Encyclopédie Médico-Chirurgicale 36-659-B-10
36-659-B-10
Anesthésie du patient alcoolique A Teboul JL Pourriat
Résumé. – L’extrême fréquence de l’intoxication alcoolique chronique (près d’un homme hospitalisé sur quatre) amène tout naturellement les anesthésistes-réanimateurs à prendre en charge des patients éthyliques chroniques et/ou ébrieux, dont la mortalité et la morbidité peropératoires sont plus élevées que chez les sujets normaux. Les conséquences de l’alcoolisme doivent être connues et prévenues par le médecin anesthésisteréanimateur. La prise en charge des patients cirrhotiques n’est pas étudiée ici. Le métabolisme de l’éthanol est très majoritairement hépatique, par le biais de trois voies métaboliques différentes : alcool déshydrogénase, système microsomial d’oxydation de l’éthanol et catalase. La dégradation de l’éthanol aboutit, dans tous les cas, à la formation d’acétaldéhyde, qui peut être considéré comme un bloqueur métabolique et un toxique direct. L’intoxication éthylique chronique se traduit par des altérations touchant de nombreux appareils. Les conséquences neurologiques sont principalement la polynévrite et l’encéphalopathie de Gayet-Wernicke par carence en thiamine. Le retentissement hépatique peut être mineur (stéatose) ou sévère (hépatite alcoolique aiguë), aboutissant à la cirrhose hépatique. Le retentissement cardiovasculaire est souvent sous-estimé. La cardiomyopathie alcoolique se traduit par une altération de la contractilité, à laquelle l’organisme répond par une hypersécrétion de catécholamines, à l’origine de troubles du rythme cardiaque et d’une majoration de l’incompétence myocardique. Le béribéri cardiaque est plus rare. Le retentissement nutritionnel explique une grande partie des complications neurologiques, cardiaques, infectieuses et musculaires. L’intoxication éthylique aiguë (IEA) a ses complications propres, notamment traumatiques. Les anesthésies en urgence pratiquées dans un contexte d’IEA concernent volontiers des patients hypovolémiques, atteints d’hypocontractilité cardiaque et à l’estomac plein. L’anesthésie du patient éthylique chronique non ébrieux nécessite une évaluation préopératoire soigneuse du retentissement de l’intoxication et la prescription rapide d’une suppléance nutritionnelle. L’étude de la littérature ne retrouve que peu de travaux étudiant la pharmacologie des agents anesthésiques chez l’éthylique non cirrhotique. Il n’y a pas de contre-indication à l’utilisation de tel ou tel agent ou de telle ou telle technique. Schématiquement, l’IEA nécessite une réduction posologique des analgésiques et des hypnotiques, tandis que l’intoxication chronique peut justifier une discrète majoration des doses utilisées. Les complications surviennent essentiellement pendant la phase postopératoire, en partie en raison des carences en thiamine et phosphore. La survenue d’un syndrome de sevrage est fréquente et peut être mortelle, notamment en cas de delirium tremens. Le meilleur traitement des complications postopératoires est certainement préventif, mais peut être insuffisant. Le traitement curatif peut justifier à lui seul une admission en réanimation. Les moyens pharmacologiques font appel aux carbamates, aux neuroleptiques, aux benzodiazépines ou à la clonidine. L’administration d’alcool n’est plus conseillée. © 2002 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Mots-clés : anesthésie, alcool, intoxication alcoolique chronique, delirium tremens.
Introduction L’alcool, qui est la drogue la plus consommée à travers le monde, peut être considéré comme une « hépatotoxine socialement acceptable » [28]. En France, environ deux hommes sur trois (pour moins de trois femmes sur dix) absorbent de l’alcool
Alexandre Teboul : Chef de clinique-assistant. Jean-Louis Pourriat : Professeur des Universités, praticien hospitalier, chef de service. Service des urgences médicochirurgicales, hôpital de l’Hôtel-Dieu, place du Parvis-Notre-Dame, 75004 Paris, France.
quotidiennement [ 3 3 ] . De fait, l’extrême fréquence de cette intoxication en fait une pathologie désormais connue et assez clairement codifiée [20, 66]. Cependant, la prise en charge médicale des patients éthyliques n’est pas toujours satisfaisante [78], alors que la proportion d’éthyliques atteint 13,5 % des patients hospitalisés (22,7 % des hommes et 5,5 % des femmes) [35, 94]. L’éthylisme est luimême responsable d’une surmorbidité et d’une surmortalité dans les pathologies traumatiques et plus de 20 % des patients hospitalisés en chirurgie sont éthyliques chroniques [48]. Il n’est donc pas surprenant que les anesthésistes-réanimateurs soient si souvent confrontés à des patients éthyliques. Si la prise en charge spécifique
Toute référence à cet article doit porter la mention : Teboul A et Pourriat JL. Anesthésie du patient alcoolique. Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), Anesthésie-Réanimation, 36-659-B-10, 2002, 8 p.
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