Swap Mag #6 - Voix des femmes - 2019

Page 1


Sommaire

2

Sommaire et présentation de Théroigne de Méricourt

6

Homme vs. femme : L’origine des (in)égalités

4 16

Édito — Modesta Égalité homme — femme : un pas en avant, deux pas en arrière ?

20

Femme… métier à risques ?

28

D’une femme en politique à une politique pour les femmes…

22

30 32

36 42

46 55

58

60 62 70

75

Figures du féminisme d’aujourd’hui La place des femmes pour les partis d'extrême droite ! LEILA II Favoriser la mixité de sexes en CJ : un enjeu pour les filles et les garçons, un enjeu pour la société Rencontre avec le Collectif mixité Genre, sexualité et sexisme en Maisons de Jeunes Mixité à la MJ de Sclessin : l’avis des autres Appel à la grève ! « Je me souviens » Pérégrinations La place des femmes dans l’espace public — Dénoncer pour agir Cycloparade féministe : Solidarité avec les femmes du monde entier ! PEREGRINATIONS ILLUSTRATION DE LA COVER Théroigne de Méricourt est une figure marquante — pourtant méconnue — de la Révolution française née en 1762 à Marcourt (Province de Luxembourg). Dans le parc du CIRAC (Centre International de Rencontres et d’Actions Culturelles) situé à Marcourt, un collectif d’artistes professionnels et amateurs a réalisé une fresque retraçant la vie tumultueuse et tragique de cette femme reconnue par le féminisme moderne comme une de ses pionnières.

2


Deux formats

Un outil

Positionner la FMJ Susciter la réflexion

Ill. : Benjamin Cambron

Parution

3


Par Joy Slam Poésie Production : Kaméléon

Elles t'ont appelée « Modesta », Un prénom qui sonne comme un esclavage ; Une injonction à tenir sa place, à rester sage. Une toute première leçon qui fait déjà si mal : Les « nègres de maison » n'ont ni sexe, ni race, Depuis des siècles, les femmes aussi... asservissent les femmes Modesta, comme on déchire une page négligeable ; Ma fille : voici ta cage en héritage : Sois fragile, naïve et délicate Modesta, comme on refuse de noircir une case ; Puisque les règles semblent immuables, Un point final pour commencer une phrase.

Elles t'ont appelée Modesta, Te préparant dès la naissance à baisser le regard, Imaginant que tu ne laisserais pas de trace. Elles t’ont appelée Modesta, Modesta... Ils t’ont appelée Modesta, Te voyant perdre la course avant même le top départ, Éphémère comme des pas qui s'effacent Ils t’ont appelée Modesta, Modesta...

4

Ill.

:

IS

D NE

T MO


Ils t’ont dit qu’une femme ça ne rêve pas trop grand : Dans les salons du pouvoir et des messieurs importants, Ça apporte à boire et ça ferme la porte en sortant Ils t’ont dit qu’une femme ça ne veut pas changer les choses, Ça se plie aux règles, aux lois qu’on lui impose, Ça ne se bat qu’avec les armes que l’homme lui propose Ils t’ont dit qu’une femme ça s’plie en quatre pour sa famille, Ça se sacrifie, ça accumule la fatigue, Et ça se console en faisant du shopping le samedi Ils t’ont dit qu’une femme, ça sourit, ça rougit, Ça dit merci quand on lui fait un compliment pourri, Ça se contente de rapports où ce n’est jamais elle qui jouit Elles t'ont appelée Modesta, Te préparant dès la naissance à baisser le regard, Imaginant que tu ne laisserais pas de trace. Elles t’ont appelée Modesta, Modesta... Ils t’ont appelée Modesta, Te voyant perdre la course avant même le top départ, Éphémère comme des pas qui s'effacent Ils t’ont appelée Modesta, Modesta... Sans consulter les oracles; tu as éliminé chaque obstacle, Refusé d’être raisonnable, envoyé au diable leur morale ; Échangé les jupes des nonnes contre celles des gitanes Sans même un Dieu à servir, tu es partie en Djihad Une liberté à conquérir : faire exploser leurs barricades ! Il a fallu se battre, apprendre à manier la poudre, Jusqu’à sacrifier parfois ceux qui enferment dans leurs tabous Loin des dogmes, églises, politiques, gourous ; Loin des hommes qui te demandent de dire « toujours », Loin des femmes sentinelles, jalouses, Tu es devenue souveraine : libre de tes choix, de tes amours

ELLES T'ONT APPELÉE MODESTA,   MAIS TU N'ES PLUS « MODESTA » Tu es à jamais immorale, immortelle, Tu es indécente femme fatale et obscène Tu es sensuelle, épicée, rebelle, libérée Elles t'ont appelée « Modesta, mais tu n'es plus Modesta » Tu n’es plus « Modesta », tu es amoureuse du tumulte, Tu n'es plus « Modesta », tu es marginale, Tu es une majuscule, sûrement pas un point final.

5


L’origine des (in)égalités Par Sylvie Gérard

« L’HOMME REPRÉSENTE L’AUTORITÉ ET LA FEMME, LE CÔTÉ MATERNEL DE L’ÊTRE HUMAIN ». « UNE FEMME DOIT FAIRE SES PREUVES ET S’IMPOSER. LES HOMMES S’IMPOSENT PAR LEUR PHYSIQUE ET PAR LE SIMPLE FAIT QU’ILS SONT DES HOMMES ». « UNE FEMME SERA CONSIDÉRÉE COMME PLUS POLYVALENTE SUR LES TÂCHES MÉNAGÈRES ET INVERSEMENT, ON SOLLICITERA UN HOMME POUR DES TRAVAUX DE RÉNOVATION ». « UN GARÇON ÇA NE PLEURE PAS, LES FILLES SONT DES PISSEUSES ».

Photo : Roger-Viollet (Centre de propagande pour le vote des femmes)

AUTANT DE PHRASES STÉRÉOTYPÉES ÉNONCÉES COMME DES AFFIRMATIONS NATURELLES.

MAIS D’OÙ VIENNENT-ELLES ?    Même si les femmes ont toujours eu un pouvoir d’influence auprès des hommes et ont contribué à l’évolution de la société et de l’humanité, ce pouvoir a rarement été reconnu légalement. Il n’y a pas d’histoire sans les historiens qui la racontent... Et ces histoires ont été écrites par des hommes, les femmes en ont été exclues ! Quand elles s’y trouvent, c’est pour y être caricaturées.

6

Le fondement des différences sociales entre les sexes réside pour un grand nombre dans les croyances et les pratiques sociales, justifiées par différentes études et divers arguments de différence biologique largement médiatisés.


Dès le XIXème siècle, alors que la science ne dispose que de peu de moyens, les chercheurs tentent de démontrer la supériorité du cerveau masculin en comparant la taille du cerveau de cadavres féminins et masculins. Paul Broca, célèbre anatomiste, empreint d’idéologies racistes et sexistes, calcule une différence de 181 grammes entre le poids moyen du cerveau des hommes (1325 g) et de celui des femmes (1144 g). Il utilise alors ce constat pour valider une thèse couramment admise :

Les études

« La petitesse relative du cerveau de la femme dépend à la fois de son infériorité physique et de son infériorité intellectuelle ». « On s'est demandé si la petitesse du cerveau de la femme ne dépendait pas exclusivement de la petitesse du corps. Pourtant, il ne faut pas perdre de vue que la femme est en moyenne un peu moins intelligente que l'homme. Il est donc permis de supposer que la petitesse relative du cerveau de la femme dépend à la fois de son infériorité physique et de son infériorité intellectuelle ».

Bien que très anciennes pour la plupart, ces études restent celles dont on se souvient le plus. Pourquoi ? En fait, leurs conclusions sont en adéquation avec notre conception culturelle du monde. Les femmes manquent dans le domaine de l’aviation ? Ne cherchez plus pourquoi, une étude a montré qu’elles n’ont pas le sens de l’orientation. De plus, les études montrant des différences entre les sexes sont facilement publiables, contrairement à celles qui n’en montrent pas. Les résultats négatifs dans les titres de publications sont très mal vus et ne sont pas toujours considérés comme de vraies avancées.

Fleming © Dargaud, 2019

Depuis, la relation entre la taille du cerveau et l’intelligence a évidemment été démentie, notamment par Catherine Vidal, neurobiologiste française et féministe, qui expose entre autres que le cerveau d'Einstein pesait largement moins que la moyenne du cerveau des hommes pesés par Broca. Tout comme une étude sur la capacité des femmes à effectuer plusieurs tâches en même temps. Cette séduisante théorie a en fait vu le jour en 1982, lorsque des anatomistes ont observé que le faisceau de fibres qui relient les deux hémisphères était plus large chez la femme. Il faut noter que cette étude, dont la portée médiatique fut sans précédent, portait sur vingt cerveaux seulement et qui plus est, conservés dans le formaldéhyde (formol). Depuis, les méthodes de mesure ont beaucoup évolué et de nombreux travaux ont montré que cette conclusion est largement erronée. L'androcentrisme, le fait de se centrer et/ ou de privilégier l'analyse des hommes, des dominants et d’invisibiliser ou sous-estimer les femmes, est un biais majeur, parfois encore présent dans de nombreuses études. On assiste ainsi à des études de « genre ». Ce concept de « genre » présente l’intérêt d’instaurer une distinction entre le sexe génétique et la construction sociale et culturelle qui s’y rapporte. Il permet d’analyser les situations sociales, les comportements et les rôles de chacun et fait désormais partie du vocabulaire politique et institutionnel de l’Europe. Il devient incontournable dans le domaine de la recherche. Les différences entre les hommes et les femmes sont le produit de la société, de la culture, d’habitus et de stéréotypes.

7


Les médias Ils jouent un rôle majeur dans la transformation des comportements à l’égard des femmes et sont un reflet de la perception que la société a de celles-ci. Bien que le sexisme dans les médias soit encore très répandu, certaines publicités et campagnes virales en ligne remettent en cause ces mêmes stéréotypes.

Fleming © Dargaud, 2019

La plasticité cérébrale

La culture

C’est un concept selon lequel l’expérience vécue modifie et structure le fonctionnement cérébral. Cette notion montre l’importance de l’acquis sur l’inné dans les différences de performances et de comportements entre les sexes. En observant le cerveau de pianistes sur plusieurs années, on s’est rendu compte qu’il évoluait en fonction de leur pratique intensive. Ainsi, on observe un épaississement des régions spécialisées dans la motricité des doigts, dans l’audition et la vision. De la même manière, une étude a montré que les zones du cortex qui contrôlent la représentation de l’espace sont plus développées chez les chauffeurs de taxi, et ce proportionnellement au nombre d’années d’expérience de la conduite.

La société projette sur les enfants à naître, et après leur naissance, les stéréotypes liés au genre. Cette différenciation des modèles masculins et féminins va se poursuivre tout au long de l'enfance. Par identification et imitation des modèles (d'abord celui du père ou celui de la mère, ceux reproduits dans les manuels scolaires, par mimétisme des attitudes dans les jeux), les enfants vont continuer à apprendre ce qu'il est bon ou non de faire, de dire, de penser quand on est un garçon ou une fille. Les qualités dites féminines valorisées chez la fille et interdites aux garçons sont la coquetterie, la douceur, l'apprentissage à faire plaisir, à donner, à s'occuper des autres (l'entretien des maisons et des personnes qui l'habitent). Les qualités dites masculines valorisées chez le garçon et interdites aux filles sont l'agressivité, la vitalité, le fait de se battre, l'autonomie, l'utilisation d'outils, d'armes, etc.

8


La religion L’analyse du rôle imparti aux femmes dans toutes les religions démontre que celles-ci ont tout à perdre à s’aliéner à une religion, quelle qu’elle soit :

Du point de vue de la religion — et ce, quelle qu’elle soit — une femme ne peut s’épanouir que si elle est une bonne épouse, une bonne mère, et évidemment une bonne croyante. Elle n’a aucune autre existence en dehors de cette identité et cela justifie toutes les exactions à son encontre : violences, viols, inégalités sociales, politiques et économiques. De tout temps, qu’elles qu’aient été les religions polythéistes ou monothéistes, les femmes ont été considérées comme inférieures. Et les différents pouvoirs politiques ont utilisé les religions pour mieux les asservir.

La différence entre les sexes n’est donc pas seulement naturelle, mais aussi culturelle. Depuis la création, « l’homme » signifiait l’humain sans distinction de sexe. À présent, l’homme est dissocié par genre en fonction du sexe biologique. Cette différence est le produit des imaginaires sociaux. Du point de vue de la psychologie sociale, les préjugés, les stéréotypes de genre, les rôles prescrits sont à l’origine de la construction sociale de l’inégalité des sexes et des particularités psychologiques et sociales selon le genre. En découle ainsi la constitution d’une culture, d’une société patriarcale, traditionaliste, inégalitaire et dominatrice qui a des effets sur tous les pans de la société, et sur la place laissée aux femmes.

Fleming © Dargaud, 2019

• Soumises à l’homme puis à Dieu dans le catholicisme. • Épouses fidèles et voilées pour les musulmans : la place des femmes dans le Coran n’est pas si catastrophique à condition qu’elles soient mères ou épouses fidèles, la fidélité n’étant pas réciproque puisque l’homme peut être polygame. • Impures et au service de leur mari dans la religion juive. • Obéissantes et douces pour les bouddhistes.

9


10

Ill. : NE DIS MOT


DÈS LORS, L’ÉGALITÉ UNIVERSELLE : QU’EN EST-IL ?

Derrière les déclarations, des faits « Tous les êtres humains sont libres et égaux ! »   Le Cylindre de Cyrus, rédigé en 539 avant Jésus-Christ par Cyrus le Grand de l’Empire achéménide de Perse (ancien Iran) après sa conquête de Babylone, est souvent considéré comme le premier document des droits de l’homme. Le Pacte des vertueux (Hilf-al-fudul) conclu entre tribus arabes vers 590 après Jésus-Christ est considéré comme l'une des premières alliances pour les droits de l’homme. La Déclaration anglaise des droits de 1689, rédigée à la suite des guerres civiles survenues dans le pays, a été le résultat de l’aspiration du peuple à la démocratie. Un siècle plus tard exactement, la révolution française donna lieu à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui proclamait l’égalité univer-

selle. En 1948, les 58 États participants à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme devaient adopter cette charte. Si aucun État ne s'est prononcé contre, huit se sont abstenus. Parmi eux, l'Afrique du Sud de l’Apartheid refuse l'affirmation au droit à l'égalité devant la loi sans distinction de naissance ou de race ; l’Arabie saoudite conteste l’égalité homme-femme ; la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Yougoslavie et l'Union soviétique (Russie, Ukraine, Biélorussie), rejettent également la charte en raison d'un différend concernant la définition du principe fondamental d’universalité tel qu'il est énoncé. Enfin, les deux derniers États n'ayant pas pris part au vote sont le Yémen et le Honduras.

ET POURTANT, IL N’Y A PAS SI LONGTEMPS...

L’incapacité juridique de la femme En Belgique, l’incapacité juridique totale de la femme mariée est proclamée en 1804 dans le Code civil. On la considère alors comme un mineur.

que la loi de réforme des régimes matrimoniaux autorise les femmes à exercer une profession sans autorisation maritale et à gérer leurs biens propres.

En 1900, la femme peut conclure un contrat de travail rémunéré avec comme condition de dépenser son salaire pour des dépenses liées aux besoins du ménage.

La suppression de l’incapacité civile des femmes date de 1938 avec en 1946, l’inscription dans le préambule de la Constitution du principe de l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines.

Ce n’est qu’en 1922 que la femme pourra disposer de ses propres revenus sans l’autorisation de son mari. Il faut attendre les années 70 pour que la loi proclame l’égalité totale entre époux, que la femme ne doive plus obéissance au mari et que le mariage n’induise plus l’incapacité juridique et civile des femmes. En France, c’est en 1907 que la loi accorde aux femmes mariées la libre disposition de leur salaire. Et en 1965

Dans le monde, en Afrique, en Asie ou au Moyen Orient, même si la constitution et la législation évoluent depuis une cinquantaine d’années pour permettre l’égalité homme/femme, le système des lois traditionnelles ou religieuses reste ancré et suivi au détriment de ces progrès. Beaucoup de femmes ne sont pas informées de leurs droits ou n’osent pas s’en prévaloir à cause de la pression familiale.

11


La scolarité des filles

En Belgique, ce n’est qu’en 1864 que fut créée la première école pour filles, leur donnant droit à l’instruction avec des filières prépondérantes selon le sexe. Et seulement en 1920 que les filles peuvent suivre les mêmes études que les garçons et qu’elles peuvent accéder aux écoles supérieures. En France, c’est en 1924 que les programmes d’enseignement secondaire ainsi que le baccalauréat deviennent identiques pour les filles et les garçons. Dans le monde, même s’il y a des progrès au niveau de l’éducation, les inégalités persistent. Par exemple, en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud, on constate que malgré que l’accès à l’école soit intégré pour les filles et que les inscriptions augmentent, le taux d’achèvement diminue dès l’école primaire et l’atteinte du niveau secondaire et supérieur reste minime. Même si dans ces pays l’accès au travail est autorisé aux femmes, elles sont généralement employées dans des travaux en bas de l’échelle sociale et parfois même non rémunérées en raison de leur faible taux d’éducation.

Fleming © Dargaud, 2019

Au contraire, au Moyen Orient et en Afrique du Nord, le taux de scolarité et d’éducation est élevé, même dans les études supérieures. Pourtant, l’accès au travail reste très faible en raison des normes sociales qui définissent le rôle de la femme au foyer, dépendante de son mari et de sa famille.

Le droit de vote des femmes En Belgique, ce n’est qu’après la Première Guerre mondiale qu’un nombre limité de femmes (veuves de militaires ou civils tués excepté les prostituées et femmes adultères) ont obtenu le droit de vote. Il a fallu attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour que toutes les femmes aient le droit de vote, en 1949. En France, l’ordonnance accordant le droit de vote et d’éligibilité aux femmes est accordé en 1944. Cependant, les « indigènes1 » font longtemps l’objet d’une exclusion politique. L’égalité citoyenne ne sera consacrée qu’en 1956, par la loi-cadre de Gaston Defferre.

12

Dans le monde, le premier pays à accorder le droit de vote aux femmes est la Nouvelle-Zélande en 1893, suivi par l’Australie en 1902 et la Finlande en 1906. Les ÉtatsUnis, sur le plan fédéral, accordent le droit de vote aux femmes en 1919. En 1920, ils octroient le droit de vote restreint aux femmes blanches, jusqu'au Voting Rights Act de 1965. En 1928, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande met fin au droit de vote censitaire accordé aux femmes à partir de l’âge de trente ans et aligne le statut des femmes sur celui des hommes. Pour l’Afrique du Sud, seules les femmes blanches ont le droit de vote à partir de 1930. Il faut attendre 1983 pour les femmes métisses et indiennes, et 1994 pour les femmes noires. Le dernier État à octroyer le droit de vote aux femmes est l'Arabie Saoudite pour les municipales depuis 2015 seulement ! Personnes appartenant à un groupe ethnique existant dans un pays d'outremer avant sa colonisation, populations ultramarines autochtones.

1


Le salaire de la femme En Belgique, ce n'est qu’en 2008 que sera rendue obligatoire la Convention Collective de Travail concernant l’égalité salariale entre hommes et femmes datant de 1975 ! En France, le principe de l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes est inscrit dans la loi depuis 1972. Ce n’est qu’en 2006 que loi sur l’égalité salariale entre les femmes et les hommes entre en vigueur.

Fleming © Dargaud, 2019

Dans le monde, en Turquie, la vaste majorité des législateurs, officiers supérieurs et managers sont des hommes, bien que les lois prônent une égalité des salaires entre les hommes et les femmes. Presqu’aucune femme n’y occupe un poste au sein du ministère. En Égypte, les lois du pays ne facilitent pas l'embauche des femmes, tout comme en Mauritanie, au Mali, au Pakistan et au Yémen. Ces lois ne permettent pas une égalité des salaires pour un même poste entre un homme et une femme, et les femmes ne se plient pas aux mêmes droits et devoirs que les hommes, mariées ou divorcées. Au Liban et en Syrie, les lois ne permettent pas non plus une égalité des salaires. Et les femmes n'ont également pas le droit d'hériter.

Les femmes en politique En Belgique, il n’y a moins de vingt ans (en 2002 précisément), la loi impose la parité hommes-femmes sur les listes électorales et l’Institut fédéral pour l’égalité des femmes et des hommes est créé. Sa mission est de garantir et promouvoir l’égalité des hommes et des femmes et de combattre toute forme de discrimination ou d’inégalité fondée sur le sexe. Il vise à assurer l’égalité homme/ femme comme une évidence dans les pratiques et les mentalités.

Fleming © Dargaud, 2019

En France, on assiste en 1995 à la création de l’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes. Et en 1999 et 2000 arrive la modification des articles 3 et 4 de la Constitution pour introduire l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives. Dans le monde, les pays les plus exemplaires en matière d’égalité sont les pays nordiques où l’on voit le plus grand nombre de femmes dans les assemblées législatives ainsi que dans des postes de direction. L’écart salarial y est le plus faible à poste égal.

13


La violence faite aux femmes En Belgique, la loi réprimandant le viol entre époux apparait en 1989. En 1997, celle visant à combattre la violence au sein du couple.

Dans le monde, la santé sexuelle des femmes est très préoccupante, avec notamment un taux élevé de femmes atteintes du sida, de mutilations génitales, d’excisions, de viols et un taux de mortalité maternelle très élevé. Dans certains pays, les grossesses peuvent être interrompues et les nouveau-nés tués s’il s’agit de filles... En 1920, la Société égyptienne des médecins défie la tradition en dénonçant les effets délétères des mutilations

Ce ne sont pas les seules problématiques qu'ont connu les rapports sociaux de sexe ces quarante dernières années : la contraception féminine, l'avortement, la lutte contre les violences masculines, la reconnaissance des unions gaies et lesbiennes, la prise en compte des trans-identités... sont autant de thématiques à polémique avec des avancées pour certains pays et des régressions pour d’autres.

Photo : Grzegorz Żukowski

En France, en 1980, sort une loi relative à la répression du viol. C’est en 2006 que vient la loi sur la prévention et la répression des violences au sein du couple est votée.

génitales féminines sur la santé. Il faudra attendre jusqu’à la fin du 20ème siècle pour que l’expression « mutilations génitales féminines » soit adoptée à l’échelle mondiale et pour qu’elle soit classée comme une forme de violence. Aujourd’hui, les Nations Unies, les mouvements locaux de femmes, la société civile et d’autres acteurs œuvrent ensemble à l’éradication de cette pratique.

14


ET MAINTENANT ? Que ce soit ici ou ailleurs, ces changements sont très récents ! Et si légalement nous avons aujourd’hui fait d’énormes avancées pour tendre vers l’égalité des sexes, il reste encore l’influence des cultures, des stéréotypes et des religions qui perpétuent les inégalités. Le célèbre « Maman fait la cuisine, papa lit le journal » est d’ailleurs toujours présent dans beaucoup d’esprits. Nous sommes donc au cœur d’un processus de variation des modèles important. Pour la Belgique, la Première et la Seconde Guerre mondiale ont induit un changement dans le statut des femmes et leur ont surtout donné le courage de se battre pour l’égalité de leurs droits. Les hommes partis à la guerre (souvent sans en revenir), les femmes étaient dans l’obligation de travailler dans les champs, dans les usines, pour l’armement, de gérer les affaires de la maison et d’argent, à la place des hommes. Après la guerre, les veuves ont dû assumer pleinement les familles et travailler. Elles ont de fait pris le pouvoir en remplacement de leur mari absent ou mort. Ces avancées permettent aujourd'hui aux femmes de pouvoir acquérir leur indépendance, de choisir de vivre seules ou en couple, avec ou sans enfant, de faire des études et de trouver un travail, même si,

2

malheureusement, le risque de précarité reste encore trop élevé pour les familles monoparentales. Le statut de la femme a donc évolué ces derniers temps, alors que celui de l’homme reste encore trop figé, bénéficiant toujours de cette figure de l’homme-père, cet homme qui aime ses enfants et qui leur prouve son amour en travaillant dur pour eux, physiquement absent de la vie familiale dans sa quotidienneté tout en étant dépositaire de l’autorité, rendant sa place de père dans l’espace familial encore assez excentrique. C’est ainsi qu’aujourd’hui, beaucoup de femmes, tout en étant salariées, effectuent encore la plupart des tâches domestiques et celles liées aux soins des enfants, alors que beaucoup d’hommes restent dans leur ancien « rôle et statut », ce qui renforce les inégalités. Atteindre une égalité réelle ne peut se faire sans l’évolution du statut de l’homme à son tour pour devenir des hommes « modernes », cessant d’être les pourvoyeurs principaux du foyer familial. Surtout, cela ne peut se faire sans que le monde entier fasse évoluer les mentalités, accepter l’indépendance des individus et abolir ce statut différentiel de « genre » au profit de l’unique statut égalitaire d’être humain !2

Cet article s’inspire des ouvrages suivants :

• ROUSSEIL M., « Femmes et hommes dans le secteur social », Empan, vol. 65, no. 1, 2007, pp. 74-78. • CLAUDE F., COLARD F., « Quelques dates de l’histoire des femmes et de l’égalité en Belgique », Femmes Prévoyantes Socialistes, Carmen Castellano, Bruxelles, Belgique, Mars 2018. • WELZER-LANG D., « Cours genre, sociologie, Les hommes, les femmes et les autres: les identités sexuées et sexuelles », Licence, Les hommes, les femmes et les autres : les identités sexuées et sexuelles, Toulouse, France, 2016, cel-01634338 • HODGSON C., « Les 16 pays les pires en matière d’égalité femmeshommes », version traduite du Business Insider UK, Business Insider France, 3 Novembre 2017 à 15:00, www.businessinsider.fr/pays-ouecart-entre-les-hommes-et-les-femmes-est-le-plus-important-wef-2017 • PASSEPORT SANTÉ, « Cerveaux masculin et féminin : quelles différences ? », Dossier, www.passeportsante.net/fr/Actualites/Dossiers/DossierComplexe.aspx?doc=differences-cerveaux-feminins-et-masculins • CORTINOVIS M., « Panorama des inégalités hommes-femmes dans le monde », Notes Techniques, no. 1, 2 Juillet 2019, ISSN-2492-2838, www. afd.fr/fr/panorama-des-inegalites-hommes-femmes-dans-le-monde

• SECRÉTARIAT D'ÉTAT CHARGÉ DE L'ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES ET DE LA LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS, « Chronologie des dispositions en faveur de l’égalité des femmes et des hommes », Dossier, France, www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/ dossiers/actions-dispositifs-interministeriels/chronologie-des-dispositions-en-faveur-de-legalite-des-femmes-et-des-hommes/ • SI/SI, LES FEMMES EXISTENT, « Chronologie du droit de vote des femmes dans le monde de 1883 à 1954 », Villeurbanne, France, www.sisilesfemmes. fr/droits-des-femmes-en-plusieurs-dates/droit-de-vote-1883-1954/ • ONU FEMMES, https://interactive.unwomen.org/multimedia/timeline/ womenunite/fr/index.html#/1900 • CONTRIBUTEURS DE WIKIPÉDIA, « Déclaration universelle des droits de l'homme », Wikipédia, l'encyclopédie libre, 29 juin 2019, https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9claration_universelle_des_droits_de_l%27homme • NATIONS UNIES, « Histoire de la rédaction de la DUDH », https://www. un.org/fr/sections/universal-declaration/history-document/index.html • ISABELLE DANIELLOU, « Les religions, facteur fondamental de l’oppression des femmes », Sud Éducation Côtes-d’Armor, 2 juin 2006, https:// www.sudeducation.org/Les-religions-facteur-fondamental.html

15


Égalité Homme – Femme Ill. : NE DIS MOT

Un pas en avant, deux pas en arrière? Ma daronne m’a mis au monde, elle n’a même pas

Par André Kreutz et Sarah Beaulieu

choisi son homme, même pas choisi son homme ! Je suis arrivé nu, il faisait froid alors qu’avant, j’étais blotti, dans ce liquide rassurant, dans ma bulle, bercé par le chant d’un monde inconnu. Tout à coup me voilà expulsé, vulnérable, en dehors de ce cocon d’une mère aimante que ma pensée dément, aimant à penser que je lui appartiens mais pas tant que cela... En 1830, le Code civil, reprenant quasi totalement le Code Napoléon, rend la femme mariée incapable, c'est-à-dire qu'elle a le même statut que les mineurs, les déchus, ceux qui se trouvent habituellement dans un état d'imbécillité, de démence ou de fureur. À cette époque, la femme mariée ne peut ni gagner de l'argent, ni économiser pour elle. Elle ne peut également ni acheter, ni vendre, ni donner, ni recevoir sans la permission de son mari, car rien ne lui appartient.

16

1919, la guerre vient de finir mais je peux encore entendre les hurlements des sirènes et le fracassement des bombes. Ressentir l’onde de choc qui peu à peu laisse place à une immense tristesse quand l’officier est venu voir ma mère : mon père et mon frère sont tous les deux tombés pour la patrie. Mais je n’ai pas le temps pour le chagrin, pas le temps de penser à eux, encore moins le temps d’imaginer ce que je vais pouvoir devenir. J’ai quatorze ans et je dois aider ma mère à la ferme. Nous sommes à présent toutes les deux : la veuve et l’orpheline. Je dois quitter l’école car, sans plus personne pour nous aider, nous devons sans cesse lutter pour vivre. Avant la guerre, je voulais devenir médecin. Maintenant, je ne sais plus rien. Maman dit que c’est une bien sotte idée, que la place d’une femme est dans son foyer. La discussion est finie. Je reste muette, je travaille, je me tiens bien. Mais une fois la journée finie, je rêve...


À notre époque, on m’avait dit qu’être une femme était plus facile ! Qu’on avait plus de droits, plus de solidarité entre femmes aussi. Que parce qu’on est une femme, on est évidemment et automatiquement solidaire et bienveillante avec les autres femmes. Aujourd’hui, je me questionne grandement sur ce tabou très malaisant. À mes heures sombres, je me remplis d’amertume et je clame : c’est faux !

Ill. : NE DIS MOT

À l’horizon, le ciel vire à l'indigo ! Couleur froide, le violet cache les droits volés, violée dans ce monde aux paillettes dorées. Elle marche mal armée, décharnée, désincarnée. À l’instant, sa démarche se délie, les couleurs s'émancipent, mais c'est toujours la même musique. Les mots dansent sur les maux, parfois tendres, parfois féroces, toujours le même son, le beau côtoie le beau, le beau côtoie le beau... Les codes changent ! Elle se redresse, les couleurs chaudes d'un monde polychrome s'ouvre à elle. Le regard de la daronne en dit long sur sa volonté de s'affranchir de cette servitude. Son instinct de panthère se réveille, la mère devient femme. La mère devient femme.

Pourtant, je connais des femmes qui s’entraident ! Je vois par exemple dans le monde du travail qu’encore trop souvent, pour les femmes qui souhaitent avoir des idées et des responsabilités, le combat est loin d’être gagné ! Trop souvent, on agit de façon archaïque et dégradante « selon la vieille logique masculine », c’est-à-dire ne pas avoir d’enfant, avoir pas mal d’argent pour payer d’autres personnes pour s’occuper des tâches ménagères, être un bourreau de travail et surtout être impitoyable avec ses collègues.

Pourtant, je connais des femmes qui s’entraident ! Question de contexte ? De complexes ? Perplexe, j’observe de partout des personnes qui, sans scrupules, dans l’impunité totale, s’adonnent à tous les coups bas et stratégies tordues sans cesse banalisées, voire valorisées. Pourtant, je connais des femmes qui s’entraident ! Elles sont même en majorité, me dis-je à mes heures les plus claires. Pourtant, je connais des lieux de travail et des sociétés où le fait d’avoir des ovaires ne nous condamne pas à vivre à genoux !

Pourtant, je connais des femmes qui s’entraident ! Une autre option est de littéralement « dégommer », humilier, descendre en flèche, discréditer les autres femmes, surtout si elles sont assez jeunes, pas trop moches et intelligentes. Oh scandale, me direz-vous ! C’est tabou !

17


La daronne submergée recourbe l’échine. Elle retourne dans ce tourbillon infernal, seule avec ses mômes, seule face à la tâche. Elle est là, lasse, fatiguée. Ses pensées divaguent dans le vide. Ce déséquilibre rend impossible d'avoir une quelconque inclination pour sa progéniture. Cette âme désarmée projette des larmes aimantes de sa pensée. Aimante ! Démente, mais pas tant que cela ! Elle combat telle une tigresse. Elle digresse. À l'intérieur, elle bout, toujours suivre son instinct. Inflexion naturelle ? Amour, amitié ? Désir, affinités ? Attachement, attirance ? Toujours suivre son instinct, toujours suivre son instinct...

Photo : Paul Simpson

En 1973, dans l’État de l’Alabama aux Etats-Unis, était voté le droit à l’avortement... En mai 2019, ce droit vient de nous être enlevé, décidé par des hommes. Qu’importe qu’on soit tombée enceinte à la suite d’un viol ou qu’on n'ait tout simplement pas envie d’un enfant, plus de droit à l’avortement ! En Belgique, ce droit est toujours sous conditions. Conditions qui n’ont pas été rediscutées et qui, non respectées, peuvent entraîner des sanctions pénales... C’est-à-dire d’un mois à un an d’emprisonnement pour les femmes et les médecins qui pratiqueraient l’IVG sans respecter les conditions légales. De quoi avez-vous peur petits hommes ?! Je ne connais pourtant aucune femme qui ait jamais avorté par plaisir... Je pense également qu’une femme qui dépasse les douze semaines de délai autorisé par la loi, parce que c’est une décision dure, parce qu’on a peur, parce qu’on est bien seule devant ce choix et qu’on sera seule à le porter toute sa vie, parce que la culpabilité est peut-être déjà certainement présente, parce que l’avortement est peut-être le fait d’une relation maltraitante, d’un abandon du père juste avant la limite autorisée, d’un viol ou tout simplement parce que ce n’est pas le bon moment et qu’on n'a pas à s’en justifier (à chaque femme son histoire), mais surtout parce qu’au final, c’est un choix courageux... Je pense que ces femmes et le personnel soignant qui encadre l’IVG n’ont rien à faire en prison ! Moi la daronne, je suis lasse, fatiguée. Je m’abandonne, je suis morte. Ne me plaignez pas ! Je cours, je vole telle une amazone libre. Je vous regarde avec compassion, vous les petits hommes. Pensez bien à moi quand il pleut ! Moi la daronne, je vous pisse à la raie, petits mecs au dard dressé, incapables de sortir de votre petit univers. Réveillez-vous ! Vous, les petits hommes qui avez peur de notre pouvoir, vous, les petits mâles aux pieds d’argile, la pluie battante de ces déferlantes d’amazones formera des torrents, un jour le sol risque de se dérober sous vos pieds. Adieu petits hommes ! Je m’en vais !

QUE LE COMBAT CONTINUE SANS MOI... QUE LE COMBAT CONTINUE SANS MOI ! Adieu...

18


19

Ill. : NE DIS MOT


Femme...

Par Julie Reynaert

Métier à risques ? À la FMJ, lorsque nous interrogeons la place de la femme, nous ne pouvons nous empêcher de croiser la réflexion avec une autre question qui nous tient à cœur : celle de la précarité. Y a-t-il un lien entre le fait d’être une femme et la situation financière dans laquelle on vit ? Les femmes sont-elles plus exposées que les hommes au risque de pauvreté ? Comment expliquer cette différence ? Sans surprise, nos premières recherches confirment que les femmes sont bien plus vulnérables que les hommes quand il s’agit d’argent. 33 % d’entre elles, contre 11 % des hommes, dépendent financièrement d’une autre personne pour ne pas tomber dans la précarité1. Plus grave, les différentes sources2 consultées font apparaitre que le fait d’être une femme accentue le risque de précarité à toutes les étapes de la vie ! Dans notre société patriarcale, les inégalités entre hommes et femmes sont structurelles3 puisqu’elles découlent pour la plupart de règles, de normes et de lois qui sont discriminantes. De façon implicite et explicite, notre société est bâtie sur des fondements qui sont défavorables aux femmes.

Enfants, les filles intègrent un « rôle attendu » durant le processus de socialisation. Cela influencera leurs choix futurs de carrière. Elles « rêvent » de carrière d’institutrice, de coiffeuse ou d’aide-soignante. Ils se voient astronaute, pilote d’avion ou pompier !

SOCIÉTÉ PATRIARCALE QUI CRÉE UN SYSTÈME DE VALEURS ET DES NORMES INÉGALITAIRES SELON LE GENRE

BACHIR H., « La pauvreté touche de la même façon les hommes et les femmes », in Pauvrophobie, Petite encyclopédie des idées reçues sur la pauvreté, Le Forum – Bruxelles contre la pauvreté, Edition Luc Pire, pp. 119-121.

HEINE S., « Stéréotypes de genre et précarité des femmes », in Pauvérité, Le trimestriel du Forum bruxellois de lutte contre la pauvreté, no. 7, Mars 2015. 3

20

ALORS QUE LES FILLES SORTENT PLUS DIPLÔMÉES DE L’ÉCOLE QUE LES GARÇONS, ELLES SONT DÉFAVORISÉES SUR LE MARCHÉ DE L’EMPLOI

Enfants, les filles ont moins l’occasion de développer certaines compétences, savoirs, savoirs être et savoirs faire qui semblent « réservés » aux garçons. Elles apprendront la douceur, le compromis et la retenue; ils apprendront à se faire entendre, à tester leur force et à libérer leur énergie.

1

2 La plupart des chiffres de cet article sont tirés du site https://igvm-iefh. belgium.be/fr de l’Institut pour l’Égalité des Femmes et des Hommes ainsi que des études publiées sur le site www. femmesprevoyantes.be

Les femmes sont plus victimes de violences conjugales, ce qui a un impact sur leur épanouissement professionnel.

Les filles prennent en charge plus de tâches ménagères et familiales à côté de leur vie professionnelle : en moyenne 1h17 de plus que les hommes chaque jour

Les lois et règlementations sont établies au détriment des filles ou sans prendre en compte leurs spécificités

Législation différenciée autour du congé maternité et paternité : 75 % des travailleuses ont été confrontées à de la discrimination en lien avec leur grossesse ou leur maternité


Comme l’illustre ce schéma, les stéréotypes de genre influencent autant les apprentissages, les choix et les opportunités des femmes que les lois qui règlementent ensuite les différents aspects de nos vies. Dans tous les cas, les femmes sont défavorisées. Et tout au long du parcours de vie, chaque petit désavantage s’amplifie. Notamment parce que leurs droits sont liés soit à leur emploi, moins bien rémunéré, soit à leur conjoint, dont elles deviennent dépendantes. Pour lutter contre ces inégalités ? Les acteurs de terrain sont unanimes : il faut déconstruire les « stéréotypes de genre » pour faire évoluer collectivement notre vision de la femme dans la société, faire du soutien aux familles monoparentales une priorité politique et militer pour l’individualisation des droits. Dans le secteur jeunesse, si nous voulons contribuer à changer les choses, nous devons assumer notre part de responsabilité au moins dans le premier de ces chantiers et faire vivre au quotidien l’égalité entre garçons et filles, encore et encore... Les filles investissent les filières moins valorisées, moins rémunérées et dont la pénibilité n’est pas reconnue : 60 % des femmes travaillent dans le secteur des services.

À compétence égale, elles sont payées moins, auront moins accès aux postes à responsabilités mieux rémunérés : seulement 10 % de femmes dans les CA des entreprises cotées en 2012 (« plafond de verre »)

Elles ont plus de difficultés à se loger dignement.

LES FEMMES GAGNENT MOINS : LEUR REVENU DE TRAVAIL EST EN MOYENNE INFÉRIEUR DE 28% À CELUI DES HOMMES

Elles perçoivent des revenus de remplacement (mutuelle, chômage) moins élevés en cas d’accident de la vie. Elles auront une plus petite pension : en moyenne, leur chômage est 31 % inférieur et leur pension 34 % plus basse.

En cas de séparation, les femmes ont plus de risque de tomber dans la précarité : dans les familles monoparentales, 83 % ont une femme à leur tête, 50 % vivent sous le seuil de pauvreté.

Elles sont plus dépendantes de leur conjoint.

Les filles sont surreprésentées dans les temps partiels, parfois « choisis », souvent subis : 45 % des femmes sont à temps partiel contre 9 % des hommes.

Elles ont plus de difficultés à prendre soin de leur santé.

Manque d’investissement dans l’accueil de la petite enfance : pas de place d’accueil pour 75 % des enfants en FWB

Un petit geste, les protections périodiques viennent d’être reconnues comme produits de première nécessité, d’où une baisse de TVA, et la contraception est remboursée jusque 25 ans !

Non individualisation des droits : le calcul des droits sociaux est lié au statut familial (cohabitant par exemple) et implique, majoritairement pour les femmes, un plus petit revenu…

Le calcul des pensions ne prend pas ou peu en compte la spécificité des carrières féminines : calcul des périodes assimilées, crédits-temps,…

21


Figures du féminisme d’aujourd’hui

Par Sarah Beaulieu et Geneviève Nicaise

1. Rassemblement contre le « Mythe de l’égalité déjà là » et nécessité de déconstruire les stéréotypes sexistes Le XXème siècle fut celui de l’émancipation de la femme. En témoignent les nombreux combats gagnés pour l’égalité hommes/femmes. D’aucuns brandissent les avancées obtenues sur le plan légal et instaurant l’égalité des droits. Dès lors, le féminisme a-t-il encore placeNicaise de nos et jours ? Est-il obsolète pour autant ? Par Geneviève Sarah Beaulieu Si le mot évoque pour certains des images en noir et blanc d’un combat d’un autre siècle, le féminisme reste pour beaucoup aujourd’hui un incontournable. Il a peut-être pris d’autres contours, mais la lutte contre les discriminations faites aux femmes reste une préoccupation quotidienne d’un nombre important de militant(e)s : intellectuel(le)s, citoyen(ne) s, collectifs, associations d’Éducation permanente ou autres.

Féministe française issue des mouvements des années septante. 1

Mouvement féministe qui défend une société solidaire et égalitaire.

2

3

22

CEMEA, « Guide de survie en milieu sexiste », Tome 2, p. 125.

Beaucoup se rassemblent autour du phénomène appelé par Christine Delphy1 le « Mythe de l’égalité-déjà-là » qu’elle dénonce comme « poison » qui se distille dans les esprits. Dénoncé comme un « piège qui menace le combat pour l’égalité », Vie Féminine 2 décrit le fait de la sorte : « Malgré les statistiques qui montrent de manière flagrante les inégalités dont sont encore victimes les femmes, des voix s’élèvent pour dire que l’égalité est déjà acquise et que dans tous les domaines, les femmes ont obtenu ce qu’elles demandaient ».

Il y aurait donc une idée établie que les inégalités entre hommes et femmes font partie du passé. Il n’en est pourtant rien. Les risques de ce modèle de pensée3 amènent notamment à : • « Minimiser, banaliser ou nier les inégalités de considération et de traitement entre hommes et femmes encore présentes dans notre société » ; • « Nier l’importance des déterminants sociaux dans les choix (ou non-choix) individuels et les parcours de vie » ; • Et « à rendre responsables et culpabiliser les individus qui vivent une situation d’échec, de traitement inégalitaire ou d’oppression ».


Ainsi, trop « d’attendus » discriminants sont encore nombreux et notamment dans la vie amoureuse, sexuelle des jeunes filles et des femmes ou sur leur place dans la société ou encore leurs attitudes. En réponse, un champ d’action se situe dès lors dans la déconstruction des stéréotypes à réaliser dès le plus jeune âge. Il s’agit de lutter contre les idées développées dans l’opinion publique. Le travail est à mener sur tous les fronts : à l’école, dans les relations intra familiales, dans les médias, dans la littérature,...

Si l’égalité hommes/femmes s’est traduite dans différentes lois, celles-ci sont juste « un gage d’égalité désirée et de valeurs prônées au niveau de la société. L’inscription dans la loi ne signifie pas pour autant que l’égalité est réalisée : il s’agit également de modifier des mentalités »4. Trop d’idées ancrées et — encore trop — reproduites continuent de mettre en avant l’affirmation de la différenciation des sexes comme déterminante des comportements ou des capacités. BRUYER M. ET VAN ENIS N., « Le Mythe de l’égalité-déjà-là », in Publication web, Barricade asbl, www.barricade.be 4

L’ÉGALITÉ HOMMES-FEMMES : Entre les lois et les faits

5

LE CADRE RÉGLEMENTAIRE

DANS LES FAITS

Loi du 24 novembre 1997 visant à combattre la violence au sein du couple.

En 2014, une femme sur cinq (22%) en Europe déclare avoir été victime de violence physique et/ou sexuelle de la part de son partenaire ou ex-partenaire, depuis l’âge de quinze ans.5

Lois des 17 juin et 18 juillet 2002 visant à assurer la présence égale des hommes et des femmes sur les listes de candidatures aux élections législatives, européennes et régionales.

À la suite des élections communales et provinciales de 2014 6 : 39,3% de femmes ont été élues pour siéger à la Chambre, 40% de femmes ont été élues pour siéger au Parlement wallon, 40,4% de femmes ont été élues pour siéger au Parlement bruxellois.

Loi du 22 avril 2012 visant à lutter contre l’écart salarial entre hommes et femmes.

En 2014, sur base des salaires annuels bruts moyens en Belgique, les femmes gagnent 20,6% en moins que les hommes.7

Loi du 3 août 2014 contre le sexisme dans l'espace public.

En 2016, 95% des Wallonnes ont fait l’objet de sexisme dans l’espace public de manière générale. Le plus souvent, il s’agit de blagues, de propos déplacés, de huées, de sifflements. Dans un tier des cas, le sexisme s’est traduit par des agressions et du harcèlement physique. Seules 3% des victimes disent n’avoir rien ressenti. 93% ont éprouvé de la colère et 71% se sont senties blessées. Dans 78% des cas, personne n’a été là pour soutenir ou aider les victimes et 82% d’entre elles n’ont pas porté plainte.8

EUROPEAN UNION AGENCY FOR FUNDAMENTAL RIGHTS, « Violence against women : an UE-wide survey ». 6 INSTITUT POUR L’ÉGALITÉ DES FEMMES ET DES HOMMES, « La représentation politique des femmes à l’issue des élections du 25 mai 2014 ». 7 INSTITUT POUR L’ÉGALITÉ DES FEMMES ET DES HOMMES — SPF EMPLOI, TRAVAIL ET CONCERTATION SOCIALE, « L’écart salarial entre les femmes et les hommes en Belgique », Rapport annuel 2017.

ENQUÊTE JUMP, « Mon expérience du sexisme : Étude sur la perception des comportements sexistes en Europe », Novembre 2016.

8

23


DEUX LECTURES DE FÉMINISTES CONTEMPORAINES SUR LE THÈME DE « CE QUE DOIVENT ÊTRE LES FEMMES » Mona Chollet « LE COMBAT DES SORCIÈRES DES TEMPS MODERNES CONTRE L’ARCHÉTYPE FÉMININ » « Nous sommes les petites filles des sorcières que vous n’avez pas réussi à brûler ». Mona Chollet est journaliste pour « Le Monde diplomatique » et auteure de plusieurs ouvrages dont le livre Sorcières — La puissance invaincue des femmes. Selon l’auteure, la réhabilitation de l’icône de la sorcière — en référence aux chasses aux sorcières qui ont fait des milliers de victimes en Europe essentiellement aux XVIème et XVIIème siècles — fait écho à notre époque et à toutes les femmes qui refusent de se soumettre aux « normes sociétales ». 9 LE BRETON M., « "Sorcières", de Mona Chollet, explique pourquoi les femmes qui ne veulent pas d'enfant sont vues comme les sorcières d'aujourd'hui », Huffpost éd. Française, 16 Septembre 2018 à 04:56, https://www.huffingtonpost.fr/2018/09/15/ sorcieres-de-monachollet-explique-pourquoi-les-femmes-quine-veulent-pas-denfant-sont-vues-commeles-sorcieres-daujourdhui_a_23526093/

Mona Chollet relève trois types de femmes étant des sorcières des temps modernes : • La femme indépendante — puisque les veuves et les célibataires furent particulièrement visées. • La femme sans enfant — puisque l'époque des chasses a marqué la fin de la tolérance pour celles qui prétendaient contrôler leur fécondité. • La femme âgée — devenue, et restée depuis, un objet d'horreur.9 Selon l’auteure, il faut beaucoup de courage pour oser « transgresser » les codes et dictats sociétaux car ils font appel à la peur du rejet et de l’abandon.

En outre, on peut également observer une articulation présente entre revendications féministes, pratique spirituelle et action politique au travers de l’icône de la sorcière des temps modernes. Cette icône est également reprise par beaucoup de féministes occidentales sous le nom de « Witch blocs ». Aux États-Unis, ces groupes de femmes se réunissent afin de lutter contre les discours du Président Trump jugés sexistes ainsi que contre les inégalités socio-économiques qu’elles voient dans ses propositions politiques. Plus près de chez nous, en 2017 en France, certains « Witch blocs » étaient présents aux manifestations contre la réforme du Code du travail proposée par le Président Macron jugée inégalitaire et en défaveur des plus démunis et surtout des femmes.

24


Manon Garcia « STOP À LA SOUMISSION ET À L’AUTOCENSURE DES FEMMES » Selon cette philosophe et sociologue emprunte de l’œuvre de Simone de Beauvoir : « C’est impossible de ne pas être soumise dans une société qui identifie la féminité à la soumission ». Il n’est pas question ici d’associer la soumission à une religion Ou encore à un style de vie, mais bien aux valeurs sociétales, à la « société » elle-même qui éduque les femmes à la soumission.

Ill. : NE DIS MOT

Le problème, c’est que les femmes sont souvent tiraillées entre le besoin fondamental et l’impératif de liberté et celui d’être féminine. Or apparemment, les deux seraient perçus par d’aucuns comme non conciliables.

Cette soumission peut bien entendu prendre des formes multiples et variées. Et selon M. Garcia, les femmes y participent elles-mêmes, voire y prennent une forme de plaisir parce que si elles jouent le jeu qui est proposé, c’est aussi une forme de valorisation. Valorisation multi-facettes, au choix : rentrer dans une taille 36, faire un repas équilibré et le poster sur Instagram, être en même temps mère de famille, employée modèle, copine présente et rigolote, avoir une vie saine, aller au cours de yoga et de pilates deux fois par semaine,...

Un autre phénomène abordé par M. Garcia est celui de l’autocensure des femmes. Prenons un exemple concret : peu de femmes (surtout jeunes) osent envoyer leurs écrits à des journaux afin de donner leur avis et leur éclairage sur des questions de société qui entrent dans leur champ de compétences. Les hommes eux hésitent beaucoup moins. Autocensure ? Sentiment d’illégitimité ? « Parler d’autocensure revient à chercher une responsabilité individuelle à un processus sociétal de différenciation et de hiérarchisation des sexes ». Ce phénomène serait plutôt à expliquer par les pressions culturelles et sociales exercées de manière différente sur les femmes que sur les hommes (de la sphère privée à la sphère publique, professionnelle et sociétale).

25


2. Lutte pour la reconnaissance de la pluralité et la déconstruction du genre Le féminisme est le plus généralement présenté comme la dénonciation des rapports inégalitaires entre « homme » et « femme ». Pour beaucoup, il vise à déconstruire la loi du « genre » selon laquelle les attributs masculins (fort, combattant, apte à la vie publique,...) et féminins (précieuse, fragile, garante du foyer,...) reconnus à chacun des sexes ne sont pas des caractéristiques naturelles ou innées mais en réalité, des constructions sociales et culturelles. Il faut donc distinguer le « sexe biologique » du « genre ». Ainsi, les inégalités vécues par les femmes peuvent être combattues par des changements sociaux et politiques.

D’abord, cette dualité est vécue comme si chaque groupe d’individus avait les mêmes caractéristiques. Or, « les femmes ne sont pas une réalité monolithique, mais elles dépendent de multiples variables qui se superposent, comme la classe, la race, l’orientation sexuelle ou le mode de vie... »11. Il s’agit par-là de prendre en compte les différentes réalités oppressantes qui peuvent s’imposer aux femmes et d’éviter que les luttes ne se conforment autour d’un groupe prééminent et ne reproduisent une forme de domination sur celles qui ne correspondent pas à la norme (par exemple, dans nos sociétés occidentales, la femme blanche et chrétienne).

10

Qui se rapportent à la suprématie d’un état, d’une nation sur une autre.

11 ZADU I., Cocialismo o Barbarie, Revue, no. 23/24, Décembre 2009. 12

26

LAMOUREUX D., « Y a-t-il une troisième vague féministe ? », Cahiers du Genre, I, 2006/3, p. 62.

Pour autant, certains demandent d’aller plus loin et dénoncent cette vision binaire homme/femme comme trop réductrice de la complexité sociale. L’idée est de dépasser la définition des genres décrits comme « hégémoniques »10 et de reconnaitre à chaque individu son identité quelle qu’elle soit. Cette approche veut donner la possibilité à chacun de trouver sa place en dehors des schémas normatifs établis dans nos sociétés.

Ensuite, la notion de « genre », bien que voulant dépasser la conception dichotomique du sexe, garde elle-même une construction sociale imposant « l’hétéro-normativité ». Celle-ci est dénoncée par le mouvement « Queer ». À cette pensée duale, il propose plutôt le « continuum et la mutabilité ». « Ainsi, il n’y a plus à choisir entre une catégorie et une autre [homme ou femme], il est désormais possible de s’identifier de façon plurielle. [...] Dans cette perspective, il n’y aurait pas à choisir, par exemple, entre l’homosexualité et l’hétérosexualité. Il y aurait plutôt plusieurs registres de sexualité qui ne sont pas mutuellement exclusifs. C’est dans ce sens qu’il est possible d’envisager à la fois un continuum, plutôt qu’une césure, [...] qui fait en sorte qu’aucun choix n’est donné une fois pour toutes, mais qu’il y a réversibilité et mutabilité à travers le temps »12. Il s’agit dès lors de démultiplier les différents genres et de reconnaitre les multiples sexualités pour effacer toutes les différences. Cette vision offre ainsi une place aux lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et tous les autres (LGBT+) dans le combat pour l’égalité.


UNE LECTURE D’UNE FÉMINISTE CONTEMPORAINE SUR LE THÈME « DES AUTRES FEMMES » Virginie Despentes « UNE PLACE POUR TOUS ET, SURTOUT, AUX EXCLUES DE LA BONNE MEUF » Extrait de son livre (adapté au théâtre) King Kong Théorie : « J’écris de chez les moches, pour les moches, les vieilles, les camionneuses, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, les hystériques, les tarées, toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf. Et je commence par là pour que les choses soient claires : je ne m’excuse de rien, je ne viens pas me plaindre. Je n’échangerais ma place contre aucune autre. […] La figure de la looseuse de la féminité m’est plus que sympathique, elle m’est essentielle. Exactement comme la figure du looser social, économique ou politique. Je préfère ceux qui n’y arrivent pas pour la bonne et simple raison que je n’y arrive pas très bien moi-même. » Ces quelques phrases semblent résumer à la perfection qui est cette auteure au parcours accidenté, atypique qu’elle a réussi à sublimer sous forme artistique. Internement psychiatrique à l’âge de quinze ans, décrochage scolaire, viol, prostitution occasionnelle, extrême solitude, alcoolisme et combat féministe ont été des leitmotivs, souvent malgré elle, de ses œuvres.

CASTRO C., « Virginie Despentes : "Je me suis beaucoup embourgeoisée" », https:// www.marieclaire.fr/virginie-despentes-interview-tome-3-de-vernon-subutex,1138808.asp

13

La violence et le sexe ont par exemple inspiré son premier livre « Baise moi » qu’elle a écrit à vingt-trois ans. Au-delà du caractère cru des mots utilisés, c’est un exutoire pour cette jeune fille à qui la vie n’a pas vraiment fait de cadeau. Une manière d’expulser cette colère et dans le même temps, cette rage de vivre sa vie à cent à l’heure, vaille que vaille. C’est donc un peu « par hasard » qu’elle devient écrivaine. Après neuf refus d’éditeurs, son roman sort enfin et c’est le succès fulgurant. Ce livre, symptomatique d’une société peut-être très mal préparée ou non désireuse de voir la violence droite dans les yeux, fut également un combat politique à l’heure de son adaptation au cinéma. L’auteure souhaitait en effet laisser les scène crues et violentes de manière non simulée. Une association d’extrême droite saisira même le Conseil d’État afin de faire rentrer « Baise moi » dans la catégorie des films « X ». Qu’à cela ne tienne, le film sort bien dans les salles en 2000. Peu à peu, V. Despentes décroche de l’alcool et de la drogue qui l’empêchent d’écrire. Elle est également devenue une figure de la communauté lesbienne et lutte pour un « nouveau féminisme ». À 47 ans, cette femme « autodidacte de la vie » a écrit dix romans et deux films. Dans une de ses nombreuses interviews, elle s’exprimera également sur sa croyance en la force du collectif et sur sa peur viscérale de la précarité qui touche de plus en plus de femmes à l’heure actuelle13 : « C’est une expérience super étrange d’aller vers la cinquantaine. Un étonnement plus qu’un accablement. Ce qui m’accable, c’est la bataille politique cruciale qu’on a perdue, celle des idées dans lesquelles j’ai grandi : l’accès aux soins, à l’éducation pour tous, la possibilité de mobilité sociale. Même si depuis Vernon Subutex (roman de cette auteure) j’ai une réserve d’argent de deux ans. Pour la première fois, je sais que je peux avoir un cancer du sein, le soigner et ne pas tout perdre. Dans dix ans, on ne sera plus dans le même système de soins. Si je perds des lecteurs et qu’il m’arrive trois conneries d’affilée, ça peut aller vite ».

27


D’une femme en politique à une politique pour les femmes… Isabelle Simonis Pionnière dans la féminisation du politique

Par Cédric Garcet

Après des études en communication sociale, Isabelle Simonis est, au fil de son parcours, devenue en quelque sorte la « Madame Femme » du Parti socialiste pour la région liégeoise. Après avoir travaillé chez les Femmes Prévoyantes Socialistes, elle arrive sur les listes électorales en 2003. L’année précédente marque l’arrivée de la réglementation imposant aux partis la parité hommes/femmes sur les listes électorales, ce qui a poussé ces derniers à chercher des candidates. C’est donc justement parce qu’elle est une femme que le Président du Parti socialiste lui propose d’être candidate. Le fait d’être une femme fut donc un levier pour son entrée en politique... Mais ensuite ?

« TOUT A ÉTÉ VITE », NOUS DIT-ELLE.   Désignée Secrétaire d’État au Gouvernement fédéral pour le tout nouveau Ministère des Familles, elle entre ensuite au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) en 2004, dont elle sera d’ailleurs désignée Présidente. En 2006, elle gagne son combat local pour devenir Bourgmestre de Flémalle. En 2009, elle devient Cheffe de groupe à la Région. En 2012, elle est

28

de nouveau élue Bourgmestre, et en 2014 elle devient (« c’était totalement imprévu, une réelle surprise ») la toute première Ministre des Droits des Femmes en FWB. Tout au long de ce parcours, être une femme n’a pas toujours été un atout, ni même une facilité. L’arrivée des femmes sur les listes, et plus largement dans ces cénacles généralement réservés aux hommes jusque-là, ne s’est pas faite en un jour. Il a fallu légiférer, et ensuite « faire sa place », se battre contre le machisme ambiant, bousculer les habitudes.


Quel regard portez-vous sur l’évolution de la situation ?

Dès lors, ce statut de femme : un soutien dans votre parcours ? Un levier d’abord car c’est en quelque sorte ce qui m’a permis d’entamer mon parcours politique. Un frein ensuite, car bien qu’elles ne soient pas souvent exprimées directement, les critiques existent bel et bien, même si elles peuvent parfois être subtiles... ou pas. Elles prennent ainsi la forme de sous-entendus, voire de blagues un peu « grasses » à la buvette. Elles sont rarement exprimées de manière directe. Le monde politique est à la base un monde d’hommes. J’ai aussi dû intégrer le fait d’être uniquement envisagée sous la facette « femme », d’être identifiée sous ce seul spectre-là (familles, droits des femmes, discriminations des femmes), et rarement sur d’autres compétences que j’aurais pu acquérir au fil du temps et qui sont pour moi tout aussi importantes. Encore aujourd’hui, quand il faut parler de la question des femmes, on vient souvent vers moi alors que j’ai plein d’autres compétences que j’aimerais pouvoir valoriser également.

Il y a eu beaucoup d’avancées ces dernières années, notamment des avancées législatives très concrètes et nécessaires, il faut le souligner. Mais malgré tout, ce n’est pas la panacée ! Il y a encore beaucoup de choses à améliorer. La difficulté c’est que ce n’est pas uniquement les changements individuels qui sont compliqués. C’est surtout une culture ambiante qu’il faut parvenir à modifier. Il faut toucher à tout en même temps, et ça reste compliqué. Mais je suis assez positive car aujourd’hui ce sont les genres qui sont questionnés, et plus uniquement le statut de la femme. Il s’agit déjà d’une belle évolution en soi ! Cette évolution est en effet de plus en plus perceptible. Le fait d’être soit homme soit femme est sujet à réflexion. Comment intègre-t-on cette réalité ? Et comment répondons-nous (ou pas) aux

attentes que la société formule à l’égard du sexe qu’on occupe ? Là, il y a de plus en plus de mixité. Je le vois en ayant des jeunes papas autour de moi, et je vois à quel point les choses sont différentes de l’époque de mes parents, par exemple. Ils réclament plus souvent ce droit à la paternité, mais ce n’est pas sans conséquence... En effet, cela entraîne aussi des impacts sur les femmes. N’ayant jusque-là pas énormément de zones de pouvoir, on constate qu’elles ont tendance à s’accrocher aux zones qu’elles maîtrisent, à savoir les enfants, la maternité, le domicile de manière générale. Cette transformation de la société renvoie donc aussi la tâche aux femmes de laisser partir ces micros zones de pouvoir. C’est en cela que je dis que ce sont les genres qui sont questionnés aujourd’hui. Il s’agit réellement de réévaluer nos places à tous, et c’est ça qui est dur. Cela va prendre du temps car il s’agit de recomposer une culture. On aura gagné quand cela sera intégré en chacun de nous, ce qui n’est pas le cas actuellement, ni chez les hommes, ni chez les femmes.

Pouvons-nous être positifs quant à l’évolution de la place des femmes ? J’ai une grosse inquiétude lorsque je vois ce qui se passe en Europe. Généralement, les questions de familles, de femmes, et de genres sont au cœur du discours des partis conservateurs et extrémistes, donc restons attentifs et vigilants à ce que les choses pourraient donner demain...

29


La place des femmes pour les partis d’extrême droite !

Par Sarah Beaulieu

EN 1956, PRINCIPALEMENT DANS LES MILIEUX CATHOLIQUES ET BOURGEOIS, IL ÉTAIT TRÈS FRÉQUENT DE DONNER À LIRE AUX JEUNES FIANCÉES ET ÉPOUSES DES « MANUELS DE CONDUITE » CENSÉS LES GUIDER DANS LEUR RÔLE D’ÉPOUSE, DE FEMME AU FOYER ET DE MÈRE.

EN VOICI UN EXTRAIT :

Ill. : NE DIS MOT

« La femme se croit volontiers plus dévouée que l’homme. C’est indiscutablement vrai si l’on n'envisage que son attitude au foyer. [...] Aussi beaucoup d’épouses s’empressent-elles de proclamer bien haut l’universalité de l’égoïsme masculin. C’est peut-être trop vite. Nous craignons, pour notre part, qu’elles ne remarquent pas assez le dévouement fondamental du mari à son foyer — c’est pour lui qu’il travaille et s’efforce d’augmenter ses gains — et ne se rendent pas compte de son dévouement à sa besogne professionnelle, quand il l’aime. [...] Que l’épouse comprenne que, si le mari se dépense de la sorte, c’est pour le foyer, son aisance, l’avenir de ses enfants. Qu’elle lui assure dans la limite de sa santé et de ses fatigues, le réconfort de sa présence silencieuse et fervente, attitudes qu’apprécient d’ordinaire beaucoup les maris »1. Tout est dit. À l’époque, il était donc fort peu souhaitable que la femme ait un rôle en dehors de son foyer. La femme est une épouse et une mère au foyer discrète, compréhensive et travailleuse. L’épanouissement de la femme à l’extérieur de l’univers domestique n’est absolument pas de mise et son bonheur à l’intérieur du foyer tient presqu’exclusivement au fait qu’elle a le devoir d’initier, avec grande douceur, son mari au « caractère féminin », jugé sensible et instable.

26 mai 2019, le parti d’extrême droite flamand le « Vlaams Belang » (Intérêt Flamand) est donné grand vainqueur des élections en Flandre. Les lignes de force du programme mené par Tom Van Grieken (trente-deux ans) sont, entre autres, l’identité flamande, l’indépendance de la Flandre, le rejet de l’immigration, le retour aux valeurs de la « famille traditionnelle ».

30

1 DUFOYER P., « Pour toi, fiancée et jeune épouse », Action Familiale, Bruxelles, 1956.


SUR CE DERNIER POINT, VOICI CE QUE NOUS POUVONS LIRE DANS LE PROGRAMME POLITIQUE DU VLAAMS BELANG :

« La famille : le premier et le plus important noyau de la société est la famille traditionnelle, dont la valeur est socialement reconnue et garantie par le mariage entre hommes et femmes. La politique devra donc donner un rôle social central et offrir une protection aux familles avec enfants, au lieu d'essayer d'assumer leur rôle. Ce n'est qu'à partir de là que des solutions peuvent être trouvées au phénomène inquiétant de la dénatalité »2.

RESTONS EN FLANDRE... Née à Anvers, en 1493, Anna Bijns est une des auteures en langue néerlandaise les plus lues de son époque. Chose rarissime, elle est restée célibataire jusqu’à sa mort. Dans son refrain comique et sarcastique sur le mariage, voici ce qu’Anna Bijns déclarait quant à la place de la femme au sein de l’institution maritale aux 15ème et 16ème siècles. « Mieux vaut rester libre : femme sans mari est heureuse. Il est bien d’être dame, mais mieux d’être seigneur. Vous filles, vous veuves, retenez la leçon : on n’est jamais trop pressées de se marier. [...] Je ne dédaigne pas le mariage, pourtant : mieux vaut rester libre : femme sans mari est heureuse. [...] Quelques fois, le mari revient ivre, arrogant ; quand sa femme au travail s’est tout exténuée ; car on doit bien y faire si on gère la maison. Veut-elle alors ouvrir la bouche, elle est battue à coups de poing par terre ; à ce tonneau ivre et plein elle doit obéir. [...] Une célibataire ne jouit point des gains d’un homme ; elle ne doit pas non plus satisfaire ses envies. À mon avis, la liberté n’a pas de prix. [...] Et même si elle manque du profit d’un mari, elle est seigneur et dame dans son propre foyer. Allez sans peur, c’est une grande joie. [...] Même si une femme est très riche en biens, maint homme la considère à l’égal d’une esclave. [...] C’est souvent pour l’argent, et non pour la chair, que maint homme s’est pressé. Mieux vaut rester libre, heureuse femme sans mari »3.

3 « Is al vrouwenwerk : Refreinen van Anna Bijns/ Samenstelling : Herman Pleij. — Amsterdam : Em. Querido’s Uitgeverij, 1987. Traduction inédite.

Nous ne mènerons pas d’analyse approfondie ici, mais plutôt un rappel qui nous parait essentiel : celui de ne jamais prendre pour acquis les droits durement gagnés.

Nous voyons assez vite le parallélisme entre la vision de la femme au foyer des années 50 et celle du VB en 2019. Parti homophobe, conservateur, anti IVG, le VB n’est certainement pas en faveur de l’émancipation des femmes et du maintien de leurs droits, gagnés pourtant à la sueur du front de nos grand-mères et arrières grand-mères. 2 VLAAMS BELANG, « Beginselverklaring », trad. Sarah Beaulieu, Juin 2019, https://www. vlaamsbelang.org/beginselverklaring/

COMME COMMELE LEDISAIT DISAITTRÈS TRÈSBIEN BIEN SIMONE SIMONEDE DEBEAUVOIR BEAUVOIREN EN1949 1949::

« N’OUBLIEZ JAMAIS QU’IL SUFFIRA D’UNE CRISE POLITIQUE, ÉCONOMIQUE OU RELIGIEUSE POUR QUE LES DROITS DES FEMMES SOIENT REMIS EN QUESTION. CES DROITS NE SONT JAMAIS DES ACQUIS ». 31


Par Yanny Dechamp

ELLE NE DANSERA PAS POUR TOI ENCORE MOINS POUR MOI J'AI RENCONTRÉ CETTE FEMME DU NOM DE LEILA 32


QUAND ELLE CROISE LES REGARDS ELLE LES AFFRONTE ELLE EST POSÉE AU BAR ELLE FAIT LA TRONCHE

CAR AUTOUR Y A TROP DE BARGES QUI GRATTENT À FOND EN PLUS CES MECS ONT L'MÊME COSTARD QUE SON PATRON

Comme lui ils font de belles phrases

Elle répond poliment

se prend toutes sortes de remarques Qu'elle ignore joliment

Elle vaut mieux qu'ces fils de qui la suivent

33


LEILA PRÉFÈRE VIVRE SEULE QUE DOCILE TRAITÉE COMME UNE PIN-UP QUE L'ON PILOTE ON LA BRISE D'UNE EMPRISE INCOMPRISE QU'ON EMPRISONNE. UN PILON, ON LA PILONNE C'EST LE CONTE DE BABYLONE

MAIS LEILA EST UNE LIONNE. À RIEN ELLE N’EST LIÉE C'EST PAS D'NOTRE FAUTE SI ELLE RAYONNE QU'AU SALOP, ELLE RIT AU NEZ   INTELLIGENTE COMME HERMIONE Que les autres ont l'air niais

La place d'une femme, elle l'a reniée Car ses ongles n’sont pas vernis Ici la norme date pas d'hier

Ceux qui la portent ont une hernie à son r'gard J'avais l'air d'y être

Être soi-même, c'est interdit

Sois belle et passe la serpillère Car vendredi tout est permis Elle se prend pas la tête elle Sait c'qu'elle veut devenir

Leila est caractérielle

C'est sa force de tenir malgré les séquelles

D'une ado en mal de vivre sous maléfice d'être mal aimée C'est peut-être l'ainée, mais elle n'est pas le fils nan Conduite est ficelée

Mais ce n'est pas du Disney

Les rues sont dangereuses quand l'horloge passe sur dix-neuf Elle est si fière, elle est sifflée

Elle doit s'y faire, mais pas s'y fier

C'est pas si grave, elle l'a cherché, son entourage l'a pacifiée

34


NB NB: :Ces Cesphotos photosont ontété étéprises prisesààlalaMJ MJL’Atelier L’Atelierde de

Saint-Nicolas, Saint-Nicolas,lors lorsd'un d'unstage stagede dedanse danse

organisé organiséààl'approche l'approchede delalaJournée Journéemondiale mondiale

des desDroits Droitsdes desFemmes. Femmes.

Globalement, Globalement,l’équipe l’équipede decette cetteMJ MJconsidère considèrel'outil l'outil artistique artistiquecomme commeessentiel essentielpour poursensibiliser sensibiliseret et

permettre permettreaux auxjeunes jeunesde des'exprimer s'exprimersur surdes desthèmes thèmes

qui quiles lesconcernent. concernent.La Lacollaboration collaborationrap-danse rap-danse

dans danscette cetteMJ MJpermet permetaux auxjeunes jeunesfilles filles(souvent (souventààlala

danse) danse)et etaux auxgarçons garçons(souvent (souventau aurap) rap)de dese se

rencontrer rencontreret etde departager partagerleurs leurssavoirs, savoirs, leurs leurspensées, pensées,leurs leursarts,... arts,...

De Deplus, plus,cette cettedémarche démarcheaaégalement égalementpermis permis

d’impliquer d’impliquerles lesjeunes jeunesfilles fillesde del'accueil l'accueilqui quise se

réunissent réunissenttous tousles lesjeudis. jeudis.L'expérience L'expérienceaaconcrétisé concrétisé un unpremier premiercontact contactentre entreces cesdifférents différentspublics publics porteurs porteursd'une d'unehistoire histoirecommune. commune.

35


Favoriser la mixité de sexes en Centres de Jeunes Un enjeu pour les filles et les garçons, un enjeu pour la société

Par Marie-France Zicot

Photo : rawpixel.com from Pexels

Aller à la rencontre du terrain

36

Durant l'année 2018, les CEMÉA (Centres d’Entraînement aux Méthodes d’Éducation Active) ont mené un projet autour de la mixité de sexes dans une quinzaine de Maisons de Jeunes réparties sur toute la Fédération Wallonie-Bruxelles (Liège, Tournai, Charleroi, Namur, Bruxelles...). Au cours de ce projet, les équipes des CEMÉA ont rencontré plus de quatre-vingts animateurs-animatrices et tout autant de jeunes, pour observer la manière dont se vit la mixité sur le terrain, que ce soit au sein des groupes ou au sein des équipes. Qui fait quoi, qui anime quoi, y a-t-il des activités prévues pour les filles et d'autres pour les garçons, comment se répartissent les espaces et les prises de parole, qui décore les locaux et qui les nettoie : autant de questions qui ont été abordées, toujours avec bienveillance et dans le souci de faire avancer les réflexions de chacun-e.

Ce fut un travail riche, parfois compliqué, parfois touchant... qui a donné lieu à deux outils pédagogiques prochainement diffusés dans le secteur Jeunesse : « Mix’Outils » une farde comprenant des ressources variées et un rapport d’activités plus formel, dont le présent texte est issu. À titre de précaution, il est important de préciser que notre intention n’est pas de généraliser les conclusions de ce travail à l’ensemble des Centres de Jeunes, mais bien de partager les pistes de réflexion et d’action qui s’en dégagent.


De quelle mixité parle-t-on ? Un premier constat rapidement apparu lors des rencontres, c’est qu’il n’y a pas une mixité de sexes dans les Maisons de Jeunes, mais bien des mixités, mises en œuvre de façons très différentes, en fonction de l’historique du lieu, de son contexte socio-géographique, de l’expérience et des motivations de l’équipe d’animation... et du public qui le fréquente. D’activités et d’espaces toujours organisés en non-mixité, à des activités toujours réfléchies pour toutes et tous, en passant par des ateliers où il n’y a que quelques filles dans un groupe de garçons (ou l’inverse), nous avons ainsi trouvé une diversité de réalités et de vécus de la mixité sur le terrain. Nous avons pu en dégager trois grands modèles, aux implications concrètes très différentes.

La mixité de coexistence (ou de juxtaposition) est la présence dans un même lieu d’hommes et femmes, de filles et garçons, mais occupé-e-s à des activités et des fonctions différentes, attribuées à chacun des sexes. Les filles vont pratiquer la danse, les garçons le foot ; l’animatrice va préparer son atelier de cuisine, l’animateur son atelier de menuiserie. Les un-e-s et les autres se croiseront à certains moments dans la structure, mais les interactions seront limitées et les vécus peu partagés. Il s’agit en réalité d’une non-mixité de fait.

La mixité aménagée est plus difficile à identifier au premier coup d’œil, car filles et garçons, hommes et femmes, ont l’air de pratiquer la même activité ou d’occuper le même espace. Mais quand on y regarde de plus près, on réalise qu’ils et elles ne sont pas investi-e-s des mêmes tâches ni des mêmes responsabilités, souvent au prétexte d’une prétendue complémentarité. Pour la création d’un spectacle théâtral, les garçons vont monter la structure en bois que les filles vont décorer ; pour la réalisation d’une vidéo, les filles vont être chargées de l’écriture du scénario et les garçons de la partie technique ; dans le fonctionnement d’équipe, on comptera sur l’animatrice pour écouter, consoler et réconforter les jeunes, on misera sur l’animateur pour mettre les limites et sévir. La mixité aménagée fait donc se rencontrer filles et garçons, hommes et femmes, autour d’un même projet, mais avec des compétences attendues très clivées. La mixité de coopération (ou égalitaire) non seulement implique une vraie répartition des rôles, mais cette répartition se décide. Il est question pour chacun-e de pouvoir poser des choix, non pas en fonction de ce qu’on est censé-e aimer faire ou faire bien, mais en fonction de ce qu’on a envie de faire et d’essayer ! Pour les équipes, il s’agit de se répartir les tâches de manière non genrée, mais aussi

non figée : un atelier pourra être animé indifféremment par l’animatrice ou l’animateur ; l’animatrice pourra proposer un atelier cuisine et le mois suivant un atelier menuiserie, même chose pour l’animateur. Cela implique plusieurs choses : accepter de sortir de sa zone de confort et d’acquérir d’autres compétences que celles que l’on maîtrise et pour lesquelles on est reconnu-e, lâcher prise et laisser l’autre expérimenter ses nouvelles compétences sans directement porter de jugement sur ce qu’il-elle fait (forcément il-elle le fera « moins bien » que celui ou celle qui a l’habitude et la pratique). Vous l’avez compris, la mixité de coopération pose inévitablement les questions de l’ultra-spécialisation des animateurs-animatrices, du partage des compétences, ainsi que de la formation initiale et continue des équipes.

37


La non-mixité peut être un outil, pas une finalité Pour beaucoup d’équipes de Maisons de Jeunes, le principal enjeu associé à la mixité est de « faire venir les filles » dans la structure (même si l’on constate une nette évolution dans les taux de fréquentation depuis une dizaine d’années) : pour leur permettre de sortir de leur milieu familial, rencontrer d’autres jeunes, pratiquer des activités ou encore leur donner accès à la culture et aux loisirs. Les espaces et les activités non-mixtes sont alors présentés comme une porte d’entrée indispensable à l’arrivée des filles, rassurante pour elles comme pour leurs parents. Ainsi, l’aménagement d’un « local des filles » ou la proposition d’ateliers non-mixtes (souvent très stéréotypés) sont des stratégies souvent efficaces pour arriver à plus de mixité dans la fréquentation de la Maison de Jeunes. Mais si la non-mixité est envisagée par la plupart des équipes comme un passage obligé, la transition vers la mixité n’est ni évidente, ni systématique. Toute la difficulté consiste à faire en sorte que les activités ou espaces dédiés soient de réelles étapes vers la rencontre entre jeunes.

Nous l’avons vu, la mixité égalitaire impose de réfléchir à sa mise en œuvre, car la mixité de fait, en tant que simple juxtaposition d’individus de sexes différents, n’est pas source d’égalité. Il peut être alors tentant de croire qu’il est plus simple de séparer les garçons et les filles : moins de questions à se poser, moins de choses à discuter en équipe, moins de craintes de la part des adultes. Comme si l’espace non-mixte allait d’office offrir un cadre plus sécurisant et bienveillant...

38

Or, la non-mixité garantit-elle la convivialité, l’écoute et le non-jugement au sein d’un groupe? Beaucoup de jeunes, filles comme garçons, ont témoigné de malaises ou de moqueries vécus dans un groupe pourtant nonmixte : en salle de sport, dans les vestiaires à la piscine, en classe, avec des copains ou copines lors d’une sortie... La stigmatisation se porte alors sur un autre critère que celui du sexe : la couleur de peau, la religion, une difficulté de langage, une différence socio-économique, le surpoids ou un « défaut » physique... La dimension non-mixte d’un espace ne suffit donc pas à garantir la place de chacun-e dans un groupe et ne dispense pas l’animatrice ou l’animateur de devoir réfléchir à un cadre, aux conditions d’animation et à la distribution de la parole, au risque de voir apparaître d’autres rapports de domination que les rapports de sexes.


L’aménagement d’espaces non-mixtes peut toutefois répondre à certains besoins des jeunes, à un moment précis de la vie d’un groupe. Si un cadre de confiance et de bienveillance est posé, l’entre-soi peut permettre aux jeunes, garçons et filles, de parler de choses personnelles, voire intimes : le corps, la sexualité, la séduction et les relations avec l’autre sexe, mais aussi la construction de la masculinité et de la féminité, les vécus en tant que filles ou en tant que garçons... Les jeunes peuvent partager leurs ressentis et leurs expériences, se rassurer, se conseiller, mais aussi prendre conscience de leurs différences, présentes même au sein d’un groupe non-mixte. Mais l’idéal, à un moment ou à un autre, est que garçons et filles puissent se retrouver ensuite dans un cadre suffisamment sécurisant, garanti par des adultes attentif-ve-s à leurs interactions, pour pouvoir évoquer ces choses importantes ensemble. Ce n’est que dans la relation et dans le vécu commun que peuvent se déconstruire les représentations des un-e-s sur les autres. Si les jeunes sont constamment séparé-e-s, ils-elles ne peuvent que fantasmer l’Autre, souvent en ayant recours aux stéréotypes sexués les plus véhiculés.

Un autre intérêt de la mise en place d’un espace non-mixte peut être l’acquisition de compétences cataloguées plutôt « féminines » ou plutôt « masculines » dans la société. Organiser un atelier mixte de menuiserie, par exemple, risque de mettre les filles dans une position de subordination aux garçons : elles n’ont peut-être pas l’habitude (en tout cas, certainement moins que les garçons) de manipuler les outils, de scier, clouer, raboter. Et inversement avec un atelier mixte de cuisine ou de couture pour les garçons. Il faut dès lors s’assurer que les jeunes se retrouveront dans l’atelier mixte à compétences égales. Un espace ponctuel non-mixte de manipulation d’outils ou d’apprentissage d’un savoir-faire peut ainsi répondre à un besoin d’acquisition de compétences, dans une perspective de vécu partagé de l’activité par la suite.

La non-mixité, dans les exemples qui précèdent, est envisagée comme un moyen pour tendre vers une mixité égalitaire : elle a du sens, est limitée dans le temps et permet de répondre à des besoins spécifiques exprimés par les jeunes. Ce qui est problématique, c’est quand la non-mixité n’est jamais questionnée ou quand elle est envisagée comme une finalité. Ou encore quand elle vise à répondre aux seuls besoins des adultes, soit par facilité, soit par crainte des interactions entre les jeunes.

39


40


Seul-e, c’est possible... En équipe, c’est plus facile et plus efficace La préoccupation de l’égalité des genres par les animatrices-animateurs, ainsi que leur prise de conscience de l’influence des stéréotypes sexués, ont un impact certain sur leur façon d’entrer en relation avec les jeunes et sur les activités proposées. Certaines équipes sont très conscientes de l’importance de leur rôle dans la transmission des assignations sur les jeunes et ont entamé depuis longtemps une réflexion sur le sujet. Mais il faut reconnaître que ce n’est pas le cas de la majorité des équipes.

En effet, pour beaucoup d’animateurs-animatrices, la question de la mixité n’est pas une préoccupation, encore moins une priorité. Ils-elles ne pensent pas qu’il y ait du sexisme dans leur structure, en tout cas pas plus que dans la société en général. Ces équipes vont intervenir auprès des jeunes quand des actes graves sont posés (agressions verbales ou physiques, harcèlement, insultes,...) et le sexisme ouvertement hostile n’est donc pas toléré. Par contre, le sexisme subtil (blagues, assignations de tâches ou de comportements, renforcement de stéréotypes) et le sexisme bienveillant (considérer que les animatrices-les filles sont plus fragiles et doivent être privilégiées, protégées) sont rarement traités. Et quand il y a intervention, il s’agit la plupart du temps d’initiatives individuelles : le risque étant que certain-s membres de l’équipe soient alors perçu-s comme plus susceptible-s ou ayant moins le sens de l’humour.

Si l’on souhaite lutter contre le sexisme et promouvoir l’égalité des genres, il est donc fondamental de dégager une position institutionnelle et collective, incarnée par l’ensemble de l’équipe. Il s’agit de transformer des convictions personnelles en posture professionnelle. La prise de position de l’institution sera d’autant plus partagée et portée qu’elle sera explicite, formalisée et pérennisée indépendamment des individus qui composent l’équipe. Cela nécessite de se mettre au travail, de s’interroger, de se remettre en question... ce qui implique de dégager des moyens et du temps pour les équipes. La plupart des équipes que nous avons rencontrées témoignent de beaucoup de bonne volonté pour favoriser la mixité de sexes, mais se disent insuffisamment outillées et formées. La crainte de « faire pire que mieux » est ainsi souvent évoquée pour expliquer le maintien d’activités ou d’espaces non-mixtes. Les Centres de Jeunes ont besoin d’un soutien et de moyens structurels, apportés de manière coordonnée par leurs fédérations, les services de l’Inspection et par la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Ce n’est qu’avec une action concertée que les choses pourront bouger et qu’une vraie mixité pourra se construire... Pour les jeunes d’aujourd’hui et pour une société plus juste, plus libre et plus égalitaire demain. Ill. : Auteur(s) inconnu(s) (Grafitti à Bombay / Gender inequality - The unheard voice)

41


Rencontre avec le

Par Benjamin Cambron

Collectif mixité Le Collectif Mixité est composé d’une dizaine de Maisons de Jeunes de la région liégeoise. Depuis plusieurs années, ce collectif vise à faciliter l’accès des filles aux Maisons de Jeunes, qu’elles y aient une place, que leur parole émerge et soit respectée. Il s’agit par là de faire en sorte qu’elles prennent elles-mêmes la place qui leur revient naturellement dans l’espace public au sens large. Pour connaître les origines de ce collectif et ses actions futures, nous avons rencontré, lors d’une réunion, les animateurs et les coordonnateurs des MJ membres du Collectif Mixité.

Comment le Collectif Mixité est-il né ? Tout démarre en 2009. À l’époque, nous constations que les filles étaient peu présentes dans nos MJ alors qu’il y avait manifestement une demande de leur part d’y accéder. L’explication de cette réalité était évidemment complexe et spécifique à chaque MJ, mais nous nous rendions bien compte que dans la population, la MJ était vue comme un lieu d’accueil pour les garçons. Les filles ne s’y sentaient pas les bienvenues et certains grands frères étaient là pour en interdire l’accès à leurs sœurs.

42

Romina Carotta, alors stagiaire, s’est emparée de cette problématique en lançant des ateliers de danse hip-hop pour les filles. Cet événement a impulsé une réflexion sur la place des filles en MJ. C’est le début du collectif « Espoir mixité », qui sera renommé plus tard le Collectif Mixité.

De nos discussions et échanges à cette époque, on peut dire que l’on se demandait s’il fallait partir d’une production artistique pour parler du sens ou débattre du sens pour pouvoir créer. Finalement, étions-nous là pour soutenir des groupes de danseuses ou pour réfléchir sur la mixité ? On a posé un choix et le hip-hop a commencé à prendre moins de place dans notre démarche. C’est pour marquer cette rupture que nous avons changé de nom. De jeunes « leaders » de certaines MJ ont commencé à travailler pour le collectif en tant qu’animateur-trice.s de complément. Chaque MJ avait alors deux jeunes responsables. Idéalement, une fille et un garçon. Leurs tâches étaient principalement de faire le relais pour mobiliser les jeunes, de co-animer des activités ou de prendre totalement en charge certaines animations du collectif.

Au départ, les MJ ont donc utilisé l’outil danse hip-hop pour toucher un public féminin. Ça a plutôt bien marché et des groupes de filles sont venus. On a alors commencé à travailler avec elles sur la place des femmes dans la société et dans les MJ.

À ce moment-là, notre démarche était de travailler sur deux dimensions : • Que les filles trouvent leur place en MJ. • Que les garçons laissent et acceptent une place pour les filles qui passent la porte de la MJ.


Aujourd’hui, où en êtes-vous ? NOUS TRAVAILLONS SUR DEUX GRANDS ENJEUX POUR LE MOMENT. D’un côté, on a une réflexion sur la visibilité du collectif (logo, identité visuelle...). Étant donné que nous sommes de plus en plus demandés pour intervenir dans des réunions, des colloques,... il nous faut des supports actualisés permettant de montrer clairement ce que l’on fait actuellement. De l’autre, on a mis en place un groupe de travail pour créer des fiches pédagogiques différentes de ce que l’on voit habituellement. L’idée est que toutes ces fiches soient liées les unes aux autres. Elles rendent compte d’un parcours complet du jeune en MJ par rapport à cette thématique de la mixité. Cela va du constat qu’il n’y a pas de public féminin dans la MJ à un jeune adulte sensibilisé à ces questions de mixité. La première fiche, par exemple, a pour sujet le parcours participatif au sein du collectif. On aborde le processus d’animation que nous avons mis en place pour accompagner les jeunes dans cette démarche de mixité. On veut vraiment parler d’un processus de travail qui se fait avec les jeunes. En pratique, pour cette fiche, on a identifié les étapes suivantes : • • • • • •

La création de liens solidaires La récolte de la parole L’analyse de la parole La mise en action La visibilité La mesure de l’impact

Cela fait plusieurs années qu’on travaille sur la question de la mixité et on aimerait, à travers ces fiches, permettre à d’autres équipes de s’interroger, leur faire bénéficier de notre expérience... et peut-être amener de nouveaux membres dans le collectif. Si on désire faire évoluer cette problématique dans le secteur, c’est intéressant de s’ouvrir à d’autres. Et puis, cela alimente la réflexion d’avoir de nouvelles personnes qui participent à ce travail. Ces fiches et la visibilité du collectif sont donc nos deux grandes actualités du moment.

43


Que prévoyez-vous pour demain ? Dans un avenir assez proche, on a un projet d’organisation d’un festival pour rendre visibles les actions des jeunes. Principalement des filles. On désire les mettre en valeur et sortir aussi de l’entre-soi du collectif.

On parle aussi d’un projet sur les stéréotypes de genre dans les jeux vidéos... L’idée serait de travailler sur la représentation des femmes dans les jeux vidéos aujourd’hui et, dans un second temps, créer un jeu vidéo qui aborderait cette thématique. Ici, c’est un projet où l’on travaille avec des filles et des garçons. On a aussi eu des retours de garçons qui demandent « pourquoi on fait des trucs avec les filles et pas avec eux ? ». On en a discuté lors de la dernière mise au vert et on désire travailler autant à la mise en réseau des garçons que des filles mais toujours avec le même objectif : faciliter l’accès des filles aux MJ. Ce qui nous ramène aux deux dimensions que nous

Photo : CoWomen from Pexels

avions au lancement du collectif.

Au final, à travers ce projet collectif, quel type de société rêvez-vous de construire ? Une société plus égalitaire. C’est d’ailleurs ce qui a été discuté lors de la dernière mise au vert en 2018. Mais ce qui est compliqué par rapport à cette question, c’est qu’il y a deux ans, on aurait pu répondre très clairement. Aujourd’hui, de nouvelles Maisons de Jeunes, de nouveaux animateurs ont intégré le collectif,... Et on n’est pas encore « raccord » par rapport à cela... mais c’est aussi ce qui est stimulant. Tout est toujours remis sur la table, rien n’est figé. On réinvente notre métier, la manière de travailler avec les jeunes...

44


Et pour réaliser tout cela, comment le collectif fonctionne-t-il ? On peut dire que l’on travaille dans une logique cyclique. D’un côté, il y a chaque MJ engagée dans la démarche de mixité et de l’autre, le collectif. Chaque élément nourrit l’autre continuellement.

De même, le collectif organise des mises au vert entre professionnels pour travailler sur une thématique, réfléchir ensemble, évaluer le collectif... Il met également en place des formations pour les MJ du collectif. C’est un bon moyen pour travailler la posture de l’animateur-trice en son sein, pour s’accorder aussi sur le terme « mixité »,... Ce sont des démarches nécessaires car il y du mouvement au sein du collectif. Il faut donc à chaque fois se réapproprier le projet.

Un groupe, composé de coordonnateurs et d’animateurs de MJ, coordonne le collectif. Ce sont les personnes qui ont l’envie et la possibilité de consacrer du temps au projet mixité. Concrètement, ce groupe se charge, entre autres, de l’écriture de dossiers, de réfléchir à l’orientation du projet, d’en assurer la gestion financière...

Enfin, un groupe d’animateurs (sans coordonnateurs) prépare concrètement les activités à faire selon les orientations prises en réunions plénières.

En pratique, chaque MJ entreprend des actions locales en toute autonomie. L’intérêt, c’est qu’à certains moments, l’expérience qui est menée dans une MJ est ramenée au sein du collectif.

Pour permettre cette dynamique, il existe des lieux de rencontre et d’organisation. Le collectif n’est pas vraiment une ASBL. Il n’y a pas de Conseil d’Administration.

Ensuite, le groupe des réunions plénières rassemble tous les coordonnateurs et les animateurs qui participent au projet mixité. Et pour articuler l’ensemble, Laura Sanchez, véritable « cheville ouvrière », participe quant à elle à tous les niveaux du collectif.

Un dernier mot ? Ce qui est intéressant dans ce travail associatif, c’est que le Collectif Mixité est ouvert à tout le monde. Deux fédérations de Centres de Jeunes y sont représentées, par exemple. C’est une véritable mise en réseau de Maisons de Jeunes.

45


Genre, sexualité et sexisme en Maisons de Jeunes Expériences de la Maison de Jeunes (MJ) Chez Zelle à Louvain-la-Neuve

Par Nathalie Heusquin

Vinciane Zech est co-coordinatrice de la MJ Chez

Zelle1 à Louvain-la-Neuve. Lors de son arrivée à la MJ, elle a voulu travailler sur les questions de genre, de sexualité et de sexisme. En mars 2019, nous l’avons rencontrée pour mieux comprendre comment il est possible de faire bouger les choses, de modifier les représentations et de se mettre en action.

Zoom sur quelques définitions et concepts Pour Vinciane, les questions de genre représentent les rapports aux normes sociales. Il s’agit d’un concept sociologique désignant les rapports sociaux entre les personnes perçues comme hommes ou comme femmes et, de façon concrète, l’analyse des statuts, rôles sociaux, relations entre ces personnes. Le sexe, c’est différent. C’est un ensemble de caractéristiques permettant de distinguer les femelles et les mâles dans chaque espèce animale et végétale. On distingue généralement deux sexes différents mais biologiquement, il y en a bien plus. Dans la société occidentale, ces deux concepts ont été superposés et liés pendant longtemps. Ce n’est qu’à partir de la deuxième moitié du XXème siècle qu’on a commencé à penser à les dissocier et à accepter que des personnes puissent avoir un sexe biologique qui ne correspond pas à leur identité ou apparence de genre.

46

1 Fondée en 1991, cette MJ fut d’abord implantée dans le bois de la Bardane à Louvain-la-Neuve. Le nom de cette MJ vient du fait que cet endroit faisait partie du quartier de Lauzelle ce qui donna le diminutif de Chez (Lau)Zelle.


Pour Vinciane, la sexualité, c’est plus personnel. Il existe plein de sexualités différentes. Cela permet de souligner que tout le monde n’est pas hétérosexuel. Il est important d’en tenir compte dans la manière d’aborder les personnes, d’en parler, y compris en MJ, à l’accueil par exemple.

Ces définitions et constats sont essentiels pour lire et comprendre la complexité des individus, des groupes et de la société aujourd’hui. Avec ces nouvelles lunettes, les lunettes de genre2, on peut commencer à agir sur le réel, sur les personnes, sur les groupes, sur les organisations et avoir un impact sur la société.

En 2014, certains ateliers ne brassaient que des garçons (ex : les ateliers graff et skate). Une dynamique hip-hop se réinstallait dans le nouveau bâtiment de la MJ, des garçons venaient rapper et danser. Les filles, quant à elles, ne venaient qu’au titre de « copine de ». Elles ne participaient pas, étaient en retrait et ne prenaient pas leur place. Cela a entrainé une réflexion au sein de l’équipe sur la manière de favoriser une participation active des filles aux activités d’expression.

Dès les années 2010, Chez Zelle s’est emparée des questions de genre et de sexisme. Un groupe de femmes se réunissait à la MJ pour pratiquer de l’auto-défense. En 2014, une dame qui travaillait alors chez Garance ASBL3 est venue vers l’équipe de la MJ avec une demande : travailler par rapport au sexisme et sur les violences faites aux femmes à Louvain-laNeuve. En effet, cette ville estudiantine et festive a un des taux de viol les plus élevé en Belgique.

Au départ de ces observations mais aussi de paroles et blagues échangées entre jeunes, empruntes de stéréotypes sexistes, l’équipe de Chez Zelle a eu envie d’agir, et tout doucement le dispositif FAFA — Faire Face Au Sexisme s’est mis en place.

L’impulsion de ce dispositif n’est donc pas venue de demandes des jeunes mais plutôt de constats d’adultes ayant été jeunes à Louvain-la-Neuve. L’équipe de la MJ et ses partenaires se sont demandé comment faire pour que les filles trouvent leur place dans la MJ, dans la ville et dans la société. C’est avec du recul et un regard d’adultes que les acteurs-rices de Chez Zelle se sont dit qu’il y avait quelque chose à faire par rapport au sexisme et aux violences faites aux femmes.

Nous allons maintenant tenter de vous donner à lire les différents aspects que cette MJ a mis en place ou fait évoluer de manière à travailler ces questions en transversalité et dans la durée.

Le sexisme, c’est un constat entre femmes qu’elle subissent toutes une même réalité, quelque chose qui a à voir avec du sexisme ordinaire, de rue, ou plus violent.

2 C'est quoi le genre? — Film pédagogique et didactique sur la notion de genre : sa définition, les différences entre sexe et genre, en quoi cet outil est utile à l’analyse des inégalités entre les femmes et les hommes — https://youtu. be/xtbDynD7DE8 3 L’association Garance se concentre sur tout ce que l’on peut faire avant que la violence ne se manifeste, pour qu’elle n’ait pas lieu. Pour cela, elle s’attaque aux facteurs de risque qui rendent certains groupes de la population plus vulnérables aux agressions, en particulier les femmes. Garance ASBL a développé des outils simples de renforcement, des outils pour apprendre aux filles à se défendre. Plus d’infos — www.garance.be

La parité et des rôles non stéréotypés dans l’équipe d’animation Entre 2014 et 2019, l’équipe d’animation a fortement évolué. D’une équipe exclusivement masculine, elle est devenue paritaire (quatre animatrices et quatre animateurs à mi-temps). C’est une base pour que les jeunes puissent s’identifier à des femmes et à des hommes, animatrices ou animateurs. L’intention est aussi de dépasser les rôles stéréotypés. Ainsi, Chez Zelle, les animatrices bricolent et donnent l’atelier construction en palettes, alors qu’un animateur donne l’atelier cuisine.

L’équipe est en recherche constante pour ne pas reproduire les rapports dominants de genre, les stéréotypes et pour éviter le sexisme. C’est un objectif transversal à toute l’équipe même si chacun le porte différemment, selon son vécu et ses sensibilités. Il y a une cohérence d’équipe sur ces questions.

47


Les activités La MJ propose des activités variées pour que tous les publics puissent s’y retrouver. Aujourd’hui, les ateliers qui n’attiraient que des garçons ont quasiment disparu. Il y a aussi une activité spécifique pour renforcer les filles : les ateliers auto-défense pour filles4.

4 Plus d'infos sur les programmes des stages d'auto-défense — http:// chezzelle.be/autodefense. php#autodefense_femmes

Mettre en place ces ateliers d’auto-défense résulte d’un choix collectif fait en assemblée mensuelle. Cela a provoqué des débats, certains garçons ont demandé pour en avoir un aussi entre eux, mais ça ne s’est pas fait car ce n’était pas justifié. Ces moments en non-mixité pour renforcer les filles existent parce qu’il y a une réelle différence dans les chiffres de la violence subie par les femmes. Cette activité donne une couleur à la MJ. En plus, le nom « Chez Zelle » porte à confusion et donne l’impression que la MJ est un lieu féministe engagé,... Face au constat que la scène musicale est accaparée à 80% par des hommes, la MJ a mis en place depuis plusieurs années des Ladyfests. Ces soirées-concerts sont organisées deux fois par an avec uniquement des artistes femmes. C’est une démarche consciente d’amener les femmes sur scène, de n’avoir que des femmes qui font la technique. La salle est alors habillée avec des affiches sur le harcèlement, le consentement, le viol... Ça fait partie de l’ambiance et cela permet de sortir des soirées habituelles et de modifier les rapports sexistes. Plusieurs groupes féministes de Louvain-laNeuve viennent à l’atelier sérigraphie pour créer des supports contre le sexisme. Ils font des affiches, des stickers, et en laissent à la MJ. Cette dernière est de plus en plus perçue de l’extérieur comme un lieu engagé. Une autre manière de travailler ces questions se situe dans les discussions à l’accueil. L’équipe relève systématiquement tous les propos sexistes, racistes, homophobes... échangés entre jeunes. En questionnant les jeunes sur le sens de leurs propos, les animateurs amorcent une déconstruction de leurs discours. Au bout d’un moment, les jeunes commencent aussi à se questionner les uns les autres. Quelques-uns ont d’ailleurs pris le relais et font particulièrement attention aux stéréotypes véhiculés dans le langage courant.

48


5

Voir partie sur les œuvres recommandées p. 53 6 Plus d'infos sur les Ateliers Trans* pour les nulles — www.genrespluriels.be/-Ateliers-Transpour-les-nulLEs-747 Plus d'infos sur Défaire Genre — http://chezzelle. be/defaire_genre.php

8 Plus d'infos sur Corps Écrits ASBL — www.corpsecrits.be

Les discussions sont aussi entamées après des projections de films ou la programmation de spectacles. Plusieurs expériences, comme le spectacle La Nature contre-nature5, en parlant de la sexualité des animaux, expliquent que dans toutes les espèces, l’homosexualité existe et est normale. Ce spectacle a aussi permis d’aborder les questions de transidentité avec le public. L’enjeu est de sortir de la binarité. Il y a des jeunes qui ne sentent ni hommes à 100%, ni femmes à 100%. Beaucoup ne se reconnaissent pas dans ces stéréotypes de genre, ils ne se retrouvent pas dans cette binarité et en souffrent. Par exemple, on demande à un garçon d’être viril, fort, de ne pas pleurer. Il s’agit de stéréotypes de genre. Cela induit des pressions sociales sur beaucoup de personnes qui ne sont pas comme ça. Et ces pressions les détruisent. Il existe des sociétés où l’homosexualité et/ou la transidentité sont complètement acceptées.

Il y a quelques années, il n’y avait aucun lieu à Louvain-la-Neuve pour les jeunes se questionnant sur leur identité de genre, leur apparence de genre et leur sexualité. Ils devaient se rendre à Bruxelles pour rencontrer une association comme Genres Pluriels 6. Pour répondre à ce manque, Chez Zelle et ses partenaires ont créé un réseau, « Défaire genre »7 à Louvain-la-Neuve qui accueille des jeunes en réflexion sur leurs identités et leurs orientations. Ce réseau est composé d’associations et d’individus, comme Vie Féminine, la Maison Arcen-ciel, le Planning Familial, Corps et Écrits ASBL 8 et des kots étudiants. Pendant trois ans, une fois par semaine, il y a eu une permanence « Défaire genre » à la MJ. C’était un espace de discussions informelles. De temps en temps, un sujet particulier était exploré et discuté. Le travail en partenariat a été une plus-value pour l’ensemble du projet. Garance, Corps et Écrits ASBL ont amené des connaissances et des compétences nécessaires pour développer ces différents axes de travail.

Photo : Kathleen Caulderwood

49


La transmission de l’expérience acquise et l’ouverture à ces questions dans d’autres MJ En mai 2017, la MJ a organisé une journée d’échange de pratiques pour le Collectif MJ du Brabant wallon. Plusieurs ateliers, dont un d’auto-défense pour femmes, ont permis de constater qu’il y avait encore du chemin à parcourir pour que les animatrices et les jeunes filles puissent prendre un place symbolique équivalente à celles des animateurs et des garçons. 9

Plus d'infos sur Eux c'est Nous et ses journées Vivre un Outil — www. euxcestnous.be

Avec l’appui de la FMJ et du dispositif « Eux, c’est Nous » de l’ICJ, un journée d’outillage « Faire face au sexisme et aux LGBT-phobies dans le secteur Jeunesse »9 a eu lieu en novembre 2018. Cette journée a aussi permis d’aborder ces questions au départ d’expériences de Chez Zelle et de ses partenaires.

Lors de ces journées entre professionnels du secteur jeunesse, il a été constaté que plusieurs animatrices sont en difficulté sur ces questions dans leurs structures. Parfois, elles suivent une formation pour « faire venir les filles dans leur MJ »... Évidemment, si c’est juste une question renvoyée à la seule responsabilité de l’animatrice, ça ne fonctionne pas ! Plusieurs d’entre elles ont également fait part de leur isolement, voire des moqueries et blagues sexistes dont elles sont victimes. Or, si les animateurs eux-mêmes tiennent ce genre de propos, ça reproduit des stéréotypes et les jeunes auront tendance à les reproduire naturellement. Au final, ça légitime un système inégalitaire où femmes et hommes n’ont pas la même place.

Les projets d’expression et de création Depuis que la MJ travaille ces questions, elles ont été abordées à maintes reprises dans des ateliers, stages et projets d’expression et de création : stage de création d’un fanzine sur le sexisme, puis création d’un fanzine sur le féminisme, atelier de théâtre-forum sur les questions de genre, ou encore réalisation d’un petit film avec des sketches sur le harcèlement...

Cette année, à l’atelier cinéma des 12-14 ans, plusieurs jeunes ont proposé de jouer des rôles qui ne correspondent pas à leur genre assigné, sans que cela ne pose question ni n’éveille des moqueries. C’est un signe réel d’une ouverture sur ces questions.

La bibliothèque et l’infothèque Depuis de longues années, une bibliothèque et une infothèque à la MJ Chez Zelle proposent des contenus dédiés à ces thématiques : livres, magazines, brochures associatives mais aussi des productions maison, comme les fanzines créés par les jeunes et la publication « Objets de Controverses » co-éditée par Chez Zelle. Tous ces supports sont à disposition des jeunes et peuvent être empruntés.

50


51


52


Résultats, impacts, difficultés et mécanismes de résistance Ces cinq années d’expérimentations ont eu des impacts positifs.

Et puis, il y a toujours des jeunes dont ce n’est pas la préoccupation et qui passent complètement à côté de tout cela.

Davantage de filles prennent leur place à la MJ, portent des activités et des projets, s’expriment par divers moyens.

Un ensemble d’attitudes, de paroles, d’activités, d’actions hors du commun ont donc permis de faire bouger les représentations et de faire évoluer la MJ vers un espace de liberté et de légèreté sur les questions de genre.

Il y a aussi des jeunes intéressés et sensibilisés aux questions de genre. Ces jeunes sont à la recherche d’informations. Ils en connaissent beaucoup, parfois plus que l’équipe. Quand ils entendent des propos sexistes, ils y réagissent, ils les questionnent, ils essayent de démonter les stéréotypes. L’équipe a aussi acquis le réflexe de se questionner en lien avec ces questions. Elle prend le temps de réfléchir à la meilleure manière de faire pour qu’une nouvelle activité ne reproduise pas les stéréotypes de genre et soit accessible à tous ses publics. L’image de la MJ dans son environnement a aussi évolué. La MJ est identifiée par certains comme un lieu engagé sur ces questions. Cela amène des nouveaux publics et des demandes de leur part. Pendant ces cinq années, à chaque nouvelle expérimentation, il y a eu des discussions. Celles-ci ont permis à certains de prendre conscience et de modifier leurs comportements et langage, mais elles n’ont ni touché ni convaincu tout le monde et des mécanismes de résistance se sont mis en place. Ce dispositif n'a pas pu empêcher certaines agressions sexuelles et sexistes d'avoir lieu durant cette période et ce malgré que les auteurs de ces agressions aient soutenu le dispositif en question. Comme quoi, le travail contre le sexisme est non seulement nécessaire mais pourrait encore être renforcé et amélioré.

Ce dispositif est avant tout porté par l’équipe. C’est une force. Il est devenu un objectif transversal et partagé. Un des leviers est le réseau de partenaires dont la mission est de travailler ces questions avec des angles d’approche diversifiés. En effet, l’équipe doit pouvoir s’appuyer sur des compétences d’autres personnes, d’autres associations dont c’est le job et la spécificité. Enfin, pour Vinciane, une difficulté a été de trouver le temps nécessaire pour la rédaction des dossiers de financement de ces actions et une demande de reconnaissance en « EVRAS »10. Elle a passé beaucoup de temps à faire de l’administratif et ce temps, elle aurait préféré le consacrer au travail avec les jeunes et l’équipe.

10 Plus d'infos sur EVRAS - Éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle — www.evras.be

OEUVRES RECOMMANDÉES POUR TRAVAILLER LES QUESTIONS DE GENRE, SEXUALITÉ ET SEXISME AVEC LES JEUNES Bandes dessinées • Mathieu T., « Les crocodiles », Éd. Lombard, 2014 • Malle M., « Commando Culotte : les dessous du genre et de la pop culture », Ankama, 2016, www.mirionmalle.com • Strömquist L., « Les sentiments du prince Charles », Éd. Rackham, 2016 Spectacles • « Le grand Sextacle », www.theatrereconciliation.org • « Red shoes », https://youtu.be/auhBn8Tad6Q • « Nature contre-nature », www.naturecontrenature.org/spectacle/ Films • « Tomboy », Cécile Sciamma, Arte, 2011 • « Boys don't cry », Kimberly Peirce, 1999 • « XXY », Lucia Puenzo, 2007

53


54

Photo  : Laetitia Bica


Mixité à la MJ de Sclessin L’avis des autres Par Magali Company Sclessin, c’est un peu comme Liverpool, un quartier pris en étau entre le stade du Standard de Liège et d’anciennes cités ouvrières. Situé sur la rive gauche de la Meuse (en banlieue liégeoise), ce quartier au passé sidérurgique porte les traces d’une industrialisation poussée à l’excès depuis le 19ème siècle.

La réfection de cette zone péri-urbaine a été entamée dès les années septante. Les usines polluantes ont été fermées, rasées ainsi que les anciennes habitations insalubres pour que puisse reprendre une nouvelle vie. Cette longue reconversion toujours en cours porte les stigmates d’une reconstruction au coup par coup. Des bâtiments datant de toutes les époques ont été construits sans véritable plan d’harmonisation. Divers immeubles, qui autrefois avaient une fonction propre, se sont vus attribuer de nouvelles utilités, sans toutefois les adapter. C’est dans ce contexte qu’est implantée la Maison de Jeunes, englobée dans un bloc de bâtiments disparates allant d’un château du 18ème siècle à des pavillons des années septante. La MJ n’est pas visible de l’extérieur. Il faut faire la démarche d'y entrer. Ces annexes en béton brut correspondent au style architectural « brutaliste » qui était au plus fort de sa popularité dans les années septante. Ce courant architectural visait une utopie sociale : implanter des « communautés fonctionnelles » dans des structures formant une unité autour d’un espace commun. La MJ est située dans une des annexes bordant une cour de 2000m2 autour de laquelle se côtoient aujourd’hui diverses associations qui doivent partager un même espace. La tâche est ardue : mettre d’accord tout le monde sur l’usage de la cour, surtout quand il s’agit d’une association qui travaille avec des jeunes le soir... Ici, on joue plutôt la carte de la méfiance : espaces grillagés pour délimiter une frontière, barrières fermées,... cloisonnant ainsi les possibilités de rencontre.

Malgré l’accès peu aisé, la MJ de Sclessin revêt une place particulière. Elle est implantée dans ce quartier populaire à la population bigarrée et colorée de toutes nationalités. Elle est connue de tous. La porte est ouverte tous les jours à partir de midi. Cela se sait, et tout le monde y est le bienvenu. Ici, tout le monde se connait. Début des années 2000, la cote de popularité des jeunes garçons se gagnait « à coup de testostérone ». Ils marquaient leur territoire comme des coyotes à Fort Apache. Pour l’équipe d’animation de la MJ, cela a nécessité en permanence de maintenir un travail de fond, un parti pris de faire face, de tenir bon, en parlant, en discutant. Car en effet, la volonté était de casser les codes, de ne pas reproduire des inégalités qu’on pouvait retrouver dans le quartier par le comportement archaïque des grands frères vis-à-vis des filles. Effectivement, depuis de nombreuses années, la MJ développe un travail particulier pour permettre aux filles du quartier d’y trouver leur place. Il s’agit d’un axe de travail transversal qui touche à toutes les strates de la MJ : l’équipe, le Conseil d’administration, les jeunes, le quartier. Certes, les filles n'évoluent pas de la même manière que les garçons dans l'espace public, et encore moins dans les endroits stratégiques d’un quartier. Pourtant, il était primordial qu’elles se sentent accueillies au sein de la MJ, qu’elles y trouvent leur place et puissent s’y émanciper. Aujourd’hui, en 2019, la MJ continue de taper sur le clou et rappelle ce principe d’égalité, surtout aux plus jeunes qui arrivent à la MJ. En 2008, un projet photo avait été réalisé avec la FMJ et d'autres MJ dans le cadre de la BIP1 à la Châtaigneraie2. Une série de portraits mettant en scène des jeunes filles de la MJ avait déclenché la colère des garçons à l’époque, dont un plus particulièrement (voir photo ci-jointe).

Biennale de l'Image Possible : https://www.bip-liege. org/fr/a-propos/presentation

1

2

La Châtaigneraie : Centre Wallon d’Art Contemporain

55


Aujourd’hui, treize ans plus tard, les filles ont leur place à la MJ. Le public est composé de filles et de garçons. La mixité est intégrée par la nouvelle génération. La salle d’accueil permet de mettre en relation des filles et des garçons. C’est un lieu de socialisation où chacun peut occuper l'espace de manière égale. Néanmoins, l’équipe reste attentive aux interactions et aux échanges, dans les jeux notamment. En effet, sous couvert de l’humour, les relations filles / garçons pourraient ne plus être égalitaires. Vers quatorze-quinze ans, les relations se construisent. Les jeunes jouent et testent les limites. Cela commence par de simples réflexions au départ anodines. Mais elles peuvent vite devenir des habitudes de langage, exprimées sur le ton de la rigolade : « Je ne joue pas avec toi au kicker parce que tu es une fille » ou encore « Les filles font les crêpes, les garçons ne font pas la vaisselle »,... À cet âge vulnérable, les jeunes peuvent se dévaloriser, vouloir se conformer à une norme qui ne leur correspond pas et avoir une confiance en eux assez vacillante. Ils peuvent développer des complexes ou ne pas être en accord avec leur identité profonde en contradiction avec les stéréotypes imposés. Les garçons se soumettent au diktat de la virilité associée à la force physique, se vantent de multiplier les conquêtes féminines, le tout parfois assorti d’une posture de dédain. Parce qu’il y a cette croyance selon laquelle l’homme ne doit pas exprimer ses sentiments. « Surtout, c’est important pour les garçons de ne pas montrer leur fragilité » confie Sam, le nouvel animateur de la MJ. « Tu es fragile » est d’ailleurs devenu une insulte, précise-t-il.

Julia, animatrice à la MJ, explique quant à elle que ces échanges informels ayant lieu dans la salle d’accueil nécessitent d’être désamorcés avant que ça ne devienne des habitudes. La salle d’accueil est un magnifique laboratoire d’observation et de réactivité informelle. Par exemple, on peut y discuter avec les jeunes de leur conception des rapports filles / garçons au sein de la cellule familiale ou encore à l’école, mais également du jeu de mimétisme lié à ce qu’ils regardent sur les réseaux sociaux ou dans certaines émissions. Si on les laisse s’installer, ces joutes verbales finissent par devenir la norme, sous le couvert de l’humour... C’est ainsi qu’en septembre 2018, l’équipe décide de faire réagir les jeunes en plaçant des publicités sexistes dans la salle d’accueil. Anticiper des conceptions stéréotypées de genre. Les photos deviennent alors le prétexte à parler du sujet. Le projet se lance de manière informelle. Les jeunes réagissent, discutent, et peu à peu, ces échanges permettent d’aller plus loin.

56


Si cette génération de jeunes jongle avec l’image en permanence, elle joue avec les codes d’une communication pas toujours maitrisée et où souvent, les apparences sont trompeuses. Ces jeunes sont nés dans un monde où le flux de l’image est incessant et où le smartphone est devenu l’activité cérébrale principale. Un animateur explique qu’il a fallu leur faire comprendre que les images publicitaires véhiculent des messages insidieux jusqu’au cerveau, tronquant notre perception du monde, impactant nos comportements et la pensée critique. Parce que l’objectif final de la publicité est de vendre une marque, un produit, un service. Et pour cela, il faut les rendre désirables, en les noyant sous un brouillard imaginaire. Ce n’est pas seulement une lessive, un parfum ou une paire de baskets que l’on achète, mais aussi une valeur symbolique. Pour ce faire, la publicité tire parti de nos désirs les plus profonds. Elle court-circuite la pensée en s’appuyant sur nos propres stéréotypes, y compris de genre, sans chercher à révolutionner la société, dont elle ne fait qu’amplifier et caricaturer les normes dominantes.

Les jeunes ont pu se rendre compte que les pubs étaient bien plus sexistes du temps de leurs grands-parents. Pourtant, aujourd’hui, les publicitaires continuent d’exploiter le filon de la sexualisation des produits : les hommes pour parler d’automobiles et les femmes pour l’entretien du corps.

Une des premières étapes du projet fut l’analyse des images. Les animateurs ont demandé aux jeunes de faire des recherches, de choisir une image publicitaire qu’ils considéraient comme sexiste. L’exercice ne fut pas simple. La difficulté résidait dans le fait de « choisir » une image dans un flux incessant sur le Net.

Ensuite, les jeunes ont choisi de se mettre en scène par le biais du portrait et ils se sont prêtés au jeu des clichés véhiculés par les pubs. Un jeune garçon a choisi la représentation de la virilité : la voiture rouge au Salon de l’Automobile accompagnée de filles blondes pimpées. Il a posé sur le capot de la voiture du coordinateur de la MJ. Une vingtaine de portraits ont été réalisés dans le but d’être exposés dans le quartier. Des cartes postales ont été imprimées et distribuées par les jeunes. L’objectif : transmettre le message par eux-mêmes.

À partir de leurs recherches, les jeunes ont échangé et discuté sur les messages cachés des images : « La pub est-elle le miroir d’une société sexiste ? ».

À travers cette action de communication, la MJ poursuit un double enjeu : celui de la mixité des publics et l'affirmation de son identité dans le quartier. Cela contribue à renforcer une image positive de la MJ. Un travail de proximité connecté au quartier et un travail de fond pour développer le regard critique des jeunes par rapport à la question du genre ! Si l’implantation de la MJ n’est pas idéale, si une série de barrières physiques peuvent faire obstacle à ce travail de mixité des publics, l’équipe de la MJ reste positive. Car elle est forte du trajet qu’elle a mené et des défis que la MJ a relevés. Comme un véritable sacerdoce, elle porte ces valeurs dans son ADN. C’est un héritage, une transmission laissée par Thierry Ardus, le pilier fondateur de la MJ et ancien coordinateur. Aujourd’hui plus que jamais, la MJ garde le cap, s’applique à rester attentive, aux aguets face à toute possibilité de dérives.

57


Appel à la grève ! Par Nathalie Heusquin

Le Le44mars mars2019, 2019,la laFMJ FMJreçoit reçoitun unappel appelààla lagrève grève féministe féministede del’équipe l’équiped’XL’J d’XL’J(MJ (MJd’Ixelles). d’Ixelles). Nous apprécions la démarche et pour marquer notre soutien, nous partons à la rencontre des animatrices, le 8 mars, devant la Gare centrale à Bruxelles. Des centaines de personnes y sont rassemblées dans une ambiance revendicative et festive suite à l’appel du « Collecti.e.f 8 maars ». ELISA, ANIMATRICE DE LA MJ ET MEMBRE DE COLLECTIF, RÉPOND

Photo  : Bruce Mars from Pexels

À NOS QUESTIONS.

58


Comment la question a-t-elle été amenée à la MJ, jusqu’à la décision de fermeture ce 8 mars ? Tout d’abord, nous avons fait une réunion interne entre les animatrices. Nous sommes quatre animatrices à la MJ d’Ixelles, dont deux impliquées dans le Collecti.e.f 8 maars. Avec Emilie, nous avons expliqué aux autres ce qu’on était en train d’organiser, comment le collectif avait bougé, quelles étaient nos revendications... On leur a amené tous les imprimés. Toute l’équipe a eu accès à l’information et ensuite nous nous sommes tournées vers l’équipe masculine. Elle nous a soutenus et l’équipe dans son entièreté a accepté la grève en proposant la fermeture totale de la MJ. Ensuite, nous avons fait la démarche vers le CA, en écrivant une première lettre qui expliquait que nous allions faire la grève avec l’appui de nos syndicats. Le CA a apprécié la démarche. Dès ce moment-là, environ un mois avant la grève, nous avons commencé à discuter avec les jeunes, filles et garçons. Nous leur avons expliqué que le 8 mars, ce n’est pas la journée de la femme mais bien la journée des droits des femmes, une journée de lutte et de grève, et que la MJ serait fermée ce jour-là. En accord avec notre CA, nous avons ensuite lancé cet appel à la grève à tous nos partenaires du secteur jeunesse. Notre idée était que toutes les travailleuses du secteur jeunesse se mobilisent et emmènent avec elles les jeunes filles qui fréquentent les MJ.

Qu’avez-vous fait avec les jeunes qui fréquentent la MJ ? Nous sommes parties des difficultés que vivent nos jeunes. Les adolescentes ont souvent des soucis de harcèlement, de remarques sur la manière dont elles s’habillent et dans leurs rapports avec des adolescents masculins. Nous avons aussi pris le temps de travailler avec les jeunes garçons pour les sensibiliser au fait que les filles ont des droits égaux aux leurs. Ils étaient assez d’accord. C’est beaucoup passé par des discussions à l’accueil. Ce dernier mois, l’équipe a aussi profité de moments en non-mixité pour aborder ces questions, lors d’une soirée filles et lors d’une soirée garçons. Nous leur avons expliqué que nous, les animatrices, supportions la grève du 8 mars et qu’elles étaient les bienvenues mais aussi qu’il y avait plein d’autres formes pour être en action. Par exemple, mettre des foulards violets, être maquillées, suivre les réseaux sociaux, dessiner et surtout en parler avec d’autres filles. Aujourd’hui, c’est le jour de visibilité de l’action du Collecti.e.f 8 maars. Il y avait plusieurs actions à faire pendant tout le mois précédent et il y en aura encore après, car c’est une lutte à long terme que nous menons. Nous avons aussi fait des activités d’expression, nous avons fait des actions de stickers et graffs.

Êtes-vous satisfaites des résultats de vos actions ? Nous avons réussi à éveiller la curiosité des filles, à leur faire prendre conscience qu’elles ont des droits et des libertés. Certaines se sont rapprochées du mouvement et ont pris part à des actions. C’est dans la discussion, dans le débat et en étant présentes que nous avons réussi à les sensibiliser. Elles ont appris aussi qu’il ne faut pas avoir peur de parler de certains sujets parfois tabous, comme les règles, le sexe, le harcèlement qu’elles subissent et le fait de pouvoir de se défendre. En MJ, c’est important de permettre aux jeunes de s’émanciper, nous leur apprenons aussi la liberté !

59


« Je me souviens »

Par Somayeh

Je me souviens des enfants qui étaient en train de jouer à l’extérieur. Je me souviens de m’être levée par une sombre lumière dans les bras de ma mère. Je me souviens que les familles vivaient en paix ailleurs qu’ici. Je me souviens que ma mère pleurait comme les nuages. Je me souviens d’un parc quand les fées se promenaient dans l’univers. Je me souviens d’être fort serrée entre ma mère et mon grand frère. Je me souviens des voitures volant au ciel. Je me souviens que dans la majorité des pays, l’école est obligatoire. Je me souviens quand j’ai dû quitter mon pays natal. Je me souviens que les athlètes couraient effroyablement sur le feu. Je me souviens que la destination m’a fait marcher dans les montagnes pendant des siècles. Je me souviens du soleil qui brillait comme un diamant. Je me souviens de PNL quand il chante sa chanson « dans la légende ». Je me souviens que la bouée s’est dégonflée au milieu de la mer. Je me souviens que les mers et les océans crachent des poissons. Je me souviens de la forêt fantastique. Je me souviens des policiers grecs qui tiraient sur les gens en se croyant dans un jeu. Je me souviens des nuées d’oiseaux migrateurs. Je me souviens que Charles Michel est devenu Premier Ministre. Je me souviens de tout et de rien. Car j’ai recommencé ma vie à zéro, pareille à un bébé qui vient de naître alors que des gens continuaient la leur normalement. 60


61 Ill. : NE DIS MOT


Pérégrinations Par Valérie Hébrant

Alors que l’immigration en Belgique était principalement le fait d’incitations de MARTINIELLO M. et REA A., « Une brève histoire de l’immigration en Belgique », Bruxelles, Belgique, Décembre 2012. 1

MOROKVASIC M., « Femmes et genre dans l’étude des migrations : un regard rétrospectif », Les cahiers du CEDREF, 16 | 2008, 33-56 2

l’État belge jusqu’aux années 1960, la récession économique et l’augmentation du chômage ont entraîné la fermeture théorique des frontières et provoqué de nouvelles formes d’immigration1 : l’arrivée massive de travailleurs immigrants fait place à l’accueil d’individus à la recherche de la protection d’États défendant les Droits de l’Homme, à la mobilité des étudiants, aux regroupements familiaux ou encore à la libre circulation

Photo : Jim Goudie

au sein de l’Union européenne.

62

En 1975, la sociologue Mirjana Morokvasic, pionnière en France de la recherche sur les immigrantes, écrivait dans la revue L’année sociologique : « Les études sociologiques ayant pour objet l’analyse de la situation des femmes migrantes sont pratiquement inexistantes en France. Les femmes migrantes ont été mentionnées et le sont encore, dans le cadre des travaux sur la famille, dans le chapitre sur les enfants, donc dans des domaines considérés “par nature” comme spécifiquement féminins. Dans la plupart des recherches sur l’immigration, les femmes sont en effet le plus souvent appréhendées pour leur statut d’épouse ou de mère au foyer, et toujours reliées à la figure du travailleur immigré. »2

Quarante-cinq ans plus tard, on observe que des études spécialisées ont commencé à prendre en compte l’émancipation des femmes immigrées, remettant en question l’idée répandue selon laquelle elles auraient surtout accompagné les hommes dans l’immigration, et que leur place se serait limitée principalement à la dimension domestique et maternelle.

Cet article traite de la question des femmes dans les migrations. Pour le réaliser, nous avons souhaité croiser trois histoires : celles de trois femmes qui ne se connaissent pas. Il s’agit de trois parcours, de trois générations de femmes issues de trois régions du monde. Carmela a 84 ans, elle est Sicilienne, arrivée avec ses parents à Anderlues à 21 ans en 1956. Antoinette a 66 ans, elle est Rwandaise, arrivée seule à Liège à 21 ans en 1974. Somayeh a 18 ans, elle est Afghane, arrivée à Florennes avec ses parents, ses frères et sa sœur à l’âge de 11 ans en 2011. Avant tout, nous tenons à remercier ces trois femmes hors du commun qui ont accepté de nous raconter un petit morceau de leurs histoires, de leur Histoire.


Qu’est-ce qui amène des individus à tout abandonner pour rejoindre un monde inconnu dont ils ne connaissent pas les codes, sans ressources et sans aucune garantie de subsistance ? « Quand Garibaldi3 est arrivé en Sicile au XIXème siècle, les gens pensaient que la Sicile irait mieux, mais ce n’était pas vrai. En Sicile, des gens mouraient de faim à cause de la mauvaise gestion politique. C’est encore une terre d’émigration aujourd’hui parce qu’il n’y a pas de travail. Je suis née en 1935. J’ai commencé l’école en 1941, en pleine guerre. J’y suis restée jusqu’en 4ème primaire. On avait peur et on ne pouvait pas sortir. On devait tout donner au Gouvernement, c’était la dictature de Mussolini. Alors, j’ai appris à coudre, à tricoter, à broder à la maison. Garibaldi est un militaire et un homme politique italien. Il est considéré, avec Camillo Cavour, Victor-Emmanuel II et Giuseppe Mazzini, comme l’un des « pères de la patrie » italienne.

3

On était riches chez moi, on vivait dans une belle maison, on avait beaucoup de terrains, des ouvriers. Quand la dictature de Mussolini est arrivée, on a tout perdu. Mon papa soutenait Luigi Sturzo4 et le parti populaire italien qui s’opposait au fascisme. Quand Mussolini est arrivé au pouvoir, mon père n’a pas voulu tourner la page, il est resté au parti populaire. On l’a ruiné. On lui a tourné le dos, on lui a tout pris. Nous avons tout perdu. Nous ne pouvions plus payer les ouvriers. Les dettes s’accumulaient. Nous avons fait faillite. Nous avons commencé à partir, mon frère, mes sœurs puis moi. En Sicile, je ne travaillais pas, je faisais tout dans le ménage. Quand je suis partie en 1956, on ne pouvait plus venir avec un permis de travail, engagé par un patron comme les mineurs. Je suis venue chez ma sœur comme touriste et je me suis présentée à la Commune comme chercheuse d’emploi. Je suis allée travailler dans des ateliers de fabrication de pantalons à Binche. On avait un permis de travail. Puis, après six mois ou un an de travail, on avait une carte de séjour. Encore aujourd’hui, je n’ai pas la nationalité belge. J’ai la carte d’identité italienne et la carte de séjour belge. Le Gouvernement belge peut me mettre dehors du jour au lendemain car je suis toujours une étrangère. Alcide De Gasperi, homme d'État italien, qui après la 2e Guerre mondiale, fonde la Démocratie chrétienne. Président du Conseil de 1945 à 1953, soit huit mandats, il est considéré comme l'un des Pères de l'Europe. 5

Luigi Sturzo est un prêtre catholique et un homme politique italien né en Sicile, grande figure du parti populaire italien.

4

On pense souvent que si on part, c’est que dans son pays il n’y a rien et qu’on va vers une vie meilleure. Mais ce n’est pas vrai. En Belgique, il y avait du travail et on te payait. Oui, mais on n’avait rien. Mon frère et mes sœurs vivaient dans des baraques. Ils sont venus en Belgique (ma sœur en 1947, mon frère en 1952, mon autre sœur en 1953) parce que le Gouvernement italien de Gasperi5 a fait le tour de l’Europe pour faire émigrer les gens, les faire travailler après la guerre. La Belgique avait du travail dans les mines. Le Gouvernement belge donnait 300 kg de charbon par mois à l’Italie par ouvrier qui arrivait. Si tu ne voulais pas descendre dans la mine, on t’expatriait en Italie et tu ne pouvais plus quitter le pays. C’était la mine ou rien pour les hommes. Les femmes, quant à elles, allaient travailler dans les ateliers. Pourtant, on continuait à venir... Quand j’y réfléchis aujourd’hui, je ne regrette pas d’être partie parce que je ne sais pas quelle vie j’aurais eue là-bas. En tant que femme, renfermée dans les maisons, on ne pouvait pas sortir. Nous étions accompagnées même pour aller à la messe. Mais mon pays me manque, la beauté de mon pays. La Sicile, c’est le jardin de l’Europe. » — Carmela

63


« Je suis née au Rwanda en 1953. En 1955, mon père a été envoyé à Usumbura, capitale du Rwanda-Urundi — du temps de la colonisation, de la tutelle belge — pour travailler. Il était un des premiers intellectuels rwandais à travailler dans l’administration coloniale. On a été envoyés à Usumbura jusqu’en 1962 au moment de l’indépendance du Rwanda-Urundi qui redevenait deux pays, comme ils l’avaient toujours été, deux ans après l’indépendance du Congo. En 1962, au Rwanda, les pogroms6 avaient commencé. Les Belges ont dit aux Rwandais de leur administration de rentrer au Rwanda. Mais mon père a refusé de rentrer dans un pays où on tue une partie de la population. Mon père était Hutu et ma mère était Tutsi. Ils avaient des enfants et ne voulaient pas se jeter dans la gueule du loup. On est restés au Burundi. On est devenus réfugiés de facto. L’administration burundaise a tout de suite engagé mon père car il avait de l’expérience mais nous n’avons jamais demandé la nationalité burundaise. Comme nous refusions de rentrer, nous sommes devenus ennemis du Rwanda et nous n’avions pas le droit d’avoir des papiers rwandais. Et comme nous n’avions pas demandé à être Burundais, nous n’avions pas de papiers. Nous sommes devenus apatrides. C’est pour ça que je suis venue en Belgique avec un titre de voyage pour apatride. Je suis venue pour étudier à l’Université de Liège en 1974. Je fuyais la guerre au Burundi. En tant que Rwandaise, je n’ai pas eu la bourse du Gouvernement burundais mais j’ai eu une bourse du bureau du HCR7 au Burundi qui aidait les étudiants rwandais. Je suis venue pour terminer ma licence en romane à l’ULG (j’avais fait les candidatures à l’Université de Bujumbura). Ma famille s’est retrouvée au Congo et moi je suis arrivée en Belgique où je suis restée. J’ai fini mes études en 1978 et je me suis mariée en Belgique. Je suis devenue belge. J’ai travaillé dans l’enseignement et dans les associations d’alphabétisation. J’ai terminé ma carrière comme prof de français il y a quatre ans.

64

6 Émeute sanglante dirigée contre une minorité ethnique ou religieuse. 7

Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.

Dominique Pire est un prêtre et religieux dominicain belge qui reçut le Prix Nobel de la paix en 1958 pour son travail en faveur des réfugiés après la Seconde Guerre mondiale. 8

À mon époque, les événement politiques étaient à l’origine de la migration en Afrique Sub-Saharienne. Nous n’étions pas des migrants économiques. La guerre nous faisait partir, la précarité liée à la guerre, au génocide, comme celui qui a eu lieu au Burundi où je vivais. Nous, les Rwandais qui vivions au Burundi, nous arrivions à trouver des bourses d’études via des organismes comme le HCR ou des associations comme celle du père Dominique Pire8. On nous aidait à partir étudier, mais c’était pour nous envoyer dans des pays plus « sécures ». C’était beaucoup plus facile que maintenant. Il n’y avait pas de jeunes qui embarquaient dans des bateaux pour aller mourir en Méditerranée. Il n’y avait pas de passeurs. C’était il y a quarante ans, c’était une autre insécurité. C’était moins dramatique.


C’est Marthe, une amie burundaise qui étudiait l’histoire à Liège qui m’a accueillie. J’ai eu la chance d’avoir quelqu’un qui m’a accueillie. Marthe a davantage souffert. Elle a galéré pour trouver un kot. Il y avait du racisme. Des gens refusaient de loger les étrangers, comme aujourd’hui d’ailleurs. C’était le parcours du combattant. Ce n’est pas facile de se heurter à des refus. Ça, ce n’est pas une violence de l’État, c’est la bêtise des gens. Elle a trouvé un logement et m’a accueillie. Pour moi, cette étape était déjà franchie. On était dans la même faculté. J’ai vraiment eu de la chance de venir la retrouver. À l’époque, en Philosophie et Lettres à l’ULG, il n’y avait pas beaucoup d’étudiants africains. Il n’y avait que Marthe et moi. Ce n’est que plus tard que certains étudiants africains se sont organisés pour en accueillir d’autres, comme cela existait à Louvain. La bourse permettait de se loger mais je travaillais aussi dans les archives pour arrondir la bourse du HCR. Il fallait se débrouiller pour payer le logement, les soins de santé, etc. Je trouve que je suis arrivée dans de bonnes conditions en venant dans le cadre des études. J’avais une bourse, un papier du HCR. Donc j’avais le droit de rester le temps de mes études et de m’inscrire à une mutuelle. On était privilégiés par rapport à ceux qui venaient pour d’autres raisons. Mais à l’époque, c’était surtout des étudiants ou des travailleurs. Ce n’était pas cette migration du désespoir comme on la voit aujourd’hui. Et pour l’Université, c’est le professeur Gossiaux (mon futur mari) que j’avais eu comme prof à Bujumbura qui s’était occupé de mon inscription. J’étais arrivée en retard parce que l’Ambassade de Belgique ne me donnait pas de Visa et le HCR a dû intervenir. Les apatrides n’obtenaient pas de visas. Il fallait des recommandations, une inscription, des garants. On avait aussi des interviews. On était convoqué à la police pour raconter notre vie et la raison de notre présence. Comme j’arrivais légalement avec une inscription à l’Université et une bourse du HCR, je pouvais avoir un titre de séjour provisoire jusqu’à la fin de mes études.

Quand j’ai eu fini ma licence et mon agrégation, alors que j’avais demandé la naturalisation belge, on m’a expulsée. J’ai reçu un avis d’expulsion. C’était automatique parce que j’avais fini mes études. Je ne pouvais pas travailler en Belgique. Ils refusaient de prolonger ma carte de séjour alors même que la procédure de naturalisation était en cours. En tant qu’apatride, ils n’allaient pas me renvoyer au Rwanda ou au Burundi : ils voulaient me déposer à Maastricht ou à Aix-la-Chapelle, à la frontière la plus proche. Ça a duré un mois, le temps d’obtenir ma naturalisation. Et je me suis mariée. » — Antoinette

« Je suis arrivée d’Afghanistan à l’âge de 11 ans avec ma famille. Je vis à Florennes, mais nous sommes passés par Bruxelles et la province de Luxembourg au cours de la procédure de demande d’asile. Au pays, je me battais pour survivre parce qu’il y a la guerre. Quand mon papa sortait, on avait peur qu’il ne revienne pas. On a décidé de quitter notre pays. On a dû travailler, vendre notre maison et nos terres. On a marché trois mois pour venir jusqu’en Belgique. Il y avait la peur, le froid, la faim. On a dû quitter nos familles, nos amis, là où on parle notre langue, où les choses sont faciles pour nous. Ça fait six ans que nous sommes ici. Nous avons dû apprendre la langue pour résoudre nous-mêmes nos problèmes parce que personne n’allait le faire à notre place. On a dû se battre pour obtenir des papiers, pour rester ici, étudier et devenir quelqu’un dans la vie. » — Somayeh

65


Quelle est la place d’une femme dans cet exode ? « C’était plus difficile pour ma maman car elle a grandi en Afghanistan et est imprégnée de la mentalité de là-bas où elle n’osait pas sortir ou quitter sa famille. Elle a sacrifié sa vie pour nous, pour sortir du pays et faire le voyage. C’était vraiment difficile. J’étais petite. Elle devait s’occuper de moi, de ma sœur et de mes frères. Le chemin était vraiment difficile. On avait froid. On n’avait pas à manger. Maman ne mangeait pas pour que nous ayons à manger. C’est vraiment notre héroïne en tant que femme. Nous sommes arrivés en Belgique et depuis, ici aussi, elle sacrifie sa vie. Elle s’occupe de la maison, elle ne veut pas qu’on y travaille pour qu’on consacre notre temps à étudier. Elle est très forte, même si elle ne sait pas bien parler français. Après plusieurs années, elle a vu les droits des femmes dans la société belge et elle a compris. À présent, elle sort, elle va à l’école. Elle apprend la langue. Elle demande à mon papa de l’aider dans les tâches ménagères. Elle dit qu’elle n’est pas notre esclave. Je suis très contente qu’elle dise cela aujourd’hui parce que pour elle, la femme était une esclave et là, elle a compris qu’elle n’a pas à en être une. Elle commence aussi à s’ouvrir l’esprit. Elle accepte mes amis. Mon meilleur ami est un garçon et il est bien accueilli à la maison. Je trouve qu’elle s’est bien intégrée. Elle dit que ce qu’elle n’a pas pu faire, elle veut que ses enfants le vivent pour qu’on ne dépende de personne. » — Somayeh

66

9 Phenix Works est une usine de sidérurgie située à Flémalle-Haute, en Belgique. L'entreprise a été créée en 1905 par Paul Borgnet et a été intégrée à la SA Phenix Work en 1911. Elle est spécialisée dans les aciers revêtus, tels que l'acier galvanisé.

« J’ai rencontré mon mari et on s’est marié en 1957 au Consulat italien de Charleroi et à l’église d’Anderlues. Au début, c’était le vrai amour de jeunesse. Nous avions 22 et 24 ans. Je suis tombée enceinte de mon fils et deux ans plus tard de ma fille. Mais on n’avait rien et on avait besoin de tout. On était à trois ménages dans la même maison avec la famille de mon mari. Je travaillais pour toute la famille. Pour nous éloigner de la famille de mon mari, on a déménagé à Flémalle. On n’avait rien du tout à part des dettes. Mon mari avait eu un accident dans la mine et il ne travaillait pas tout le temps. Moi, j’étais habituée chez moi. J’allais à l’église et je restais à la maison. Mais je ne savais rien et je ne connaissais rien. Je savais qu’il fallait travailler et prendre ses responsabilités, mais mon mari ne prenait pas les siennes. Moi, je voyais le chemin droit mais lui avait peur de tout. Il ne gardait rien pour le lendemain. Chez moi, on disait « laisse toujours un morceau pour demain ». Je n’avais pas de quoi m’habiller, pas assez pour manger. J’avais deux enfants et mon mari n’était jamais là. Mais il a fini par comprendre. À force de discuter, il a compris qu’on avait deux enfants et qu’il fallait travailler. Moi, je n’ai jamais arrêté de travailler : je cousais, je faisais des ménages, je travaillais comme femme d’ouvrage à l’usine. J’ai toujours travaillé, travaillé pour quatre. J’ai appris le français ici, en travaillant. J’apprends vite. J’ai appris parce que j’ai dû m’occuper de tous les aspects administratifs parce que mon mari ne gérait pas : la mutuelle, le prêt, les contributions,... J’ai toujours trouvé les portes ouvertes. Si je n’avais pas pris ça en mains, on n’aurait jamais eu notre maison. J’ai pris ma liberté. Mes sœurs n’ont jamais appris le français. Elles sont restées à la maison. Moi, je suis toujours sortie, je me suis débrouillée toute seule parce que mon mari ne s’occupait de rien. Il n’y avait personne pour m’aider. Je faisais tout toute seule.


Mon mari est mort il y a quatorze ans. Il a fait huit ans de mine, deux ans de haut-fourneau, douze ans de four à zinc et le reste à Phenix9. Quand il est mort à 72 ans, il n’avait plus de poumons. J’ai lutté onze ans pour qu’on reconnaisse la maladie professionnelle. On le soignait pour asthme allergique, mais il avait une fibrose pulmonaire. On avait fait la demande au syndicat italien pour faire reconnaître la maladie mais elle a été refusée, rejetée. Il est mort deux ans après. J’ai pris un avocat et j’ai continué pendant onze ans après son décès pour faire reconnaître la maladie professionnelle. À la dernière audience, la loi avait changé : la Belgique ne reconnaissait pas la fibrose pulmonaire, mais l’Europe bien. Finalement, la Belgique a changé la loi. Et on a gagné contre le Fonds des maladies professionnelles. J’ai obtenu deux ans d’arriéré dans un premier temps, puis finalement onze ans. J’ai juré devant la Vierge Marie que je préférais donner cet argent aux pauvres que de le laisser à l’État car mon mari a été mal soigné pendant trente ans pour asthme allergique. On aurait pu avoir un château tellement on a dépensé de l’argent. J’ai toujours prié la Vierge Marie, c’est elle qui nous illumine. Quand j’étais enceinte de ma fille, j’ai voulu la perdre parce que j’étais traumatisée de misère, je ne savais pas si je pourrais lui donner à manger. Alors j’ai prié la Vierge Marie et j’ai décidé de la garder. Il y avait à manger pour son frère, il y aurait à manger pour elle aussi. Les enfants ont grandi, ils sont allés à l’école. Mon fils a fait des longues études, ma fille aussi. Ils sont tous les deux mariés. Ils ont chacun deux enfants. Mon petit-fils est professeur d’histoire et président de l’association des émigrés de Slovénie italienne en Belgique (l’Union slovène). À refaire, je recommencerais tout pareil, n’importe où car aujourd’hui, mes quatre petits-enfants sont tous universitaires. Je ne sais pas quelle vie j’aurais eue si j’étais restée là-bas. » — Carmela

Denis Mukwege est un gynécologue et militant des droits humains congolais. Surnommé « l'homme qui répare les femmes », il a reçu de nombreuses distinctions pour son engagement contre les mutilations génitales pratiquées sur les femmes en République démocratique du Congo, dont le prix Sakharov en 2014 et le Prix Nobel de la paix en 2018. 10

« En tant que femmes, c’est plus tard qu’on a commencé à militer dans les pays d’origine. Au Burundi, au Rwanda, la question de ces droits est arrivée après la situation de guerre, de génocide. C’est après que le combat pour le droit des femmes a commencé. Après le génocide, elles étaient majoritaires puisque les hommes étaient soit morts, soit en prison, soit en fuite. Les femmes avaient beaucoup souffert des viols et des mutilations. Mais en général on les avait laissées en vie, mutilées, contaminées mais en vie. Devenues majoritaires, il a fallu reconstruire le pays et elles ont pris conscience de leur force. Le régime a décidé de donner une place prépondérante à la femme. Le Rwanda est cité en exemple parce que les autorités se sont engagées en imposant notamment des quotas de femmes au Parlement où elles sont à présent majoritaires. Le combat des femmes, c’est maintenant en Afrique. Après les guerres du Congo, les viols de guerre, tout le mal qu’on a fait aux femmes et que Denis Mukwege10 dénonce. Après les horreurs commises contre elles, les femmes sont sensibilisées au combat pour leurs droits et leur dignité. Les associations de femmes se sont constituées. Ici à Liège, les femmes de la diaspora africaine agissent pour impulser des projets au pays. Nous [la diaspora africaine] cotisons pour financer des projets et des politiques publiques. Ce sont souvent les femmes qui en sont à l’initiative. Il y a des projets de femmes pour les femmes : pour les veuves du génocide, pour les femmes contaminées par le sida ou pour les enfants du viol. Les communautés s’entraident depuis les différents pays d’émigration. Les communautés des différents pays d’origine s’entraident également. On essaie de faire en sorte que toutes les femmes d’Afrique centrale (du Burundi, du Rwanda et du Congo) travaillent ensemble pour des projets qui nous concernent. Par exemple, la situation au Kivu impacte les trois pays. Les populations violentées par les milices armées sont issues des trois régions. Les frontières sont perméables. Entre diasporas de voisins, on essaie d’agir.

67


Comme ce sont des pays pauvres, encore plus appauvris par les guerres, on commence d’abord par vouloir relever son pays. Mais le relever sans vouloir relever le pays d’à côté, ça ne sert à rien. La question des réfugiés notamment fragilise la situation. Le Rwanda a récemment accueilli 80  000 Burundais qui ont fui Nkurunziza11. Et 170  0000 Congolais y vivent depuis longtemps, dans un tout petit pays comme le Rwanda12. Quand on voit les chiffres des réfugiés accueillis par ces petits pays pauvres, c’est énorme. Le combat des femmes est très fort aujourd’hui, il est la conséquence de ce génocide. Il fallait se relever. » — Antoinette

11 Pierre Nkurunziza est un homme d'État burundais, à la tête du Conseil national pour la défense de la démocratie et des Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD). Il est élu président de la République depuis 2005. En 2015, il décide de briguer un troisième mandat, ce qui est contraire à l'article 96 de la constitution du Burundi. Sa candidature a entraîné de graves violences et la fuite de plus de 160  000 burundais vers les pays voisins, inquiets des conséquences. 12 Le Rwanda a une superficie de 26  000  km² (un peu moins que la Belgique) et une population de 12 millions d’habitants.

Pourquoi les appartenances de ces oiseaux migrateurs sont-elles si complexes ? « Je suis musulmane, je suis "brune", j’ai quand même un accent. Je ne maîtrise pas très bien la langue mais j’essaie de me débrouiller et réussir dans la vie. Beaucoup de gens sont gentils avec moi, mais chez la plupart, il y a une petite part de racisme, même pour rigoler. Lancer des petites blagues, ça vexe quand même toujours. Beaucoup de personnes ne sont pas d’accord que les étrangers restent en Belgique. Il y a beaucoup de discours contre les étrangers : "on doit payer des impôts pour les étrangers, ils prennent nos emplois, ils occupent notre pays". On n’a pas toujours le droit d’être nous-mêmes. Par exemple, les musulmanes qui veulent porter le voile alors que c’est interdit dans certaines écoles. Je trouve que si la Belgique est un pays démocratique, on devrait être libres de faire ce qu’on veut et de nous habiller comme on veut. Ces droits ne sont pas respectés. On est pénalisés à cause de l’islamisme et du terrorisme. Ce n’est pas à cause de l’islam. C’est parce que les gens font ça au nom de l’islam. Mais je vis ici aujourd’hui et si je ne peux pas aider mon pays, j’espère être d’une manière utile pour la Belgique. » — Somayeh

68

« J’ai deux pays en Afrique : le Burundi et le Rwanda. Le Burundi, c’est le pays de mon enfance et de mon adolescence. Le Rwanda je l’ai redécouvert adulte. Il fait partie de ma vie d’adulte. Je l’ai fui à l’âge de deux ans et je n’y suis retournée qu’en 1981 à l’âge de vingt-sept ans, quand je suis devenue belge (je n’ai pu y retourner que parce que j’avais un passeport belge, sinon l’Ambassade du Rwanda ne me donnait pas de Visa). J’ai redécouvert le Rwanda dont je n’avais aucun souvenir. J’y suis ensuite allée chaque année en vacances pour voir mes parents jusqu’en 1990, au début de la guerre civile. Je n’y suis retournée que fin juillet 1994, après le génocide — mes parents, mes frères et sœurs y ont été tués. Maintenant, depuis ma pension, j’y vais chaque année cinq à six mois par an et à présent, avec les "anciens" qui vont se réinstaller là-bas, on se croise au Rwanda. Ceux qui avaient fui dans les pays limitrophes (Congo, Burundi, Tanzanie) sont rentrés directement se réinstaller après le génocide. Beaucoup avaient trouvé du travail et avaient même la nationalité du pays d’accueil. Mais le Rwanda post génocide a décidé que peu importe la nationalité acquise à l’extérieur, dès lors qu’un des parents était rwandais, vous étiez rwandais. Je me sens Rwandaise, Burundaise et Belge et plein d’autres choses aussi. » — Antoinette


« [En Belgique], j’ai toujours été bien reçue. J’ai toujours été bien avec tout le monde. Je n’ai jamais été chez les Siciliens mais on allait à toutes les fêtes de la communauté slovène d’Italie dont était issu mon mari. Cette association13 existe depuis cinquante ans [1968], mon petit-fils en est aujourd’hui le président et ma petite-fille en est la secrétaire14. UNIONE EMIGRATI SLOVENI DEL FRIULI VENEZIA GIULIA a été créée avec pour objectif prioritaire de mettre en réseau toutes les personnes nées dans le Frioul-Vénétie Julienne ou avec des familles et des racines dans la région qui ont déménagé à l'étranger. Et aussi toute la communauté de Slovènes résidant ou originaires de Frioul Vénétie Julienne — www.borninfvg.com 13

14 15

Pour la section belge.

« Sale bête » en wallon.

Ils ont organisé récemment une conférence mondiale à Palerme avec cette association qui rassemblait des communautés italiennes présentes dans le monde entier. Dans tous les pays du monde, il y a des Italiens. Mais aucun journaliste n’a couvert l’événement. La politique de fermeture des frontières de Salvini fait oublier que les Italiens ont été maltraités quand ils partaient, il y a septante ans d’ici. Il est né hier lui, Salvini ? Måssî biesse15 ! Il ferme les portes, il refuse de laisser débarquer les immigrés. Il crie à la télévision de ne pas les laisser venir. Salvini laisse mourir les gens dans la mer puis on le voit prier le bon Dieu à la télévision. Ces Italiens qui crient après lui sont pires que les Wallons qui disaient "Måssî macaronis, allez dans votre pays manger votre pain". Ils ne voulaient même pas louer des maisons aux Italiens. Alors l’Italie maintenant, elle a oublié ? Mais les vieux, ceux qui ont vécu la guerre et l’immigration, qui ont dû vivre à l’étranger ou les familles de ceux qui ont migré aux États-Unis au XIXème siècle, ils ne parlent pas comme ça, ils sont comme moi, ils sont plus humains. Depuis toujours, les gens ont voyagé. Ce sont des pays européens comme la Belgique qui envoient les armes dans les conflits en Afrique. Il faut l’interdire, c’est un crime contre l’humanité. Je ne comprends pas qu’on laisse mourir les gens comme ça au troisième millénaire. La méditerranée est un cimetière. » — Carmela

CONCLUSION À travers ces trois témoignages, on constate que la question du lien aux origines est prégnante. « En tout être humain se rencontrent des appartenances multiples16 ». Notre identité est multiple et ne dépend pas que de nous. Elle est liée à notre histoire, notre environnement, notre éducation et nos diverses socialisations. Certains aspects de notre identité que nous valorisons le plus ne sont peut-être pas les dimensions par lesquelles d’autres nous définissent. Chacun vit à la frontière de plusieurs « communautés ». Pour les personnes immigrées, le pays d’accueil n’est « ni une page blanche, ni une page achevée, c’est une page en train de s’écrire »17. « Le chemin peut être long. Durant un temps, on lutte pour soi, on termine d’abord ce pourquoi on est là, pour asseoir sa vie. Ensuite, les priorités évoluent et c’est à ce moment-là qu’on peut apporter à son pays [d’origine]. Ça commence par des associations que l’on crée, car seul, on ne peut rien faire. L’individualisme forcené, c’est un concept de pays riches. Dans les pays en construction, ou en reconstruction, que peut-on faire tout seul ? C’est par le collectif, en réunissant les énergies, qu’on arrive à avancer et à sortir soi-même de

cet état qu’on a traversé, de cette précarité, avec des assises plus solides pour être en mesure de rendre ce que le pays d’accueil nous a donné. Alors seulement, on peut le renvoyer à son pays d’origine. » — Antoinette A. MAALOUF, « Les identités meurtrières », Éd. Grasset, Paris, 1999. 16

17

Ibid.

Selon ce schéma, on est en droit de penser que Somayeh, en tant que membre de la diaspora afghane, sera de celles et ceux qui reconstruiront demain l’Afghanistan et lutteront pour les droits des femmes afghanes comme le fait Antoinette. Et ses petits-enfants seront peut-être eux-mêmes les porte-voix de cette diaspora en faisant vivre la culture afghane là où ils vivront, à l’image des petits-enfants de Carmela.

69


La place des femmes dans l’espace public

Dénoncer pour agir Par Adèle Dupont

Être femme au quotidien Aller chercher le pain, revenir de soirée, attendre les enfants à la sortie de l’école, vivre un concert, boire un verre en terrasse, manifester, ou simplement se balader sont des situations vécues différemment par les femmes dans l’espace public. Pourquoi ? Parce que le sexisme ordinaire et le harcèlement persistent dans l’espace public. Parce que l’égalité homme-femme n’est ni admise, ni appliquée sous toutes ses coutures dans la société actuelle. Aujourd’hui, la plupart des actes de sexisme ordinaire sont implicitement considérés comme « pas assez graves » pour être dénoncés et entendus. Or, sans revendication, il n’y a pas d’action et donc pas de changement. Pour un monde plus égalitaire dans l’occupation de l’espace public, il faut dénoncer la banalisation maladive des actes et paroles violents et sexistes incarnée par la société actuelle. Des filles, partout dans le monde, sont déterminées à lutter contre les stéréotypes, les préjugés et la discrimination qui limitent leur pouvoir. Elles ne peuvent pas continuer à être seules dans ce combat.

Nous allons, à travers cet article, essayer d’étayer ce qu’est le harcèlement, quelles sont les initiatives qui permettent de le mettre à jour et quels sont les réels impacts du sexisme qu’il représente.

70


Le sexisme ordinaire, c’est quoi ? Le sexisme ordinaire, en s’appuyant sur une notion de ressenti, c’est lorsque que la personne visée est envahie par un sentiment de malaise. Lorsque les femmes parlent de leur expérience du sexisme, elles témoignent être désorientées, démunies, déroutées, déstabilisées, dépourvues... Elles sont privées « de ». Elles sont privées du pouvoir d’agir. Ainsi, ce sentiment s’apparente à celui de l’infantilisation, l’humiliation, la déstabilisation ou encore l’exclusion. Finalement, c’est quand la victime féminine se sent étrangère dans un monde où la majorité des hommes évolue à son aise.

Le sexisme ordinaire est pratiqué au quotidien. Il peut être bienveillant, lourd, évident ou insidieux. Peu importe la forme qu’il prend, il laisse sur son passage des blessures microscopiques qui suffisent à asseoir la domination masculine. L’impact du sexisme ordinaire est énorme puisqu’il opère par mini-attaques contre l’estime de soi, la confiance en soi et la légitimité d’être ou d’exister. Les « réactions » adoptées par les victimes sont généralement dictées par la banalisation. Ces dernières s’habituent, se résignent, déménagent ou se font une raison. D’une certaine façon, elles capitulent face à la majorité et à l’ampleur du fléau à combattre. Cette banalisation est une conséquence du manque d’alliés et de sensibilisation aux attitudes et propos sexistes. Le travail à mener est alors dans la dénonciation, la sensibilisation et enfin la libération des femmes enclavées dans ce système harcelant.

Photo  : Lum3n.com from Pexels

Le harcèlement, c’est quoi ? Le harcèlement est un enchaînement d’agissements hostiles répétés visant à affaiblir psychologiquement la personne qui en est la victime (par exemple : réitérer une demande avec insistance alors que l’autre a déjà refusé à plusieurs reprises d’y répondre positivement). Il peut être de différentes sortes et prendre plusieurs formes. On parle généralement de harcèlement psychologique, moral ou sexuel. Le type de harcèlement qui nous intéresse tout particulièrement dans cet article est le harcèlement dans la rue ou dans les évènements. En d’autres termes, nous parlerons de harcèlement au quotidien dans l’espace public.

Ce harcèlement commun auquel les femmes font face au quotidien va des interpellations insistantes aux insultes en passant par les attouchements non consentis. Ce harcèlement, les remarques déplacées, les « Psst mademoiselle », les « File ton numéro », « Salope », « Quoi t’as un mec que tu ne me réponds pas », les rapprochements insistants, les mains aux fesses, existent depuis toujours. Tout cela ne change pas. Néanmoins, ce qui change ces dernières années, c’est qu’on en parle ! 71


Dénoncer pour agir Un des éléments majeurs qui a débloqué la parole autour du harcèlement de rue en Belgique est le reportage « Femme de la rue » de Sophie Peeters. Cette réalisatrice a mené l’enquête dans le cadre de son travail de fin d’études en 2012. Son reportage met en images et présente sans filtre le vécu des femmes en ville qui sont suivies, interpellées, fixées du regard ou encore insultées. Il questionne les comportements et attitudes sexistes masculins et récolte quelques témoignages parfois interpellants, parfois éclairants. Enfin, il relate quelques stratégies adoptées par les citadines bruxelloises pour éviter ces violences quotidiennes (déménagement, ignorance, adaptation).

Ce reportage a évidemment fait écho auprès de nombreuses femmes qui s’y sont reconnues, mais pas seulement. L’engouement des médias pour la diffusion de ce travail a permis qu’il soit entendu comme une réelle revendication politique. Après avoir beaucoup tourné et suite à l’appropriation de la cause par les citoyens et citoyennes, une loi a été érigée. Ainsi, la loi du 22 mai 2014 est entrée en vigueur. Cette loi tend à lutter contre le sexisme dans l’espace public. Les différentes formes de harcèlement sexuel et de rue commis dans les lieux publics sont désormais punissables. Cette loi est la première reconnaissance légale en Belgique des comportements sexistes œuvrant à leur répression. Les amendes et cette loi ne règleront certainement pas le problème du harcèlement de rue mais elle a le mérite de mettre en lumière la problématique et de légitimer le combat citoyen visant sa lutte. Plusieurs initiatives ont vu le jour depuis que cette problématique s’est faite une place au-devant de la scène en Belgique. Nous allons parler de l’une d’entre elles, il s’agit du Plan Sacha.

Le Plan Sacha, c’est quoi ? Le Plan Sacha est né de l’initiative de bénévoles militants et engagés au sein de l’« ASBL Z ! ». Cette ASBL, reconnue depuis peu en éducation permanente, œuvre à la transition sociale et écologique tout au long de l’année et à travers deux festivals remarquables. À l’occasion de la quatorzième édition du festival Esperanzah ! et de la campagne sur les rapports de genre (« Le déclin de l’empire du mâle »), ces bénévoles ont mis sur pied le Plan Sacha. L’intention était alors de combattre le sexisme ordinaire en sensibilisant à la banalisation du harcèlement de rue et ainsi, le mettre en évidence. 72

Le Plan Sacha — Safe Attitude Contre le Harcèlement et les Agressions en Festival — travaille principalement autour de quatre axes : la prévention, la sensibilisation, la prise en charge professionnelle et la formation. CHACUN DE CES AXES SE TRADUIT PAR DES ACTIONS CONCRÈTES PRENANT VIE DANS LES FESTIVALS : La prévention passe essentiellement par l’affichage de gigantesques bannières chocs dénonçant des réflexions sexistes que l’on côtoie tous les jours sans même plus y porter attention. La sensibilisation démarre d’un petit guide illustré du respect dans les rues, d’une « safe-zone » pour discuter de situations particulières en passant par un jeu qui interpelle les limites de la place des femmes dans nos préconceptions jusqu’aux stands distribuant des « kits Sacha ». Une des actions fortes pour la sensibilisation du Plan Sacha est le port du « badge Sacha ». Il témoigne du soutien des personnes qui le portent envers les personnes qui auraient besoin d’aide. Il signifie que l’on est un allié pour les personnes victimes de harcèlement ou d’agression et donne ainsi de la visibilité à la campagne.


Le troisième axe, la prise en charge professionnelle, est un réel service d’accompagnement psychologique (avec des travailleurs sociaux et des psychologues ainsi qu’une permanence psychologique). Cet axe témoigne de l’importance d’avoir un processus complet et cohérent pour que la cause soit réellement prise au sérieux.

Enfin, le dernier axe, celui de la formation, permet à n’importe quel festivalier de « devenir Sacha ». Devenir Sacha, c’est s’inspirer du « Bob » et devenir une personne vigilante aux cas de harcèlement et de violence sexuelle en festival après avoir passé une mini formation de quinze minutes sur le site du festival. L’idée est alors qu’à terme, toutes les équipes et tous les festivaliers soient formés pour être des alliés Sacha en festival et ailleurs. Le projet pilote du Plan Sacha est lancé en été 2018 au festival Esperanzah ! en concomitance avec l’enquête de l’ONG du Plan international qui interrogeait plus de millesix-cents jeunes sur la question du harcèlement en festivals. Cette coexistence de constats et d’intérêt pour la question n’a fait qu’encourager l’initiative visant la sensibilisation au sexisme ordinaire des publics jeunes. Après avoir été salué par le Ministère de l’Égalité des chances et par les acteurs du secteur, le Plan Sacha est encouragé à aller plus loin et espère partager l’expérience avec les autres festivals et évènements festifs jeunes. Combattre le sexisme ordinaire, la banalisation du harcèlement de rue et défendre la place des femmes dans l’espace public, ça passe aussi et surtout par la dénonciation. Il faut dénoncer pour agir. Il faut rendre visible pour agir puisque c’est en se fondant dans le quotidien que les violences sont insidieuses et les plus destructrices.

Sources : • GRÉSY B., « Petit traité contre le sexisme ordinaire », Documents, Albin Michel, 2009. • INSTITUT POUR L’ÉGALITÉ DES FEMMES ET DES HOMMES, « Loi sexisme », consulté le 11-04-2019, https://igvmiefh.belgium.be/fr/activites/discrimination/sexisme/loi_sexisme • RTBF, « Sofie Peeters - Femme de la rue (Bruxelles) », Reportage Question à la Une, 2016, consulté le 11-04-2019, https:// www.dailymotion.com/video/x3fb4sp • DOSSANTOS G., « Contre le harcèlement en festival, les jeunes Belges ont des solutions », Festivals, Newsmonkey, 12 septembre 2018, consulté le 10-05-2019, http://fr.newsmonkey.be/ article/25927?utm_source=Twitter&utm_ campaign=SocialMedia&utm_medium=social&utm_content=PostContent • JÉRÔME, « Plan Sacha, safe attitude contre le harcèlement et les agressions en festival », Esperanzah !, 21 juin 2018, consulté le 10-05/-2019, https://www.esperanzah.be/plan-sacha-safe-attitude-contre-le-harcelement-et-les-agressions-en-festival/,

SOYONS TOUTES ET TOUS SACHA DANS LE SECTEUR QUI NOUS ANIME ET QUI LUTTE POUR DES CAUSES JUSTES ET FONDAMENTALES.

POUR QUE LE HARCÈLEMENT NE PASSE PLUS INAPERÇU. POUR QUE LE SEXISME NE SOIT PLUS QU’EXTRAORDINAIRE. POUR QUE LA PLACE DES FEMMES DANS L’ESPACE PUBLIC SOIT PLUS SEREINE ET ASSUMÉE. 73


74


Cycloparade féministe

Solidarité avec les femmes du monde entier !

Par Sarah Beaulieu

Le 8 mars dernier, à l’occasion de la deuxième édition de la cycloparade féministe de Liège, près de 1700 personnes se sont rassemblées en faveur des droits des femmes. Un évènement à l’initiative du collectif « Collectives et Ardentes » composé de onze associations qui œuvrent toutes pour les droits des femmes.

CETTE ANNÉE, L’ACCENT ÉTAIT MIS SUR L’INTÉGRITÉ PHYSIQUE DES FEMMES AVEC POUR SLOGAN PHARE :

«HAUT LES MAINS, MON CORPS C’EST LE MIEN ! ».

C’est également au travers de huit revendications que ce collectif a souhaité redonner une place aux droits des femmes au sein de l’espace public liégeois1 :

1 « Cycloparade féministe 2019 : dossier de presse », Liège, https:// associations-solidaris-liege.be/wp-content/ uploads/2019/02/Cycloparade-F%C3%A9ministe-2019_Dossier-depresse.pdf

1. Pour un féminisme solidaire avec les femmes du monde entier 2. Contre l’invisibilité des femmes 3. Pour une société où chaque femme serait libre d’être elle-même 4. Pour une protection optimale des services publics 5. Pour l’individualisation des droits (en lien avec la sécurité sociale) 6. Pour une meilleure représentation des femmes en politique,    ou ailleurs,... 7. Pour une meilleure prise en charge médicale des femmes 8. La publicité on n’en veut pas !

75


Pourquoi une « cyclo » parade ? Pour les organisatrices, c’est un prisme intéressant pour parler des femmes dans la sphère publique car encore aujourd’hui, dans de nombreuses régions du monde, les femmes n’ont toujours pas le droit de circuler seules. Même chez nous, l’égal accès à la mobilité est visé. De nombreuses zones ne sont toujours pas desservies en transports publics et les familles monoparentales en situation de chômage en sont le plus touchées.

2 GIOT M., « Liège : une cycloparade féministe pour la journée internationale des droits des femmes », Interview, RTBF, 08 mars 2018 à 18h06, https:// www.rtbf.be/info/regions/ liege/detail_liege-unecyclo-parade-feministepour-la-journee-internationale-des-droits-desfemmes?id=9861203.

Un autre exemple symbolique mais assez frappant également : rien qu’à Liège, 33.5% des noms de rue sont dévolus aux hommes et seulement 1.6% des noms de rue sont dévolus aux femmes2. Pourtant, un nombre incalculable de femmes artistes, scientifiques, uniques ont été trop souvent « occultées » par l’histoire. Plus qu’anecdotique donc, l’enjeu de la visibilité des femmes dans l’espace public est revendiqué par les organisateurs-trices de la cycloparade féministe.

CAUCHIE C., « Violences faites aux femmes : au moins 11 féminicides répertoriés depuis début 2019 », Société, RTBF, 07 mai 2019 à 15h15, https:// www.rtbf.be/info/societe/ detail_violences-faitesaux-femmes-au-moins11-feminicides-repertories-depuis-debut2019?id=10214127 3

4 Plus d'infos sur Stop Féminicide — www.stopfeminicide.blogspot.com

76

À l’heure où depuis début 2019, en Belgique, au moins onze femmes ont été victimes de féminicides — c’est-à-dire le fait d’être tuée « juste parce qu’on est une femme » — par un conjoint, un membre de leur famille ou un parfait inconnu3, la plateforme « Stop Féminicide »4 (avec le concours de plusieurs associations de lutte contre les violences faites aux femmes) propose de répertorier ces meurtres, mais également de rendre hommage aux femmes qui quotidiennement se relèvent des violences machistes et tente d’avoir des leviers d’actions sur les pouvoirs publics.

L’égalité entre les hommes et les femmes est dès lors revendiquée à tous niveaux : l’égalité sociale, salariale, une plus juste répartition des tâches tant dans la sphère publique que privée.

« Haut les mains, mon corps c’est le mien ! » Parlons également du droit à l’avortement qui n’a de cesse d’être remis en question ces derniers temps en Europe et en Belgique. L’avortement n’est toujours pas entièrement « dépénalisé », les futurs médecins gynécologues n’y sont toujours pas systématiquement formés, sans parler de la grande culpabilité ressentie par les femmes en prenant cette décision. SOUS CE SLOGAN, BIEN DES COMBATS RESTENT À MENER ! Soulignons ici les femmes et les hommes qui, avec détermination et courage, œuvrent à leur niveau et avec leurs moyens à la construction d’un monde plus juste.


Les

« ardentes écarlates » Il s’agit d’un autre phénomène présent à la cycloparade féministe de Liège, comme partout dans le monde au sein des espaces dédiés à la lutte et au maintien des droits des femmes. En écho aux personnages de la série HBO The Handmaid’s Tale (v.o.) ou La Servante Écarlate (v.f.) qui nous plonge au cœur d’un régime totalitaire, sécuritaire et ultra religieux, où la docilité des femmes et leur obéissance à Dieu, aux hommes et aux femmes mariées ayant un statut « d’épouse » fait loi. Dans cette société ultra patriarcale, le rôle de la « servante » s’arrête uniquement à celui de la reproduction. Une fois l’enfant né, il est directement confié aux « épouses » de la classe dominante, qui elles, sont infertiles.

En filigrane, c’est le goût pour l’ordre et les procédures, le besoin frénétique d’avoir des règles précises, le refus de toute complexité, de tout autre analyse et de remise en question, le goût pour un « retour » aux valeurs passées : celles des dictatures totalitaires. ET C’EST BIEN LÀ QUE RÉSIDE UNE LUEUR D’ESPOIR... Puisque tout régime basé sur la peur, sur un autoritarisme excessif est voué à l’échec, comment dès lors reconstruire un monde meilleur ? Ici, on nous parle d’armes comme l’espoir, le féminisme, la désobéissance et la résistance, le « vivre ensemble », l’analyse et l’acceptation de la complexité et de la diversité.

77


78


Éditeur responsable : Marc Chambeau — 8 rue aux Chevaux - 4000 Liège Rédactrice en chef : Cécile Lebrun Graphisme et mise en page : Constance Schrouben Ont collaboré à la réalisation de ce numéro : Joy Slam Poésie, Isabelle Simonis, Yanny Dechamp, Cassandra Delhalle, Marie-France Zicot, Vinciane Zech, le Collectif Mixité Liège, l’équipe de la MJ de Sclessin, Elisa Pais, Somayeh Azizi, Line Cabanis (NE DIS MOT), Aurélie Chevallier (Mediatoon). Pour la FMJ ASBL : Sylvie Gérard, Sarah Beaulieu, André Kreutz, Julie Reynaert, Geneviève Nicaise, Cédric Garcet, Benjamin Cambron, Nathalie Heusquin, Magali Company, Valérie Hébrant. Impression : Imprimerie Vervinckt

79


80 FMJ ASBL 8 rue aux chevaux 4000 Liège +32 4 223 64 16 fmj@fmjbf.org www.fmjbf.org BCE 0409.551.618 RPM Liège

AIDER LES MAISONS À SE CONSTRUIRE... La Fédération des Maisons de Jeunes vit par et pour les jeunes... et leurs maisons. Par les jeunes, parce que leurs enthousiasmes et leurs énergies constituent la source de tous nos projets. Pour les jeunes, parce que leurs initiatives et leurs réalisations sont autant d’encouragements à continuer notre fantastique aventure. HELPING BUILD THE CENTRES, HELPING BUILD THE FUTUR... Young people and their community centres constitute the raison d’être of the Fédération des Maisons de Jeunes. The enthusiasm and energy of these teenagers are, in fact, the lifeblood of all our projects; their endeavours and achievements provide us with the encouragement to continue to pursue our fantastic adventure. BOUW MET ONS MEE... De «Fédération des Maisons de Jeunes» leeft door en voor jongeren. Door jongeren. Omdat hun enthousiasme en hun energie de motor zijn achter onze projecten. Voor jongeren. Omdat alles wat ze ondernemen en realiseren, telkens opnieuw een aanmoediging is om ermee door te gaan, met ons geweldig avontuur.

- Réalisé avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles (Service Jeunesse) et de la Wallonie (Emploi) -


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.