L’ISLAMISME EST-IL UNE FATALITÉ ?
Aziz Farés, L' encre des savants est plus sacrée que le sang des martyrs
DOSSIER SPÉCIAL
Les exemples irakiens, libyens, syriens et afghans sont assez éloquents pour que nous soyons autorisés à douter de ces deux options. Par ailleurs, des régimes autocratiques, bailleurs de fonds de l’islamisme sont liés, par une étrange invraisemblance, au monde occidental. Le Québec et le Canada, en promouvant leur philosophie multi culturelle et communautariste, se sont éloignés des réalités nouvelles du monde musulman qui considère la démocratie, la liberté des femmes, la laïcité contraires à l’Islam. La laïcité est frappée de l’anathème d’athéisme et ne trouve que peu d’arguments face au « sacré » de la religion.
Le Prophète ne disait-il pas qu’il fallait aller chercher le savoir même en Chine ? C’est ce qu’ont fait ses successeurs, développant les sciences, l’astronomie, les mathématiques, la littérature, la médecine... Encyclopédistes, savants, écrivains... ont bâti une brillante civilisation à travers un empire qui s’étendait de l’Atlantique aux confins de l’Asie. En Andalousie, la pensée résolument moderne d’Averroes4 a influencé le monde médiéval qui a su s’emparer de textes philosophiques qui ont conduit l’Europe aux portes des Lumières. Il existe d’ailleurs un averroïsme latin. Cette transfusion des connaissances a paradoxalement tari la source qui nourrissait la pensée musulmane et quinze siècles de conquêtes et de découvertes ont été réduits à leur plus simple expression donnant de l’Islam le visage d’une religion anachronique de sociétés arriérées. Cette triste réalité est chaque jour confirmée par des actes barbares et inhumains; assassinats sauvages diffusés dans des mises en scène macabres qui visent à frapper les imaginations, destruction des Bouddhas de Bâmiyan, Palmyre... Nous sommes devant une énigme. Même l’âge d’or de l’Islam, de Grenade, de la culture et du raffinement ne remporte plus les suffrages de groupuscules qui ont fait main basse sur la religion musulmane brandie comme un trophée sanglant et la période de la révélation coranique est devenue la pierre d’achoppement d’une idéologie autoritaire qui pratique la politique du vide. La spiritualité a disparu de la pensée musulmane et la théologie a été kidnappée par des docteurs dont la foi suspecte et les connaissances théologiques imparfaites bloquent toute velléité sinon de lectures du moins de relecture du texte coranique. Cette relecture s’est pourtant faite durant les vingt années de l’apostolat du Prophète et certains versets, s’ils peuvent paraitre contradictoires au profane, mettent en lumière l’actualisation permanente d’une pensée alors vivante qui suivait l’évolution de la société. « En vérité, Allah ne change pas l’état d’un peuple tant que celui-ci ne change pas ce qui est en lui-même.5 » Tout le problème semble se situer à ce niveau. D’une part une idéologie, l’islamisme qui veut imposer un diktat à des peuples tous plus différents les uns que les autres et d’autre part un monde occidental qui prétend apporter la démocratie au nom de la « liberté ».
Le Québec, qui s’est affranchi pacifiquement de la tutelle de l’église en faisant une révolution tranquille qui l’a propulsé dans la modernité sans pour autant renier le fond culturel de la religion, se voit confronté de nouveau à une croyance qui, cette fois, n’est pas celle de la société. Par un assèchement de la pensée, l’Islam s’est recroquevillé dans une bulle idéologique qui lui fait croire qu’il peut prêcher dans ce Québec qui n’est pas un désert, mais qui pense, qui construit, qui tolère, qui existe par une volonté citoyenne. L’Islam doit avoir une conviction qui transcende la foi et dépasser un dogme qui se résume à un rituel mécanique. Au-delà d’une croyance religieuse, les musulmans doivent croire en eux et accepter de relire le seul texte à leur disposition, Le Coran, à la lumière des connaissances actuelles. Il n’est pas question, cela serait utopique de le penser, de réécrire le texte révélé ou les hadiths du Prophète. Quand bien même nous le voudrions, cela serait impossible. Ce que l’Islam et tous les musulmans sincères, et ils sont nombreux, doivent et ils peuvent le faire, c’est retrouver le sens et l’essence du texte coranique en ne se laissant rien imposer comme une fatalité. D’ailleurs il est dit : « Dieu ne vous impose rien que vous ne puissiez supporter »6. L’avenir de l’Islam au Québec est encore imprécis, car il se positionne en termes d’affrontement. Les exemples, loin d’être anecdotiques, du voile, du niqab, des accommodements raisonnables témoignent d’une incompréhension, d’une ignorance des préceptes religieux et de la culture islamique tant dans la société québécoise que dans les sociétés musulmanes issues d’Afghanistan, d’Irak, d’Algérie, du Pakistan, d’Indonésie... autrement dit de cultures, de traditions et de langues différentes. Le danger est de promouvoir le faux semblant d’une religion unie, uniforme qui serait la même partout en entretenant le mythe d’une société idéale. Pour envisager le futur, l’Islam doit se réconcilier avec son passé, vivre pleinement l’instant présent dans la spiritualité, et au lieu de se lancer dans un djihad juridique à coups de fatwas improvisées, faire avec le Québec un effort fondé sur la réflexion pour enfin vivre ensemble dans la paix et le respect tout en ayant la foi... en l’avenir. 1 Dans son livre Vu, lu, entendu, Denoël, 1998, p18 2 Coran, Sourate 2 verset 256 3 Mahmoud Hussein, Ce que le Coran ne dit pas, Grasset 2013 4 Célèbre philosophe, théologien, juriste et médecin musulman né à Cordoue
en Andalousie (Espagne) en 1126 et mort à Marrakech en 1198. 5 Coran, Sourate 13 verset 11 6 Coran, Sourate 2 verset 286
MAGAZINE LVS
hannouca 2016
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