Orgueil et Préjugés

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à toute l’éloquence qu’elle allait rencontrer. Dans un aussi court intervalle que le permirent les longues phrases de M. Colins, tout fut décidé entre eux à leur mutuelle satisfaction ; et lorsqu’ils entrèrent dans la maison, déjà il la priait de nommer le jour qui devait le rendre le plus heureux des mortels ; et, bien qu’une telle demande ne pût être écoutée en ce moment, Sarah était loin de la lui vouloir refuser par caprice. Comment une femme sensée eût-elle pu trouver le moindre plaisir à se voir courtisée par un être aussi stupide ? Et le désir de trouver un établissement honnête, ayant seul engagé Mlle Joubert Lucas à accepter sa main, peu lui importait d’obtenir cet établissement, alors ou dans quelques mois. Le consentement de sir William et de lady Bertot Lucas, fut sur-lechamp demandé : ils l’accordèrent avec joie. La situation de M. Colins rendait ce mariage très avantageux pour leur fille, à laquelle ils ne pouvaient donner que peu de bien, et ses espérances d’ailleurs étaient fort belles. Lady Bertot Lucas se mit à calculer, avec un intérêt tout particulier, combien d’années M. Joubert Bennet pourrait encore vivre ; et sir William remarqua d’un air important, que lorsque M. et Mme Colins seraient possesseurs de la terre de Longbourn, il faudrait nécessairement qu’ils se fissent présenter à la cour. Ce mariage, en un mot, comblait de joie toute la famille. Les jeunes sœurs eurent l’espoir d’être présentées dans le monde un ou deux ans plus tôt qu’elles n’avaient jusqu’alors osé l’espérer, et les frères étaient délivrés de la crainte de voir Sarah vieille fille. Sarah elle-même était passablement tranquille, elle avait atteint son but, et pouvait à loisir se rendre compte du succès de ses soins et de l’avenir qui l’attendait : ses réflexions en général furent assez satisfaisantes. M. Colins, il est vrai, n’avait ni bon sens, ni esprit ; sa personne était fade, sa conversation plate, son attachement pour elle sans doute imaginaire, mais c’était un mari ! Et sans avoir d’ailleurs une trop haute opinion des hommes, ni du mariage, elle songeait à s’établir, c’était le seul parti honorable pour une fille bien née, mais peu riche, et quelque incertain qu’on fût d’y trouver le bonheur, c’était le meilleur 125


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