Pas de deux, Le cinéma de Anne-Marie Miéville

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« Quand Godard a accepté le rôle, j’ai su qu’il ne chercherait pas à faire un numéro » Propos recueillis par Jean-Michel Frodon la moitié du budget de Lou n’a pas dit non [le coût moyen d’un film français est d’environ 20 millions], j’aurais dû renoncer. Je me suis débrouillée avec cette somme, en la matière je me sens comme une ménagère qui va faire son marché, je regarde ce qu’il y a dans le porte-monnaie et je fais les courses en conséquence. Le film s’est fait très vite, à peine un an.

Jean-Michel Frodon : Qui est ce « nous » dans le titre du film ? Anne-Marie Miéville : Pour moi, il s’agissait surtout des mots. Le film est construit essentiellement sur les paroles, certaines sont très anciennes mais me semblent toujours d’actualité. Ces mots sont tous encore ici et nous sommes encore là pour les dire.

Comment Jean-Luc Godard s’est-il retrouvé acteur des deux dernières parties ?

D’où vient cette place centrale accordée aux mots ?

Ce n’était pas prévu, j’ai rencontré beaucoup d’acteurs, et nous avons commencé à travailler avec Hugues Quester, mais, dès le premier jour de tournage, nous ne nous sommes pas compris, bien qu’il ait beaucoup travaillé le rôle. Il est parti et j’étais désemparée, il fallait interrompre le film pendant un temps imprévisible avant de trouver un nouvel interprète. J’ai appelé Jean-Luc pour lui raconter ce qui m’arrivait et au téléphone, j’ai dit tout à coup : « Est-ce que tu ne veux par reprendre le rôle ? » Il a aussitôt répondu : « Oui, de tout mon cœur. » Il s’est immédiatement mis au travail, il devait apprendre son texte pour le lendemain et le lendemain il a joué avec Aurore Clément.

Du théâtre. À l’origine, j’avais reçu une proposition d’un théâtre en Suisse pour une mise en scène. Comme je ne me voyais pas prendre une pièce existante, ni en écrire une, je suis partie vers ce matériau composé, et puis le projet théâtral ne s’est pas concrétisé. J’ai eu envie d’en faire un petit film en remaniant la troisième partie pour profiter des possibilités du cinéma.

Comment avez-vous choisi Platon comme scénariste-dialoguiste ? L’idée est venue d’une proposition dont m’avait parlé Yves Jaigu après Mon cher sujet. Il souhaitait produire pour FR 3 une série consacrée aux œuvres de Platon. J’avais un peu lu Platon au lycée, je n’en gardais pas une mémoire très précise, j’ai acheté tous les livres et les ai lus avec passion. Mais je ne voyais pas comment filmer ces dialogues, deux types en toge qui parlent sans fin, ça me semblait irregardable. Puis est venue une idée qui m’a semblé lever cet obstacle : faire dire le texte par des femmes. J’ai eu l’impression que le corps des femmes, leur fluidité, pouvait véhiculer cette parole de manière plus proche, aider à retrouver combien ces textes sont vivaces, et souvent comiques.

Il connaissait le projet ? Bien sur, quand j’écrivais pour la pièce nous en avions parlé, nous nous étions même amusés à interpréter les deux personnages, alors on peut dire aujourd’hui qu’il n’y a pas de hasard, que ça devait finir ainsi. En tout cas, ni lui ni moi ne le savions. En revanche, quand il a accepté, j’ai su tout de suite qu’il en serait capable, qu’il ne chercherait pas à faire un numéro, qu’il se tiendrait au plus près des paroles et du sens. Je le connais bien. Je lui ai demandé de se présenter sur le plateau comme comédien débutant et pas comme « Jean-Luc Godard, metteur en scène », ce qu’il a tout naturellement fait. En plus, avec lui, on a fait des économies, on n’a pas été payé cher. (Rires.)

Le débat du film évoque vos difficultés pour trouver son financement.

La troisième partie était-elle aussi entièrement écrite ?

Ce n’est pas une phrase vengeresse, juste un petit rappel. Toutes les portes se sont fermées brutalement devant ce projet, y compris chez des organismes dont on aurait pu penser que justement ils étaient destinés à des films de cette nature. Sans la confiance d’Alain Sarde, qui a pu trouver 3 millions, moins de

Oui, il n’y a aucune improvisation.

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