LVS Décembre 2013

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LVS : Votre parcours est très atypique. Après avoir étudié la médecine et pratiqué le journalisme, vous avez décidé d’entreprendre une carrière rabbinique. Qu’est-ce qui vous a motivée à emprunter la voie des Études rabbiniques ? Rabbin Delphine Horvilleur : J’ai toujours été fascinée par l’Étude des textes fondateurs du Judaïsme. Mais l’idée de bifurquer un jour vers la voie rabbinique ne m’a jamais effleuré l’esprit, simplement parce que le Rabbinat ne me semblait pas une option dans le contexte communautaire dans lequel j’ai grandi, en fréquentant des Synagogues traditionnelles et en ne connaissant autour de moi aucune femme Rabbin. D’une certaine manière, ce qui m’a menée vers le Rabbinat, et qui m’a motivée aussi à étudier la médecine et à pratiquer plus tard le journalisme, c’est certainement la volonté d’être témoin de l’expérience humaine et de son sacré. J’ai pris plusieurs virages dans ma vie, mais l’amour de l’Étude des textes fondamentaux du Judaïsme a fini par me mener vers le Rabbinat. Je n’ai aucun doute aujourd’hui que ma découverte du Judaïsme américain, et du Judaïsme new-yorkais plus particulièrement, a eu sur moi un effet révélateur. En effet ce Judaïsme vraiment pluriel et très créatif, dont la Houtzpah est sidérante, m’a permis de verbaliser quelque chose qui n’était pas envisageable pour la petite Française que j’étais. Durant mon enfance, j’ai désespérément cherché cette voie, dont j’ignorais complètement qu’elle existait outre-Atlantique. Le Judaïsme américain a nourri mes questions et aussi les manques de mon judaïsme d’enfance, très traditionnel. Il m’a toujours semblé qu’il y avait un décalage entre les valeurs qui m’étaient enseignées à la maison, celles qu’on me transmettait à l’École publique et le discours qu’on me tenait à la Synagogue. J’avais alors l’impression que d’un côté, on mettait en lumière des valeurs universelles et que d’un autre côté, on encensait d’une manière débridée les valeurs inhérentes au particularisme juif. J’ai fini par réconcilier ces deux univers, qui de prime abord me paraissaient antinomiques, et réaliser qu’ils pouvaient dialoguer ensemble et se nourrir mutuellement. LVS : Dans le monde juif orthodoxe, une femme exerçant la fonction très masculine de Rabbin est considérée comme une hérétique dépravée. Ce jugement très sévère vous offusque-t-il ? D.H. : Certaines personnes considèrent l’accès des femmes au Rabbinat comme une forme de subversion, ou de révo-

lution, aux antipodes de l’esprit véhiculé par les textes et les traditions juives. Moi, au contraire, j’ai la sensation permanente, je le répète souvent, que la fonction rabbinique que j’exerce aujourd’hui n’est pas du tout éloignée des traditions juives. Il n’y a rien au sein de la loi juive, de son histoire et de sa culture qui justifierait, d’un point de vue légal, qu’on nie à une femme l’accès à la fonction de Rabbin. Il faut rappeler, particulièrement dans le contexte français et de son influence catholique, qu’un Rabbin n’est pas un Prêtre juif. En effet, dans le Judaïsme, il n’y a pas un Sacerdoce du Rabbinat. Or, légalement, absolument rien ne peut empêcher une femme d’exercer la fonction capitale de passeur de savoirs, d’enseignant ou de guide spirituel de sa communauté. LVS : Le monde juif orthodoxe n’a-t-il pas une vision réductrice, et souvent caricaturale, du Judaïsme libéral ? D.H. : Absolument. Dans le monde juif, beaucoup de clichés sont colportés au sujet des mouvances non orthodoxes, et particulièrement sur le Mouvement juif libéral de France (M.L.J.F.). Des stéréotypes tenaces qui, la plupart du temps, sont totalement erronés. Les mouvements libéraux sont la résultante d’une réalité démographique irrécusable qui sévit aujourd’hui dans le monde juif, et dont toutes les Synagogues sont le reflet. Le monde juif a connu au cours des dernières décennies de profondes mutations. Il y a de plus en plus de familles juives qui souhaitent ardemment fonder un Foyer juif dont des membres ne sont pas juifs. D’un point de vue juif et communautaire, a-t-on le droit d’ignorer avec dédain ces familles profondément attachées au précieux Héritage culturel, cultuel et sociohistorique que leurs ancêtres leur ont légué ? LVS : Les conversions au Judaïsme pratiquées par le mouvement libéral sont considérées par les Instances rabbiniques orthodoxes comme une violation aberrante de la Halakha. Cette position rabbinique très intransigeante vous exaspère-t-elle ? C’est un autre cliché totalement faux sur les mouvements libéraux qui a la vie dure. Certains croient qu’en matière de conversion au Judaïsme, les exigences du monde orthodoxe sont plus dures que celles formulées par le mouvement libéral. En réalité, ce n’est pas le cas. Ce qui est vrai, c’est que les exigences, ou les attentes sont très différentes dans ces deux mouvances du Judaïsme. Dans le processus de conversion au Judaïsme supervisé par le M.J.L.F., l’emphase est surtout mise sur l’Étude de l’Histoire juive, des textes religieux, du Talmud, du Midrash… On insiste moins sur cermagazine LVS | décembre 2013 | 55


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