. XXIV : l'AG extraordinaire ayant décidé de la dissolution, désigne entre quelles mains la fortune de la section dissoute devra passer.

Je ne sais si nous en sommes là aujourd'hui.

Nous avons, des membres de notre famille, Sonia et Jean Marc Paulen, Patrice Delarbre, des amis et moi-même en refondant l'association fin 2015, retardé, l'échéance.

En attendant ce jour difficile, laissons-nous emporter par notre récit " documentaire " , revenons à cette époque et rappelons-nous des noms de ces 7 personnes qui ont, par leur signature, déclenché cette étonnante histoire : Édouard Cunrath, Théodore Claus, Émile Lutz, Théodore Buchhold, Frédéric Steidlé, Rodolphe Kloes et Lucien Wolff. Étaient également présents, puisque l'on découvre leurs signatures au dos d'un double de ces statuts : Frédéric Branig et Gaston Sohm.

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L’historique année 1928 15 février : Messieurs Branig et Sohm rencontrent le maire de Muhlbach (Haut-Rhin, canton de Munster) au sujet de l’achat d’une « Baraque » 22 février : édition des statuts de la section touristique du Cercle des Amateurs d’Art 23 février 1928 : M. Branig, Président du Cercle des Amateurs d’Art de Strasbourg envoie le courrier au Maire de Muhlbach (Haut-Rhin), contenant la décision d’acheter la « baraque » n° 28 au prix de 1200 Fr. 1er mars 1928 : le Maire de Muhlbach au Cercle des Amateurs d’Art de Strasbourg, confirme le prix de la « baraque » n° 28. Les 1200 Francs seront encaissés par le percepteur de Munster. (notes 16 et 17) 2 mars : Copie du Cadastre, 3 mars : 1er acompte pour l’achat du terrain de 1000 Fr. 12 mars 1928 : courrier de Charles Barassi, entreprise de construction à Muhlbach (Haut-Rhin) à Théodore Buchhold 68, bd Clemenceau à Strasbourg, Trésorier : frais de démolition d’une baraque, réponse à la demande de réduction du Président de la Section Touristique du Cercle des Amateurs d’Art de Strasbourg .

12 mars : démontage de la Baraque, 15 Fr sans les tuiles, payés le 22 mars 17 mars : transport : 31 mars : livraison de planches et de lattes par l’entreprise Frémiot de Wisches, Du 6 au 14 avril : montage et petit matériel, entreprise Frei de Lutzelhouse 20 avril : facture de la reconstruction, 9 juillet 1928 : 2e versement pour l'achat du terrain 20 juillet 1929 : Cadastre : 22 mai : M° Girardin, Notaire à Rosheim (vente de terrain Vve Brand) : 26 juillet 1930 : Witmer, notaire Strasbourg : 19 avril 1931 : Reprise de la toiture, entreprise Stiegelmann- Strasbourg :

226,65 Fr en pourboires 493,40 Fr 356,75 Fr 1 000 Fr 10 Fr 201,90 Fr 209 Fr 1 650,64 Fr

Total : 6 348,34 Francs

Début de chantier. Les ouvriers sont ceux de l'entreprise Frei de Lutzelhouse. Mais assis au milieu des ouvriers, l'un des peintres. Les hommes du Cercle des Artistes ont donné de sérieux coups de main. Nous sommes au mois d'avril 1928. Il va falloir d'abord creuser les fondations des trois murs porteurs. Ici, et c'est intéressant, on va pouvoir trouver les pierres sur place : il y en a pas mal en bas de l'autre côté du chemin : de grands rochers stratifiés émergent de l'autre versant, ils devraient être faciles à débiter...

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Plan, élévation

Voici le plan et l'élévation, esquisses orientées, pour l'édification de la " baraque d'habitation " aux Bachmatten pour le Cercle des Amateurs d'Art de Strasbourg. Quelle émouvante relique que cet ensemble réalisé à l'encre de chine et colorié par quelques teintes posées au pinceau ! L'usage de la règle a été nécessaire bien sûr pour représenter correctement les éléments de la charpente ainsi que pour placer les cotes. Les textes sont écrits à la main sur des portées du papier millimétré et de multiples détails sont dessinés à main levée. 2 cheminées, destinées à un poêle cylindrique pour chacune des chambres, encadrent la cuisine. Elles doivent recevoir également les tuyaux provenant des 2 cuisinières. Il n'y a jamais eu 2 cheminées ni 2 cuisinières, il suffit d'aller le vérifier un peu plus loin. L'élévation présente la maison avec des fenêtres sur les côtés, ce qui ne correspond pas à la réalité dans l'une ou l'autre photographie. Par contre la manière de poser le chalet sur des piliers adaptés à la pente et les poutres maîtresses est entrevue comme l'une des solutions possible, mais c'est un mur plein qui sera édifié. Il s'agit donc d'un dessin de quelqu'un intéressé par l'architecture, qui cherchait les solutions, une projection, belle d'ailleurs, une trace historique, une oeuvre à encadrer.

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Bachmatten

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Écouter, lire Dans nos mains, ces photographies qui nous aident à remonter le temps, si nous les regardons suffisamment, avec un peu d'imagina(c)tion, elles se mettent en mouvement : mais oui celles de la reconstruction de la « baraque » sous nos yeux viennent de s'animer...

Ici, les ouvriers déplacent et entassent des pierres pour monter deux murs de soutènement car il leur faut compenser la pente de la colline afin atteindre à une horizontale convenable, là ils positionnent les trois poutres maîtresses qui vont recevoir le plancher… les bras, les torses se couvrent de sueur, le vallon résonne de coups de maillets, j'entends des rires et quelques jurons bien sentis... Oui sous mes yeux le Cercle des Amateurs d’Art de Strasbourg - section touristique s’installe.

Un peu plus bas la famille Schwaller s’inquiète... tout ce bruit... fini le calme : " Une véritable invasion ! Ces gens de la ville et leur allure ridicule avec leurs casquettes, pantalons de golf, culottes de cheval qui défilent devant chez nous....

Pourquoi pas un casque colonial tant qu’on y est ? Se croient-ils en pays conquis ?

Il y en a même qu’on entend « yodler » comme en Autriche…

En plus ce sont des peintres !

Et ils nous tournent autour… N’ont-ils jamais vu de vaches, de poules, une ferme ? Attendez, vous allez voir, ils vont bien venir nous acheter du lait, des oeufs, du beurre, de la bière, du miel…

Il y a plein d’enfants… On pourra peut-être bientôt refaire la toiture… ou changer le tracteur…

Enfin... ces gens sont courageux. Quand on les voit arriver de Lutzelhouse avec tout le barda, et les marmots… Je me demande s’ils boivent l’eau du ruisseau… j’espère qu’ils la font bouillir, je ne vais plus pouvoir laisser les animaux paître au-dessus de chez eux…"

Voyez cette image de l'inauguration ! Voici les fondateurs, leurs épouses et leurs enfants. Ils ont l'immense bonheur de poser avec fierté devant leur nouvelle maison. Le rêve est en train de se réaliser. Ils vont pouvoir selon leur envie et en s'organisant un peu, monter au chalet, s'y abriter, y passer du bon temps avec les amis peintres et même en famille. Voilà monté un joli pied à terre, certes fort simple, un abri de planches, deux chambres de part et d'autre de l'espace central de la cuisine, les outils dans la banquette. Il faudra un buffet pour la vaisselle, un poêle à bois pour se chauffer en fin de saison. Tout est en place pour le bonheur.

Il nous reste la police d'assurance de cette année 1928 où est indiqué qu'il y avait 14 lits, une cuisinière, 2 poêles, soit un par chambre, de la vaisselle, une table, des chaises... ( poèmes p 195 A Matratze'gschicht et 196 Der Alt'Herd, in Memoriam ) 62

Dans cette photographie, c'est le terre-plein, dégagé devant la maison, devenu terrasse qui m'impressionne parce qu'il nous laisse deviner l'ampleur du travail réalisé. On peut bien y poser avec fierté. On ne se lasse pas de s'y faire photographier au soleil, en pleine nature : arbres et bosquets sont là tout près, il suffit de reculer et se placer derrière les buissons. Vivement que nous allions dessiner et peindre dans ce si bel endroit ! Des motifs, il y en a partout, les prairies, les arbres, les sous-bois, les montagnes si bleues alentour, marcher, monter, descendre, aller d'une découverte à l'autre, quelle belle idée nous avons eue là !

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Qui sont-ils ?

La photo est floue, mais, reconnaissable entre tous, Charles Caspar, notre Grand-Père, est l’homme au chapeau. Le jeune homme longiligne à droite, c’est son fils. Il semblerait que le groupe soit assez haut au-dessus du vallon, au bord d’une route de terre bien dessinée. C’est la route de Schirmeck pas bien loin du croisement avec celle qui vient de Muhlbach. Derrière eux, à vérifier, le Grossmann, le Rocher de Mutzig, les Katzenberg, et encore au-delà, les Baerenberg et Umwurf... monts dont les hauteurs dépassent 900 m.

Le peintre, Grand-Père donc, quand il réalise cette aquarelle, s’est placé dans le même axe que le photographe, les montagnes sont reconnaissables. Mais il est plus haut, certainement dans le sentier qui monte de ce carrefour vers le Falkenstein. Il descendra tout à l'heure la montrer à ces dames qui l'attendent au chalet. Son fils, Charles Marie, dessine-t-il à ses côtés ?

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Ils posent pour l'éternité au-dessus du chalet sur la route de terre montant de Muhlbach à Grendelbruch.

C'est un village joliment perché comme sur un col, sous le Haneberi, le Hohbuel, le Schwarzkopf...

Nous reconnaissons la famille Caspar. Mais qui sont les autres ?

Mais soudain, à y regarder de plus près, on aperçoit des maisons en arrière plan : l'une derrière les têtes de Marie Jeanne et de Charles Marie, et une deuxième contre le bras droit de Charles !

Or il n'y a pas de maisons à droite en montant et placées ainsi dans la pente. Il y en a bien deux, celle des Schwaller et celle de leurs voisins d'en face... mais pas dans cette configuration...

Cette photographie aurait-elle été développée à l'envers ? Je n'y crois pas... vérifions-le tout de même avec nos moyens modernes et par retournement horizontal...

Mais oui, c'est ça ! Il s'agit de la ferme Schwaller qui est bien en contrebas à droite, et de la maison, située de l'autre côté de la route derrière Charles Marie.

Cette fois la pente est dans le bon sens. Le poteau électrique aurait dû me mettre la puce à l'oreille...

Incroyable, un photographe qui développe des négatifs à l'envers !...

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Ambiance

Illustration de Charles Caspar père

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Que tu boives de la bière ou du schnaps ou un verre de vin il y a toujours des gens qui sont jaloux que tu bavardes intelligemment ou qu'aussi bêtement tu causes quoique tu fasses c'est fait de travers.

L'Ode à Bachmatten Mais voilà qui va nous permettre mieux encore de remonter le temps, jusqu'à l’extraordinaire année 1928. Charles Caspar est l’un des importants membres fondateurs. Il peint, écrit, c'est le Secrétaire de l’association. Il le restera toute sa vie. Son texte qu'il lit pour le 1er anniversaire de la fondation, nous aide à saisir l'atmosphère et découvrir quelques pittoresques personnages.

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Notre Hutte.

Aux membres de la Section touristique du Cercle des Amateurs d’art, poème dédié au premier anniversaire de l’édification de leur refuge des Vosges

Was isch's wo uns so zammehalt im Cercle, grad wie Klette ?

Was isch’s von dem am Stammtisch als m’r meischtens nur duet redde ? was hett uns denn zue echte Frind so plöetzlich zamme g'schmid’t ?

Was fröejsch, s’isch unser Molerhüss, unsri Vogesehuett.

Qu’est-ce qui nous tient ainsi ensemble au Cercle, tels les maillons d'une chaîne?

De quoi lors de nos réunions parlait-on le plus souvent ? qu’est-ce qui a forgé si rapidement de si belles amitiés?

Quelles questions, c’est notre maison des peintres, notre chalet des Vosges.

E Hiesel, s'isch nit arig gross, doch sicher deschto netter leijt's drowe uff de Bachmatte un trutzt in jedem Wetter.

Durch harti Arweit, Fliss und gueter Wille, isch’s entstande, im ganze Tal isch sicherlich ken zweits eso vorhande.

Witt's emol sehn ? geh’sch mit ich due dich fiehre, hisch allwil guet uffgenumme, de bruch'sch dich nit geniere.

Une maison, elle n’est pas très grande, pour cela encore plus jolie, elle est posée là-haut à Bachmatten et protège par tous les temps.

Par un dur travail, de l'application et de la bonne volonté, elle fut dressée, et dans toute la vallée il n’est certainement rien d’analogue.

Veux-tu la voir ? viens avec moi, je vais te conduire tu es bien accompagné, tu n'as pas à t'inquiéter.

Jetzt uffgebasst un nit gelacht, ich will dir émol verzähle was unseri Hüett so heimelig macht.

Maintenant attention et on ne rit pas, je vais te raconter ce qui rend notre Hutte si accueillante.

Bevor dass d'nuff gehsch kehr’sch noch in, geh'sch uffe Sprung zuem Schwaller nin un trinksch e Schoppel von sim Gäle, er hett au Bier, brüch’sch nur ze wähle.

Jezt schnell bezahlt, krejsch Muenz erüs ?

Adje bisamme, jetz nuff uff's Hüss.

Avant que tu ne montes, entre ici, fais un saut chez Schwaller et bois une chopine de son «jaune» (blanc), il a aussi de la bière, il te suffit de choisir.

Maintenant paie vite, on te rend la monnaie ?

Adieu tout le monde, montons vers la maison.

Küm bisch paar Schritt de Berri nuff, do fallt ganz plözlich dir ebs uff, Dort drunte hörsch so ebs wie Stimme iwer d’r Heck e paar roti Ziegel glimme, jetz noch e paar Scritt links iwer d’MattDo leijt’s jo in sim Sunntaa-Staat !

Mit griene Läde, blancke Schiewe, m’r möcht vor Freide d’Händ sich riewe.

À peine quelques pas vers la montagne, tu aperçois tout à coup quelque chose, Là en contre-bas, tu entends comme des voix par-dessus la haie quelques tuiles rouges luisent, encore quelques pas à gauche à travers le pré : Elle est là dans ses habits du dimanche !

Avec des volets verts, et l'éclat des fenêtres.

On a envie de se frotter les mains de plaisir.

Sin rot Dach glänzt im Sonneshin, draimt in de blöje Himmel nin im Hintergrund d’r Wald so schoen, wo inlad zum Spatzierengehn.

Un vor’m Hiesel e lustigs Läwe,

Son toit rouge brille dans les rayons du soleil, rêve vers le bleu du ciel, à l’arrière plan la forêt si belle, qui invite à la promenade.

Et devant la petite maison, bien de la vie

Unsri Hüett.

De membres von d’r Section touristique du Cercle des Amateurs d’art gewidmet zuem einjährige B’stehn von ihrem Vogese-Refuge

d’Hüettewart duet de Ton angawe : er sorigt dass alles klippt und klappt. und keiner uff’s Nochbers Matte dappt.

Dort wurd gekärtelt uff’m freie Platz im Eck schlooft einer wie e Ratz d’r Romain brüelt as wie nit g’schejt : « D’r Jean-Jean isch ins Bächel keijt ! « Sin Mama schnell ne rüss duet hole Un kräftig ihm de Arm abwäsche.

Le gardien du chalet donne le ton : il s’assure que tout soit tip-top et qu’aucun sur le pré du voisin ne marche.

Là on bat les cartes dans la libre place dans le coin l’un dort comme un loir, le Romain hurle de manière insensée : « Jean-Jean est tombé dans le ruisseau ! « Sa maman le sort vite de là Et énergiquement lui lave le bras.

Dr Branig isch vertieft ins Mole d’rwil d’r Fritz duet d’Litt verkohle d’r Theo stosst e Jodler üss un saat : gehn numme nin ins Hüss !

Jetz geh nur nin, brüch’sch nix ze zahle d’Ma’m Branig duet grad Kaffee mahle) D'’Ma’m Steidl dir entgeje lächelt, Im Kar e saft’ger Brote krächelt, d’nave duet e Süeppel brodle, D’r dampf der duet am Rohr nuff grodle.

Branig est plongé dans la peinture pendant que Fritz dessine les gens au fusain le Théo pousse un Jodel et dit : entrez donc dans la maison !

Maintenant entre donc, pas besoin de payer Maman Branig justement moud du café Maman Steidle te fait un sourire, Dans la casserole un juteux rôti crépite, à côté une petite soupe s’agite, La fumée grimpe le long du tuyau.

Betracht nur jetz die Kichel, sieh’sch wie alles nett un proper isch ?

Von einem bis an’s ander End ken Leckele wo störe kennt.

Geh’sch d’Düere nin zue beide Sitte ze sieh’sch do wohne bravi Litte wo d’Ordnung liewe un d’Moral.

O glaub nit, Frind, dass ich nur prahl !

Un was do alles isch ze sehn dät wajjer uff ken Kuehhüttt geh’n.

Admire maintenant la cuisine, vois-tu comme tout est joli et propre ?

D’un bout à l’autre pas une petite tache qui pourrait déranger.

Passe les portes, de chaque côté tu vois que là habitent de braves gens qui aiment l’ordre et la morale.

O ne crois pas, ami, que je me vante !

E tout ce que l’on peut voir ne pourrait aller avec une étable pour les vaches.

E Stubb füer Herre, e Stubb füer Dame, Bilder mit un ohne Rahme, Sprungfeddersommiers in de Better, e eichener Tisch üss Tannebretter, e naguelneuer Kicheherd wo sicher toïsig Francke wert, e Wasserstaan üss Backstaan-Ziejel, dert hängt sogar e g’fitzter Spiejel, Kohleeimer, Kichekenster, karrierti Vorhäng an de Fenschter dann Suppehäfe un Gamelle wo jede Daa gebutzt sin welle, au Kaffeeshissle, Eierpfanne, ganzi Teller, Milichkanne, e Ühr wo dir duet d’Zitt ansawe, Do lüesjsch wenn sie duet 13 schlawe, E ganz halbdutzed Petrolample Duen am e Droht vom Plafond bamble, dann Schämel, Stüehl un Kiirwisschbäse, e Hüffe Zittonge wenn d’witt läse,, un schunsch noch Saches, diss un zell, es fehlt nur noch e Waldcapell (W.C.).

Une chambre pour Hommes, une chambre pour Dames, Des tableaux avec ou sans cadres, Sommiers à ressorts-sauteurs dans les lits, une table de chêne en planches de sapin, une cuisinière comme " un clou (sou) neuf ", qui vaut bien mille francs, Un évier en grès, là est même accroché un chouette miroir, Seau à charbon, buffet de cuisine, des rideaux à carreaux aux fenêtres puis des soupières et gamelles qui chaque jour sont nettoyées, aussi des tasses à café, des poêles à oeufs,,, des assiettes intactes, des pots au lait, Une horloge qui te propose l’heure, Là tu t’étonnes quand elle sonne13 fois, Une demi-douzaine de lampes à pétrole Au bout d’un fil de fer au plafond balancent, tabourets, chaises et balais-brosses, Un tas de journaux quand tu veux lire, sinon encore des choses, ceci et cela, il ne manque plus qu’une chapelle de forêt (W.C.) 69

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Kannsch anne lüeje wo de witt, Gemüetlischkeit uff Schritt un Tritt, do siehsch nur liewi frohi G’sichter, do isch kenn Platz for falsch Gelichter do isch m’r frei un offe gejenand, gehn Lieb un Frindschaft Hand in Hand, do kannsch dich verwille, dich amüsiere, do howe duesch kenn Sorje g’spiere.

Tu peux regarder où tu veux, Bien-être en chaque recoin et à chaque pas, là tu ne vois que de chers et heureux visages, lci il n’y a pas de place pour des individus douteux là on est libre et ouvert les uns envers les autres, Amour et amitié vont main dans la main, ici tu peux passer du temps, t’amuser, ici, en haut, tu ne ressens pas de soucis.

S’wurd langsam Oowe, d’Sunn isch am Sinke, vom Falkestaan duet Nacht schun winke, kenn Lüeftel riehrt sich in de Baam un d’Vöjele gehn langsam haam, e jedes het sin Neschtel g’funde in de Heckke dort am Bächel drunte.

Vient doucement le soir, le soleil va se couchant, du Rocher du Faucon la nuit déjà salue, pas un souffle ne remue dans les arbres et les petits oiseaux rentrent lentement chez eux, et chacun a retrouvé son nid dans les buissons là-bas au ruisseau.

Doch owe ind’r grosse Tann Do höersch ebs büschbre dannetwann, Frau Nachtigall duett sich gereije, Will uns mit ihrem G’sang erfreije.

Langsam wurd’s Nacht, am Himmel e paar Sternle zinde, Do duet sich alles vorm Hiesel zammefinde ; Es isch ze früehj zuem Schlofegehn Und d’Nächt do howe sin einzig schöen !

Pourtant là-haut dans le grand sapin Tu entends quelque chose frétiller, Dame rossignol(e) s’émeut Veut de son chant nous réjouir.

Lentement il se fait nuit, dans le ciel quelques étoiles s’allument, Là tous devant la maisonnette ensemble se retrouvent ; il est trop tôt pour aller dormir Et les nuits là-haut sont uniques et belles !

Jetzt wurd verzählt un Witz gemacht s’isch alles luschtig, m’r singt, m’r lacht, d’r Fritzel freijt sich wie e kleiner Bue durch Tannenäscht luejt neijgierig’s Eichhäsel zu, Doch still jetz, hoersch wie’s schluchzt un grint un jübelt, hoersch’s min liewer Frind ?

S'isch d’Nachtigall wo in de Baime singt un im Himmelebabbe e Ständel bringt.

Sie singt e Lied von Luscht un Weh von Lieb und Leid und schunsch noch meh. un s’klingt so süess, so fin, so g’schlaacht wie Geijemusik ! O herrlichi Nacht !

So Müsik duet eine himmmehoch traue !

C’est maintenant que l’on raconte et plaisante tout est joyeux, on chante, on rit, Friztel se réjouit comme un petit garçon au travers des branches du sapin le petit écureuil, observe.

Mais silence, écoute comme ça pouffe et ricane et jubile, l’entends-tu cher ami ?

C’est le rossignol qui dans les arbres chante Et qui au Père du ciel une aubade donne.

Il chante un chant de joie et de douleur d’amour et de peine et bien des choses encore; cela sonne si doux, si fin, si sonore comme la musique du violon ! O magnifique nuit !

Une telle musique emporte à hauteur de ciel !

In Muehlbach hoert m’r elfi schlaaue, im Tal verlescht ein Liecht um’s ander.

M’r saat sich still : guet Nacht binander; e jed’s küscht schnell ins Bett sich nin un schlooft langsam glüecklich in.

Un drunte gluckst’ Bächel, es rüscht in de Baim, wie schlooft sich’s so guet im eijene Heim ! -

À Muhlbach on entend sonner onze heures, dans la vallée s’éteint une lumière après l’autre.

On se dit doucement : bonne nuit tout le monde, et chacun se couche et entre vite dans le lit et s’endort lentement heureux. Et en-bas gargouille le ruisseau, cela chuchote dans les arbres, comme le sommeil est bon en sa propre demeure !

Ringsum wurd’s still, d’Liechter sin üss, E tiefer Fridde leijt üewerem Hüss.

Grad steijt d’r Mond üewer’m Berriwald in d’Höeh un schint uff drei G’stalte wo uff d’r Matt drowe stehn.

Alentour il se fait silence, les lumières éteintes, Un profond silence règne sur la maison. À l’instant, la lune grimpe haut au-dessus de la forêt de montagne et éclaire trois silhouettes. debout là-haut sur la prairie

Sie büschbre noch lang un ganz ernscht mitenand un endlich gänn sich alli drei d’Hand; s’hett Muehij koscht, saat d’r Théo, un Üssdür, ich weiss, un viel gueter Wille, un manch Tröepfel Schweiss.

Ils chuchotent encore longtemps et bien sérieusement et enfin se donnent tous trois la main; cela nous a coûté de la peine, dit Théo, et d’efforts, je sais, et beaucoup de bonne volonté, et bien des gouttelettes de sueur.

Doch jetzt sin m'r so witt, 's gröebscht isch üewer Wunde, m'r han e Hiesel, diss isch d'Hauptsach, nit um schunsch han mir uns g'schunde.

D'r Fritzel rueft freijdig : Kann's ebs schöeners denn gäwe !

G'sundheit Kamerade, unsri Hüett soll läwe !

Mais maintenant nous y sommes, le plus dur est derrière les blessures, nous avons une petite maison, c’est l’essentiel, nous ne nous sommes pas échinés pour rien.

Le Fritzel à haute voix, heureux : N’y-a-t-il rien de plus beau ! À vos santés camarades, que vive notre Hutte !

Qui étaient-ils ?

Mais voilà la belle image. Nous sommes dans le chalet, le soir de la Saint Sylvestre de l'année 1928 ! À l'arrière plan de gauche à droite : Charles Caspar, Fritz Steidlé, sa femme ou sa fille, à droite de la lampe à pétrole, Madame Branig et un guitariste. Pas moyen de mettre un nom sur les autres personnes à part Sohm assis au milieu à sa droite, caché, Lucien Wolff, et au 1er rang à droite, les fils Caspar, Charles Marie et Georges. Au soir de la Saint-Sylvestre de l'année 1928, ils ont 13 ans et demi et 12 et demi.

Nous retrouvons les deux garçons dans la photographie suivante : Charles Marie, au dernier rang et au milieu, est cette fois souriant, espiègle même, heureux de participer à l’oeuvre, Georges est à sa droite.

Grand-Mère est debout à droite, elle est assez belle femme. Grand-Père est à genoux en plein centre, c’est l’homme au chapeau.

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Mais qui sont les autres ? ! !

Une liste, mais elle est d’après-guerre, me donne des noms : Branig, Buchhold, Fogé, Wolff membres fondateurs, et Buchel, Cunrath, Kopff, Leipp, Sohm, Steidle, Claus, Spack.

Kloes et Lutz , deux des fondateurs de 1928 ont disparu.

Les membres du Cercle des Amateurs d'Art, actifs durant les années 50, je les connais, je les ai rencontrés de leur vivant. Mais les « sortants », non. Il faudrait pourtant essayer de leur donner un visage… À l’arrière-plan tout à gauche, Gaston Sohm, c’est certain, devant lui Erny et sa femme (photo ci-dessous et page suivante). Restent quatre hommes au 3e plan, deux au 2e, et un au premier. Et puis les dames.... Seules les filles de Léon Erny pourraient m'aider si elles se rappelaient d'eux...

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On a recouvert, à l’extérieur, les murs de planches de plaques d’Éternit, appréciées pour leur blancheur d’un certain chic sans doute,..

Elles ont permis quoiqu’il en soit de protéger le chalet jusqu’à aujourd’hui. Pour l'isolation ? Pas sûr… C’est un agglomérat de carton qui jouait ce rôle. Quand nous avons rénové ce chalet, avec mon fils Aurélien en 1998, nous l’avons recouvert de grands lés de fibre de verre. Ce ne fut pas sans émotion car quelques trous percés par d’anciens rongeurs affamés, laissaient apparaître un vieux papier à fleurs directement collé sur les planches… Il serait étonnant qu’on y soit souvent venu l’hiver… Mais la question lancinante restera plus ou moins sans réponse : qui étaient-ils?

Ah, nous aurions dû nous préoccuper de cette histoire plus tôt, quand l’un ou l’autre était encore vivant.

Mon père heureusement est sur la photo au 2e rang, c'est l’homme le plus jeune. À son allure, on est avant guerre, il doit avoir 20 ans et puis le chalet du haut n’était pas construit, sinon on aurait posé devant. On est avant 37. L’homme debout à droite est Léon Erny le père ! (p 80 et 126) J'ai revu Marthe Lotz. Elle m'a aidé : c'est elle qui est adossée à gauche, mais contre sa grand-tante, sa grand-mère étant décédée. L'homme assis à droite, qui tient alors Marie Thérèse, est bien son grandpère et l'homme au centre est son frère, n'ont-ils pas la même tête ? Le voisin de Monsieur Erny est un oncle des petites filles, Albert. Et enfin la jeune femme, la voisine de papa, est son épouse. La maman des fillettes est bien celle que je pensais.... C'est donc une photo de famille, de la famille Erny. Elle doit dater de l'année 31. On pouvait donc inviter ses amis, sa famille et y passer la nuit : Marthe se souvient d'avoir dormi dans le chalet. (témoignage 1, p 197)

Deux dessins

Deux dessins nous renvoient en ces temps idylliques. Le premier à gauche représente le chemin montant au dessus du chalet de 1928, trois marches étayent le raidillon. Les jeunes arbres de gauche sont sans doute les mêmes que ceux visibles sur la photographie montrée page 62. Le rocher de droite est toujours là, lui est éternel...

Le second représente une scène de marché, celui sans doute de Grendelbruch. L'homme au rucksack pourrait bien être l'un des amis du groupe de Bachmatten.

A-t-il posé ? Les dames elles, occupées par leurs bavardages, ont été faciles à croquer, les enfants, moins... C'est l'observation et la mémoire conjointes, instantanément, qui rendent possible ce genre de rendu, sympathique et vivant. Mais en ce qui concerne ce dessin-ci, il me reste un doute : le carnet du père - qui semblait en ce domaine assez bienveillant - contient des essais du fils... et cette scène de village pourrait bien venir de ce dernier... De curieuses insistances dans certains détails pour la caisse à gauche ou pour les pieds des dames, quelques défauts aussi, le bras qui retient le panier est un peu court, des maladresses d'une part, mais d'autre part, des accents dynamiques, des placements rapides et sûrs, dos, bustes et robes des dames, et encore les admirables jambes du garçon dans l'action, l'homme qui marche et encore les maisons et l'arbre esquissés avec légèreté pour donner le sentiment d'espace, tout cela dénote de qualités qu'il est possible d'attribuer à un bon débutant, au fils...((p 82) 73

Le bon temps

Nous passions là-haut dans la montagne, bien du bon temps. Sur cette photo, nous sommes comme embarqués dans une nacelle qui semble flotter dans les buissons. Elle a été construite en bois léger, fragile charpente posée sur 4 cailloux placés en carré. On avait coupé de jeunes arbres qui allaient faire rideau et masquer notre si belle vue vers la vallée. On y est bien comme dans une petite île qui reste ouverte vers le ciel. Nous pouvons y grimper, bavarder, se serrer comme dans une carriole mais immobile. On ne voit pas la table. C'était l'heure du café. Nous sommes heureux : Charel le père est vraiment un boute-en-train, il plaisante souvent, il est heureux, et " Marichane " sa femme semble apprécier. Charel le fils a encore parlé de peinture... Le voisin de Charel, peut-être un ami de Fac, se penche pour être sur la photo...

Il n'est pas bien difficile, grâce à cette photo, de faire revivre ces gens, d'imaginer ce qu'ils pouvaient se dire. Oui, de quoi pouvaient-ils parler ? De bonheur, d'amitié, d'art ? Se rendait-on compte que l'on réalisait un rêve : vivre pratiquement en communauté, là à Bachmatten, pouvant discuter de dessin, de couleur, de technique, de la figuration, de Landschaft, de ce qui se faisait à Paris, tout en s'envoyant des " piques " ?

Et tout cela accompagné, soutenu par les épouses ou les amies... et mangeant ensemble, buvant des coups, plaisantant, chantant...

En débroussaillant cette zone j'ai retrouvé récemment les quatre pierres d'angle et je me souvins tout à coup d'une " Gloriette " faite de lattes peintes en rouge, version ultérieure donc. Ne serait-il pas plaisant d'en reconstruire une pour prendre, aujourd'hui encore, un peu de bon temps ?...

Et pour en revenir à ces années-là, bientôt germa l'idée, pour permettre à davantage de gens de monter dans le joli lieu, de bâtir une deuxième maison..

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Le Chalet dans son état originel peint par Charles Caspar, et ci-dessous le miracle : je trouve chez Alsace-collection cette magnifique aquarelle proposée aux enchères, de Frédéric Branig : " Maison en montagne "... Hélas déjà vendue... mais peut-être à l'un des descendants du peintre... Les planches sont maintenant masquées par de l'éternit.

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Le chalet du haut

Est-ce le printemps ou déjà l'été ?

On prend le soleil. Les uns sont en chemise, d'autres ont gardé leur veste. L'une des fillettes est en gilet.

Les deux anciens, dont Fritz Steidlé avec son curieux béret qui serre contre lui un tuyau de poêle, bavardent...

Dans l'embrasure de la porte, Frédéric Branig. La maison est illuminée par le soleil du soir.

Le photographe s'est déplacé.

C'est probablement Lucien Wolff, l'homme accroupi qui n'apparaît plus dans la 2e image.

Au fond, Rodolphe Fogé tient une planche.

Frédéric Buchhold pose sa main sur l'épaule de Gaston Sohm, l'homme à la haute chevelure. Devant lui, assises, son épouse et leur fille Viviane et tout à droite sur les genoux d'une dame, Marlise Bildstein. C'est une journée de travail, sans doute un dimanche, vu le nombre de personnes. Les deux chalets sont occupés. Comme il y a 2 chambres par chalet et dans chacune 3 lits, on a été 12 à passer la nuit du samedi au dimanche - les dames à gauche, les hommes à droite... ou le chalet du bas, occupé par 6 ou 7 hommes car on est 13 avec le photographe. Les 2 fillettes ont peut-être dormi ensemble. Mais tous ne passaient pas forcément la nuit, certains ne venant que le dimanche.

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Le territoire en 1928. Le succès fut tel, que le premier " Refuge " s'avéra bien entendu trop petit et le Cercle fit construire la seconde maison : " Protokoll " du 4 mars 1939 indiquant 1937, pour la somme de 18000 F, répartie entre les signataires, si importants, à qui nous devons tant, d'autant que la plupart d'entre eux étaient déjà là en 28 : Branig, Bucher, Buchhold, Caspar, Claus, Fogé, Cunrath, Kopff, Sohm, Spack, Steidlé,

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Ça alors ! Ils y montaient même en hiver. Les bouteilles de champagne semblent indiquer qu'on est le 1er de l'an... Grand-Père Caspar s'amuse. Ils posent devant le chalet du haut construit en 1937.

Puis ils sont montés au bord de la route. On voit la maison des Gänzler qui faisaient partie du Cercle.

Le paysage était dégagé et l'on pouvait voir assez loin vers Muhlbach.

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Les 2 chalets

Voici donc les deux chalets, aquarellés par Charles Caspar notre sympathique grand-père. Quelle patience ! Le seau en bois, la chaise-longue, la couverture rouge à la fenêtre, tout est si juste de dessin et de couleur. Chaque fois que je les regarde, mes souvenirs d’enfance renaissent : ces détails opèrent comme par magie. J’entends murmurer l’eau du ruisseau, Maman est dans la maison, nous sommes venus dormir là-haut.

Pour ce qui est de ces peintures, j'admire plus que tout le souci du détail, et pratiquement à l'opposé, la manière distanciée dont sont traités les arbres. Le peintre d'abord dessine, met en place au crayon chaque élément de son motif. Puis il cherche sur sa palette les couleurs les plus proches de celles qu'il perçoit dans la nature, pose les tons clairs, moyens, enfin les sombres en contrastes plus nerveux. La maîtrise est là, dans ce contrôle, d'une pensée organisatrice, dans ce travail méthodique.

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Une chose est certaine : Léon Erny aime suffisamment Bachmatten pour qu'il s'y fasse construire sa maison de vacances et de retraite. Elle est située un peu au-dessus de la maison des Glück, la blanche aux volets bleus, celle d'Erny a des volets verts. Nous revoyons cette famille l'été. Le père, Jean Marie Lotz est maintenant parti, emportant avec lui sa voix de stantor. Marthe et Marie Thérèse, les épouses Lotz et Boucheseiche, de fait les filles de Léon Erny, l'homme que l’on voit peindre sur une photo avec mon père, (p. 126) sont toujours là (Témoignage 1 p. 197) Elles me permettront peut-être de reconnaître quelques personnages d’autres photos aussi anciennes, les Kopff, etc.

Léon Erny

Rodolphe Fogé

Pendant la guerre, leur maison a été occupée d'abord par la résistance, puis par des soldats allemands et a été finalement reprise par le maquis au moment de la Libération. Marthe et Marie Thérèse se souviennent encore des taches de sang, des casques jonchant le sol. Encore audessus, une petite maison basse a été bâtie pour Fritz Steidlé, qui s'était, comme Léon Erny, 80

attaché au vallon.

Le domaine dans les annĂŠes 40 / 50

Les voisins sont les Benda (nous avons jouĂŠ avec leurs enfants ( p 99), sont venus ensuite les Gluck et les Erny. Les Friess ne sont pas encore lĂ .

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Charles Marie Caspar, le fils

On a travaillé dur, l’herbe est coupée. La sieste des hommes est un moment intéressant : personne ne bouge. Le jeune Charel dessine, griffonne, imite le père et les autres peintres, voilà un possible héritier...

Donc Charles Marie. Cet autoportrait est celui d’un jeune homme sérieux, soucieux d’un dessin juste.

Quel âge peut-il avoir ? 20 ans, 22 ans ? Il est étudiant en Licence d’Allemand à l'Université Goethe de Strasbourg. Quelle fierté pour son père ! Le jeune homme lit les auteurs allemands, les poètes romantiques. Il est peintre débutant et suit les traces de son père. Était-il déjà amoureux ? Y avait-il des filles désirables qui montaient comme lui au chalet ? Miesel… la fille de Monsieur Wolff est fort jolie, un peu petite ?

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1/ Ce fils a un bon coup de crayon ou de plume. Père et mère ont posé pour lui. Les têtes sont très ressemblantes.

Hachurages rapides et constructeurs à la plume. Accents judicieux qui suivent diverses obliques conscientes donnant de la force à l'ensemble, par exemple celle qui descend du col à la main et jusqu'aux pieds. Le dossier de la chaise est-il dans un jeu de parallèles ?

Oui, peut-être au niveau des fesses paternelles…

Bref, c’est un beau dessin. Fort ressemblant, je le confirme, mais ce qu’il faut apprécier, ce sont les variations du trait : la mise en place est prudente, douce. Les accents viennent renforcer le tout de façon énergique et maîtrisé et dans l’espace tridimensionnel.

2/ Dans le dessin à l’encre qu’il fait de son père, Charles Marie travaille sur tous les plans. On pourrait y déceler une sorte de construction en éventail, le sommet étant la main droite du modèle,.. Le pied de cette chaise manque de solidité…

3/ Que lisait Grand-mère quand elle posait pour le fils ? Nos grands-parents, je m'en souviens, étaient abonnés au quotidien en langue Allemande, l'Alsacien, et Grand-mère était naturellement portée vers les magazines comme Bunte par exemple. Quelque peu midinette : elle allait voir et revoir le film « Sissi Impératrice «, son héroïne de Bavière, au Caméo…

Mais revenons à ce dessin. Il est bien construit, mis en place par une esquisse légère, ouverte sur le fond, pour la chaise, la table et le bras gauche. Puis se succèdent des accentuations dynamiques le long du dos, du bras droit, dans la chevelure.

Insistance un peu lourde pour saisir au mieux le nez. En même temps un hachurage plutôt régulier pose les volumes.

Mais où le garçon a-t-il appris tout cela ?

L'exemple du père, des cours du soir, génération spontanée ? C'est, bien sûr, cet environnement particulièrement favorable, aux murs les tableaux, dans la bibliothèque les livres, le père toujours dessinant et ce projet d'un chalet en montagne pour y aller peindre avec les amis du Cercle, de quoi donner l'envie de faire aussi bien..

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Cette peinture de Charles Marie, exposée en 1938 (p. 139), montre ce qu'il voyait de chez lui, à l’angle du 4e étage du 19, boulevard Leblois : le boulevard de la Marne et, à droite, le grand bâtiment de brique, « la Manutention ».

De là-haut, du balcon, il lui arrivait de suivre du regard la fille aînée des Ginter, les gens qui habitaient au 1er. Il la voyait quand elle allait à l’école, sortant de chez elle pour prendre le tram sur la droite, avenue de la Forêt-Noire, sous le charme de son sérieux et de ses nattes.

Un jour, il descendra demander sa main à ses parents.

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7 Temps de guerre

Comme ils sont jeunes et beaux, lui avec ses grands yeux scrutateurs, elle sage, mais un rien boudeuse, elle n’a plus ses nattes… Ils allaient se marier, mais les événements alors se précipitèrent. Charles Marie était en préparation militaire en Région Centre d'une part et, d'autre part, la chère Hélène était à Paris où elle travaillait chez Pechelbronn…

D’émouvantes lettres envoyées d’Orléans et de Saint-Maixant où le jeune homme faisait ses classes pour être sous-officier, nous le montrent amoureux transi, inquiet des événements qui allaient mener au déclenchement de la guerre et donc empêcher leur mariage...

Il lui écrivait aussi qu’il vivait, quand ils se retrouvaient à Paris, les plus beaux moments de sa vie.

Le voilà donc le bel officier, photographié dans la chambre parisienne de sa chérie. Avant les combats sur la Marne où il gagnera la Croix de Guerre avec citation devant la Division…

Pourquoi dire cela ici ? Mais parce que ça fait partie du particularisme alsacien : le père, nous l’avons vu, était dans l’armée allemande, il y a perdu un bras, il en a été remercié par une Croix de Fer... De nos jours, nous sommes moins admiratifs de l’uniforme. Tant d’eau a passé sous les ponts et notre souci est l’Europe, la paix dans le monde, nous voilà donc pacifistes… ce qui aurait été bien difficile dans ces années-là… Notre père est resté assez fier de l'uniforme, il est allé très longtemps déjeuner au Mess des Officiers de Strasbourg où il nous a amenés une fois. Nous allions, enfants, avec lui aux revues du 14 juillet ou à celles du 11 novembre. Il était allé à l'inauguration du monument de Général Leclerc place Broglie, peut-être a-t-il même serré la main de Madame de Hautecloque...

Mais reprenons le cours de notre histoire : début 43, c’est la naissance du premier garçon qu’il a fallu nommer Hans Peter…

Moi, je suis d’août 44, on me nomma Daniel Karl...(L'Alsace étant annexée par l'Allemagne, les prénoms français étaient interdits.)

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Dokumente Les chalets ont inquiété l'État-Major Allemand. Il voulait les réquisitionner. Il craignait qu'ils deviennent des refuges pour la résistance. Si grâce à Frédéric Branig cela ne s'est pas fait, des soldats allemands furent placés dans la maison des Erny juste au-dessus...

Verfügung : décret 1 L'organisation est immédiatement dissoute 2 La décision de dissolution est adressée au Club Vosgien... de Strasbourg - Grendelbruch 3 L'organisation sera soumise à l’impôt. Les membres de l'association dissoute ne pourront percevoir un droit d'entrée 4 Pour cette proposition et la gestion du dossier, il est perçu une taxe de 10 Reichsmark.

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Heureusement Frédéric Branig, à ce moment Président de l’association, sut trouver les mots pour fléchir l’administration allemande : Turistenverein der Kunstliebhaber A. Branig - Straβburg - Neudorf Rosenweg 10 Straβburg, den 15. Oktober 1941 An das Gaurechtsamt - Karlsruhe Betr. : Anordnung des Stillhaltekommissar für das Organisationswesen in Elsaβ Im Jahre 1928 erbauten einige Amateurmaler in Mühlbach ein kleines Wochenendhaus, um ihrer Liebhaberei besser nachkommen zu können. Dieses Wochenendhaus wurde auch gleichseitig als Ferienhaus für die Familienangehörigender Maler mitbenützt.

Die Erbauer des Ferienhauses legten selbstverständlich Wert darauf in als Grundbuch eingetragen zu werden.

Dies war nur möglichh indem die Gesellschaft, nachdem die Zahl überschritten hatte, sich entweder als Aktiengesellschaft oder als Verein konstituiert hatte. Die Gründung einer Aktiengesellschaft für den vorliegenden Zwek kam selbstverständlich nicht in Frage, so blieb nur die Anwendung als Verein übrig.

Die Gesellschaft von 12 Personen gründete sonach den Cercle touristique des Amateurs d'Art. Praktisch war dies nie ein Verein. Organe hatte die Gesellschaft nur aus Zwangsgründen.

Das im Jahre 1928 erbaute Häuschen erwies sich aber bald als viel zu klein. Infolgedessen wurde im Jahre 1937 ein zweites festeres Wochenendhäuschen dazu gebaut. Die entstandenen Unkosten wurden von der Gesellschaft jeweils zu gleichen Teilen getragen. Jedes Mitglied betrachtete sich zu gleichen Teilen als Eigentümer der beiden kleinen Häuschen.

Wir empfinden es als eine Unbilligkeit und ein Unrecht, daβ uns diese beiden Häuschen weggenommen werden. Wir sind der Auffassung, daβ die Wegnahme ohne jeden Grund geschieht, nachdem wir tatsächlich kein Verein sondern nur zwangsweise in Vereinsform zusammegeshlossen wurden.

Wir möchten Sie bitten dafür zu sorgen, daβ die in der Anlage befindliche Verfügung des Stillhaltekommissars aufgehoben und uns unser Eingentum wieder ausgefolgt wird.

Für den Turistenverein der Kunstliebhaber : Friederich Branig Traduction En l'année 1928 quelques Peintres-Amateurs ont construit à Bachmatten, une petite maison pour les fins de semaines, afin de mieux vivre leur passion. Cette maison est également utilisée comme lieu de vacances pour les familles de ces peintres.

Les bâtisseurs de ces maisons de vacances, bien sûr, accordent une grande importance pour figurer dans le livre de la fondation. Ceci n'est possible qu'à partir du moment où le versement de la cotisation en tant qu'actionnaire ou adhérent est consigné. La création d'une Société par Actions pour les raisons évoquées ci-dessus n'entre pas en ligne de compte, ne reste donc que le titre d'Association.

Ce groupe de 12 personnes a fondé ensuite le Cercle touristique des Amateurs d'Art. Pratiquement cela n'a jamais été une société. Les statuts n'existent que par obligation...

La petite maison bâtie en 1928 s'avéra vite trop petite. C'est pourquoi il fut construit une 2e et solide maison de vacances. Les frais occasionnés furent partagés en parts égales. Chaque adhérent se considéra en même temps comme à l'origine des 2 maisons.

Nous éprouvons qu'il est indélicat et injuste que ces deux maisons nous soient enlevées. Nous considérons qu'il n'y a aucune raison pour que cela soit, car nous ne sommes une association que pour la forme, pris par cette obligation statutaire qui nous en donne l'apparence.

Nous vous prions de faire en sorte que la décision prise par le Commissaire soit annulée et que notre bien nous soit rendu.

Pour le Cercle touristique des Amateurs d'Art : Frédéric Branig.

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Lettre de Frédéric Branig du 25 février 1941 au préposé aux Excursions (Wandern) Gänzler à Molsheim Je soussigné, Branig Friederich, président du précédent " Cercle touristique des amateurs d'art ", interpelé le 4. 10. 1940 par le Commissaire chargé des associations ( sous la nouvelle appellation en allemand " La Hutte Malerhütte - des peintres Bachmatten ") ai aujourd'hui rattaché le groupe nommé cidessus, qui n'a pas d'orientation ni de volonté d'activité politique, à la branche " Grendelbruch " du Club Vosgien. Ça a marché !

Le 30 mars 1942 le domaine est restitué à Frédéric Branig qui possèdera comme auparavant 2/15 e des parts.

Ni taxes, impôts, timbres, etc., ne seront même relevés.

Les autres membres, qui ont investi pour 1/15e (voir liste ci-contre) seront prévenus de cette décision.

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Pendant 4 ans, de 41 à 44 Friederich Branig versera à la société Alsacienne et Lorraine d'assurances, devenue Zentraleuropäische Versicherung, ses Reich Marks... On peut relever que c'est le même Walther qui gère le dossier depuis 1928... (note 17). Près de sa signature un " Heil Hitler "....

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UNS'RI HUETT

NOTRE HUTTE

Isch's denn moejli, kann mers fasse Dass mer nimmi binander sin, Leer sin d'Hieser, leer die Gasse Luscht un Fraid, s’isch alles hin.

Est-ce possible, pouvons-nous le comprendre Que nous ne sommes plus ensemble, Vides sont les maisons, vides les rues Joie et bonheur, tout est brisé,

Sinn mer au vun d'heim vertriwe In e fremdes fernes Land ?

Unser Huettel isch gebliwe Dort bim Wald am Eichesrand.

Sommes-nous aussi chassés de la maison Vers un étranger et lointain pays ?

Notre petite Hutte est restée Là-bas près de la forêt à la lisière de chênes.

Vergesse sin die schwere Stunde Wo's hett g'heisse - alles dran, Was mir han mit Miejh erfunde Un mit Lieb erschaffe han.

Oubliées sont les difficiles heures Où il s’agissait, tous ensemble de bâtir, Et que nous avons avec tant de peine Et d’amour réalisé.

Dort wo's Reh duet luschti springe Uewer Stock un Staan de Quell, Wo am Owes d'Lieder klinge Uess de Zunft de Molersg'sell.

Là-bas où le cerf saute joyeux Par-dessus branches et pierres vers la source, Où le soir les chansons résonnent Venant de la compagnie des peintres.

Wildersbach, Kriejsjohr 1939/1940

Wildersbach, Année de guerre 1939/1940

Lucien Wolff

Seul Une image me poursuit : celle de Charles Caspar marchant dans les rues de Clermont-Ferrand. En tant que secrétaire, il avait dû suivre l’Université de Strasbourg qui s'y était repliée après la déclaration de guerre… Il y passera cinq ans sans voir sa famille. À Strasbourg, il fallait absolument rester dans l’appartement, celui du 4e étage… Pour qu’il ne soit pas réquisitionné par les Allemands, Marie Jeanne sa femme, Victorine sa belle mère y restèrent, Charles et Hélène, jeunes mariés, s’y installèrent aussi...

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Clermont Septembre 1939, revoici Charles Caspar, élégant, photographié, pourquoi pas par René Kuder, peintre aquarelliste de grande renommée qui avait rejoint ses filles qui travaillaient elles aussi pour l'Université de Strasbourg.

L'homme semble heureux.

Comment savoir où il pose ?

Nous ne sommes évidemment pas dans Clermont. Notre homme est adossé à un muret, au-dessus d'une rivière. Le village est de l'autre côté du pont. À quelle distance de la ville ces villages peuvent-ils bien être ?

Comment le peintre s'y rendait-il ?

Il est probable que ce soit des camarades de bureau qui l'emmenaient en voiture ou mieux René Kuder lui-même. Je les vois bien battre la campagne ensemble.

Il nous reste des traces de cette période : quelques aquarelles montrant justement des villages, certes différents de ceux d'Alsace...

Quoique, avec leur église, et nichés comme ils le sont, au creux des montagnes, nous pouvons y trouver certaines analogies.

Je vais donc pouvoir illustrer cette page avec ce que j'ai dans l'un mes cartons qui contient encore des dessins et des petites peintures du Grand-père. Il y en a effectivement trois avec une église dont une seule avec une rivière...

Alors c'est la révélation ! Il m'a fallu des années pour que s'opère ce rapprochement avec l'émouvante photographie !

Je ne suis pas superstitieux, mais je me suis tout de même demandé, à ce moment miraculeux, si je n'avais pas été guidé de l'au-delà : Grandpère pose devant le même paysage qu'il vient de terminer et me sourit : il est à Olliergues !

Il l'écrit au-dessus de sa signature, comme si c'était pour moi.

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Sehnsucht

Il se regarde et se dessine face au miroir, son épaule gauche est atrophiée, d'où lui vient ce casque définitivement adopté ? Alsacien parmi d'autres Alsaciens réfugiés...

Peintre, il demande aux jeunes femmes de son pays de poser pour lui.

J'espère que le beau sourire de l'une d'elle, lui aura mis un peu de baume au coeur.

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Les datations de ces dessins disent quelle nostalgie habitait ce brave homme éloigné de sa famille, de sa femme restée à Strasbourg, soi-disant pour préserver leur appartement.. Pourtant bien occupé par sa belle-mère Victorine, et leur fils Charles Marie et Hélène son épouse...

Cela a duré 5 années !

Ses fils sont-ils allés le voir au moins ?

Et pourquoi au retour, heureux, vient-il saluer Mittelbergheim plutôt que Strasbourg ?

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8 Les annĂŠes 50

La liste des membres du Cercle en 1952 94

Regrets

Charles Caspar Grendelbruch

Edouard Kopff, 4 mars 1952 : " Comme membre fondateur du Cercle avec son refuge Bachmatten et attaché depuis sa construction avec tout mon zèle à la cause, ce même refuge ne pourra plus représenter pour moi à l’avenir, la valeur idéale et touristique dont je pouvais profiter depuis…"

Steidle Fritz, 28 janvier 1952 : " Quand ma situation s’améliorera, je reviendrai volontiers dans vos rangs. Je m’inviterai à votre table pour reprendre avec plaisir nos discussions idéales sur la peinture. " Théo Claus, 21 octobre 1952 : en vous quittant j’ose espérer que les nouveaux membres n’oublieront jamais ce que les anciens ont fait pour eux et leurs familles de façon tout à fait désintéressée et qu’ils continueront à garder la fortune que nous leur avons léguée dans l’esprit fraternel qui nous a tous animés lorsque nous avons eu la bonne idée de l’entreprendre. " Edmond Cunrath, père, 20 décembre 1956 : " En gardant un bon souvenir de tous ses membres de la société, notamment des membres fondateurs, je vous adresse à vous, à votre famille ainsi qu'à tous les sociétaires mes cordiales salutations. " 95

La belle réponse du Secrétaire à Théo Claus : des regrets, des remerciements pour toutes ces années de présence et de partage, à ce membre fondateur qui ne sera jamais oublié, surtout par les anciens. Il sera bien sûr toujours le bienvenu aux réunions et aux Stammtisch… Accepterait-il d’offrir au Cercle l’un de ses tableaux pour enrichir la collection qui décore les chalets qui viennent d’être rénovés ?

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Le fonctionnement Au moment de la création, la base financière est constituée de 15 parts d'un montant 1000 Francs, Frédéric Branig, 2e Président, en possède 2. Quand un membre démissionne, l'association lui rend sa part. Il est remplacé par un nouvel arrivant qui paie son droit d'entrée. Celui-ci doit être parrainé par l'un des membres. Les 2 pages choisies dans le carnet du Secrétaire, notre cher Schrifftführer, laisse apparaître à gauche ce chiffre, ainsi que celui du montant proposé aux fils des membres, soit 500 F. Charles Marie Caspar, Albert Buchhold, Romain Branig, les fils, ont voulu régulariser leur situation. Les cotisations des adhérents simples s'élèvent à 300 F. Le Cercle peut en compter 25. Puis viennent les taxes de séjours : hommes 5 F, Femmes 2,50 F, un jour / une nuit pour le couple 15 F, la moitié pour les enfants jusqu'à 14 ans. Les amis, 25 F et les étrangers 35 F par personne. La majorité des dépenses va à l'entretien des chalets. En 54 ce sera l'achat de nouveaux lits et l'installation de l'électricité, en 57 l'édification du mur de la terrasse du haut.

Auguste Delarbre sera Trésorier à vie, depuis la période de guerre (les Allemands l'appelaient Vonbaum...).

On aperçoit dans le bas de la page de droite, la décision d'exclure Gaston Sohm, coupable d'égarements pendant la guerre (p 150). Il faut se rappeler que les associations alsaciennes fondées en ces temps-là, bénéficiaient du régime spécifique à l'Alsace-Lorraine dit de Droit Local, encore en vigueur aujourd'hui, et toujours encore dans l'espace de l'Empire Allemand... Il autorise, et cela peut être un jour important, la vente du domaine en cas de cessation d'activité.

Les Assemblées Générales ont lieu dans des restaurants de Strasbourg : celle-ci de 1947 au restaurant de la Tête noire, celle de 48 au Zimmermann, ensuite à l'Aimant, à la Petite France, au Baccarat 3 fois, etc...

Les Buchel, Spack, Clauss, Cunrath père et fils, Kopff, Leipp, Steidlé, sont partis avant 50. Sont arrivés Robert et Pierre Bildstein, Alfred Lienhardt, plus tard Marcel Hoff et enfin Paul Issenhuth. Il est à noter que les nouveaux arrivants ne sont plus des peintres. Seul Marcel Hoff dessine. C'est sans doute là que commence la décadence. Par ailleurs, un souci majeur préoccupe le Cercle, celui de l'adduction d'eau, le branchement sur la ligne qui descend à Muhlbach et qui passe sous les chalets. Ce problème ne sera hélas jamais résolu. Au lendemain du décès de Charles Caspar, en 57, c'est Romain Branig qui assure le secrétariat, en français cette fois et jusqu'en 1974. Puis ce sera Charles Marie Caspar. En 1947, c'est Lucien Wolff qui est président, Après les décès en 1976, de ce dernier et de Rodolphe Fogé, il ne restera en tant que peintre que Charles Marie Caspar. Bachmatten restait donc son souci, il n'avait finalement que 60 ans et pouvait donc voir venir : il était alors encore temps de trouver des successeurs, mais des artistes...

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Enfance à Bachmatten Quand j’essaie de remonter aux souvenirs les plus anciens, je vois Maman qui nous demandait de l’aider à cueillir des fleurs, des jaunes, des bleues à clochettes. Le reflet des boutons d’or sous le menton indiquait que nous aimions le beurre... C’est là-haut, au pied du nouveau chalet, en longeant l’escalier devant la porte d’entrée, que j’ai su tout à coup marcher... C’est là également, au soleil, que Maman nous lavait dans le « Baimbier « en tôle galvanisée... Était-ce l’été de mes un an ou deux ans ? Petits Poucets en culottes tricotées, nous marchions avec des bâtons pour imiter les grands avec leurs alpenstocks.

Ces lieux nous sont aujourd'hui si importants : nous allions ensemble là-haut sur les chemins de sable rose parsemés de cailloux bleus. Ils débouchaient effectivement sur le ciel...

Nous marchions dans la lande, qu'il fasse gris ou soleil.

La bruyère violette et les myrtilles noires animaient les hautes-herbes blondes.

Partout autour de nous la montagne bleue. J’essayais de regarder le monde : comme toi, en clignant des yeux, en peintre... Jean-Pierre était là aussi, et Maman.

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Jean Pierre, moi et Papa au Falkenstein, c'est Maman qui photographie.

Papa, Grand-mère, Maman, Grand-père. Devant : Dany et Jean Pierre. Famille apparemment heureuse : nous ne découvrirons les drames familiaux qu’un peu plus tard et progressivement, lors de disputes entre Maman et Papa longtemps répétées à cause du soutien aveugle des parents de Maman au NationalSocialisme.

1/ Papa, Maman, et moi, c'est peut-être Jean Pierre qui prend la photo. Nous sommes assis sur le banc au-dessus de Grendelbruch. Les enfants entre Jean Pierre et moi qui sommes adossés au portique de la balançoire, sont les enfants Benda. Nous sommes dans leur pré au-dessus des chalets.

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,Mais le coeur de Bachmatten était bien sûr la ferme des Schwaller, Le restaurant des Vosges. Ne reste plus que Lucienne qui n’ouvre le restaurant que tous les 3 ans.

Il y avait André le père, Madame Schwaller, un peu édentée, André le fils, son frère Bernard et la petite Lucienne. Nous allions chercher le lait, les oeufs, parfois nous jouions à débouler jusque là en charrette en bois, roues cerclées de fer, ça allait vite, on guidait le timon de l’engin avec les pieds, il fallait tenter de le freiner en allant dans l’herbe des bas-côtés. Pour ce qui est du lait, nous étions habiles, mon frère et moi à faire tourner le pot-au-lait à bout de bras, sans en perdre une goutte... Juste auparavant André, le garçon, nous montrait que l’on pouvait se faire sucer les mains par le veau qui n’avait pas encore ses dents... Le père, pardon ses abeilles, faisaient, dans la ruche en bois sombre au-dessus de la route, le miel de sapin le meilleur du monde.

André, l’aîné des 3 enfants Schwaller est le garçon à gauche, celui de droite est Bernard, Lucienne est la fillette tout à droite.

100

Nous nous levions très tôt le samedi matin, Papa tirait les volets roulants en un bruit insensé mais déjà il sifflotait, et cela nous donnait du courage et le sourire. À la gare de Strasbourg, nous complétions notre groupe, remarqué à cause des accoutrements de montagnards, bas de laine et grosses chaussures, mais surtout à cause des chevalets cliquetants que portaient les hommes et le roulement métalliques des charrettes.

Nous prenions le train jusqu’à Lutzelhouse. Je me souviens de la locomotive à vapeur, de ses roues d'acier qui se mettaient à tourner à l'envers pour s’arrêter le long du quai, c’était quand on rentrait le dimanche soir et quand le train venait de Rothau...

Donc, nous traversions Muhlbach, puis montions vers Grendelbruch. Le chemin était raide... On nous nous mettait dans les charrettes sur les bagages. C'est les mamans qui nous tiraient. Les papas portaient de gros rucksacks en plus des toiles et des chevalets. La bière, le lait, les oeufs, c’est entendu, nous les prenions chez les Schwaller.

Il fallait réchauffer le chalet : les prédécesseurs ont rentré le bois pour que l’on puisse allumer facilement un feu dans la cuisinière. C’est Papa le spécialiste. Ça fume toujours un peu au démarrage.

Les mères vont faire les lits : les couvertures, dans la chambre des dames, sont d’un rouge de chine magnifique et kakis, plus rugueuses, militaires, dans celle des hommes. Tandis qu’elles préparent le repas, les hommes partent en quête de motifs. Quand ils rentreront, tout le monde parlera de peinture.

101

On chantera le soir : Monsieur Wolff a une guitare, tu t'essaies avec Romain Branig à l'harmonica. Nous dormions et rêvions à vos côtés. Ces photographies montrent les moments de bonheur. Là-haut plus de disputes à propos de politique, Grand-père et Grand-mère semblaient heureux, Papa et Maman également. C'est cette ambiance si amicale entre ces hommes et ces femmes qui a bercé notre enfance. Moi j'étais heureux aussi : je retrouvais Marlise...

Oui, j'étais amoureux de Marlise, j'avais 4 ans et elle 20. Nous voilà photographiés ensemble audessus de Grendelbruch assis sur les rochers du Hohbuel, cette fois je devais avoir 6 ou 7ans.

Marlise était la soeur de Robert et Pierre Bildstein, Tous trois avaient été adoptés par les Fogé, nous ne savons plus pour quelles raisons, un décès prématuré des parents sans doute ... Hélas, elle est partie un jour aux Amériques et je ne l’ai plus jamais revue... J’ai su pourtant qu’elle était revenue habiter à Schiltigheim, et mon regret est de ne pas être allé la voir de son vivant...

Le Hohbuel est le but de bien des promenades. On y pique-nique, photographie, peint et dessine.

Vers le sommet, des rochers sur lesquels nous nous asseyons pour admirer à l'horizon la plaine d'Alsace. La vieille table d'orientation érigée du temps des Allemands, vise Brest et Berlin... Là-haut, c'est la lande parsemée de bruyères violettes et de buissons de myrtilles et le silence entrecoupé par les stridences des grands rapaces.

102

9 Ils chantaient

- Seen des net Knakiwurscht ? esch des net a Beerebock ? a Beermaamsel ? an’alti Schell ? a Gnowliwursht ? a schener Koll ?

- Ne sont-ce pas des Knacks, ? n'est-ce pas une chope de bière, une demoiselle servant la bière, une vieille sonnette, une saucisse à l'ail, un joli col ?

- a großer Bear ? an alte Moler ? a hängende Wurscht ? de Contrôleur ? a groß Maleur ?

- un gros ours, un vieux peintre, une saucisse pendue, le contrôleur, un grand malheur ?

- an aldi Pfan ? a Président ? an aldi Can ? Knore ? jungi Can ? a langi Nas ?

- une vieille poêle, un président (Auriol), une vieille bouilloire, un os, un jeune canard, un long nez ,

- a Cafee Meil , a jungi Seuil ? a Kleiderbeeirscht, a scheni Madmoizel ? a junger Wackes ?

- a leeres Kabinet ? un moulin à café, un jeune cochon, une brosse à vêtements, - une jolie mademoiselle ? un jeune voyou ? un cabinet vide ?

- a roti Blueum ? an arme Dropf , a bessi Reep ? d’alti Hett ?

- une fleur rouge, un pauvre diable, une méchante mégère, la vieille hutte ?

103

Il y avait bien des samedis-soirs entre hommes, au printemps, à l’automne, on y mangeait, chantait, philosophait : les poèmes le racontent. Trop petits ou encore adolescents, nous n‘y avons jamais été ces soirs-là. Pourtant, je me souviens de Grand-père Caspar, nous montrant avec un bâton ses figurines dessinées : « esch des net a Gnowliwurscht ? Dorr des esch a Gnowliwurscht..." Et on reprenait depuis le début : " Oh du schöne... Beermamzel, Gnowliwurscht... ", approfondissant ainsi notre alsacien qui était notre langue maternelle. Ce rare événement s'est sans doute produit pendant des vacances.

Le fils a créé lui-aussi un panneau destiné à faire chanter les amis lors de leurs soirées. Le dessin en est moins sage... À noter que chez lui, les interpellations riment !...

Esch des net a langi Stang ? ... Esch des net de Freddle do ? Isch des net der Mikado ?

Et les gens répondaient : " doch des esch a langi Stang !...

Esch des net de Gottestempel, a Burolämpel, a Bluemestock, an alter Bock ? esch des net de Steidele, a Maidele, a Champignon, des Gschoëpf net ganz mignon ? a Tannebaam, füehrt der net sin Täntel ham ? de Meckes Franz, e Kneckestanz ? a Papegaï, em Pape's Ei, Het der net de Datteri, esch des net e Dütteri ? e Nacketei, e nacket's Ei, e junges Bibbel, e Schwineribbel ?

Ceci n'est-il pas une grande Perche ?... N'est-ce pas là : le Freddel ?... Un Mikado ?... N'est-ce pas pas le Temple de Dieu ? Une petite Lampe de bureau ? Un Bouquet de fleurs ? Un vieux Bouc ?

N'est-ce pas Steidele ? Une petite Fille ? Un Champignon ? Cette créature n'est-elle pas toute mignonne ? N'est-ce pas un Sapin ? Ne conduit-il pas sa petite Tante chez elle ? N'est-ce pas le gars Franz ? Une Danse de gamins ?

Esch des net a langi Stang ? ... Esch des net de Freddle do ? Esch des net der Mikado ?

Esch des niet a Gottestempel ? a Burolämpel ? a Bluemestock ? an alter Bock ?

104

esch des net de Steidele ? a Maidele ? a Champignon ? des Gschoëpf net ganz mignon ?

a Tannebaam ? Füehrt der net sin Täntel ham ? de Meckes Franz ? e Kneckestanz ?

a Papegaï ? em Pape's Ei ? Het der net de Datteri ? esch des net e Dütteri ?

esch des net e Nacketei ? e nacket's Ei ? e junges Bibbel ? e Schwineribbel ?

105

Photographies Dans cette photographie si nette, je vois, non sans émotion, ces parents et amis que j'ai connus vivants.

C’était encore la belle époque des lampes à pétrole. On devait être en 1955. Ils sont heureux, souriants.

Miesel est tranquille, Charles Marie se redresse fièrement. Mme Fogé avance ses coudes pour sortir de l'ombre de l'angle, Rodolphe vêtu comme un écolier avec col et cravate, sourit avec application. L'homme qui boit est Fredel Lienhardt, Grand-père Caspar regarde par la fenêtre et médite en tenant un bouteille dans sa main. À ses côtés, Grand-mère Caspar, qui a gardé son tablier, ne regarde pas vraiment l'objectif.

C'est elle qui a dû préparer le repas. Ils en sont au café : les petites cuillères qui sont restées dans les verres l'attestent. Il y a un sucrier à droite. Enfin, coincée à droite, Marlise. Les deux bouteilles encore à moitié pleines qui trônent sur la table doivent contenir du schnaps. Devant Charles Marie un petit verre confirme l'hypothèse concernant leur contenu.

De ce passé, il n’y a plus que des Caspar et des Bildstein : notamment Sonia, la fille de Pierre. Lui, on le voit à l’oeuvre dans les photos en couleur mises dans le cadre accroché dans la cuisine du chalet récent, traces précieuses de ces moments qui maintenant s'estompent : il y pose les lambris du plafond de la cuisine, participe avec un neveu à la réparation du toit du vieux chalet (note 2), remplace les garde-fous pourrissants.

Deux autres cadres animent la cloison. Le plus ancien contient les photos de l’érection du vieux chalet en 1928, avec des groupes où figurent Grand-père et déjà mon père tout jeune. Dans le second, les photos qui sont maintenant en couleur nous montrent des hommes heureux et farceurs. Dans celle choisie, nous sommes à l'apéro : les verres scintillent. De gauche à droite : Alfred Lienhardt, Marcel Hoff, Lucien Wolff, devant Guscht Delarbre, Romain Branig, puis Paul Issenhut et Papa, Pierre Bilstein, peu sérieux et Rodolphe Fogé. On voit que le tableau de Fogé n'est pas celui disparu (p. 13). Le peintre a donc généreusement offert au chalet une 2e version. Ne restent dans le Cercle, à cette époque, les années 60/70, plus que 3 peintres : Wolff, Caspar et Fogé.

106

10 Poésies alsaciennes Le carnet vert J’ai en main ce carnet vert à spirales de Papa empli de son écriture petite et fine. Ce sont ses poésies.

Pas toujours faciles à lire, et les jolis dessins des multiples U et W posent le trouble en tête de ligne...

Sans compter les quelques mots du dialecte alsacien qui m’échappent...

Rouvrir ce carnet me replonge dans ma culture alsacienne et c’est avec le sourire que je me promène dans ce que je retrouve. Images, visages de ce passé se déroulent sous mes yeux. Tous ces gens qu’il cite, Grand-père, Grand-mère, ceux de Bachmatten, et lui-même, renaissent au moment précis de ma lecture et comme par magie, j’entends même alors leurs voix.

Ce père était secret, silencieux, toujours lisant, relisant nous ne savions trop quoi...

Mais aujourd’hui, comme j’ai chez moi tous ses livres, plus ceux de son ami Roger Gonon, enrichis des notes qu’ils avaient prises ensemble lors de leurs études d’Allemand d’avant guerre à l’Université de Strasbourg, il m’arrive de temps en temps de les ouvrir et d’y lire quelques vers des Lessing, Heine, Schiller, Goethe bien sûr. À la lecture duquel d’entre eux jubilait-il ?... Qui avait un tel humour, cette sensibilité à la Nature quelque peu romantique et ces facilités à versifier un rien désuètes quand on tombe sur des odes à la Provence, découvertes dans le début des années 60, dont le style s’apparenterait à celui d’un Ronsard Alsacien ?...

Pages 7, 8

Hüttenabend Oktober 1958, la Hütte, y rentrer heureux le soir, 7 strophes en quatrains page 114

9, 10

An unsere Hütte (Frühling 1958), les heureuses soirées, 8 strophes de 4 vers courts page 111 Paix nocturne au chalet (1958), un lieu de paix. 3 strophes en quatrains

11 15, 16, 17, 18

E Staatsaffair , la construction de toilettes de campagne, farce en 64 lignes versifiées pages 109 et 110

21, 22

Männerowe uff der Hett (Freijohr 1961), amis, chantons ce lieu !... 5 strophes de 4 vers

25, 26

Auftakt zur Hüttesaison 1959, le temps passe, 6 strophes de 4 vers. page 115

27, 28, 29, 30, 31 « D’Pariser Reis «, oder en Intermède tragicomique Sortie bucolique et entre hommes à Paris...17 strophes en quatrains.

32, 33, 34, 35, 36, 37

« D’Garach « (Widder mol e Netteangelegenheit) Un bout de terrain pour un garage, petit théâtre comique, 125 lignes rimées

38, 39, 40, 41, 42, 43, 44

E Taa uff de Hüet ! t (1960/1961), journée bucolique au chalet et personnages, 25 strophes de 4 vers, pages 115, 116, 117

45, 46, 47

Mignon (2.Fassung) (Oder d’Robertsauer Heimat) L’Alsace notre pays, 4 strophes , 6 vers et refrain

....

52, 53

Hüttenabend, Herbst 1962; Stillesgedenken. l’atmosphère des temps anciens, Mélancolie, 7 strophes quatrains. 44, 45, page 7

54, 55, 56, 57

(Herbst 1962) (Männerowe) Der alt’Herd ! In Memoriam !

Humour mélancolique, 13 strophes quatrains, page 196

58

Regen auf der Hütte (Herbst 1962) (oder der Stunden rinnen...)

Le temps passe, on ne revient pas en arrière, 14 vers

59 vide 60, 61 61, 62 , 63, 64, 65, 66 67, 68, 69

April 1963, Auf der Hütte (Vorfrühling) (Männerowe) Mélancolie, 6 strophes quatrains La difficulté d’être peintre. 112 vers, Männerowe 1963( Früjohr), (E Moler phantasie), 110 vers, pages 120, 121 107

78, 79, 80

B’sheide müss mer sinn !... (Sur l’air der Küebitz, der Küebitz), (Automne 1963- Männerowe), joyeuse chanson pour le chalet, 21 parties de 2 vers rimés et refrain.

81, 82, 83

De Franz üs de Krütenau (Parodie uff de « König in Thule « Männerowe 1963- Herbst) Un voyou proche de la mort, 8 strophes en quatrains D’Fleischpaschtet (automne 1963/ Bi Frend), gourmandise, 13 strophes en quatrains

85, 86

SchwererTag, plainte en 5 parties de 4 vers. page 112

86

Dr’ Lewesgang, dans la joie et la peine, 4 vers métaphysiques...

89, 90, 91

E Matratzeg’schicht (Männerowe 1964), L’achat des matelas pour les chalets, poème drôlatique... 44 vers, page 195

93, 94

Abschied von Summer im Brischtal (Männerowe 1964 - Herbst), Mélancolie, je quitte la vallée, 5 quatrains.

94

Freundschaft, l’Amitié en 2 strophes de 4 vers.

95

Farwe, la symbolique des couleurs, en 3 quatrains. page124

97, 98, 99

E Molerg’schicht - (Herbst 1964), l’impétueux et le sage, 2 peintres...

12 strophes de 4 vers.

101, 102, 103

Fuffzich Johr ! (E b’sinnliches « Gedenke» ), les 50 ans du poète : 34 courtes interjections en 2 colonnes + 30 vers sur sa vie, l’épouse, les enfants, et l’amitié.

105, 106, 107, 108,

En’ander Geburtstaa ! (75 Jährig ! ) Frühjohr 1965, l’anniversaire d’Oncle Fogé, joyeux portrait de l’un des piliers du Chalet. 74 vers !

109 110

Vendredi Saint en montagne ( Printemps 1965), froid sur le monde, 16 vers.

Frühling 1965, l’éveil de la Nature, 4 quatrains.

111, 112, 113

Gedanke im September uff e're Velotour, Promenade en notre belle Alsace

114, 115, 116

D’Pilz ( Herbst 1965) (dialecte), chasse bucolique aux champignons, 10 quatrains.

117, 118

Hoffnung Herbst 1965 (auf der Hütte), l’espoir que quelqu’un reprenne un jour le flambeau, 6 quatrains. page 169

125, 126,

Complainte d’automne : 4 quatrains à refrain : « personne n’arrêtera le temps qui fuit ...»

126

Ein Lied (Sommer 1968), le vent qu’entendait déjà nos pères.

29 textes pour Bachmatten et les chalets et les amis du Cercle des Amateurs d’art...

Soit si on ne se trompe pas 1055 vers ! C’est dire la place que prenait ce lieu.

Peu de femmes dans ces poèmes, une seule Albertine, cuisinière (évidemment...) dans le poème Der alt’Herd !... mais combien de Männerowe (soirées entre hommes...) !

La Hutte, die Hütte, mots féminins de genre... Peut-être la maison, comme espace maternel ? Épouses et enfants figurent pourtant sur les photographies et puis je me rappelle bien des mollets de notre père et ses encouragements à monter le chemin si raide, du roulement de la charrette avec les vivres.

Maman était là aussi. C'était peut-être pour des vacances...

108

10 Poésies...

La verve alsacienne.

L’âme alsacienne est riche de l’attachement romantique au pays natal, à ses paysages : elle est nostalgique, mélancolique, elle a cette sensibilité au temps qui passe.

Tout cela est bien lisible dans les poèmes sérieux qui suivent.

En attendant, impossible de ne pas montrer ce texte, que dis-je, un poème dont le sujet a été rarement traité. On pourrait peut-être le trouver chez Rabelais et encore…

Voilà que Caspar ne rime ici plus avec Ronsard…

Alors si vous prenez peur, sautez cette page et la suivante, vous échapperez à ce chef-d’oeuvre scatologique et gargantuesque ainsi qu’à sa maladroite traduction. Les traductions ont été réalisées par nous mêmes: Jean Pierre et Daniel, les fils aînés de ce père.

Cela n'a pas été toujours facile. Quand nous nous retrouvions bloqués, nous faisions appel à notre cousin Claude, éminent connaisseur des subtilités des langues d'Alsace.

E Staatsaffair

Une affaire d’État

S’Komitée isch Zusamme kumme Het sich reichlich Zittgenumme Im kleine Winestaminet.

Handelt sich doch um e ... Cabinet ! !

B'sproche wurd ze bäue d’Art, Soll so sin so ganz appart !

Rokoko, romanisch, gotisch ?

Vor alle Dinge usserscht praktisch.

Mit breiter Siltzgelejeheit !

Daß kenner kommt in Verlejeheit !

Genumme wurd vom beschte Holz, Stehn soll’s so grad un stolz Wie von Cheops d’Pyramid, Un wenn mer brüche Dynamid Um zu graawe s’tiefe Loch.

Mit Schweiß und Kraft gelingts no doch !

Au s’Dach muëß güet un süefer sitze Selbst wenn d’Arweit uns macht schwitze !

Denn do e Spättel, dort e Blächel Gebt uns schon e Schießhüsdächel !

D’Planke, dick uff jede Fall, Müen widderstehn bi jedem Knall !

Bequem müeß’s sin au üszeschoepfe, D’Deckel licht au uffzeluëpfe !

Denn wie jeder im Verein jo weiß Wurd im Friejohr entfernt die Scheiß !

Drumrum kommt dann e Alwegarte : Jeder ergettzt sich dann bim Warte !

Isch’s Loch doch voll bis zum Rand !.

L’Comité s’est réuni A pris largement son temps Dans le petit « estaminet à vin « Il s’agit en effet... D’un Cabinet !!

On parla pour construire d’Art, Cela devra être tout à fait à part !

Rococo, romantique, gothique ?

Avant toute chose, d’abord pratique.

Avec une large assise !

Afin que nul ne soit dans l’embarras !

On prendra du meilleur bois, Cela devra se tenir droit et fier Comme la pyramide de Chéops, Même si nous avions besoin de dynamite Pour creuser le trou profond.

Sueur et force seront nécessaires !

Le toit aussi devra bel et bien être assis Même si le labeur nous fait suer !

Alors ici un bout, là un morceau de tôle Nous donnant ainsi un petit toit de chiottes !

Les planches, de toute façon, Doive résister à chaque détonation !

Confortable doit être le vidage, Le couvercle léger à soulever !

Car comme tout le Cercle le sait Est éloignée au printemps la merde !

Naît ainsi alentour un jardin alpestre : Chacun s’épatant alors durant l’attente !

Le trou pouvant être plein à ras-bord !...

109

De Mischt isch wahrhafti glich zer Hand, Kamrade ihr brüche net ze grinse, Mer finde tausindi von Linse, Die müen mer nüss Friejohr schwinge, Mer wisse dervon e Lied ze singe, Der Onkel un mini Wenigkeit, Es nemmt als en Ewigkeit,! !

Un e Duft dann gibts, o merde la Prusse, Am libschte glich zum « Schißhüs nüß !!

Bim erschte Loeffel us dem Nescht, Isch bigott d’ganze Luft verspescht !

D’Mischtlach wo bim Bür tuët leje, Ich do grad e Dreck degeje !

Un was tüe mer nett als finde ?

Do müen jo einem d’Sinne schwinde !

Naegel, Glas und alti Rinde, Stecke, Büerschte, alti Schlappe...

Nodle, toti Mies un Lappe, Schachtle, Schüeh un Knoepf vom Pappe, Strüempf un Hossle von der Mamme, D’Biberons vom kleine Son, Alti Scherwe, Kriejüs Ton, Neuï Hiffe, alti Tricots !...

Un nett ze vergesse... d’asticots ! !

Ja so a Hiesel macht am Sorje, Esch nett gemacht an einem Morje, Do müeß mer han e Architekt Eh’ mer später der Arsch nin steckt !

Gott sei dank sin Spezialischte Unter eich ihr Wischte !

So kommt die Sach gewiss ins Rolle, D’Dame brüche nimme ze schmolle, Steht emol des Hiesel neï Dann kann losgehn d’Schießerei !

En somit end isch d’Litaneï !...

110

La merde est vraiment à portée de main, Camarades vous n’avez pas à ricaner, Nous trouvons des milliers de lentilles, Il nous faut davantage au printemps en sortir Nous savons à ce propos une chanson, L’Oncle et ma petite personne Cela prend parfois une éternité ! !

Et alors quel parfum, O merde la Prusse, Le mieux est de sortir de suite du cabinet ! !

Dès la première cuillère sortie du nid, L’air est, par Dieu, complètement empuanti !

Le fumier qui est étalé chez l’paysan, N’est à côté que petite saleté !

Et puis que ne trouvons-nous pas ?

Là, il y a de quoi perdre la raison !

Clous, vieilles croûtes, Bâtons, brosses, vieilles pantoufles... Épingles, souris mortes et torchons, Boîtes, chaussures et boutons de Papa, Bas et culottes de la Maman, Les biberons du petit fils, Vieux débris, du temps de la guerre, Nouveaux petits tas, vieux tricots !

Et ne pas oublier... Les asticots ! !...

Oui, une telle maison nous fait soucis, Ne se fera pas en un matin, Nous avons besoin là d’un Architecte Si nous voulons plus tard y planter le cul !

Dieu soit loué, il y a des spécialistes Parmi vous, O vos Importances !

Cette affaire figurera certainement dans nos annales, Ces Dames n’auront plus à bouder, Se dressera un jour cette maisonnette toute neuve, Alors pourra commencer la « ch..... » !

Et c’est ainsi que j’arrête la litanie !...

Mais passons aux choses sérieuses... Des farces il y en a, de la verve, de l'ironie, du rire... et nous en retrouverons. Mais il y a surtout cette sensibilité aux beautés de la nature, aux chants des oiseaux, aux échos montant des clochers des villages alentours, quelque peu romantique. Et la mélancolie est le sentiment exprimé le plus souvent dans ces poésies. En voici donc quelques-unes. Le poème Schwerer Tag, que le fils écrit en pensant à son père est très émouvant (page suivante).

Mélancolies AN UNSERE HUTTE (Frühling 1958)

À NOTRE HUTTE (Printemps 1958)

Du kleines Haus dort oben

Toi, petite maison là-haut A l'orée de la sombre forêt Je veux t’honorer aujourd’hui

Am dunklen Waldesrand Ich will dich heute loben Erneuern der Liebe Band.

Denn teuer bist du allen Mit deinem roten First, Auch wenn wir ferne wallen Du nicht vergessen wirst.

So oft gedenkt man deiner In mancher Winternacht, Da schlägt das Herz dann reiner, Erinnerung erwacht.

Beim hellen Gläserklange Es horcht der Freunde Rund' Von dir erzählt man lange Trotz vorgerückter Stund’.

Der eine spricht vom Lenze Von froher Arbeit dort, Wie schön die Au dann glänze An jenem stillen Ort. Der andere weiss von Tagen In sommerlauer Luft, Von Zitherklang, gelagen, Im holden Blumenduft, Und wenn im Herbstesglühen, So golden ist der Hain, Vergisst du all dein Mühen Beim hellen Sonnenschein.

Drum Freunde lasst uns singen Und preisen Haus und Grund, Wir wollen dort verbringen Noch manche schöne Stund.

Renouveler le cher lien.

Car chère tu es pour nous tous Avec ta toiture rouge, Même si nous vivons au loin Tu ne seras pas oubliée.

C'est si souvent que l'on pense à toi Au cours de certaines nuits d'hiver, Alors notre cœur bat plus sereinement, Le souvenir s’éveille.

Avec le tintement de nos verres On écoute le cercle des amis De toi il est question souvent Malgré l’heure tardive.

L'un parle du printemps De la joie du travail là-bas, Combien alors brille l'étang Dans ce coin silencieux.

L'autre évoque les jours heureux dans l'atmosphère estivale De chants de cithare, enveloppé D'un agréable parfum de fleurs.

Et quand dans les flamboyances de l'automne, La forêt brille d'or, Tu oublies toute ta fatigue Sous le clair rayon du soleil.

C'est pourquoi, amis, chantons Et louons notre Hutte et notre terre, Là-bas, nous voulons encore Passer de belles heures.

111

Assemblée Générale du 16 juin 1957, l'écriture est de Romain Branig.

Minute de silence pour

112

Schwerer Tag

Jour pesant

Schwer und dumpf die Glocke klang An jenem kalt verhängten Tage, Und ließ mein Herz erschauern bang In wilder schmerzensvoller Klage.

Lourd et sourd sonna le glas Par un jour perclus de froid, Qui laissa mon coeur se noyer En une sauvage et douloureuse plainte.

Sollte nun zur Kirche geh'n, An des Vaters Sarg verharren, Beherrscht und stundenlange steh'n Mitten in der Meng', der Sturm.

Nous devions alors aller en l'église, Pour rester auprès du cercueil du père, Soumis et debout des heures durant Au milieu de la foule, cette tempête.

Wohl erwies die letzte Ehr !

Ihm mancher Freund aus ganzem Herzen, Doch kann das nichts nützen mehr, Bin allein mit meinen Schmerzen.

Recevoir les dernier honneurs !

De bien de ses amis du fond du coeur, Hélas cela ne sert plus à rien, Je suis seul avec mes souffrances.

Wenn das Leben Wunden schlägt Heilen kann der Freunde Trost : Leichter man den Sturm erträgt, Wenn er einen schwer umfast.

Quand la vie reçoit de telles blessures La consolation des amis peut guérir : Mieux on supportera l'orage, Quand celui-ci durement vous enserre.

Schon so mancher arme Mann Ist dann wieder schnellgenesen, Doch niemand je ersetzen kann, Was der Vater uns gewesen.

Combien de pauvres hommes Ont ainsi pu surmonter cela rapidement, Mais personne ne pourra jamais remplacer, Ce que fut pour nous le père.

Il se regarde dans le miroir. Croquis rapide, juste, tout de suite ressemblant. Il en a fait des portraits : ceux de son père, celui d'Annette, de sa Grand-Mère, ceux de son épouse, ceux de ses amis, le mien... Celui de Fogé est au Musée de Strasbourg. À admirer. Ses autoportraits qu'il réalise depuis qu'il a 20 ans, nous permettent de le voir avancer vers sa maturité. Leur nombre, 7 ou 8 disent qu'il se pose, comme tant d'autres peintres, toujours les mêmes questions : qui suis-je ? Où vais-je ?

113

HÜTTENABEND OKTOBER 1958

SOIR À LA HUTTE OCTOBRE 1958

Der Abendwind auf leisen Sohlen Geht lispelnd durch den dunklen Wald, Er flüstert nur noch ganz verstohlen, Die Nacht verschleiert alles bald.

Le vent du soir en pas légers Se faufile chuchotant dans la sombre forêt, Il murmure tout furtif, La nuit enveloppe bientôt le tout.

Das Rehlein lauft noch schnell zum Bächel, Ein Vogel ruft zum letztenmal, Entschwindet unterm Blätterdächel...

Der Weg wird steinig, eng und schmal.

La biche retourne vite au ruisseau, Un oiseau lance un dernier appel, Et disparaît sous le toit des feuilles...

Le chemin devient pierreux, étroit et mince.

Ich steig' vom Falkenstein hernieder, Die Taschen voller Waldesfrucht, Und summe frohe, lust'ge Lieder Im Dämmerschein der Tannenschlucht.

Je redescends du Falkenstein, Les poches pleines des fruits de la forêt Fredonnant heureux de joyeuses chansons, Dans le clair-obscur des ravines de sapins

Und plötzlich winkt mir aus der Ferne, Das rote Dach, vom Wald umringt ; Wir alle haben's ja so gerne, Weil stets es uns Erholung bringt.

Et soudain au loin me fait signe Le toit rouge, cerné par la forêt ; Nous tous nous l'aimons tant, Car toujours il nous apporte le réconfort.

Ich eile schnell mit grossem Schritte Der Hütte zu, der stillen dort, Es zieht mich in der Freunde Mitte An jenen mir so trauten Ort.

Je file rapidement et à grands pas vers La Hutte, ce havre de sérénité Qui m'attire au milieu des amis Que m'offre ce lieu adoré.

Im Kreis herum geht dann der Becher, Und helle klinget auf die Nacht ; Es jauchzen laut die frohen Zecher, Derweil der Mond am Himmel wacht.

Alors au sein du Cercle circule le gobelet Qui tinte clairement dans la nuit ; Les heureux buveurs s'écrient bruyamment Sous le regard de la lune au firmament.

Ein solcher Abend kehrt non eben, Drum gebt Euch hin der Fröhlichkeit, Denn kurz ist doch des Menschen Leben, Und lang, ja lang... die Ewigkeit.

Une telle soirée reviendra, C'est ce qui vous rend joyeux, Car courte est la vie de l'Homme, Et longue, oui longue... l’Éternité.

Est-il besoin d'une explication de texte ?... Je l'imagine si facilement descendre la montagne de son pas rapide, se faufilant entre les arbres, heureux comme un gamin, les poches emplies de champignons.

Je me rappelle bien de ces moments où il vidait son sac : les trompettes de la mort nous inquiétaient, les russules aussi, heureusement les girolles éclairaient la nature-morte de leurs rassurants éclats cuivrés, et les vesses de loup faisaient guimauves... L'humus encore collé à leurs pieds embaumait alors tout le chalet du parfum de la forêt. Papa, heureux, nous cuisinait bientôt une inoubliable omelette.

Je ne sais pas si les camarades du Cercle, les buveurs dont parle Papa, avaient les mêmes sensations que nous... Nos soirées, quand nous étions en vacances là-haut en famille, étaient certainement aussi belles que leurs soirées à eux. Nous ne chantions pas il est vrai, ni ne buvions, nous jouions à des jeux de société, ou nous lisions. Hélas, ou tant mieux, nous n'étions pas encore sensibles au temps qui passe...

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AUFTAKT ZUR HUTTENSAISON 1959

OUVERTURE D’UNE SAISON À LA HUTTE 1959

Wieder ist ein Jahr versunken Im dunklen Schoss der ew'gen Nacht, Wieder grüßt der Mensch wie trunken, Des Frühlings altbewährte Macht !

Encore une année engloutie Dans le sombre sein de la nuit éternelle, À nouveau l'Homme salue comme enivré, Du printemps l'ancienne et vraie puissance !

Wieder schmücken sich die Matten ; Schaut umher in Gottes Welt ; Wie flüchten schnell des Winters Schatten Im duft'gen Wind in Wald und Feld,

A nouveau se parent les prés ; Regarde alentour le divin monde ; Comme fuient rapidement de l'hiver les ombres Dans l'odorant vent par forêts et champs.

Das Bächlein jauchzt uns froh entgegen, Hat so lang uns nicht gesehn !

Der Kuckuck ruft auf allen Wegen Sein Liebeslied im Windeswehn.

Le ruisseau frémit joyeux à notre rencontre, Depuis si longtemps qu'il nous a vus !

Le coucou appelle par tous les chemins Son chant d'amour dans le vent mouvant.

Nun, Freunde, öffnet eure Herzen Der neu erwachten Lebenslust, Vergesst doch ganz die alten Schmerzen, Singt und lacht aus voller Brust.

A présent, amis, ouvrez vos cœurs A la nouvelle et attendue joie de vivre Oubliez donc entièrement les vieilles douleurs, Chantez et riez à pleine poitrine.

Grüsst uns auch die alte Hütte, So bleibt sie uns doch immer neu !

Denn wer von euch in unserer Mitte Hängt an ihr nicht fest und treu ?...

Nous salue aussi la vieille Hutte Ainsi elle demeure à nous toujours nouvelle !

Car lequel d'entre nous, dans notre cercle N'y est pas fortement et fidèlement attaché ?...

Wieder soll ein Jahr beginnen, Ich schliesse mit dem frommen Wunsch, Es mögen lange Jahr’ noch rinnen Auf der Hütte Wein und Punsch !...

A nouveau une année peut commencer, Je termine avec ce voeu pieux, Puissent de longues années encore couler En cette Hutte vin et punch !...

Taa uff de Huett (1960-1961)

Une journée à la Hutte (1960-1961)

1- Noch lejt alles im Morjedunscht, S*Gras isch naß vum nächtliche Reje Doch der Hahn kräjt net unmesunscht, Ball schickt d'Sunn ihre warme Seje !

1- Tout dort encore dans la brume du matin L'herbe est mouillée de la pluie nocturne, Mais voilà, le coq ne chante pas pour rien, Bientôt le soleil nous envoie sa chaude bénédiction !

2- Fern im Taal e Glockeklang, De Morjewind geht lies durich d’Wiese, Jetzt duerts sicher nimmi lang : Der Himmel bleuj tuet uff sich schließe.

2- Loin dans la vallée le son d'une cloche, La vent matinal va doucement par les prés, Et cela ne va pas durer longtemps : Le ciel bleu (sombre) sur lui-même se referme.

3- Am Waldrand pfiffe d'Voejel schunn, Hoersch wie sie juble, müsiziere !

Am Berri owe lejt jetzt d'Sunn, D'Bluemle schnell sich feschtli ziere !

3- À l'orée de la forêt sifflent déjà les oiseaux, Entends comme ils jubilent, musiquent !

Sur le mont là-haut s'étend maintenant le soleil, Les fleurs vite pour la fête se maquillent !

4- Ja, e Summertaa gibt's hitt, Wie selte in's Land zejt einer.

Singe, jauchze solle d'Litt Denn s'Himmelzelt wurd immer reiner !

4- Oui, c'est une journée d'été aujourd'hui, Comme rarement on en a vu dans le pays.

Les gens doivent chanter, s'amuser Car la voûte céleste devient toujours plus pure !

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5- Still, versunne d'Huett noch ruejt, Verschlosse noch sin d'gruene Läde, D'Spinn allein verstohle luejt Um’s dichte Garn von ihre Fäde

5- Silencieux, le chalet ensoleillé encore repose, Clos sont encore les verts volets, L’araignée seule jette un regard furtif Au travers de la dense pelote de ses fils.

6- Lies fliesst d'Well am helle Bach, D'Gräsle dort tuen luschti bade...

Doch... e blöjer Rauch uff’m rote Dach Richti... jetzt geht uff e Lade !

6- Doucement s'écoule l'onde du clair ruisseau, Les petites herbes s'y baignent joyeusement...

Mais... une fumée bleue au-dessus du toit rouge Mais oui... voilà que s'ouvre un volet !

7- E lang's G'sicht, e roti Naas !...

Wer gückt in d'Luft us'm Zimmerdunkel Ob bloij de Himmel, ob naß ich’s Gras ?

Ihr han's gerote es ich der « Unkel « !

7- Un long visage, un nez rouge !... Qui regarde au dehors, du fond de l'obscure chambre Si le ciel est bleu, si l'herbe est mouillée ?

Vous l'avez deviné, c'est l' " Oncle " !

8- Z'erscht an’s Rasiere jetzt er denkt, Denn d'r " Unkel " isch üsserscht peinlich, Dann mit Wasser s'Müel er schwenkt, Au d'Schuëh er putzt, so süfer un reinlich !

8- D'abord, il pense à se raser, Car, l’Oncle est extrêmement soigné, Puis à se rincer la bouche à grande eau, Et aussi les chaussures qu'il nettoie, propres, impeccables !

9- Endlich geht er us'm Hüss, Ernscht, gemesse mit stillem Grinse, An’s stille Oërtel mueß er nüss, Nemmt Abschied von sinne Linse !

10- Dann hebt er uff so manch‘ Stuëck Holz, Macht Fier, holt Wasser, fejt un sieffert, E blanki Huett, des ich sin Stolz, Fuer die allein er bangt un ieffert !

11- D'Sunn steht jetzt schun ziemlich hoch, Derwilcht ich's langsam achte worre, Alli sin jetzt wach no doch, Jeder shuettelt d'morsche Knorre !.

12- Jetzt kommt der Wolff, er schlicht um's Eck, Betracht der Himmel, gähnt e bessel, Spiert im Maawe e grosses Leck, Un denkt derbie an d'Kaffeeschiessel.

13- Der " Präzes " spiert de Maawe nimm, Freit sich sehr uff Kaffee un Kuecha, Der Appetit, der isch ganz schlimm, Zuem Esse bruecht mer ne nit ze sueche !

14- Der Freddel macht e Gang um's Hus, Betracht bedächti s'kleine Mierel : " Ei, isch des e Luftibus, Verschwindelt het er uns, dies Birel !

15- Isch bigott noch schleujer als ich, Verdient jo unverschämti Summe, Mit Dreck un Sand berichert sich, Un mir derbi... mir sin die Dumme «

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9- Enfin il sort de la maison, Sérieux, mesuré, avec une grimace en coin, Il doit aller au petit coin silencieux, Prendre congé de ses lentilles !

10- Puis il ramasse quelques bouts de bois, Fait du feu, cherche de l'eau, balaie et époussette, Une Hutte propre, telle est sa fierté, Pour elle seule il s’inquiète et se donne !

11- Le soleil est déjà assez haut, On allait lentement vers les 8 h, Tout le monde est maintenant éveillé, Et chacun secoue ses vieux os !

12- Voilà qu'arrive le Wolff, il s'esquive à l'angle, Consulte le ciel, râle un peu, Ressent un grand creux à l'estomac, Et pense à l'instant à un bol de café.

13- Le " Président " le ventre soulagé, Se réjouit pour le café et la tarte, Son appétit est terrible, On ne le cherche jamais pour passer à table !

14- Le Fred fait sa promenade autour du chalet, Contemple pensif le muret : " Zut, c'est bien une tête de linotte, Il nous a roulé, ce fumier !

15- Il est encore plus roublard que moi, Gagne de honteuses sommes, De débris et de sable il s'enrichit, Et nous là-dedans... sommes les imbéciles "

16- Tiens, der Romain d'Tuer nüss geht, " Salut Freddel, betrachtsch de Plunder, Daß dies Mierel jetzt noch steht, Ich direkt e Teifelswunder... "

16- Tiens, c'est Romain qui pousse la porte, " Salut Fred," tu admires le désastre, Que ce muret tienne encore debout, Et vraiment un miracle du diable... "

17- Un beidi, Fachlitt vom beschte Schrot,

17- Tous deux, spécialistes, du meilleur cru

Fange an ze debattiere, Bapple sich fascht halwer tot, Kenne doch nix meh changiere !...

Commencent à débattre, Bavardent jusqu'à épuisement, Ils ne pourront pourtant plus rien changer !...

18- Unte an der alte Huett,

18- En bas au vieux chalet,

Höert mer ploetzli s'Beijl klinge, Dann e kurzer Chasseurtritt...

Wer tuet denn s'Ise jezt schun schwinge ?

On entend soudain la hache sonner, Puis un rapide pas de chasseur...

Qui donc fait déjà tournoyer le fer ?

19- E luschtig's Pfiffe, e Jüchze druff

19- Un joyeux sifflement, puis un han

Daß der Specht nur luejt wie g'stoche, Tiens der Güscht isch au schon uff, Macht klaan Holz zum Kaffekoche.

Pour que le pic soit bien planté, Tiens Auguste est levé aussi, Et fait du petit bois pour chauffer son café.

20- Rümore tuet’s im Hiesel jetzt,

20- Cela s'agite maintenant dans la petite maison,

Der Marcel holt sich d'Kärle z'samme, S'große Kuechemesser wetzt, Mueß koche hitt fuer's Kind un d’Mamme !

Marcel rassemble ses casseroles, Brandit le grand couteau de cuisine, Il doit cuisiner aujourd'hui pour femme et enfant !

21- Fangt fruej genue ze schniede an,

21- Il commence à couper de bonne heure,

Rieschte tuet er schnell d'Gewüerzle, Gibt's doch hitt e Gueckelhahn Mit Cèpes in d'Sauce un Nonnepfuerzle.

Respire rapidement les épices, Car aujourd'hui au menu c'est un coq En sauce aux cèpes et pets-de-nonnes.

22- De Charles hett sie g'holt im Fels,

22- Charles les a cueillis dans les rochers,

Hett sich halwer d'Fuëß abgeloffe, Um ze genn der letschte Schmelz Im famose Hahn vun's Hoffe !.

Il n'a pas ménagé ses jambes, Pour donner le dernier fumet Au fameux coq des Hoff !

23- Später dann der Pierre kommt rüss,

23- Plus tard alors sort le Pierre,

Schleppt der Pensel, Toepf un Farwe, Um zue striche am ganze Hüss, Die wieschte Stelle, d'alte Narwe.

Traînant pinceaux, pots et peintures, Pour peinturlurer tout le long de la maison, Aux points critiques, sur les vieilles poutres.

24- Er springt do wie e flinki Katz,

24- Il saute tel un chat agile,

Nuff uff d'Sproße vun de Leiter, Ich do drowe in einem Satz, Un pfifft bigott wie e Spatz so heiter.

Sur les marches de l'échelle,, Il est là-haut d'un seul à coup, Et siffle bon dieu tel un gai moineau.

25- Un so geht schnell der Daa erum,

25- Ainsi s'écoule trop vite cette journée,

Bis Nacht's am Tisch bim Licht von Kerze, Bim Halmaspiel un Dideldum, D'Huettelitt tuen lache un scherze !...

Pour finir de nuit, à table à la lueur des bougies, Jouant au Halma et au Dideldum, Les amis de la Hutte riant et plaisantant !...

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11 La Peinture

Ch.M. Caspar était bon portraitiste : ses amis, Steidle, Wolff, Fogé, son père sont tout à fait ressemblants, ils sont bien là, posés en quelques traits et retouches d’aquarelle.

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Dans le paysage Les deux marches bien lisibles définissent des niveaux à cet escalier. Le peintre est assis dans le chemin qui descend vers le chalet. Les trois hommes posent pour la postérité. Je reconnais Grand-Père qui est debout au milieu, mais hélas je ne vois pas qui sont les deux autres.

Une certaine fierté habite nos amateurs d’art...

Que se disent-ils ? Donne-t-on des conseils ? Y at-il un Maître, des étudiants ? Ont-ils des choses à transmettre ?

Pour en revenir aux Assemblées Générales, en dehors des problèmes de gestion, y avait-il des débats à propos de peinture, l'association étant en lien avec la Maison d'Art Alsacienne ? Il y avait, comme nous l'avons vu, des expositions à préparer. Tout le monde pouvait-il y participer ? Y avait-il sélection, etc. ?... (pages 42, 43, 44) Bref de quoi animer les fins de semaine passées ensemble à Bachmatten...

Lucien Wolff dessiné par Charles Marie Caspar

Un jour, je descendrai aussi dans le sous-bois, dans le Talweg, le chemin du facteur, le « Breiftraejerpfad » où vous alliez tous peindre. Il y aura un moment béni où nous aquarellerons tous les trois dans le même lieu, où nous serons tous les trois encore vivants. Grand-Père était coiffé d’un curieux casque colonial. Un trépied lui servait de siège et il pinçait son beau papier à une planchette vissée sur un petit chevalet. J’ai chez moi dans mon atelier toutes ces reliques, sauf le casque blanc.

Papa lui, peignait debout et moi j'étais assis sur un des rochers au bord du chemin.

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E Molerphantasie Männerowe 1963 (Frühjohr)

Une fantaisie de peintres (printemps1963)

Der Lenz, der gückt durchs Himmelstor, Uff d’Matte, wo e Hiesel steht : Bachmatte heisst der Flecke Erd : « Ach, isch der noch gräue un blass " Saat sich do der Früejohrsgott, " Do müess isch doch mol nunter gehn Und Farwe bringe dene arma Troepf : S’ganze Johr tüen die sich schinde Mit Pensel, Stift und Tusch un Fedder : Sin halt Moler, Narrenmensche, Will’ne d’Hand doch bissel füehre ! « Und sieh doch...s’glänze d’Wiese jetzt.

In zahrte grüen un bläue Toën !

Im ganze Revier tüet’s herrlich blüeje !

Le Printemps regarde par la porte céleste, Les prés, où se dresse une maisonnette : Cette tache terrestre, c’est Bachmatten : « Oh, comme il y fait gris et blafard " Se dit la divinité printanière, " Il me faut pour une fois y descendre Et apporter la couleur à ces pauvres hères : Toute l’année ils se coltinent avec pinceaux, Crayons, encres et plumes : Enfin ils sont peintres, hommes un peu fous, Je vais guider un peu leurs mains ! « Et vois... les prairies étincellent maintenant, En de doux verts et des tons bleus !

Dans le hallier tout se met à fleurir !

Der Unkel uff d’Palett tuet lüeje, Suëcht die Tönle, verzwiefelt ball : Zwische d’Zähn er Murmelt wüetig : « Wie mach’i denn des Gäl, bigott ?

Isch ken Ocker, isch ken Nappel, Un des Blüej am Himmel dort, Wer tuet mir s’Rezept doch genn, Zem Teifel mit der Molereï Mit der heilig « Perkeptiv « S’ganze Lewe tüet mer süeche, Schinde, Kratze, schmiere, trüele, Und was derbi dann kommt herüs, Isch immer s’selwe, immer s’selwe : Roti Dächer, gäli Wänd, Blüeje Himmel, grüeni Fläde !

Zem Kückück mit dem bloede Dings !...

Und d’Litt dann komme kritisiere : Des’ hätt isch so gemählt oder so !...»

L’Oncle sur sa palette regarde, Cherche les tonalités, bientôt renonce : Il murmure entre les dents : « Comment vais-je faire le jaune, nom de dieu ? Ça n’est pas de l’ocre ni du Naples Et le bleu au ciel là-bas, Qui me donnerait donc la recette, Au diable la peinture Avec la sainte " perspective " Toute la vie nous cherchons, Nous nous efforçons, grattons, tartinons, truellons, Et pour ce qu’il en sort, C’est toujours la même chose, toujours pareil : Des toits rouges, des murs jaunes, Des ciels bleus, des tartines vertes ! « Au coucou « ces stupides choses !...

Et les gens viennent alors critiquer : J’aurais peint ça comme ci ou comme ça !..."

Nett ze redde von de Moler, Die dann geftig ihre Geifer Uff des Bild tüen schädli troëpfle : « Ach, wass will denn der domit ?

Molt noch wie Mathusalam Derbi isch d’Welt jetzt ganz abstrakt ! ! !..."

Un vor Zorn der Onkel rennt Uff sinn Bild un will’s zerstöere...

Und... fängt halt noch emol von vorne an ! ! !

Der Scharl, der derzüe dann kommt, Betracht der Unkel un sin Bild S’verbissene Ringe, die Höellequal, Und saat : " er hett e ander Fimmel ! !

Unkel, ich hab’s jo immer g’saat : Nemmi Sie e Blatt Papier, Isorel und Bristolglanz; Warum so graowi Linwanad do !

S’losst sich so herrlich mole druff, So licht, so g’schmiedig, so flüessig rein !

Und entwirft in füenf Minüte S’schoenschte Bild üs der Lufft gegriffe !

Ne parlons pas des peintres, Qui alors vicieux, distillent leur perfidie Sur ce tableau en de dommageables gouttelettes : « Ach, mais que veut-il donc dire avec ça ?

Peint encore comme Mathusalem, de plus Le monde est maintenant complètement abstrait ! ! !..."

Pris de colère l’oncle se précipite sur Son tableau et veut le détruire...

Et... recommence... depuis le début ! ! !

Le Charles, qui alors s’approche, Observe l’Oncle et son tableau L’ovale écrasé, l’huile médiocre, Et dit : " Il a une autre lubie ! !...

Oncle, mais je l’ai toujours dit : Prenez une feuille de papier, De l‘isorel ou le brillant bristol, Pourquoi une rugueuse toile de lin là !

On peut y peindre noblement, Si légèrement, si précisément, pure, liquide Et esquissée en cinq minutes La plus belle peinture saisie de l’atmosphère !

« Ja, die Moler henns nett licht " Saat der Marcel do und grinst. « Froej’ mich oft, hett’s denn e Wert ze mole, ze zeichne, in Steinize haue ?

Des’ henn vor eïch viel gemacht, Gibt nix Neies unter der Sunn : D’alte Ägypter henns’s gewüest, Was der Picasso jetzt macht : Mole d’Maidle von vorn un hinte, Von der Sitt un noch von unte, Un alles z’samme in einer Figür ! !

Glauwe mer, ihr liewi Frind, Höere Müsik, s’strengt net an, Un herrlch kann mer traïme dru ! « Der Lucien vekniffe steht derbi, Komplexe hett er wenig zwar : A alter Brunne, e schöner Baam, E wettergräui Schier, e Dach Mit Moos, e alter Gartezünn...

Und schun isch s’ Bild in vollem Gang. « Er sehn jo viel ze viel Probleme !

Mole wie in d’Händ eïch’s kommt, Der Rescht, der stellt sich dann schun in, E jedes Bild isch wunderschen, Wenn Fliess und Ernscht derhinter steckt ! « Der Freddel denkt : " Die Molergild Benemmt sich widder gar ze Wild, Hett’s nur immer von Töen un Farwe, Von Stich un Schatten, Grund un Form...

Nemme doch e Farwefilm, De Photoapparat ind’Hand, Der Fortschritt erspart eïch d’unnüetz Müej !

Der Romain zeichnt gar net schlecht, Macht’s leider de ganze Taa m’G’schäft, Un owetst muess er d’Frau üsfiere,, Praktich fehlt imm Zitt zum Mole !...

Der Güscht losst Moler, Moler sinn, Hett ganz gern e schönes Bild : Hett sich uwer de ganze Taa Mit Zaale, Rechne herumzeschlawe, Daß alles peinlich stimme tüet, Wenn s’Hüette Büch wurd kontrolliert.

Der Issehueth macht’s noch am Beschte Hett sich a ganzes Musée kauft, In G’stalt vome schöene, tiere Buësch, Un ball kenn Dali un Konsorte Füer inne kehn Geheimnis meh ! Üwerhaupt, warum sisch stritte, Jeder Mensch sieht d’Weltt jo andesch, Warum soll dann der Molermensch Net schaffe kenne, wie er will ? !

De Freddy hantiert mit Schrüwezejer, Mit Litze, Beere, elektrisch Licht, Und niemes tuët ne kritisiere...

So lonn im Moler sini Farwe, Im Zeichner d’Fedder, spitz oder « ronde « Il faut de tout pour faire un monde ! !...

" Oui, les peintres ne l’ont pas facile " Dit Marcel à ce moment et grincheux : Je me demande souvent si cela vaut la peine de peindre, de dessiner, de taper dans la pierre ?

Cela, avant vous, bien des gens l’ont fait, Il n’y a rien de nouveau sous le soleil : Les anciens Égyptiens le savaient, Ce que Picasso fait maintenant : Peindre les filles de face, de dos, De profil et encore de dessous, Et le tout assemblé en une figure ! !

Croyez-moi, vous mes chers amis, Écouter de la musique, ça ne stresse pas, Et l’on peut magnifiquement rêver avec elle ! " Lucien l’air pincé, est debout près d’eux, Il a peu de complexes d’ailleurs : Un vieux puits, un bel arbre, Une grange grise comme le temps, un toit Avec de la mousse, un vieil abri de jardin...

Et déjà le tableau est dans son plein rythme.

Vous voyez beaucoup trop de problèmes !

Peignez comme cela vient de vos mains.

Le reste, lui, viendra se placer alors, Et chaque tableau est admirable, Quand aisance et sérieux s’y cachent !

Freddy pense : " la guilde des peintres « se prend encore le chou «, Il s’agit constamment de tons, de couleurs, de traits et d’ombres, de fond et de forme...

Prenez donc de la pellicule couleur, L’appareil photo en main, Ce progrès vous épargnerait bien d’inutiles fatigues !

Romain ne dessine pas si mal, Passe hélas toute la journée au magasin, Et le soir doit sortir sa femme... il lui manque Pratiquement du temps pour peindre !...

Auguste laisse les peintres être peintres, Aime particulièrement un tableau : A passé toute sa journée Avec des chiffres, se battant avec les factures, Afin que tout soit méticuleusement correct, Au cas où le livre de compte de la Hutte serait contrôlé.

L’Issenhutt s’en sort le mieux, Il s’est acheté tout un musée, Sous la forme d’un beau et onéreux livre, Et bientôt Dali et Compagnie N’ont plus pour lui de mystère !

Après tout pourquoi se quereller Chaque homme voit le monde différemment, Pourquoi le peintre ne pourrait-il pas Travailler comme il l’entend ? !

Le Freddy est préoccupé de tournevis, D’ampoules, de lumière électrique, Et personne ne le critique....

Alors laissez au peintre ses couleurs, Au dessinateur la plume pointue ou ronde...

Il faut de tout pour faire un monde ! !

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E Molerkritik

Un critique d'art

De Seppel het e Bild gemolt s'isch ein guet reussiert het no sinni Kuppel g'holt ietzt wurd kritisiert.

Le Seppel a peint une toile Qu'il juge avoir bien réussie Puis il a cherché ses collègues Et c'est parti pour la critique.

De aander maant, es isch nit schlecht doch ich ebs wo mich steert Rächt hm... ich weiss ebs wo nit kadriert.

L'un juge que ce n'est pas mal Mais quelque chose me gêne C'est... hum... je ne saurais dire Quelque chose qui ne cadre pas.

Der Baam do, der g'hert e weg, De Felse hett'sch sotte drucke, des Licht dort wirickt wie e Fleck des Huss mich'sch ganz verrucke.

Là, vois l'arbre, il faut le supprimer, Le rocher aurait dû être de côté, La-bas la lumière fait plutôt tache, La maison, tu devrais la reculer.

De Pfad g'hert nit in d'Mitte, Ich hett ne links gemolt So wurd’s'Bild durich g'schnitte De Vordergrund g'hert ersht g'holt.

Le sentier ne doit pas être central, Je l'aurais bien peint à gauche Car ton tableau est coupé en deux, L'avant-plan méritait d'être traité d'abord.

Die Wolike haett'sch nitt sodde mache Haett'sch de Himmel bloij gelonn, s'sinn uewer habt so manchi Sache Wo s Sujet nit redde lonn,

Tu n'aurais pas dû peindre les nuages Le ciel, tu aurais dû le laisser bleu, Ce sont ainsi certains détails que le sujet ne supporte pas.

De n'Ander maant ganzunscheniert un blinzelt mit de Aue : Ich find es ich e bissel g'schmiert un D'Farwe sin verhaue.

Un autre avise sans gêne aucune, Tout en plissant ses yeux : Je trouve que c'est un peu un barbouillage Et que les couleurs sont brutales.

In’s Laub g'hert Chromgel nin un nit raans Emeraude, uff d’Dâcher nitt e purs Karmin sunsch sinn ze viel ze rot.

Pour l'herbe, il faut du jaune de Chrome Et pas ce pur Émeraude, Pour les toits, pas de pur Carmin Sinon ils seront trop rouges.

De Himmel hesch in Preusisch bloij anstatt in Outremer, un d'Wolike hann e draeggets greu... ja, s'Mische isch halt schwer.

Pour le ciel tu prends le Bleu Prusse Au lieu de l'Outremer, Et puis tes nuages font gris sale...

Eh oui le mélange est dur à maîtriser.

In d'Baamriend macht m'r Sepia un keen Scharlachrot,, der binselt d'Wies in Reseda, dess isch doch nit gemolt.

L’écorce se fait en Sépia Et point de rouge écarlate, Il peint la prairie en Réséda, Ça n'est donc pas ainsi qu'il faut peindre.

De Seppei isch dann uff Paris hett dort sin Bild ussgestellt, hett greijt defuer e gueter Priss, rneh' wie er hett gewellt.

Puis le Sepp est monté à Paris, Où il a exposé sa toile, Pour laquelle il a eu un bon prix, Bien davantage qu'il en espérait.

Er isch zeruck zu sinni Litt Hett die Million gezeit Sie hann sich dann noch kurzer Zitt An Gälsucht krank gelaijt.

Puis il est revenu voir ses amis, Leur a montré son million, Ils en ont tous attrapé la jaunisse Quelques temps après.

Ce magnifique portrait de Fritz Steidlé, dessiné, aquarellé et signé Freyburger en 1932, un peintre dont il ne reste que peu de traces, a toujours habité le chalet du haut.

De Fritz Steidlé, j'ai retrouvé dans le catalogue d'une vente aux enchères à Entzheim, ce beau panoramique alsacien peint en 1928. Il n'avait pas été vendu, j'ai donc demandé à ce qu'il soit proposé aux enchères une 2e fois en septembre dernier. Ce jour là, nous voyant intéressés, une personne dans l'ombre n'a cessé de surenchérir et le tableau a fini par nous échapper. Le conseil à donner aux amateurs de ce genre d'exercice est celui de ne pas montrer son intérêt du tout, de lever la main au dernier moment et en jouant l'ennui. C'est un paysage idéal, habité de promeneurs dans un style remontant au XVIIIe siècle que l'on ne pratiquait plus depuis longtemps : de là son charme extraordinaire. Il n'est pas étonnant que ce petit monsieur ait été très aimé par ses collègues du Cercle.

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Farwe

Les Couleurs

Gräuï isch alli Theorie, Schwarz isch’s irdisch Jammertal, Rotverquält isch d’Liewelei, Schwefelgeel d’r menSchlich Hass

Les gris sont de la théorie, Le noir n'est que la terrestre vallée de larmes, Le rouge éclatant c'est l'amour, Le jaune soufre est haine de l'humain.

Doch zum Glüeck sinn himmelblauï D’Musik, d’Kunscht und’ Dichtereï, Goldig perlend isch der Winn, Grünlich schimmernd d’Berrywelt !

Mais par chance existent les bleu ciel La musique, l'art et la poésie, De perles d'or est le vin, Miroitent les verts du monde de la montagne !

Üwer alles awer doch Strahlt im hellsschte, schöenschte Leecht E’n Abglanz vun’re bessere Welt, S’Au vue Frind in Lieb’ un Treï !

Mais par dessus tout / Ce qui brille dans la plus claire, la plus belle des lumières Reflet du meilleur des mondes, C'est l’œil de l'ami cher et fidèle !

Une image de légende On est sérieux. Charles Marie Caspar est à gauche, en short, derrière lui, au milieu, Rodolphe Fogé habillé de son éternel pantalon de golf (Bomphose...) à droite Madame Fogé. Est-ce Maman qui prend la photo ? Les monts de l'arrière plan nous indiqueraient bien que nous sommes dans Grendelbruch.

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Des Lieux Ils sont à la sortie de Muhlbach. Le chemin monte vers Grendelbruch. Caspar s’est posté à proximité de Fogé. Les dames sont là également.

C’est l’époque où le jeune peintre recommandait le bristol au vieux maître et c'était le moment de reprendre comme refrain d'une chanson, les fragments drolatiques du poème, cette fantaisie de peintre-poète, que j'ai tenté de traduire ci-dessus.

Mais Charles déjà a entamé sa deuxième peinture, il a tourné tout simplement son chevalet vers la forêt, brossé et achevé le tout de quelques coups de couteau bien sentis, sifflotant, s’amusant de la lenteur et du sérieux de son vieil ami. Les dames, elles, montent pendant ce temps au chalet préparer le repas…

Demain, Rodolphe et Charles descendront dans le chemin sous les chalets, ils ont pas mal de feuilles de papier Bristol, et l'idée de jouer de la brosse et du couteau les démange.

3 peintures de Charles Marie Caspar 125

Compagnons

Papa est à gauche, il est avec Erny. Ils sont au bord de la route qui monte vers Grendelbruch, là où débouche le « Chemin du facteur ". Le grand carrefour avec la route de Schirmeck est masqué par le tableau de Papa. Les peintres sont droits, face au motif. Ils tiennent leur palette de la main droite… Ils ne sont pourtant pas gauchers!… Si la photographie était inversée ça n'est plus le carrefour auquel je pensais... Et voilà nos peintres dans une posture plus naturelle... Preuve est donnée par une autre photo que Léon Erny était bien droitier, mon père aussi, leurs brosses sont dans leur main droite. Mais alors où sont-ils donc ? ! Il semblerait qu'il y ait des maisons dans le tableau de papa. Ils sont de toute manière aux alentours de Grendelbruch. Il ne me reste plus qu'à tenter de retrouver ce lieu...

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Bachmatten, le Hahneberi

Bachmatten en 1951 et le Hahneberi, vus par Charles Caspar.

Un chemin de terre, des abords aérés. Aujourd’hui de grands arbres réduisent le panorama.

Et quelles belles aquarelles ! Finalement peu de détails, une leçon.

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La Ferme Schwaller

Peinture de Lucien Wolff « Avant que tu ne montes, entre ici, fais un saut chez Schwaller et bois une chopine de son «jaune» (blanc), il a aussi de la bière, il te suffit de choisir. Maintenant paie vite, on te rend la monnaie ? Adieu tout le monde, montons vers la maison. » (Ode p 67 à 71) La ferme des Schwaller faisait aussi restaurant. L’un de nous passait y prendre les clés des chalets. Bien sûr la tentation était grande d’y prendre un verre, on avait déjà chaud, la montée est assez raide, nous venions à pied depuis la gare de Lutzelhouse. L’eau du ruisseau à l’arrivée pouvait-elle être consommée, peut-être, il n’y avait pas d’autres maisons au-dessus dans les années 50. Des animaux sans doute. De toute façon, il fallait éclaircir l’arrivée de l’eau encombrée la plupart du temps de feuilles et de branches.

On préférait la bière, que l’on prenait d’ailleurs à l'auberge. Nous n’allions tout de même pas se la trimballer depuis Strasbourg… Nous les enfants, nous redescendions chercher le lait avec les bidons en alu. « À peine quelques pas vers la montagne , Que tu perçois tout à coup quelque chose. Là en contre-bas, tu entends comme des voix, par dessus la haie quelques tuiles rouges luisent, encore quelques pas à gauche à travers le pré.

Elle est étendue là dans ses habits du dimanche ! Avec de verts volets, de brillantes fenêtres.

On a envie de se frotter joyeusement les mains. Son toit rouge brille dans les rayons du soleil, rêve contre le bleu du ciel, à l’arrière plan la forêt si belle, qui invite à la promenade. » 128

La Ferme Schwaller, peinture de Charles Marie Caspar

La route de Grendelbruch, peinture de Rodolphe Fogé

La peinture de Rodolphe Fogé représente très précisément ce que l’on voyait quand on regardait vers la vallée en étant juste au-dessus de notre entrée, ce petit portique à droite, sous le bouleau, comme désigné par l’ombre qui traverse le grand chemin de terre rose qui vient de Muhlbach. La maison au loin est celle de la mystérieuse famille dont nous n’avons jamais vu personne. Elle est en face des Schwaller. On aperçoit la grande ruche où travaillaient les abeilles qui nous donnaient, il était tout noir, le meilleur miel de sapin du monde.

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12 Un Maître

" Foi de Rodolphe, je suis pas mal installé, j’ai enfoncé les pieds du chevalet dans le sol. Ça branle quand même quand je peins... Charel n’est pas loin.

Bon, le dessin est posé, les couleurs sont prêtes, je vais d’abord placer l’essentiel des verts, ensuite charger une brosse pour les ombres et une autre pour les lumières, et bien regarder... se décider... car il faut aller vite, nous avons à peine 5 minutes pour poser les plus évidentes, le soleil tourne... les Impressionnistes réussissaient bien, eux, à tout faire d’un seul coup... bah, s’il faisait beau nous reviendrions demain... dommage que l’on ne puisse pas laisser le chevalet planté là...

Il y a quand même des gens qui montent vers Grendelbruch par ce chemin... " 130

Il marche sur les sentiers, s’écarte, cherche le motif. Le sol monte, les arbres s’écartent et enfin encadrent rochers, sols mousseux, entrelacs d’ombres et de lumières.

Poser le sac. Pas assez de temps pour monter le chevalet. Dessiner...

Les sous-bois de Rodolphe Fogé révèlent un caractère fort. La mise en place est rapide, déterminée, énergique. Un dynamique hachurage oblique crée l’espace où viennent se prendre les traits volontaires qui positionnent les arbres.

La composition ressemble à celle d'un rideau que l'on ouvrirait de gauche à droite. La ligne verticale de droite et le hachurage qui dessinent le grand tronc d'arbre ferment la composition.

Dans la partie basse, le dessinateur en plaçant vigoureusement les ombres, figure la pente importante dans ce sous-bois. On était le 19-8-55.

Le second croquis, pris dans le carnet à spirales de format 21 x 13,5 est daté du 19-8-56... Nous sommes un an après... Au premier plan, des pierres, puis la pente. Les arbres sont plantés avec force.

Les traits sont posés en tout sens : le dessinateur s'énerve dans les hauteurs : les traits sont ébouriffés, puis il revient avec une intensité nerveuse, voire féroce pour affermir l'oblique des arbustes. Quatre à cinq troncs plus épais gardent l'ensemble debout.

Rodolphe Fogé s'est ici véritablement escrimé avec le motif et il n'a pas vu le possible jeu géométrique des branches et des jeunes arbres obliques, organisation qui s'offrait à lui et qui pouvait lui simplifier la vie.

Que l'on ne trouve pas dans ces études plus de traces d'un esprit analytique et constructeur est assez curieux d'autant plus que ce qui caractérisait justement cet homme, c'était son sérieux, son sens de l'ordre...

Il est pris entre deux feux, entre le désir de bien faire, comme d'habitude, et celui de s'exprimer par la vitesse, au risque de perdre le contrôle...

Les dessins que contient ce précieux carnet sont tous datés, quelle chance ! Nous pouvons ainsi suivre les pérégrinations de ce peintre du 19 août 55 au 21 décembre 67 !

L'idée qu'il y ait progression graphique qui deviendrait style, nous vient alors à l'esprit.

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1957 Grande variation graphique, mais qui ne peut trouver l'harmonie. Hachurages obliques, dans les 2 sens. Les branches fines de l'arrière-plan auraient pu être liées par quelque rythme. L'insistance sur des détails et notamment sur les blessures de l'arbre de gauche qui l'intriguent, empêche l'unité d'ensemble. Il s'agit de fait, quand il faut finalement se hater de rentrer, d'une re-ponctuation rapide de dernier instant : il n'est plus temps d'être contemplatif...

Retenons pour bien apprécier ce dessin, les lignes à droite qui ouvrent le chemin, qui sont parfaites, rapides, aisées.

1960 Beaucoup d'énergie dans le crayonnage, le dessinateur pose l'ombre et l'herbe de gauche à droite, y plante avec force les arbres fins : deux à gauche et deux groupes de trois au centre et à droite, ensemble rythmé qui a arrêté le promeneur. Masses claires et sombres s'équilibrent et créent avec le mouchetis du fond, un fond de scène cohérent. Les branches fines, obliques à 45° dans les deux sens, pouvaient former deux trames rythmiques croisées, subtiles.

1967 Le peintre a choisi son motif : un amas de pierres au pied d'un arbre. L'ensemble est composé comme un grand éventail. Une insistance pour figurer la pente crée un lien avec ce premier plan et la confusion. Rodolphe aurait-il trouvé, dans l'usage de cette " ligne claire " son style ?

C'était le 21-12-1967. Le froid l'aurait-il poussé à l'essentiel ?

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" Sapins blancs au Hohbühl " et " Briefträgerweg " sont tous deux du mois d'août 64.

On constate que Rodolphe Fogé dessine de façon différente selon le motif, selon l'humeur. Il se promène, le carnet dans une poche, toujours en pantalon de golf et chaussettes blanches. Il porte le blouson de toile couleur crème, c'est l'été. Il a 74 ans.

Il monte au Hahneberi, prend sur la droite le " Chemin du panorama " continue jusqu'au Hohbuehl.

Le chemin longe la forêt. Voici que la blancheur du rideau des arbres de bordure l'intrigue. Le contraste qu'elle fait avec les profondeurs, le pousse à saisir son crayon, à ouvrir le carnet.

Les troncs au 1er plan penchent légèrement à droite, ceux du 2e plan vers la gauche. Préserver ces blancheurs, dessiner l'entre... donner de la densité à la pente, souligner l'oblique de l'arbre couché. Vite saisir l'essentiel de ce qui l'a arrêté ici. Les traits sont nerveux, volubiles, la vitesse, l'énergie donnent toute l'unité à ce croquis. Il maugrée : " Oui, je sais, il y a longtemps que Cézanne laisse ses arbres blancs et peint plutôt ce qui se passe entre. Charles m'a expliqué ça... Ça n'est pas son fils, parce qu'il fait maintenant ses études à Paris, qui va nous emmerder avec sa culture toute neuve... Tous les mêmes, ces jeunes loups déjà prêts à nous enterrer... Remarque, pour ces arbres, il aurait raison... d'ailleurs comme il le dit, dessiner c'est construire, le faisons-nous assez?... ou encore un dessin, c'est un rythme... Ce que j'ai fait là me paraît dans cet esprit, non, en plus libre !... ...Il faudra que je leur montre de quel bois je me chauffe... mon croquis du 9 août, ces cailloux au bord du chemin, une vraie danse ! " 133

Fidélité

Voilà ce qui me touche chez le vieux peintre, sa fidélité à ces paysages ordinaires, à ces chemins qu'il parcourt encore et encore, sachant pouvoir y trouver l'accord, l'harmonie. Ces hommes ont arpenté en amis cette nature paisible, ronde, riche de multiples refuges pour la méditation et la peinture, offrant mûres, framboises et myrtilles le long des chemins. Ils y ont emmené leurs épouses, leurs enfants pour partager avec eux ce bonheur.

Rodolphe Fogé redescend du Hohbuehl et encore une fois s'arrête pour dessiner ce " chemin du panorama " bordé de buissons et ouvrant vers les monts bleus au-dessus de Lutzelhouse où il va demain prendre le train du retour.

Il sait bien que le temps passe. Mais sait aussi qu'il s'offre, quand il dessine, des moments " hors du temps " : quand il a l'oeil ouvert sur ce réel qu'il dessine, ces pierres, ces montagnes, cet horizon, il lui semble que le temps s'est arrêté. Debout derrière son chevalet, l'intelligence en éveil, il construit son tableau, emprunte formes et couleurs à cette belle nature qui est devant lui. Les difficultés à les saisir, le désir d'y parvenir, lui procurent une douce et agréable fatigue, fruit de sa concentration. Le souci de peindre lui fait oublier ainsi les heures qui s'écoulent.

C'est la cloche de l'église de Muhlbach qui le fera revenir dans le réel...

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Grendelbruch Lors de leurs vacances d'été, quand commençait à manquer le pain, les saucisses, les fruits et les légumes, ils montaient à Grendelbruch.

Quand on croise la route de Schirmeck et que l'on fait quelques mètres, déjà le ciel s'est élargi, apparaît alors cette ouverture extraordinaire entre deux montagnes qui nous aspire comme si la hauteur conquise par notre montée nous donnait des ailes pour voler par delà Heiligenberg vers la plaine d'Alsace. Puis un banc attend les marcheurs pour leur offrir la deuxième surprise : Grendelbruch, ses maisons nichées dans ce creux autour de son église. Paysage magnifique.

Pas étonnant que nos grands-pères en soient tombés amoureux.

À la fontaine et devant l'église arrive la route que l'on vient de prendre, qui vient de Schirmeck. Sur la droite, derrière la Mairie, s'élance celle qui monte au cimetière militaire et au Hohbuel, droit devant, la route qui d'abord descend puis remonte ensuite et qui permet d'aller jusqu'au Champ du Feu par la Rothlach, enfin à gauche avant l'église, celle qui descend vers la Fishhütte, vers Mollkirch ou Rosheim et plus loin, Strasbourg, ou encore Boersch ou Klingental puis Obernai, etc...

Les gens de Bachmatten y retrouvaient Marcel, l'épicier d'alors, qui était heureux de les revoir, car il s'intéressait à leurs peintures. Il y avait aussi le boulanger, le boucher, le marchand de journaux : chez lui, enfants, nous allions dépenser nos quelques sous pour acheter le journal de Mickey ou Spirou, lorgner les mille et un gadgets et ce décor empli de bonbons de toutes les couleurs. J'y achète encore le journal quand je suis en vacances à Bachmatten. J'y revois le fils du marchand qui ressemble tellement à son père...

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Voilà le croquis utilisé pour réaliser le tableau. Il semble avoir été fait en moins de 10 minutes. De retour sur la terrasse du chalet du haut, le peintre a ce dessin sous les yeux et le compare à la toile qu'il a commencée en début d'après-midi sous Grendelbruch. Quelques notes colorées, l'ocre rouge et ses variations pour les toits des maisons, les pierres d'angle de l'église, le vert émeraude pour les arbres et le pré du 1er plan avec de l'ocre, sont en place. Le plus long ce sont les détails du clocher et les fenêtres des maisons avec les volets, qu'il reste à préciser. D'autre part, il faut faire bien attention : le soleil éclaire les façades ouest... Il faudra retourner au village pour finir le tableau : heureusement, on annonce du beau temps.

Dans Grendelbruch. Le peintre a demandé s'il pouvait se mettre là. Les gens sont venus le voir faire.

C'est toujours magique quand on voit apparaître progressivement l'image, et en plus celle de sa maison... On lui propose un café. Le sol est joliment peint avec du carmin et jaune de Naples, du bleu de cobalt et dans l'ombre au sol des traces de vert ocré. Le vert émeraude est là comme souvent, et l'orangé, un cadmium sans doute, mêlé à l'ocre rouge, est du plus bel effet sur le toit au centre du tableau. Le jardin devant la maison est une merveille de peinture d'effets, et il faudra revenir sur cette intéressante manière de peindre. Terre de Sienne et bleu outremer colorent les murs de gauche. Le jaune de la façade de droite semble être fait d'un mélange d'ocre rouge, d'ocre jaune et de citron. La montagne est reliée au ciel par l'outremer. Cette oeuvre de Rodolphe Fogé est fort belle.

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Charles Marie Caspar

Charles Marie Caspar, Grendelbruch, aquarelle et huile 137

Daniel Charles Caspar...

Oui, mon père et moi avons peint parfois côte à côte, sans nous rendre compte vraiment du caractère extraordinaire de ces moments. J’avoue ne pas en avoir été bien conscient. Ce n’est que le jour de sa disparition le 10 mai 1990, qu’en me jetant dans l’écriture à sa poursuite, pour le questionner sur sa peinture, que je découvris en même temps et progressivement l’attachement de ce fils, mon père, à son propre père, et l’importance de ce lieu où ils se sont transmis, sans le dire peut-être, ou maladroitement, l’amour de l’art.

Comment ne pas aimer toujours ces paysages où ils ont vécu, et je le crois vraiment, réalisé l’utopie : celle d’un Cercle d’Amis Amateurs d’Art, promeneurs et peintres assidus, passionnés de débats sur la couleur, la touche, l’atmosphère, les passages nuageux, que ce soit ici à Bachmatten ou lors de leur réunions dans les Winstuben de Strasbourg, préparant une exposition de paysages ou de bouquets de fleurs chez Landwerlin.

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Mais revenons donc en arrière dans le temps. Au temps des expositions.

C’est l’automne. Les peintres paysagistes du Cercle des Amateurs d’Art sont rentrés de Bachmatten. Ils sont revenus dans leurs ateliers. L’un ou l’autre d’entre eux va exposer à la Maison d’Art. Les bonnes pochades de l’été vont devenir des tableaux. De l’aquarelle ou de la gouache, on passe à la peinture à l’huile. Vous verrez la Stimmung dans les paysages aux ciels chargés, les nuages posés sur les épaules bleues des montagnes. Les bouquets de fleurs montreront leur savoir-faire, et aussi des portraits si réussis, si ressemblants. Ils parleront de coloris, d’atmosphère, de pâte, ou de patte,.. Il y aura du monde, du Riesling, les amis, les habitués, des acheteurs peut-être... Les critiques seront là : Lenossos, Andrès, qui aiment assez ce qu'ils font et leur sont à peu près acquis, mais Heitz ?

13 La Critique d’Art Janvier 1938 C'était la première exposition du Groupe des Paysagistes Indépendants.

Ils étaient 8 dans la salle de La Coupole, rue des Francs-Bourgeois : Branig, Buchel, Caspar-Père, Claus, Fogé, Kopff, Steidlé et toi Caspar Fils...

Un jeune critique, Marc Lenossos écrit dans les Dernières Nouvelles d'Alsace : « L’ensemble présenté est honorable. Les exposants ne sont pas des professionnels et ne sont déjà plus des amateurs. Tous ont travaillé consciencieusement avec une sincérité louable.

Deux d'entre eux flirtent avec le grand Art. Un seul, le jeune Ch. M. Caspar (fils), âgé de 23 ans, se détache nettement du peloton et, s’il continue, Strasbourg s'enrichira bientôt d'un artiste remarquable. Voici un débutant qui promet. Ses gouaches, d'une exécution libre et déjà sûre, sont d'une extraordinaire justesse de tonalité. Une personnalité perce dans ces études sans prétention, mais qui révèlent un instinct très développé de perception vis à vis des variations et finesses de l'atmosphère... Une étude à l'huile laisse pressentir ce que Charles Marie Caspar Fils pourra réaliser lorsqu'il se sera entraîné à peindre plus hardiment encore sur des toiles plus grandes. «

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L'exposition dont je me souviens Courons alors à l'exposition « Rodolphe Fogé et Charles Marie Caspar» à la Maison Alsacienne, rue Brûlée, ce samedi 8 janvier 1947.

Je sens l'odeur de Riesling, oui moi, et le bruissement des robes des dames.

On monte un petit escalier, j'entends les voix alsaciennes, les commentaires aux sons flûtés.

La lumière est à mi-hauteur sur tes tableaux, les cadres les entourent d'admiration et soulignent leur valeur.

Je crois que Monsieur Fogé te dispute la gloire...

C'est là qu'exposent les membres de l’Association des Artistes Indépendants d'Alsace.

Tu en fais partie depuis 1946 et la critique se souvient encore de ta participation au vernissage de l'an passé où tu montrais déjà ton « coup d'oeil « d'artiste, sens de l’ équilibre, simplicité de touche, sens des fraîches couleurs et sûreté paisible... «

Marc Lenossos y vient. Il te sera d'ailleurs toujours fidèle. Il poursuit : « Charles-Marie Caspar n'a pas encore 32 ans. Doué d'un tempérament d'artiste et d'une culture générale, son oeuvre picturale échappe à la banalité et déjà, affirme une personnalité attachante. C'est la peinture d'un intellectuel émotif. II comprend et sent intensément le motif.

Il le campe avec le respect de la tradition classique. Il équilibre ses masses avec un sens inné de la composition et de l’harmonie. « Son originalité réside précisément dans la beauté des accents sourds de sa palette aux tons bleutés, verdâtres, plombés et mélancoliques... Caspar est avant tout un peintre d'atmosphère.

Il excelle à rendre la « Stimmung » des ciels inquiets d'orage. Il plane sur ses tableaux une lourdeur, accablante parfois, mais pudique. Et ceci lui est propre. Aucun autre artiste ne l'a exprimé avant lui de cette manière, avec autant de force. Notons quelques pièces significatives : « Champs aux environs de Strasbourg «, « Clairière ensoleillée «, plus blonde, plus claire et qui marque une heureuse recherche de luminosité.

Il en est d’autres qui viendront à toutes tes expositions chez Landwerlin, rue Brûlée.

Roger Kiehl par exemple, qui écrit en 1972 : « Sobre campement, encore que réfractaire à la sécheresse, structure simple, accessibilité des intentions, autant d'atouts dans le travail du peintre, qui mesure ses éclats et ne met jamais son motif à la torture. Autant dire qu'il s'agit d'un travail sans contrainte qui surmonte les périls avec gentillesse et avec sérénité, ne tombant jamais dans le gratuit ou le spécieux.

Un peu lourde parfois, sa touche ne s'inscrit pas moins dans une recherche de rapports de tons réfléchis.

Mais que lis-je aujourd'hui dans l'article de Lenossos ? ! «

Mais tout n'est point parfait... Il peint admirablement les ciels et les terrains, il n'a pas encore

complètement compris le problème complexe de la fluidité miroitante des eaux...

Certaines toiles auraient gagné à être plus largement traitées. Ce qui est matériellement impossible à l'exposant, dont le séjour en Bretagne n'a pas suffisamment duré...

Il faut en effet être imprégné d'un climat pour sentir d'instinct les simplifications qui s‘imposent...

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Charles M. Caspar se sent plus à l'aise aux tournants de ces charmants sentiers de la vallée de la Bruche, qui semblent déboucher sur le ciel.

Il nous met à l'aise en exprimant magistralement cette poésie familière et accueillante.

Les excellentes pièces sont nombreuses dans la salle consacrée à l'Alsace.

Les ciels supérieurement observés sont à louer dans la plupart des cas : Hahnenberg, Le Hohbuehl, Vue sur le Donon, Grendelbruch le soir, Temps gris dans les Vosges... « Marc Lenossos veut-il te retenir dans notre belle « Heimat », signale-t-il déjà l'infidélité majeure, quitter l'Alsace? ! Allons, ne lui en voulons pas, ce qu'il dit de ta peinture est probablement ce qu'il s'est dit de plus juste jusqu'ici.

Caspar Père peint par le fils, Caspar Fils, autoportrait " ...Plusieurs portraits, dont celui de son père, des natures-mortes, des dessins et des fleurs, prouvent que Charles M. Caspar a plusieurs cordes à son arc et que, désormais, l'A.I.D.A. a accueilli, en lui, l'un des meilleurs peintres de la génération qui vient. » Il dit de ton rival : « À défaut de génie, ces tableaux admirablement dessinés, robustement peints, variés et sensibles de coloris, ont un accent de vérité qui enchante et émeut.

Parmi les élucubrations picturales contemporaines, les toiles de Rodolphe Fogé constituent un exquis « coin frais, un refuge, une bouffée de plein-air.

C’est quoi « les élucubrations picturales contemporaines » ?

Et tous ces jolis mots de miel ne te font-ils pas tourner la tête ?

Et que va devenir « l'un des meilleurs peintres de la génération qui vient « ?

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14 L'Atelier en plein-air Caspar Père, Caspar Fils L'aquarelle est légère, lumineuse de sa transparence. Dessiner, peindre des arbres et notamment leurs feuillages a toujours posé problème : faut-il détailler feuille à feuille ? À ce sujet, il y aurait une étude à faire des solutions proposées par les peintres depuis l'invention du paysage... Ici, en y regardant de près, on voit que le peintre a isolé de petits ensembles vert clair ocrés dans le panache du grand arbre et qu'il y est revenu dans un deuxième temps, utilisant les verts bleutés pour préciser les contours et placer les trouées plus sombres.

Le groupe d'arbres qu'il réalise au centre avec ses mélanges de vert émeraude et d'outremer, et cette progression vers la vallée de la Bruche ensoleillée, avec la succession de touches bleues, puis terre d'ombre, et enfin, avec le retour aux verts, est exemplaire de maîtrise.

La gouache, tout en pouvant rester transparente et s'apparenter parfois à l'aquarelle, quand elle est utilisée très fluide, de par sa nature pâteuse, nous incite le plus souvent aux épaisseurs, d'autant plus que cette caractéristique permet les corrections.

Soulignons qu'il n'y en a pas dans cette gouache du fils. Les feuillages qu'il a réalisés peuvent s'apparenter à ceux de son père, c'est en effet le même type de simplifications.

Pour ce qui est de la couleur, les tons chauds qu'utilise le fils pour le chemin, que ce soit pour l'ombre ou la lumière, et ceux de la colline, sont de qualité. Seule l'ombre au centre du chemin est maladroite, à cause des touches répétitives et sans nuances d'ocre rouge ou de terre d'ombre blanchie.

Charles Marie est sous le Hahnenberg, à quelques mètres du Calvaire, qui y est toujours, au départ du Chemin de la Libération qui conduit au centre de Grendelbruch. Sa gouache est de bonne facture, on peut la situer à la fin des années 37/40. Étaitelle à l'expo de 38 ?...

Nous continuerons notre étude le plus souvent aux côtés de Charles et Charles Marie. La raison en est bien sûr que leurs oeuvres sont à portée de main.

Plus rares seront celles de leurs compagnons, mais nous en avons retrouvé suffisamment pour que nous puissions saisir qu'ils avaient réussi à inscrire, peut-être sans le formuler très souvent, l'utopie d'une communauté d'artistes dans la réalité.

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Charles Caspar, la vallée de la Bruche, aquarelle, 27 x 35,5, 1949

Nous devrions pouvoir retrouver ce paysage, probablement en montant au Hohbuel, au-dessus de Grendelbruch… à moins que ce ne soit dans les parages de Fréconrupt où le vieux peintre regardait le Donon en face… Marchons.

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Charles Marie Caspar, En forêt, années 60 Comment retrouver des oeuvres de nos peintres amateurs ? Quelques-unes dormaient dans la collection des Saisons d'Alsace, d'autres dans le dictionnaire de Maître Lotz Artistes Peintres Alsaciens de jadis et de naguère, (1880-1982) qui est la référence, dont j'ai hérité directement de mon père, enfin dans le livre très récent de Pascal Jung et Jean Claude Wey : " Couleurs et Lumières d'Alsace ", et enfin par une navigation sur internet chez Alsace - Collection, site dirigé par René Witze.

Trouver ainsi des peintures des anciens de Bachmatten a chaque fois été un grand moment d'émotion , surtout quand je pouvais reconnaître les lieux mêmes qui y figuraient : quelle joie de retrouver le 12 juin de cette année 2016, l'aquarelle de Frédéric Branig " Maison en montagne ", de fait notre merveilleux chalet (p.63) ou encore " d'Moler Hett " de Lucien Wolff, trouvé sur la brocante de Strasbourg en face du Musée Historique (p.19)... ou encore le Steidlé dans le catalogue des enchères d'Entzheim !

La question va être celle-ci : peut-on poser un regard autre qu'enthousiaste sur ces oeuvres vénérables, pourquoi ne serais-je pas objectif, si ce n'est critique ? Ma formation universitaire m'y autorise.

Comme précédemment pour les dessins de R. Fogé, je vais donc tenter de le faire mais avec prudence, honnêteté et justesse, en jeune peintre qui a vécu ce passage de la peinture locale, celle pratiquée sous mes propres yeux par mes parents et celle des peintres du Cercle de Bachmatten, à une peinture qui se voulait plus moderne.

Ces questions me font aujourd'hui sourire et me poussent à alterner, l'humour, le sérieux, à imaginer des scènes qui font revivre ces peintres, telle la conversation " néo-freudienne " qui suit entre un ami et moi...

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Théodore Buchhold

De Bachmatten, Théodore Buchhold est monté vers le Falkenstein et s'est arrêté en chemin, attiré par la belle lumière d'après-midi. Il s'est assis sur son siège pliant, la palette, l'eau, la gouache à droite sous la main, le grand carnet sur les genoux. Déjà il peint. Le ciel vite posé, déjà sèche. Les bleus de cobalt et outremer, le jaune de Naples pour ensoleiller, la pointe de carmin pour refroidir, se fondent dans " l'humide " de la montagne du dernier plan. Il a été assez simple ensuite avec l'outremer, le bleu de Prusse et le carminé de contraster avec le Rossteg qui cache Muhlbach. " L'ocre dans l'émeraude pour la prairie est assez juste non ? dit-il... le soleil va tourner, je verrai où en seront les ombres tout à l'heure.

En attendant, il faut dessiner les branches, les troncs de droite. L'ombelle, là juste devant, est bien embêtante, la fais-je ? On verra... c'est quand même elle qui m'a arrêté : on dirait un groupe de filles qui me font des " coucous ! ", leurs ombres me barrent le chemin... Ça a été long mais les branches ne sont pas mal dessinées.

Il va falloir se dépêcher... tous ces détails au 1er plan encore à faire... Alors mes belles ? Dites, vos ombres vont finir par faire leur cinéma sur les troncs ! La lumière du flanc de montagne qui part à droite, met, et c'est pas mal, les arbres en valeur : ocre et blanc... Ah, cette ligne vert-sombre que je peux carrément faire monter en diagonale d'en-bas à gauche vers le centre à droite et le long des arbres !

Beaux contrastes...

Mais non à droite ce ne sont pas des danseuses, mais de simples feuilles qui prennent enfin la lumière à cette heure... quoi sept heures ? Mais ça fait presque deux heures que tu y es mon pauvre Théo, et il est 19h largement sonnées ! Bon... comme à chaque fois ma femme m'attend !... Heureusement le chalet n'est pas loin, il n'y a qu'à descendre, bon je range... Attends ! Mets quand même un peu d'intensité dans le chemin, là, juste devant toi, à tes pieds : c'est de l'ocre rouge, c'est vite fait... " 145

Fogé, Wolff

Ils avaient tous l'amour du paysage. Ils allaient cherchant le motif, et celui du chemin est l'un des préférés. Se satisfaisaient-ils de l'aquarelle et de la gouache ou osaient-ils sortir chargés du matériel lourd, la boîte-chevalet garnie des tubes de plomb, la toile ou les rectangles d'isorel pincés sur le côté ? Mais oui, nous l'avons vu sur les photographies montrant les Fogé, Caspar, Erny, en pleine activité. Et faut-il beaucoup plus de temps pour peindre à l'huile ?Autre question que se pose souvent l'amateur : Comment savoir si un tableau a été réalisé dans la nature ou s'il a été fini en atelier ?... La solution est de mimer l'activité picturale : les peintres peuvent le faire. Ils voient comment l'auteur a commencé, observent comment se superposent les différentes couches, éprouvent le rythme de la touche...

Justement, étudions la touche chez Fogé puis chez Wolff. Chez le premier, dans son sous-bois, elle est petite, pointilleuse : la brosse apporte de la pâte et se fond dans celle déjà là. Le peintre fait du " ton sur ton " dans la pâte ocrée, émeraude citronnée et carminée, qu'il transporte de sa palette à sa toile dans un rythme assez rapide. Les troncs gris sont de même facture, un peu " mousseuse "... Le peintre s'applique davantage dans la partie haute.

Wolff, lui, peint au couteau. Son usage était à la mode au milieu des années 50. Le résultat est pour cela heurté, bien moins nuancé et donc " moderne ". On peut facilement compter les couleurs et délimiter les formes : dans le feuillage se superposent de beaux vert sombre, émeraude additionné d'outremer et de noir, un vert chaud et un vert froid, mélanges d'émeraude, de bleu de cobalt et de blanc.

L'ensemble est simple et assez réussi. Bien sûr le bleu au milieu du chemin est fort étrange. Wolff a dans sa main de l'énergie... Osait-il peindre ainsi en pensant à Van Gogh ? Il n'en reste pas moins qu'il ne parvient pas ici à nuancer davantage, restant ainsi " coloriste froid ", c'est à dire peu enclin en ce domaine aux écarts, pensant sans doute avec fierté être assez proche des couleurs réelles du motif...

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Edouard Kopff et Frédéric Branig

J'ai acheté cette peinture d'Edouard Kopff. C'est en effet le fameux " Chemin du Facteur ", le "Brefträjerpfad ou weg ". Lieu important s’il en est, puisque grand nombre de tableaux ont été réalisés dans ce creuset, ce chemin qui passe sous le

Edouard Kopff, le Chemin du Facteur

chalet de Bachmatten.

Pourquoi tous les peintres du Cercle des Amateurs d'Art sont-ils toujours, encore et encore, descendus dans ce talweg, dans " le Chemin du facteur " devenu ainsi le " Chemin des Peintres" ?

J'y suis donc retourné pour comprendre ce qui pouvait les ramener dans ce lieu. Il faut pour le trouver, descendre, traverser le ruisseau. Il est là, un rien sauvage. Faut-il monter ou descendre ?

Par beau temps, ce sont les ombres et les lumières changeantes au sol, à nos pieds, qui nous intriguent : il en est d’autres qui montent le long des arbres, dont les branches très hautes, cachent le ciel. Il n’y a personne pour me déranger, C’est un monde apparemment calme, circulaire, protecteur, aux lumières mouvantes. Le centre est là-haut où le chemin devient tunnel. Bientôt les yeux s’arrêtent aux pieds des arbres qui vont borner la composition.

Déballons nos affaires, la palette, le fusain. Les

Frédéric Branig, Sous-bois

verts tendres des mousses sur les rochers ressemblent à ceux des feuillages. Les bleutés sont là-bas au loin. Le chemin est rose-orangé !

Magie... Aujourd’hui je peins à l’huile, on verra bien... On annonce du beau temps, si je ne finis pas aujourd’hui, je reviendrai demain... " Tiens voilà Branig, notre président, lui aussi vient là pour exercer ses talents.

Oui, ce chemin est notre lieu d’exercice préféré, il est là juste sous le chalet. Ah, que de difficultés nous surmontons là, ensemble. L’un conseille l’autre, nous sommes à bonne école, Branig, Caspar, Buchhold, Fogé, des Messieurs bien exigeants... et empreints de pas mal d'humour..."

Voilà que je me surprends à devenir l'un d'eux, jusqu'à les entendre parler, siffloter, rire... Il est vrai que je suis descendu dans le royaume d'Écho ou de Hadès, allez savoir...

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Gaston Sohm

Ce tableau de Gaston Sohm qui représente un chêne, est encadré de noir. Je l'ai toujours vu là, suspendu à la cloison de la cuisine du chalet du haut... Je l'ai décroché. En faisant cela fin septembre de l'année 2016, j'ai découvert l'autre paysage au verso. Mais quelle chance ! D'où m'est venue cette inspiration ? Serait-ce une fois de plus un signe venant d'outre-tombe ?

J'avais lu dans les documents d'époque que l'homme s'était fourvoyé dans le National Socialisme et qu'il avait été condamné lourdement en 45 pour son activisme. Certes, c'était évidemment juste, mais l'émotion, le bonheur que j'ai ressentis au moment de cette redécouverte, peut-être poussé par son fantôme errant, me l'ont fait oublier : qu'il dorme en paix... C'est la pensée que j'ai eue en posant son tableau sorti de son cadre funèbre, au bord de la fenêtre du chalet.

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Les peintures de Erny Oublions les 4 petites maisons d’une curieuse naïveté, pour nous attarder à la grande variété de touches. Elle dénote un savoir-faire de bon aloi : la montagne au dernier plan est brossée rapidement d’un geste orienté qui pourrait être celui d’un gaucher... Mais non, nous savons qu'il était droitier... Était-il ambidextre ?...

Le bleu plus ou moins dilué par l’essence de térébenthine laisse transparaître le blanc du fond : l’effet est intéressant puisqu’il est analogue à celui du moutonnement réel des arbres lointains. Pour figurer les feuillages ensoleillés à gauche, le peintre a posé des épaisseurs bien venues. De l’autre côté du chemin, leur font face les branches sombres, exécutées de façon assez magistrale en une succession de gestes rapides. Les éclats d’une trouée lumineuse embellissent toute la partie droite. Les herbes de part et d’autre du chemin sont traitées d’une manière différente mais tout aussi dynamique.

Ces accumulations d’épaisseurs, Erny les doit probablement à ce qu’il a vu, comme Wolff, de Van Gogh.

Le sol devant lui, fait du tissage de vert et d’ocre rouge est fort réussi. Domine pourtant un sentiment mitigé : y aurait-il un défaut d’unité ? Le ciel trop réaliste, bien fait, la montagne maintenant trop légère ? Les maisons presqu’enfantines ?

C’est pourtant ces variations qui m’avaient intéressé...

Voyons le deuxième chemin.

Là, le peintre est sur le point d’entrer dans la forêt.

L’ensemble du système des touches, lumières et ombres du chemin, arbres et feuillages, entoure le centre, plus lointain, traité plus légèrement. Les découpes des feuillages sombres des premiers plans posées en puissants contrastes sur celles, illuminées, du second plan, donnent une très belle force à l’ensemble.

La cascade de feuillage du 3e tableau est fort belle. Beau contraste avec la clarté au bout du chemin. Les plantes au ras du sol, qui longent le chemin, nous disent le plaisir qu'avait notre homme à peindre. Les petits arbres sont, comme dans la peinture précédente, posés de façon quelque peu naïve.

Léon Erny devait être un homme de caractère, prenant des décisions fortes, du moins dans ses peintures, et en même temps quelqu'un de gentil et simple, c'est ce que les détails un peu enfantins nous disent : il faudra que je pose des questions à ce sujet à Marie-Thérèse et Marthe, ses filles.

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Des Maîtres ?

Charles Caspar

Ce sont les aquarelles de notre grand-père Charles Caspar qui sont pour nous les plus belles. Le lien qui s'est établi avec elles, remonte aux temps lointains, quand nous les découvrions illuminant les murs de son appartement, lorsque, petits garçons, nous lui rendions visite.

Qu'ils sont beaux ces chemins, ces sous-bois, dessinés, peints avec patience! Quelle maîtrise !

Fluidité, transparence, simplicité, traitement large des feuillages, enfin, quelques détails, troncs et branches pour stabiliser le tout. Et les ombres au sol !...

Dans la deuxième aquarelle, le peintre développe sa virtuosité devant un motif encore plus complexe : le rang serré des arbres avec les rochers au premier plan... les feuillages pris entre les grands troncs gris-violet sont somptueux, traités en lumières « tachistes ». Les branchages fins qui auraient pu rester flottants, sont placés de manière très disciplinée pour structurer la partie haute. Les contrastes posés sur les fûts créent l'espace et la profondeur, la précision du dessin, la justesse des teintes, donnent une force et une présence formidable aux rochers du premier plan. Les pierres rouges et bleues, qui courent au pied des arbres, créent une ligne oblique prouvant que notre peintre sait aller au-delà de l'observation banale : c'est un amoureux des couleurs, il sait les tempérer ou les faire chanter parfois un peu plus fort, jamais dans l'excès, toujours " mezzo voce ".

Notre Grand-père peignait assis sur un dépliant à trois pieds, le bloc pour l'aquarelle était posé à une planche vissée sur un trépied en bois de photographe. Sa boîte de couleur et les godets pour l'eau étaient pincés à la planche, ainsi qu'un carquois à pinceaux à portée de sa main droite. Son installation était longue. Quand il sortait dans la campagne, il devait porter au moins trois paquets à bretelles dont deux passés autour du cou : celui de sa chaise pliante et celui du trépied. Il mettait dans un sac, la planche, le carnet de papier aquarelle, la boîte de couleurs, crayons, pinceaux, gourde et godets et plaçait enfin sa courroie sur l'épaule. Il trouvait l'eau sur place quand il allait dans le fond du vallon, mais il devait remplir sa gourde quand il allait peindre dans les hauteurs. Et l'homme n'avait plus son bras gauche pour garder l'équilibre. Malheur s'il trébuchait ! Heureusement son fils, à Bachmatten, l'accompagnait depuis longtemps. (p 82) 150

Charles Marie Caspar

J'ai vu mon père la plupart du temps debout, ce qui l'empêchait peut-être de s'éterniser.... Mais il avait aussi sur le tard un siège de campagne, un pliant plus moderne, avec un triangle de cuir pris dans les 3 tubes métalliques. Dans la main gauche, la boîte d'aquarelle, le pouce pris dans l'anneau, le carnet de croquis était pincé haut dans le chevalet.

Dans la première aquarelle des touches rapides, des jus transparents, de temps en temps des densités, des accents de terre d'ombre qui contrastent magnifiquement avec les clartés du fond. Le dessin au feutre ajouté sur la fin, donne de la nervosité à l'ensemble. Il fut un temps où je jugeais ce procédé un peu facile, le dessin d'un homme pressé, négligeant même, et j'avoue que l'idée de décadence par rapport à ce que réalisait notre patient Grand-père me venait parfois à l'esprit.

Mais poursuivons : dans la seconde aquarelle, même feuillage tachiste, même écriture rapide... Je suis épaté par la mise en place du ruisseau encadré de roches, et si ces pierres n'ont pas la solidité de celles réalisées par le Grand-père, le travail est réel. À cet instant, se produit un surprenant phénomène : ces signes posés à grande vitesse, m'aspirent dans leur sillage et je me mets à mimer les gestes du dessinateur. J'entre dans son rythme et parviens à éprouver, à peu de chose près, les mêmes plaisirs que lui : je revis sa jubilation à jouer simultanément avec l'eau et les couleurs qui nous donnent ces aquarelles lumineuses et aériennes. Le miracle est que nous pouvons encore aujourd'hui goûter avec lui les fruits qu'il cueillait, ému, dans le paysage. Charles Marie trouvait donc son plaisir dans ces moments d'effusion, ce qui n'était pas vraiment possible pour Charles son père, lui qui était pris à chaque fois par l'obligation de s'organiser, de s'asseoir. Son plaisir s'épanouissait davantage dans une contemplation tranquille des formes et des couleurs qui étaient devant lui. Dominer la complexité du motif et parvenir à un résultat cohérent et beau, suffisait à son bonheur. Charles Marie, son fils, avait donc un caractère différent, certes comme lui, sensible aux beautés de la nature, aux lumières, aux ombres, aux éclats dans l'eau, mais en plus ému par les ciels changeants, par l'habitat humain et ses dégradations, sensible encore à la fragilité des hommes, entrant facilement dans l'effusion, en grand romantique, c'est à dire acceptant d'être dominé par ces puissances qui envahissaient son âme. L'émouvant est que ces deux aquarelles sont assez tardives : mon père montait encore à Bachmatten pour enrichir son exposition, celle de 89 qui sera la dernière, et son plaisir de dessiner les choses simples était resté intact. Il revenait en ce lieu pour y éprouver encore la présence de son père.

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Posture 1/ On est en été dans les années 50.

Charles Marie est en short et veston de toile. Il peint au-dessus de Grendelbruch dont on voit l'église sous sa brosse. Il est concentré sur le dessin des branches. Sa touche est rapide. Il est sur le point de finir le tableau. Ses enfants l'attendent, jouant sur le pré depuis une bonne heure.

2/ On est en été encore, Charles Marie Caspar porte une casquette. Nous campons dans les Alpes. Le paysage où l'on devine une rivière, est plus encaissé que celui de chez nous, en Alsace.

3/ Là, dans la 2e photographie, le peintre est bien dans les Vosges au bord d'une route de terre. Il voit loin, mais l'horizon est barré par la suite reconnaissable des sommets qui dominent et longent la Vallée de la Bruche.

Les monts du 3e plan pourraient être ceux dans lesquels se niche hors-champ Grendelbruch. Comment savoir ? Allons, il faut que je demande à Jean Friess qui habite par là à Muckenbach, il connaît les Vosges par coeur. Mail pour qu'il voie la photo, puis téléphone... " On est beaucoup plus loin : au Champ du Feu, au-dessus de la Serva, j'ai moi-même pris une photo au même endroit, regarde je te l'ai envoyée ! " J'ouvre son mail, je saisis ma carte au 25000e : c'est le Struthof ! Nous disons cela en même temps ! Le village sur sa photo, c'est Natzwiller ! On ne peut apercevoir le Mémorial car il est en contrebas du Pfriemenkopf qui le cache... à moins que le peintre ait été photographié avant son érection en 1960. Qu'importe, s'il était à mes côtés, j'embrasserais Jean...

Ces photographies nous sont chères, les partager, c'est dire comme nous avons été proches de cet homme qui s'arrêtait et s'installait dans le paysage pour peindre dans la nature. Pourtant, il n'est pas sûr que nous sachions comprendre l'importance de la posture de l'artiste debout dans le paysage, en quête d'harmonie, hors du temps, etc... À quoi pensait-il quand il peignait là, à si peu de distance du camp de concentration ?... N'éprouvait-il pas qu'il se trouvait alors en-porte-à-faux, pouvait-il siffloter pris uniquement par le plaisir de peindre ?...

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Lire la peinture Avancer vers elle : une peinture ne peut se lire à distance. Tant pis si dans les musées ça énerve le gardien. Chaussez vos bésicles si nécessaire, approchez, vous y trouverez le plaisir.

Imiter le peintre Mimer son cheminement : quelques traits de fusain ont suffi pour placer les obliques de la pente et des arbres. La palette vous offre son arc-en-ciel. Placer en quelques coups de brosse les teintes principales, les ocres aux sols, les verts et les bleus blanchis audessus... Prendre ensuite le couteau...

Ne pas mégoter sur les quantités, terre de Sienne, cadmiums, etc... Le plaisir est dans ce moment où vous cherchez les teintes et les nuances adéquates... Saliver n'est pas interdit. Être méthodique, travailler de proche en proche, d'un ensemble à l'autre, souligner les contrastes. Ne pas hésiter à empâter. La ressemblance avec le paysage progresse...

Nos facultés de projections sont telles, elles sont évidentes quand on lit un roman : ne se surprend-on pas à subir comme le héros les aléas du récit ? Oui, on peut de la même façon entrer dans un tableau et comme le peintre prendre les pinceaux, recommencer le tableau.

C'est certes plus facile pour quelqu'un qui a peint déjà. Une sorte de substitution a lieu : votre regard - votre lecture - rend vie au tableau, mais c'est le plus souvent lui qui vous transfuse les énergies que son auteur y a laissées...

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Charles Marie Caspar, Hiver dans lesVosges, 1960, huile sur isorel, 61 x 46 cm Voici l'une des plus belles peintures de mon père. Devant elle, je m'incline. Je m'en souviens, c'était dans notre chambre qui devenait atelier les dimanches, dans les années 60, boulevard Leblois.

Tu es dans la vitesse, dans une écriture rapide, les ombres sont multicolores et subtiles, elles épousent les blancs lumineux et joliment nacrés, roses et bleus. Les sapins sont d'une profondeur et en même temps d'une évanescence qui peut paraître paradoxale mais le résultat m'émerveille. Tu as paré ces arbres de touches saphir, émeraude et lapis-lazulis et de nacres blanches pour la neige. Un vent léger traverse le chemin. Les maigres arbres de droite balaient doucement les bleus du ciel, et le soleil est là qui fait fondre la neige. C'est le bel hiver comme nous l'aimons. Ce paysage est habité de tes énergies, regarder cette peinture c'est retrouver, quand je me prends à mimer tes gestes, un peu de ta vie.

Tu peignais en musique, celle de Mozart, de Beethoven, de Brahms... tu y trouvais l'élan.

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15 Sous-bois

Mais entrons dans la forĂŞt...

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Un Saute-Ruisseau

Le ruisseau coule entre les flancs des monts paternels, je descends sous le vieux chalet pour rejoindre le sentier et y dessiner encore une fois, quand, à l’instant de le sauter, un éclat inattendu arrête mes yeux bondissants. L’eau et le ciel de Bachmatten auraient-ils dans la nuit façonné un diamant, cadeau pour le vieil enfant saute-ruisseau que je suis ? Comment partager de tels instants, à l’aide d’un dessin, d’une peinture, ou d’une photographie ? Pourquoi ne pas écrire quelque conte ou Märchen, avec enfant sage, fées, nains forgerons, qui pourrait encore en faire rêver plus d’un... Voyons, ce n’est qu’un ruisseau, un chemin, des arbres, un ciel bleu.

Des voitures descendent vers Muhlbach, c’est un jour comme un autre, non ?...

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Nos pères ne semblent pas avoir éprouvé de danger dans ces forêts, on y rencontre de pacifiques chevreuils, des renards, des cueilleurs de framboises, des chasseurs de champignons, des bûcherons, des amoureux de la Nature, des peintres... Mais parfois les aboiements d'un chien, ou les corps torturés de certains arbres, réveillent en nous des paniques...

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Unser Onkel Unser Onkel gang hinunter in den dunkeln Unterwald. Fast stürzte er, von schlängelde Äste halb verfesselt... Fluchtend, aus dem Gleichgewicht gebracht, konnte er gerade noch an einen Tannenast sich festhalten. Es wird gebrüllt : " Teufel ! Meine nagelneue weiße Tafel schon verschmiert ! " Vögel, Hasen und noch Hirschen sind schon lang fortgeflogen... " Scheiße ! Aber Gott sei dank, kein Loch ! Und mein Malerkasten hat sich geöffnet ! Farben, Pinsel ! Alles im Dreck !

Was werden meine junge Kameraden daran sagen ? Man wird über mich wieder Spaß machen... Hoffe daß niemand mich gehört hat... Es scheint wie ein Rehgebrüll, nicht ?... Stille... Noch glücklich daß ich nicht auf'm Arch gefallen bin : kein Fläckchen auf meine Bomphosen... Ich habe in meiner Tasche mehrere Lappen und werde diesen Schmutz schnell weck schieben... oder nicht... Na, Ja... Gehen wir weiter...

Genug Verspätung. Die Schatten werden schon viel dünkler... Hoffentlich habe ich meinen Schwarz nicht mit meinem Purzelbaum verlohren.

Schaue mal ! Ach wie ein schönes Ort... Ja hop, aber die Staffelei muss zuerst stehen bleiben... Meine Palette, meine Farben, schnell... Jezt Achtung, passen Sie auf : Sie werden, meine schöne Hirschkuhen mit Ihren schönen gekollten Augen, betrachten wie ein " Dreck im a Limpel " ein Meisterwerk wird. Ja, Sie können schon klatschen ! ..."

Notre oncle descendait dans le sombre sous-bois. Il trébucha tout à coup, comme entravé par des branches rampantes. Pestant, perdant l'équilibre, il put se rattraper de justesse à une branche basse de sapin. On cria : " Diable ! Une toile blanche toute neuve, déjà salopée ! " Oiseaux, lièvres et encore chevreuils s'étaient envolés depuis longtemps... " Merde !... Mais Dieu soit loué, pas de trou ! Et ma boîte chevalet qui s'est ouverte ! Couleurs, pinceaux, tout dans la saleté !

Que vont dire mes jeunes camarades ? On va encore plaisanter à mon sujet... J'espère que personne ne m'a entendu... Ça ressemblait à un brame de cerf, non ? Silence... Encore heureux que je ne sois pas tombé sur le cul ! Pas une petite tache sur mes pantalons de golf... J'ai dans mon sac des chiffons et vais essuyer cette saleté... ou pas... Allons continuons... Assez de retard... Les ombres noircissent, ... J'espère que je n'ai pas perdu mon tube de noir dans ma culbute.

Mais regardez ! Quel beau coin... Ja hop, mais il faut d'abord que le chevalet tienne debout...

Ma palette, mes couleurs, vite...

Maintenant attention ! Soyez attentives : vous allez voir, mes jolies biches avec vos beaux yeux maquillés de noir, comment d'une tache sur un torchon, on fait un chef-d'oeuvre.

Oui, vous pouvez déjà applaudir !...

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Frédéric Branig, lui...

Branig 12 x 19 cm, 1936 gouache " Arbres dans les Vosges « A-t-il remarqué comme ces arbres avaient tendance à se toucher au niveau du ventre comme s’ils cherchaient à s’accoupler, du moins à se soutenir avant de monter vers les grandes hauteurs? Serait-il le seul à avoir observé le phénomène ?... Ces Messieurs qui descendaient en sous-bois échangeaient-ils des propos salaces quand ils apercevaient courbes et croupes lisses, corps plutôt que troncs, s’enlaçant les uns les autres, ou détournaient-ils pudiquement les yeux des fentes offertes comme des invitations aux rêveries érotiques? Non, le motif, c’est le chemin, avec les arbres en bordure, les ombres et les lumières dans les feuillages et c’est déjà pas mal comme soucis.

Souvenons-nous comment Rodolphe Fogé dans l'un de ses dessins avait souligné les blessures de l'arbre. A-t-il pensé à l'éventrement ? Est-il rentré au chalet inquiet, la forêt devenant tout à coup fantasmagorique au moment où il rangeait ses tubes et ses pinceaux ?...

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La danse des arbres

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Tout à coup je tombe en arrêt devant une souche : je vois un oiseau de légende, un Grand Tétras qui prend son envol, la tête et le bec sont à gauche... Brusquement une forme bien plus inquiétante surgit : à droite parce que ma lecture s'est inversée, c'est soit la gueule d'un loup monstrueux, soit la tête d'un dragon embusqué dans la terre... Heureusement rien ne bouge. Je prends une photo, son objectivité me dira si je délire... D'autres images frisant la pornographie ne sont guère montrables.

Ce pied de hêtre fait de creux et de bosses m'offre brutalement une composition complexe de corps tronqués, blessés, ouverts, provocants. N'est-ce que sur moi que cette forêt agit, saupoudrant sournoisement, dans un vent rampant, de dangereuses semences dans mon esprit trop curieux ?

Allons, sortons de là, remontons au chalet et oublions cela... Un aboiement ?... Et voilà qu'à cet instant surgit l'image du cimetière militaire de Grendelbruch et ses sapins noirs et pointus comme des doigts coupés depuis - qui nous rappelaient les combats de 1914 et 15 puis, cognant dans mon crâne comme à une porte, resurgit le souvenir de ce moment très récent où, ayant passé le Hohbuehl et contourné le Petit Rosskopf et après 15 minutes de marche, au détour du chemin, je reçus en plein coeur, là, à peine à trois kilomètres à vol d'oiseau, le mémorial blafard du Struthoff... Et dire que pas un de nos chers peintres-promeneurs ne nous a jamais prévenus de cette terrible proximité !...

Et voilà qu'au fond du vallon de Bachmatten, j'entends hurler les chiens et que je vois courir les fugitifs.

D'un coup, ce monde que je suis en train d'essayer de reconstituer, teinté de magie et de poésie, s'écroule. Vais-je pouvoir continuer le récit de cette histoire, parler encore d'utopie en m'efforçant de rester poétique, si dorénavant, à chaque détour de ma quête sur ces chemins de montagne, croît mon inquiétude...

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16 Bachmatten, mon école de paysage Non, ils ne voyaient pas comme moi dans les fûts de ces hêtres géants du bord du chemin, en ces souches pourrissantes des arbres abattus par les tempêtes, dans ces racines dévoilées par les pluies des orages qui courent par le talweg devenu torrent, comme moi aujourd'hui, des torses écorchés de statues irriguées de sève, prêtes à sauter hors de terre.

Sinon ils nous auraient laissé des dessins, des oeuvres troubles, comme celles de Hans Bellmer, André Masson ou Max Ernst, si ce n'est Dali ou bien sûr Jean Arp en ses volumes subtilement érotiques... Non, il n'y avait pas de sculpteurs, on peignait, pris par toutes les difficultés qu'il fallait surmonter pour réussir des paysages convenables. Ils se soutenaient, échangeaient des remarques intéressantes afin d'améliorer leurs peintures. Pas de professeurs, quelques anciens plus expérimentés, qui partageaient les mêmes soucis et donnaient des conseils simples. Ils retournaient dans des lieux où l'on se rend plusieurs fois pour s'améliorer, accompagné par les amis. Pris par leur apprentissage, ils ne pouvaient pas s'éloigner beaucoup d'un art conventionnel. Nous restent tout de même quelques chefs-d'oeuvres, nous venons de le voir.

Aujourd'hui, des amateurs d'art et de paysages vosgiens, trouveront peut-être quelques-unes de leurs oeuvres, s'ils ont de la chance dans les brocantes, dans les ventes aux enchères, chez les antiquaires. ll faudrait alors les estimer à leur juste valeur.

Ces oeuvres issues de ce groupe fraternel, qui a réalisé une sorte d'utopie, sont pour moi inestimables. Il me semble qu'il est donc temps d'ajouter un chapitre à l'Histoire de l'Art Alsacien, celui du Cercle des Amateurs d'Art de Bachmatten. Et il ne me paraît pas usurpé de le qualifier ainsi : l'Atelier ou l'École du Paysage de Bachmatten.

Certains lieux deviennent ainsi mythiques : le Chemin du Facteur qui pourrait devenir le Chemin des Peintres. Il deviendrait alors véritable métaphore de cette activité qui avance, progresse, et nous épanouit malgré la multitude d'obstacles.

L'un d'entre-eux en avait-il l'idée ?... On ne sait. Alors j'ose la formuler aujourd'hui : cela m'est possible, et je l'écris sans prétention aucune, parce que j'ai été à la fois au coeur même de cette histoire éminemment familiale, et dans une distance suffisante, distance créée par mon départ d'Alsace et par mes études d'Art, plus globales et plus approfondies, qui me permettent aujourd'hui de hisser cette histoire au niveau de l'Histoire, la grande, celle de l'Art en Alsace.

L'histoire continue Oui, je poursuis une quête en peinture et elle n'est pas dans la figuration. Mais il m'arrive d'avoir de fortes émotions, quand il me prend, à la suite de mes pères, ou si l'on préfère mes pairs, de dessiner dans la Nature, dans le paysage. Oui, à ces moments-là, j'éprouve un certain enthousiasme. Me revient l'étymologie de ce mot : le coeur en est " théos ", le dieu. C'est en effet un soulèvement, une forte aspiration, rappelant l'ancienne " inspiration divine "... C'est ce qui se produit quand je reviens à Bachmatten et que je m'assieds sous les grands arbres... Oui, j'y sens monter en moi le grand souffle baroque qui va me transporter, qui m'aidera à dominer les difficultés qui toujours surgissent...

Nous reviendrons à Bachmatten pour y dessiner, y peindre...

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Reliques

En haut, la Hutte vue par Marlise quand elle avait 20 ans, photographiée chez Sonia.

En dessous, l’une de mes 1ères gouaches, je devais avoir 12 ans, je l'avais toujours gardée.

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Près de 40 ans plus tard... Il faut bien que je me teste de temps en temps...

Voyons, ai-je perdu la main ? Il se trouve que c’est ici que me reprend le plus souvent l’envie de dessiner ou peindre de manière figurative...

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Le dessin 1/ Le dessin dans le paysage demande calme, patience, sang-froid, sérénité.

Lors de la marche vers le motif, notre regard est d'abord panoramique, nous voyons l'ensemble. Certes notre esprit est en éveil, mais n'est-il pas souvent encombré de schémas de composition, de motifs habituels, routes, bosquets, arbres, montagnes, églises, rues, etc ?... Le risque est réel de tomber dans le piège des ces motifs répétés à l'envi... Attirés par l'un d'eux nous faisons un rapide cadrage, de ce geste des peintres, photographes, cinéastes, devant l'illimité : croiser nos pouces et nos index en forme de rectangle, technique qui ferait bondir un Brunelleschi ou un Paolo della Francesca hors de leurs tombeaux s'ils voyaient cela... Ce serait le moment de se demander ce qui nous a attirés : un groupement d'arbres, un jeu de branchages, des ombres, des clartés, des couleurs, un anachronisme, une bizarrerie... Il serait bon plutôt que de se précipiter et retrouver ses habitudes graphiques, de réfléchir à des réponses inhabituelles, de se lancer dans quelqu'expérimentation nouvelle, dans un

Cheminement 2/ Jeune dessinateur de 20 ans, descendu en Provence, je rencontrai les oliviers creusés par les temps. Aspiré par leur force, leur beauté, je m'approchai jusqu'à me coller à l'arbre. Sans le savoir encore, je franchis à cet instant la distance " académique ", celle qui permet de cadrer l'arbre en son entier.

Je m'installai à moins d'un mètre. Alors l'énergie de cet arbre me traversa de part en part, passa dans mes mains. J'avais, heureusement méfiant, préparé ma palette et décidé de m'en tenir au noir et blanc. Je me rends compte en me rappelant cela

3/ Des années plus tard, une souche d'arbre me proposait ses circonvolutions : l'habitude prise depuis longtemps de construire, m'incita à placer rapidement les masses colorées et les reprises structurantes. Les recherches " abstraites " de mes années 70 me permirent à ce moment précis de libérer

que j'avais ainsi posé une sorte de gardefou, et que s'ouvrait devant moi un champ encore inexploré, celui d'une peinture de fusion, de vitesse, d'abandon...

les forces picturales.

Le pictural prend le pas sur le figuré.

C'est cette caractéristique qui définit d'ailleurs tout l'art moderne depuis l'influence des estampes japonaises sur Manet, Van Gogh et tant d'autres. La peinture devient espace bidirectionnel où lignes, formes, matières, couleurs, sont les motifs mêmes des peintres...

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Trois générations de peintres Avancé dans mes recherches, j'ai voulu confronter mon début d'oeuvre avec celle de mon Grandpère et celle de mon père. L'AIDA a accepté la proposition, et je dois l'en remercier. C'est ainsi qu'eut lieu en octobre 82, notre exposition " Charles, Charles Marie, Daniel Caspar, 3 générations de peintres ". Pour l'affiche, j'ai repris l'idée des bonshommes Ripolin : peindre sur le dos de celui qui vous précède... Ironie, plus qu'iconoclasme ! L'idée n'était pas de torpiller la peinture traditionnelle alsacienne à travers celle de mes parents, mais de tenter une confrontation avec une peinture, disons pour simplifier " néo-impressionniste " que j'aime d'ailleurs beaucoup, surtout celle de mon père : honnête, sensible, enlevée souvent, puis assagie. Je ne pouvais évidemment pas réellement apprécier celle des autres peintres de paysages ne les connaissant pas d'aussi près. Je dois avouer que j'étais alors enclin à des jugements hâtifs. Aujourd'hui encore, je repère les artistes qui sombrent dans des systèmes répétitifs et qui vendent jusque dans les halls des magasins de meubles, leurs croûtes pâtissières.

Affiche de l'exposition Charles, Charles Marie et Daniel Caspar, 3 générations de peintres, en octobre 1982 à la Maison d'Art Alsacienne.

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Dans le chemin Je suis redescendu dans le " Chemin du Facteur ", : pour comprendre ce que les anciens cherchaient, oui mes prédécesseurs du Cercle des Amateurs d'Art de Bachmatten...

En 82, seul mon père et moi restions actifs en ce lieu. L'idée d'une exposition commune germait...

Donc je suis revenu dans ce chemin, en quête d'émotion. J'y marchais, tentant de me placer là où ils plantaient leurs chevalets pour y recevoir des ondes favorables. Je les sentais présents au-dessus de moi, ironiques, me tançant de montrer ce que je savais faire, là, tout de suite alors que la lumière déplaçait les ombres à grande vitesse. Je n'ouvris même pas ma boîte de couleurs, ni ne sortis de crayon, ni même ne pris de photos... Tout était trop grand, trop beau, alors je m'assis et je regardai longtemps devant moi. Les peintres disparus ricanaient mais je ne les écoutais pas. Le chemin fuyait devant moi, tel un tunnel montant, j'éprouvais en même temps la cinématique terrestre, ce n'était plus le soleil qui sombrait derrière la montagne mais la terre qui tournait sur elle-même et moi, point fixe, au fond d'un vallon dans ce chemin.

Allais-je revenir le lendemain pour écouter les interjections des esprits errants de ce chemin, pour reprendre le flambeau et peindre de la même manière ? Allons, ça ne serait pas si difficile : ne suffirait-il pas d'être tout simplement méthodique ? a/ bâtir l'ensemble au crayon, b/ poser les couleurs moyennes tout en préservant les clartés, c/ ajouter quelques détails contrastants, et s'arrêter quand l'effet final se met à ressembler à la vision du début...

J'y redescendis. Je m'y imprégnai à nouveau des lieux, éprouvant le creux, le tunnel, les ombres, les lumières, la voûte en berceau retourné, les arbres-piliers originels... Tout à coup, illumination ! Oui, une peinture rapide doit être possible : imprimer le motif dans son crâne tout en préparant eau, couleurs et brosses, mimer avant l'attaque les gestes à faire, attendre encore un peu, enfin livrer bataille !... Le tout en moins de 5 minutes... Possible... Je ne le fis pas dans l'immédiat. L'idée allait devoir murir. Quoiqu'il en soit j'ai tenté en 1982 de restituer ce chemin comme je pouvais, dans mon atelier près d'Orléans, et en cinq efforts : 1 sur papier et 4 sur cartons de 80 x 120 cm, ceci deux mois avant l'exposition...

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Bachmatten, 6 avril 1988 Suite de 8 dessins en sous-bois Dans le premier dessin, je pose le sol, masse arrondie assez lourde, les hachures obliques ouvrent l'espace devant moi, j'esquisse les verticales, mais auparavant, je construis rapidement le toit couvrant des branches hautes. La puissance des arbres, qui sont devant et autour de moi, me pousse à des tracés énergiques, que j'atténue à l'aide de gouache blanche avec mes doigts, en douceur, pour essayer d'exprimer la beauté de la lumière qui est là, derrière ce rideau.

Dans le second dessin, je retrouve une respiration, c'est toute l'aire alentour que je ressens. Les arbres m'entourent, je les sais derrière, à côté, devant. Ils deviennent diaphanes, mon regard avance, attiré par la clarté. Des idées d'écran, de rideau ou de voile, me viennent à l'esprit. C'est ce qui va me conduire à utiliser le format horizontal. Le sol courbe y est toujours là, je place en écho une ligne qui me fait trop vite penser à une tringle à rideaux... J'abandonne l'idée de frontalité car assis, mon regard est constamment attiré vers les hauteurs, et comme le point de fuite varie, je suis amené, par cette sorte de mécanique, à construire avec mes arbres une pyramide. Je préserve cette construction jusqu'à la fin, dans un huitième et dernier dessin.

Pédagogie Comment définir cette manière de faire du paysage ?

Qu'est-ce qui diffère du paysage " classique " ? Le mot qui me vient est " pénétration ". Lequel agit, le peintre ou le paysage ?

Quand il s'arrête devant le motif, n'est-il pas déjà pénétré ?...

Il s'installe, reprend ses habitudes d'observateur plus ou moins froid, pour ne pas se laisser subjuguer par le spectacle qui l'arrête.

Hésitations... Comment se vider de ses propres barrages, de ses habitudes ? Pour cela il faudrait le vouloir et se donner un peu de temps, et oser, encouragé par quelque compagnon.

Comment faire ?

S'asseoir de préférence au sol, fermer les yeux, écouter les sons, sentir les souffles, humer les parfums. Rouvrir les yeux, et voir.

C'est ainsi, désarmés, sensibles, que nous pouvons recevoir herbes, fleurs, mousses. Elles vont rencontrer notre fragilité en cet instant, comme la lumière, les couleurs, ces formes habitées d'énergies formidables, ces arbres, ces rocs qui nous pénètreront et nous transporteront, traverseront nos mains qui, elles, oseront avec quelques balbutiements, un dessin nouveau, habité...

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...il est dit que l'esprit, même si la Hutte des hommes doit mourir, Sera amené à revivre, dans ce monde où rien ne meurt !...

Hoffnung Herbst 1965 auf der Hütte

Espoir Automne 1965 au chalet

Das Jahr geht seinem End’entgegen, Die Blume welkt am Wegerang, So kahl und öd sind schon die Felder; Winde spielen mit dem Sand....

L'année va vers son terme Les fleurs s'évanouissent au bord du chemin, Les champs sont déjà nus et abandonnés Les vents jouent avec le sable...

Und so im Nu vergehn die Jahre, Und keiner sieht dem anderen Gleich, Und so vewehen auch wir als Menchen Hinab ins kalte Totenreich.

Ainsi dans le néant passent les années, Aucune ne ressemblant à la précédente, De même nous humains rejoignons Là en bas, le froid royaume des morts.

Ach, sieh, im Wald das grosse Sterben : Die Blätter fallen leis’ vom Baum, Wie Stille ist es nun geworden, Und alles ist ja wie ein Traum...

Ah, vois, en cette forêt la grande agonie : Les feuilles des arbres tombent en douceur, Combien règne maintenant le silence, Tout cela est bien tel un rêve...

Gerade si ist unser Leben Gar froh und sonnig war’s einmal, Ja, bis der Weg dann von den Höhen Hinunter führt ins dunkle Tal.

De même se déroule notre propre vie Qui fut joyeuse et ensoleillée, Oui, jusqu'au moment où le chemin Plonge des sommets vers le sombre vallon.

Und doch wird’s eimal grünen wieder Und wieder rauschen wird’s im Wald, Und singen wird die Schar der Vögel Recht laut und fröhlich von der Hald !

Et pourtant un jour tout reverdira Comme bruissera à nouveau la forêt, Comme chanteront, forts et joyeux, les Myriades d'oiseaux depuis les bosquets !

Und auch dem Geiste ist’s beschieden Selbst wenn die Menschenhütte stirbt Gewandelt wieder fortzuleben, Im All ja sicher nichts verdirbt !...

De plus, il est dit que l'esprit Même si la Hutte des hommes doit mourir Sera amené à revivre, Dans ce monde où rien ne meurt !...

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17 Dessiner toujours

La nécessité pour mon père de dessiner et de peindre les choses simples, les fleurs au sol, le chemin montant avec garde-fous, jusqu'en ses dernières années... et moi qui le photographie.

Il trouve un élan nouveau quand il est, à 60 ans, libéré de l'enseignement de la langue et de la culture littéraire allemande. L'envie le prend à ce moment-là, de s'aventurer dans la gravure.

Naissent alors des dessins préparatoires dans un style dont on ne sait s'il est maladroit ou génial... il se lance, en griffonnant, dans des compositions profanes et religieuses.

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Un style

Un Carnaval, un Paradis des Musiciens, un Jugement Dernier et des scènes contenant des nus, dans le genre Suzanne et les Vieillards ou Baigneuses, naissent dans ses accumulations de traits rapides d'un vil stylo à bille... Le Christ l'intéresse, homme de souffrance, fraternel. Les Passions de Bach l'impressionnent. Ces dessins sont préparatoires à des gravures ou à des peintures.

Vieux républicain, il nous offre pour 89, une Marseillaise...

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Pensait-il à Rembrandt ? Se souvenait-il du voyage que nous avons fait ensemble en Hollande ? Il illustrera encore le Passage de la Mer Rouge en réalisant deux versions à l'huile, mais pour moi le dernier chef-d'oeuvre, c'est son tableau des Disciples d'Emmaüs (note 20). Au cours de ces années qui le rapprochent de l'inéluctable, notre père, qui se disait plutôt déiste, est resté visiblement sensible au martyre du Christ et l'on perçoit, dans ses oeuvres dernières, sa grande humanité teintée de mysticisme.

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18 Le dessin dans le paysage

Un début de méthode Je suis dans mon atelier au sud d'Orléans. Je sais que je retournerai dans le paysage réel avec mes carnets, mes aquarelles. En attendant, je choisis une photo de ce chemin pour le dessiner.

Le spectacle de la nature me ravit encore et toujours, notamment en Bretagne : l'infini, le mouvement, les vagues dans les rochers ou le long des plages...

Tout en réfléchissant à ce qui m'attire dans sa composition, je sors mon crayon et mets en place l'essentiel. Ensuite humidifier les carrés d'aquarelle, poser les teintes de ces lumières qui sont au loin derrière les rideaux que forment les arbres. Je sais déjà que je n'aurai pas la patience de les compter, ni de les dessiner tous... Leurs troncs sont graphiques, sombres à gauche, légers à droite. Avec leurs feuillages, ils forment comme une voûte gothique. Au fond m'apparaît alors un cercle où le chemin montant se perd... Là-bas dans l'ombre comme tapi... Et si je ne traçais pas les lignes du chemin qui sont en perspective, je risquerais de prendre peur, car l'ensemble risque de ressembler à l'oeil d'un géant qui menace... Dès lors les vagues horizontales du premier plan, le joli jeu des ombres et des lumières, vont souligner ce regard, comme le font les femmes avec du Rimmel....

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Énergies C'est le chêne immense posté sur notre terrain au niveau du chalet du haut : dans ce dessin, je voulais à la fois dire sa puissance verticale et la grâce de son feuillage protecteur empli de lumière.

Je ne retrouve pas dans mon dessin sa force évidente : il faudra que je recommence.

Mois d’août 1999 Je suis le dernier peintre du Cercle des Peintres disparus. Alors je monte à Bachmatten, oreilles sensibles, pour y écouter les murmures des esprits errants. Je sais qu’ils nichent dans les hautes branches de ces arbres qu’ils ont vus grandir et qui forment aujourd’hui une enceinte d’antennes géantes, capable de recevoir leurs signaux. Ces ondes croisées, émises du fond de leurs tombes disséminées autour de Strasbourg, tressent au-dessus de nos têtes un cône de faisceaux énergétiques. Ce sont ces ondes qui ont, ce jour de peinture, décidé de mon bleu… je ne sais d’ailleurs pas s’il est maritime, céleste, ou s’il est celui des montagnes qui s'élèvent alentour.

Ce sont ces forces au-dessus de moi qui me poussent ensuite aux inscriptions nerveuses de noir de Chine.

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Ecrire, dessiner ÉCRIRE. Écrire, c'est donner une forme à de la pensée errante, vague, à cette succession de petites lueurs à peine distinctes, billes mobiles et si souvent divergentes que nous cherchons à saisir en posant les mots qui participent mais surtout conviennent à leur capture. Écrire à propos du dessin et de la peinture est ce que je tente depuis mes années d'études. Certes les diplômes de dessin et d'Arts Plastiques, l'expérience de l'enseignement à tous les niveaux, ma pratique du dessin et de la peinture, m'autorisent je pense à réfléchir à cette pratique de l'art du paysage (pp. 162 et 180).

Mais c'est imaginer nos chers anciens en ces moments où ils dessinent ou peignent, de les rendre ainsi vivants, qui est actuellement mon plaisir majeur.

DESSINER. Dès l'instant où je prends un crayon, j'entre dans la construction.

Ici, le paysage me propose ces branches très graphiques et cette opposition entre les couleurs des feuillages d'automne avec celles de la montagne de l'arrièreplan.

Mais ici, ce qui saute aux yeux, et en premier, c'est le dessin des branches qui semblent liées entre elles. Voilà ce qu'il serait bon d'affirmer, restituer leurs courbures, arcs de cercles latents, dont il faudrait trouver le rythme.

On ne peut pas ne pas penser à Cézanne qui voyait les branches de pins de Provence épouser les courbes des collines. Nous ne sommes pas loin non plus des arbres néo-cubistes de Mondrian...

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Octobre 2016 Cette fois, je suis trop près : il faudrait dessiner couché pour apercevoir les cimes, mais je suis assis et je me brise le cou. Je ne suis pas à la bonne distance, c'est trop grand. Comment capturer ces géants, les placer à l'étroit dans ce rectangle de papier, ce maudit réduit... Ma campagne récente, dont je sors peu satisfait, montre comme il est difficile de réaliser ce qui a été pensé, réfléchi au préalable. Je reste sur ma faim et imagine alors que la solution pourrait venir par la superposition de mes deux pratiques, celle du paysage et celle de mes recherches actuelles dans l'abstraction. C'est peut-être dans mon atelier, grâce à plus de distance et l'inspiration refroidie, que je pourrai développer un dessin suffisamment puissant, sur un format convenable, et trouver comment lui associer la couleur..

En cet automne 2016, je me suis replacé sous le grand chêne de Bachmatten. J'ai développé les 3 pattes de mon vieux chevalet de campagne. Je me suis assis au pied du géant pour éprouver à nouveau sa puissance.

Mais alors que je voulais l'embrasser d'un seul coup en prévoyant des gestes forts, je commençai au contraire, comme soumis, une lente construction, un long travail qui accouchera d'un dessin pour moi trop précis.

Redessinant d'après nature, je me rendis compte qu'il fallait beaucoup de patience, qualité que je n'avais peut-être plus, mais qu'avaient nos pères. L'attention que l'on porte en ces instants d'observation, d'analyse, demande une grande concentration : chercher le simple dans le complexe, repérer quelques courbes ou droites évidentes, mesurer mentalement écartements, distances, longueurs de segments, apprécier les angles. La main suit, le fusain laisse ses traces.

Le désordre n'était qu'apparent. De rapides griffonnages permettent de donner en même temps corps et volume à l'ensemble, D'énergiques accents charpenteront le tout.

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Ce livre est disponible dans son intégralité (206 pages) imprimé sur papier au prix de 25€ + frais d’envoi sur commande auprès de daniel@danielcaspar.com