
Amélie Patry, la terre, l’eau, le feu
Dans l’obscurité du petit jardin de curé, les braises rougeoyantes du four à bois éclairent la nuit bleue. La main gantée et sûre, le front concentré, Amélie Patry extirpe les grès brûlants, avant de les déposer délicatement dans un coffre métallique chargé de foin odorant. “La nuit, la magie opère. Les pièces sont incandescentes, les couleurs splendides, et l’émail s’exprime et craquelle”, raconte la céramiste.
Au milieu de l’épaisse fumée, le froid coupant de ce soir de mars pince la peau. Il pousse à s’abriter dans la maison, devant les flammes du poêle ronflant. Le jour levé, les tasses refroidies révèlent de fines veinures sombres, imprimées dans la matière sous l’effet de cette cuisson appelée raku, une technique japonaise ancestrale qui exige rapidité, précision et observation attentive du grès.
Jouer avec le feu et les éléments. Toucher, tester les limites de la matière, rater, casser. Recommencer. La pratique d’Amélie se veut expérimentale et ludique. Sur les bords d’un village aux ruelles étroites de la campagne angevine, l’artisane habite un ancien presbytère en pierre. Sa vue porte sur les champs, les bois et la rivière en contrebas. “Tout près, la Loire, changeante, vivante, transforme les paysages d’ici.” La jeune femme semble à l’image du fleuve ; impétueuse et sauvage, vive et curieuse. Ses cheveux blonds et flous comme la paille encadrent un ovale rieur piqueté de fines taches de rousseur. Immergée dans son milieu, Amélie a forgé une intimité avec les paysages qui entourent sa maison-atelier.
Sur les bords de Loire, la céramiste Amélie Patry convoque par la matière l’essence des paysages qu’elle arpente.
foyer


Il y a sept ans, au cours de ses études artistiques, Amélie s’échappe en Grèce pour une année de formation. Elle participe alors à un atelier de céramique académique à l’école des Beaux-Arts d’Athènes avec “le professeur Pavlos, un vieil homme expressif, qui ne comprenait absolument rien à ce qu’on disait et qui nous apprenait en guidant nos mains”. Faire avec le corps, avec l’instinct, avec la terre. Là-bas, elle poursuit son apprentissage amorcé auprès d’un céramiste membre de sa famille, un passionné de raku, visité lors d’un court séjour dans les Cévennes quelques années auparavant.
Séduite par la nature grecque qu’elle arpente furieusement entre criques et montagne, l’apprentie a l’idée d’intégrer le sable des plages, lavé de son sel, dans ses argiles. Ce périple jette les bases du lien sensible que la jeune femme tisse entre la création et la nature. “Glaner, c’est se laisser surprendre par la matière, accompagner la texture, s’offrir de nouveaux champs d’expression.”
Après quelques années en ville, Amélie décide de revenir s’installer à la campagne. Elle pose ses valises dans ce coin de Maine-et-Loire au sud des terres de son enfance, où le Louet et l’Aubance s’enroulent dans la Loire. Au rez-de-chaussée de sa maison, une grande pièce désertée l’appelle et la
pousse à transformer les lieux en atelier pour travailler la terre, une pratique jusqu’alors cantonnée à ses heures de liberté et aux murs de sa chambre. Le premier confinement et la mise entre parenthèses de son travail de designer textile d’alors lui donnent l’opportunité de mettre à nouveau les mains dans l’argile. “J’ai repensé à ces moments hors du temps, hors du travail, ces découvertes de paysage, ces échappatoires précieuses ponctuées de baignades, de balades, où je créais, proche des éléments naturels… C’était la vie dont je rêvais, se rappelle Amélie. Heureux hasard, un mois avant le confinement, mon compagnon – qui percevait ma sensibilité pour ce médium mais sentait mes craintes à me lancer dans cette voie incertaine – m’a acheté cent kilos de terre… J’ai passé deux mois à modeler et à remettre en route des cuissons.”
Amélie habite les paysages comme on habite une maison. Elle récolte quelques poignées de sable des berges claires, collecte l’argile des carrières abandonnées, des trous d’eau et des forêts alentour, se baigne dans la Loire en été. “Je me situe à quelque neuf cents kilomètres de sa source, de sa naissance. Le sable y est donc riche de toutes sortes de minéraux, brassés et transportés par l’eau depuis les montagnes de l’Ardèche et de la Haute-Loire. Ces roches voyageuses
sont transportées par le courant et finissent dans l’océan Atlantique.” Les deux pieds dans le courant, elle confie : “La céramique m’apporte une liberté à laquelle j’aspirais. J’ai toujours secrètement rêvé, lorsque j’étais plus jeune, de vivre de ce que je faisais avec mes mains. J’avais beaucoup d’admiration pour ma mère, mes grands-parents, qui créaient, vivaient avec leur milieu, se souvient-elle. La céramique est une pratique qui m’apaise et comble mon besoin de recherche et d’indépendance.”
Les créations d’Amélie contiennent des morceaux de paysage, hommage à la faune, à la flore, au vivant. Aux paysages d’ailleurs aussi. L’aventurière monte aux falaises et ramène lors de ses échappées des grès sauvages, des échantillons rocheux et sableux des chemins qu’elle arpente. “Travailler à partir d’argile de cueillette, c’est un terrain fantastique qui laisse place à l’aléatoire et à l’empirisme. Ces terres glanées sont le reflet d’un territoire, mais aussi la représentation du temps passé, des traces accumulées et sédimentées sous nos pieds.”
L’artisane filtre peu les matières, laisse les cailloux éclater ou fondre en cuisson, fait le mélange des sables, des poudres de roche et des terres réhydratées. Avec ses particules végétales et minérales, la terre est travaillée “avec toute son âme” pour la laisser “s’exprimer dans son entièreté et offrir aux pièces des traces et des aspérités aléatoires”. Au four électrique, la cuisson révèle effets pyrités et cratères spontanés, résultat de cette mystérieuse alchimie de la terre, de l’eau, de la roche, du sable et du feu. Par l’addition des matières, les paysages se rassemblent au sein d’une même assiette ou d’un bol : terre des gorges du Verdon, émaux de cendres de lavande, quartz récolté dans les calanques de
Marseille, roche volcanique récoltée près de l’Etna, roche ferreuse trouvée en montagne, sable angevin. “Chaque pièce a une petite géographie à elle, reliée à un ou plusieurs territoires. La céramique me permet de cultiver ces jeux de matières de façon infinie, d’y donner du sens, d’alimenter un répertoire de textures, une cartographie intime, géographique et poétique de l’environnement qui m’entoure, que je traverse et qui m’émeut. Récolter est un voyage, une rencontre avec un paysage. J’aime me dire que je suis mélangeuse de terre et mélangeuse de particules de paysages.”
Des céramiques miroirs de ses errances paysagères, souvenirs des lieux découverts grâce à la marche, la grimpe, la spéléologie ; dans les montagnes, les chemins, les rivières, les carrières et les grottes. “Traverser des paysages, s’y offrir un temps d’exploration, y vivre des émotions, y rencontrer des matières… je crois que c’est ce qui m’anime le plus dans la céramique.”
Gestes anciens
Les formes de ses créations empruntent aussi les lignes des lieux traversés, comme ce vase à la paroi rocheuse, “petite falaise verticale”, évocation des flancs montagneux. La philosophie de la céramiste : “Manger des yeux le paysage, l’arpenter avec le corps pour que mes mains le traduisent dans la terre.” Dans l’intimité de sa “grotte-atelier” comme elle la surnomme, des bacs de terre glanée, des étagères en chêne pleines de tasses tachetées, verres à pied, assiettes creusées. Ou encore, des vases asymétriques dits “toupies” montés au pincé. “J’ai testé le tour, mais mon chemin était ailleurs… J’aime que la main se laisse porter par la
matière. Je laisse à la terre cette liberté d’aller là où elle le souhaite.” Les pièces de l’artisane, modelées à la main, ont l’allure imparfaite des œuvres façonnées par la paume et la pulpe des doigts. Une façon de travailler l’argile au plus près de la matière, sans intermédiaire ni outil. “De la céramique primitive, qui ramène à des gestes anciens”, complète Amélie.
Sur le grès, des émaux laiteux, transparents, légèrement satinés ou mats, qui laissent entrevoir les nuances de la terre cuite. Une esthétique brute et minérale avec “des glaçures sobres qui laissent passer les expressions de ces terres que j’aime tant”. Non loin de leur maison, le compagnon d’Amélie élève des Appaloosa, ces chevaux rustiques issus de la tribu indienne des Nez-Percés, originaires du nord-ouest des États-Unis. Leur allure picturale d’équidés préhistoriques, à la beauté racée et sauvage, et leur robe aux taches brunes inspirent à l’artisane les émaux mouchetés de certaines de ses créations. Souvent, elle choisit d’immortaliser ses pièces sur les encolures des chevaux, pour “faire dialoguer le vivant et le figé”.
Des pièces reflets de la philosophie de la céramiste, où le paysage s’impose comme prétexte pour faire de la céramique et la céramique comme prétexte pour explorer les paysages. “Finalement, je me fiche un peu du résultat, conclut Amélie ce qui m’importe, c’est de créer quelque chose de vivant, de ramener du dehors dans nos chaumières. Concevoir de manière empirique des objets poétiques à partir de matériaux récoltés dans la nature… quelle joie.”


Amélie Patry, earth, water, fire
Words Pauline Blanchard Photography Natacha RochéIn the shadowy darkness of the small, monastic garden, the glowing embers of the wood-fired kiln light up the blue of the night sky. With a steady gloved hand, visibly concentrated on the task before her, Amélie Patry pulls out her smoking-hot stoneware pieces, before delicately placing them in a metal box filled with fragrant hay. “Night time is when the magic happens. The pieces are incandescent, the colours mesmerising, the enamel hisses and crackles,” the ceramicist says admiringly.
Surrounded by a thick cloud of smoke, the biting cold of this March evening pinches the skin. It urges us to seek shelter inside the house, warming ourselves in front of the wood-burning stove’s roaring flames. As day breaks, the cooled cups reveal thin, dark veins, imprinted into the material through this firing process known as raku, an ancestral Japanese technique that requires speed, precision and careful observation of the stoneware.
Playing with fire and the elements. Touching, testing the limits of the material, missing the mark, breaking the clay. Starting over again. Amélie’s practice is intentionally experimental and playful. She lives in an old, stone presbytery with views of the fields, woods and river below, located on the outskirts of a village with narrow streets in the Angevin countryside. “The nearby Loire River is ever-changing and alive, transforming the landscape.” The young woman has much in common with the river; she is impetuous and wild, lively and curious. Her wavy, straw-coloured hair frames a good-natured oval face dotted with light freckles. Fully immersed in her environment, Amélie has forged an intimate relationship with the land that surrounds her house and workshop.
Seven years ago, as part of her art studies, Amélie escaped to Greece for a year of training. She participated in an academic ceramics workshop at the Athens School of Fine Arts with “professor Pavlos, a very expressive old man who understood absolutely nothing of what we were saying and who taught us by guiding our hands.” She learned to create using her body, instinctually, with the clay. There, she continued an apprenticeship that she had initially begun with a ceramicist from her own family, a raku enthusiast with whom she had spent some time in the Cévennes a few years prior.
Utterly charmed by Greece’s natural wonders, from the seaside coves to the mountains, which she furiously explored during her time there, she decided to try mixing sand from the beaches into her clay, after washing it clean of its salt. This journey laid the foundation for the delicate bond that she has since woven between creativity and nature. “Gathering materials from nature is about letting yourself be surprised by the material, exploring its texture, offering yourself new fields of expression.”
After a few years of life in the city, Amélie decided to return to country living. She settled down in this corner of the Maine-et-Loire department, south of her childhood home, where the Louet and Aubance Rivers merge into the Loire. On the ground floor of her home, a big empty room called out to her, inspiring her to transform the space into a ceramics studio, a practice until then confined to her leisure time and the walls of her bedroom. The first lockdown and the temporary hold that put on her work as a textile designer provided her with the opportunity
to get her hands back in the clay. “I thought back on all those timeless moments, outside of work, as I discovered the landscapes, those precious escapades interspersed with swimming and hiking, where I created in close proximity with the natural elements… That was the life I dreamed about,” recalls Amélie. “By a stroke of luck, a month before the first lockdown, my partner – who had noticed my sensitivity for this medium but also sensed my fears of embarking on this uncertain path – bought me a hundred kilograms of clay… I spent two months shaping and firing new pieces.”
Amélie inhabits the landscapes like one inhabits a house. She collects a few handfuls of sand from the pale riverbanks, harvests clay from abandoned quarries, watering holes and surrounding forests, bathes in the Loire River in the summertime. “I live some nine hundred kilometres from its source, from its birthplace. The sand here is therefore rich in all kinds of minerals, mixed and transported by the water from the Ardèche and Haute-Loire mountains. These well-travelled rocks are carried by the current and finish their journey in the Atlantic Ocean.” With both of her feet firmly planted in the flowing water, she continues: “Ceramics provide me with a sense of freedom that I longed for. When I was younger, I always secretly dreamed of earning a living using my hands. I deeply admired my mother and my grandparents, who created and lived in harmony with their environment,” she recalls. “Ceramics soothe me and fulfil my need for exploration and independence.”
Amélie’s creations contain pieces of the landscape, homages to the local flora and fauna, to life itself. To distant
Along the banks of the Loire River, ceramicist Amélie Patry summons the essence of the landscapes she encounters through the material itself.

Amélie Patry, la terre, l’eau, le feu portrait
landscapes as well. An adventurous spirit, she climbs cliffs and brings back wild sandstone, rock and sand samples from her escapades, from the paths she travels across. “Working with wild-harvested clay is a fantastic practice that leaves room for unpredictability and empiricism. These clays found are a reflection of a territory, but also a representation of the past, of traces accumulated and deposited under our feet.”
Amélie barely filters her materials, leaving pebbles to burst and melt in the kiln, mixing sand, rock powders and rehydrated clay. With its vegetal and mineral particles, the clay is worked “with its entire soul” to allow it “to fully express itself and offer fragments and random rough bits to the pieces.”
In the electric kiln, the firing process reveals mineral, pyrite-like effects and spontaneous craters, the result of this mysterious alchemy between clay, water, rock, sand and fire. By combining materials, the landscapes come together on a plate or a bowl: clay from the Gorges du Verdon, lavender ash enamels, quartz collected from Marseille’s calanques, volcanic rock harvested near Mount Etna, iron-rich rock found in the mountains, Angevin sand. “Each piece is a small geographic entity unto itself, linked to one or more territories. Ceramics allow me to cultivate infinite interplay between materials, to give them meaning, to feed a repertoire of textures, an intimate, geographical and poetic cartography of the environment that surrounds me, which I explore and am moved by. Harvesting materials is a journey, an
encounter with a specific landscape. I like telling myself that I am the one who mixes earth, who mixes fragmented landscapes.”
Pieces that mirror her rural wanderings, souvenirs from places discovered by foot, by climbing, by caving; in the mountains, along the trails, the rivers, the quarries and the caves. “Crossing the landscapes, allowing yourself time to explore, fully experiencing your emotions and encountering materials there… I believe that’s what inspires me the most when it comes to ceramics.”
Ancient gestures
The forms of her creations borrow lines from places she’s encountered as well, like this vase with a rocky face, “a small, vertical cliff” reminiscent of the mountainsides. The ceramicist’s philosophy is as follows: “Devour the landscape with my eyes, explore it with my body so that my hands can translate it into the clay.” In the privacy of her “cave-like studio” as she calls it, there are vats of wild-harvested clay, oak shelves lined with spotted cups, stemmed glasses and hollow plates. Or even asymmetrical vases called “spinning tops,” made using a pinch pot technique. “I tried using a potter’s wheel, but my path led me elsewhere… I like that hand-throwing is guided by the material. I allow clay the freedom to go where it wants to go.” The artisan’s pieces, built by hand, have the imperfect look of works crafted by cushiony fingertips and palms. It’s a way of working with the material as closely
as possible, without intermediaries or tools. “Primitive ceramics, a return to ancient gestures,” notes Amélie.
Milky, transparent, slightly satiny or matte enamels reveal the subtleties of the baked clay in the finished stoneware pieces. A raw, mineral aesthetic with “sober glazes that allow these clays that I so love exploring to express themselves all throughout the creation process.” Not far from their home, Amélie’s partner raises Appaloosa horses, a rustic breed of horse bred by the Native American Nez Perce tribe, originally from the northwestern United States. Their picturesque resemblance to prehistoric horses, wild thoroughbred beauty and brown spotted coats inspire the artisan’s use of speckled enamels in some of her creations. Often, she chooses to photograph her pieces contrasted against the horses’ necks, to “to create a dialogue between the living and the motionless.”
Her pieces are a reflection of her philosophy, in which the landscape imposes itself as an excuse to practice ceramics and ceramics as an excuse to explore the landscape. “In the end, I don’t really care about the final result,” concludes Amélie, “what matters to me is creating something alive, bringing the outside world into our cottages. Empirically designing poetic objects from materials harvested in nature… what a joy.”