Lettre Culture Sciences N°30

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OCT 2016

La Lettre Certains mots barbares désignent des révolutions scientifiques. C’est le cas de CRISPR Cas9. Ce système moléculaire fait régulièrement, depuis quatre ans, la une des revues scientifiques. Assimilé à des ciseaux génétiques, il introduit sur les paillasses de biologie la possibilité de « couper-coller » dans le génome, à la manière d’un logiciel de traitement de texte. En théorie, il permet donc d’éteindre et de corriger des gènes à volonté. Ceci laisse entrevoir des applications thérapeutiques majeures à relativement court terme mais inquiète également les comités d’éthique. Car CRISPR Cas9 fonctionne chez de nombreuses espèces, y compris l’homme, dès les tout premiers stades de développement embryonnaire. Cerise sur le gâteau, le système est facile à « designer » et s’acquiert pour quelques centaines d’euros. A vrai dire, la portée de cette innovation est telle que ses créatrices, les Professeures Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna, étaient pressenties dès 2015 pour le prix Nobel. Avec CRISPR Cas9, elles ont permis d’adapter à un large panel d’organismes vivants, incluant les végétaux et les mammifères, un système étudié depuis plusieurs années chez certains groupes de bactéries (1). Il s’agit d’un mécanisme immunitaire déployé en cas d’attaque virale, notamment chez Streptococcus pyogenes. Les micro-organismes, en présence de l’intrus, intègrent des petits bouts de son ADN à des endroits bien précis de leur

Culture

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LE GÉNOME SUR LE BILLARD Avec CRISPR Cas9, inciser dans l’ADN devient facile. Mais pour quoi faire ? propre génome, là où se trouvent des séquences palindromiques. Il s’agit de suites de nucléotides, ou de « lettres », qu’il est possible de lire de la même façon de gauche à droite ou de droite à gauche (comme dans « élu par cette crapule »). La bactérie crée ainsi des « courtes répétitions palindromiques groupées et régulièrement espacées », soit CRISPR en anglais, pour « Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats ». Dès lors, ces « paragraphes » insérés dans l’information génétique du micro-organisme, quand ils seront décodés et lus, vont donner lieu à la synthèse de petits brins complémentaires d’un ADN, c’est-à-dire capables de s’appareiller et donc d’interagir avec lui. Ces courtes séquences, lors d’une future exposition au virus, vont reconnaître l’empreinte génétique de l’assaillant et venir s’y coller. À ce moment là, une protéine « ciseau » (une nucléase (2)) va rejoindre le

site d’appariement, couper à l’intérieur et ainsi désactiver l’ennemi. Il existe ainsi toute une série de ces systèmes d’immunité acquise, dont un qui sollicite la nucléase « Cas9 ». Les chercheuses Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna ont travaillé sur ce dernier, afin de « l’améliorer ». Elles ont déterminé le mécanisme de reconnaissance de l’ADN et conçu un système dans lequel l’ARN « guide », chargé de se poser sur une séquence très précise d’un génome, est lié d’emblée au complexe Cas9 (3).

Les leçons de la microbiologie Depuis 2012, les chercheurs du monde entier peuvent ainsi disposer de systèmes CRISPR Cas9 « sur mesure ». Quand la nucléase entre en jeu, sa coupure dans le double brin d’ADN active un système d’auto-réparation, inné à toutes les cellules.


Celles-ci s’évertuent à recoller les morceaux au moyen de bases de substitution. Mais elles introduisent ainsi généralement des erreurs dans la séquence, avec pour effet de rendre le gène touché inopérant. Si ce gène code pour une enzyme, un récepteur ou un canal, ceux-ci disparaissent de la cellule. « C’est le meilleur moyen de comprendre leur fonction », explique Jacques Pouyssegur, directeur de recherches émérite à l’IRCAN (Institut de Recherche sur le Cancer et le Vieillissement, Nice). Son équipe a induit en près de quatre ans des « pannes » sur plus de 25 gènes. Les chercheurs se sont intéressés en particulier au métabolisme des cellules cancéreuses. « Elles fabriquent beaucoup d’acide lactique, qu’elles doivent ensuite excréter grâce à un transporteur », précise Jacques Pouyssegur. Pour suivre la cadence, il leur faut davantage de transporteurs disponibles que dans une cellule saine. Les scientifiques ont donc utilisé CRISPR Cas9 pour mettre hors service le « passeur » d’acide lactique, appelé MCT1. Or cela n’a pas influencé la croissance tumorale. Ce résultat posait problème, car l’utilisation d’une molécule inhibitrice du transporteur, en revanche, montrait un arrêt de l’expansion de la tumeur. « C’est ce qu’on appelle un effet off-target (effet secondaire). L’inhibiteur devait en réalité se fixer ailleurs que sur MCT1 », décrypte le directeur de recherche émérite. Son équipe a donc dirigé CRISPR Cas9 sur une variante du transporteur, MCT4. « Avec un double KO, sur MCT1 et sur MCT4, les cellules tumorales stoppent leur croissance, une action que l’on peut reproduire depuis peu avec de nouveaux inhibiteurs spécifiques », révèle Jacques Pouyssegur. En revanche, il n’est pas question selon lui de mettre au point des thérapies à tout-va, intervenant directement dans le génome avec le système CRISPR Cas9. « Nous disposons d’un outil extraordinaire pour la recherche fondamentale. Il nous permet de valider très facilement des cibles pertinentes pour l’élaboration de nouveaux médicaments », souligne-t-il. Des chercheurs de l’Institut de Pharmacologie Moléculaire et Cellulaire (IPMC), également mobilisés sur certains mécanismes du cancer du poumon, reconnaissent « la puissance de cet outil du génie génétique ». « CRISPR Cas9 présente un potentiel fantastique pour la recherche, avec un niveau de simplification remarquable, au point d’être déjà devenu un instrument courant », remarque le Dr Pascal Barbry, directeur de l’IPMC et de l’équipe « physiologie génomique des eucaryotes ». Au sein du laboratoire, Bernard Mari s’intéresse en particulier à la « matière noire » du génome présente dans les cellules tumorales pulmonaires.

pas à fabriquer des protéines à partir du code génétique. « Ils ont été découverts assez récemment et constituent une énorme famille, de plusieurs dizaines de milliers d’entités. Or on ne connaît la fonction que de 1 à 2% d’entre eux », indique le chercheur CNRS. « En revanche, nous avons mis en évidence que l’expression de ces longs ARNs non codants était dérégulée à des stades précoces du cancer du poumon. Nous voudrions donc voir les conséquences sur la cellule de leur invalidation. Sont-ils des marqueurs de l’agressivité de certains cancers ? Jouent-ils un rôle actif ? », développe Roger Rezzonico. Grâce à CRISPR Cas9, l’équipe a pu générer en moins de cinq mois une lignée de cellules déficientes en ARNs non codants. « Mais les conclusions ne sont pas si évidentes à tirer », nuance le chercheur Inserm. Car les « ciseaux génétiques » ne règlent pas tous les problèmes inhérents à la recherche. « Par exemple, pour supprimer les ARNs non codants, il ne suffit pas de couper une seule fois dans le génome. Il faut déléter le gène entier, donc inciser en amont et en aval, au moyen de deux systèmes CRISPR Cas9 », explique Bernard

version d’un gène à la place d’une séquence défectueuse, responsable par exemple d’une maladie grave ? Il n’y a en théorie aucun obstacle à une telle opération. Le procédé repose sur le mécanisme naturel de recombinaison homologue. Lorsque CRISPR Cas9 parvient à inciser aux deux extrémités d’une cible, un « vide » se crée dans le génome. Dès lors, la cellule va chercher à réparer la coupure. À ce stade, il est possible de lui soumettre des « pansements », tels que des gènes « sains ». Leurs extrémités vont être reconnues comme compatibles et la séquence pourra s’insérer facilement à la place de la partie tronquée. Dans un autre registre, des travaux testent également la possibilité d’introduire une résistance dans l’organisme, par exemple pour l’immuniser contre un virus mortel. D’autres recherches concernent encore les moustiques. Elles visent à empêcher les insectes d’être infectés par des parasites responsables de maladies transmissibles à l’homme. Dans tous ces domaines, des preuves de concept ont parfois été établies, mais au-delà, toute une série de problèmes font aujourd’hui obstacle à la

Mari. Or, il est toujours possible pour le guide de se tromper de cible (c’est l’effet « off target »). Même si le risque est ici infime, il se trouve donc multiplié par deux, avec des effets impossibles à anticiper sur la cellule. « Dans certains cas, la coupe a également pu avoir lieu mais la séquence est revenue se placer au même endroit, parfois à l’envers », détaille encore le chercheur CNRS. « Pour pouvoir envisager quelque chose d’applicable en thérapie, il faudrait une efficacité absolue », estime-t-il. Au lieu de cela, parfois, le système rate son entrée in vitro dans la cellule ou bien se trompe de cible. « Et après une dizaine d’heures, le CRISPR Cas9 se désagrège sans laisser de traces », signale Jean-Claude Chambard, chercheur à l’Institut de biologie Valrose (iBV). Lui, travaille sur le traitement de l’obésité. Il tente, au moyen des « ciseaux génétiques », de comprendre comment favoriser la conversion du tissu adipeux blanc, chargé de « faire du gras » en adipocytes bruns, très peu présents chez l’adulte et spécialisés dans la thermogenèse. « Dans le tissu brun, les mitochondries s’emballent et utilisent les lipides disponibles pour produire de la chaleur », résume le chercheur. Ce système semble dépendant de l’activité d’un facteur de transcription nommé PPAR gamma. Il s’agit d’un récepteur dont l’action consiste à activer le décodage de certains gènes des cellules adipeuses (ou adipocytes). Le chercheur, véritablement conquis par le système, voit se profiler une infinité d’applications possibles avec cet « outil » révolutionnaire.

Puissant au point d’en devenir banal

Des perspectives thérapeutiques entre fantasme et réalité

mise en œuvre thérapeutique de CRISPR Cas9. En premier lieu, la question des « off targets » appelle à la prudence. Il est en effet très difficile de mesurer les conséquences d’une coupure réalisée en dehors de la cible. Ensuite, les mutations liées à la réparation de l’ADN, qu’elles soient spontanées ou induites, peuvent éventuellement avoir un effet oncogène. S’ajoutent à cela des obstacles « pratiques ». À priori, la modification de cellules malades par CRISPR Cas9 ne peut actuellement se faire qu’in vitro. Les moyens disponibles pour insérer le système dans les cellules nécessitent en effet de fragiliser leur membrane. Les « ciseaux génétiques » ne devraient donc être utilisés que sur un échantillon de cellules « défectueuses », triées puis réinjectées après transformation. En décembre 2015 à Washington, les Académies des sciences des États-Unis, du Royaume-Uni et de Chine ont organisé, sous la présidence de David Baltimore (Prix Nobel), une rencontre internationale sur les questions éthiques posées par la technologie CRISPR Cas9. L’une d’elles, et pas la moindre, concernait son utilisation sur les embryons humains. Une telle intervention permettrait peutêtre de supprimer les gènes responsables de diverses maladies graves. Mais elle modifierait aussi irrémédiablement la future descendance des enfants à naître de cet embryon. Une perspective jugée pour l’heure inacceptable. « Cette réunion internationale doit, comme cela a été fait à la fin des années 70 pour la biologie moléculaire, produire sous peu un moratoire avec des règles strictes encadrant l’utilisation de cette nouvelle technologie », précise Jacques Pouysségur, qui représentait l’Académie des sciences de France lors du sommet.

Il s’agit des ARNs non codants, des brins capables de s’appareiller avec des portions d’ADN et qui, à la différence de l’ARN messager, ne servent

Car s’il devient banal de couper dans l’ADN, comment ne pas imaginer coller la « bonne »

Laurie CHIARA

(1) Voir l’article « The Heroes of CRISPR » de Eric Landers, publié dans Cell : http://dx.doi.org/10.1016/j.cell.2015.12.041 (2) Les nucléases sont des enzymes qui réalisent des coupures dans l’acide nucléique (donc dans l’Acide Désoxyribo Nucléique, ADN, ou dans l’Acide Ribo Nucléique, ARN) (3) Le complexe Cas9 se compose d’une nucléase posée sur un ARN « de structure », indispensable pour qu’elle adopte la bonne configuration tridimensionnelle et qu’elle soit ainsi active.


DES PISTES DE RECHERCHE POUR “BIEN VIELLIR” AVEC ALZHEIMER Le 21 septembre dernier a eu lieu la journée mondiale Alzheimer. Alors qu’aucun traitement n’existe encore, cette maladie pose la question des conditions du « bien vieillir ». Le diagnostic précoce, avec une meilleure prise en charge, pourrait ouvrir la piste à de nouvelles stratégies de soin. Avec l’augmentation de l’espérance de vie, un mal nouveau s’empare des esprits. Il s’agit de l’angoisse de « mal vieillir », avec en tête la crainte de développer une maladie neurodégénérative. À défaut de trouver des remèdes à la déliquescence de nos cellules cérébrales, un des enjeux du 21e siècle consiste ainsi à dépister ces dommages le plus précocement possible. Car l’objectif devient alors de freiner les manifestations de la maladie pour permettre au patient de « vivre bien ». C’est le cas, par exemple, avec Alzheimer. Les biologistes cherchent des marqueurs physiologiques, détectables dans le sang, pendant que les psychologues tentent de mettre en place des tests cognitifs de dépistage précoce. Xavier Corveleyn, Maître de Conférences à l’Université Nice Sophia Antipolis et chercheur au LAPCOS (Laboratoire d’Anthropologie et de Psychologie Cognitives et Sociales), travaille sur les relations existant entre notre perception sensorielle de l’environnement et notre action motrice sur celui-ci. « Par exemple, j’ai besoin de la vision pour bouger, mais le fait même de bouger impacte les systèmes sensoriels », résume-t-il. « C’est pour cela que je peux difficilement me chatouiller. Quand j’amorce cette action, le cerveau envoie, pour ainsi dire, une copie de l’ordre moteur aux zones sensorielles ciblées. Cela induit une anticipation de la

sensation et empêche la perception des chatouilles », poursuit Xavier Corveleyn. Les travaux conduits en psychologie cognitive ont également démontré que les performances des champions de tennis étaient liées à la façon dont les sportifs anticipent le trajet de la balle en regardant le geste de l’adversaire et non pas seulement à leur contact visuel direct avec la balle. Or, « quelques études scientifiques commencent à attester que dans tout ce qui relève de la planification de l’action, de l’anticipation des conséquences sensorielles liées au geste, des éléments se délitent de façon assez précoce chez des gens qui vont développer une maladie d’Alzheimer », explique le Maître de Conférences.

Construire un environnement adapté aux handicaps Il y aurait donc là une piste pour intervenir auprès des patients, bien avant l’apparition des troubles de la mémoire. Si des outils de diagnostic précoces étaient validés, des exercices d’entraînement cognitif adaptés pourraient être proposés aux individus très tôt. L’objectif serait alors de différer la manifestation de la maladie, notamment en favorisant la mise en place de phénomènes de compensation dans le cerveau. Xavier Corveleyn travaille à cette fin avec l’équipe de recherche Cognition, Behaviour & Technology (CoBTeK), installée au Centre Mémoire de Ressources et de Recherche (CMRR) du CHU de Nice et dirigée par le Pr Philippe Robert. « Nous avons l’ambition de développer de petites tâches cognitives réalisables sur tablette tactile », précise le psychologue. L’une d’elle consiste par exemple à exécuter un chemin après l’avoir imaginé. Dans une autre, le patient

est confronté à des paires de mains présentées face à lui sous différents angles. Il doit opérer des rotations mentales et reconnaître s’il s’agit de la main droite ou de la gauche. Lorsque les résultats obtenus par un patient s’écartent de manière trop importantes des normes observées chez des cohortes d’individus « sains », cela laisserait à penser qu’il risque davantage qu’un autre de développer la maladie d’Alzheimer. À terme, les praticiens-chercheurs espèrent établir, à partir des applications sur tablette, une grille d’évaluation précise des troubles prédictifs de la maladie d’Alzheimer. Si tel était le cas, ils auraient mis au point un outil facile à proposer à l’ensemble des cliniciens. Car sans cela, mesurer la perception et le mouvement chez un individu nécessite de « l’équiper », au risque de susciter chez le malade un rejet. « Il faut par exemple positionner des capteurs sur le corps de la personne ou utiliser des lunettes oculométriques. Ces instruments sont difficiles à mettre en oeuvre dans un contexte clinique, où le patient ne comprend pas toujours ce qu’il fait ou ce qu’on lui fait. Qui plus est, toutes les institutions de soin ne sont pas forcément équipées », insiste le Maître de Conférences. Avec l’essor des tablettes, il espère donc augmenter le répertoire des outils disponibles dans la prise en charge non médicamenteuse de la maladie d’Alzheimer. Pour Xavier Corveleyn, depuis le diagnostic jusqu’à la prise en soin, l’enjeu consiste à imaginer « comment adapter l’environnement aux handicaps des malades, de la même façon que pour quelqu’un qui aurait perdu une jambe ou la vue ». Laurie CHIARA


HOMMAGE À TOMAS LINDAHL, EXPLORATEUR DU VIVANT ET PRIX NOBEL DE CHIMIE 2015 L’ADN rime avec « gènes ». Il supporte l’hérédité, code pour des acteurs essentiels de l’organisme mais également pour des maladies graves et, toujours, pour bien des mystères. Sa structure primaire, en revanche, est moins connue du public. Elle se résume à quatre petites lettres énigmatiques et à leur règle d’appariement : « A avec T, C avec G ». Au-delà, il y a la chimie et les choses se compliquent. Pourtant, l’étude de la structure moléculaire du génome permet seule de comprendre ce qu’est une mutation et comment celle-ci se produit. Ces sites d’observation offrent également une vue sur les mécanismes de réparation mis en jeu lors des « catastrophes naturelles », responsables du vieillissement mais aussi du cancer ou de déficiences immunologiques. C’est pourquoi, le jury du prix Nobel de chimie a distingué en 2015 le travail du Pr Tomas Lindahl. D’origine suédoise, ce chercheur, âgé aujourd’hui de 78 ans, continue de diriger un groupe de recherche au Francis Crick Institute de Londres. Il a mené l’essentiel de sa carrière aux Etats-Unis puis en Angleterre, avec comme fil conducteur l’étude de la stabilité du génome et de la réparation de l’ADN. Le 23 septembre dernier, l’IRCAN (Institut de Recherche sur le Cancer et le Vieillissement, Nice) a souhaité à son tour lui rendre hommage. Le laboratoire lui a ainsi dédié un séminaire de recherche international. L’illustre invité de l’amphithéâtre Galet est revenu, en ouverture, sur ses principales découvertes. Or, celles-ci viennent contredire l’intuition. Pour l’illustrer, le Pr Tomas Lindahl commence par

s’attarder sur une sculpture en bronze représentant la double hélice d’ADN. Coulée dans le métal, elle représente deux brins épais liés entre eux par une multitude de petits ponts bien droits. « Sous cet angle, la molécule semble très solide et durable », commente le lauréat du prix Nobel. « Je suis d’accord sur le principe. L’ADN contient en effet l’information génétique et permet une transmission de celle-ci de génération en génération. Qui plus est, dans le noyau, il adopte une configuration où des protéines, les histones, le protègent. Pourtant, en réalité, il est fort instable ». L’étude des composants de l’ADN dans différentes conditions physiologiques montre en effet l’existence de « sites d’instabilité ». Les ponts de liaison entre les composants de base de l’acide nucléique (ou ADN) s’avèrent en particulier très labiles. Chaque jour, nos cellules peuvent ainsi théoriquement subir une perte substantielle d’information. Face à cette situation « intolérable » l’organisme déploie fort heureusement des processus de réparation. Par exemple, si une molécule manque à l’appel dans un des composants de l’ADN, des protéines interviennent successivement pour combler la délétion. Au fil de sa carrière, le Pr Tomas Lindahl a ainsi participé à la découverte de toute une série d’anomalies spontanées se produisant au cœur de nos cellules. Il a également décrit les conditions environnementales « agressives » pour le génome (hydrolyse, oxydation, méthylation non enzymatique etc.) et identifié quelques unes des protéines réparatrices. Chaque fois, plusieurs

La Lettre

Culture Sciences Rédaction Laurie Chiara - Service Culture-Sciences - Direction de la Culture Crédits photos : DSD - Service Communication - Christophe Rousseau - Mise en page : Emilie Deplantay

sont sollicitées. Chacune réalise une action très spécifique puis elle passe pour ainsi dire le relai à la suivante et ainsi de suite jusqu’à restauration complète. En revanche, si ces enzymes font défaut, les conséquences peuvent s’avérer dramatiques. Pour finir, le Pr Tomas Lindahl cite une expérience récente qu’il a menée sur des souris chez lesquelles les gènes des deux nucléases FEN1 et TREX1 (des protéines spécialisées dans l’excision des nucléotides de l’ADN) ont été supprimés. Ces nucléases interviennent normalement dans le noyau des cellules, pour assurer la maintenance de notre génome. Or, grâce à cette expérience, le Pr Tomas Lindahl a compris, à sa grande surprise, que ces enzymes étaient aussi localisées dans le cytoplasme (c’est-à-dire dans le milieu cellulaire, entre la membrane et le noyau). Les animaux qui en sont dépourvus « développent une myocardite auto-inflammatoire et meurent deux fois plus vite ». Il vient ainsi de mettre en évidence un lien inattendu entre réparation de l’ADN et immunité, une découverte majeure qui lance un nouveau défi à notre compréhension du rôle biologique de l’ADN. En préambule à la poursuite du séminaire, le directeur de l’IRCAN, le Pr Eric Gilson, a tenu à saluer l’influence de Tomas Lindahl sur les travaux de recherche actuellement menés dans son laboratoire. « C’est en partie grâce à sa clairvoyance et à la pertinence de ses recommandations, depuis 2010, que nous avons construit un centre de recherche dynamique et performant », conclut-il. Laurie CHIARA

contact : culture-sciences@unice.fr

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